Accueil Édition Abonné Le procès des attentats du 13 novembre 2015: retour en enfer

Le procès des attentats du 13 novembre 2015: retour en enfer

Revivre l'horreur des attentats en craignant de futurs crimes atroces.


Le procès des attentats du 13 novembre 2015: retour en enfer
Le dernier jour du procès des attentats du 13 novembre 2015 au Palais de Justice, Paris, le 9 juin 2022 Sabrina Dolidze/SIPA 01079125_000003

Emmanuel Carrère a suivi pour L’Obs pendant neuf mois le procès des attentats du 13 novembre 2015, jusqu’au verdict en juin cette année. Les chroniques, légèrement augmentées, ont été réunies dans un livre, V13, qui revient sur les horreurs de cette nuit et de ses suites et qui laisse présager d’autres horreurs à venir. Compte-rendu.


Se plonger dans le livre de Carrère, c’est se replonger dans l’ambiance glauque de ces années de plomb et retrouver un peu du goût de bile dans la bouche qui avait envahi les Français cette nuit-là (ceux, en tout cas, qui ont eu la chance de ne pas se trouver au Bataclan, ou à la terrasse de la Belle Equipe, ou aux abords du Stade de France ; pour les autres, c’était plutôt un goût de sang). En sept ans, beaucoup de livres sont sortis, notamment des témoignages de victimes ou de proches, et il n’est pas toujours facile de retourner dans les descriptions glaçantes de cette soirée en enfer. Le livre de Carrère, en reprenant la trame du procès, en faisant le tour des subjectivités, celles des victimes mais aussi des accusés, n’épuise peut-être pas à tout jamais le sujet mais néglige peu d’aspects. On se surprend une fois ou deux à retenir des larmes, un peu à la manière de François Hollande lors du discours aux Invalides.

Tout d’abord se succèdent les témoignages des blessés, des endeuillés, des rescapés. Corps enchevêtrés et piétinés dans la fosse, nez et yeux subitement transformés en trous (on appelle ça « des grands fracas faciaux » dans le jargon), jambes et pieds arrachés, bouts de chair des assaillants répandus comme des confettis après la détonation de leurs ceintures explosives. Le président suggère à un moment de « regrouper » les témoignages pour éviter « les redites » ; l’expression ne fait pas tellement florès et le président, conscient de la bourde sémantique, revient très vite en arrière. Finalement, les victimes pourront, toutes, une par une, reprendre la chronologie détaillée de la tuerie. Il est vrai que c’est toujours à peu près la même histoire : « l’ambiance joyeuse du concert », « les premiers coups de feu », « les odeurs de poudre et de sang », la sensation que les tueurs passent, eux, un moment très amusant. On repense au long-métrage Elephant de Gus Van Sant (2003), qui filme le dernier itinéraire des victimes de la tuerie de Columbine les unes après les autres, avant de placer la caméra derrière les deux assaillants et de rejouer la scène depuis leur point de vue.

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C’est ensuite au tour de la défense. On bascule dans cet univers de fumeurs de shit, pas forcément tous misérables à l’origine. Ils ont grandi pour un certain nombre à Molenbeek, ville qui avait déjà fourni au monde les assassins du colonel Massoud et les organisateurs des attentats de Madrid de 2004. La fine équipe se réunit dans le café des béguines, établissement minable tenu par Brahim Abdelslam où « jamais un kouffar ne mettrait les pieds ». Entre deux deals, les futurs assaillants se régalent de vidéos de torture réalisées par l’Etat islamique. Parmi les accusés, trois comparaissent libres car leur conscience d’œuvrer à un complot terroriste n’est pas établie. Tout l’enjeu pour eux est de savoir s’ils vont cocher la case « association de malfaiteurs » ou la case « association de malfaiteurs terroristes » ; s’ils se sont retrouvés par hasard, petits délinquants sans grande envergure, dans une affaire qui les dépassent ; et si eux aussi ont regardé les vidéos de torture, avec la même délectation que les autres ou alors, avec distance, sans intérêt, « avec le regard indifférent qu’on sur un match de foot les gens qui n’aiment pas vraiment le foot ». A la toute fin, ils seront acquittés.

Carrère revient aussi sur l’incroyable épopée de Daesh, sorte de remake dans le désert de Salo ou les 120 jours de Sodome de Pasolini, sur un territoire grand comme la France. Le califat restauré a été perçu comme une utopie pour tout genre de fous furieux, soucieux de vivre dans l’imitation du Prophète et des fidèles des premiers temps. Si l’organisation répartie sur l’Irak et la Syrie n’a plus l’éclat des années 2014-2016, rien n’invite à penser que la vague d’attentats est définitivement derrière nous (au détour d’une phrase, Carrère écrit : « car il y aura forcément un prochain grand attentat », mais il veut imaginer que la prochaine fois, ça pourrait être l’œuvre des suprémacistes blancs). En prison, où l’attentat de Nice avait été accueilli par des hurlements de joie chez les prisonniers de droit commun, le recrutement des salafistes avance bon train et le retour de quelques « revenants » de Syrie, auréolés de leur prestige, accélère encore les choses. Il y a aussi l’épineuse question des enfants, nés parfois dans les camps de prisonniers, enfants de citoyens français, et que Carrère trouve moins dangereux à terme chez nous que là-bas. Un point de vue que l’opinion publique aura du mal à partager.

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Le livre est touchant, parfois naïf. On tique un peu tout de même quand Carrère évoque les voisins proches de la dernière planque de deux terroristes, 8 rue de Corbillon à Saint-Denis, sacrément secoués par l’assaut. L’auteur les qualifie « de victimes non pas du terrorisme mais du RAID ». Parmi eux, aucun mort toutefois. Un peu avant la plaidoirie de la défense, Carrère concède : « Je me laisse facilement convaincre. J’entre facilement dans les raisons d’autrui, ce qui est à la fois une qualité – l’absence de préjugé – et un défaut – le risque d’être une girouette, toujours de l’avis du dernier qui a parlé. Mon intime conviction est flottante, indécise. Alors, une fois pris acte de ce qui m’a convaincu dans le réquisitoire – à peu près tout – je me propose d’observer, lucidement, comment je vais me faire retourner ». On se souvient que déjà, dans l’Adversaire, Carrère avait donné l’impression de s’être légèrement laissé embobiner par Jean-Claude Romand, lequel avait un certain don pour cela.

Emmanuel Carrère, V13, POL, 2022, 368 pages, 22,00€.

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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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