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Gonzague, l’ami retrouvé

La littérature et son enracinement l’ont sauvé de l’oubli.


Gonzague, l’ami retrouvé
Gonzague Saint Bris / PHOTO: GUILLAUME SOUVANT / AFP

Dépassé par ses mondanités, Gonzague Saint Bris a fait oublier l’esthète cultivé, l’esprit raffiné et l’ami fidèle qu’il a été. Avec sa biographie, Gonzague Saint Bris – Le Dernier Dandy, Jean-Claude Lamy redore son blason.


Le souvenir, souvent, se présente et s’installe sans s’être annoncé. Il impose alors à la mémoire un sujet négligé depuis longtemps, peut-être parce qu’on s’en était lassé. Mais quand il surgit, il est là, il prend ses aises ; c’est un peu le voleur du proverbe, le larron en quête d’une occasion : il tourne, il rôde, il cherche l’issue désertée, il jette un œil puis, s’enhardissant, il se risque à l’intérieur, et il accomplit sa besogne.

Je n’évoquais plus Gonzague Saint Bris, que j’avais croisé il y a fort longtemps, lorsqu’il posait avec Patrick Poivre d’Arvor, Brice Lalonde et Frédéric Mitterrand afin de lancer le mouvement des Nouveaux Romantiques. Même de loin, je ne le suivais plus dans les péripéties d’une mondanité fade où il me paraissait se complaire ; je l’imaginais en éternel invité des cocktails, en rôdeur de buffets riches en cholestérol, affolé de petits fours, en conférencier d’arrondissement cerné par un embonpoint de sénateur, en séducteur au front dégarni et aux joues gonflées par les plats en sauce et les sucreries, en Casanova jovial pour jeunes filles nues sous leur sac Vuitton. Je me trompais : au-delà des apparences, il était demeuré fidèle à sa personnalité secrète, disponible, fraternel, amoureux sincère de ce qu’on nommait naguère la littérature, membre par cooptation d’une amicale sans frontière, d’une frivolité heureuse et nécessaire qui rassemble des êtres séparés par l’origine mais unis par l’esprit.[1]

Le récit réussi d’une vie

Le terme de biographie ne suffit pas à qualifier le livre remarquable sous tous ses aspects – style, conception, enquête – de Jean-Claude Lamy. C’est le récit plein de digressions précieuses, sans complaisance mais sans animosité, d’une vie d’abord spectaculaire, flamboyante, encombrante aussi, d’une double vie, finalement, animée en surface par le seul souci de paraître et, dans sa profondeur, hantée par des fantômes, des drames familiaux et des tourments très anciens.

Gonzague a eu 20 ans. Il possédait les qualités requises pour une réussite rapide et superficielle : un visage plaisant qu’une épaisse chevelure brune et mouvementée rendait tendre et ténébreux, une effronterie aimable servie par une élocution de garçon bien né, une allure de prince qui se réjouit d’être en exil, avec cela une conversation brillante et une fantaisie jamais lassée. Pour se faire remarquer, il gagne, en 1975, les hauteurs de Paris, la coupole de l’Opéra précisément, dont il fait le tour à bicyclette. En se produisant dans ce numéro d’acrobatie foraine, il démontre tout à la fois son ambition, son audace et son courage physique. Célèbre dès le lendemain, il défie tout ce qui nous effraie dans la vie sociale : le ridicule, d’abord, la vérité, ensuite, qui, chez lui, pouvait quelquefois être relative. Il méprise ou ignore le sens de la mesure, l’humilité, bref quelques vertus mineures dont la stricte observance rendent certes plus « régulier » le commerce des hommes mais aussi plus ennuyeux. Lui ne s’est pas ennuyé (je vous recommande la suite 412 dite « Gonzague Saint Bris », au quatrième étage du Grand Hôtel, à Cabourg : deux chambres, un salon, vue incomparable sur la mer…). Il a notamment séduit Inès de la Fressange, il a trompé, il a aimé, il a irrité, il a déçu… Il a vécu.

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Troublant Léonard

Ses nombreux livres ne m’ont guère intéressé, mais je conviens volontiers que Les Vieillards de Brighton (Grasset), texte étrange où l’on voit l’ultime parade des pensionnaires très âgés d’une maison de la « dernière adresse » dans cette adorable cité balnéaire anglaise, est une réussite justement couronnée du prix Interallié en 2002. Le même pouvoir d’étrangeté gouverne L’Enfant de Vinci (Grasset, 2005), autre bel exercice de plume : les deux textes, d’ailleurs, mêlent à la fiction des événements de sa propre vie. L’épisode dramatique de l’incendie qui ravage sa bibliothèque, à son domicile parisien, trop long pour être rapporté ici, et son rapport, qui relève du fantastique, avec ce dernier livre, invite à une troublante réflexion sur « la présence immatérielle d’un tuteur fabuleux dont [il habitait] la maison en Touraine : Léonard de Vinci » (Gonzague Saint Bris à Philippe Delaroche, Lire). Né à Loches en 1948, Gonzague passe en effet son enfance au Clos Lucé, où s’est éteint Léonard en 1519, propriété de sa famille depuis le milieu du XIXe siècle.

Mort dans la soirée

Sa compagne conduit le véhicule qui fait une embardée, ce soir du 8 août 2017, sur une petite route de Normandie, à Saint-Hymer. Il n’attache pas sa ceinture de sécurité, comme d’habitude ; puis un arbre, et un choc terrible. Elle est légèrement blessée, il meurt sur le coup, projeté hors de l’automobile.

C’est alors que Gonzague Saint Bris accomplit sa métamorphose. On s’aperçoit qu’il est très estimé en Touraine. Le salon littéraire champêtre qu’il a créé en 1995, à Chanceaux-près-Loches, « La Forêt des livres », baptisé après son décès « Les écrivains chez Gonzague Saint Bris », déplace les foules (jusqu’à 50 000 visiteurs !). Les estimations des meubles et objets de son théâtral appartement de la rue Pelouze, à Paris (8e), sont largement dépassées, et le fruit de leur vente abonde le fonds d’investissement destiné à installer une Maison des écrivains dans sa commune natale. La littérature et son enracinement l’ont sauvé de l’oubli où le condamnait son personnage de provincial balzacien pressé de réussir. S’il mérite d’être appelé dandy, il n’a pas seulement été ce faiseur, ce petit marquis, cet irritant avantageux. Il a été désiré, il a eu sa part de bonheur, d’illusions, et il laisse derrière lui des amitiés vives, et des affections vraies.

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[1]. Bernard Pivot n’a pas été bluffé par Saint Bris : « J’ai toujours été mal à l’aise avec lui. Snob, mondain, arriviste, du côté des puissants, je me souviens qu’au “Figaro du Rond-Point des Champs-Élysées”, où je l’ai connu, avec Jean Chalon, il nous couvrait de compliments et attendait les mêmes en retour. Je n’avais pas d’atomes crochus avec ce jeune homme au talent gâché par les mondanités. Peut-être que j’ai été injuste ». (Le Dernier Dandy, p. 63).




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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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