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Marcel Proust au détail…

Un éclaireur offrant son impressionnante lucidité à tous ceux qui le lisent.


Marcel Proust au détail…
Marcel Proust à l'âge de vingt ans. / MARY EVANS/SIPA 51337791_000001

Une vive incitation, appuyée de conseils, pour surmonter ses appréhensions et redécouvrir l’oeuvre de Marcel Proust.


Il faut saluer les efforts des chaînes de télévision pour, trop rarement, quitter l’écume misérable ou terrifiante du monde et rejoindre la culture dans ce qu’elle a de plus beau et de plus noble.

Ainsi quand BFMTV, avec Robin Verner, a consacré une enquête à Marcel Proust en demandant à « d’éminents proustiens » pourquoi son oeuvre « effraie tant les lecteurs ».

D’abord on a le droit de s’interroger sur la pertinence de la question. Pour résumer, quelques-uns ne liront jamais À la recherche du temps perdu, d’autres abandonneront leur lecture en cours de route et la plupart, plongés dans ces 4 000 pages, ne pourront plus s’en passer et y reviendront sans cesse.

Je pourrais, pour expliquer mon enthousiasme sans nuance pour son oeuvre géniale, rappeler ce qu’il écrivait sur Tolstoï et sur Balzac. Le premier était un maître qui changeait l’existence de son lecteur et le second un grand frère qu’on aimait malgré (ou à cause de) ses défauts. Cette distinction est pertinente sur le plan de la littérature et Proust a été à l’évidence, pour moi, un maître qui a projeté sur ma vie une lumière décisive. Comme s’il était un éclaireur offrant son impressionnante lucidité à tous ceux qui le liront et pourraient ainsi presque se dispenser de connaître ce que, grâce à lui, ils savaient déjà. Mais on ne doit jamais faire l’économie de ce que le hasard des jours et les aléas d’une destinée vont vous apprendre. Aussi le débat est vain qui pour certains imposerait de le lire sur le tard et pour d’autres précocement : ces obligations n’ont pas de sens qui laissent croire qu’un auteur génial doit être soumis à un calendrier quand il convient de laisser le miracle se produire sans le programmer.

Ces « éminents proustiens » donnent un certain nombre de conseils dont quelques-uns me paraissent sujets à caution.

D’abord, quand on découvre la Recherche, il ne convient pas de la lire par extraits, à petites doses, sans aller au bout de celle-ci. On n’est pas obligé de précipiter le mouvement mais la parcourir de manière parcellaire vous fait perdre de vue la plénitude qui est la sienne, la « cathédrale » qu’elle était pour son auteur. « Malgré tout, Proust voulait un continuum. Donc commencer par le début et terminer par la fin, c’est quand même mieux ».

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Quand on a accompli ce qui pour beaucoup va être une éblouissante révélation, il est possible par la suite – et c’est le propre des chefs-d’oeuvre qui, délivrés de la contingence de l’anecdote, présentent à chacune de leurs pages une conception de l’humain et du monde tout entière présente – d’ouvrir la Recherche à n’importe quel endroit pour être saisi, comme par magie, par le surgissement de lumières à la fois évidentes et surprenantes. Proust rend, avec l’acuité de son regard, banal ce que nous ne savions pas voir parce que nous l’observions mal.

Ensuite, j’admets que le style de Proust n’est pas des plus faciles mais quand on a compris sa logique, il me semble que la lecture devient plus enrichissante, stimulante. Les phrases longues, les constructions sophistiquées ne sont plus un pensum mais, dans chaque paragraphe, elles décrivent le réel dans sa totalité et sa complexité, avec une rigueur presque scientifique. L’énoncé d’une règle, d’un principe, d’une généralité est suivi par l’exemple concret qui va les illustrer, les incarner. Il n’est pas faux de préciser, comme Nicolas Ragonneau, que « ce qui relie les lecteurs de Proust entre eux, c’est cette relation quasi-hypnotique au texte ».

On pourrait soutenir que, de même que la Recherche est une totalité clôturée par le Temps retrouvé (malheureusement inachevé), les livres qui la composent et la structurent, les séquences multiples, les aperçus fulgurants qu’ils comportent relèvent d’une succession de totalités qui, par leur richesse et leur originalité, ne sont jamais indigestes mais éblouissantes. Elles nous contraignent à valider avec bonheur et admiration ce qu’elles expriment.

Ce n’est pas seulement la haute société aristocratique qui est décrite par Marcel Proust mais plusieurs univers dont le brassage et l’unité sont notamment opérés par le désir et la sexualité, l’homosexualité pour des personnages emblématiques comme le baron de Charlus dont les appétences intimes se soucient peu des frontières de classe. Le peuple n’est pas absent de la Recherche si on songe par exemple au beau portrait de Françoise traitée par le narrateur avec une tendresse souriante et sans la moindre condescendance, au contraire avec un infini respect pour son art culinaire.

Proust serait-il même obsédé par les marquis, les ducs et les princes que les sentiments humains qui sont les leurs, leurs petitesses comme leurs grandeurs ne les mettraient pas à part mais en feraient, malgré leur position et leurs privilèges, des représentants de tous.

À bien observer, il n’y a rien qui échappe à Proust, aucun sujet, l’amour, la passion, l’amitié, l’ambition, les désillusions, le souvenir, la perversion, la guerre, la diplomatie, la politique, l’art seul vecteur d’éternité et tant d’autres ouvertures sur le réel et son analyse, sur l’esprit et sa force, sur le coeur, ses douleurs et ses mystères.

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Enfin, malgré l’image qu’on donne trop souvent de lui, d’un auteur difficile face auquel il faudrait s’armer de patience et de résistance, Proust sait faire rire avec une finesse et une élégance, une cruauté dans la description (ah ! Madame Verdurin), une justesse sans égale, par exemple avec le fameux « on exagère » quand quelqu’un annonce qu’une personne ne viendra pas à une réception parce qu’elle est morte.

Il n’y a aucune honte à ne pas aimer Proust. Je le regrette pour Édouard Philippe parce qu’un homme de sa qualité devrait être, plus que tout autre, sensible à cette splendide et bouleversante comédie humaine qu’est la Recherche. Mais rien n’est perdu pour quiconque. Il y a d’autres « éminents proustiens », indiscutables (par exemple Jean-Yves Tadié, Michel Erman) qui n’ont pas été conviés par BFM TV à l’exercice et, on ne sait jamais, ils auraient pu trouver une raison supplémentaire de prendre Proust pour un Maître. Comme je l’ai fait quand je l’ai lu pour la première fois sans jamais cesser d’approfondir et d’amplifier mon admiration.

Pour sortir Marcel Proust de la pompe et des hommages officiels, je propose de lire un sensible, délicat et profond roman: « Clara lit Proust », par Stéphane Carlier. « Marcel » y est placé à hauteur d’humanité avec une héroïne qui ne se laisse pas intimider et montre avec grâce, finesse et une familiarité réconfortante, comment la Recherche peut être aussi un mode d’emploi pour mieux vivre.

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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