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La révolution, les urnes et la rue

La crise profonde que nous vivons n’est pas inédite dans notre histoire. Elle témoigne même d’une longue « tradition » héritée de 1789: la guerre de légitimité entre le peuple et ses gouvernants. Et notre culture privilégiant l’affrontement à la négociation, la politique se fait aussi dans la rue. Nos dirigeants devraient s’en souvenir.


Apollinaire aimait la guerre et son souvenir, comme nous avons la nostalgie des grandes manifestations de notre enfance. Celles d’aujourd’hui sont trop proches pour être poétiques. Je me souviens de ma déception d’avoir été envoyé à 8 ans en Angleterre. C’était en mai 1968. Les écoles étaient en grève et mes parents y avaient vu l’opportunité de m’y faire apprendre les langues étrangères. J’ânonnais celle de Shakespeare quand en France mes petits amis étaient en vacances. Je trouvais cela injuste. Plus tard, je me suis rattrapé. Ah ! les belles manifestations de ma jeunesse, celles contre les lois Savary sur l’université et les grandes écoles en mai 1983, celles de 1986, trois ans plus tard, contre le projet de loi Devaquet. Je n’avais jamais entendu parler de l’un ni de l’autre, je me fichais comme de l’an quarante de ce qu’ils nous voulaient. Ils avaient mis les étudiants dans la rue et c’était comme une grande récréation, des jours d’école buissonnière entre deux cours, à déambuler narines ouvertes le long des grands boulevards. J’étais jeune, il faisait beau, les filles étaient jolies. Elles avaient la démarche légère et mon âme l’était aussi.

Je n’ai repensé à tout cela que bien plus tard et un peu par hasard, au musée d’Orsay, devant un tableau d’André Devambez peint en 1902, l’un de ses plus célèbres, intitulé La Charge. Il représente en une sorte de plongée nocturne hallucinée, un bout du boulevard Montmartre à l’époque des réclames et des premiers réverbères électriques. Le long d’un trottoir animé, un cordon de policier charge un groupe de manifestants réfugiés en une masse confuse et noire dans le bas du tableau. Entre les deux, on ne voit que l’espace lumineux de l’asphalte. Un immense vide.

Ce tableau-là est comme une allégorie de toute notre histoire depuis la Révolution. Il n’y a pas d’autres pays que le nôtre où la politique s’est faite aussi souvent dans la rue et se mesure encore aujourd’hui – n’en déplaise à Emmanuel Macron – à la longueur de ses cortèges. Nous sommes bien les seuls à ne pas nous étonner d’avoir à vivre des semaines entières dans un pays en partie ou totalement bloqué, à la grande stupeur de nos voisins qui nous regardent en souriant comme on le ferait d’une tribu aborigène au fond d’une savane exotique. Les journées non travaillées pour cause de grève sont une tradition française : plus de 300 pour 5 000 salariés en 2010, plus de 150 en 2019, contre six aux États-Unis la même année. Il existe peut-être des raisons à cela. Il faut les regarder du côté de l’histoire.

Tout se passe comme si nous étions encore aujourd’hui les héritiers d’un unique et long affrontement entre deux légitimités : celle des urnes et de la représentation parlementaire ; celle du « peuple », de sa puissance symbolique, de sa souveraineté éminente et de l’expression immédiate de sa volonté.

La rue contre les urnes. Cette opposition-là est vieille de plus de deux siècles. Cela commence sous la Révolution. Quand, le 17 juin 1789, les députés du tiers-état se constituent en Assemblée nationale sans demander au roi son avis, le 14 juillet, le peuple des faubourgs parisiens prend la Bastille. La « nation » d’un côté, le « peuple » de l’autre. Cet antagonisme est au cœur de la Révolution, il en constitue même le combustible, jusque sous la Terreur. À chaque fois que les sans-culottes des 48 sections parisiennes et de la Commune de Paris marchent sur la Convention, en autant de « journées révolutionnaires », le 5 septembre 1792, le 10 mars et le 31 mai 1793, la Révolution se radicalise.

Ce qui s’apparente à un rapport de forces et de violence tout autant qu’à une guerre de légitimités s’est poursuivi, de barricades en barricades, tout au long du xixe siècle : 1830, 1848, la Commune. Puis dans les grandes grèves sociales de la « Belle Époque », dans les manifestations monstres de février 1934, dans celles du Front populaire, jusqu’aux « événements » de 1968. Et cela dure encore.

L’ombre portée de 1789 n’en finit pas de grandir sous le soleil de l’utopie. Certes, notre Révolution n’est pas exceptionnelle, elle s’inscrit dans un cycle long qui touche, dans les années 1780, les colonies anglaises d’Amérique, Genève et la Hollande avec leurs couleurs propres et leurs influences réciproques. Mais elle est « idéale », dans ce sens où elle a été en France comme nulle part ailleurs, à la fois politique et sociale, égalitaire, amnésique, ombrageuse, totalisante et abstraite. En France, les mots précèdent les choses. Tocqueville le note en passant à propos de la révolution de juin 1848, qu’il a vécue de près. Pris en masse, les Français se comportent très souvent en politique comme « un homme de Lettres ». Ils en ont le tempérament et les humeurs. Rien n’a jamais mieux servi leur imaginaire, leurs projets, leurs désirs que les mots. On a fait la révolution au nom du « peuple » de la « liberté », de l’« égalité » mais de quel peuple, de quelle liberté, de quelle égalité parlait-on ? Civile, politique ou sociale ? Dans un tel contexte, ce que François Furet appelle « le tournant égalitaire » de 1789 nous a durablement marqués. Bien sûr, en juin 1789, le « climat », si l’on peut parler de climat, était un peu celui de l’Arcadie : les enthousiasmes, la sincérité, le désintéressement, l’espoir et les promesses de bonheur. Mais on y respirait aussi un air moins printanier : le choc des ambitions, la jalousie et les soupçons, l’intolérance, les vengeances et la haine. La monarchie absolutiste à la française, pour avoir été incapable de se réformer par le haut, de réduire ses privilèges et d’égaliser l’impôt, a fini par accoucher d’une révolution tout aussi absolutiste, au nom des mêmes principes d’unité et d’indivisibilité. Pour ces raisons mêmes, on en était déjà en 1789 aux violences verbales, les massacres de 1793 en moins. Comment dès lors admettre une quelconque opposition ? De 1789 à 1794, décret après décret, l’adversaire s’est tour à tour mué en « contre-révolutionnaire », puis en « suspect », puis en « ennemi du peuple ». Le Tribunal révolutionnaire et la guillotine réglaient la question, quand ce sera plus tard la déportation et aujourd’hui les tribunaux. Nous n’arrivons pas à nous parler.  Toute notre culture politique, qui préfère l’affrontement à la négociation, découle de ce lointain héritage.

Revenons à nos grèves. La conquête et l’occupation durable de l’entreprise ou de la rue – cet espace lumineux et vide que représente Devambez dans son tableau – sont devenues l’expression par excellence de la légitimité du peuple contre la légalité de ses gouvernants. Un véritable enjeu de pouvoir. En juin 1793, les conventionnels en inscrivent même le principe dans leur Constitution, dite « de l’An I ». Souvenez-vous de l’article 35 de leur Déclaration des droits de l’homme : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

De Gaulle s’est réclamé de cette légitimité contre la légalité douteuse du gouvernement de Vichy, à Londres en 1940, au nom de l’« intérêt du pays » et de l’« urgence nationale » – « Si la légalité est défaillante, la légitimité doit s’y substituer. » Et Sartre tout autant, en 1973, lorsqu’il reprend dans les Temps modernes le slogan des manifestants de 1968 : « Élections, piège à cons ! »

Si, aujourd’hui, le principe de la souveraineté du peuple est admis, après avoir été longtemps contesté, celui de la légitimité morale de notre actuelle République « telle qu’elle est constituée » l’est de moins en moins. Au nom même de son idéal et du vertige inatteignable de ce qui la fonde : la liberté, l’égalité, la fraternité, on n’en aura jamais fini de dénoncer, dans l’ombre portée de la légalité, la corruption par l’argent, les « violences » sociales faites aux salariés ou les insuffisances du droit d’élire. Nous serons encore longtemps habités de cette utopie si française.

Alors qu’il était sur le point de commencer à peindre sa Liberté guidant le peuple dans son atelier du 15, quai Voltaire, Delacroix écrivait ceci à son frère, Charles-Henri, le 12 octobre 1830 : « J’ai entrepris un sujet moderne, une barricade […] et si je n’ai pas vaincu pour la patrie, au moins peindrai-je pour elle. Cela m’a remis de belle humeur. » Il ne s’est pas battu pendant les Trois Glorieuses, mais il a fait beaucoup mieux que cela. Une allégorie de notre histoire. Ce qui surplombe en effet sa liberté, c’est l’utopie et c’est l’avenir. Je pense à Victor Hugo, aux Misérables, à Enjolras et à ses compagnons embusqués derrière leur barricade de la rue de la Chanvrerie, tous ces « glorieux combattants de l’avenir », tous ces « confesseurs de l’utopie » des journées sanglantes de juin 1832. Aujourd’hui, nous ne construisons plus de barricades, si ce n’est avec des poubelles ! Les cortèges les ont remplacés, avec leur lot de violences. La réaction de nos gouvernants aussi a changé. On réprime moins, n’en déplaise à certains, on efface. À la fin des années 1990, les voiturettes vertes des services de propreté de la Ville de Paris nettoyaient, à l’arrière des défilés, jusqu’au dernier tract des manifestants. On a un peu plus de mal aujourd’hui à rendre aux boulevards leur netteté insignifiante et bien ordonnée. C’est que les manifestations se suivent en rangs serrés, des Gilets jaunes aux actuels défilés, comme le ressac et les marées. Ce « pays-ci », comme on le disait de la Cour sous l’ancien régime, demeurera longtemps le pays des songes. Exaltés, contradictoires, meurtris. En France, parfois, ce sont les songes qui l’emportent.

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Ganges Potemkine

Entre demi-vérités et vrai jeu de rôle, par un beau jeudi d’avril, Emmanuel Macron, escorté en silence par Pap Ndiaye, a poursuivi dans l’Hérault sa tentative d’apaisement selon son modus operandi habituel: fausse décontraction de la veste sur l’épaule, éléments de langage et effets d’annonce. Peut-on être convaincu par ses propos sur l’éducation?


Commençons par analyser factuellement le contexte. Sommes-nous vraiment là en milieu rural ? Ganges, à la porte des Cévennes est une ville de 3000 habitants dont la prospérité fut autrefois assurée par l’industrie textile, héritage des filatures de soie d’antan. La concurrence chinoise a, comme chez sa voisine gardoise Le Vigan, détruit ce secteur économique et la petite cité vit aujourd’hui dans la sphère d’influence montpelliéraine. Aux vieilles familles locales sont venus s’ajouter de jeunes cadres et des familles très modestes refoulés là par la flambée des prix de l’immobilier dans la grande métropole distante de 45 kilomètres. Précarité et relatif confort matériel s’y côtoient donc, faisant du lieu une « France périphérique » rurbaine plus qu’un milieu purement rural. Michel Fratissier, maire de Ganges a donc pu, légitimement, évoquer les questions emblématiques des zones géographiques de ce type : fermeture de la maternité, fracture numérique et sécurité. Sans doute par pudeur, cet ancien professeur d’I.U.F.M, que la carrière a pourtant rendu forcément expert sur les difficultés de mises en pratique des consignes de la rue de Grenelle, n’a pas souhaité émettre de doutes sur les annonces pour l’éducation. On  peut cependant comprendre que, lorsque l’on gère une commune où la Macronie, tout à fait par hasard bien sûr, aime à se mettre en scène, l’on ne souhaite contrarier ses hôtes (rappelons la précédente visite en décembre 2021 de Sarah El Haïry à l’école maternelle puis, début 2023, celle annoncée puis annulée de Patricia Mirallès).

Pourtant, des interrogations, il y en a, surtout concernant les niveaux scolaires qui précèdent le collège.

Tout d’abord, l’échec du choc d’attractivité, atteste du fait que l’appréciation du terme « substantiel » diffère du ministère au terrain. Les montants annoncés ne semblent pas de nature à compenser la dégradation des conditions d’exercice du métier. Le gel du point d’indice laisse les plus anciens 20% à 25% en dessous de la rémunération de fin de carrière qu’ils espéraient en entrant dans le métier.

Dégradation continue

Au-delà de cet aspect financier, nombreux sont ceux qui évoquent la perte du sens de leur activité. Depuis Nicolas Sarkozy, tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont contribué à assécher, de façon continue, le flux de transmission des connaissances, principale ambition de tout enseignant. Allègement continu des programmes, suppression de tout livret d’évaluation précis en maternelle au profit de quelques photos des seules réussites, mise en avant du ludique et du sociétal, disparition des R.A.S.E.D.[1], auxiliaires précieux de l’entrée des plus en difficulté dans les disciplines les plus arides, formation continue hors sol… À cela est venue s’ajouter l’ « école inclusive », idée philosophiquement noble ayant accouché d’un monstre, qui conduit les enseignants à s’improviser éducateurs spécialisés, pour des cas de plus en plus lourds, puisque les instituts spécialisés n’accueillent la plupart du temps qu’après six ans, alors que l’âge de l’obligation d’instruction a été ramené à trois ans par Jean-Michel Blanquer.

A lire aussi: Pap Ndiaye, wokiste à temps partiel

A cette dégradation continue, Emmanuel Macron a pris sa part avec l’apparition de pseudos experts, qui ne quittent leur bureau douillet que pour venir réciter des éléments de langage fumeux et proposer de « changer de posture » à des enseignants désespérés de ne plus pouvoir instruire les élèves, occupés qu’ils sont à calmer les crises de tel élève violent ou tel « Enfant à Besoin Educatif Particulier » hurlant sa souffrance d’être si mal pris en charge. Dans un tel contexte, les consignes d’olympiades d’une semaine de Pap Ndiaye, venues s’ajouter à celle de chanter le jour de la rentrée de Jean-Michel Blanquer sont l’ombrelle sur un cocktail explosif.

Les enseignants les plus expérimentés sont les plus mécontents des annonces

Enfin, et cela explique sans doute le choix du collège et non de l’école située juste en face, comme lieu de l’annonce, la part variable liée à des missions supplémentaires semble difficilement accessible aux professeurs des écoles.

Cours de soutien au collège ? Cela ne sera matériellement possible et intéressant financièrement que pour les enseignants proches de l’établissement concerné et hors des horaires de l’école. Il  ne faut pas oublier qu’en école primaire, le temps de présence incompressible devant les élèves est d’au minimum 26 heures : aucune flexibilité dans les plannings possible. Remplacement des collègues ? Les professeurs des écoles assument, depuis toujours, la prise en charge des élèves de leurs collègues absents. Le manque de remplaçants transforme régulièrement une partie des salles de classe en garderie, faisant monter les effectifs à surveiller au-delà de 30 élèves pouvant avoir de trois à 10 ans.  Prise en charge de cours le mercredi ? C’est ce jour là qu’ont lieu les formations, qui, à la différence du secondaire, ne se font que très rarement sur les temps d’enseignement. Il ne restera que les vacances. De nombreux gouvernements ont rêvé de les raccourcir : nous y sommes, et les enseignants, épuisés, écœurés, l’ont bien compris.

À ces réalités-là, Emmanuel Macron ne change donc rien et aucun élément de langage tel que « excellence » n’est de nature à convaincre les professeurs des écoles. Lorsqu’en plus Pap Ndiaye continue, sur Twitter, de ne citer que « les débuts et milieux de carrière », les enseignants les plus expérimentés, ayant passé un concours plus exigeant qu’aujourd’hui, achèvent de désespérer. Ripolinée de frais par les employés de mairie, sécurisée par les chasseurs de casseroles, Ganges n’aura donc été qu’un Neverland de plus où quelques enseignants complices auront contribué à construire un décor d’opérette pour un grand tisonnier venu agiter les braises en prétendant éteindre un incendie.


[1] Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté

Taïwan est plus importante que l’Ukraine

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Avec les nouvelles manœuvres chinoises et la dernière gaffe du président Macron, la question de Taïwan est revenue sur le devant de la scène. Malgré son éloignement géographique, l’avenir de cette île de 23 millions d’habitants nous concerne davantage que l’Ukraine.


Tout d’abord, puisque les dirigeants occidentaux ont inscrit la guerre entre l’Ukraine et la Russie dans le cadre d’un affrontement entre démocratie et autoritarisme, Taiwan est une démocratie accomplie avec une totale liberté de la presse et une alternance régulière au pouvoir. Au contraire, l’Ukraine est une ploutocratie, dominée par quelques oligarques qui se disputent le pouvoir.

Ainsi le célèbre classement des démocraties de The Economist plaçait en 2020 l’Ukraine au 35ème rang européen (avec un score de 5.81 sur 10) et Taïwan au premier rang asiatique (avec un score de 8.94). Taïwan se situe au 11ème rang mondial (devant la France 24ème), l’Ukraine étant… 79ème. Pourtant, indépendante depuis 1991, située aux frontières de l’Union européenne, soutenue par les Occidentaux, l’Ukraine a eu largement le temps de moderniser son système politique, alors que la première élection libre à Taïwan date seulement de 1996. Si la défense de la démocratie est autre chose qu’un slogan visant à justifier les interventions militaires américaines en Irak, en Afghanistan ou en Ukraine, Taïwan mérite d’être défendue autant que l’Ukraine.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Qui est disposé à mourir pour Taïwan — ou pour l’Ukraine?

Ensuite, Taiwan produit 60% des semi-conducteurs mondiaux indispensables aux équipements électroniques des voitures comme des smartphones. Une seule entreprise, TSMC, fabriquait 53% de la production mondiale, en 2022. La destruction de ces usines comme leur contrôle par la Chine auraient des conséquences dévastatrices sur l’économie mondiale et, immédiatement, sur notre niveau de vie.

Enfin, du point de vue géopolitique, l’île asiatique occupe une position bien plus stratégique, à l’extrémité ouest du Pacifique, que le Donbass. Taïwan se situe au centre d’une région qui produit aujourd’hui plus de la moitié du PIB mondial, et qui est devenue la première voie maritime de la planète – mais que Pékin entend contrôler. L’invasion de Formose changerait l’équilibre des forces dans cette région indo-pacifique, et à travers le monde, envoyant le signal que les États-Unis ne sont plus la première puissance mondiale. Les Philippines, l’Indonésie, des pays du Pacifique et bien d’autres par ricochet (jusqu’en Afrique et en Amérique latine), constatant la puissance et la volonté hégémonique chinoise, ou effrayés par elles, risqueraient de basculer dans l’orbite de l’Empire du Milieu et d’aligner leurs politiques étrangère comme intérieure sur ses exigences.

A lire aussi, Jean-Sylvestre Mongrenier: De la Russie à la Chine, Emmanuel Macron et l’illusion de la «puissance d’équilibre»

Laisser entendre comme le président Macron que c’est d’abord l’affaire de la Chine et que l’Europe n’en subirait pas les conséquences est évidemment absurde. À ce niveau de responsabilité, c’est le signe d’un étrange amateurisme. Au contraire, à travers les déclarations de la France et de l’Europe, la Chine doit comprendre qu’elle payerait cher sur les plans économique et diplomatique une invasion de l’île et que, dans ce cas, nous serions les alliés d’une riposte américaine. Le sort de Taïwan dépasse celui de ses habitants qui vivent sous l’anxieuse menace d’une attaque. Défendre la République de Chine (son nom officiel), c’est non seulement défendre la démocratie, mais aussi nos intérêts politiques et économiques.

Le patriarcat, le patriarcat, vous dis-je!

Nous savions déjà que les néoféministes préféraient les femmes qui jettent des sorts aux hommes qui construisent des EPR. Dernièrement, nous avons découvert que ces bonnes fées souhaitent désormais réallouer le budget octroyé au SNU à la lutte contre les « féminicides »…


Je ne saurais dire si le SNU (Service National Universel) est une bonne ou une mauvaise chose ; en revanche, je puis affirmer que cela n’a rien à voir avec le service militaire obligatoire d’antan, au contraire de ce que semble penser la militante féministe Anne-Cécile Mailfert.

Durant ce SNU de 12 jours, nos adolescents doivent porter un vêtement uniforme, hisser le drapeau tricolore et chanter la marseillaise, se désole la présidente de la Fondation des femmes lors de sa chronique hebdomadaire sur France Inter le 31 mars dernier. Elle y voit, dit-elle, une résurgence des « cultures patriarcales et militaristes » vouant « un culte aux mêmes contre-valeurs : la hiérarchie, la violence, l’obéissance, l’uniformité, l’autoritarisme et le virilisme ». Ce gauchisme anti-militariste et soixante-huitard libertaire à la petite semaine saupoudré de quelques notions wokes dans l’air du temps est aussi affligeant que les réactions des représentants du syndicat La voix lycéenne et de l’Unef qui considèrent que le SNU ne favorise pas suffisamment « l’engagement associatif, politique ou syndical (1)». Ces jeunes gens confondent apparemment un service national (militaire, universel, républicain, appelez-le comme vous voulez) qui, même mal fagoté, est normalement destiné à renforcer la cohésion sociale en confortant certaines valeurs communes (nationales, patriotiques, républicaines, etc.) et un service de recrutement à destination des syndicats, des associations et des mouvements gauchistes. La présidente de la Fondation des femmes abonde d’ailleurs dans leur sens pour ce qui est des associations.

Deux milliards d’euros que récupérerait bien Caroline de Haas…

Anne-Cécile Mailfert évoque soudainement « le corps des femmes [qui] sont des champs de bataille quand les hommes ne parlent pas de nous en conquêtes ». Quel est le rapport avec le SNU ? Nous comprendrons un peu plus tard que l’évocation étrange de cet hypothétique  champ de ruines corporelles n’a servi qu’à justifier la question de savoir à quoi pourrait bien être employé un des deux milliards d’euros prévus pour le SNU obligatoire, si celui-ci venait à être abandonné sous la pression de cette jeunesse si joyeusement anti-militariste, anti-nationaliste, anti-patriotique et, bien entendu, féministe. « Il suffirait d’un petit milliard pour avoir les moyens d’une vraie politique de lutte contre les féminicides », assure Mme Mailfert. Ce montant magique, il nous semble bien l’avoir déjà entendu quelque part. Mais oui, mais c’est bien sûr : ce milliard, c’est celui que Caroline De Haas réclame à cor et à cri depuis des années, en tout cas depuis qu’elle a créé sa petite entreprise de « conseil, de formation et de communication experte de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la lutte contre les discriminations, de la diversité et de la prévention des violences sexistes et sexuelles ». Caroline De Haas a en effet co-fondé Egae, entreprise à but lucratif et aux méthodes douteuses vivant essentiellement grâce aux contrats passés avec des entreprises ou des établissements publics. Cette entreprise qui se targue de « percuter l’illusion de l’égalité » a surtout bouleversé la vie de quelques hommes soumis à des enquêtes malsaines et très orientées, au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris ou à Télérama, par exemple. Résultat : des ambiances délétères, des procès moscovites, des soupçons ruinant les carrières d’un musicien et d’un journaliste, ce dernier, licencié abusivement, ayant toutefois obtenu que les Prud’hommes condamnent l’hebdomadaire télévisuel à lui verser 90 000 euros à titre de dédommagement. Avant cela, Caroline De Haas avait fondé l’association “Osez le féminisme !” dont… Anne-Cécile Mailfert a été la porte-parole puis la présidente. En 2016, cette dernière, décidément en proie aux idées fixes, a co-écrit le rapport « Où est l’argent pour les droits des femmes ? » En 2019, elle expliquait sans rire au magazine 50/50 : « Une des raisons pour lesquelles ce secteur est sous financé […] c’est le problème du rapport des femmes à l’argent. Les femmes sont dans le soin de l’autre, la générosité, l’altruisme, elles se “sacrifient” pour les autres. Et donc la recherche d’argent pour elles-mêmes, pour leurs projets, n’est pas prioritaire. Il y aussi cette image que les femmes qui cherchent de l’argent sont des femmes vénales. Je pense que c’est une imagination de la domination masculine pour nous empêcher d’aller sur ce terrain-là. » Toujours la même ennuyeuse ritournelle. Notons que pour des gens qui prétendent combattre les stéréotypes, ils n’en manquent pas en magasin. Résumons-nous : le patriarcat, la domination masculine, et tout ça et tout ça, sont la cause de tous les maux. De tous les maux ? De tous les maux ! Comme nous allons pouvoir le vérifier immédiatement.

A lire aussi: Marguerite Stern et Dora Moutot: «Le féminisme actuel a été parasité par l’idéologie transgenre et queer»

La pensée atomique de Jade Lindgaard

Quelques jours plus tard, en effet, Jade Lindgaard, journaliste au pôle écologie de Mediapart, était reçue par Mathieu Vidard dans l’émission écologiste pro-GIEC “La Terre au carré”, sur la radio publique abonnée à toutes les idéologies modernes, j’ai nommé France Inter. Pour mémoire, Jade Lindgaard se distingua en 2017, sur le plateau de l’émission C l’hebdo, en dénonçant l’islamophobie en France et le « système généralisé de racisme dans ce pays », et en expliquant que « l’islamisme, en tant que tel, n’est pas en soi une chose grave, c’est un phénomène qu’il faut comprendre et expliquer ». Cela situe le niveau de réflexion de la dame. Les féministes, explique notre brillante journaliste dans l’émission de Mathieu Vidard, ont été, dès les années 1970, à la pointe de la lutte contre le nucléaire. Passons rapidement sur la confusion entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire savamment entretenue par Mme Lindgaard, pour déboucher directement sur la pensée atomique suivante : « À l’époque, le nucléaire est considéré comme l’incarnation et la célébration du patriarcat. C’est une énergie brutale et hiérarchique, opaque, sur laquelle on n’a aucune prise, qui vous écrase, vous marche dessus, et ne vous laisse pas votre mot à dire. » Sic d’or pour l’ensemble de cette ahurissante allégation dont chaque terme est une bêtise. On est à peu près au niveau des réflexions de Dame Rousseau dénonçant « les relations entre colonialisme, capitalisme et patriarcat » (Par-delà l’androcène, Seuil, 2022) ;ou disant préférer « les femmes qui jettent des sorts plutôt que les hommes qui construisent des EPR » ; ou fustigeant les monstres patriarcaux et virilistes que sont les hommes s’occupant du barbecue ; ou réprimandant une Élisabeth Badinter qui, ayant critiqué ses « révélations » sur Julien Bayou, se voit accusée d’être « du côté de l’ordre tel qu’il est actuellement, qui est un ordre patriarcal » (le Grand entretien, France Inter, 3 octobre 2022).

Sandrine Rousseau lors de la manifestation en soutien aux femmes iraniennes, Paris, le 2 octobre 2022 MUSTAFA SEVGI/SIPA

Chose étrange : plus le patriarcat occidental a des allures de squelette, plus les néoféministes s’acharnent à briser ses inoffensifs osselets – il en est pourtant un autre, plus rudimentaire, plus brutal, plus oriental, plus patriarcalement patriarcal, pourrait-on dire, qui remporte en ce moment un beau succès dans notre pays pourtant historiquement peu enclin à ce genre de « domination », quoi qu’en disent certaines féministes. Mais visiblement, ce patriarcat-là n’intéresse pas beaucoup nos militantes qui préfèrent continuer de vilipender un fantôme, quitte à dire n’importe quoi – ainsi, Dame Rousseau qui, défendant le port du voile sous nos latitudes, pense qu’il y a « plein de motivations pour porter le voile » et que, de toute manière, « à chaque fois qu’on parle du corps des femmes, à chaque fois qu’on parle de la manière dont on doit l’habiller, on sert le patriarcat » (LCP, 4 novembre 2021). Le patriarcat, le patriarcat, vous dis-je.

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[1] Propos relevés dans Politis, 27 février 2023.

Sarko à Matignon

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Au-delà de la surprise provoquée par une indiscrétion de l’Obs, on peut trouver dans cette hypothèse une certaine logique. Si Macron doit faire dans la casserole autant qu’il s’adresse au grossiste du marché. Depuis le temps que Sarko se trimballe des casseroles en batterie il distingue à l’oreille l’adhésive de l’anti, le téflon du fer et la céramique du cuivre. Alors Macron lui passe un coup de fil pour lui proposer Matignon…


-Nicolas ça va qu’est-ce que tu fais?
Je regarde le télé-achat.
Arrête!
-Oui oui oui Olé!
-Qu’est ce qui se passe?
Je viens de choper une casserole Mauviel 1830 en cuivre, la Rolls de la casserole.
-Je ne savais pas que tu faisais la cuisine.

En 27 je me présente et je te nomme à Matignon. On se fait une Poutine-Medvedev!

Mais c’est pas pour faire la cuisine, idiot. Tiens y a pas 20 minutes Carla m’a rejoint sur le canapé avec sa guitare et a attaqué lalala. Elle n’est jamais arrivée au refrain. J’ai pris ma petite Tefal en fer, du 12 avec le manche en bois et tic un coup sec dans le cornet. Elle va répéter plus loin et je peux me mater le télé-achat peinard.
-Elle tire des balles ta Téfal?
-Quoi?
Tu as dit du 12!
Putain il est mur, 12 c’est le diamètre de la casserole. Tu as 12, 16, 18 et 20.
-Pour Brigitte il faut du combien?
-Brigitte, heu attends, je calcule. Pour une première fois il lui faut de la céramique. Et vu la surface de son brushing tu vas prendre une De Buyer, au moins du 18.
Je note De Buyer du 18. Et pour Borne?
Borne on s’en fout, tu prends ce que tu as sous la main. Mais une avec le manche en bois. Comme tu pourras plus t’arrêter de frapper, tu as besoin d’ergonomie.

A lire aussi, du même auteur: Le Macron Casse-Rock-and-Roll Show

Génial! Et pour Veran?
Pour le champion il faut du lourd. Une Le Creuset en fonte. Ou une Staub en fonte. Attention ça pèse un Benalla ces trucs-là. Tu attends qu’il dorme pour pas le rater.
-Yes! Et pour N’Diaye?
Tu prends un wok.
-Ouais! Dussopt, Dussopt?
-Celui-là c’est un vicieux, fais-lui à l’envers.
Comment ça à l’envers?
Avec le manche.
Nicolas t’es un génie!
Mais dis-moi, pourquoi tu m’appelais?
Pour te proposer Matignon cet été!
Tu t’es pris un coup de casserole dans le casque à Montpellier?
-Alors?
-C’est ok! Mais tu restes au Château, tu joues à la casserole, je veux pas te voir au milieu. En 27 je me présente et je te nomme à Matignon. On se fait une Poutine-Medvedev!
Nicolas, Nicolas, allo?
Qui c’est? Ici c’est Carla…
C’est Emmanuel, je parlais à…
Il a pris sa Tefal avec le manche en bois et il est parti en courant.
-Parti où?
Il a crié Matignon.
-Et merde…

Les sans jours

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Les phraseurs

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S’agissant des hommes qui ont laissé un nom dans l’histoire, on trouve presque toujours des êtres qui disent l’essentiel en peu de mots. À bon entendeur…


Il y a ceux qui, comme Clemenceau et ses célèbres formules : « On les aura » ou « il est plus facile de faire la guerre que la paix », ont un ton naturellement martial. Il y a ceux qui s’inspirent des ordres du jour de Napoléon : « De ces pyramides, cinquante siècles vous contemplent… » ou « Un chef n’est rien sans ses hommes »… Ils pensent que la force d’une idée est d’autant plus grande qu’elle est exprimée brièvement. Plus récemment, on peut citer aussi le général de Gaulle disant « La France a perdu une bataille, mais elle n’a pas perdu la guerre ». Ce genre de phrases crée un choc, c’est pour cela qu’elles frappent ; c’est aussi pour cela que la postérité les retient… Il me semble que s’agissant des hommes qui ont laissé un nom dans l’histoire, on trouve presque toujours des êtres qui disent l’essentiel en peu de mots. Pensons aussi à Churchill résumant sa pensée dans sa célèbre déclaration à la chambre des Communes, après les accords de Munich : « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur, vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre. » Bref, et c’est le cas de le dire, la grandeur apprécie les symboles et aime la brièveté. La discrète croix de Lorraine voisine avec les modestes deux étoiles d’un chef qui, se confiant à André Malraux, ajoute: « Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples »

Tout est dit !

Il me semble qu’avec toutes ces formules, tout est dit sans qu’il soit besoin de disserter longuement, alors que nous sommes aujourd’hui incapables de régler nos problèmes, malgré d’interminables discours… sur les questions de société… ou sur les grands enjeux géopolitiques. Trouver une solution pour 55 pays africains relève du discours sans effet, et l’inscription de l’IVG dans la constitution procède de la manœuvre de diversion.

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On l’a compris : s’il est un conseil à donner à ceux que guette le verbiage, c’est d’aller à l’essentiel en quelques mots, ce qu’avait aussi bien su faire la reine d’Angleterre malgré ses 93 ans. Notre époque est celle du bavardage, pour ne pas dire de la parlotte. Pourtant les Français aiment le langage viril, car c’est le fond de leur caractère. Un président trop souvent bavard, la répétition sans fin des mêmes idées fatigue. On écoute les 10 premières phrases, puis on baisse le son et enfin, on éteint le poste.

D.R.

Gaulois réfractaires

Il convient de choisir sa cible. Si l’on est devant un parterre de penseurs ou de philosophes, l’on peut se permettre d’être disert, mais lorsque l’on s’adresse à un peuple et plus encore à un peuple indiscipliné par nature, il vaut mieux s’interrompre à temps si l’on ne veut pas perdre la face.

Et, pour revenir à Clemenceau: « Les journalistes ne doivent pas oublier qu’une phrase se compose d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Ceux qui voudront user d’un adjectif passeront me voir dans mon bureau. Ceux qui emploieront un adverbe seront foutus à la porte. » Il est curieux de constater que dans la triste affaire du coronavirus comme face à la réforme des retraites, c’est le contraire qui semble avoir été fait : longues explications de texte, discours fumeux, rencontres aussi nombreuses qu’inutiles…

Ah ! j’oubliais un dernier point : les grands hommes aiment le secret, ce qui leur permet de garder toujours quelques armes au feu. À trop dire, le chef se prive de tout ce qu’il aurait pu dire, ou de ce qu’il dira le jour venu lorsque les circonstances auront changé. Il n’est jamais bon d’abattre toutes ses cartes d’un coup… Nous y sommes. Et comme dit la sagesse populaire, le reste n’est que… littérature!

La démonstration par l’absurde

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Jacques Pessis consacre ce soir un documentaire à Pierre Dac, speaker de la France libre et prince des loufoques. Sur France 5 à 22h20


Il y a des parcours qui imposent le respect. On se sent à la fois, petit et reconnaissant, ému et fasciné par cet homme d’1,63 m qui parla à d’autres Français dans des circonstances tragiques. À Londres, il fut un combattant féroce. Sa voix résonne encore dans le poste. Inlassablement, à coups de billets et de chroniques, il mata la confiance de l’occupant et sapa le moral des collabos. Il fut l’ennemi public numéro 1 de Radio-Paris. Philippe Henriot, secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande du gouvernement Laval le poursuivit de sa hargne fétide. Le chansonnier de la France libre lui écrivit la plus belle épitaphe sanglante et victorieuse, quelques jours avant que la Résistance n’abatte ce suppôt d’Hitler dans sa chambre à coucher.

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Pierre Dac (1893-1975) n’a jamais reculé devant ses responsabilités historiques. Déjà, durant la Première Guerre mondiale, dans son uniforme de caporal d’infanterie, il avait laissé sur le champ de bataille, un bras gauche en vrac. Dans les professions récréatives où les hommes de spectacle et de divertissement souvent planqués donnent la leçon aux populations et sont si prompts à professer l’engagement, son exemple est rare. Il fut notre honneur et notre espoir. Blessé, décoré, il s’enorgueillissait même d’être le seul civil membre d’honneur du groupe Lorraine. Il ne pardonnait rien aux résistants de 1945. Cet insolite, mot qu’il chérissait par-dessus tout, né un 15 août comme Napoléon, a toute sa vie pratiqué le « self-défense » et le rire comme arme de destruction massive. Un humour juif patiné par l’ambiance gouailleuse des cabarets montmartrois et mâtiné de fog anglais. Un précurseur de l’absurde et de la dingue diphtongue, d’un sabir chantant et du faussement protocolaire, bien avant Raymond Devos, Coluche, les Nuls ou le GORAFI.

Le parti d’en rire 

En 1969, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission « Radioscopie », il déclarait : « Je porte en moi incontestablement plus de 5 000 ans d’hébraïsme ». Pierre Dac est né André Isaac d’un père boucher, un signe céleste pour celui qui débuta à « La Vache enragée ». Il se destinait à une carrière de violoniste, un éclat d’obus en décida autrement. Plus tard, il avouera qu’il « jouait comme une seringue ». Après divers métiers, chauffeur de taxi maladroit ou représentant de commerce timoré, c’est sur scène, en chansons et en sketchs, que son talent pour détourner les mots va exploser. Jacques Pessis, grand spécialiste de cet artiste majeur aussi iconoclaste que secret, amoureux de sa femme et pionnier de l’humour à la TSF, sorte de professeur Champignac allumé, retrace son existence, vendredi 21 avril sur France 5, dans un documentaire très réussi intitulé « Pierre Dac, le parti d’en rire ». Il n’élude rien des doutes et des succès de l’artiste, de ses huit ans de dépression nerveuse qui aboutirent à une tentative de suicide, de ses difficultés pour rejoindre de Gaulle, de la prison en Espagne, jusqu’au « Sâr Rabindranath Duval » dont la mécanique absurde fonctionne encore aujourd’hui auprès d’un public pourtant biberonné à la virtualité.

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Fondateur de la Société des Loufoques et rédacteur en chef de la revue L’Os à moelle créée en 1938, Pierre Dac est l’inventeur, entre autres, du sandwich au pain et du Schmilblick, ainsi que le rédacteur de petites annonces farfelues comme cette demande d’emploi : « Cuisinière cuisinant mal, cherche place chez ménage hargneux manquant de sujets de scènes de ménage. Se mettra du côté du plus offrant » ou celle-ci: « Timide si vous n’osez pas prendre la Bastille, prenez le train à la gare de la Bastille ». Pour la blague, il lança même un mouvement « le MOU » et posa sa candidature à l’Elysée-Matignon. C’est avec Francis Blanche, son fils spirituel, qu’il demeure dans nos mémoires télévisuelles. Nos parents se souviennent de « Signé Furax », le feuilleton radiophonique qu’il ne fallait rater sous aucun prétexte et de ce mystérieux « boudin sacré ». Ils étaient fous et inspirés, complètement barges comme l’atteste cet épisode au nom improbable : « la villa de la matraque sucrée ». Au cours de ce film, on voit une famille d’esprit se dessiner, Jean Yanne et Claude Piéplu sont de la partie, et on peut le dire : « cet humour nous manque ! ».

Pierre Dac, le parti d’en rire, film de Jacques Pessis – Vendredi 21 avril – 22 h 20 – France 5

Activisme transgenre à l’école: ne pas se taire, ne plus subir

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Pap Ndiaye accompagnait le président Macron dans l’Hérault, aujourd’hui, où des annonces bienvenues sur la rémunération des enseignants étaient attendues. Mais, par ailleurs, en redéfinissant les périmètres du Conseil des sages de la laïcité, le ministre de l’Éducation a suscité de fortes inquiétudes. Et, plus grave encore, le ministre laisse libre cours à la propagande des lobbys trans à l’école. Dans cette tribune, Laurence Trochu alerte.


En écrivant sur ce délicat sujet, je sais d’emblée les risques que j’encours : les accusations infondées de transphobie vont pleuvoir et les associations ad hoc, à grands renforts de financements publics, vont telles des Robin des Bois vouloir faire justice.

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Est-ce une raison pour se taire ? Je ne le crois pas et je ne le veux pas. Féministe ou fémelliste, Secrétaire général de l’Enseignement catholique, Présidente de parti politique, tous nous subissons la censure, les pressions et intimidations à coups de mises en examen, de bannissement des réseaux sociaux et de hargne médiatique. Je pourrais faire le choix de réponses argumentées, précises et détaillées pour affirmer que le rôle de l’école est d’instruire et non d’ouvrir ses portes à des lobbys motivés par des fins militantes et idéologiques. Mais ce n’est pas mon propos. Il faut ici comprendre pourquoi personne ne réussit à refaire de l’école un sanctuaire au sein duquel tous les élèves peuvent apprendre à lire, écrire, compter, raisonner, malgré un budget 2023 de 59 milliards d’euros qui est le premier poste de dépense de l’État. La feuille de route de Pap Ndiaye déclinée ces derniers jours est claire : quotas de mixité sociale dans l’enseignement privé, attention particulière aux « élèves LGBT » accrue dès le mois de mai, redéfinition de la laïcité dont l’objet visera le racisme ou l’égalité homme-femme. Il s’appuie pour cela sur des minorités qui tirent leur puissance de la crainte qu’elles génèrent chez leurs potentiels opposants. 

Les lobbys trans, une stratégie de propagande envers la jeunesse

À la mode en ce moment, les lobbys transaffirmatifs se chargent eux-mêmes d’expliciter leur stratégie de propagande. L’association transactiviste IGLYO (fédération européenne d’associations transaffirmatives), en partenariat avec la fondation Thomson Reuters (spécialiste médias) et Dentons (cabinet d’avocats international) a publié en 2019 un rapport disant clairement que l’approche d’autodétermination diffusée dans les écoles par les programmes scolaires et par la venue des associations en est un point central.

Je salue l’excellent travail de SOS Education qui offre un décryptage très éclairant sur les méthodes, les arguments, les pratiques militantes grâce auxquels la pression est mise sur le système scolaire et le droit français. Tout cela se pare bien évidemment de la vertu, puisqu’y est réaffirmé que c’est pour le bien des jeunes. L’extrait ci-dessous offre un aperçu des mesures les plus emblématiques : « Cibler les jeunes politiciens, démédicaliser la campagne, utiliser des études de cas de personnes réelles, prendre de l’avance sur l’ordre du jour du gouvernement et sur l’histoire des médias, utiliser les droits de l’homme comme argument de campagne, lier votre campagne à une réforme plus populaire … »

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Je pourrais développer les mises en garde d’ordre médical que nous adresse la Suède, premier pays au monde à avoir reconnu dès 1972 le droit des transgenres et qui désormais ne délivre plus de traitements hormonaux aux adolescents. Véritable électrochoc dans ce pays où les parents réticents étaient signalés aux services sociaux pour transphobie, les médecins voient aujourd’hui l’augmentation de risques de cancer, maladies cardiovasculaires et thromboses. Et les patients mutilés se découvrent cobayes sur lesquels ont été menées des expériences sans base scientifique et sans diagnostic fiable. Ils sont confortés par des médecins reconnaissant que des problèmes d’ordre psychique étaient en réalité la cause du mal-être chez des jeunes en quête d’identité. 

Dire le réel, un acte subversif

Je ne ferai rien de tout cela. Je me bats pour qu’on puisse affirmer librement et sans être inquiété que deux et deux font quatre et que la pluie mouille. Ce qui se joue est de cet ordre et la référence à Orwell est ici inévitable : « Le but de la propagande est de produire le découragement des esprits, de persuader chacun de son impuissance à rétablir la vérité autour de soi et de l’inutilité de toute tentative de s’opposer à la diffusion du mensonge. Le but de la propagande est d’obtenir des individus qu’ils renoncent à la contredire, qu’ils n’y songent même plus. » Argumenter en faveur de l’évidence biologique qu’un homme et une femme sont différents, ce serait accepter que les idéologues progressistes qui font profession de détruire les repères de la société ont déjà gagné. Ce serait reconnaître que nous avons l’obligation de voir le monde à travers les lunettes déformantes qu’ils portent. Ce serait admettre de la rationalité dans leurs propos dépourvus de fondements scientifiques. Ce serait affirmer que le réel n’existe pas. Voici donc pourquoi la peur de leurs représailles ne peut et ne doit nous guider. Voici pourquoi il est absolument nécessaire d’enseigner et transmettre des savoirs académiques avec des méthodes éprouvées qui permettent la structuration de la pensée et le développement du jugement critique. C’est en donnant aux élèves les outils pour comprendre le réel que nous les protégerons des idéologies dans « une époque de supercherie universelle où dire la vérité est un acte révolutionnaire. » 

Le genre celtique

En Irlande, les politiques n’osent pas « genrer » les personnes trans par peur d’y laisser leur poste. Même quand il est question de dangereux délinquants sexuels, devenus femmes pour être emprisonnés auprès de ces dernières…


D’où vient le problème des pays celtiques avec le genre ? On se souvient du cas qui a contribué à la démission de la Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon. Adam Graham avait été arrêté en 2019 pour le viol de deux femmes. Entamant une transition de genre sous le nom d’Isla Bryson, « elle » avait été enfermée dans une prison pour femmes, avant que le scandale public qui éclate en janvier oblige les autorités à la transférer dans une prison pour hommes. Lors d’une interview, Sturgeon n’a pas pu dire si Graham/Bryson était un homme ou une femme, ni expliquer pourquoi un homme serait enfermé chez les femmes ou une femme chez les hommes.

Maintenant, c’est le Premier ministre ou « Taoiseach » de la République d’Irlande, Leo Varadkar, qui est confronté au même dilemme. Un homme très violent né Gabriel Alejandro Gentile vient d’être condamné à cinq ans et demi de prison pour avoir menacé de torturer, violer et assassiner sa propre mère. Il avait 15 condamnations antérieures. En 2020, profitant d’une loi datant de 2015, il a pu changer d’identité de genre, sans aucun besoin de diagnostic médical, pour renaître sous le nom improbable de Barbie Kardashian.

« Elle » est ensuite enfermée dans une prison pour femmes où elle est gardée en isolement cellulaire pour éviter tout contact avec d’autres prisonnières. Lors d’une conférence de presse le 21 mars, un journaliste demande à M. Varadkar si cet individu, possesseur d’un pénis, est un homme ou une femme. La question aurait dû être facile pour le Taoiseach qui a fait sa médecine au prestigieux Trinity College de Dublin, mais il a répondu en bredouillant qu’il ne connaissait pas très bien le dossier. Il a quand même ajouté que, si son cas ressemblait à celui d’Isla Bryson, « Barbie Kardashian » serait transféré chez les hommes. Autrefois ultra-catholique, l’Irlande est sous la coupe des militants de l’idéologie de genre. Un nouveau clergé a remplacé l’ancien. Pas sûr que les Irlandais aient gagné au change.

Les jeunes con-platistes

Comparé aux délires complotistes qui circulent sur les réseaux sociaux, le dieudonnisme semble presque raisonnable. Grâce à Facebook, Twitter et TikTok des millions d’abrutis – occidentaux – sont convaincus que la Terre est plate et que Darwin a eu tort. Impossible d’imaginer les conséquences d’un tel abêtissement planétaire.


L’éviction progressive de Dieudonné des plateaux télé, puis des scènes de théâtre, en un mot, la censure qui l’a visé, a-t-elle renforcé la popularité de ses thèses ? Lorsque l’on compare la situation des États-Unis à celle de la France, l’idée selon laquelle les censeurs feraient, en réalité, le jeu du complotisme ne résiste pas à l’analyse. Protégés par le premier amendement de leur Constitution, la large liberté d’expression dont les Américains bénéficient n’empêche nullement les théories complotistes de s’y épanouir aussi bien qu’en Europe. Les délires pédo-satanistes de QAnon démontrent que, censure ou pas, les complotismes fleurissent en toutes circonstances.

29% des utilisateurs de TikTok sont ainsi persuadés que la Terre est plate, 20% que les Américains n’ont jamais marché sur la Lune

Malgré les interdictions qui ont frappé son animateur, le Dieudonnisme a donc pu survivre et se répandre grâce aux réseaux sociaux, outils d’une révolution majeure et pourtant largement impensée. Passer trois heures par jour sur Facebook, Twitter et TikTok a des conséquences cognitives sur chacun des utilisateurs. Et cette nouvelle addiction n’a rien d’anodin pour la collectivité à laquelle est censé appartenir le demeuré qui « scrolle » d’ineptes vidéos à longueur de journée.

Volumes comparés de l’utilisation quotidienne de chaque application. Chiffres moyens en minutes pour les versions Android (2e
trimestre 2022) Source : Sensor Tower Consumer Intelligence

« La mauvaise monnaie chasse la bonne » théorisent les économistes – et il semble en aller de même pour les contenus plébiscités par les tiktokeurs. Les plus abrutissants sont complaisamment mis en avant par des algorithmes dont l’objectif est de vous garder spectateur aussi longtemps que possible – des équations perverses qui déclinent à l’infini ce que vous êtes censé aimer ou penser. Quelle que soit la branche de la bêtise qui vous intéresse, vous trouverez un écosystème riche en contenus, dont quelques influenceurs tirent les ficelles et parfois de substantiels bénéfices. La connerie a certes toujours été une des choses les mieux partagées, mais celle des temps anciens relevait, en comparaison, de l’artisanat local. TikTok et consorts semblent avoir pour projet l’abrutissement de toute une génération, dans des proportions planétaires. Les adultes, notamment ceux qui exercent le pouvoir, ne paraissent pas mesurer le grand abêtissement auquel sont confrontés leurs enfants ni ses conséquences glaçantes. Avec déjà de spectaculaires résultats : 29 % des utilisateurs de TikTok sont ainsi persuadés que la Terre est plate ; 20 % que les Américains n’ont jamais marché sur la Lune, sans parler de ceux, convaincus que Darwin a tort, mais que la Bible ou le Coran (surtout le Coran) a raison.

La situation peut se résumer en un constat aussi simple qu’effrayant : les générations qui arrivent sont statistiquement plus abruties que les précédentes – chez qui les « platistes » sont très marginaux. Une future « élite » bercée par des influenceurs décérébrés, et qui n’aura jamais ouvert un livre, présidera aux destinées d’une humanité persuadée que les pyramides ont été construites par des extra-terrestres – voilà le programme à ce stade.

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Les positions du gouvernement chinois relatives au temps d’exposition aux écrans de la jeunesse en général, en particulier les restrictions imposées à TikTok, devraient nous alerter. Les soupçons d’espionnage qui pèsent désormais sur toute technologie émanant de l’empire du Milieu constituent en eux-mêmes un argument suffisant pour réagir. Huawei fut heureusement écarté du marché de la 5G américaine (par l’horrible, mais lucide Trump), puis par la France et s’apprête à l’être en Allemagne. C’est au tour de TikTok d’être banni des portables des officiels français ou européens. Mais c’est l’utilisation même de l’application qui mérite d’être questionnée, en s’inspirant des restrictions mises en œuvre par l’administration de… Xi Jinping.

Interdire TikTok

En Chine, TikTok se nomme Douyin et se doit de vérifier l’âge de ses utilisateurs. Si l’on a moins de 14 ans, on ne peut la consulter plus de quarante minutes par jour ni après 22 heures. Au bout d’un certain temps, impossible d’enchaîner les vidéos sur un mode boulimique. Une chanson du groupe Phoenix vient s’intercaler et vous chante gentiment, en mandarin, « pose ton smartphone ». ByteDance, propriétaire de Douyin, rémunère par ailleurs des contenus jugés culturellement corrects – des vidéos de danses traditionnelles chinoises, par exemple. Sans aller jusqu’à imposer des séquences de bourrée auvergnate à nos collégiens, il paraît urgent de s’inspirer de mesures qui visent à sauvegarder les neurones des plus jeunes.

S’il est envisageable d’interdire TikTok, la consommation hystérique de vidéos débiles ne s’arrêtera pas pour autant, sauf à simultanément bannir Snapchat, Instagram, Facebook, Twitter et tous les autres. Sans doute l’alliance de la limitation horaire et de la réglementation des algorithmes offrirait-elle des résultats probants. On pourrait, par exemple, obliger les Gafam à proposer aux platistes des contenus leur démontrant que la rotondité de notre planète n’est pas une théorie. Et imposer quelques centaines de millions de dollars d’amende aux réseaux dont les algorithmes continueraient à promouvoir des thèses délirantes. Ces solutions – et d’autres – doivent être inventées, mais aucune n’émergera tant que nous n’aurons pas pris la mesure des dégâts monstrueux infligés par les réseaux sociaux à la connaissance scientifique ou à la sociabilité des générations à venir.

Imaginer que les Chinois utilisent sciemment TikTok pour laver le cerveau des jeunes Occidentaux, tout en limitant les méfaits de Douyin sur les méninges adolescentes chinoises, est-ce déjà du complotisme ? Se pose ainsi la délicate question de l’attribution du label « complotiste » au débat intellectuel. Si le platisme paraît chimiquement assez pur en termes de débilité, chacun voudra affubler les idées qu’il ne partage pas de l’infamant label. Le grand remplacement, le climato-scepticisme, les doutes sur les bienfaits de l’immigration d’un côté, le transgenrisme, le racisme systémique ou l’antispécisme de l’autre. Mais entre les réactionnaires et les progressistes, on sait que le choix des Gafam est fait. La perfection n’étant pas de ce monde, nous pourrions nous contenter d’imposer à leurs démoniaques équations algorithmiques de nous suggérer plus de contenus exposant des thèses contraires à celles que nous semblons chérir. Ce serait un peu comme obliger France Inter à nous passer quelques podcasts de CNews.

La révolution, les urnes et la rue

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Emmanuel de Waresquiel © Photo: Hannah Assouline

La crise profonde que nous vivons n’est pas inédite dans notre histoire. Elle témoigne même d’une longue « tradition » héritée de 1789: la guerre de légitimité entre le peuple et ses gouvernants. Et notre culture privilégiant l’affrontement à la négociation, la politique se fait aussi dans la rue. Nos dirigeants devraient s’en souvenir.


Apollinaire aimait la guerre et son souvenir, comme nous avons la nostalgie des grandes manifestations de notre enfance. Celles d’aujourd’hui sont trop proches pour être poétiques. Je me souviens de ma déception d’avoir été envoyé à 8 ans en Angleterre. C’était en mai 1968. Les écoles étaient en grève et mes parents y avaient vu l’opportunité de m’y faire apprendre les langues étrangères. J’ânonnais celle de Shakespeare quand en France mes petits amis étaient en vacances. Je trouvais cela injuste. Plus tard, je me suis rattrapé. Ah ! les belles manifestations de ma jeunesse, celles contre les lois Savary sur l’université et les grandes écoles en mai 1983, celles de 1986, trois ans plus tard, contre le projet de loi Devaquet. Je n’avais jamais entendu parler de l’un ni de l’autre, je me fichais comme de l’an quarante de ce qu’ils nous voulaient. Ils avaient mis les étudiants dans la rue et c’était comme une grande récréation, des jours d’école buissonnière entre deux cours, à déambuler narines ouvertes le long des grands boulevards. J’étais jeune, il faisait beau, les filles étaient jolies. Elles avaient la démarche légère et mon âme l’était aussi.

Je n’ai repensé à tout cela que bien plus tard et un peu par hasard, au musée d’Orsay, devant un tableau d’André Devambez peint en 1902, l’un de ses plus célèbres, intitulé La Charge. Il représente en une sorte de plongée nocturne hallucinée, un bout du boulevard Montmartre à l’époque des réclames et des premiers réverbères électriques. Le long d’un trottoir animé, un cordon de policier charge un groupe de manifestants réfugiés en une masse confuse et noire dans le bas du tableau. Entre les deux, on ne voit que l’espace lumineux de l’asphalte. Un immense vide.

Ce tableau-là est comme une allégorie de toute notre histoire depuis la Révolution. Il n’y a pas d’autres pays que le nôtre où la politique s’est faite aussi souvent dans la rue et se mesure encore aujourd’hui – n’en déplaise à Emmanuel Macron – à la longueur de ses cortèges. Nous sommes bien les seuls à ne pas nous étonner d’avoir à vivre des semaines entières dans un pays en partie ou totalement bloqué, à la grande stupeur de nos voisins qui nous regardent en souriant comme on le ferait d’une tribu aborigène au fond d’une savane exotique. Les journées non travaillées pour cause de grève sont une tradition française : plus de 300 pour 5 000 salariés en 2010, plus de 150 en 2019, contre six aux États-Unis la même année. Il existe peut-être des raisons à cela. Il faut les regarder du côté de l’histoire.

Tout se passe comme si nous étions encore aujourd’hui les héritiers d’un unique et long affrontement entre deux légitimités : celle des urnes et de la représentation parlementaire ; celle du « peuple », de sa puissance symbolique, de sa souveraineté éminente et de l’expression immédiate de sa volonté.

La rue contre les urnes. Cette opposition-là est vieille de plus de deux siècles. Cela commence sous la Révolution. Quand, le 17 juin 1789, les députés du tiers-état se constituent en Assemblée nationale sans demander au roi son avis, le 14 juillet, le peuple des faubourgs parisiens prend la Bastille. La « nation » d’un côté, le « peuple » de l’autre. Cet antagonisme est au cœur de la Révolution, il en constitue même le combustible, jusque sous la Terreur. À chaque fois que les sans-culottes des 48 sections parisiennes et de la Commune de Paris marchent sur la Convention, en autant de « journées révolutionnaires », le 5 septembre 1792, le 10 mars et le 31 mai 1793, la Révolution se radicalise.

Ce qui s’apparente à un rapport de forces et de violence tout autant qu’à une guerre de légitimités s’est poursuivi, de barricades en barricades, tout au long du xixe siècle : 1830, 1848, la Commune. Puis dans les grandes grèves sociales de la « Belle Époque », dans les manifestations monstres de février 1934, dans celles du Front populaire, jusqu’aux « événements » de 1968. Et cela dure encore.

L’ombre portée de 1789 n’en finit pas de grandir sous le soleil de l’utopie. Certes, notre Révolution n’est pas exceptionnelle, elle s’inscrit dans un cycle long qui touche, dans les années 1780, les colonies anglaises d’Amérique, Genève et la Hollande avec leurs couleurs propres et leurs influences réciproques. Mais elle est « idéale », dans ce sens où elle a été en France comme nulle part ailleurs, à la fois politique et sociale, égalitaire, amnésique, ombrageuse, totalisante et abstraite. En France, les mots précèdent les choses. Tocqueville le note en passant à propos de la révolution de juin 1848, qu’il a vécue de près. Pris en masse, les Français se comportent très souvent en politique comme « un homme de Lettres ». Ils en ont le tempérament et les humeurs. Rien n’a jamais mieux servi leur imaginaire, leurs projets, leurs désirs que les mots. On a fait la révolution au nom du « peuple » de la « liberté », de l’« égalité » mais de quel peuple, de quelle liberté, de quelle égalité parlait-on ? Civile, politique ou sociale ? Dans un tel contexte, ce que François Furet appelle « le tournant égalitaire » de 1789 nous a durablement marqués. Bien sûr, en juin 1789, le « climat », si l’on peut parler de climat, était un peu celui de l’Arcadie : les enthousiasmes, la sincérité, le désintéressement, l’espoir et les promesses de bonheur. Mais on y respirait aussi un air moins printanier : le choc des ambitions, la jalousie et les soupçons, l’intolérance, les vengeances et la haine. La monarchie absolutiste à la française, pour avoir été incapable de se réformer par le haut, de réduire ses privilèges et d’égaliser l’impôt, a fini par accoucher d’une révolution tout aussi absolutiste, au nom des mêmes principes d’unité et d’indivisibilité. Pour ces raisons mêmes, on en était déjà en 1789 aux violences verbales, les massacres de 1793 en moins. Comment dès lors admettre une quelconque opposition ? De 1789 à 1794, décret après décret, l’adversaire s’est tour à tour mué en « contre-révolutionnaire », puis en « suspect », puis en « ennemi du peuple ». Le Tribunal révolutionnaire et la guillotine réglaient la question, quand ce sera plus tard la déportation et aujourd’hui les tribunaux. Nous n’arrivons pas à nous parler.  Toute notre culture politique, qui préfère l’affrontement à la négociation, découle de ce lointain héritage.

Revenons à nos grèves. La conquête et l’occupation durable de l’entreprise ou de la rue – cet espace lumineux et vide que représente Devambez dans son tableau – sont devenues l’expression par excellence de la légitimité du peuple contre la légalité de ses gouvernants. Un véritable enjeu de pouvoir. En juin 1793, les conventionnels en inscrivent même le principe dans leur Constitution, dite « de l’An I ». Souvenez-vous de l’article 35 de leur Déclaration des droits de l’homme : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

De Gaulle s’est réclamé de cette légitimité contre la légalité douteuse du gouvernement de Vichy, à Londres en 1940, au nom de l’« intérêt du pays » et de l’« urgence nationale » – « Si la légalité est défaillante, la légitimité doit s’y substituer. » Et Sartre tout autant, en 1973, lorsqu’il reprend dans les Temps modernes le slogan des manifestants de 1968 : « Élections, piège à cons ! »

Si, aujourd’hui, le principe de la souveraineté du peuple est admis, après avoir été longtemps contesté, celui de la légitimité morale de notre actuelle République « telle qu’elle est constituée » l’est de moins en moins. Au nom même de son idéal et du vertige inatteignable de ce qui la fonde : la liberté, l’égalité, la fraternité, on n’en aura jamais fini de dénoncer, dans l’ombre portée de la légalité, la corruption par l’argent, les « violences » sociales faites aux salariés ou les insuffisances du droit d’élire. Nous serons encore longtemps habités de cette utopie si française.

Alors qu’il était sur le point de commencer à peindre sa Liberté guidant le peuple dans son atelier du 15, quai Voltaire, Delacroix écrivait ceci à son frère, Charles-Henri, le 12 octobre 1830 : « J’ai entrepris un sujet moderne, une barricade […] et si je n’ai pas vaincu pour la patrie, au moins peindrai-je pour elle. Cela m’a remis de belle humeur. » Il ne s’est pas battu pendant les Trois Glorieuses, mais il a fait beaucoup mieux que cela. Une allégorie de notre histoire. Ce qui surplombe en effet sa liberté, c’est l’utopie et c’est l’avenir. Je pense à Victor Hugo, aux Misérables, à Enjolras et à ses compagnons embusqués derrière leur barricade de la rue de la Chanvrerie, tous ces « glorieux combattants de l’avenir », tous ces « confesseurs de l’utopie » des journées sanglantes de juin 1832. Aujourd’hui, nous ne construisons plus de barricades, si ce n’est avec des poubelles ! Les cortèges les ont remplacés, avec leur lot de violences. La réaction de nos gouvernants aussi a changé. On réprime moins, n’en déplaise à certains, on efface. À la fin des années 1990, les voiturettes vertes des services de propreté de la Ville de Paris nettoyaient, à l’arrière des défilés, jusqu’au dernier tract des manifestants. On a un peu plus de mal aujourd’hui à rendre aux boulevards leur netteté insignifiante et bien ordonnée. C’est que les manifestations se suivent en rangs serrés, des Gilets jaunes aux actuels défilés, comme le ressac et les marées. Ce « pays-ci », comme on le disait de la Cour sous l’ancien régime, demeurera longtemps le pays des songes. Exaltés, contradictoires, meurtris. En France, parfois, ce sont les songes qui l’emportent.

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Ganges Potemkine

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Le président Macron visite le collège Louise Michel à Ganges (34), le 20 avril 2023 © PHILIPPE MAGONI/SIPA

Entre demi-vérités et vrai jeu de rôle, par un beau jeudi d’avril, Emmanuel Macron, escorté en silence par Pap Ndiaye, a poursuivi dans l’Hérault sa tentative d’apaisement selon son modus operandi habituel: fausse décontraction de la veste sur l’épaule, éléments de langage et effets d’annonce. Peut-on être convaincu par ses propos sur l’éducation?


Commençons par analyser factuellement le contexte. Sommes-nous vraiment là en milieu rural ? Ganges, à la porte des Cévennes est une ville de 3000 habitants dont la prospérité fut autrefois assurée par l’industrie textile, héritage des filatures de soie d’antan. La concurrence chinoise a, comme chez sa voisine gardoise Le Vigan, détruit ce secteur économique et la petite cité vit aujourd’hui dans la sphère d’influence montpelliéraine. Aux vieilles familles locales sont venus s’ajouter de jeunes cadres et des familles très modestes refoulés là par la flambée des prix de l’immobilier dans la grande métropole distante de 45 kilomètres. Précarité et relatif confort matériel s’y côtoient donc, faisant du lieu une « France périphérique » rurbaine plus qu’un milieu purement rural. Michel Fratissier, maire de Ganges a donc pu, légitimement, évoquer les questions emblématiques des zones géographiques de ce type : fermeture de la maternité, fracture numérique et sécurité. Sans doute par pudeur, cet ancien professeur d’I.U.F.M, que la carrière a pourtant rendu forcément expert sur les difficultés de mises en pratique des consignes de la rue de Grenelle, n’a pas souhaité émettre de doutes sur les annonces pour l’éducation. On  peut cependant comprendre que, lorsque l’on gère une commune où la Macronie, tout à fait par hasard bien sûr, aime à se mettre en scène, l’on ne souhaite contrarier ses hôtes (rappelons la précédente visite en décembre 2021 de Sarah El Haïry à l’école maternelle puis, début 2023, celle annoncée puis annulée de Patricia Mirallès).

Pourtant, des interrogations, il y en a, surtout concernant les niveaux scolaires qui précèdent le collège.

Tout d’abord, l’échec du choc d’attractivité, atteste du fait que l’appréciation du terme « substantiel » diffère du ministère au terrain. Les montants annoncés ne semblent pas de nature à compenser la dégradation des conditions d’exercice du métier. Le gel du point d’indice laisse les plus anciens 20% à 25% en dessous de la rémunération de fin de carrière qu’ils espéraient en entrant dans le métier.

Dégradation continue

Au-delà de cet aspect financier, nombreux sont ceux qui évoquent la perte du sens de leur activité. Depuis Nicolas Sarkozy, tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont contribué à assécher, de façon continue, le flux de transmission des connaissances, principale ambition de tout enseignant. Allègement continu des programmes, suppression de tout livret d’évaluation précis en maternelle au profit de quelques photos des seules réussites, mise en avant du ludique et du sociétal, disparition des R.A.S.E.D.[1], auxiliaires précieux de l’entrée des plus en difficulté dans les disciplines les plus arides, formation continue hors sol… À cela est venue s’ajouter l’ « école inclusive », idée philosophiquement noble ayant accouché d’un monstre, qui conduit les enseignants à s’improviser éducateurs spécialisés, pour des cas de plus en plus lourds, puisque les instituts spécialisés n’accueillent la plupart du temps qu’après six ans, alors que l’âge de l’obligation d’instruction a été ramené à trois ans par Jean-Michel Blanquer.

A lire aussi: Pap Ndiaye, wokiste à temps partiel

A cette dégradation continue, Emmanuel Macron a pris sa part avec l’apparition de pseudos experts, qui ne quittent leur bureau douillet que pour venir réciter des éléments de langage fumeux et proposer de « changer de posture » à des enseignants désespérés de ne plus pouvoir instruire les élèves, occupés qu’ils sont à calmer les crises de tel élève violent ou tel « Enfant à Besoin Educatif Particulier » hurlant sa souffrance d’être si mal pris en charge. Dans un tel contexte, les consignes d’olympiades d’une semaine de Pap Ndiaye, venues s’ajouter à celle de chanter le jour de la rentrée de Jean-Michel Blanquer sont l’ombrelle sur un cocktail explosif.

Les enseignants les plus expérimentés sont les plus mécontents des annonces

Enfin, et cela explique sans doute le choix du collège et non de l’école située juste en face, comme lieu de l’annonce, la part variable liée à des missions supplémentaires semble difficilement accessible aux professeurs des écoles.

Cours de soutien au collège ? Cela ne sera matériellement possible et intéressant financièrement que pour les enseignants proches de l’établissement concerné et hors des horaires de l’école. Il  ne faut pas oublier qu’en école primaire, le temps de présence incompressible devant les élèves est d’au minimum 26 heures : aucune flexibilité dans les plannings possible. Remplacement des collègues ? Les professeurs des écoles assument, depuis toujours, la prise en charge des élèves de leurs collègues absents. Le manque de remplaçants transforme régulièrement une partie des salles de classe en garderie, faisant monter les effectifs à surveiller au-delà de 30 élèves pouvant avoir de trois à 10 ans.  Prise en charge de cours le mercredi ? C’est ce jour là qu’ont lieu les formations, qui, à la différence du secondaire, ne se font que très rarement sur les temps d’enseignement. Il ne restera que les vacances. De nombreux gouvernements ont rêvé de les raccourcir : nous y sommes, et les enseignants, épuisés, écœurés, l’ont bien compris.

À ces réalités-là, Emmanuel Macron ne change donc rien et aucun élément de langage tel que « excellence » n’est de nature à convaincre les professeurs des écoles. Lorsqu’en plus Pap Ndiaye continue, sur Twitter, de ne citer que « les débuts et milieux de carrière », les enseignants les plus expérimentés, ayant passé un concours plus exigeant qu’aujourd’hui, achèvent de désespérer. Ripolinée de frais par les employés de mairie, sécurisée par les chasseurs de casseroles, Ganges n’aura donc été qu’un Neverland de plus où quelques enseignants complices auront contribué à construire un décor d’opérette pour un grand tisonnier venu agiter les braises en prétendant éteindre un incendie.


[1] Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté

Taïwan est plus importante que l’Ukraine

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Un garde devant le Mémorial de Tchang Kaï-chek, Taipei, mars 2023 © UPI/Newscom/SIPA

Avec les nouvelles manœuvres chinoises et la dernière gaffe du président Macron, la question de Taïwan est revenue sur le devant de la scène. Malgré son éloignement géographique, l’avenir de cette île de 23 millions d’habitants nous concerne davantage que l’Ukraine.


Tout d’abord, puisque les dirigeants occidentaux ont inscrit la guerre entre l’Ukraine et la Russie dans le cadre d’un affrontement entre démocratie et autoritarisme, Taiwan est une démocratie accomplie avec une totale liberté de la presse et une alternance régulière au pouvoir. Au contraire, l’Ukraine est une ploutocratie, dominée par quelques oligarques qui se disputent le pouvoir.

Ainsi le célèbre classement des démocraties de The Economist plaçait en 2020 l’Ukraine au 35ème rang européen (avec un score de 5.81 sur 10) et Taïwan au premier rang asiatique (avec un score de 8.94). Taïwan se situe au 11ème rang mondial (devant la France 24ème), l’Ukraine étant… 79ème. Pourtant, indépendante depuis 1991, située aux frontières de l’Union européenne, soutenue par les Occidentaux, l’Ukraine a eu largement le temps de moderniser son système politique, alors que la première élection libre à Taïwan date seulement de 1996. Si la défense de la démocratie est autre chose qu’un slogan visant à justifier les interventions militaires américaines en Irak, en Afghanistan ou en Ukraine, Taïwan mérite d’être défendue autant que l’Ukraine.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Qui est disposé à mourir pour Taïwan — ou pour l’Ukraine?

Ensuite, Taiwan produit 60% des semi-conducteurs mondiaux indispensables aux équipements électroniques des voitures comme des smartphones. Une seule entreprise, TSMC, fabriquait 53% de la production mondiale, en 2022. La destruction de ces usines comme leur contrôle par la Chine auraient des conséquences dévastatrices sur l’économie mondiale et, immédiatement, sur notre niveau de vie.

Enfin, du point de vue géopolitique, l’île asiatique occupe une position bien plus stratégique, à l’extrémité ouest du Pacifique, que le Donbass. Taïwan se situe au centre d’une région qui produit aujourd’hui plus de la moitié du PIB mondial, et qui est devenue la première voie maritime de la planète – mais que Pékin entend contrôler. L’invasion de Formose changerait l’équilibre des forces dans cette région indo-pacifique, et à travers le monde, envoyant le signal que les États-Unis ne sont plus la première puissance mondiale. Les Philippines, l’Indonésie, des pays du Pacifique et bien d’autres par ricochet (jusqu’en Afrique et en Amérique latine), constatant la puissance et la volonté hégémonique chinoise, ou effrayés par elles, risqueraient de basculer dans l’orbite de l’Empire du Milieu et d’aligner leurs politiques étrangère comme intérieure sur ses exigences.

A lire aussi, Jean-Sylvestre Mongrenier: De la Russie à la Chine, Emmanuel Macron et l’illusion de la «puissance d’équilibre»

Laisser entendre comme le président Macron que c’est d’abord l’affaire de la Chine et que l’Europe n’en subirait pas les conséquences est évidemment absurde. À ce niveau de responsabilité, c’est le signe d’un étrange amateurisme. Au contraire, à travers les déclarations de la France et de l’Europe, la Chine doit comprendre qu’elle payerait cher sur les plans économique et diplomatique une invasion de l’île et que, dans ce cas, nous serions les alliés d’une riposte américaine. Le sort de Taïwan dépasse celui de ses habitants qui vivent sous l’anxieuse menace d’une attaque. Défendre la République de Chine (son nom officiel), c’est non seulement défendre la démocratie, mais aussi nos intérêts politiques et économiques.

Le patriarcat, le patriarcat, vous dis-je!

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De gauche à droite : Anne-Cécile Mailfert, Caroline de Haas et Jade Lindgaard. D.R.

Nous savions déjà que les néoféministes préféraient les femmes qui jettent des sorts aux hommes qui construisent des EPR. Dernièrement, nous avons découvert que ces bonnes fées souhaitent désormais réallouer le budget octroyé au SNU à la lutte contre les « féminicides »…


Je ne saurais dire si le SNU (Service National Universel) est une bonne ou une mauvaise chose ; en revanche, je puis affirmer que cela n’a rien à voir avec le service militaire obligatoire d’antan, au contraire de ce que semble penser la militante féministe Anne-Cécile Mailfert.

Durant ce SNU de 12 jours, nos adolescents doivent porter un vêtement uniforme, hisser le drapeau tricolore et chanter la marseillaise, se désole la présidente de la Fondation des femmes lors de sa chronique hebdomadaire sur France Inter le 31 mars dernier. Elle y voit, dit-elle, une résurgence des « cultures patriarcales et militaristes » vouant « un culte aux mêmes contre-valeurs : la hiérarchie, la violence, l’obéissance, l’uniformité, l’autoritarisme et le virilisme ». Ce gauchisme anti-militariste et soixante-huitard libertaire à la petite semaine saupoudré de quelques notions wokes dans l’air du temps est aussi affligeant que les réactions des représentants du syndicat La voix lycéenne et de l’Unef qui considèrent que le SNU ne favorise pas suffisamment « l’engagement associatif, politique ou syndical (1)». Ces jeunes gens confondent apparemment un service national (militaire, universel, républicain, appelez-le comme vous voulez) qui, même mal fagoté, est normalement destiné à renforcer la cohésion sociale en confortant certaines valeurs communes (nationales, patriotiques, républicaines, etc.) et un service de recrutement à destination des syndicats, des associations et des mouvements gauchistes. La présidente de la Fondation des femmes abonde d’ailleurs dans leur sens pour ce qui est des associations.

Deux milliards d’euros que récupérerait bien Caroline de Haas…

Anne-Cécile Mailfert évoque soudainement « le corps des femmes [qui] sont des champs de bataille quand les hommes ne parlent pas de nous en conquêtes ». Quel est le rapport avec le SNU ? Nous comprendrons un peu plus tard que l’évocation étrange de cet hypothétique  champ de ruines corporelles n’a servi qu’à justifier la question de savoir à quoi pourrait bien être employé un des deux milliards d’euros prévus pour le SNU obligatoire, si celui-ci venait à être abandonné sous la pression de cette jeunesse si joyeusement anti-militariste, anti-nationaliste, anti-patriotique et, bien entendu, féministe. « Il suffirait d’un petit milliard pour avoir les moyens d’une vraie politique de lutte contre les féminicides », assure Mme Mailfert. Ce montant magique, il nous semble bien l’avoir déjà entendu quelque part. Mais oui, mais c’est bien sûr : ce milliard, c’est celui que Caroline De Haas réclame à cor et à cri depuis des années, en tout cas depuis qu’elle a créé sa petite entreprise de « conseil, de formation et de communication experte de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la lutte contre les discriminations, de la diversité et de la prévention des violences sexistes et sexuelles ». Caroline De Haas a en effet co-fondé Egae, entreprise à but lucratif et aux méthodes douteuses vivant essentiellement grâce aux contrats passés avec des entreprises ou des établissements publics. Cette entreprise qui se targue de « percuter l’illusion de l’égalité » a surtout bouleversé la vie de quelques hommes soumis à des enquêtes malsaines et très orientées, au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris ou à Télérama, par exemple. Résultat : des ambiances délétères, des procès moscovites, des soupçons ruinant les carrières d’un musicien et d’un journaliste, ce dernier, licencié abusivement, ayant toutefois obtenu que les Prud’hommes condamnent l’hebdomadaire télévisuel à lui verser 90 000 euros à titre de dédommagement. Avant cela, Caroline De Haas avait fondé l’association “Osez le féminisme !” dont… Anne-Cécile Mailfert a été la porte-parole puis la présidente. En 2016, cette dernière, décidément en proie aux idées fixes, a co-écrit le rapport « Où est l’argent pour les droits des femmes ? » En 2019, elle expliquait sans rire au magazine 50/50 : « Une des raisons pour lesquelles ce secteur est sous financé […] c’est le problème du rapport des femmes à l’argent. Les femmes sont dans le soin de l’autre, la générosité, l’altruisme, elles se “sacrifient” pour les autres. Et donc la recherche d’argent pour elles-mêmes, pour leurs projets, n’est pas prioritaire. Il y aussi cette image que les femmes qui cherchent de l’argent sont des femmes vénales. Je pense que c’est une imagination de la domination masculine pour nous empêcher d’aller sur ce terrain-là. » Toujours la même ennuyeuse ritournelle. Notons que pour des gens qui prétendent combattre les stéréotypes, ils n’en manquent pas en magasin. Résumons-nous : le patriarcat, la domination masculine, et tout ça et tout ça, sont la cause de tous les maux. De tous les maux ? De tous les maux ! Comme nous allons pouvoir le vérifier immédiatement.

A lire aussi: Marguerite Stern et Dora Moutot: «Le féminisme actuel a été parasité par l’idéologie transgenre et queer»

La pensée atomique de Jade Lindgaard

Quelques jours plus tard, en effet, Jade Lindgaard, journaliste au pôle écologie de Mediapart, était reçue par Mathieu Vidard dans l’émission écologiste pro-GIEC “La Terre au carré”, sur la radio publique abonnée à toutes les idéologies modernes, j’ai nommé France Inter. Pour mémoire, Jade Lindgaard se distingua en 2017, sur le plateau de l’émission C l’hebdo, en dénonçant l’islamophobie en France et le « système généralisé de racisme dans ce pays », et en expliquant que « l’islamisme, en tant que tel, n’est pas en soi une chose grave, c’est un phénomène qu’il faut comprendre et expliquer ». Cela situe le niveau de réflexion de la dame. Les féministes, explique notre brillante journaliste dans l’émission de Mathieu Vidard, ont été, dès les années 1970, à la pointe de la lutte contre le nucléaire. Passons rapidement sur la confusion entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire savamment entretenue par Mme Lindgaard, pour déboucher directement sur la pensée atomique suivante : « À l’époque, le nucléaire est considéré comme l’incarnation et la célébration du patriarcat. C’est une énergie brutale et hiérarchique, opaque, sur laquelle on n’a aucune prise, qui vous écrase, vous marche dessus, et ne vous laisse pas votre mot à dire. » Sic d’or pour l’ensemble de cette ahurissante allégation dont chaque terme est une bêtise. On est à peu près au niveau des réflexions de Dame Rousseau dénonçant « les relations entre colonialisme, capitalisme et patriarcat » (Par-delà l’androcène, Seuil, 2022) ;ou disant préférer « les femmes qui jettent des sorts plutôt que les hommes qui construisent des EPR » ; ou fustigeant les monstres patriarcaux et virilistes que sont les hommes s’occupant du barbecue ; ou réprimandant une Élisabeth Badinter qui, ayant critiqué ses « révélations » sur Julien Bayou, se voit accusée d’être « du côté de l’ordre tel qu’il est actuellement, qui est un ordre patriarcal » (le Grand entretien, France Inter, 3 octobre 2022).

Sandrine Rousseau lors de la manifestation en soutien aux femmes iraniennes, Paris, le 2 octobre 2022 MUSTAFA SEVGI/SIPA

Chose étrange : plus le patriarcat occidental a des allures de squelette, plus les néoféministes s’acharnent à briser ses inoffensifs osselets – il en est pourtant un autre, plus rudimentaire, plus brutal, plus oriental, plus patriarcalement patriarcal, pourrait-on dire, qui remporte en ce moment un beau succès dans notre pays pourtant historiquement peu enclin à ce genre de « domination », quoi qu’en disent certaines féministes. Mais visiblement, ce patriarcat-là n’intéresse pas beaucoup nos militantes qui préfèrent continuer de vilipender un fantôme, quitte à dire n’importe quoi – ainsi, Dame Rousseau qui, défendant le port du voile sous nos latitudes, pense qu’il y a « plein de motivations pour porter le voile » et que, de toute manière, « à chaque fois qu’on parle du corps des femmes, à chaque fois qu’on parle de la manière dont on doit l’habiller, on sert le patriarcat » (LCP, 4 novembre 2021). Le patriarcat, le patriarcat, vous dis-je.

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[1] Propos relevés dans Politis, 27 février 2023.

Sarko à Matignon

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Paris, mars 2023 © ERIC TSCHAEN / POOL/SIPA

Au-delà de la surprise provoquée par une indiscrétion de l’Obs, on peut trouver dans cette hypothèse une certaine logique. Si Macron doit faire dans la casserole autant qu’il s’adresse au grossiste du marché. Depuis le temps que Sarko se trimballe des casseroles en batterie il distingue à l’oreille l’adhésive de l’anti, le téflon du fer et la céramique du cuivre. Alors Macron lui passe un coup de fil pour lui proposer Matignon…


-Nicolas ça va qu’est-ce que tu fais?
Je regarde le télé-achat.
Arrête!
-Oui oui oui Olé!
-Qu’est ce qui se passe?
Je viens de choper une casserole Mauviel 1830 en cuivre, la Rolls de la casserole.
-Je ne savais pas que tu faisais la cuisine.

En 27 je me présente et je te nomme à Matignon. On se fait une Poutine-Medvedev!

Mais c’est pas pour faire la cuisine, idiot. Tiens y a pas 20 minutes Carla m’a rejoint sur le canapé avec sa guitare et a attaqué lalala. Elle n’est jamais arrivée au refrain. J’ai pris ma petite Tefal en fer, du 12 avec le manche en bois et tic un coup sec dans le cornet. Elle va répéter plus loin et je peux me mater le télé-achat peinard.
-Elle tire des balles ta Téfal?
-Quoi?
Tu as dit du 12!
Putain il est mur, 12 c’est le diamètre de la casserole. Tu as 12, 16, 18 et 20.
-Pour Brigitte il faut du combien?
-Brigitte, heu attends, je calcule. Pour une première fois il lui faut de la céramique. Et vu la surface de son brushing tu vas prendre une De Buyer, au moins du 18.
Je note De Buyer du 18. Et pour Borne?
Borne on s’en fout, tu prends ce que tu as sous la main. Mais une avec le manche en bois. Comme tu pourras plus t’arrêter de frapper, tu as besoin d’ergonomie.

A lire aussi, du même auteur: Le Macron Casse-Rock-and-Roll Show

Génial! Et pour Veran?
Pour le champion il faut du lourd. Une Le Creuset en fonte. Ou une Staub en fonte. Attention ça pèse un Benalla ces trucs-là. Tu attends qu’il dorme pour pas le rater.
-Yes! Et pour N’Diaye?
Tu prends un wok.
-Ouais! Dussopt, Dussopt?
-Celui-là c’est un vicieux, fais-lui à l’envers.
Comment ça à l’envers?
Avec le manche.
Nicolas t’es un génie!
Mais dis-moi, pourquoi tu m’appelais?
Pour te proposer Matignon cet été!
Tu t’es pris un coup de casserole dans le casque à Montpellier?
-Alors?
-C’est ok! Mais tu restes au Château, tu joues à la casserole, je veux pas te voir au milieu. En 27 je me présente et je te nomme à Matignon. On se fait une Poutine-Medvedev!
Nicolas, Nicolas, allo?
Qui c’est? Ici c’est Carla…
C’est Emmanuel, je parlais à…
Il a pris sa Tefal avec le manche en bois et il est parti en courant.
-Parti où?
Il a crié Matignon.
-Et merde…

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Les phraseurs

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Unsplash

S’agissant des hommes qui ont laissé un nom dans l’histoire, on trouve presque toujours des êtres qui disent l’essentiel en peu de mots. À bon entendeur…


Il y a ceux qui, comme Clemenceau et ses célèbres formules : « On les aura » ou « il est plus facile de faire la guerre que la paix », ont un ton naturellement martial. Il y a ceux qui s’inspirent des ordres du jour de Napoléon : « De ces pyramides, cinquante siècles vous contemplent… » ou « Un chef n’est rien sans ses hommes »… Ils pensent que la force d’une idée est d’autant plus grande qu’elle est exprimée brièvement. Plus récemment, on peut citer aussi le général de Gaulle disant « La France a perdu une bataille, mais elle n’a pas perdu la guerre ». Ce genre de phrases crée un choc, c’est pour cela qu’elles frappent ; c’est aussi pour cela que la postérité les retient… Il me semble que s’agissant des hommes qui ont laissé un nom dans l’histoire, on trouve presque toujours des êtres qui disent l’essentiel en peu de mots. Pensons aussi à Churchill résumant sa pensée dans sa célèbre déclaration à la chambre des Communes, après les accords de Munich : « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur, vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre. » Bref, et c’est le cas de le dire, la grandeur apprécie les symboles et aime la brièveté. La discrète croix de Lorraine voisine avec les modestes deux étoiles d’un chef qui, se confiant à André Malraux, ajoute: « Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples »

Tout est dit !

Il me semble qu’avec toutes ces formules, tout est dit sans qu’il soit besoin de disserter longuement, alors que nous sommes aujourd’hui incapables de régler nos problèmes, malgré d’interminables discours… sur les questions de société… ou sur les grands enjeux géopolitiques. Trouver une solution pour 55 pays africains relève du discours sans effet, et l’inscription de l’IVG dans la constitution procède de la manœuvre de diversion.

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On l’a compris : s’il est un conseil à donner à ceux que guette le verbiage, c’est d’aller à l’essentiel en quelques mots, ce qu’avait aussi bien su faire la reine d’Angleterre malgré ses 93 ans. Notre époque est celle du bavardage, pour ne pas dire de la parlotte. Pourtant les Français aiment le langage viril, car c’est le fond de leur caractère. Un président trop souvent bavard, la répétition sans fin des mêmes idées fatigue. On écoute les 10 premières phrases, puis on baisse le son et enfin, on éteint le poste.

D.R.

Gaulois réfractaires

Il convient de choisir sa cible. Si l’on est devant un parterre de penseurs ou de philosophes, l’on peut se permettre d’être disert, mais lorsque l’on s’adresse à un peuple et plus encore à un peuple indiscipliné par nature, il vaut mieux s’interrompre à temps si l’on ne veut pas perdre la face.

Et, pour revenir à Clemenceau: « Les journalistes ne doivent pas oublier qu’une phrase se compose d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Ceux qui voudront user d’un adjectif passeront me voir dans mon bureau. Ceux qui emploieront un adverbe seront foutus à la porte. » Il est curieux de constater que dans la triste affaire du coronavirus comme face à la réforme des retraites, c’est le contraire qui semble avoir été fait : longues explications de texte, discours fumeux, rencontres aussi nombreuses qu’inutiles…

Ah ! j’oubliais un dernier point : les grands hommes aiment le secret, ce qui leur permet de garder toujours quelques armes au feu. À trop dire, le chef se prive de tout ce qu’il aurait pu dire, ou de ce qu’il dira le jour venu lorsque les circonstances auront changé. Il n’est jamais bon d’abattre toutes ses cartes d’un coup… Nous y sommes. Et comme dit la sagesse populaire, le reste n’est que… littérature!

La démonstration par l’absurde

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© France 5

Jacques Pessis consacre ce soir un documentaire à Pierre Dac, speaker de la France libre et prince des loufoques. Sur France 5 à 22h20


Il y a des parcours qui imposent le respect. On se sent à la fois, petit et reconnaissant, ému et fasciné par cet homme d’1,63 m qui parla à d’autres Français dans des circonstances tragiques. À Londres, il fut un combattant féroce. Sa voix résonne encore dans le poste. Inlassablement, à coups de billets et de chroniques, il mata la confiance de l’occupant et sapa le moral des collabos. Il fut l’ennemi public numéro 1 de Radio-Paris. Philippe Henriot, secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande du gouvernement Laval le poursuivit de sa hargne fétide. Le chansonnier de la France libre lui écrivit la plus belle épitaphe sanglante et victorieuse, quelques jours avant que la Résistance n’abatte ce suppôt d’Hitler dans sa chambre à coucher.

A lire aussi: “Guerre”, ou la fabrique du génie

Pierre Dac (1893-1975) n’a jamais reculé devant ses responsabilités historiques. Déjà, durant la Première Guerre mondiale, dans son uniforme de caporal d’infanterie, il avait laissé sur le champ de bataille, un bras gauche en vrac. Dans les professions récréatives où les hommes de spectacle et de divertissement souvent planqués donnent la leçon aux populations et sont si prompts à professer l’engagement, son exemple est rare. Il fut notre honneur et notre espoir. Blessé, décoré, il s’enorgueillissait même d’être le seul civil membre d’honneur du groupe Lorraine. Il ne pardonnait rien aux résistants de 1945. Cet insolite, mot qu’il chérissait par-dessus tout, né un 15 août comme Napoléon, a toute sa vie pratiqué le « self-défense » et le rire comme arme de destruction massive. Un humour juif patiné par l’ambiance gouailleuse des cabarets montmartrois et mâtiné de fog anglais. Un précurseur de l’absurde et de la dingue diphtongue, d’un sabir chantant et du faussement protocolaire, bien avant Raymond Devos, Coluche, les Nuls ou le GORAFI.

Le parti d’en rire 

En 1969, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission « Radioscopie », il déclarait : « Je porte en moi incontestablement plus de 5 000 ans d’hébraïsme ». Pierre Dac est né André Isaac d’un père boucher, un signe céleste pour celui qui débuta à « La Vache enragée ». Il se destinait à une carrière de violoniste, un éclat d’obus en décida autrement. Plus tard, il avouera qu’il « jouait comme une seringue ». Après divers métiers, chauffeur de taxi maladroit ou représentant de commerce timoré, c’est sur scène, en chansons et en sketchs, que son talent pour détourner les mots va exploser. Jacques Pessis, grand spécialiste de cet artiste majeur aussi iconoclaste que secret, amoureux de sa femme et pionnier de l’humour à la TSF, sorte de professeur Champignac allumé, retrace son existence, vendredi 21 avril sur France 5, dans un documentaire très réussi intitulé « Pierre Dac, le parti d’en rire ». Il n’élude rien des doutes et des succès de l’artiste, de ses huit ans de dépression nerveuse qui aboutirent à une tentative de suicide, de ses difficultés pour rejoindre de Gaulle, de la prison en Espagne, jusqu’au « Sâr Rabindranath Duval » dont la mécanique absurde fonctionne encore aujourd’hui auprès d’un public pourtant biberonné à la virtualité.

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Fondateur de la Société des Loufoques et rédacteur en chef de la revue L’Os à moelle créée en 1938, Pierre Dac est l’inventeur, entre autres, du sandwich au pain et du Schmilblick, ainsi que le rédacteur de petites annonces farfelues comme cette demande d’emploi : « Cuisinière cuisinant mal, cherche place chez ménage hargneux manquant de sujets de scènes de ménage. Se mettra du côté du plus offrant » ou celle-ci: « Timide si vous n’osez pas prendre la Bastille, prenez le train à la gare de la Bastille ». Pour la blague, il lança même un mouvement « le MOU » et posa sa candidature à l’Elysée-Matignon. C’est avec Francis Blanche, son fils spirituel, qu’il demeure dans nos mémoires télévisuelles. Nos parents se souviennent de « Signé Furax », le feuilleton radiophonique qu’il ne fallait rater sous aucun prétexte et de ce mystérieux « boudin sacré ». Ils étaient fous et inspirés, complètement barges comme l’atteste cet épisode au nom improbable : « la villa de la matraque sucrée ». Au cours de ce film, on voit une famille d’esprit se dessiner, Jean Yanne et Claude Piéplu sont de la partie, et on peut le dire : « cet humour nous manque ! ».

Pierre Dac, le parti d’en rire, film de Jacques Pessis – Vendredi 21 avril – 22 h 20 – France 5

Activisme transgenre à l’école: ne pas se taire, ne plus subir

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Pap Ndiaye et Emmanuel Macron en visite dans une école à Ganges (34), le 20 avril 2023 © PHILIPPE MAGONI/SIPA

Pap Ndiaye accompagnait le président Macron dans l’Hérault, aujourd’hui, où des annonces bienvenues sur la rémunération des enseignants étaient attendues. Mais, par ailleurs, en redéfinissant les périmètres du Conseil des sages de la laïcité, le ministre de l’Éducation a suscité de fortes inquiétudes. Et, plus grave encore, le ministre laisse libre cours à la propagande des lobbys trans à l’école. Dans cette tribune, Laurence Trochu alerte.


En écrivant sur ce délicat sujet, je sais d’emblée les risques que j’encours : les accusations infondées de transphobie vont pleuvoir et les associations ad hoc, à grands renforts de financements publics, vont telles des Robin des Bois vouloir faire justice.

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Est-ce une raison pour se taire ? Je ne le crois pas et je ne le veux pas. Féministe ou fémelliste, Secrétaire général de l’Enseignement catholique, Présidente de parti politique, tous nous subissons la censure, les pressions et intimidations à coups de mises en examen, de bannissement des réseaux sociaux et de hargne médiatique. Je pourrais faire le choix de réponses argumentées, précises et détaillées pour affirmer que le rôle de l’école est d’instruire et non d’ouvrir ses portes à des lobbys motivés par des fins militantes et idéologiques. Mais ce n’est pas mon propos. Il faut ici comprendre pourquoi personne ne réussit à refaire de l’école un sanctuaire au sein duquel tous les élèves peuvent apprendre à lire, écrire, compter, raisonner, malgré un budget 2023 de 59 milliards d’euros qui est le premier poste de dépense de l’État. La feuille de route de Pap Ndiaye déclinée ces derniers jours est claire : quotas de mixité sociale dans l’enseignement privé, attention particulière aux « élèves LGBT » accrue dès le mois de mai, redéfinition de la laïcité dont l’objet visera le racisme ou l’égalité homme-femme. Il s’appuie pour cela sur des minorités qui tirent leur puissance de la crainte qu’elles génèrent chez leurs potentiels opposants. 

Les lobbys trans, une stratégie de propagande envers la jeunesse

À la mode en ce moment, les lobbys transaffirmatifs se chargent eux-mêmes d’expliciter leur stratégie de propagande. L’association transactiviste IGLYO (fédération européenne d’associations transaffirmatives), en partenariat avec la fondation Thomson Reuters (spécialiste médias) et Dentons (cabinet d’avocats international) a publié en 2019 un rapport disant clairement que l’approche d’autodétermination diffusée dans les écoles par les programmes scolaires et par la venue des associations en est un point central.

Je salue l’excellent travail de SOS Education qui offre un décryptage très éclairant sur les méthodes, les arguments, les pratiques militantes grâce auxquels la pression est mise sur le système scolaire et le droit français. Tout cela se pare bien évidemment de la vertu, puisqu’y est réaffirmé que c’est pour le bien des jeunes. L’extrait ci-dessous offre un aperçu des mesures les plus emblématiques : « Cibler les jeunes politiciens, démédicaliser la campagne, utiliser des études de cas de personnes réelles, prendre de l’avance sur l’ordre du jour du gouvernement et sur l’histoire des médias, utiliser les droits de l’homme comme argument de campagne, lier votre campagne à une réforme plus populaire … »

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Je pourrais développer les mises en garde d’ordre médical que nous adresse la Suède, premier pays au monde à avoir reconnu dès 1972 le droit des transgenres et qui désormais ne délivre plus de traitements hormonaux aux adolescents. Véritable électrochoc dans ce pays où les parents réticents étaient signalés aux services sociaux pour transphobie, les médecins voient aujourd’hui l’augmentation de risques de cancer, maladies cardiovasculaires et thromboses. Et les patients mutilés se découvrent cobayes sur lesquels ont été menées des expériences sans base scientifique et sans diagnostic fiable. Ils sont confortés par des médecins reconnaissant que des problèmes d’ordre psychique étaient en réalité la cause du mal-être chez des jeunes en quête d’identité. 

Dire le réel, un acte subversif

Je ne ferai rien de tout cela. Je me bats pour qu’on puisse affirmer librement et sans être inquiété que deux et deux font quatre et que la pluie mouille. Ce qui se joue est de cet ordre et la référence à Orwell est ici inévitable : « Le but de la propagande est de produire le découragement des esprits, de persuader chacun de son impuissance à rétablir la vérité autour de soi et de l’inutilité de toute tentative de s’opposer à la diffusion du mensonge. Le but de la propagande est d’obtenir des individus qu’ils renoncent à la contredire, qu’ils n’y songent même plus. » Argumenter en faveur de l’évidence biologique qu’un homme et une femme sont différents, ce serait accepter que les idéologues progressistes qui font profession de détruire les repères de la société ont déjà gagné. Ce serait reconnaître que nous avons l’obligation de voir le monde à travers les lunettes déformantes qu’ils portent. Ce serait admettre de la rationalité dans leurs propos dépourvus de fondements scientifiques. Ce serait affirmer que le réel n’existe pas. Voici donc pourquoi la peur de leurs représailles ne peut et ne doit nous guider. Voici pourquoi il est absolument nécessaire d’enseigner et transmettre des savoirs académiques avec des méthodes éprouvées qui permettent la structuration de la pensée et le développement du jugement critique. C’est en donnant aux élèves les outils pour comprendre le réel que nous les protégerons des idéologies dans « une époque de supercherie universelle où dire la vérité est un acte révolutionnaire. » 

Le genre celtique

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© D.R.

En Irlande, les politiques n’osent pas « genrer » les personnes trans par peur d’y laisser leur poste. Même quand il est question de dangereux délinquants sexuels, devenus femmes pour être emprisonnés auprès de ces dernières…


D’où vient le problème des pays celtiques avec le genre ? On se souvient du cas qui a contribué à la démission de la Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon. Adam Graham avait été arrêté en 2019 pour le viol de deux femmes. Entamant une transition de genre sous le nom d’Isla Bryson, « elle » avait été enfermée dans une prison pour femmes, avant que le scandale public qui éclate en janvier oblige les autorités à la transférer dans une prison pour hommes. Lors d’une interview, Sturgeon n’a pas pu dire si Graham/Bryson était un homme ou une femme, ni expliquer pourquoi un homme serait enfermé chez les femmes ou une femme chez les hommes.

Maintenant, c’est le Premier ministre ou « Taoiseach » de la République d’Irlande, Leo Varadkar, qui est confronté au même dilemme. Un homme très violent né Gabriel Alejandro Gentile vient d’être condamné à cinq ans et demi de prison pour avoir menacé de torturer, violer et assassiner sa propre mère. Il avait 15 condamnations antérieures. En 2020, profitant d’une loi datant de 2015, il a pu changer d’identité de genre, sans aucun besoin de diagnostic médical, pour renaître sous le nom improbable de Barbie Kardashian.

« Elle » est ensuite enfermée dans une prison pour femmes où elle est gardée en isolement cellulaire pour éviter tout contact avec d’autres prisonnières. Lors d’une conférence de presse le 21 mars, un journaliste demande à M. Varadkar si cet individu, possesseur d’un pénis, est un homme ou une femme. La question aurait dû être facile pour le Taoiseach qui a fait sa médecine au prestigieux Trinity College de Dublin, mais il a répondu en bredouillant qu’il ne connaissait pas très bien le dossier. Il a quand même ajouté que, si son cas ressemblait à celui d’Isla Bryson, « Barbie Kardashian » serait transféré chez les hommes. Autrefois ultra-catholique, l’Irlande est sous la coupe des militants de l’idéologie de genre. Un nouveau clergé a remplacé l’ancien. Pas sûr que les Irlandais aient gagné au change.

Les jeunes con-platistes

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D.R.

Comparé aux délires complotistes qui circulent sur les réseaux sociaux, le dieudonnisme semble presque raisonnable. Grâce à Facebook, Twitter et TikTok des millions d’abrutis – occidentaux – sont convaincus que la Terre est plate et que Darwin a eu tort. Impossible d’imaginer les conséquences d’un tel abêtissement planétaire.


L’éviction progressive de Dieudonné des plateaux télé, puis des scènes de théâtre, en un mot, la censure qui l’a visé, a-t-elle renforcé la popularité de ses thèses ? Lorsque l’on compare la situation des États-Unis à celle de la France, l’idée selon laquelle les censeurs feraient, en réalité, le jeu du complotisme ne résiste pas à l’analyse. Protégés par le premier amendement de leur Constitution, la large liberté d’expression dont les Américains bénéficient n’empêche nullement les théories complotistes de s’y épanouir aussi bien qu’en Europe. Les délires pédo-satanistes de QAnon démontrent que, censure ou pas, les complotismes fleurissent en toutes circonstances.

29% des utilisateurs de TikTok sont ainsi persuadés que la Terre est plate, 20% que les Américains n’ont jamais marché sur la Lune

Malgré les interdictions qui ont frappé son animateur, le Dieudonnisme a donc pu survivre et se répandre grâce aux réseaux sociaux, outils d’une révolution majeure et pourtant largement impensée. Passer trois heures par jour sur Facebook, Twitter et TikTok a des conséquences cognitives sur chacun des utilisateurs. Et cette nouvelle addiction n’a rien d’anodin pour la collectivité à laquelle est censé appartenir le demeuré qui « scrolle » d’ineptes vidéos à longueur de journée.

Volumes comparés de l’utilisation quotidienne de chaque application. Chiffres moyens en minutes pour les versions Android (2e
trimestre 2022) Source : Sensor Tower Consumer Intelligence

« La mauvaise monnaie chasse la bonne » théorisent les économistes – et il semble en aller de même pour les contenus plébiscités par les tiktokeurs. Les plus abrutissants sont complaisamment mis en avant par des algorithmes dont l’objectif est de vous garder spectateur aussi longtemps que possible – des équations perverses qui déclinent à l’infini ce que vous êtes censé aimer ou penser. Quelle que soit la branche de la bêtise qui vous intéresse, vous trouverez un écosystème riche en contenus, dont quelques influenceurs tirent les ficelles et parfois de substantiels bénéfices. La connerie a certes toujours été une des choses les mieux partagées, mais celle des temps anciens relevait, en comparaison, de l’artisanat local. TikTok et consorts semblent avoir pour projet l’abrutissement de toute une génération, dans des proportions planétaires. Les adultes, notamment ceux qui exercent le pouvoir, ne paraissent pas mesurer le grand abêtissement auquel sont confrontés leurs enfants ni ses conséquences glaçantes. Avec déjà de spectaculaires résultats : 29 % des utilisateurs de TikTok sont ainsi persuadés que la Terre est plate ; 20 % que les Américains n’ont jamais marché sur la Lune, sans parler de ceux, convaincus que Darwin a tort, mais que la Bible ou le Coran (surtout le Coran) a raison.

La situation peut se résumer en un constat aussi simple qu’effrayant : les générations qui arrivent sont statistiquement plus abruties que les précédentes – chez qui les « platistes » sont très marginaux. Une future « élite » bercée par des influenceurs décérébrés, et qui n’aura jamais ouvert un livre, présidera aux destinées d’une humanité persuadée que les pyramides ont été construites par des extra-terrestres – voilà le programme à ce stade.

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Les positions du gouvernement chinois relatives au temps d’exposition aux écrans de la jeunesse en général, en particulier les restrictions imposées à TikTok, devraient nous alerter. Les soupçons d’espionnage qui pèsent désormais sur toute technologie émanant de l’empire du Milieu constituent en eux-mêmes un argument suffisant pour réagir. Huawei fut heureusement écarté du marché de la 5G américaine (par l’horrible, mais lucide Trump), puis par la France et s’apprête à l’être en Allemagne. C’est au tour de TikTok d’être banni des portables des officiels français ou européens. Mais c’est l’utilisation même de l’application qui mérite d’être questionnée, en s’inspirant des restrictions mises en œuvre par l’administration de… Xi Jinping.

Interdire TikTok

En Chine, TikTok se nomme Douyin et se doit de vérifier l’âge de ses utilisateurs. Si l’on a moins de 14 ans, on ne peut la consulter plus de quarante minutes par jour ni après 22 heures. Au bout d’un certain temps, impossible d’enchaîner les vidéos sur un mode boulimique. Une chanson du groupe Phoenix vient s’intercaler et vous chante gentiment, en mandarin, « pose ton smartphone ». ByteDance, propriétaire de Douyin, rémunère par ailleurs des contenus jugés culturellement corrects – des vidéos de danses traditionnelles chinoises, par exemple. Sans aller jusqu’à imposer des séquences de bourrée auvergnate à nos collégiens, il paraît urgent de s’inspirer de mesures qui visent à sauvegarder les neurones des plus jeunes.

S’il est envisageable d’interdire TikTok, la consommation hystérique de vidéos débiles ne s’arrêtera pas pour autant, sauf à simultanément bannir Snapchat, Instagram, Facebook, Twitter et tous les autres. Sans doute l’alliance de la limitation horaire et de la réglementation des algorithmes offrirait-elle des résultats probants. On pourrait, par exemple, obliger les Gafam à proposer aux platistes des contenus leur démontrant que la rotondité de notre planète n’est pas une théorie. Et imposer quelques centaines de millions de dollars d’amende aux réseaux dont les algorithmes continueraient à promouvoir des thèses délirantes. Ces solutions – et d’autres – doivent être inventées, mais aucune n’émergera tant que nous n’aurons pas pris la mesure des dégâts monstrueux infligés par les réseaux sociaux à la connaissance scientifique ou à la sociabilité des générations à venir.

Imaginer que les Chinois utilisent sciemment TikTok pour laver le cerveau des jeunes Occidentaux, tout en limitant les méfaits de Douyin sur les méninges adolescentes chinoises, est-ce déjà du complotisme ? Se pose ainsi la délicate question de l’attribution du label « complotiste » au débat intellectuel. Si le platisme paraît chimiquement assez pur en termes de débilité, chacun voudra affubler les idées qu’il ne partage pas de l’infamant label. Le grand remplacement, le climato-scepticisme, les doutes sur les bienfaits de l’immigration d’un côté, le transgenrisme, le racisme systémique ou l’antispécisme de l’autre. Mais entre les réactionnaires et les progressistes, on sait que le choix des Gafam est fait. La perfection n’étant pas de ce monde, nous pourrions nous contenter d’imposer à leurs démoniaques équations algorithmiques de nous suggérer plus de contenus exposant des thèses contraires à celles que nous semblons chérir. Ce serait un peu comme obliger France Inter à nous passer quelques podcasts de CNews.