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Le procès des attentats du 13 novembre a-t-il été à la hauteur des enjeux?

Salah Abdeslam condamné à la prison à vie, des peines de deux ans à la perpétuité pour les autres accusés


Le procès des attentats du 13 novembre a-t-il été à la hauteur des enjeux?
Dessin de Salah Abdeslam lors de son procès. Les attentats de Paris, du Bataclan et du Stade de France, dans la nuit du 13 novembre 2015 ont fait 130 morts © Benoit PEYRUCQ / AFP

Un procès historiquement long et de lourdes peines ne suffisent pas à effacer le traumatisme national.


« La justice est passée, elle a eu le dernier mot. Face à ces actes de terrorisme ignobles, la France a répondu par la démocratie et par le droit. » Cette déclaration de Nicolas Le Bris, l’un des avocats généraux du procès des attentats du 13 novembre 2015, donne le ton général de la réception par les médias du verdict. 

Satisfaction donc, et autocongratulation : la France a été à la hauteur de sa réputation de pays des droits de l’homme et a su à la fois répondre aux attentes des victimes et respecter les droits de l’accusé. Pourtant, vu de l’extérieur, on comprend mal autant d’exaltation.

Certes, le procès a été brillamment couvert par la presse écrite. L’écrivain Emmanuel Carrère a par exemple été mandaté pour le suivre par l’Obs. Mais entre la fin du covid, la guerre en Ukraine et les élections, celui-ci n’a pas imprimé la mémoire collective, il n’y a pas eu de catharsis. L’Ile de la Cité est devenue pendant dix mois un monde à part, mais les débats qui se déroulaient dans l’enceinte ont bien peu rayonné dans la société française, que ce soit sur les plateaux de télévision ou dans les conversations familiales et amicales. 

Ce procès s’est donc tenu en marge du quotidien et si le verdict a réveillé l’intérêt du public, celui-ci n’a guère été alimenté en amont.

Doutes quant à la remise en question de la société

Certes le processus judiciaire s’est déroulé de façon sereine et les débats ont été bien tenus, certes les victimes ont eu le temps de s’exprimer et cela peut jouer un rôle dans leurs perspectives de reconstruction. Réussir à tenir ces deux objectifs n’était pas si simple. 

Pour autant, une donnée reste toujours l’angle mort de ce type de procès : ce qu’il apporte à la société dans son ensemble. Un procès, ce n’est pas seulement un face-à-face entre victimes et bourreaux, il tranche des cas particuliers, mais il le fait au nom de principes généraux et se fonde sur l’esprit des lois. La justice, ce n’est pas seulement un acteur de la résolution de conflits, elle dit aussi concrètement ce qui est légitime ou non dans une société et a un rôle de protection de l’ordre public. Or cette dimension-là n’est guère sortie du prétoire et le verdict, au regard des quelques prises de position qu’il a occasionnées, devrait être bien vite oublié.

De ce procès, le grand public n’aura guère perçu l’un des enjeux : la dimension idéologique des attaques, la grande solidarité dont ont bénéficié les terroristes sur certains territoires, le rôle de la Belgique comme plaque tournante, plateforme logistique et refuge physique. Pourtant cet aspect est essentiel. Un procès sert aussi à comprendre comment une organisation fonctionne et comment agir pour diminuer sa capacité de nuisance. Il aurait pu permettre de montrer le rôle d’un biotope comme Molenbeek dans la fabrication du radicalisé et son rôle de base arrière à la fois de l’islamisme et du jihadisme. Comprendre cela permettrait peut-être à la Belgique de se réveiller et à Bruxelles d’arrêter d’être un outil fondamental de la propagande des frères musulmans et autres officines islamistes. Voilà comment un procès peut semer des graines fécondes et nourrir la compréhension du terrorisme et de ses mécaniques concrètes pour mieux le combattre. Voilà comment la justice n’est pas seulement vengeance ou réparation mais acteur de la démocratie.

Le travail effectué dans un tribunal peut être à l’origine d’une doctrine d’action pour l’État, qui permettrait de réagir plus vite face aux prochaines menaces, en comprenant mieux par exemple le fond d’écran mental des terroristes. On a pu voir, au cours de ces dix mois, à quel point ces gens sont frustes et faciles à manipuler, et à quel point les petits délinquants peuvent passer à l’acte grâce à une propagande bien ciblée. Ce qui interroge, en particulier, c’est leur bas niveau de culture et d’expression, ou leur impossibilité à faire face à une quelconque responsabilité, caractéristique chez les accusés. On a quand même envie de rire quand il est question de « l’évolution » de Salah Abdeslam. L’homme aurait soudainement arrêté de fanfaronner et de se dire combattant de la foi, pour présenter ses excuses aux victimes ! À la lecture des extraits du procès, cette vision parait bien naïve. Jusqu’au bout, Salah Abdeslam se prétend victime, se pose en juge de la France et se lance dans un plaidoyer pro domo indécent. Ses derniers mots sont encore pour lui, il présente des excuses opportunistes aux victimes mais on peut avoir l’impression que c’est uniquement parce que sinon, la suite de son discours aurait été insupportable… Le voilà qui se dit persécuté par les surveillants de prison : « Ce qui m’a le plus choqué c’est le plaisir qu’ils (les surveillants) prenaient à me faire du mal. Il y a beaucoup de violences, de harcèlement. Si on vous annonce la nouvelle de ma mort, sachez que je ne me suis pas suicidé. Ils prennent plaisir à me faire du mal. On m’a harcelé jours et nuits. J’avais mal au ventre, je vomissais. J’ai cru qu’on m’empoisonnait. (…) Mon corps ressemblait à celui d’un gamin de 14 ans (…) ». Salah Abdeslam avait en fait une appendicite, qui a été soignée. 

Mais rien ne perturbe la logique implacable de la victimisation quand elle est enclenchée. Il explique donc que « la France perd ses valeurs petit à petit. Elles s’effritent petit à petit et le Parquet l’a prouvé dans ses réquisitions ». Il couine en reconnaissant, doux euphémisme, qu’il n’est « pas parfait » : « j’ai fait des erreurs, c’est vrai, mais je ne suis pas un assassin, je ne suis pas un tueur, si vous me condamnez pour assassinat, vous commettrez une injustice ». Il est ici à l’unisson de Yassine Atar qui déclare : « Je n’ai rien à faire dans ce box. Je dois être acquitté sur une décision juste ». Dix mois n’auront donc pas suffi pour que ces hommes prennent conscience de l’horreur des actes auxquels ils ont participé. Dix mois n’auront pas non plus suffi pour que, confronté à ce terrorisme, on mesure le rôle du jihadisme d’atmosphère et celui joué par les zones de non droit comme bases arrières du terrorisme, qu’il s’agisse de Molenbeek ou de certaines zones de Saint-Denis. 

Sortir de notre zone de confort et du culcul-la-pralinisme

À bien des égards, ce procès en première instance n’est donc pas historique. Il le deviendra peut-être quand l’ouverture des archives ou le travail des historiens permettront d’aller au bout de certaines questions. Aujourd’hui, elles embarrassent trop une société qui refuse de sortir du confort. Le procès n’a pu jouer son rôle de catharsis au sein de la société, car le pouvoir ne sait toujours pas quelle attitude adopter face à la violence terroriste et à la barbarie islamiste. 

Derrière la perpétuité incompressible de Salah Abdeslam, on peut remarquer une relative indulgence pour ceux qui sont cependant les chevilles ouvrières ou les petites mains de la violence terroriste. Ceux-là ont obtenu des peines moins lourdes que les réquisitions du Parquet. On peut noter aussi que les accusés n’ont jamais explicitement renié l’idéologie et la vision du monde des islamistes, il y a là un grand trou noir dans ce procès.

Dernier point, le culcul-la-pralinisme érigé en symbole de l’idéal démocratique continue ses ravages : 

On y a eu droit avec le « droit à l’espoir » brandi par Matthieu Quinquis, président de l’Observatoire international des prisons qui réagissait à la condamnation à la perpétuité incompressible dans Libération. Ou encore avec l’avocate de Salah Abdeslam parlant de « mort blanche » au sujet du verdict. Comme si un procès ne devrait être qu’une démonstration de clémence et de confiance en la possibilité de rédemption de l’accusé ! Comme si la protection de la société et la réparation – impossible – des victimes devaient forcément être balayées d’un revers de main, au bénéfice d’un prêchi-prêcha culpabilisateur ! Les internautes lui ont vertement répondu en le mettant en regard de la masse des morts et des blessés des attentats du 13 novembre, expliquant que le pardon n’était pas un dû, ni l’espoir un droit. 

Enfin, on a le sentiment que la durée du procès, et les peines lourdes infligées à quelques accusés valent effacement du traumatisme national. L’impression que cela donne est que l’on est loin d’être en face de ce procès historique qui nous est présenté un peu partout par les journalistes, qui marquerait soit la victoire de la démocratie sur la violence politique, soit un tournant dans la connaissance de la logique des islamistes et des réseaux terroristes… 

On ne peut totalement se départir du sentiment que les pouvoirs publics n’ont toujours pas compris ce qui se joue encore et toujours sur le terrain, et qu’ils se dédouanent du fait que, depuis le 15 novembre, ils n’ont pas tant progressé que cela sur ces questions, et sont toujours incapables d’avoir une doctrine d’action cohérente. Se servirait-on du procès pour essayer de faire passer coûte que coûte un message – celui de la démocratie qui aurait finalement gagné ? En réalité, rien n’est moins sûr, mais au moins aura-t-elle essayé. 



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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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