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La Réforme verte à l’école

Dans les écoles, nos petits élèves sont submergés d’injonctions vertes dans le but de devenir de bons citoyens éco-responsables, mais au prix de la culture humaniste et de la formation du jugement critique.


Dans le monde d’avant, on amenait ses élèves dans les musées et on tentait de leur inculquer, bon an, mal an, un humanisme fondé sur le savoir, l’expérience et l’esthétique de leurs aînés. Désormais, on cultive l’éco-geste, on végétalise espaces et esprits. Les sorties scolaires se font à la déchetterie ou en forêt : on y recycle ou ramasse les détritus, on découvre la biodiversité, on fustige l’irresponsabilité de ses parents. En 2021, M. Blanquer a opéré le virage du développement durable en dotant les établissements scolaires d’une nouvelle instance représentative : celle des éco-délégués.

Alors qu’est-ce qu’un éco-délégué ? C’est un « acteur de la question écologique au sein de l’école » et un « ambassadeur » de la planète, ni plus ni moins. L’éco-délégué s’engage à « porter des projets », ânonne quelques slogans inspirés (éteindre la lumière, c’est éclairer l’avenir ; maman, je sèche comme la planète ; aux arbres, citoyens !), jure qu’il a trié, trie et triera ses déchets. Et puis il veille à apprendre à ses camarades et surtout à ses professeurs les bons gestes: l’économie de papier, le covoiturage, la réduction du gaspillage alimentaire.

Le problème étant que ce que l’on pourrait saluer comme le retour d’une sagesse ancestrale, la « juste mesure » aristotélicienne dominée par le souci d’équilibre, d’harmonie et de maîtrise, la vertu cardinale de la tempérance, prend la forme d’une religion régressive et sottement dogmatique, voire d’un endoctrinement dont on ferait bien de mesurer les effets.

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À l’éco-école, nous communions dans une même foi et notre divinité est la Terre. Ce culte a ses rites : le mea culpa des adultes, le prêchi-prêcha des enfants, les grand-messes (élection des éco-délégués, semaine pour le climat, rendez-vous régional et annuel des éco-engagés). Il a ses dogmes (le papier, c’est le péché), ses Pap et papesse (votre ministre fait de la « question écologique » une priorité; votre cheffe d’établissement vous désigne à la vindicte publique parce que vous faites trop de photocopies). Ce culte nous délivre du mal en ce qu’il nous débarrasse de la complexité du monde, d’une histoire et d’une culture infréquentables, des religions du livre et, en définitive, du livre même.

Mais à quoi mène la Réforme verte dans les écoles? Elle assigne les enfants à l’ignorance et elle les voue à l’angoisse. À l’ignorance parce qu’au lieu de transmettre le savoir, de forger l’esprit critique, de confronter progressivement l’élève à l’ambiguïté de la nature et des choses humaines, elle annihile la pensée par son formalisme et son manichéisme (le monde en noir et vert). Pendant ce temps, dans les quelques établissements qui élèvent encore les enfants à l’abri du tumulte du monde (l’École alsacienne, peut-être ?), on écrit à l’encre sépia sur du papier Clairefontaine, on apprend la vie dans les livres et on renvoie aux calendes grecques les humanités numériques. Cette Réforme verte voue nos enfants à l’angoisse parce qu’elle les emprisonne dans sa novlangue et ses pathologies: éco-gestes ou pas, on est un écophage, complice de l’écocide, victime d’éco-anxiété et on consulte un écopsychologue.

Alors peut-être faudrait-il remettre un peu d’ordre dans tout ça. Pour ceux qui veulent renouer avec la nature et les vertus qu’on y développe, il y a les mouvements de jeunesse : « Le scout voit dans la nature l’œuvre de Dieu, il aime les plantes et les animaux ». Si l’on est vraiment hermétique au bénévolat, on peut se tourner vers le fils d’Anne Hidalgo, Arthur Germain, qui organise des stages de survie de deux jours en milieu naturel et les facture 200 euros (sobriété oblige).

Mais c’est en renouant avec la culture humaniste et la formation du jugement que l’école assumera la mission qui est la sienne. On le sait depuis Érasme : « On ne naît pas homme, on le devient ».

Le jour où Simenon a cessé d’écrire

Cet automne 2022 marque un anniversaire un peu particulier. Il y a cinquante ans, du jour au lendemain, le prolixe Georges Simenon cessait d’écrire. Autopsie d’un autre « mystère Simenon ».


Parfois, les écrivains cessent d’écrire, pour toujours. En général, ça se produit quand ils meurent. Dans l’ultime phrase de L’Innommable, Samuel Beckett résume ainsi cette malédiction : « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent, étrange peine, étrange faute… » Et, sous une forme plus insolente et désinvolte, dans un numéro spécial de Libération, en 1988, qui posait à tous les écrivains célèbres la question « Pourquoi écrivez-vous ? », alors que tant de ses confrères s’étalaient sur des pages, Beckett se faisait le roi de la concision en répondant sur une carte de visite : « Bon qu’à ça ».

La question n’a pas été posée à Georges Simenon qui était alors encore vivant (il meurt le 4 septembre 1989), pour une raison simple : il n’écrivait plus. On peut même dater très précisément la date de cette cessation d’activité : le 18 septembre 1972.

À ce moment-là, sa renommée est mondiale et sa légende est celle d’un auteur d’une fécondité presque effrayante. Voilà un homme de 68 ans qui a publié, entre 1971 et 1972, La Disparition d’Odile, Maigret et l’Homme tout seul, La Cage de verre, Maigret et l’Indicateur, Les Innocents et Maigret et Monsieur Charles qui sera donc son dernier roman. On retrouve dans cette liste fournie l’alternance classique entre les Maigret et « les romans durs ». Comme Beckett, il n’était « bon qu’à ça », et aujourd’hui encore, on peine à connaître le nombre exact de livres qu’il a écrits, au moins depuis l’âge de…19 ans.

Il y a donc là, pour reprendre le titre d’un essai du regretté Denis Tillinac, un Mystère Simenon. Le dernier, mais pas le moindre. Le premier des mystères Simenon étant son succès populaire qui arrive très vite, dès les années 1930. Le deuxième est que malgré ce succès, car le succès est un handicap pour ce genre de choses, on a reconnu à Simenon un statut de grand écrivain. Le premier à le dire est André Gide, même si son admiration n’est pas dépourvue d’ambiguïté. Leur correspondance prouve en effet que si Gide veut bien que Simenon soit un grand écrivain, c’est à condition qu’il ne soit pas plus grand que… Gide.

Pour comprendre ce statut qui lui vaut aujourd’hui trois volumes en Pléiade, on peut avancer que Simenon n’a jamais explicitement pris de positions politiques, c’est un moyen de rester jeune, car les idées vieillissent vite. L’anticolonialisme de son roman Le Coup de lune est né de l’observation, certainement pas d’une idéologie qui aurait ponctué le récit de remarques morales. Simenon est un romancier pur, phénomène peu français qui explique, très tôt, son immense succès aux États-Unis. Il est en outre, instinctivement, en phase avec son temps. Ses portraits d’hommes seuls constituent la figure radicalement nouvelle du roman au XXe siècle.

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Publiés à des dates comparables, Le Bourgmestre de Furnes, c’est La Nausée de Sartre en mieux, tandis que La Fuite de Monsieur Monde fait jeu égal avec L’Étranger de Camus. Simenon met une métaphysique du désespoir liée aux suites de la Grande Guerre à la portée de ceux qui lisent ses romans dans le tramway, la secrétaire comme l’ouvrier. Il apprend à tout le monde, très simplement, que Dieu n’existe pas, que la condition humaine est absurde et qu’il n’y a, au bout du compte, que la solitude, la mort ou, pire encore, la banalité. Mais, à l’opposé de Sartre dans L’Être et le Néant, il ne théorise rien.

Simenon n’est pas le seul écrivain à arrêter d’écrire de son vivant. Le phénomène n’en demeure pas moins étrange, voire inquiétant. On comprend qu’un médecin arrête d’exercer, un professeur de professer, un boxeur de boxer, mais un artiste et en particulier un écrivain, ça, non. Il doit mourir sur scène, l’écrivain, comme Molière, à ceci près que l’écrivain remplace la scène de théâtre par un cahier, une machine à écrire ou, aujourd’hui, un traitement de texte.

On voudrait même que l’écrivain continue d’écrire après sa mort. Le premier à le comprendre, c’est Chateaubriand qui fait semblant d’écrire de l’au-delà, avec ses bien nommés Mémoires d’outre-tombe. Si l’écrivain ne meurt pas à la tâche comme Céline, décédé juste après avoir mis les derniers points de suspension à Rigodon, le lecteur a un peu l’impression qu’il le vole. Il suffit de voir le goût qu’on a pour les écrits posthumes, même décevants. Céline n’a jamais autant vendu de livres de son vivant qu’il a vendu de Guerre, paru l’hiver dernier.

Si un écrivain a à peine le droit de mourir, il a encore moins le droit de se taire. L’écrivain qui arrête d’écrire passe pour un malpoli, un impuissant, un voyou, un sale type. Regardez Rimbaud qui arrête tout à 20 ans pour devenir trafiquant d’armes en Abyssinie et dit dans une lettre à sa mère : « Je préfère m’en aller que de me faire exploiter ». Il en a fallu du temps pour lui pardonner, à Rimbaud, et encore ce sont les adolescents et les poètes (c’est la même chose) qui ont assuré l’essentiel de sa postérité et certainement pas les manuels de littérature qui lui ont si longtemps préféré Sully Prudhomme et Théodore de Banville, sous le prétexte qu’eux, au moins, prenaient leur métier au sérieux et faisaient de la poésie aux heures de bureau.

On exagère ? Prenons quelques cas aussi emblématiques que célèbres. Le silence quasi définitif et la réclusion totale et paranoïaque de Salinger, auteur du mythique Attrape-Cœurs, ont duré plus de quarante-cinq ans, jusqu’à sa mort en 2010, alors que les journalistes n’ont cessé, toutes ces années, de le sommer d’apparaître, d’expliquer, d’avouer. Don DeLillo, dans Mao II, imagine cette vie-là en examinant un personnage d’écrivain qui se cache et qui pourrait bien être le double de Salinger. Il y a quelque chose d’édifiant et de terrifiant : si écrire provoque souvent la haine, ne plus écrire suscite bien davantage encore. Ainsi, dans un autre genre de beauté, et sur un mode mineur, Conan Doyle a reçu des lettres le menaçant de mort s’il ne ressuscitait pas Sherlock Holmes…

Simenon n’a pas reçu de lettres de menaces et n’est pas revenu en arrière. Le 18 septembre 1972, il va à son bureau, consulte comme d’habitude ses notes pour un roman qui devrait s’appeler Victor. À partir de ce moment, un rituel aurait dû se mettre en place, attesté par tous ses biographes. Tout est là : pipes bourrées d’avance, enveloppes jaunes, le Littré, crayons à papier et la perspective de onze jours d’écriture en immersion totale.

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Mais voilà, rien ne vient. Ce n’est pas le syndrome de la page blanche.  Simenon pourrait s’y mettre mais il n’en a pas envie : il est envahi d’un sentiment d’inutilité puis, très vite, de libération. Les explications biographiques sont peu satisfaisantes, comme souvent : la fatigue d’être relancé par Denyse, sa femme dont il est séparé et qui réclame toujours de l’argent, est trop évidente.

On peut en revanche penser que Simenon a eu peur de se répéter, de s’auto-pasticher, risque de tous les écrivains « à petite musique », comme Modiano par exemple, ces deux-là n’étant pas par ailleurs sans points communs sur le fond comme sur la forme. Mais sur ce genre d’histoire, le mieux est encore de croire les écrivains eux-mêmes. Après tout, ils mentent dans leurs livres mais quand ils parlent, ils se contrôlent moins. Et si Simenon cesse d’écrire, il ne cesse pas de parler. Et de se parler à lui-même. Un petit magnétophone remplace vite la machine à écrire. Simenon s’enregistre et cela donne Les Dictées qui n’ont rien de romanesque : des livres sur tout et sur rien, d’un intérêt très variable, des réflexions d’ordre général, des souvenirs, des remarques sur l’époque. Il y en aura 21 entre 1975 et 1981.

Le titre du premier volume donne peut-être la clef de ce qui s’est passé : Un homme comme un autre. Rien n’est aussi fatigant que d’avoir été des milliers de personnages et, comme le dit Simenon : « Tout a changé pour moi en l’espace de quelques jours, de quelques heures. Je ne me rendais pas compte à quel point, auparavant, j’avais été l’esclave de mes personnages. Cela devait se passer dans mon subconscient car je n’observais qui que ce soit ni quoi ce soit avec l’idée d’une utilisation possible. Cette fonction-là pouvait être coupée puisqu’elle n’aurait plus abouti à rien. Je suis moi-même, enfin ! »

Notre époque, qui a tendance à prendre la littérature pour une branche du développement personnel, véhicule l’idée reçue qu’on écrit « pour se trouver ». Simenon, a contrario, a montré que pour se trouver, il faut précisément… cesser d’écrire ! C’est la leçon du 18 septembre 1972.

Les œuvres complètes de Simenon sont disponibles aux Presses de la Cité, y compris Les Dictées.

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Le pain bénit des as du déni

D’un fait divers à l’autre, nos dirigeants sont plus disposés à créer la culpabilité chez ceux qui s’insurgent contre les séries de crimes, qu’agir contre les vrais coupables.


Chaque crime doit devenir un fait divers, et chaque fait divers doit vite devenir un fait d’hier – quelque chose de peu significatif, recouvert par l’actualité la plus récente. Le problème est quand les supposés « faits divers » se succèdent – le viol et meurtre de Lola, l’affaire de Roanne – et vont tous dans le sens de l’impuissance des pouvoirs publics censés protéger les braves citoyens et contribuables. Et quand la faillite est trop visible, on sort l’artillerie lourde : relativisme et fatalisme, servis par les meilleurs valets, qu’ils soient Garde des sceaux ou président d’honneur de la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme).

Tout est pain bénit pour les as du déni.

Premier cas : « vous n’aurez pas ma haine ». Les parents de Lola ont été dignes dans leur souffrance atroce. Après avoir honoré sans histoire l’invitation du président de la République à l’Élysée, ils se sont retirés dans leur Nord pour l’inhumation de leur petite. Le traitement politico-médiatique est alors simple : il suffit de suivre le silence des parents, en accompagnant leur douleur de marches blanches, de tweets indignés et de bougies. Tout message politique contraire serait évidemment de la récupération partisane honteuse, un manque de respect même pour les parents de Lola – voire pour toutes les personnes en situation irrégulière en France.

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Second cas : « vous aurez ma colère ». Suite au crime sexuel subi par sa fillette de 6 ans, le père le signale immédiatement à la police et attrape lui-même l’auteur des faits 24 heures après. Le père était sans secours des forces de l’ordre au moment d’immobiliser le jeune homme – qu’il « roue de coups » selon les informations disponibles aujourd’hui. 10 jours d’ITT, la police interpelle enfin le suspect – comme dans ces fins hollywoodiennes où une vingtaine de voitures de police, toutes sirènes hurlantes, arrivent en dérapant quelques minutes après que le héros s’est défait lui-même de ses ennemis. En pareil cas, les pas de danse politico-médiatiques n’ont pas besoin d’être orchestrés pour être synchronisés. Chacun connaît son devoir par cœur : il est intolérable que les crimes puissent provoquer toute autre réaction qu’une patience infinie, que la confiance maintenue en la justice et la police, même si, bien sûr, tout n’est pas parfait et qu’il existerait bien quelques axes d’amélioration – que l’on consent à reconnaître si on peut les convertir en promesses électorales. Bref, comme l’a asséné l’émission 22h Max de BFM TV du 25 octobre, ce père n’avait pas à se « faire justice lui-même », à se laisser aller « à la vengeance », à appliquer la « loi du talion ». Et si le présentateur Maxime Switek, face à l’avocat du père de la fillette, parle de « désordre », il parle évidemment de réaction de ce dernier, pas de l’agression initiale.

Cette chaîne de télévision a offert de voir ce qui se fait de pire dans la trahison des élites qui, à l’heure de faire face à leur incurie, redoublent de malhonnêteté intellectuelle. La journaliste de BFM Mélanie Bertrand revenait précisément sur le profil décidément tortueux de Dahbia B., coupable quelques années avant le meurtre de Lola d’une violente altercation dans un cabinet médical. Elle rapporte les termes exacts des menaces de Dahbia B.: « Je vais revenir, vous ne savez pas de quoi je suis capable », soulignant à juste titre le caractère peut-être prémonitoire de ce qu’elle avait en elle.

Il n’en fallait pas plus pour que deux personnes réagissent sur le plateau, dont l’avocat Alain Jakubowicz. Le président d’honneur de la LICRA, rosette rouge et pochette blanche, bondit professionnellement au mot « prémonitoire » et sort ses vieilles techniques de prétoire, pour condamner ceux qui ne se réfugient pas dans le fatalisme. « Si elle [Dahbia B.] avait été expulsée, elle ne l’aurait pas tuée. Oui, si les criminels n’étaient pas nés, les victimes ne seraient pas mortes ». L’avocat met sur le même plan le souhait de voir une mesure appliquée – en l’espèce une obligation de quitter le territoire français – avec celui d’effacer le mal du monde en général. Autrement dit, pour lui, l’application du droit tient de la science-fiction. On aura rarement vu un aveu aussi compromettant de la part d’un avocat qui devrait être rompu aux risques de la rhétorique. Mais quand on défend des positions aussi absurdes, on finit toujours par être maladroit.

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La même technique avait été utilisée plus tôt à l’assemblée nationale par Éric Dupont-Moretti, avec la poésie administrative qui le caractérise désormais : « les infractions sont consubstantielles à notre humanité ». Le péché originel comme pain bénit du déni. Quand les politiciens en sont rendus à accuser la tentation du jardin d’Eden, c’est que leur argumentaire est en miettes. Mais appeler à une compassion universelle et molle dans une langue laïque ne suffira pas à détourner les regards. Il faut donc se boucher le nez, et le ministre a fini par lâcher sa bombe puante face aux députés du Rassemblement National en évoquant « l’odeur nauséabonde de 1938 ».

Face au crime, il conviendrait donc soit de se taire, soit de fustiger ceux qui osent réagir. Les politiques ne devraient plus s’occuper de la chose publique et relayer l’exaspération des Français. Un père de famille ne devrait plus avoir une montée de colère quand il se retrouve nez-à-nez avec celui qui a touché sa fille. Autrement dit, circulez, il n’y a rien à voir, rien à dire. Laissez-nous percevoir les derniers dividendes d’une France à la dérive.

Notre société accable les braves gens de messages culpabilisants, mais ne fait rien ou si peu, et trop tard, contre ceux qui sèment le trouble. C’est ainsi en toute matière : écologisme, féminisme… On multiplie abécédaires, les campagnes de communication accusatrices, les obligations de suspicion généralisée. Mais on ne vise pas les responsables, trop rarement inquiétés. Culpabiliser tout le monde – en sachant que cette méthode ne marche pas envers ceux qui mériteraient le plus de l’entendre – et laisser courir les faits divers, les personnes frappées d’OQTF, les mineurs signalés pour avoir atteint à l’intégrité physique d’une fillette. La lâcheté est consubstantielle au genre humain, aussi, monsieur le ministre du sentiment d’injustice. Les Français aimeraient sans doute que les politiciens en fassent moins souvent la démonstration.

Protégeons nos enfants contre les adeptes de la «transition de genre»!

L’association Juristes pour l’enfance sort un livre collectif réunissant juristes, médecins et chercheurs, alertant sur le drame des transitions de genre chez les mineurs, en explosion depuis une quinzaine d’années aux Etats-Unis et en Europe.


Jeudi soir, lors de la conférence de presse des auteurs du livre collectif, Questionnements de genre chez les enfants et les adolescents, Aude Mirkovic et Claire de Gatellier sont rentrées dans le vif du sujet : « Nous sommes contactées depuis plusieurs années par des chefs d’établissement, et plus récemment par des parents stupéfaits devant la demande de leur fils ou de leur fille d’être identifié dans le sexe opposé, ou dans aucun sexe. Nous avons ressenti l’urgence d’apporter une expertise de qualité, non seulement juridique, mais aussi médicale, psychologique. C’est pourquoi nous avons réuni des experts pour rédiger ce livre pluridisciplinaire et offrir aux personnes concernées des éléments de discernement pour prendre leurs décisions en la matière en connaissance de cause ». Leur volume informe, avec l’appui de chiffres, sur le drame que représente aujourd’hui la remise en cause, voire la déconstruction, de la distinction homme-femme, activement portée par les associations LGBTQI+ et apparemment soutenue par l’Éducation nationale.

Un bon sens longtemps préservé

La France, bien qu’ayant été « en retard » sur les Etats-Unis et la Grande-Bretagne dans le processus de légalisation et de facilitation des transitions de genre pour les mineurs, comme les adultes, s’est très largement « mise à niveau » ces trente dernières années. Cette conformisation récente de sa législation trouve ses fondements dans une condamnation de la France, en 1992, par la Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH), pour atteinte au droit au respect de la vie privée des personnes dites « trans », à cause de son refus du changement de la mention du sexe à l’état civil. Une décision qui n’a pourtant pas provoqué de modifications de la législation française à l’époque. D’ailleurs, en 2012, une jurisprudence de la Cour de cassation avait de nouveau refusé deux demandes de changement de sexe, rappelant le texte de l’époque selon lequel « la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ». Changer de sexe à l’état civil était donc déjà possible en 2012, mais il fallait pour cela se soumettre au préalable à un long traitement médical sur lequel il était impossible de revenir.

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Hollande et Macron, champions de la législation transgenre

Si certains pensaient que la légalisation du mariage pour les couples de même sexe était l’unique réforme de la désastreuse parenthèse Hollande, il faut vite se détromper. Le 20 novembre 2016, dans le cadre de la loi de modernisation de la justice au XXIe siècle, une réforme du Code civil a ouvert à toute personne majeure ou mineure émancipée la possibilité de changer de sexe selon son bon vouloir et non plus à la condition d’avoir effectué une opération médicale. Voici exactement ce que le Code civil dispose à ce jour : « Le fait de ne pas avoir subi de traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut modifier le refus de faire droit à la demande [de changement de sexe] » (articles 61-5 à 61-8 du Code civil). Par la suite, le militantisme au sein du gouvernement n’a cessé de se manifester, en particulier avec la fameuse « circulaire Blanquer », du 29 septembre 2021, faisant explicitement la promotion de la transition sociale auprès des mineurs dans les établissements scolaires. Entre autres choses, elle encourage l’accompagnement des enfants en cours de transition de genre par l’établissement scolaire, qui « devra garantir les conditions d’une transition revendiquée » d’une part, et d’autre part « garantir les conditions d’une transition confidentielle ». Déjà appliquée avec dextérité dans nombre d’établissements scolaires publics notamment, elle fut un prétexte pour renforcer l’intervention des membres de l’association LGBTQI+, encourageant les enfants, au cours de leurs conférences, à choisir librement leur sexe et à se libérer d’une classification binaire « garçon-fille » figée et ringarde. Tout comme les régimes totalitaires endoctrinent leurs enfants dès le plus jeune âge, pour s’assurer qu’ils adhèrent à l’idéologie d’Etat, l’école de la République fait progressivement de l’idéologie transgenre la pensée dominante, en l’enseignant ouvertement aux enfants, dès le primaire.

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Encore plus loin…

Mais on ne pouvait pas s’arrêter à la circulaire Blanquer. L’ancienne majorité présidentielle, en période de Covid-19, a profité du confinement partiel encore en vigueur pour faire voter un texte, le 31 janvier 2022, sanctionnant pénalement les pratiques, comportements ou propos visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne. Un simple ressenti est ainsi érigé en réalité imposée à tous. C’est d’ailleurs la définition du genre que donnent les promoteurs de ce texte de loi : « Le genre est un sentiment d’appartenance à une identité féminine, masculine, non binaire ou autre. […] L’identité de genre est l’identité que l’on ressent au fond de soi ». Autrement dit, les parents ou les médecins qui souhaitent aider leurs enfants à prendre des distances sur leurs ressentis pourraient désormais être exposés à des poursuites pénales. Claire de Gatellier, présidente de l’association Famille et liberté et co-auteur de Questionnements de genre, s’inquiète des conséquences de ce texte : « Il existe déjà des cas de parents au Canada qui, pour avoir incité leur enfant mineur à distinguer entre son ressenti et sa constitution physique naturelle, se sont vus condamnés par la justice de leur pays. Avec la législation en vigueur, des parents français, mais aussi des médecins, s’exposent au même risque » poursuit-elle, non sans une certaine inquiétude quant à ce qui pourrait advenir en France d’ici quelques mois.

Une consultation et c’est parti !

En plus de la législation, le plus inquiétant est probablement le traitement des enfants et des adolescents qui font une demande de transition de genre, que résume très simplement Aude Mirkovic. « L’approche trans-affirmative s’interdit et interdit d’interroger l’auto-diagnostic de l’enfant : si un mineur exprime un ressenti de l’autre sexe, il serait selon cette approche le seul à pouvoir dire qui il est, et les « bons » parents, les « bons » médecins seraient ceux qui mettent en œuvre la transition qu’il demande vers l’autre sexe ». On prescrit en général à l’adolescent des bloqueurs de puberté et des hormones en pilule, pour faire changer son aspect physique. Pour les filles par exemple, il s’agit de développer la pilosité, changer la forme du visage et le ton de la voix et enfin de réduire la taille de la poitrine, en pratiquant la mastectomie (ablation des seins). «Les adolescents sont rarement prévenus des effets de ces opérations, aussi bien dans le moyen terme que sur le long terme », constate Olivia Sarton, juriste chez JPE (Juristes pour l’enfance) et contributrice à l’ouvrage. En plus des bouffées de chaleur, des fièvres et des dérèglements sexuels provoquées par la prise d’hormones, nombre d’effets physiques sont irréversibles et rendent ainsi une dé-transition impossible, ou presque. Pourtant, les cas de dé-transition sont déjà nombreux. Ils s’élèveraient à minimum 4% selon les militants et 20% selon plusieurs associations, dont Detransition Advocacy Network. Ces estimations interrogent sur le bien-fondé du rêve transgenre qui pour beaucoup se transforme en un véritable cauchemar.

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Rétropédalage en Europe… sauf en France

D’ailleurs, le désastre lié au suivi médical des enfants et des adultes « transitionneurs » dans les cliniques de Grande-Bretagne pratiquant les transitions de genre (la Tavistock Clinic en particulier), a provoqué la mise sur pied d’une enquête par le Ministère de la santé britannique en 2021, confiée au pédiatre Hilary Cass, qui a publié une rapport intérimaire en février 2022. Des procès au grand retentissement ont aussi permis de dévoiler au grand public les pratiques des hôpitaux en charge de faire transitionner les enfants, en particulier le procès intenté par Keira Bell contre le Tavistock and Portman Foundation Trust en 2020. La jeune femme, en cours de dé-transition, reproche à cette institution de ne pas avoir remis en cause son désir de devenir un garçon lorsqu’elle en avait fait la demande à l’âge de 15 ans. Désormais, elle plaide que les enfants et les jeunes mineurs ne sont pas aptes à donner leur consentement à l’administration de médicaments bloquant la puberté. Les directives du NHS (National Health Service) viennent d’ailleurs de changer à ce sujet, en rétablissant la psychothérapie et la psychoéducation comme première ligne de traitement pour les enfants ou les adolescents qui demanderaient à opérer une transition, et rétablissant l’importance du «sexe biologique». Il s’agit d’une révolution. En Suède, le gouvernement a essentiellement remis en cause les traitements hormonaux, désormais limités à des cas exceptionnels suivis dans le cadre de recherches biomédicales.

Selon Marianne, en octobre 2020, 700 enfants étaient suivis rien qu’à Paris pour « dysphorie de genre ». Il est fort probable que le chiffre soit plus élevé aujourd’hui. Par comparaison, le nombre d’enfants suivis en Grande-Bretagne est passé de 77 en 2009-2010, à 2 590 en 2018-2019. Malheureusement, aucune enquête n’a été menée par la Sécurité sociale ou l’APHP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) pour savoir combien d’enfants étaient exactement suivis pour un processus de transition de genre. Les membres de Juristes pour l’enfance sont clairs toutefois. « Nous ne pouvons détourner le regard et abandonner ces jeunes en nous contenant de «respecter leur choix» et nous en laver les mains ensuite avec une fausse bonne conscience, accréditant l’idée que l’adulte n’aurait plus rien à apporter aux jeunes », conclut Claire de Gatellier dans l’ouvrage. Encore faudrait-il que le gouvernement ouvre les yeux sur les conséquences de sa législation, au lieu d’invoquer sans cesse le choix de « la raison », du « progrès » et de la « tolérance » pour donner une couverture bienveillante à ses textes.

Aude Mirkovic et Claire de Gatellier, Questionnements de genre chez les enfants et les adolescents, Artège, 2022, 216 pages, 17,90€.

Le procès des attentats du 13 novembre 2015: retour en enfer

Emmanuel Carrère a suivi pour L’Obs pendant neuf mois le procès des attentats du 13 novembre 2015, jusqu’au verdict en juin cette année. Les chroniques, légèrement augmentées, ont été réunies dans un livre, V13, qui revient sur les horreurs de cette nuit et de ses suites et qui laisse présager d’autres horreurs à venir. Compte-rendu.


Se plonger dans le livre de Carrère, c’est se replonger dans l’ambiance glauque de ces années de plomb et retrouver un peu du goût de bile dans la bouche qui avait envahi les Français cette nuit-là (ceux, en tout cas, qui ont eu la chance de ne pas se trouver au Bataclan, ou à la terrasse de la Belle Equipe, ou aux abords du Stade de France ; pour les autres, c’était plutôt un goût de sang). En sept ans, beaucoup de livres sont sortis, notamment des témoignages de victimes ou de proches, et il n’est pas toujours facile de retourner dans les descriptions glaçantes de cette soirée en enfer. Le livre de Carrère, en reprenant la trame du procès, en faisant le tour des subjectivités, celles des victimes mais aussi des accusés, n’épuise peut-être pas à tout jamais le sujet mais néglige peu d’aspects. On se surprend une fois ou deux à retenir des larmes, un peu à la manière de François Hollande lors du discours aux Invalides.

Tout d’abord se succèdent les témoignages des blessés, des endeuillés, des rescapés. Corps enchevêtrés et piétinés dans la fosse, nez et yeux subitement transformés en trous (on appelle ça « des grands fracas faciaux » dans le jargon), jambes et pieds arrachés, bouts de chair des assaillants répandus comme des confettis après la détonation de leurs ceintures explosives. Le président suggère à un moment de « regrouper » les témoignages pour éviter « les redites » ; l’expression ne fait pas tellement florès et le président, conscient de la bourde sémantique, revient très vite en arrière. Finalement, les victimes pourront, toutes, une par une, reprendre la chronologie détaillée de la tuerie. Il est vrai que c’est toujours à peu près la même histoire : « l’ambiance joyeuse du concert », « les premiers coups de feu », « les odeurs de poudre et de sang », la sensation que les tueurs passent, eux, un moment très amusant. On repense au long-métrage Elephant de Gus Van Sant (2003), qui filme le dernier itinéraire des victimes de la tuerie de Columbine les unes après les autres, avant de placer la caméra derrière les deux assaillants et de rejouer la scène depuis leur point de vue.

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C’est ensuite au tour de la défense. On bascule dans cet univers de fumeurs de shit, pas forcément tous misérables à l’origine. Ils ont grandi pour un certain nombre à Molenbeek, ville qui avait déjà fourni au monde les assassins du colonel Massoud et les organisateurs des attentats de Madrid de 2004. La fine équipe se réunit dans le café des béguines, établissement minable tenu par Brahim Abdelslam où « jamais un kouffar ne mettrait les pieds ». Entre deux deals, les futurs assaillants se régalent de vidéos de torture réalisées par l’Etat islamique. Parmi les accusés, trois comparaissent libres car leur conscience d’œuvrer à un complot terroriste n’est pas établie. Tout l’enjeu pour eux est de savoir s’ils vont cocher la case « association de malfaiteurs » ou la case « association de malfaiteurs terroristes » ; s’ils se sont retrouvés par hasard, petits délinquants sans grande envergure, dans une affaire qui les dépassent ; et si eux aussi ont regardé les vidéos de torture, avec la même délectation que les autres ou alors, avec distance, sans intérêt, « avec le regard indifférent qu’on sur un match de foot les gens qui n’aiment pas vraiment le foot ». A la toute fin, ils seront acquittés.

Carrère revient aussi sur l’incroyable épopée de Daesh, sorte de remake dans le désert de Salo ou les 120 jours de Sodome de Pasolini, sur un territoire grand comme la France. Le califat restauré a été perçu comme une utopie pour tout genre de fous furieux, soucieux de vivre dans l’imitation du Prophète et des fidèles des premiers temps. Si l’organisation répartie sur l’Irak et la Syrie n’a plus l’éclat des années 2014-2016, rien n’invite à penser que la vague d’attentats est définitivement derrière nous (au détour d’une phrase, Carrère écrit : « car il y aura forcément un prochain grand attentat », mais il veut imaginer que la prochaine fois, ça pourrait être l’œuvre des suprémacistes blancs). En prison, où l’attentat de Nice avait été accueilli par des hurlements de joie chez les prisonniers de droit commun, le recrutement des salafistes avance bon train et le retour de quelques « revenants » de Syrie, auréolés de leur prestige, accélère encore les choses. Il y a aussi l’épineuse question des enfants, nés parfois dans les camps de prisonniers, enfants de citoyens français, et que Carrère trouve moins dangereux à terme chez nous que là-bas. Un point de vue que l’opinion publique aura du mal à partager.

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Le livre est touchant, parfois naïf. On tique un peu tout de même quand Carrère évoque les voisins proches de la dernière planque de deux terroristes, 8 rue de Corbillon à Saint-Denis, sacrément secoués par l’assaut. L’auteur les qualifie « de victimes non pas du terrorisme mais du RAID ». Parmi eux, aucun mort toutefois. Un peu avant la plaidoirie de la défense, Carrère concède : « Je me laisse facilement convaincre. J’entre facilement dans les raisons d’autrui, ce qui est à la fois une qualité – l’absence de préjugé – et un défaut – le risque d’être une girouette, toujours de l’avis du dernier qui a parlé. Mon intime conviction est flottante, indécise. Alors, une fois pris acte de ce qui m’a convaincu dans le réquisitoire – à peu près tout – je me propose d’observer, lucidement, comment je vais me faire retourner ». On se souvient que déjà, dans l’Adversaire, Carrère avait donné l’impression de s’être légèrement laissé embobiner par Jean-Claude Romand, lequel avait un certain don pour cela.

Emmanuel Carrère, V13, POL, 2022, 368 pages, 22,00€.

Les monstres sont parmi nous

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Peut-on encore juger un tueur irresponsable pour cause de déséquilibre mental, alors que l’ensauvagement de la société et le «mal» se répandent de plus en plus ? Chaque crime atroce est-il issu de la folie sombre de celui qui le commet ou préférons-nous croire que c’est ainsi ?


La meurtrière de Lola est-elle déséquilibrée ? Son discernement a-t-il été aboli au moment de l’acte abominable ? Quelle que soit la réponse donnée par les experts psychiatres, ils auront tort. La science a ses limites et les experts ne disent pas toute la science. Comme le disait Shakespeare : «Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en rêve votre philosophie».

La notion d’abolition du discernement disparaît lorsque la folie devient collective. La haine raciale ou l’antisémitisme ne sont plus du domaine de folie telle qu’elle est définie dans les manuels de psychiatrie.

Attentat de Nice : des dizaines de morts. Des gamins filment avec leur smartphones l’agonie des blessés, fouillent les poches des cadavres, et clament : « On l’a fait, on l’a fait ! »

Ces enfants sont-ils déséquilibrés, leur discernement est-il aboli au moment de ces actes et de ces paroles ou sont-ils de futurs enfants-soldats comme en Palestine ?

Lorsque la folie devient collective, en temps de guerre civile par exemple, n’importe qui peut commettre l’acte le plus monstrueux. Les motivations importent peu alors : tout est bon pour nourrir la soif du mal.

Au Rwanda, pendant le génocide, des meurtres atroces ont été commis par des voisins sur des voisins, des enfants sur des parents, des enseignants sur leurs élèves, des prêtres sur leurs ouailles.

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En temps de guerre civile, on fracasse les bébés contre les murs, on brûle vivants des hommes, des femmes, des enfants dans des églises, des synagogues, on fait exploser en Afghanistan ou en Irak des mosquées ou des écoles en tuant, en mutilant des dizaines de compatriotes parce qu’ils sont chiites. Au Congo, des milices tuent sans pitié et violent des femmes, des enfants, et même des hommes devant leur famille. On mange le foie et le cœur de l’ennemi. On boit son sang. Au Rwanda, des voisins venaient égorger, éventrer la femme enceinte, arracher les entrailles d’une vieille grand-mère. Ces gens étaient-ils tous des déséquilibrés ?

La mort de Lola, comme l’égorgement dans son église du père Hamel, la décapitation dans la rue de Samuel Paty ou la balle dans la tête de Myriam Monsenego, l’enfant saisie par les cheveux à l’école Hazor Hatora sonnent le glas de notre confort de civilisés. Nous ne savions plus de quoi est capable l’être humain. Or, il va falloir le savoir très vite et ne pas se tromper de diagnostic, psychiatrique ou pas, faute de quoi nous revivrons l’horreur.

S’y habituer ? Personnellement, je ne m’y habituerai jamais, même si je connais par coeur cet abîme de sang et de larmes dans lequel j’ai été plongé dès ma petite enfance. Au Rwanda, j’ai parlé pendant des heures avec les planificateurs du génocide : des professeurs, psychologues, prêtres, tous gens fort civils, aimables, avenants. Au Rwanda, il y avait les théoriciens du génocide et les praticiens du génocide, ces exécutants qui partaient dans les marais et les collines chasser le tutsi avec leurs machettes. Des hommes ordinaires, paysans ou des commerçants, tout comme ces pères de familles de Hambourg dont parle Robert Browning dans son livre : «des hommes ordinaires». L’ennemi pour eux, ce sont des cloportes, des serpents, des rats, mais l’ennemi peut être aussi une petite fille blonde aux yeux bleus. Dans ce temps de folie collective, quand le respect de la vie humaine ne compte plus, Dahbia la meurtrière est une jeune femme ordinaire, qui s’exhibe sur TikTok. Son acte n’est pas celui d’une folle, même si les experts le décident, même si, comme le meurtrier de Sarah Halimi, elle est enfermée dans un établissement psychiatrique.

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Gonzague, l’ami retrouvé

Dépassé par ses mondanités, Gonzague Saint Bris a fait oublier l’esthète cultivé, l’esprit raffiné et l’ami fidèle qu’il a été. Avec sa biographie, Gonzague Saint Bris – Le Dernier Dandy, Jean-Claude Lamy redore son blason.


Le souvenir, souvent, se présente et s’installe sans s’être annoncé. Il impose alors à la mémoire un sujet négligé depuis longtemps, peut-être parce qu’on s’en était lassé. Mais quand il surgit, il est là, il prend ses aises ; c’est un peu le voleur du proverbe, le larron en quête d’une occasion : il tourne, il rôde, il cherche l’issue désertée, il jette un œil puis, s’enhardissant, il se risque à l’intérieur, et il accomplit sa besogne.

Je n’évoquais plus Gonzague Saint Bris, que j’avais croisé il y a fort longtemps, lorsqu’il posait avec Patrick Poivre d’Arvor, Brice Lalonde et Frédéric Mitterrand afin de lancer le mouvement des Nouveaux Romantiques. Même de loin, je ne le suivais plus dans les péripéties d’une mondanité fade où il me paraissait se complaire ; je l’imaginais en éternel invité des cocktails, en rôdeur de buffets riches en cholestérol, affolé de petits fours, en conférencier d’arrondissement cerné par un embonpoint de sénateur, en séducteur au front dégarni et aux joues gonflées par les plats en sauce et les sucreries, en Casanova jovial pour jeunes filles nues sous leur sac Vuitton. Je me trompais : au-delà des apparences, il était demeuré fidèle à sa personnalité secrète, disponible, fraternel, amoureux sincère de ce qu’on nommait naguère la littérature, membre par cooptation d’une amicale sans frontière, d’une frivolité heureuse et nécessaire qui rassemble des êtres séparés par l’origine mais unis par l’esprit.[1]

Le récit réussi d’une vie

Le terme de biographie ne suffit pas à qualifier le livre remarquable sous tous ses aspects – style, conception, enquête – de Jean-Claude Lamy. C’est le récit plein de digressions précieuses, sans complaisance mais sans animosité, d’une vie d’abord spectaculaire, flamboyante, encombrante aussi, d’une double vie, finalement, animée en surface par le seul souci de paraître et, dans sa profondeur, hantée par des fantômes, des drames familiaux et des tourments très anciens.

Gonzague a eu 20 ans. Il possédait les qualités requises pour une réussite rapide et superficielle : un visage plaisant qu’une épaisse chevelure brune et mouvementée rendait tendre et ténébreux, une effronterie aimable servie par une élocution de garçon bien né, une allure de prince qui se réjouit d’être en exil, avec cela une conversation brillante et une fantaisie jamais lassée. Pour se faire remarquer, il gagne, en 1975, les hauteurs de Paris, la coupole de l’Opéra précisément, dont il fait le tour à bicyclette. En se produisant dans ce numéro d’acrobatie foraine, il démontre tout à la fois son ambition, son audace et son courage physique. Célèbre dès le lendemain, il défie tout ce qui nous effraie dans la vie sociale : le ridicule, d’abord, la vérité, ensuite, qui, chez lui, pouvait quelquefois être relative. Il méprise ou ignore le sens de la mesure, l’humilité, bref quelques vertus mineures dont la stricte observance rendent certes plus « régulier » le commerce des hommes mais aussi plus ennuyeux. Lui ne s’est pas ennuyé (je vous recommande la suite 412 dite « Gonzague Saint Bris », au quatrième étage du Grand Hôtel, à Cabourg : deux chambres, un salon, vue incomparable sur la mer…). Il a notamment séduit Inès de la Fressange, il a trompé, il a aimé, il a irrité, il a déçu… Il a vécu.

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Troublant Léonard

Ses nombreux livres ne m’ont guère intéressé, mais je conviens volontiers que Les Vieillards de Brighton (Grasset), texte étrange où l’on voit l’ultime parade des pensionnaires très âgés d’une maison de la « dernière adresse » dans cette adorable cité balnéaire anglaise, est une réussite justement couronnée du prix Interallié en 2002. Le même pouvoir d’étrangeté gouverne L’Enfant de Vinci (Grasset, 2005), autre bel exercice de plume : les deux textes, d’ailleurs, mêlent à la fiction des événements de sa propre vie. L’épisode dramatique de l’incendie qui ravage sa bibliothèque, à son domicile parisien, trop long pour être rapporté ici, et son rapport, qui relève du fantastique, avec ce dernier livre, invite à une troublante réflexion sur « la présence immatérielle d’un tuteur fabuleux dont [il habitait] la maison en Touraine : Léonard de Vinci » (Gonzague Saint Bris à Philippe Delaroche, Lire). Né à Loches en 1948, Gonzague passe en effet son enfance au Clos Lucé, où s’est éteint Léonard en 1519, propriété de sa famille depuis le milieu du XIXe siècle.

Mort dans la soirée

Sa compagne conduit le véhicule qui fait une embardée, ce soir du 8 août 2017, sur une petite route de Normandie, à Saint-Hymer. Il n’attache pas sa ceinture de sécurité, comme d’habitude ; puis un arbre, et un choc terrible. Elle est légèrement blessée, il meurt sur le coup, projeté hors de l’automobile.

C’est alors que Gonzague Saint Bris accomplit sa métamorphose. On s’aperçoit qu’il est très estimé en Touraine. Le salon littéraire champêtre qu’il a créé en 1995, à Chanceaux-près-Loches, « La Forêt des livres », baptisé après son décès « Les écrivains chez Gonzague Saint Bris », déplace les foules (jusqu’à 50 000 visiteurs !). Les estimations des meubles et objets de son théâtral appartement de la rue Pelouze, à Paris (8e), sont largement dépassées, et le fruit de leur vente abonde le fonds d’investissement destiné à installer une Maison des écrivains dans sa commune natale. La littérature et son enracinement l’ont sauvé de l’oubli où le condamnait son personnage de provincial balzacien pressé de réussir. S’il mérite d’être appelé dandy, il n’a pas seulement été ce faiseur, ce petit marquis, cet irritant avantageux. Il a été désiré, il a eu sa part de bonheur, d’illusions, et il laisse derrière lui des amitiés vives, et des affections vraies.


[1]. Bernard Pivot n’a pas été bluffé par Saint Bris : « J’ai toujours été mal à l’aise avec lui. Snob, mondain, arriviste, du côté des puissants, je me souviens qu’au “Figaro du Rond-Point des Champs-Élysées”, où je l’ai connu, avec Jean Chalon, il nous couvrait de compliments et attendait les mêmes en retour. Je n’avais pas d’atomes crochus avec ce jeune homme au talent gâché par les mondanités. Peut-être que j’ai été injuste ». (Le Dernier Dandy, p. 63).

Peter Handke, l’Européen

Dans La deuxième épée, Peter Handke publie un grand roman sur le thème de la vengeance.


Peter Handke, je le rappelle, est autrichien, né dans le Land méridional de la Carinthie, carrefour de l’Autriche, de l’Italie et de la Slovénie. Cette région, de par sa position géographique privilégiée, fut aux premières loges pour assister aux soubresauts de la grande Histoire européenne. La mère de Peter Handke (dont il relate le suicide dans Le Malheur indifférent, 1975) appartenait à la minorité slovène, ce que l’écrivain n’oubliera jamais. C’est ce qui explique que Peter Handke, nourri de toutes ces influences, ait gardé une sensibilité culturelle si spécifique, même si par ailleurs il a su très bien admirer ce que l’Amérique du Nord pouvait lui apporter de meilleur.   

Je lis Handke depuis la parution de son roman Le Chinois de la douleur, en 1986. J’avais été littéralement fasciné par ce livre (comme plus tard, en 2011, par son recueil de notations, Hier en chemin). J’avais apprécié aussi le gigantesque Mon année dans la baie de personne (1997), qui instaurait pour le coup une nouvelle évolution dans son œuvre. L’auteur, désormais installé à Chaville, en banlieue parisienne ouest, avait pris pour cadre de sa narration ce terroir dans lequel il se sentait particulièrement en paix. Or, le volume qu’il publie à cette rentrée, La Deuxième épée, « Une histoire de mai », se déroule encore dans ce même lieu. Ajoutons que Handke y reprend derechef la manière littéraire qu’il avait utilisée dans Après-midi d’un écrivain (1988), ouvrage de sa période salzbourgeoise.

Symbolisme de l’épée

La Deuxième épée est placée sous l’invocation d’un passage de l’Évangile selon Luc, dans lequel le Christ demande : « et que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée… ». Il s’agit, dans ce roman, croit-on comprendre, d’une histoire de vengeance. Le personnage principal (qui pourrait être Handke lui-même, mais dépouillé de ses oripeaux de Prix Nobel) cherche à venger une insulte faite à sa mère. Le ressentiment du personnage est trouble, il ne contrôle pas cet accès de violence qu’il sent naître en lui : « Meurtrier, annonce-t-il, je me sentais et me savais né qui sait pourquoi, si cela venait de mes rêves, ou s’ils en étaient au contraire l’effet ».

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Il parle aussi, tant son désarroi est grand, de faits historiques, comme la Shoah, d’« une lettre anonyme qui menaçait de tuer mon enfant, si je ne réussissais pas à ramener à la vie les six millions de Juifs tués par mes ancêtres… » Tout l’enjeu de ce roman porte sur le symbolisme de l’épée, la double épée plutôt, puisque le personnage du vengeur admet, à la fin, en une conclusion inattendue : « Non pas l’épée d’acier, mais l’autre, la deuxième ». Laquelle ? L’ambiguïté est là, et Handke se garde d’en dire davantage.

Le salut par autrui

Peter Handke possède un grand art de la description, d’où tout procède, comme chez Adalbert Stifter, un de ses écrivains de prédilection. Il y a beaucoup de descriptions, dans La Deuxième épée, mais elles sont toujours intégrées dans l’avancée logique de l’action, en relation avec le personnage principal, de manière à la fois poétique et, dirais-je, « phénoménologique ». Handke nous dépeint un monde moderne, peuplé d’individus qu’il évoque toujours avec bienveillance. Car son héros est certes un solitaire, mais, par le fait même, avide et curieux des autres.

C’est à travers eux et eux seuls qu’il recherche une révélation dans sa vie. Dans L’Heure de la sensation vraie (1977), il y avait déjà chez Handke cette aspiration à un idéal de réconciliation. Le lecteur, dans La Deuxième épée, continue de suivre cette découverte progressive, complexe, inaboutie toujours, qui s’incarne peut-être dans un moment métaphysique particulier, dont la langue allemande aura eu si souvent la nostalgie.

« La musique, c’est l’espoir du miracle! » : entretien avec Julie Depardieu

Passionnée de musique classique et d’opéra, la comédienne Julie Depardieu fréquente assidûment et admire cet univers. De 2017 à 2019, elle tient même une chronique hebdomadaire sur France Musique. Pour elle, cet art est le seul capable de provoquer la sidération.


Il n’est pas rare de voir passer, dans les rues de Paris, Julie Depardieu sur son scooter, musique à fond. Dans son sillage, on entend Verdi, Mozart, Chopin, Berlioz ! Elle court les concerts, les opéras, suit les chanteurs. Son Dieu ? Roberto Alagna, pour qui elle a voyagé dans le monde entier. Julie Depardieu n’imagine pas sa vie sans musique. En septembre dernier, nous nous croisons lors des essayages costumes pour le film qu’Arielle Dombasle s’apprête à réaliser. Julie est fatiguée de cette séance qui dure depuis plusieurs heures, la bonne humeur n’est pas vraiment au rendez-vous. Soudain, elle sort sa radio portative, le Prélude à l’après-midi d’un faune retentit. Coiffeuses, habilleuses, comédiens, tout le monde se tait. Et, comme par miracle, l’impatience et l’agacement de Julie s’estompent, la musique vient tout apaiser, elle retrouve le sourire. Des ailes lui poussent dans le dos, elle vole ! Cette radio portative, combien de fois l’ai-je entendue diffuser de la musique – de la grande musique, enfin de la musique quoi ! – autour de Julie, sur un trottoir, dans des cafés, dans sa loge de théâtre…

Pour cette interview musicale, c’est au Zimmer que Julie me rejoint, en scooter, Carmen à fond !

CAUSEUR. Comment avez-vous « rencontré » la musique ?

JULIE DEPARDIEU. J’avais 14 ou 15 ans. Un jour, je rentre de l’école un peu énervée. C’était la période de Noël et j’avais horreur de ça. Les dîners en famille obligatoires où tout le monde boit un verre de trop et où tout le monde s’insulte avant même d’avoir ouvert les cadeaux, non merci ! Et ce jour-là, donc, ma mère me dit : « Julie, il est 16 heures. Tout à l’heure tu m’aideras à mettre la table et à tout installer pour ce soir. Il est encore tôt, mais je te préviens. » Je n’avais évidemment aucune envie de le faire. En attendant, je traîne dans ma chambre, j’ouvre mon courrier. Je vois une espèce de lettre de catalogue par correspondance. C’était écrit quelque chose du genre : « Mademoiselle, pour Noël vous avez gagné un cadeau… » J’ouvre, c’était un CD : « Les Trésors de l’opéra ». Là, je me dis qu’ils sont quand même gonflés… qu’ils pourraient se renseigner sur l’âge de leurs clients… Je n’en avais rien à faire de l’opéra ! Ça ne m’intéressait pas du tout ! Ma mère m’appelle pour dresser la table et moi, pour gagner du temps, je mets ce disque dans ma chaîne hi-fi. Et pour gagner encore plus de temps, je commence à l’écouter. Plage 1, bof. Plage 2, bon. Arrive la plage 3 et c’est la sidération ! C’était l’air « Là ci darem la mano », dans Don Giovanni, chanté par Teresa Berganza et Ruggero Raimondi. Je m’en souviens encore. C’était un bouleversement, un chamboulement total. Une révolution ! C’était beaucoup plus fort que toutes les autres musiques que j’avais écoutées jusque-là. Du jour au lendemain, j’ai arrêté d’écouter AC/DC. L’immensité de l’opéra m’obsédait. Je voulais prolonger cette sensation incroyable que j’avais eue en écoutant cet air de Mozart. Je me suis mise à hanter les rayons de la FNAC, j’avais l’impression d’avoir découvert un trésor inépuisable. J’ai commencé par Callas, tout Callas. Ensuite, tous les compositeurs italiens, après, les Allemands, et enfin les Français. Mais il me reste encore tellement de choses à expérimenter…

Outre le plaisir de l’écoute, que vous a apporté la musique ?

L’espoir ! L’espoir en l’homme. Se dire qu’un homme qui compose sera ensuite entouré de tant d’autres qui vont l’interpréter ensemble… c’est bouleversant. Que font-ils, la plupart du temps, quand ils sont ensemble, les humains ? Pas grand-chose d’intéressant ! Là, c’est l’espoir total. C’est la possibilité d’une chose plus grande que nous et qui, finalement, est à notre portée, à condition de le vouloir. C’est aussi l’espoir de vivre un grand moment en allant au concert. Ça n’arrive pas à chaque fois mais on l’espère tellement, ce moment de grâce, ce frisson, cette beauté qui nous déchire et nous fait monter les larmes aux yeux… rien que cet espoir de quelque chose qui relève presque du miracle, c’est merveilleux.

Ce moment de grâce est notamment le fruit de l’ordre, de la hiérarchie, de la discipline, du travail acharné. Autant de valeurs qui ne sont plus tellement au goût du jour…

Évidemment ! Ce qui est beau, c’est justement le rôle essentiel de l’ordre et de la hiérarchie, mais aussi celui de chaque musicien – même celui qui joue du triangle au fond apporte quelque chose à cette montagne qu’est l’œuvre. Pour que celle-ci puisse rayonner, il faut que tout soit en ordre, que tout le monde soit à sa place et fasse précisément et passionnément ce qu’il a à faire.

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Pensez-vous que ce sont la difficulté technique surmontée, la virtuosité, qui amènent l’émotion ?

En partie, bien sûr. La performance technique, la bataille face à la difficulté me touchent beaucoup. Et pour les chanteurs, c’est terrible. Ils savent que tout le public attend le moment difficile techniquement, la note compliquée à atteindre. Ils doivent tout donner pour triompher des pièges que peut tendre la partition et en sortir vainqueurs. J’éprouve même un certain plaisir – ou de l’admiration – à voir les chanteurs lutter. J’aime voir cette difficulté, ce combat contre ses propres limites. Voir des hommes et des femmes se surpasser, accomplir des prouesses quasi surhumaines, c’est ce qui peut faire d’eux des demi-dieux.

Chaque compositeur vous a-t-il apporté quelque chose de particulier ?

Chacun m’a révélé quelque chose. Si j’éprouve des émotions jusque-là jamais éprouvées en les écoutant, c’est que je les avais en moi sans le savoir. Nous les avons tous en nous, mais les grands compositeurs viennent nous les révéler. C’est presque une libération. Surtout lorsqu’on se rend compte qu’on aurait pu passer à côté ! Un grand compositeur fait miraculeusement raisonner une partie de nous-mêmes que nous ne soupçonnions pas. Lorsqu’on découvre ça, on vit des instants bénis, et je suis heureuse de pouvoir les vivre. C’est aussi un antidépresseur, je me dis : Regarde ce qui existe ! Regarde la beauté ! Le quotidien est assez minable, mais la grandeur exceptionnelle existe ! C’est possible ! Toutes les larmes que j’ai versées sur Berlioz, sur Verdi, sur Fauré, sur Mahler, sur Beethoven… ce sont les plus beaux moments de ma vie.

Vous croyez en Dieu ?

La question de Dieu, dans une musique si vertigineuse, se pose évidemment. Oui… je crois en quelque chose de supérieur, en une puissance. Je n’ai pas reçu d’éducation religieuse alors que j’en avais demandé une à mes parents ! Je voulais aller au catéchisme, mais ça n’était pas leur truc. Avec la musique, je crois que j’ai trouvé ce que je cherchais lorsque je voulais aller au catéchisme. Quand j’écoute Beethoven, je me dis que c’est la certitude que Dieu existe. Victor Hugo a écrit : « Ce sourd entendait l’infini… » Il a en effet composé ses plus grandes œuvres à partir du moment où il n’entendait plus ! C’est tout de même mystérieux, non ?

La musique a un pouvoir indéniable sur les êtres. Elle vient combler, elle vient guérir. Sur moi, par exemple, elle a un effet thérapeutique très puissant. Même dans les élevages, on diffuse de la musique classique aux animaux pour qu’ils soient détendus ! Quand je pars de chez moi, je laisse toujours la radio pour le chien. Je mets des stations allemandes ou scandinaves de musique classique. Cette pauvre Zouzou… elle ne doit rien comprendre à toutes ces pubs… moi non plus d’ailleurs. C’est ce que j’apprécie : au moins, en allemand, je ne les comprends pas.

N’auriez-vous pas aimé être chanteuse ou musicienne ?

J’y ai évidemment pensé. Mais je n’aurais peut-être pas été assez travailleuse pour ça, ni assez humble. Parce qu’il faut beaucoup travailler, répéter, répéter, répéter… endurer que ça soit moche, encore moche et encore moche. Jusqu’au moment où ça peut commencer, peut-être, à devenir un peu beau… Et j’aurais peut-être été trop orgueilleuse pour supporter la laideur trop longtemps. Les grands musiciens, les grands chanteurs, les grands compositeurs sont des travailleurs acharnés, ce sont des héros du labeur. Et ça, ce n’est pas à la portée de tout le monde non plus, pas plus que le génie.

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Pourquoi écoutez-vous de la musique avec une petite enceinte, non avec des écouteurs ?

Je déteste les écouteurs ! Même dans le train, parfois, je mets la musique tout doucement, en cachette, et je colle mon oreille contre le téléphone…Mais les écouteurs, non ! Je n’aime pas m’enfermer, ça m’angoisse. Avec moi, il faut toujours que tout le monde en profite ! Si j’étais dictateur, je mettrais dans toutes les rues des haut-parleurs pour diffuser de la musique. Mais pas n’importe laquelle, de la grande musique… Mozart, Beethoven, Tchaïkovski ! Heureusement que je ne suis pas une femme d’État, sinon je serais tyrannique, je dirais : Ça non ! Ça oui ! (rires)

Vous n’avez aucun problème à faire une hiérarchie entre « les » musiques ?

Non, aucun. Je pense que la musique classique est plus grande, qu’elle mène vers quelque chose de divin. Et on ne peut pas dire ça de toutes les musiques… C’est en tout cas ce que je pense, c’est la révélation que j’ai eue.

La question de Rudy Ricciotti

Je crois que la musique a cet intérêt de rendre les mots autistes ! Comment réagissez-vous à cette affirmation ?

Entièrement d’accord ! Quand je dis que cela nous révèle quelque chose qu’on ignorait… c’est un peu cela. La musique vient libérer quelque chose que l’on n’arrivait pas à formuler avec des mots. Et c’est sous la forme musicale que cela vient nous submerger et libérer une émotion qui était enfouie en nous. Souvent, on ne trouve pas les mots pour décrire cette musique qui nous renverse. D’ailleurs, Victor Hugo, encore lui, a écrit, concernant Beethoven : « Cette étrange musique est une dilatation de l’âme dans l’inexprimable. » Il a aussi écrit : « Cet être qui ne perçoit pas la parole engendre le chant. » Moi, face à la musique, je suis presque dans un état d’inconscience… c’est l’extase. C’est la sidération.

Pourquoi les entretiens présidentiels sont-ils si peu regardés?

Foi perdue en la parole des élus et des journalistes ou simple fatalisme, de plus en plus, les Français semblent (à tort) se désintéresser de la médiatisation politique et surtout présidentielle.


Le 12 octobre, l’entretien du président de la République avec Caroline Roux (France 2), consacré à la politique internationale, avait été suivi par 5,38 millions de téléspectateurs, audience relativement faible. On avait pu penser que c’était à cause du thème choisi qui en général sollicitait moins l’attention des Français que la politique nationale. Pourtant l’entretien d’hier 26 octobre, avec les mêmes, a subi une baisse encore plus nette (4,07 millions). Il y a donc une désaffection profonde des citoyens non seulement à l’égard des émissions politiques mais pour le verbe présidentiel.

Je regrette pour ma part cet abandon, voire cette indifférence de beaucoup de Français qui ne s’empêcheront pas, pourtant, de fustiger un pouvoir sur lequel leur parti est pris et leurs préjugés définitifs.

Réglons tout de suite le problème tenant à l’objection classique : ce serait partiellement à cause des journalistes. Cette mise en cause est fondée la plupart du temps mais ne peut concerner Caroline Roux qui est excellente, entre courtoisie et pugnacité.

Tout le contraire d’une Léa Salamé dont le hasard fait que j’ai écouté ensuite sa prestation courroucée face à Marion Maréchal qui l’a renvoyée dans ses cordes au sujet de Lola ; comme si la première était seule à être une mère et que la seconde ignorait cette condition.

Il serait malhonnête d’embellir le passé et de ne pas voir que, derrière une curiosité plus vive à l’égard des hommes politiques passés, il y avait déjà un lent mouvement de déclin médiatique et démocratique qui n’a fait que s’aggraver avec Emmanuel Macron. Pour des raisons qui tiennent à la personnalité de celui-ci, à son empathie surjouée et à l’amplification de travers qui ne lui étaient pas spécifiques mais qu’il a poussés à l’extrême.

De la même manière que j’ai exonéré Caroline Roux de la moindre responsabilité – sauf pour cet étrange choix, s’il relève de son initiative, de ne traiter l’essentiel qu’à la fin des échanges -, je voudrais décharger le président des reproches qui n’auraient aucun sens et qui reviendraient peu ou prou à lui dénier talent, intelligence et dialectique. Le tout n’emportant pas forcément l’adhésion, à cause de cette intuition qu’il est doué précisément pour vous entraîner là où la vérité s’efface…

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Si cet exercice de communication de plus en plus déserté par les Français prêtait à sourire, je garantis que les absents ont eu tort, notamment à deux moments où le président nous a offert une double face de lui-même.

La christique, quand il a affirmé qu’il fallait « se respecter les uns les autres », tout en ayant inspiré l’exclusion de l’arc républicain des députés La France insoumise et Rassemblement National ! Ils ne seraient donc pas « respectables »… et auraient surtout le grand tort d’être de vrais opposants…

La polémique, quand il s’est ensuite énervé sur un mode artificiel, reprochant à la Nupes d’avoir pactisé avec le Rassemblement National et donc d’être coupable de «désordre et de cynisme». Il serait trop facile, au regard d’un certain nombre de péripéties dérisoires ou plus graves, de lui retourner cette charge ; elle était surtout révélatrice de son tempérament impérieux qui, à cause de la majorité relative dont son camp ne cesse de pâtir, prétendait en plus imposer la manière dont les oppositions devaient se comporter à l’Assemblée nationale. Pour lui, à l’évidence, il était intolérable que ces oppositions «s’opposent». Une motion de censure n’est pas valider tel ou tel programme mais vouloir la fin d’un gouvernement !

À rebours de cette colère trop ostentatoire pour être authentique (et il a su, lui aussi, être cynique !), mais avec le même objectif, nous avons eu les flatteries aux députés Les Républicains, vantant leur mesure et leur rationalité, dont Olivier Marleix, Aurélien Pradié et les autres n’ont pas été dupes.

Trop c’était trop, dans l’indignation comme dans le compliment et la « retape » à peine masqués.

Au-delà de ces aperçus plus psychologiques que politiques, le Président a été victime, comme ses prédécesseurs mais sur un registre encore plus net, de la défiance structurelle qui s’attache à la parole publique. On ne veut même plus avoir l’élégance de l’écouter pour pouvoir la contester en connaissance de cause. On décrète par avance qu’elle n’aura aucun intérêt, qu’elle sera mensongère, manipulatrice, sans l’ombre d’une contrition, sans la moindre modestie. Qu’elle viendra avec plus ou moins d’arrogance apposer son sceau sur une réalité traumatisante, angoissante en de multiples facettes, en la sous-estimant pour privilégier de longues explications techniques sur l’énergie, l’électrique, les aides que le gouvernement allait continuer à apporter, paraît-il, aux citoyens les plus modestes, aux professions les plus impactées par la crise.

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Il y a sans doute de la bonne foi dans ces annonces, même si Caroline Roux à un certain instant les a trouvées un tantinet longuettes. Mais c’était inévitable puisque la structure même des entretiens présidentiels a pour vocation de leur permettre de dérouler du volontarisme, de l’optatif, de battre en brèche le désenchantement d’aujourd’hui par les espérances confortablement assurées de n’être pas contredites avant demain.

Et, pourtant, il a bien fallu aborder le réel si dur, si éprouvant, impossible à éluder, sur l’immigration, les promesses non tenues en matière de sécurité et de justice, le faible taux des OQTF (Obligations de quitter le territoire français), l’exaspération de plus en plus exacerbée de nos concitoyens face à un Etat sans autorité conduisant à une volonté de se faire justice soi-même avant même que la Justice officielle ait été saisie ou, pire, même quand cette dernière a été impeccable comme par exemple à Roanne (France Info).

Pas une fois le nom de Lola n’a été prononcé, comme si au fond le Président se lavait les mains et l’esprit des impatiences nationales, se contentait de prendre acte de ce qui va mal dans le pays et se reposait sur Gérald Darmanin pour, au milieu du désordre et des violences croissants, donner le change, démontrer une fermeté et bénéficier par contagion d’actions trop tardives de la part d’un ministre de l’Intérieur replongeant dans les sources de son passé républicain de droite ferme pour mieux préparer son futur présidentiel.

Si on a bien écouté l’entretien et son décryptage (Sud Radio, émission spéciale), la seule information – pour les uns courageuse, pour les autres dangereuse et inutile – s’est rapportée à la confirmation du projet de loi sur les retraites.

Avec à la clé, le risque d’une explosion sociale qui, venant s’ajouter au pouvoir d’achat amoindri, aux défaillances professionnelles, à la dépression d’une France lasse, morose ou perdant ses nerfs, nous fait craindre des lendemains qui ne chanteront pas…

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La Réforme verte à l’école

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Dans les écoles, nos petits élèves sont submergés d’injonctions vertes dans le but de devenir de bons citoyens éco-responsables, mais au prix de la culture humaniste et de la formation du jugement critique.


Dans le monde d’avant, on amenait ses élèves dans les musées et on tentait de leur inculquer, bon an, mal an, un humanisme fondé sur le savoir, l’expérience et l’esthétique de leurs aînés. Désormais, on cultive l’éco-geste, on végétalise espaces et esprits. Les sorties scolaires se font à la déchetterie ou en forêt : on y recycle ou ramasse les détritus, on découvre la biodiversité, on fustige l’irresponsabilité de ses parents. En 2021, M. Blanquer a opéré le virage du développement durable en dotant les établissements scolaires d’une nouvelle instance représentative : celle des éco-délégués.

Alors qu’est-ce qu’un éco-délégué ? C’est un « acteur de la question écologique au sein de l’école » et un « ambassadeur » de la planète, ni plus ni moins. L’éco-délégué s’engage à « porter des projets », ânonne quelques slogans inspirés (éteindre la lumière, c’est éclairer l’avenir ; maman, je sèche comme la planète ; aux arbres, citoyens !), jure qu’il a trié, trie et triera ses déchets. Et puis il veille à apprendre à ses camarades et surtout à ses professeurs les bons gestes: l’économie de papier, le covoiturage, la réduction du gaspillage alimentaire.

Le problème étant que ce que l’on pourrait saluer comme le retour d’une sagesse ancestrale, la « juste mesure » aristotélicienne dominée par le souci d’équilibre, d’harmonie et de maîtrise, la vertu cardinale de la tempérance, prend la forme d’une religion régressive et sottement dogmatique, voire d’un endoctrinement dont on ferait bien de mesurer les effets.

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À l’éco-école, nous communions dans une même foi et notre divinité est la Terre. Ce culte a ses rites : le mea culpa des adultes, le prêchi-prêcha des enfants, les grand-messes (élection des éco-délégués, semaine pour le climat, rendez-vous régional et annuel des éco-engagés). Il a ses dogmes (le papier, c’est le péché), ses Pap et papesse (votre ministre fait de la « question écologique » une priorité; votre cheffe d’établissement vous désigne à la vindicte publique parce que vous faites trop de photocopies). Ce culte nous délivre du mal en ce qu’il nous débarrasse de la complexité du monde, d’une histoire et d’une culture infréquentables, des religions du livre et, en définitive, du livre même.

Mais à quoi mène la Réforme verte dans les écoles? Elle assigne les enfants à l’ignorance et elle les voue à l’angoisse. À l’ignorance parce qu’au lieu de transmettre le savoir, de forger l’esprit critique, de confronter progressivement l’élève à l’ambiguïté de la nature et des choses humaines, elle annihile la pensée par son formalisme et son manichéisme (le monde en noir et vert). Pendant ce temps, dans les quelques établissements qui élèvent encore les enfants à l’abri du tumulte du monde (l’École alsacienne, peut-être ?), on écrit à l’encre sépia sur du papier Clairefontaine, on apprend la vie dans les livres et on renvoie aux calendes grecques les humanités numériques. Cette Réforme verte voue nos enfants à l’angoisse parce qu’elle les emprisonne dans sa novlangue et ses pathologies: éco-gestes ou pas, on est un écophage, complice de l’écocide, victime d’éco-anxiété et on consulte un écopsychologue.

Alors peut-être faudrait-il remettre un peu d’ordre dans tout ça. Pour ceux qui veulent renouer avec la nature et les vertus qu’on y développe, il y a les mouvements de jeunesse : « Le scout voit dans la nature l’œuvre de Dieu, il aime les plantes et les animaux ». Si l’on est vraiment hermétique au bénévolat, on peut se tourner vers le fils d’Anne Hidalgo, Arthur Germain, qui organise des stages de survie de deux jours en milieu naturel et les facture 200 euros (sobriété oblige).

Mais c’est en renouant avec la culture humaniste et la formation du jugement que l’école assumera la mission qui est la sienne. On le sait depuis Érasme : « On ne naît pas homme, on le devient ».

Le jour où Simenon a cessé d’écrire

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Georges Simenon, le 31/03/1969 / PHOTO: LE CAMPION/SIPA /00418329_000002

Cet automne 2022 marque un anniversaire un peu particulier. Il y a cinquante ans, du jour au lendemain, le prolixe Georges Simenon cessait d’écrire. Autopsie d’un autre « mystère Simenon ».


Parfois, les écrivains cessent d’écrire, pour toujours. En général, ça se produit quand ils meurent. Dans l’ultime phrase de L’Innommable, Samuel Beckett résume ainsi cette malédiction : « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent, étrange peine, étrange faute… » Et, sous une forme plus insolente et désinvolte, dans un numéro spécial de Libération, en 1988, qui posait à tous les écrivains célèbres la question « Pourquoi écrivez-vous ? », alors que tant de ses confrères s’étalaient sur des pages, Beckett se faisait le roi de la concision en répondant sur une carte de visite : « Bon qu’à ça ».

La question n’a pas été posée à Georges Simenon qui était alors encore vivant (il meurt le 4 septembre 1989), pour une raison simple : il n’écrivait plus. On peut même dater très précisément la date de cette cessation d’activité : le 18 septembre 1972.

À ce moment-là, sa renommée est mondiale et sa légende est celle d’un auteur d’une fécondité presque effrayante. Voilà un homme de 68 ans qui a publié, entre 1971 et 1972, La Disparition d’Odile, Maigret et l’Homme tout seul, La Cage de verre, Maigret et l’Indicateur, Les Innocents et Maigret et Monsieur Charles qui sera donc son dernier roman. On retrouve dans cette liste fournie l’alternance classique entre les Maigret et « les romans durs ». Comme Beckett, il n’était « bon qu’à ça », et aujourd’hui encore, on peine à connaître le nombre exact de livres qu’il a écrits, au moins depuis l’âge de…19 ans.

Il y a donc là, pour reprendre le titre d’un essai du regretté Denis Tillinac, un Mystère Simenon. Le dernier, mais pas le moindre. Le premier des mystères Simenon étant son succès populaire qui arrive très vite, dès les années 1930. Le deuxième est que malgré ce succès, car le succès est un handicap pour ce genre de choses, on a reconnu à Simenon un statut de grand écrivain. Le premier à le dire est André Gide, même si son admiration n’est pas dépourvue d’ambiguïté. Leur correspondance prouve en effet que si Gide veut bien que Simenon soit un grand écrivain, c’est à condition qu’il ne soit pas plus grand que… Gide.

Pour comprendre ce statut qui lui vaut aujourd’hui trois volumes en Pléiade, on peut avancer que Simenon n’a jamais explicitement pris de positions politiques, c’est un moyen de rester jeune, car les idées vieillissent vite. L’anticolonialisme de son roman Le Coup de lune est né de l’observation, certainement pas d’une idéologie qui aurait ponctué le récit de remarques morales. Simenon est un romancier pur, phénomène peu français qui explique, très tôt, son immense succès aux États-Unis. Il est en outre, instinctivement, en phase avec son temps. Ses portraits d’hommes seuls constituent la figure radicalement nouvelle du roman au XXe siècle.

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Publiés à des dates comparables, Le Bourgmestre de Furnes, c’est La Nausée de Sartre en mieux, tandis que La Fuite de Monsieur Monde fait jeu égal avec L’Étranger de Camus. Simenon met une métaphysique du désespoir liée aux suites de la Grande Guerre à la portée de ceux qui lisent ses romans dans le tramway, la secrétaire comme l’ouvrier. Il apprend à tout le monde, très simplement, que Dieu n’existe pas, que la condition humaine est absurde et qu’il n’y a, au bout du compte, que la solitude, la mort ou, pire encore, la banalité. Mais, à l’opposé de Sartre dans L’Être et le Néant, il ne théorise rien.

Simenon n’est pas le seul écrivain à arrêter d’écrire de son vivant. Le phénomène n’en demeure pas moins étrange, voire inquiétant. On comprend qu’un médecin arrête d’exercer, un professeur de professer, un boxeur de boxer, mais un artiste et en particulier un écrivain, ça, non. Il doit mourir sur scène, l’écrivain, comme Molière, à ceci près que l’écrivain remplace la scène de théâtre par un cahier, une machine à écrire ou, aujourd’hui, un traitement de texte.

On voudrait même que l’écrivain continue d’écrire après sa mort. Le premier à le comprendre, c’est Chateaubriand qui fait semblant d’écrire de l’au-delà, avec ses bien nommés Mémoires d’outre-tombe. Si l’écrivain ne meurt pas à la tâche comme Céline, décédé juste après avoir mis les derniers points de suspension à Rigodon, le lecteur a un peu l’impression qu’il le vole. Il suffit de voir le goût qu’on a pour les écrits posthumes, même décevants. Céline n’a jamais autant vendu de livres de son vivant qu’il a vendu de Guerre, paru l’hiver dernier.

Si un écrivain a à peine le droit de mourir, il a encore moins le droit de se taire. L’écrivain qui arrête d’écrire passe pour un malpoli, un impuissant, un voyou, un sale type. Regardez Rimbaud qui arrête tout à 20 ans pour devenir trafiquant d’armes en Abyssinie et dit dans une lettre à sa mère : « Je préfère m’en aller que de me faire exploiter ». Il en a fallu du temps pour lui pardonner, à Rimbaud, et encore ce sont les adolescents et les poètes (c’est la même chose) qui ont assuré l’essentiel de sa postérité et certainement pas les manuels de littérature qui lui ont si longtemps préféré Sully Prudhomme et Théodore de Banville, sous le prétexte qu’eux, au moins, prenaient leur métier au sérieux et faisaient de la poésie aux heures de bureau.

On exagère ? Prenons quelques cas aussi emblématiques que célèbres. Le silence quasi définitif et la réclusion totale et paranoïaque de Salinger, auteur du mythique Attrape-Cœurs, ont duré plus de quarante-cinq ans, jusqu’à sa mort en 2010, alors que les journalistes n’ont cessé, toutes ces années, de le sommer d’apparaître, d’expliquer, d’avouer. Don DeLillo, dans Mao II, imagine cette vie-là en examinant un personnage d’écrivain qui se cache et qui pourrait bien être le double de Salinger. Il y a quelque chose d’édifiant et de terrifiant : si écrire provoque souvent la haine, ne plus écrire suscite bien davantage encore. Ainsi, dans un autre genre de beauté, et sur un mode mineur, Conan Doyle a reçu des lettres le menaçant de mort s’il ne ressuscitait pas Sherlock Holmes…

Simenon n’a pas reçu de lettres de menaces et n’est pas revenu en arrière. Le 18 septembre 1972, il va à son bureau, consulte comme d’habitude ses notes pour un roman qui devrait s’appeler Victor. À partir de ce moment, un rituel aurait dû se mettre en place, attesté par tous ses biographes. Tout est là : pipes bourrées d’avance, enveloppes jaunes, le Littré, crayons à papier et la perspective de onze jours d’écriture en immersion totale.

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Mais voilà, rien ne vient. Ce n’est pas le syndrome de la page blanche.  Simenon pourrait s’y mettre mais il n’en a pas envie : il est envahi d’un sentiment d’inutilité puis, très vite, de libération. Les explications biographiques sont peu satisfaisantes, comme souvent : la fatigue d’être relancé par Denyse, sa femme dont il est séparé et qui réclame toujours de l’argent, est trop évidente.

On peut en revanche penser que Simenon a eu peur de se répéter, de s’auto-pasticher, risque de tous les écrivains « à petite musique », comme Modiano par exemple, ces deux-là n’étant pas par ailleurs sans points communs sur le fond comme sur la forme. Mais sur ce genre d’histoire, le mieux est encore de croire les écrivains eux-mêmes. Après tout, ils mentent dans leurs livres mais quand ils parlent, ils se contrôlent moins. Et si Simenon cesse d’écrire, il ne cesse pas de parler. Et de se parler à lui-même. Un petit magnétophone remplace vite la machine à écrire. Simenon s’enregistre et cela donne Les Dictées qui n’ont rien de romanesque : des livres sur tout et sur rien, d’un intérêt très variable, des réflexions d’ordre général, des souvenirs, des remarques sur l’époque. Il y en aura 21 entre 1975 et 1981.

Le titre du premier volume donne peut-être la clef de ce qui s’est passé : Un homme comme un autre. Rien n’est aussi fatigant que d’avoir été des milliers de personnages et, comme le dit Simenon : « Tout a changé pour moi en l’espace de quelques jours, de quelques heures. Je ne me rendais pas compte à quel point, auparavant, j’avais été l’esclave de mes personnages. Cela devait se passer dans mon subconscient car je n’observais qui que ce soit ni quoi ce soit avec l’idée d’une utilisation possible. Cette fonction-là pouvait être coupée puisqu’elle n’aurait plus abouti à rien. Je suis moi-même, enfin ! »

Notre époque, qui a tendance à prendre la littérature pour une branche du développement personnel, véhicule l’idée reçue qu’on écrit « pour se trouver ». Simenon, a contrario, a montré que pour se trouver, il faut précisément… cesser d’écrire ! C’est la leçon du 18 septembre 1972.

Les œuvres complètes de Simenon sont disponibles aux Presses de la Cité, y compris Les Dictées.

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Le pain bénit des as du déni

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Rassemblement pour les victimes organisé par l' Institut pour la Justice, quelques jours après le meurtre de Lola. Place Denfert Rochereau, Paris. Jeudi 20 octobre 2022. / PHOTO: JEANNE ACCORSINI/SIPA / 01091812_000051

D’un fait divers à l’autre, nos dirigeants sont plus disposés à créer la culpabilité chez ceux qui s’insurgent contre les séries de crimes, qu’agir contre les vrais coupables.


Chaque crime doit devenir un fait divers, et chaque fait divers doit vite devenir un fait d’hier – quelque chose de peu significatif, recouvert par l’actualité la plus récente. Le problème est quand les supposés « faits divers » se succèdent – le viol et meurtre de Lola, l’affaire de Roanne – et vont tous dans le sens de l’impuissance des pouvoirs publics censés protéger les braves citoyens et contribuables. Et quand la faillite est trop visible, on sort l’artillerie lourde : relativisme et fatalisme, servis par les meilleurs valets, qu’ils soient Garde des sceaux ou président d’honneur de la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme).

Tout est pain bénit pour les as du déni.

Premier cas : « vous n’aurez pas ma haine ». Les parents de Lola ont été dignes dans leur souffrance atroce. Après avoir honoré sans histoire l’invitation du président de la République à l’Élysée, ils se sont retirés dans leur Nord pour l’inhumation de leur petite. Le traitement politico-médiatique est alors simple : il suffit de suivre le silence des parents, en accompagnant leur douleur de marches blanches, de tweets indignés et de bougies. Tout message politique contraire serait évidemment de la récupération partisane honteuse, un manque de respect même pour les parents de Lola – voire pour toutes les personnes en situation irrégulière en France.

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Second cas : « vous aurez ma colère ». Suite au crime sexuel subi par sa fillette de 6 ans, le père le signale immédiatement à la police et attrape lui-même l’auteur des faits 24 heures après. Le père était sans secours des forces de l’ordre au moment d’immobiliser le jeune homme – qu’il « roue de coups » selon les informations disponibles aujourd’hui. 10 jours d’ITT, la police interpelle enfin le suspect – comme dans ces fins hollywoodiennes où une vingtaine de voitures de police, toutes sirènes hurlantes, arrivent en dérapant quelques minutes après que le héros s’est défait lui-même de ses ennemis. En pareil cas, les pas de danse politico-médiatiques n’ont pas besoin d’être orchestrés pour être synchronisés. Chacun connaît son devoir par cœur : il est intolérable que les crimes puissent provoquer toute autre réaction qu’une patience infinie, que la confiance maintenue en la justice et la police, même si, bien sûr, tout n’est pas parfait et qu’il existerait bien quelques axes d’amélioration – que l’on consent à reconnaître si on peut les convertir en promesses électorales. Bref, comme l’a asséné l’émission 22h Max de BFM TV du 25 octobre, ce père n’avait pas à se « faire justice lui-même », à se laisser aller « à la vengeance », à appliquer la « loi du talion ». Et si le présentateur Maxime Switek, face à l’avocat du père de la fillette, parle de « désordre », il parle évidemment de réaction de ce dernier, pas de l’agression initiale.

Cette chaîne de télévision a offert de voir ce qui se fait de pire dans la trahison des élites qui, à l’heure de faire face à leur incurie, redoublent de malhonnêteté intellectuelle. La journaliste de BFM Mélanie Bertrand revenait précisément sur le profil décidément tortueux de Dahbia B., coupable quelques années avant le meurtre de Lola d’une violente altercation dans un cabinet médical. Elle rapporte les termes exacts des menaces de Dahbia B.: « Je vais revenir, vous ne savez pas de quoi je suis capable », soulignant à juste titre le caractère peut-être prémonitoire de ce qu’elle avait en elle.

Il n’en fallait pas plus pour que deux personnes réagissent sur le plateau, dont l’avocat Alain Jakubowicz. Le président d’honneur de la LICRA, rosette rouge et pochette blanche, bondit professionnellement au mot « prémonitoire » et sort ses vieilles techniques de prétoire, pour condamner ceux qui ne se réfugient pas dans le fatalisme. « Si elle [Dahbia B.] avait été expulsée, elle ne l’aurait pas tuée. Oui, si les criminels n’étaient pas nés, les victimes ne seraient pas mortes ». L’avocat met sur le même plan le souhait de voir une mesure appliquée – en l’espèce une obligation de quitter le territoire français – avec celui d’effacer le mal du monde en général. Autrement dit, pour lui, l’application du droit tient de la science-fiction. On aura rarement vu un aveu aussi compromettant de la part d’un avocat qui devrait être rompu aux risques de la rhétorique. Mais quand on défend des positions aussi absurdes, on finit toujours par être maladroit.

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La même technique avait été utilisée plus tôt à l’assemblée nationale par Éric Dupont-Moretti, avec la poésie administrative qui le caractérise désormais : « les infractions sont consubstantielles à notre humanité ». Le péché originel comme pain bénit du déni. Quand les politiciens en sont rendus à accuser la tentation du jardin d’Eden, c’est que leur argumentaire est en miettes. Mais appeler à une compassion universelle et molle dans une langue laïque ne suffira pas à détourner les regards. Il faut donc se boucher le nez, et le ministre a fini par lâcher sa bombe puante face aux députés du Rassemblement National en évoquant « l’odeur nauséabonde de 1938 ».

Face au crime, il conviendrait donc soit de se taire, soit de fustiger ceux qui osent réagir. Les politiques ne devraient plus s’occuper de la chose publique et relayer l’exaspération des Français. Un père de famille ne devrait plus avoir une montée de colère quand il se retrouve nez-à-nez avec celui qui a touché sa fille. Autrement dit, circulez, il n’y a rien à voir, rien à dire. Laissez-nous percevoir les derniers dividendes d’une France à la dérive.

Notre société accable les braves gens de messages culpabilisants, mais ne fait rien ou si peu, et trop tard, contre ceux qui sèment le trouble. C’est ainsi en toute matière : écologisme, féminisme… On multiplie abécédaires, les campagnes de communication accusatrices, les obligations de suspicion généralisée. Mais on ne vise pas les responsables, trop rarement inquiétés. Culpabiliser tout le monde – en sachant que cette méthode ne marche pas envers ceux qui mériteraient le plus de l’entendre – et laisser courir les faits divers, les personnes frappées d’OQTF, les mineurs signalés pour avoir atteint à l’intégrité physique d’une fillette. La lâcheté est consubstantielle au genre humain, aussi, monsieur le ministre du sentiment d’injustice. Les Français aimeraient sans doute que les politiciens en fassent moins souvent la démonstration.

Protégeons nos enfants contre les adeptes de la «transition de genre»!

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Keira Bell, qui a commencé à prendre des bloqueurs de puberté à l'âge de 16 ans. 23 juin 2021 / PHOTO: Tom Bowles/Shutterstock/SIPA / Shutterstock40861307_000006

L’association Juristes pour l’enfance sort un livre collectif réunissant juristes, médecins et chercheurs, alertant sur le drame des transitions de genre chez les mineurs, en explosion depuis une quinzaine d’années aux Etats-Unis et en Europe.


Jeudi soir, lors de la conférence de presse des auteurs du livre collectif, Questionnements de genre chez les enfants et les adolescents, Aude Mirkovic et Claire de Gatellier sont rentrées dans le vif du sujet : « Nous sommes contactées depuis plusieurs années par des chefs d’établissement, et plus récemment par des parents stupéfaits devant la demande de leur fils ou de leur fille d’être identifié dans le sexe opposé, ou dans aucun sexe. Nous avons ressenti l’urgence d’apporter une expertise de qualité, non seulement juridique, mais aussi médicale, psychologique. C’est pourquoi nous avons réuni des experts pour rédiger ce livre pluridisciplinaire et offrir aux personnes concernées des éléments de discernement pour prendre leurs décisions en la matière en connaissance de cause ». Leur volume informe, avec l’appui de chiffres, sur le drame que représente aujourd’hui la remise en cause, voire la déconstruction, de la distinction homme-femme, activement portée par les associations LGBTQI+ et apparemment soutenue par l’Éducation nationale.

Un bon sens longtemps préservé

La France, bien qu’ayant été « en retard » sur les Etats-Unis et la Grande-Bretagne dans le processus de légalisation et de facilitation des transitions de genre pour les mineurs, comme les adultes, s’est très largement « mise à niveau » ces trente dernières années. Cette conformisation récente de sa législation trouve ses fondements dans une condamnation de la France, en 1992, par la Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH), pour atteinte au droit au respect de la vie privée des personnes dites « trans », à cause de son refus du changement de la mention du sexe à l’état civil. Une décision qui n’a pourtant pas provoqué de modifications de la législation française à l’époque. D’ailleurs, en 2012, une jurisprudence de la Cour de cassation avait de nouveau refusé deux demandes de changement de sexe, rappelant le texte de l’époque selon lequel « la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ». Changer de sexe à l’état civil était donc déjà possible en 2012, mais il fallait pour cela se soumettre au préalable à un long traitement médical sur lequel il était impossible de revenir.

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Hollande et Macron, champions de la législation transgenre

Si certains pensaient que la légalisation du mariage pour les couples de même sexe était l’unique réforme de la désastreuse parenthèse Hollande, il faut vite se détromper. Le 20 novembre 2016, dans le cadre de la loi de modernisation de la justice au XXIe siècle, une réforme du Code civil a ouvert à toute personne majeure ou mineure émancipée la possibilité de changer de sexe selon son bon vouloir et non plus à la condition d’avoir effectué une opération médicale. Voici exactement ce que le Code civil dispose à ce jour : « Le fait de ne pas avoir subi de traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut modifier le refus de faire droit à la demande [de changement de sexe] » (articles 61-5 à 61-8 du Code civil). Par la suite, le militantisme au sein du gouvernement n’a cessé de se manifester, en particulier avec la fameuse « circulaire Blanquer », du 29 septembre 2021, faisant explicitement la promotion de la transition sociale auprès des mineurs dans les établissements scolaires. Entre autres choses, elle encourage l’accompagnement des enfants en cours de transition de genre par l’établissement scolaire, qui « devra garantir les conditions d’une transition revendiquée » d’une part, et d’autre part « garantir les conditions d’une transition confidentielle ». Déjà appliquée avec dextérité dans nombre d’établissements scolaires publics notamment, elle fut un prétexte pour renforcer l’intervention des membres de l’association LGBTQI+, encourageant les enfants, au cours de leurs conférences, à choisir librement leur sexe et à se libérer d’une classification binaire « garçon-fille » figée et ringarde. Tout comme les régimes totalitaires endoctrinent leurs enfants dès le plus jeune âge, pour s’assurer qu’ils adhèrent à l’idéologie d’Etat, l’école de la République fait progressivement de l’idéologie transgenre la pensée dominante, en l’enseignant ouvertement aux enfants, dès le primaire.

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Encore plus loin…

Mais on ne pouvait pas s’arrêter à la circulaire Blanquer. L’ancienne majorité présidentielle, en période de Covid-19, a profité du confinement partiel encore en vigueur pour faire voter un texte, le 31 janvier 2022, sanctionnant pénalement les pratiques, comportements ou propos visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne. Un simple ressenti est ainsi érigé en réalité imposée à tous. C’est d’ailleurs la définition du genre que donnent les promoteurs de ce texte de loi : « Le genre est un sentiment d’appartenance à une identité féminine, masculine, non binaire ou autre. […] L’identité de genre est l’identité que l’on ressent au fond de soi ». Autrement dit, les parents ou les médecins qui souhaitent aider leurs enfants à prendre des distances sur leurs ressentis pourraient désormais être exposés à des poursuites pénales. Claire de Gatellier, présidente de l’association Famille et liberté et co-auteur de Questionnements de genre, s’inquiète des conséquences de ce texte : « Il existe déjà des cas de parents au Canada qui, pour avoir incité leur enfant mineur à distinguer entre son ressenti et sa constitution physique naturelle, se sont vus condamnés par la justice de leur pays. Avec la législation en vigueur, des parents français, mais aussi des médecins, s’exposent au même risque » poursuit-elle, non sans une certaine inquiétude quant à ce qui pourrait advenir en France d’ici quelques mois.

Une consultation et c’est parti !

En plus de la législation, le plus inquiétant est probablement le traitement des enfants et des adolescents qui font une demande de transition de genre, que résume très simplement Aude Mirkovic. « L’approche trans-affirmative s’interdit et interdit d’interroger l’auto-diagnostic de l’enfant : si un mineur exprime un ressenti de l’autre sexe, il serait selon cette approche le seul à pouvoir dire qui il est, et les « bons » parents, les « bons » médecins seraient ceux qui mettent en œuvre la transition qu’il demande vers l’autre sexe ». On prescrit en général à l’adolescent des bloqueurs de puberté et des hormones en pilule, pour faire changer son aspect physique. Pour les filles par exemple, il s’agit de développer la pilosité, changer la forme du visage et le ton de la voix et enfin de réduire la taille de la poitrine, en pratiquant la mastectomie (ablation des seins). «Les adolescents sont rarement prévenus des effets de ces opérations, aussi bien dans le moyen terme que sur le long terme », constate Olivia Sarton, juriste chez JPE (Juristes pour l’enfance) et contributrice à l’ouvrage. En plus des bouffées de chaleur, des fièvres et des dérèglements sexuels provoquées par la prise d’hormones, nombre d’effets physiques sont irréversibles et rendent ainsi une dé-transition impossible, ou presque. Pourtant, les cas de dé-transition sont déjà nombreux. Ils s’élèveraient à minimum 4% selon les militants et 20% selon plusieurs associations, dont Detransition Advocacy Network. Ces estimations interrogent sur le bien-fondé du rêve transgenre qui pour beaucoup se transforme en un véritable cauchemar.

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Rétropédalage en Europe… sauf en France

D’ailleurs, le désastre lié au suivi médical des enfants et des adultes « transitionneurs » dans les cliniques de Grande-Bretagne pratiquant les transitions de genre (la Tavistock Clinic en particulier), a provoqué la mise sur pied d’une enquête par le Ministère de la santé britannique en 2021, confiée au pédiatre Hilary Cass, qui a publié une rapport intérimaire en février 2022. Des procès au grand retentissement ont aussi permis de dévoiler au grand public les pratiques des hôpitaux en charge de faire transitionner les enfants, en particulier le procès intenté par Keira Bell contre le Tavistock and Portman Foundation Trust en 2020. La jeune femme, en cours de dé-transition, reproche à cette institution de ne pas avoir remis en cause son désir de devenir un garçon lorsqu’elle en avait fait la demande à l’âge de 15 ans. Désormais, elle plaide que les enfants et les jeunes mineurs ne sont pas aptes à donner leur consentement à l’administration de médicaments bloquant la puberté. Les directives du NHS (National Health Service) viennent d’ailleurs de changer à ce sujet, en rétablissant la psychothérapie et la psychoéducation comme première ligne de traitement pour les enfants ou les adolescents qui demanderaient à opérer une transition, et rétablissant l’importance du «sexe biologique». Il s’agit d’une révolution. En Suède, le gouvernement a essentiellement remis en cause les traitements hormonaux, désormais limités à des cas exceptionnels suivis dans le cadre de recherches biomédicales.

Selon Marianne, en octobre 2020, 700 enfants étaient suivis rien qu’à Paris pour « dysphorie de genre ». Il est fort probable que le chiffre soit plus élevé aujourd’hui. Par comparaison, le nombre d’enfants suivis en Grande-Bretagne est passé de 77 en 2009-2010, à 2 590 en 2018-2019. Malheureusement, aucune enquête n’a été menée par la Sécurité sociale ou l’APHP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) pour savoir combien d’enfants étaient exactement suivis pour un processus de transition de genre. Les membres de Juristes pour l’enfance sont clairs toutefois. « Nous ne pouvons détourner le regard et abandonner ces jeunes en nous contenant de «respecter leur choix» et nous en laver les mains ensuite avec une fausse bonne conscience, accréditant l’idée que l’adulte n’aurait plus rien à apporter aux jeunes », conclut Claire de Gatellier dans l’ouvrage. Encore faudrait-il que le gouvernement ouvre les yeux sur les conséquences de sa législation, au lieu d’invoquer sans cesse le choix de « la raison », du « progrès » et de la « tolérance » pour donner une couverture bienveillante à ses textes.

Aude Mirkovic et Claire de Gatellier, Questionnements de genre chez les enfants et les adolescents, Artège, 2022, 216 pages, 17,90€.

Le procès des attentats du 13 novembre 2015: retour en enfer

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Le dernier jour du procès des attentats du 13 novembre 2015 au Palais de Justice, Paris, le 9 juin 2022 Sabrina Dolidze/SIPA 01079125_000003

Emmanuel Carrère a suivi pour L’Obs pendant neuf mois le procès des attentats du 13 novembre 2015, jusqu’au verdict en juin cette année. Les chroniques, légèrement augmentées, ont été réunies dans un livre, V13, qui revient sur les horreurs de cette nuit et de ses suites et qui laisse présager d’autres horreurs à venir. Compte-rendu.


Se plonger dans le livre de Carrère, c’est se replonger dans l’ambiance glauque de ces années de plomb et retrouver un peu du goût de bile dans la bouche qui avait envahi les Français cette nuit-là (ceux, en tout cas, qui ont eu la chance de ne pas se trouver au Bataclan, ou à la terrasse de la Belle Equipe, ou aux abords du Stade de France ; pour les autres, c’était plutôt un goût de sang). En sept ans, beaucoup de livres sont sortis, notamment des témoignages de victimes ou de proches, et il n’est pas toujours facile de retourner dans les descriptions glaçantes de cette soirée en enfer. Le livre de Carrère, en reprenant la trame du procès, en faisant le tour des subjectivités, celles des victimes mais aussi des accusés, n’épuise peut-être pas à tout jamais le sujet mais néglige peu d’aspects. On se surprend une fois ou deux à retenir des larmes, un peu à la manière de François Hollande lors du discours aux Invalides.

Tout d’abord se succèdent les témoignages des blessés, des endeuillés, des rescapés. Corps enchevêtrés et piétinés dans la fosse, nez et yeux subitement transformés en trous (on appelle ça « des grands fracas faciaux » dans le jargon), jambes et pieds arrachés, bouts de chair des assaillants répandus comme des confettis après la détonation de leurs ceintures explosives. Le président suggère à un moment de « regrouper » les témoignages pour éviter « les redites » ; l’expression ne fait pas tellement florès et le président, conscient de la bourde sémantique, revient très vite en arrière. Finalement, les victimes pourront, toutes, une par une, reprendre la chronologie détaillée de la tuerie. Il est vrai que c’est toujours à peu près la même histoire : « l’ambiance joyeuse du concert », « les premiers coups de feu », « les odeurs de poudre et de sang », la sensation que les tueurs passent, eux, un moment très amusant. On repense au long-métrage Elephant de Gus Van Sant (2003), qui filme le dernier itinéraire des victimes de la tuerie de Columbine les unes après les autres, avant de placer la caméra derrière les deux assaillants et de rejouer la scène depuis leur point de vue.

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C’est ensuite au tour de la défense. On bascule dans cet univers de fumeurs de shit, pas forcément tous misérables à l’origine. Ils ont grandi pour un certain nombre à Molenbeek, ville qui avait déjà fourni au monde les assassins du colonel Massoud et les organisateurs des attentats de Madrid de 2004. La fine équipe se réunit dans le café des béguines, établissement minable tenu par Brahim Abdelslam où « jamais un kouffar ne mettrait les pieds ». Entre deux deals, les futurs assaillants se régalent de vidéos de torture réalisées par l’Etat islamique. Parmi les accusés, trois comparaissent libres car leur conscience d’œuvrer à un complot terroriste n’est pas établie. Tout l’enjeu pour eux est de savoir s’ils vont cocher la case « association de malfaiteurs » ou la case « association de malfaiteurs terroristes » ; s’ils se sont retrouvés par hasard, petits délinquants sans grande envergure, dans une affaire qui les dépassent ; et si eux aussi ont regardé les vidéos de torture, avec la même délectation que les autres ou alors, avec distance, sans intérêt, « avec le regard indifférent qu’on sur un match de foot les gens qui n’aiment pas vraiment le foot ». A la toute fin, ils seront acquittés.

Carrère revient aussi sur l’incroyable épopée de Daesh, sorte de remake dans le désert de Salo ou les 120 jours de Sodome de Pasolini, sur un territoire grand comme la France. Le califat restauré a été perçu comme une utopie pour tout genre de fous furieux, soucieux de vivre dans l’imitation du Prophète et des fidèles des premiers temps. Si l’organisation répartie sur l’Irak et la Syrie n’a plus l’éclat des années 2014-2016, rien n’invite à penser que la vague d’attentats est définitivement derrière nous (au détour d’une phrase, Carrère écrit : « car il y aura forcément un prochain grand attentat », mais il veut imaginer que la prochaine fois, ça pourrait être l’œuvre des suprémacistes blancs). En prison, où l’attentat de Nice avait été accueilli par des hurlements de joie chez les prisonniers de droit commun, le recrutement des salafistes avance bon train et le retour de quelques « revenants » de Syrie, auréolés de leur prestige, accélère encore les choses. Il y a aussi l’épineuse question des enfants, nés parfois dans les camps de prisonniers, enfants de citoyens français, et que Carrère trouve moins dangereux à terme chez nous que là-bas. Un point de vue que l’opinion publique aura du mal à partager.

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Le livre est touchant, parfois naïf. On tique un peu tout de même quand Carrère évoque les voisins proches de la dernière planque de deux terroristes, 8 rue de Corbillon à Saint-Denis, sacrément secoués par l’assaut. L’auteur les qualifie « de victimes non pas du terrorisme mais du RAID ». Parmi eux, aucun mort toutefois. Un peu avant la plaidoirie de la défense, Carrère concède : « Je me laisse facilement convaincre. J’entre facilement dans les raisons d’autrui, ce qui est à la fois une qualité – l’absence de préjugé – et un défaut – le risque d’être une girouette, toujours de l’avis du dernier qui a parlé. Mon intime conviction est flottante, indécise. Alors, une fois pris acte de ce qui m’a convaincu dans le réquisitoire – à peu près tout – je me propose d’observer, lucidement, comment je vais me faire retourner ». On se souvient que déjà, dans l’Adversaire, Carrère avait donné l’impression de s’être légèrement laissé embobiner par Jean-Claude Romand, lequel avait un certain don pour cela.

Emmanuel Carrère, V13, POL, 2022, 368 pages, 22,00€.

Les monstres sont parmi nous

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Pixabay

Peut-on encore juger un tueur irresponsable pour cause de déséquilibre mental, alors que l’ensauvagement de la société et le «mal» se répandent de plus en plus ? Chaque crime atroce est-il issu de la folie sombre de celui qui le commet ou préférons-nous croire que c’est ainsi ?


La meurtrière de Lola est-elle déséquilibrée ? Son discernement a-t-il été aboli au moment de l’acte abominable ? Quelle que soit la réponse donnée par les experts psychiatres, ils auront tort. La science a ses limites et les experts ne disent pas toute la science. Comme le disait Shakespeare : «Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en rêve votre philosophie».

La notion d’abolition du discernement disparaît lorsque la folie devient collective. La haine raciale ou l’antisémitisme ne sont plus du domaine de folie telle qu’elle est définie dans les manuels de psychiatrie.

Attentat de Nice : des dizaines de morts. Des gamins filment avec leur smartphones l’agonie des blessés, fouillent les poches des cadavres, et clament : « On l’a fait, on l’a fait ! »

Ces enfants sont-ils déséquilibrés, leur discernement est-il aboli au moment de ces actes et de ces paroles ou sont-ils de futurs enfants-soldats comme en Palestine ?

Lorsque la folie devient collective, en temps de guerre civile par exemple, n’importe qui peut commettre l’acte le plus monstrueux. Les motivations importent peu alors : tout est bon pour nourrir la soif du mal.

Au Rwanda, pendant le génocide, des meurtres atroces ont été commis par des voisins sur des voisins, des enfants sur des parents, des enseignants sur leurs élèves, des prêtres sur leurs ouailles.

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En temps de guerre civile, on fracasse les bébés contre les murs, on brûle vivants des hommes, des femmes, des enfants dans des églises, des synagogues, on fait exploser en Afghanistan ou en Irak des mosquées ou des écoles en tuant, en mutilant des dizaines de compatriotes parce qu’ils sont chiites. Au Congo, des milices tuent sans pitié et violent des femmes, des enfants, et même des hommes devant leur famille. On mange le foie et le cœur de l’ennemi. On boit son sang. Au Rwanda, des voisins venaient égorger, éventrer la femme enceinte, arracher les entrailles d’une vieille grand-mère. Ces gens étaient-ils tous des déséquilibrés ?

La mort de Lola, comme l’égorgement dans son église du père Hamel, la décapitation dans la rue de Samuel Paty ou la balle dans la tête de Myriam Monsenego, l’enfant saisie par les cheveux à l’école Hazor Hatora sonnent le glas de notre confort de civilisés. Nous ne savions plus de quoi est capable l’être humain. Or, il va falloir le savoir très vite et ne pas se tromper de diagnostic, psychiatrique ou pas, faute de quoi nous revivrons l’horreur.

S’y habituer ? Personnellement, je ne m’y habituerai jamais, même si je connais par coeur cet abîme de sang et de larmes dans lequel j’ai été plongé dès ma petite enfance. Au Rwanda, j’ai parlé pendant des heures avec les planificateurs du génocide : des professeurs, psychologues, prêtres, tous gens fort civils, aimables, avenants. Au Rwanda, il y avait les théoriciens du génocide et les praticiens du génocide, ces exécutants qui partaient dans les marais et les collines chasser le tutsi avec leurs machettes. Des hommes ordinaires, paysans ou des commerçants, tout comme ces pères de familles de Hambourg dont parle Robert Browning dans son livre : «des hommes ordinaires». L’ennemi pour eux, ce sont des cloportes, des serpents, des rats, mais l’ennemi peut être aussi une petite fille blonde aux yeux bleus. Dans ce temps de folie collective, quand le respect de la vie humaine ne compte plus, Dahbia la meurtrière est une jeune femme ordinaire, qui s’exhibe sur TikTok. Son acte n’est pas celui d’une folle, même si les experts le décident, même si, comme le meurtrier de Sarah Halimi, elle est enfermée dans un établissement psychiatrique.

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Gonzague, l’ami retrouvé

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Dépassé par ses mondanités, Gonzague Saint Bris a fait oublier l’esthète cultivé, l’esprit raffiné et l’ami fidèle qu’il a été. Avec sa biographie, Gonzague Saint Bris – Le Dernier Dandy, Jean-Claude Lamy redore son blason.


Le souvenir, souvent, se présente et s’installe sans s’être annoncé. Il impose alors à la mémoire un sujet négligé depuis longtemps, peut-être parce qu’on s’en était lassé. Mais quand il surgit, il est là, il prend ses aises ; c’est un peu le voleur du proverbe, le larron en quête d’une occasion : il tourne, il rôde, il cherche l’issue désertée, il jette un œil puis, s’enhardissant, il se risque à l’intérieur, et il accomplit sa besogne.

Je n’évoquais plus Gonzague Saint Bris, que j’avais croisé il y a fort longtemps, lorsqu’il posait avec Patrick Poivre d’Arvor, Brice Lalonde et Frédéric Mitterrand afin de lancer le mouvement des Nouveaux Romantiques. Même de loin, je ne le suivais plus dans les péripéties d’une mondanité fade où il me paraissait se complaire ; je l’imaginais en éternel invité des cocktails, en rôdeur de buffets riches en cholestérol, affolé de petits fours, en conférencier d’arrondissement cerné par un embonpoint de sénateur, en séducteur au front dégarni et aux joues gonflées par les plats en sauce et les sucreries, en Casanova jovial pour jeunes filles nues sous leur sac Vuitton. Je me trompais : au-delà des apparences, il était demeuré fidèle à sa personnalité secrète, disponible, fraternel, amoureux sincère de ce qu’on nommait naguère la littérature, membre par cooptation d’une amicale sans frontière, d’une frivolité heureuse et nécessaire qui rassemble des êtres séparés par l’origine mais unis par l’esprit.[1]

Le récit réussi d’une vie

Le terme de biographie ne suffit pas à qualifier le livre remarquable sous tous ses aspects – style, conception, enquête – de Jean-Claude Lamy. C’est le récit plein de digressions précieuses, sans complaisance mais sans animosité, d’une vie d’abord spectaculaire, flamboyante, encombrante aussi, d’une double vie, finalement, animée en surface par le seul souci de paraître et, dans sa profondeur, hantée par des fantômes, des drames familiaux et des tourments très anciens.

Gonzague a eu 20 ans. Il possédait les qualités requises pour une réussite rapide et superficielle : un visage plaisant qu’une épaisse chevelure brune et mouvementée rendait tendre et ténébreux, une effronterie aimable servie par une élocution de garçon bien né, une allure de prince qui se réjouit d’être en exil, avec cela une conversation brillante et une fantaisie jamais lassée. Pour se faire remarquer, il gagne, en 1975, les hauteurs de Paris, la coupole de l’Opéra précisément, dont il fait le tour à bicyclette. En se produisant dans ce numéro d’acrobatie foraine, il démontre tout à la fois son ambition, son audace et son courage physique. Célèbre dès le lendemain, il défie tout ce qui nous effraie dans la vie sociale : le ridicule, d’abord, la vérité, ensuite, qui, chez lui, pouvait quelquefois être relative. Il méprise ou ignore le sens de la mesure, l’humilité, bref quelques vertus mineures dont la stricte observance rendent certes plus « régulier » le commerce des hommes mais aussi plus ennuyeux. Lui ne s’est pas ennuyé (je vous recommande la suite 412 dite « Gonzague Saint Bris », au quatrième étage du Grand Hôtel, à Cabourg : deux chambres, un salon, vue incomparable sur la mer…). Il a notamment séduit Inès de la Fressange, il a trompé, il a aimé, il a irrité, il a déçu… Il a vécu.

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Troublant Léonard

Ses nombreux livres ne m’ont guère intéressé, mais je conviens volontiers que Les Vieillards de Brighton (Grasset), texte étrange où l’on voit l’ultime parade des pensionnaires très âgés d’une maison de la « dernière adresse » dans cette adorable cité balnéaire anglaise, est une réussite justement couronnée du prix Interallié en 2002. Le même pouvoir d’étrangeté gouverne L’Enfant de Vinci (Grasset, 2005), autre bel exercice de plume : les deux textes, d’ailleurs, mêlent à la fiction des événements de sa propre vie. L’épisode dramatique de l’incendie qui ravage sa bibliothèque, à son domicile parisien, trop long pour être rapporté ici, et son rapport, qui relève du fantastique, avec ce dernier livre, invite à une troublante réflexion sur « la présence immatérielle d’un tuteur fabuleux dont [il habitait] la maison en Touraine : Léonard de Vinci » (Gonzague Saint Bris à Philippe Delaroche, Lire). Né à Loches en 1948, Gonzague passe en effet son enfance au Clos Lucé, où s’est éteint Léonard en 1519, propriété de sa famille depuis le milieu du XIXe siècle.

Mort dans la soirée

Sa compagne conduit le véhicule qui fait une embardée, ce soir du 8 août 2017, sur une petite route de Normandie, à Saint-Hymer. Il n’attache pas sa ceinture de sécurité, comme d’habitude ; puis un arbre, et un choc terrible. Elle est légèrement blessée, il meurt sur le coup, projeté hors de l’automobile.

C’est alors que Gonzague Saint Bris accomplit sa métamorphose. On s’aperçoit qu’il est très estimé en Touraine. Le salon littéraire champêtre qu’il a créé en 1995, à Chanceaux-près-Loches, « La Forêt des livres », baptisé après son décès « Les écrivains chez Gonzague Saint Bris », déplace les foules (jusqu’à 50 000 visiteurs !). Les estimations des meubles et objets de son théâtral appartement de la rue Pelouze, à Paris (8e), sont largement dépassées, et le fruit de leur vente abonde le fonds d’investissement destiné à installer une Maison des écrivains dans sa commune natale. La littérature et son enracinement l’ont sauvé de l’oubli où le condamnait son personnage de provincial balzacien pressé de réussir. S’il mérite d’être appelé dandy, il n’a pas seulement été ce faiseur, ce petit marquis, cet irritant avantageux. Il a été désiré, il a eu sa part de bonheur, d’illusions, et il laisse derrière lui des amitiés vives, et des affections vraies.


[1]. Bernard Pivot n’a pas été bluffé par Saint Bris : « J’ai toujours été mal à l’aise avec lui. Snob, mondain, arriviste, du côté des puissants, je me souviens qu’au “Figaro du Rond-Point des Champs-Élysées”, où je l’ai connu, avec Jean Chalon, il nous couvrait de compliments et attendait les mêmes en retour. Je n’avais pas d’atomes crochus avec ce jeune homme au talent gâché par les mondanités. Peut-être que j’ai été injuste ». (Le Dernier Dandy, p. 63).

Peter Handke, l’Européen

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Peter Handke, dans son jardin à Chaville, le 10/10/2019 / PHOTO: Francois Mori/AP/SIPA / AP22387149_000005

Dans La deuxième épée, Peter Handke publie un grand roman sur le thème de la vengeance.


Peter Handke, je le rappelle, est autrichien, né dans le Land méridional de la Carinthie, carrefour de l’Autriche, de l’Italie et de la Slovénie. Cette région, de par sa position géographique privilégiée, fut aux premières loges pour assister aux soubresauts de la grande Histoire européenne. La mère de Peter Handke (dont il relate le suicide dans Le Malheur indifférent, 1975) appartenait à la minorité slovène, ce que l’écrivain n’oubliera jamais. C’est ce qui explique que Peter Handke, nourri de toutes ces influences, ait gardé une sensibilité culturelle si spécifique, même si par ailleurs il a su très bien admirer ce que l’Amérique du Nord pouvait lui apporter de meilleur.   

Je lis Handke depuis la parution de son roman Le Chinois de la douleur, en 1986. J’avais été littéralement fasciné par ce livre (comme plus tard, en 2011, par son recueil de notations, Hier en chemin). J’avais apprécié aussi le gigantesque Mon année dans la baie de personne (1997), qui instaurait pour le coup une nouvelle évolution dans son œuvre. L’auteur, désormais installé à Chaville, en banlieue parisienne ouest, avait pris pour cadre de sa narration ce terroir dans lequel il se sentait particulièrement en paix. Or, le volume qu’il publie à cette rentrée, La Deuxième épée, « Une histoire de mai », se déroule encore dans ce même lieu. Ajoutons que Handke y reprend derechef la manière littéraire qu’il avait utilisée dans Après-midi d’un écrivain (1988), ouvrage de sa période salzbourgeoise.

Symbolisme de l’épée

La Deuxième épée est placée sous l’invocation d’un passage de l’Évangile selon Luc, dans lequel le Christ demande : « et que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée… ». Il s’agit, dans ce roman, croit-on comprendre, d’une histoire de vengeance. Le personnage principal (qui pourrait être Handke lui-même, mais dépouillé de ses oripeaux de Prix Nobel) cherche à venger une insulte faite à sa mère. Le ressentiment du personnage est trouble, il ne contrôle pas cet accès de violence qu’il sent naître en lui : « Meurtrier, annonce-t-il, je me sentais et me savais né qui sait pourquoi, si cela venait de mes rêves, ou s’ils en étaient au contraire l’effet ».

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Il parle aussi, tant son désarroi est grand, de faits historiques, comme la Shoah, d’« une lettre anonyme qui menaçait de tuer mon enfant, si je ne réussissais pas à ramener à la vie les six millions de Juifs tués par mes ancêtres… » Tout l’enjeu de ce roman porte sur le symbolisme de l’épée, la double épée plutôt, puisque le personnage du vengeur admet, à la fin, en une conclusion inattendue : « Non pas l’épée d’acier, mais l’autre, la deuxième ». Laquelle ? L’ambiguïté est là, et Handke se garde d’en dire davantage.

Le salut par autrui

Peter Handke possède un grand art de la description, d’où tout procède, comme chez Adalbert Stifter, un de ses écrivains de prédilection. Il y a beaucoup de descriptions, dans La Deuxième épée, mais elles sont toujours intégrées dans l’avancée logique de l’action, en relation avec le personnage principal, de manière à la fois poétique et, dirais-je, « phénoménologique ». Handke nous dépeint un monde moderne, peuplé d’individus qu’il évoque toujours avec bienveillance. Car son héros est certes un solitaire, mais, par le fait même, avide et curieux des autres.

C’est à travers eux et eux seuls qu’il recherche une révélation dans sa vie. Dans L’Heure de la sensation vraie (1977), il y avait déjà chez Handke cette aspiration à un idéal de réconciliation. Le lecteur, dans La Deuxième épée, continue de suivre cette découverte progressive, complexe, inaboutie toujours, qui s’incarne peut-être dans un moment métaphysique particulier, dont la langue allemande aura eu si souvent la nostalgie.

« La musique, c’est l’espoir du miracle! » : entretien avec Julie Depardieu

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Julie Depardieu / PHOTO: BALTEL/SIPA

Passionnée de musique classique et d’opéra, la comédienne Julie Depardieu fréquente assidûment et admire cet univers. De 2017 à 2019, elle tient même une chronique hebdomadaire sur France Musique. Pour elle, cet art est le seul capable de provoquer la sidération.


Il n’est pas rare de voir passer, dans les rues de Paris, Julie Depardieu sur son scooter, musique à fond. Dans son sillage, on entend Verdi, Mozart, Chopin, Berlioz ! Elle court les concerts, les opéras, suit les chanteurs. Son Dieu ? Roberto Alagna, pour qui elle a voyagé dans le monde entier. Julie Depardieu n’imagine pas sa vie sans musique. En septembre dernier, nous nous croisons lors des essayages costumes pour le film qu’Arielle Dombasle s’apprête à réaliser. Julie est fatiguée de cette séance qui dure depuis plusieurs heures, la bonne humeur n’est pas vraiment au rendez-vous. Soudain, elle sort sa radio portative, le Prélude à l’après-midi d’un faune retentit. Coiffeuses, habilleuses, comédiens, tout le monde se tait. Et, comme par miracle, l’impatience et l’agacement de Julie s’estompent, la musique vient tout apaiser, elle retrouve le sourire. Des ailes lui poussent dans le dos, elle vole ! Cette radio portative, combien de fois l’ai-je entendue diffuser de la musique – de la grande musique, enfin de la musique quoi ! – autour de Julie, sur un trottoir, dans des cafés, dans sa loge de théâtre…

Pour cette interview musicale, c’est au Zimmer que Julie me rejoint, en scooter, Carmen à fond !

CAUSEUR. Comment avez-vous « rencontré » la musique ?

JULIE DEPARDIEU. J’avais 14 ou 15 ans. Un jour, je rentre de l’école un peu énervée. C’était la période de Noël et j’avais horreur de ça. Les dîners en famille obligatoires où tout le monde boit un verre de trop et où tout le monde s’insulte avant même d’avoir ouvert les cadeaux, non merci ! Et ce jour-là, donc, ma mère me dit : « Julie, il est 16 heures. Tout à l’heure tu m’aideras à mettre la table et à tout installer pour ce soir. Il est encore tôt, mais je te préviens. » Je n’avais évidemment aucune envie de le faire. En attendant, je traîne dans ma chambre, j’ouvre mon courrier. Je vois une espèce de lettre de catalogue par correspondance. C’était écrit quelque chose du genre : « Mademoiselle, pour Noël vous avez gagné un cadeau… » J’ouvre, c’était un CD : « Les Trésors de l’opéra ». Là, je me dis qu’ils sont quand même gonflés… qu’ils pourraient se renseigner sur l’âge de leurs clients… Je n’en avais rien à faire de l’opéra ! Ça ne m’intéressait pas du tout ! Ma mère m’appelle pour dresser la table et moi, pour gagner du temps, je mets ce disque dans ma chaîne hi-fi. Et pour gagner encore plus de temps, je commence à l’écouter. Plage 1, bof. Plage 2, bon. Arrive la plage 3 et c’est la sidération ! C’était l’air « Là ci darem la mano », dans Don Giovanni, chanté par Teresa Berganza et Ruggero Raimondi. Je m’en souviens encore. C’était un bouleversement, un chamboulement total. Une révolution ! C’était beaucoup plus fort que toutes les autres musiques que j’avais écoutées jusque-là. Du jour au lendemain, j’ai arrêté d’écouter AC/DC. L’immensité de l’opéra m’obsédait. Je voulais prolonger cette sensation incroyable que j’avais eue en écoutant cet air de Mozart. Je me suis mise à hanter les rayons de la FNAC, j’avais l’impression d’avoir découvert un trésor inépuisable. J’ai commencé par Callas, tout Callas. Ensuite, tous les compositeurs italiens, après, les Allemands, et enfin les Français. Mais il me reste encore tellement de choses à expérimenter…

Outre le plaisir de l’écoute, que vous a apporté la musique ?

L’espoir ! L’espoir en l’homme. Se dire qu’un homme qui compose sera ensuite entouré de tant d’autres qui vont l’interpréter ensemble… c’est bouleversant. Que font-ils, la plupart du temps, quand ils sont ensemble, les humains ? Pas grand-chose d’intéressant ! Là, c’est l’espoir total. C’est la possibilité d’une chose plus grande que nous et qui, finalement, est à notre portée, à condition de le vouloir. C’est aussi l’espoir de vivre un grand moment en allant au concert. Ça n’arrive pas à chaque fois mais on l’espère tellement, ce moment de grâce, ce frisson, cette beauté qui nous déchire et nous fait monter les larmes aux yeux… rien que cet espoir de quelque chose qui relève presque du miracle, c’est merveilleux.

Ce moment de grâce est notamment le fruit de l’ordre, de la hiérarchie, de la discipline, du travail acharné. Autant de valeurs qui ne sont plus tellement au goût du jour…

Évidemment ! Ce qui est beau, c’est justement le rôle essentiel de l’ordre et de la hiérarchie, mais aussi celui de chaque musicien – même celui qui joue du triangle au fond apporte quelque chose à cette montagne qu’est l’œuvre. Pour que celle-ci puisse rayonner, il faut que tout soit en ordre, que tout le monde soit à sa place et fasse précisément et passionnément ce qu’il a à faire.

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Pensez-vous que ce sont la difficulté technique surmontée, la virtuosité, qui amènent l’émotion ?

En partie, bien sûr. La performance technique, la bataille face à la difficulté me touchent beaucoup. Et pour les chanteurs, c’est terrible. Ils savent que tout le public attend le moment difficile techniquement, la note compliquée à atteindre. Ils doivent tout donner pour triompher des pièges que peut tendre la partition et en sortir vainqueurs. J’éprouve même un certain plaisir – ou de l’admiration – à voir les chanteurs lutter. J’aime voir cette difficulté, ce combat contre ses propres limites. Voir des hommes et des femmes se surpasser, accomplir des prouesses quasi surhumaines, c’est ce qui peut faire d’eux des demi-dieux.

Chaque compositeur vous a-t-il apporté quelque chose de particulier ?

Chacun m’a révélé quelque chose. Si j’éprouve des émotions jusque-là jamais éprouvées en les écoutant, c’est que je les avais en moi sans le savoir. Nous les avons tous en nous, mais les grands compositeurs viennent nous les révéler. C’est presque une libération. Surtout lorsqu’on se rend compte qu’on aurait pu passer à côté ! Un grand compositeur fait miraculeusement raisonner une partie de nous-mêmes que nous ne soupçonnions pas. Lorsqu’on découvre ça, on vit des instants bénis, et je suis heureuse de pouvoir les vivre. C’est aussi un antidépresseur, je me dis : Regarde ce qui existe ! Regarde la beauté ! Le quotidien est assez minable, mais la grandeur exceptionnelle existe ! C’est possible ! Toutes les larmes que j’ai versées sur Berlioz, sur Verdi, sur Fauré, sur Mahler, sur Beethoven… ce sont les plus beaux moments de ma vie.

Vous croyez en Dieu ?

La question de Dieu, dans une musique si vertigineuse, se pose évidemment. Oui… je crois en quelque chose de supérieur, en une puissance. Je n’ai pas reçu d’éducation religieuse alors que j’en avais demandé une à mes parents ! Je voulais aller au catéchisme, mais ça n’était pas leur truc. Avec la musique, je crois que j’ai trouvé ce que je cherchais lorsque je voulais aller au catéchisme. Quand j’écoute Beethoven, je me dis que c’est la certitude que Dieu existe. Victor Hugo a écrit : « Ce sourd entendait l’infini… » Il a en effet composé ses plus grandes œuvres à partir du moment où il n’entendait plus ! C’est tout de même mystérieux, non ?

La musique a un pouvoir indéniable sur les êtres. Elle vient combler, elle vient guérir. Sur moi, par exemple, elle a un effet thérapeutique très puissant. Même dans les élevages, on diffuse de la musique classique aux animaux pour qu’ils soient détendus ! Quand je pars de chez moi, je laisse toujours la radio pour le chien. Je mets des stations allemandes ou scandinaves de musique classique. Cette pauvre Zouzou… elle ne doit rien comprendre à toutes ces pubs… moi non plus d’ailleurs. C’est ce que j’apprécie : au moins, en allemand, je ne les comprends pas.

N’auriez-vous pas aimé être chanteuse ou musicienne ?

J’y ai évidemment pensé. Mais je n’aurais peut-être pas été assez travailleuse pour ça, ni assez humble. Parce qu’il faut beaucoup travailler, répéter, répéter, répéter… endurer que ça soit moche, encore moche et encore moche. Jusqu’au moment où ça peut commencer, peut-être, à devenir un peu beau… Et j’aurais peut-être été trop orgueilleuse pour supporter la laideur trop longtemps. Les grands musiciens, les grands chanteurs, les grands compositeurs sont des travailleurs acharnés, ce sont des héros du labeur. Et ça, ce n’est pas à la portée de tout le monde non plus, pas plus que le génie.

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Pourquoi écoutez-vous de la musique avec une petite enceinte, non avec des écouteurs ?

Je déteste les écouteurs ! Même dans le train, parfois, je mets la musique tout doucement, en cachette, et je colle mon oreille contre le téléphone…Mais les écouteurs, non ! Je n’aime pas m’enfermer, ça m’angoisse. Avec moi, il faut toujours que tout le monde en profite ! Si j’étais dictateur, je mettrais dans toutes les rues des haut-parleurs pour diffuser de la musique. Mais pas n’importe laquelle, de la grande musique… Mozart, Beethoven, Tchaïkovski ! Heureusement que je ne suis pas une femme d’État, sinon je serais tyrannique, je dirais : Ça non ! Ça oui ! (rires)

Vous n’avez aucun problème à faire une hiérarchie entre « les » musiques ?

Non, aucun. Je pense que la musique classique est plus grande, qu’elle mène vers quelque chose de divin. Et on ne peut pas dire ça de toutes les musiques… C’est en tout cas ce que je pense, c’est la révélation que j’ai eue.

La question de Rudy Ricciotti

Je crois que la musique a cet intérêt de rendre les mots autistes ! Comment réagissez-vous à cette affirmation ?

Entièrement d’accord ! Quand je dis que cela nous révèle quelque chose qu’on ignorait… c’est un peu cela. La musique vient libérer quelque chose que l’on n’arrivait pas à formuler avec des mots. Et c’est sous la forme musicale que cela vient nous submerger et libérer une émotion qui était enfouie en nous. Souvent, on ne trouve pas les mots pour décrire cette musique qui nous renverse. D’ailleurs, Victor Hugo, encore lui, a écrit, concernant Beethoven : « Cette étrange musique est une dilatation de l’âme dans l’inexprimable. » Il a aussi écrit : « Cet être qui ne perçoit pas la parole engendre le chant. » Moi, face à la musique, je suis presque dans un état d’inconscience… c’est l’extase. C’est la sidération.

Pourquoi les entretiens présidentiels sont-ils si peu regardés?

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Emmanuel Macron et Caroline Roux lors de l'émission TV "L'évènement" du 12/10/2022 / PHOTO: Jacques Witt/SIPA / 01090943_000002

Foi perdue en la parole des élus et des journalistes ou simple fatalisme, de plus en plus, les Français semblent (à tort) se désintéresser de la médiatisation politique et surtout présidentielle.


Le 12 octobre, l’entretien du président de la République avec Caroline Roux (France 2), consacré à la politique internationale, avait été suivi par 5,38 millions de téléspectateurs, audience relativement faible. On avait pu penser que c’était à cause du thème choisi qui en général sollicitait moins l’attention des Français que la politique nationale. Pourtant l’entretien d’hier 26 octobre, avec les mêmes, a subi une baisse encore plus nette (4,07 millions). Il y a donc une désaffection profonde des citoyens non seulement à l’égard des émissions politiques mais pour le verbe présidentiel.

Je regrette pour ma part cet abandon, voire cette indifférence de beaucoup de Français qui ne s’empêcheront pas, pourtant, de fustiger un pouvoir sur lequel leur parti est pris et leurs préjugés définitifs.

Réglons tout de suite le problème tenant à l’objection classique : ce serait partiellement à cause des journalistes. Cette mise en cause est fondée la plupart du temps mais ne peut concerner Caroline Roux qui est excellente, entre courtoisie et pugnacité.

Tout le contraire d’une Léa Salamé dont le hasard fait que j’ai écouté ensuite sa prestation courroucée face à Marion Maréchal qui l’a renvoyée dans ses cordes au sujet de Lola ; comme si la première était seule à être une mère et que la seconde ignorait cette condition.

Il serait malhonnête d’embellir le passé et de ne pas voir que, derrière une curiosité plus vive à l’égard des hommes politiques passés, il y avait déjà un lent mouvement de déclin médiatique et démocratique qui n’a fait que s’aggraver avec Emmanuel Macron. Pour des raisons qui tiennent à la personnalité de celui-ci, à son empathie surjouée et à l’amplification de travers qui ne lui étaient pas spécifiques mais qu’il a poussés à l’extrême.

De la même manière que j’ai exonéré Caroline Roux de la moindre responsabilité – sauf pour cet étrange choix, s’il relève de son initiative, de ne traiter l’essentiel qu’à la fin des échanges -, je voudrais décharger le président des reproches qui n’auraient aucun sens et qui reviendraient peu ou prou à lui dénier talent, intelligence et dialectique. Le tout n’emportant pas forcément l’adhésion, à cause de cette intuition qu’il est doué précisément pour vous entraîner là où la vérité s’efface…

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Si cet exercice de communication de plus en plus déserté par les Français prêtait à sourire, je garantis que les absents ont eu tort, notamment à deux moments où le président nous a offert une double face de lui-même.

La christique, quand il a affirmé qu’il fallait « se respecter les uns les autres », tout en ayant inspiré l’exclusion de l’arc républicain des députés La France insoumise et Rassemblement National ! Ils ne seraient donc pas « respectables »… et auraient surtout le grand tort d’être de vrais opposants…

La polémique, quand il s’est ensuite énervé sur un mode artificiel, reprochant à la Nupes d’avoir pactisé avec le Rassemblement National et donc d’être coupable de «désordre et de cynisme». Il serait trop facile, au regard d’un certain nombre de péripéties dérisoires ou plus graves, de lui retourner cette charge ; elle était surtout révélatrice de son tempérament impérieux qui, à cause de la majorité relative dont son camp ne cesse de pâtir, prétendait en plus imposer la manière dont les oppositions devaient se comporter à l’Assemblée nationale. Pour lui, à l’évidence, il était intolérable que ces oppositions «s’opposent». Une motion de censure n’est pas valider tel ou tel programme mais vouloir la fin d’un gouvernement !

À rebours de cette colère trop ostentatoire pour être authentique (et il a su, lui aussi, être cynique !), mais avec le même objectif, nous avons eu les flatteries aux députés Les Républicains, vantant leur mesure et leur rationalité, dont Olivier Marleix, Aurélien Pradié et les autres n’ont pas été dupes.

Trop c’était trop, dans l’indignation comme dans le compliment et la « retape » à peine masqués.

Au-delà de ces aperçus plus psychologiques que politiques, le Président a été victime, comme ses prédécesseurs mais sur un registre encore plus net, de la défiance structurelle qui s’attache à la parole publique. On ne veut même plus avoir l’élégance de l’écouter pour pouvoir la contester en connaissance de cause. On décrète par avance qu’elle n’aura aucun intérêt, qu’elle sera mensongère, manipulatrice, sans l’ombre d’une contrition, sans la moindre modestie. Qu’elle viendra avec plus ou moins d’arrogance apposer son sceau sur une réalité traumatisante, angoissante en de multiples facettes, en la sous-estimant pour privilégier de longues explications techniques sur l’énergie, l’électrique, les aides que le gouvernement allait continuer à apporter, paraît-il, aux citoyens les plus modestes, aux professions les plus impactées par la crise.

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Il y a sans doute de la bonne foi dans ces annonces, même si Caroline Roux à un certain instant les a trouvées un tantinet longuettes. Mais c’était inévitable puisque la structure même des entretiens présidentiels a pour vocation de leur permettre de dérouler du volontarisme, de l’optatif, de battre en brèche le désenchantement d’aujourd’hui par les espérances confortablement assurées de n’être pas contredites avant demain.

Et, pourtant, il a bien fallu aborder le réel si dur, si éprouvant, impossible à éluder, sur l’immigration, les promesses non tenues en matière de sécurité et de justice, le faible taux des OQTF (Obligations de quitter le territoire français), l’exaspération de plus en plus exacerbée de nos concitoyens face à un Etat sans autorité conduisant à une volonté de se faire justice soi-même avant même que la Justice officielle ait été saisie ou, pire, même quand cette dernière a été impeccable comme par exemple à Roanne (France Info).

Pas une fois le nom de Lola n’a été prononcé, comme si au fond le Président se lavait les mains et l’esprit des impatiences nationales, se contentait de prendre acte de ce qui va mal dans le pays et se reposait sur Gérald Darmanin pour, au milieu du désordre et des violences croissants, donner le change, démontrer une fermeté et bénéficier par contagion d’actions trop tardives de la part d’un ministre de l’Intérieur replongeant dans les sources de son passé républicain de droite ferme pour mieux préparer son futur présidentiel.

Si on a bien écouté l’entretien et son décryptage (Sud Radio, émission spéciale), la seule information – pour les uns courageuse, pour les autres dangereuse et inutile – s’est rapportée à la confirmation du projet de loi sur les retraites.

Avec à la clé, le risque d’une explosion sociale qui, venant s’ajouter au pouvoir d’achat amoindri, aux défaillances professionnelles, à la dépression d’une France lasse, morose ou perdant ses nerfs, nous fait craindre des lendemains qui ne chanteront pas…

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