En Irlande, les politiques n’osent pas « genrer » les personnes trans par peur d’y laisser leur poste. Même quand il est question de dangereux délinquants sexuels, devenus femmes pour être emprisonnés auprès de ces dernières…
D’où vient le problème des pays celtiques avec le genre ? On se souvient du cas qui a contribué à la démission de la Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon. Adam Graham avait été arrêté en 2019 pour le viol de deux femmes. Entamant une transition de genre sous le nom d’Isla Bryson, « elle » avait été enfermée dans une prison pour femmes, avant que le scandale public qui éclate en janvier oblige les autorités à la transférer dans une prison pour hommes. Lors d’une interview, Sturgeon n’a pas pu dire si Graham/Bryson était un homme ou une femme, ni expliquer pourquoi un homme serait enfermé chez les femmes ou une femme chez les hommes.
Maintenant, c’est le Premier ministre ou « Taoiseach » de la République d’Irlande, Leo Varadkar, qui est confronté au même dilemme. Un homme très violent né Gabriel Alejandro Gentile vient d’être condamné à cinq ans et demi de prison pour avoir menacé de torturer, violer et assassiner sa propre mère. Il avait 15 condamnations antérieures. En 2020, profitant d’une loi datant de 2015, il a pu changer d’identité de genre, sans aucun besoin de diagnostic médical, pour renaître sous le nom improbable de Barbie Kardashian.
« Elle » est ensuite enfermée dans une prison pour femmes où elle est gardée en isolement cellulaire pour éviter tout contact avec d’autres prisonnières. Lors d’une conférence de presse le 21 mars, un journaliste demande à M. Varadkar si cet individu, possesseur d’un pénis, est un homme ou une femme. La question aurait dû être facile pour le Taoiseach qui a fait sa médecine au prestigieux Trinity College de Dublin, mais il a répondu en bredouillant qu’il ne connaissait pas très bien le dossier. Il a quand même ajouté que, si son cas ressemblait à celui d’Isla Bryson, « Barbie Kardashian » serait transféré chez les hommes. Autrefois ultra-catholique, l’Irlande est sous la coupe des militants de l’idéologie de genre. Un nouveau clergé a remplacé l’ancien. Pas sûr que les Irlandais aient gagné au change.
Comparé aux délires complotistes qui circulent sur les réseaux sociaux, le dieudonnisme semble presque raisonnable. Grâce à Facebook, Twitter et TikTok des millions d’abrutis – occidentaux – sont convaincus que la Terre est plate et que Darwin a eu tort. Impossible d’imaginer les conséquences d’un tel abêtissement planétaire.
L’éviction progressive de Dieudonné des plateaux télé, puis des scènes de théâtre, en un mot, la censure qui l’a visé, a-t-elle renforcé la popularité de ses thèses ? Lorsque l’on compare la situation des États-Unis à celle de la France, l’idée selon laquelle les censeurs feraient, en réalité, le jeu du complotisme ne résiste pas à l’analyse. Protégés par le premier amendement de leur Constitution, la large liberté d’expression dont les Américains bénéficient n’empêche nullement les théories complotistes de s’y épanouir aussi bien qu’en Europe. Les délires pédo-satanistes de QAnon démontrent que, censure ou pas, les complotismes fleurissent en toutes circonstances.
29% des utilisateurs de TikTok sont ainsi persuadés que la Terre est plate, 20% que les Américains n’ont jamais marché sur la Lune
Malgré les interdictions qui ont frappé son animateur, le Dieudonnisme a donc pu survivre et se répandre grâce aux réseaux sociaux, outils d’une révolution majeure et pourtant largement impensée. Passer trois heures par jour sur Facebook, Twitter et TikTok a des conséquences cognitives sur chacun des utilisateurs. Et cette nouvelle addiction n’a rien d’anodin pour la collectivité à laquelle est censé appartenir le demeuré qui « scrolle » d’ineptes vidéos à longueur de journée.
Volumes comparés de l’utilisation quotidienne de chaque application. Chiffres moyens en minutes pour les versions Android (2e trimestre 2022) Source : Sensor Tower Consumer Intelligence
« La mauvaise monnaie chasse la bonne » théorisent les économistes – et il semble en aller de même pour les contenus plébiscités par les tiktokeurs. Les plus abrutissants sont complaisamment mis en avant par des algorithmes dont l’objectif est de vous garder spectateur aussi longtemps que possible – des équations perverses qui déclinent à l’infini ce que vous êtes censé aimer ou penser. Quelle que soit la branche de la bêtise qui vous intéresse, vous trouverez un écosystème riche en contenus, dont quelques influenceurs tirent les ficelles et parfois de substantiels bénéfices. La connerie a certes toujours été une des choses les mieux partagées, mais celle des temps anciens relevait, en comparaison, de l’artisanat local. TikTok et consorts semblent avoir pour projet l’abrutissement de toute une génération, dans des proportions planétaires. Les adultes, notamment ceux qui exercent le pouvoir, ne paraissent pas mesurer le grand abêtissement auquel sont confrontés leurs enfants ni ses conséquences glaçantes. Avec déjà de spectaculaires résultats : 29 % des utilisateurs de TikTok sont ainsi persuadés que la Terre est plate ; 20 % que les Américains n’ont jamais marché sur la Lune, sans parler de ceux, convaincus que Darwin a tort, mais que la Bible ou le Coran (surtout le Coran) a raison.
La situation peut se résumer en un constat aussi simple qu’effrayant : les générations qui arrivent sont statistiquement plus abruties que les précédentes – chez qui les « platistes » sont très marginaux. Une future « élite » bercée par des influenceurs décérébrés, et qui n’aura jamais ouvert un livre, présidera aux destinées d’une humanité persuadée que les pyramides ont été construites par des extra-terrestres – voilà le programme à ce stade.
Les positions du gouvernement chinois relatives au temps d’exposition aux écrans de la jeunesse en général, en particulier les restrictions imposées à TikTok, devraient nous alerter. Les soupçons d’espionnage qui pèsent désormais sur toute technologie émanant de l’empire du Milieu constituent en eux-mêmes un argument suffisant pour réagir. Huawei fut heureusement écarté du marché de la 5G américaine (par l’horrible, mais lucide Trump), puis par la France et s’apprête à l’être en Allemagne. C’est au tour de TikTok d’être banni des portables des officiels français ou européens. Mais c’est l’utilisation même de l’application qui mérite d’être questionnée, en s’inspirant des restrictions mises en œuvre par l’administration de… Xi Jinping.
Interdire TikTok
En Chine, TikTok se nomme Douyin et se doit de vérifier l’âge de ses utilisateurs. Si l’on a moins de 14 ans, on ne peut la consulter plus de quarante minutes par jour ni après 22 heures. Au bout d’un certain temps, impossible d’enchaîner les vidéos sur un mode boulimique. Une chanson du groupe Phoenix vient s’intercaler et vous chante gentiment, en mandarin, « pose ton smartphone ». ByteDance, propriétaire de Douyin, rémunère par ailleurs des contenus jugés culturellement corrects – des vidéos de danses traditionnelles chinoises, par exemple. Sans aller jusqu’à imposer des séquences de bourrée auvergnate à nos collégiens, il paraît urgent de s’inspirer de mesures qui visent à sauvegarder les neurones des plus jeunes.
S’il est envisageable d’interdire TikTok, la consommation hystérique de vidéos débiles ne s’arrêtera pas pour autant, sauf à simultanément bannir Snapchat, Instagram, Facebook, Twitter et tous les autres. Sans doute l’alliance de la limitation horaire et de la réglementation des algorithmes offrirait-elle des résultats probants. On pourrait, par exemple, obliger les Gafam à proposer aux platistes des contenus leur démontrant que la rotondité de notre planète n’est pas une théorie. Et imposer quelques centaines de millions de dollars d’amende aux réseaux dont les algorithmes continueraient à promouvoir des thèses délirantes. Ces solutions – et d’autres – doivent être inventées, mais aucune n’émergera tant que nous n’aurons pas pris la mesure des dégâts monstrueux infligés par les réseaux sociaux à la connaissance scientifique ou à la sociabilité des générations à venir.
Imaginer que les Chinois utilisent sciemment TikTok pour laver le cerveau des jeunes Occidentaux, tout en limitant les méfaits de Douyin sur les méninges adolescentes chinoises, est-ce déjà du complotisme ? Se pose ainsi la délicate question de l’attribution du label « complotiste » au débat intellectuel. Si le platisme paraît chimiquement assez pur en termes de débilité, chacun voudra affubler les idées qu’il ne partage pas de l’infamant label. Le grand remplacement, le climato-scepticisme, les doutes sur les bienfaits de l’immigration d’un côté, le transgenrisme, le racisme systémique ou l’antispécisme de l’autre. Mais entre les réactionnaires et les progressistes, on sait que le choix des Gafam est fait. La perfection n’étant pas de ce monde, nous pourrions nous contenter d’imposer à leurs démoniaques équations algorithmiques de nous suggérer plus de contenus exposant des thèses contraires à celles que nous semblons chérir. Ce serait un peu comme obliger France Inter à nous passer quelques podcasts de CNews.
« Les changements étaient nécessaires », a assuré Emmanuel Macron lundi soir à la télévision pour clore sa réforme des retraites. Le soir même il déambulait dans les rues de Paris après avoir dîné à La Rotondeavec son épouse, à sa table habituelle au fond de la salle.
Un dernier chant avant l’effondrement
Il ira même jusqu’à pousser la chansonnette avec un groupe de jeunes Pyrénéens – qualifiés depuis d’ « extrême droite » par la maréchaussée médiatique à cause de leur enracinement culturel – croisés rue de Rennes. La désinvolture est ce qui caractérise le macronisme, réduit au comportement erratique (le « en même temps ») d’un homme seul et déconnecté. Car il ne suffit pas de flâner le soir, sous la protection de gardes du corps, pour faire oublier le bunker qu’est le palais de l’Élysée abritant son reclus. « Ne rien lâcher, c’est ma devise », a fanfaronné le vainqueur des syndicats et des protestataires tout en annonçant « cent jours d’apaisement, d’unité et d’action au service de la France » : une jactance commune aux esprits embrumés, débitant des « rames de lieux communs farcis de destin, de nécessité, de droit des choses » (Chateaubriand, parlant de Fouché). Derrière la réforme des retraites, c’est l’effondrement du pays qui s’accélère sous la férule d’un président indifférent aux enjeux civilisationnels et méprisant le peuple.
Le volontarisme présidentiel est un leurre. Il relève de la théâtrocratie, cette autre caractéristique du macronisme en déroute. À quoi bon repousser l’âge de départ à la retraite à 64 ans tandis que rien n’a jamais été fait pour désendetter et moderniser l’État ? Vertigineux sont les désastres qui partout s’accumulent. Ils ne mobilisent pas pour autant le chef de l’État, incapable de poser un diagnostic sur les maux dont souffre la nation. Face au défi posé par l’immigration légale, Macron a seulement promis lundi de mieux « contrôler l’immigration illégale », ce qui est la moindre des choses. Bruno Le Maire a enfin découvert, à cette occasion, la nécessité de lutter contre les fraudes sociales entretenues notamment par les flux du Maghreb, ce qui lui a valu d’ailleurs d’être accusé sottement de « mobiliser des préjugés racistes » par Olivier Faure (PS). Quant à l’école sinistrée, Pap NDiaye va s’employer à lui appuyer un peu plus la tête sous l’eau. Non content de vouloir imposer à l’école privée sous contrat, coupable de fonctionner encore, des quotas de mixité sociale au lieu de corriger les abandons de l’école publique, le ministre de l’Éducation entend rendre les armes dans le combat pour la laïcité. Le Conseil des sages de la laïcité, créé en 2018 par Jean-Michel Blanquer pour résister aux offensives islamistes, vient en effet de voir sa mission s’élargir aux luttes contre le racisme, l’antisémitisme, la discrimination : des arguments permettant au séparatisme coranique de se présenter en victime d’une « laïcité de combat ». Macron ? Le naufrageur de la France.
C’est un fait, notre chroniqueur aime les femmes longilignes aux jambes fuselées et aux yeux verts. D’aimables potiches? Pas même: Amy Elisabeth Thorpe, dite Betty Pack, dite Cynthia (son nom de code au SOE, Special Operation Executive) est peut-être une gourgandine spectaculaire, mais c’est surtout une héroïne grâce à laquelle les Alliés ont remporté la guerre. Rien de moins.
Après Doris Delevingne, qui fut maîtresse de Churchill et dont j’ai relaté les exploits horizontaux, Stéphanie des Horts s’est intéressée à une femme qui fut la quintessence de l’espionnage avant et pendant la guerre, et grâce à laquelle les Alliés déchiffrèrent Enigma, le code ultra-secret allemand, permettant le lancement de l’opération Torch en 1942, en sus du code italien, ce qui conduisit à l’élimination de la flotte du Duce. Et comme James Bond — Betty Pack fut la collègue de Ian Fleming au sein du SOE —, elle met son physique de séductrice au service de Sa Majesté.
Plutôt que de vous raconter une biographie écrite avec vivacité et que vous lirez de même, chauds lapins que vous êtes, j’ai préféré interviewer la romancière sur la femme singulière que fut Betty (1910-1963, elle est morte avant d’être vieille), un modèle pour toutes celles qui se veulent libres et qui n’ont devant les yeux que les harpies débraillées des chiennes de garde…
Causeur. Tentons de définir le féminisme véritable à travers votre héroïne. Elle n’est pas inféodée aux hommes, pas plus à son mari — à une époque où le mariage était plus sacré qu’aujourd’hui — qu’à ses amants…
Stéphanie des Horts. Elle est libre et c’est ainsi que je conçois le féminisme. Elle n’est pas dans le rôle que l’époque, ou bien les hommes, auraient souhaité lui donner. Epouse, mère, infirmière, secrétaire ou je ne sais quoi … Betty a choisi le sien, son rôle, sa liberté. Et c’est faire ce qui lui plait, agir à sa convenance. Certes elle est bien obligée de se marier, elle est enceinte (c’est bien typiquement féminin cela) mais elle n’épouse pas l’homme que sa chère mère aurait choisi pour elle. Elle épouse celui qui va lui permettre de réaliser ses desseins, celui qui va la laisser libre.
Et c’est quoi la liberté selon Betty Pack ? C’est vivre à cent à l’heure, toucher du doigt le danger, aimer passionnément les hommes, se laisser aimer car la féminité lui sied si bien. La liberté selon Betty Pack, c’est balancer les conventions mais en user quand bon lui semble. La liberté selon Betty Pack c’est faire grandir les hommes de sa vie, les pousser à se dépasser, les transformer en héros malgré eux. Regardez-les tous autant qu’ils sont, Carlos Sartorius, John Leche, Michel Lubienski, Charles Brousse… Sans Betty seraient-ils sortis aussi grandis de la guerre ? Certainement pas.
Féministe Betty ? Plutôt féminine, ce n’est pas l’égalité entre les sexes qu’elle recherche, ce sont les différences pour en abuser à loisir. Et c’est bien ce que je souhaite à toutes les femmes d’aujourd’hui, cette triste époque terne et sale où l’on est tout gris à force de vouloir tous se ressembler.
Elle n’est pas une mère très attentionnée, c’est le moins que l’on puisse dire…
On ne peut pas tout faire. L’instinct maternel porte bien son nom. C’est un instinct. Elle ne l’a pas. Point barre. L’enfant à venir est une difficulté à gérer. L’enfant bien arrivé est un autre genre de difficulté, mais toujours une difficulté. Et Betty n’a pas le temps pour cela. Les difficultés, elle les aplanit. Et donc les enfants aussi. Et puis, elle fait partie de ce genre de femmes qui aime trop les hommes pour les partager avec une ribambelle de gamins.
Betty est une séductrice, pas une mère. Betty est piquante, elle ne s’attendrit guère. Elle éprouve d’ailleurs beaucoup de mépris pour tout ce qui touche à l’attendrissement. Elle doit tenir cela de son père. Betty est dure, Betty est dans l’instant partagé avec un homme.
Que vouliez-vous donc qu’elle fasse d’un enfant ? Après tout l’époque aussi voulait cela. Les enfants étaient confiés aux gouvernantes, leur éducation à leurs professeurs, les enfants ne servaient qu’à assurer la descendance. Ceux des milieux modestes se mettaient au travail pour aider leurs parents. Betty se fiche bien de la descendance. Tout ce qu’elle veut, c’est vivre sa vie auprès de l’homme aimé, dans le danger si possible et pour une bonne cause, la victoire contre l’Axe.
Elle aime les falbalas de qualité, elle néglige de s’habiller en souillon garagiste…
C’est certain. Le côté souillon garagiste (va-t-on se faire trucider si l’on emploie ce mot, doit-on se méfier du syndicat CGT des garagistes ?), le côté souillon, mocheté (comme on voit dans le cinéma français actuel — ai-je le droit de dire cela encore ?) donc ce côté-là, non merci. Betty déteste et moi aussi. Et comme je deviens toutes mes héroïnes, en fait je vis leur vie pendant six mois, je les choisis en fonction de leur féminité.
J’aime mettre en valeur la beauté, l’esthétisme, le chic avant tout, l’élégance. Je suis passionnée par l’élégance. Et sa perte. Je regarde les films du début du siècle, ou bien des vidéos qui montrent comment les gens vivaient, amusez-vous à les regarder, l’élégance était partout en 1920, 1930, 1950, chez les bourgeoises comme chez leurs soubrettes. Il y avait de la tenue. Les soubrettes voulaient ressembler à leur patronne. Il existait alors une pyramide sociale qui tirait les gens vers le haut. Aujourd’hui les filles choisissent leurs modèles chez les rappeurs des banlieues. La recherche égalitaire a aplani la pyramide sociale. Evidemment Betty n’est pas de cette engeance.
En même temps, elle a des convictions patriotiques. Agent anglais, elle est en butte aux tracasseries de J. Edgar Hoover, qui manque de peu de l’arrêter. Et elle prend des risques insensés…
Bien sûr qu’elle a des convictions patriotiques ! Qui n’en aurait pas dans cette guerre ? Hitler, Mussolini ne laissaient personne indifférent. Ah si, les Américains, au début. Betty a des convictions et surtout Betty aime le danger. Cela la fait vibrer, elle adore cela.
Elle vit une passion à chaque fois en recherchant des renseignements pour les alliés. Elle vit son amour dans le danger. L’adrénaline la transporte. Chaque mission est liée à une liaison et se termine en un orgasme. La passion s’éteint quand la mission est terminée. Elle ne peut se satisfaire d’une vie simple. Et c’est pourtant ce qui lui arrive à la fin. Alors, elle quitte l’homme de sa vie pour une nouvelle aventure en sachant pertinemment qu’elle se trompe. Sans adrénaline, sans danger, Betty sommeille et cela ne lui ressemble pas. C’est là où je la définis féministe, Betty est celle qui combat toujours, tout le temps, pour des bonnes raisons.
Albin Michel
Elle reste, après-guerre, d’une discrétion exemplaire, dans son château de Castelnou, dans les Pyrénées-Orientales. Elle n’est pas du genre à hanter les gazettes pour s’y faire mousser…
Non, ce n’est pas son genre les gazettes, c’est plutôt celui de sa mère et Betty ne ressemble pas à sa mère qu’elle méprise profondément. Betty s’ennuie à Castelnou, elle s’ennuie terriblement. Je pense que si elle avait vécu, Betty aurait rempilé et aurait été parfaite en pleine guerre froide. C’est peut-être la retraite forcée qui l’a tuée, je ne sais pas. Ce dont je suis certaine c’est qu’elle aurait continué à espionner pour le MI6 en pleine guerre froide. Alors, elle serait tombée amoureuse de Philby et elle aurait mis à jour le réseau des Cinq de Cambridge ! D’ailleurs, ceux-là, j’ai une vraie fascination pour eux. J’ai failli traiter de la femme de Philby, mais enfin, c’est une acharnée du communisme, je n’ai pas pu. Et puis, très mal habillée !
Elle nous montre ce qu’est une vraie héroïne : pas une Pucelle de Domrémy, ni une pétroleuse. Ni Sand, ni Simone de Beauvoir. Ne serait-elle pas un archétype elle-même ? Au fond, un exemple ?
C’est la littérature qui définit les archétypes. Bon la pucelle, impossible. Sand, pas assez féminine, même si c’est une grande amoureuse, Beauvoir trop fausse, une pétroleuse, non, pas assez sérieuse. Betty est en fait toutes les femmes, elle est d’abord une femme amoureuse. En cela elle traverse toutes les époques. Betty est vraie avec elle-même, elle ne se ment jamais, elle définit sa propre vérité qui passe par les hommes. Elle se donne, aux hommes, aux Anglais, à l’Amérique, à l’Espagne. Elle se donne et ça la fait vivre. Non elle n’est pas un archétype. Elle est la femme dans toute sa splendeur, celle qui est prête à aller au bout pour un homme. Betty est Eve et puis Phèdre, Betty est Bardot, Betty est Pamela Harriman, Betty est une séductrice avec des convictions, cela existe encore aujourd’hui ?
Au moment où Betty Pack subtilise les codes qui permettront l’Opération TORCH (entre autres), Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, bien à l’abri de tout projet de résistance, définissent l’être comme la somme de ses actes. Betty n’est-elle pas, de ce point de vue, bien plus réelle que Simone ? Et à ce titre, n’est-elle pas pleinement « devenue femme » ?
Non, pas du tout, Betty est née femme. Elle est à l’opposé de Beauvoir, ce couple m’a toujours profondément ennuyée. Betty a la séduction dans le sang. Toute petite déjà et ce n’est pas une invention de ma part ! Betty petite fille tente de séduire son père qui ne la regarde pas. Alors elle écrit un livre pour lui. Et c’est un amiral italien qui tombe fou d’elle, puis un joueur de tennis espagnol. C’est une petite fille, non c’est déjà une femme et elle n’a que dix ans. Elle a la séduction dans le sang et c’est cela le féminisme tel que je l’entends. La différence et pour tout dire, la supériorité. La femme est supérieure à l’homme dans bien des domaines, ne me parlez surtout pas d’égalité.
Stéphanie des Horts est membre du jury du prix des Hussards, fondé par Christian Millau, avec Jérôme Leroy, estimé chroniqueur de Causeur, Eric Naulleau, Jean Tulard et Philibert Humm. Ils remettront le prochain prix ce soir. Je n’en dirai pas plus — mais je sais qu’ils donneront le « coup du shako » à Nicolas d’Estienne d’Orves pour son Dictionnaire amoureux du mauvais goût, célébré ici-même.
Stéphanie des Horts, Cynthia, Albin Michel, avril 2023, 320 pages.
Le Monde et Le Canard Enchaîné rapportent d’étonnants propos tenus, en petit comité, par Emmanuel Macron. Le président semble affectionner un langage de charretier quand les citoyens ne sont pas là pour l’entendre…
Lors des Vraies Voix (Sud Radio) du 18 avril, animées par Philippe David et Stéphanie de Muru – émission que j’ai la faiblesse de juger excellente par son mélange de sérieux et de drôlerie -, à nouveau confronté à la critique virulente de Françoise Degois, socialiste assumée, sur Emmanuel Macron, je me suis trouvé dans l’obligation de rappeler qu’il avait aussi des qualités, de l’intelligence et qu’on ne pouvait pas faire comme s’il était tellement médiocre que rien de positif ne pouvait être dit à son sujet. J’ai été immédiatement traité de « macroniste », ce qui est une absurdité pour qui, par exemple, lit certains de mes billets. Ceux-ci permettent, il faut le dire, de ne pas s’abandonner à une réactivité immédiate conduisant à forcer le trait…
Avoir écrit le 18 avril : « Emmanuel Macron : « une espèce de vide » ?« , m’a conduit à me pencher sur le contraste entre l’allocution présidentielle et les propos qui l’ont précédée. Entre l’apparente sérénité et équanimité de la première et la vulgarité des seconds, comme si Emmanuel Macron était un adepte du double Je. Ce que d’ailleurs j’ai toujours cru, avec cette propension qu’il a à se couler dans la conviction de son interlocuteur, sur le plan national comme – et c’est plus grave – dans le registre international.
Arrêter de faire des “turluttes” aux maires du Sud
Je ne suis pas naïf au point de m’imaginer que les chefs d’État, dans leur entre-soi de conseillers et d’affidés, n’usent que de la langue de Bossuet. C’était vrai pour le général de Gaulle, pour Georges Pompidou, pour Nicolas Sarkozy et pour Jacques Chirac. C’est vrai pour Emmanuel Macron.On peut aussi se rappeler les vulgarités de Richard Nixon, lors du Watergate, quand il se croyait seul avec ses collaborateurs.
Pour notre président, s’il n’y a rien de choquant dans sa volonté « de faire passer en première lecture avant l’été les textes travail et immigration » et que l’expression imagée dont il use : « Il faut se mettre en danseuse et repartir. Relever le museau« n’est pas honteuse, on peut en revanche s’étonner – euphémisme ! – de la suite : « Il faut être dur avec ceux qui veulent nous crever la paillasse. Faire payer l’hypocrisie et les jeux de dupes ». Sans oublier, à l’intention de quelques maires socialistes du Sud, « il faut arrêter de leur faire des turluttes« (Ce que rapporte Le Canard enchaîné). Sans doute cela a-t-il fait rire son cercle inconditionnel mais de la part d’un président, c’est affligeant. Au risque de passer pour un rabat-joie démocratique, cette période ne prête pas vraiment à la réjouissance ! Il est vrai que tous ceux qui travaillent de près avec Emmanuel Macron ont confirmé qu’il affectionne un langage sinon de charretier, du moins plus que familier. Sans doute la libération d’un esprit trop plein… Pour être aimable !
C’est loin, 2027
Cette manière, après son intervention où il invoque l’exigence de « l’apaisement » en considérant ce dernier quasiment comme acquis, de montrer qu’il n’est prêt qu’à en découdre et à jeter encore plus d’huile sur le feu, ne laisse pas d’inquiéter sur la sincérité de celui qui a été réélu pour tenter de mener la France à bon port au moins jusqu’en 2027. C’est probablement l’une des causes fondamentales de la désaffection citoyenne que cette pluralité de langages sur le plan politique et ce que l’on pourrait appeler la comédie institutionnalisée, l’hypocrisie consacrée. Que peut bien penser un citoyen de bonne foi, même s’il n’y a pas à surestimer la délicatesse des oppositions (celle de LFI en tout cas dans le verbe et les attitudes hostiles au président), de ce clivage entre un Emmanuel Macron qui feint officiellement la douceur et l’urbanité républicaines et, dans ses coulisses authentiques, montre la dérision et le peu de crédit qu’il attache à ces dispositions affichées pour la frime démocratique ?
Ce qui serait acceptable dans une nation à peu près en paix civile est intolérable dans un pays qui depuis plusieurs mois, est bousculé, bouleversé, fracturé, sans gouvernail véritable, sans un pouvoir respecté bien au-delà des contestations politiques. La parole publique n’est plus crue. On ne l’imprime plus comme digne d’intérêt et de confiance.
Avec un président qui joue un double Je avec les citoyens et les corps intermédiaires, elle se perdra dans les oubliettes républicaines.
Je veux conclure, selon moi de manière honnête. J’ai le droit d’avoir cette vision critique du président et de l’essentiel de sa politique mais il n’empêche que j’ai honte pour cette démocratie qui traite et insulte ainsi un chef de l’Etat réélu. J’ai peur pour lui et le silence assourdissant de toute la classe politique est lamentable.
S’opposer au président, soit, mais dégrader à ce point la fonction, non!
Les gogos qui adhèrent aux théories conspirationnistes sont les vaches à lait des « entrepreneurs en complot ». Humoristes ou anciens journalistes, ce sont de véritables hommes d’affaires qui déclinent leur discours haineux en livres, DVD, objets dérivés, voire en cryptomonnaie. Un business anti-élite des plus juteux.
Les chercheurs se sont beaucoup penchés sur les motivations – psychologiques, sociales ou pathologiques – de ceux qui croient aux théories du complot. Mais pour ceux qui leur fourguent ces « théories », l’explication est plus simple : il y a un fric fou à faire. Le modèle économique de ces « entrepreneurs en complots », selon le terme spécialisé, est en évolution constante grâce surtout à la technologie numérique. Leurs multiples sources de revenus comprennent livres, films et DVD, spectacles payants, émissions télé ou radiodiffusées sur internet, la publicité, la vente de marchandises et de services, et finalement des cryptomonnaies.
Opérations sous fausse bannière
Pourquoi ces élucubrations sont-elles si vendables ? À la différence de vrais complots, par exemple celui du 11-Septembre ourdi par Al-Qaida, les conspirations échafaudées par les entrepreneurs sont essentiellement infalsifiables car, selon ces derniers, tout n’est que faux-semblants dans la version « officielle » des événements. Au fond, il y a un seul super-complot mondial organisé par une petite élite où les juifs, les banquiers, différents États et certains organismes supranationaux peuvent jouer un rôle. Cette élite est responsable de presque tout ce qui va mal dans le monde et manipule les citoyens ordinaires. Elle est archicompétente puisqu’elle arrive toujours à ses fins. Pourtant, il reste des anomalies (comme le nombre de coups de feu entendus lors de l’assassinat de JFK) permettant aux chercheurs de vérité de détecter l’influence de cette main cachée. Le complot est toujours en train d’évoluer vers quelque étape finale où notre asservissement sera total, mais cela nous laisse encore le temps de le stopper. Une place importante est accordée aux « opérations sous fausse bannière » : la plupart des attentats terroristes et autres seraient des mises en scène coordonnées par l’élite pour hystériser la population. Cette vision du monde procure au croyant des bienfaits qui valent de l’or : le frisson engendré par un récit dramatique ; le réconfort d’une explication simple pour le chaos apparent du monde ; une consolation pour ses propres échecs, car tout est la faute de l’élite ; le refus des orthodoxies et des expertises reconnues ; la fierté d’être de ceux qui ont compris la vérité ; le contact social avec d’autres croyants ; et enfin le plaisir de la recherche des anomalies – un sudoku intellectualisé.
Par sa version personnelle du complot, l’entrepreneur crée son branding et peut procéder au merchandising. Le père, ou le grand-père, de ce modèle, c’est l’Anglais David Icke, 71 ans, ancien animateur sportif de la BBC et porte-parole du Parti vert. En 1991, il se proclame le fils de Dieu et commence à exposer sa théorie, sans doute la plus délirante de toutes. Très influencé par Les Protocoles des sages de Sion, il considère que l’élite, qui cherche à instaurer un « nouvel ordre mondial », c’est-à-dire un État fasciste planétaire, est surtout composée de « sionistes Rothschild ». Il se défend d’être antisémite, car il s’agirait d’un petit nombre de juifs en apparence qui seraient en réalité des hybrides entre des hommes et des entités interdimensionnelles reptiliennes, comme d’ailleurs tous les présidents américains et la famille royale britannique. La Shoah a eu lieu, mais aurait été financée par cette élite, tandis que le 11-Septembre a été une mise en scène.
Il développe sa vision d’abord dans une série de best-sellers traduits dans de nombreuses langues. Rien qu’avec ses livres, il est multimillionnaire. Les conférences qu’il donne autour du monde se déroulent à guichet fermé. Un seul événement à Melbourne en 2011 lui rapporte 94 000 euros. À Londres, en 2012, il régale un public de 6 000 personnes pendant onze heures. Son site web vend billets, livres, DVD, vêtements et compléments alimentaires. Sa chaîne YouTube, avant sa suppression en 2020, aurait rapporté 180 000 euros par an en publicités. Le délire, ça paie…
Un délire rémunérateur, qui a ses limites
Celui qui a le mieux exploité ce modèle, c’est l’Américain Alex Jones. Débutant comme animateur radio, il crée son site, InfoWars, en 1999. Le 11 septembre 2001, il met déjà en doute la version « officielle » de l’événement. Spécialiste des opérations sous fausse bannière, Jones maintient que la tuerie de l’école primaire de Sandy Hook, en 2012, est une mise en scène n’impliquant que des acteurs payés. Ses fans persécutent les familles des victimes qu’ils accusent d’être au service de l’élite. L’émission radio de Jones, très largement diffusée à travers les États-Unis, a des millions d’auditeurs. À partir de 2013, les deux tiers de ses bénéfices proviennent de la vente en ligne de produits de santé. Antivax, il propose des remèdes contre le Covid-19 jusqu’à ce que les autorités interviennent. L’évaluation de sa fortune reste difficile, mais elle pèserait entre 135 et 270 millions de dollars. En 2022, reconnu coupable de diffamation contre les familles de Sandy Hook, il est condamné à payer 1,38 milliard d’euros. Les bénéfices du délire ont des limites…
La carrière de Dieudonné suit la même trajectoire à partir de 2002. Chacun son truc : c’est sous couvert d’humour qu’il échafaude sa version du complot. Un « lobby sioniste », prolongement de la cabale juive qui aurait été derrière la traite des Noirs, dirige un nouvel ordre mondial. La réalité du 11-Septembre est mise en doute, ainsi que celle de la Shoah. Si ses spectacles constituent la première brique de son modèle économique, l’humoriste regroupe la vente de billets, livres, DVD et vêtements sur son site, la « Dieudosphère », et propose un abonnement à ses vidéos sur Quenelle+. Voulant diversifier sa marque, il a proposé d’autres produits pour exploiter ses fans : Ananassurance, Ananacrédit, des cercueils, des masques chinois à un prix faramineux en pleine pandémie et deux projets très louches de création de cryptomonnaie. Ses démêlés avec le fisc et la justice montrent qu’il a fait – et caché – des bénéfices considérables. À la fin, Dieudo a beau se prétendre antisystème : son système à lui marche très bien.
Treize minutes, douche froide comprise ! Tant qu’à n’avoir rien à annoncer, autant faire court…
C’est bien la seule chose de marquante de cette intervention. Encore qu’écouter quelqu’un gloser plus de 10 minutes sur du vide, vous parler d’un monde idyllique où lui seul paraît vivre, pour finir sur un numéro puéril d’autosatisfaction sur Notre-Dame où le caprice du Prince tient lieu de feuille de route, peut paraître assez long, finalement !
L’instrumentalisation de Notre-Dame est la pire chose qui pouvait arriver au chantier. Maintenant, si un quelconque retard apparaît, il faudra bâcler, car pour les courtisans, la reconstruction devra être achevée pour complaire au Prince et non en ayant pour souci la qualité du travail effectué. Il faut satisfaire le petit lord, c’est la seule chose qui compte.
Pour le reste, l’hôpital est en train de se casser la figure, les pénuries de médicaments et de matières premières se multiplient, l’école est en train de s’effondrer et les annonces du ministre lui maintiennent bien la tête sous l’eau, la réindustrialisation reste marginale et le pouvoir d’achat est en berne. La France dont Macron parle et qu’il se glorifie d’avoir redressée a autant de consistance que le rêve de Poutine de devenir maître de l’Ukraine en 15 jours. Cet homme se paye de mots et s’enivre de lui-même. Mais plus il se met en scène, moins il touche le public.
Tout comme il est difficile de donner une consistance au néant, il devient de plus en plus compliqué de commenter une parole présidentielle aussi creuse que démonétisée. Le verbe de Macron est devenu contre-performatif. Plus il glose, plus il détruit. Plus il est optimiste, plus il apparaît faux. Plus cet homme occupe l’espace, plus il étouffe le réel. La chute continue et l’infatuation du verbe ne réussit même plus à masquer l’absence de perspectives.
Les promesses du président ne sont plus que le rappel de ses échecs passés et de ses turpitudes présentes. Son verbe n’est pas créateur d’avenir ou d’espoir d’en retrouver un. Tout ce qu’il annonce a déjà été annoncé précédemment sans pour autant accoucher d’aucune amélioration. Cette allocution n’est que son énième « qui m’aime me suive ». Il devrait rester seul sur la route.
Au programme du spectacle «No(s) dames»: déconstruction des classiques opératiques et drag-queeneries en tout genre.
Le 11 avril, le contre-ténor Théophile Alexandre et le quatuor féminin Zaïde donnaient un spectacle intitulé « No(s) dames » au Trianon de Paris.
Ces artistes prétendent revisiter les figures d’« héroïnes d’opéra aux destins tragiques ». Les rôles de Carmen, Manon ou Juliette y sont incarnés par des hommes afin de « déconstruire les codes » et d’aller au-delà des « fatalités de genre ». Selon Emmanuel Greze-Masurel, le directeur artistique du Volcan, le centre culturel du Havre où eurent lieu les premières représentations en 2022 : « D’un certain point de vue, l’opéra est l’un des fleurons du patrimoine patriarcal. » Lui et Théophile Alexandre ont donc choisi de privilégier un quatuor de musiciennes plutôt qu’un « orchestre rugissant – encore aujourd’hui majoritairement masculin – et un chef, avec une grande baguette », nous apprend la revue Causettequi, enthousiaste, décrit les folies vestimentaires et drag-queenesques du contre-ténor jouant « avec des bustiers corsetés, des robes entravées et des talons vertigineux ».
De Diapason à Têtu et France Musique, la presse applaudit à ce spectacle qui « réhumanise les grandes arias de divas composées par des hommes » – Bizet, Grieg, Verdi, Mozart, Rossini, Massenet, des monstres masculinistes qui n’accablèrent leurs héroïnes que pour assouvir leur appétit de domination sur « ces femmes, condamnées depuis des siècles aux rôles d’éternelles victimes ». Le passé coupable, le présent vertueux, l’avenir radieux – adossés à ce triptyque totalitaire, le spectacle propose « un point de vue renouvelé sur ces œuvres, musical et sociétal, pour démuséifier cette musique et la projeter vers l’avenir en incarnant de nouveaux modèles (1) » – c’est-à-dire, aurait dit Mao, pour faire advenir un monde nouveau dans lequel Carmen pourra être indistinctement incarnée par un contre-ténor non binaire, une mezzo-soprano transgenre ou un baryton « avec un utérus ».
Tout ce qu’on voudra, du moment que ce n’est pas… une femme.
La littérature française actuelle se repaît des petits bobos de la vie, des accidents des uns et des maladies des autres lorsqu’elle n’est pas donneuse de leçons… Dans ce paysage navrant, 30 pages, humbles et percutantes, viennent stimuler le lecteur exigeant: La Maison, un inédit de Julien Gracq.
En ce début de printemps, les éditions José Corti publient un court récit inédit de Julien Gracq (1910-2007), La Maison. Cette trentaine de pages, probablement rédigées entre 1946 et 1950 et accompagnées des deux manuscrits de l’auteur, feront le bonheur des amoureux d’un style reconnaissable entre tous : la plénitude d’une écriture descriptive capable de donner à une action toujours ténue le charme décisif de l’événement, et de combler l’attente par une abondance de détails envoûtants susceptibles de changer l’ordonnance du monde. Julien Gracq se définissait lui-même comme un écrivain descriptif presbyte, contrairement à ceux qu’il appelait les descriptifs myopes, son goût pour les lointains plutôt que pour les choses toutes proches lui venant peut-être de son enfance au bord de la Loire, avec ses eaux sauvages qui portaient loin la lumière et les bruits. C’est à cette presbytie descriptive que nous invite La Maison – récit, à la première personne, de la fascination exercée par une demeure d’abord aperçue au loin lors d’un trajet quotidien en autocar. Ceux à qui Julien Gracq, notamment avec Le Rivage des Syrtes (1951), rappelle d’ennuyeux moments de lecture, ne seront pas déçus par ce livre au format atypique et à la couverture printanière. Peut-être cet ouvrage, resté si longtemps silencieux à l’abri de l’érosion que les lectures successives font généralement subir aux textes, à l’abri aussi des changements de notre regard porté sur le monde, leur donnera-t-il le plaisir de renouer avec ce qui, aujourd’hui, relève vraiment de l’inédit : une première personne du singulier qui ne soit pas la voix nue de l’auteur, mais la voix d’un narrateur nous invitant toujours à le suivre lorsqu’il dit « je ».
Une lecture antidote
La Maison de Julien Gracq est, à ce titre, une lecture salutaire, antidote à ce qui se publie à la pelle depuis quelques années, à savoir tout un fatras de récits à la première personne dont les embarrassantes confessions font l’effet d’une expression écrite scolaire (« raconte un événement qui t’a beaucoup marqué ») rédigée à la hâte dans la salle d’attente d’un psychologue. Portraits de soi en majesté, petits moi plaintifs inadaptés au temps présent, nostalgiques sépias des avant-hier qui chantaient encore et, surtout, inlassables sagas du deuil, de la mort du mari à moto à celle du frère atteint d’une maladie génétique, en passant forcément par celle du père adoré et de la petite maman aux seins plats partie de la clinique dans la nuit. L’époque n’est décidément plus à « la rareté de tout, des objets, des images, des explications de soi et du monde » (Annie Ernaux, Les Années), mais au grand déballage de ses petits chagrins narcissiques et de ses grandes peines humaines, étalés avec toute l’immodestie et l’impudeur requises sur les innocentes tables de nos librairies. À mi-chemin entre la rubrique des faits divers et le compte Instagram des états d’âme, cette littérature récente nous inflige l’indigente autobiographie de ses auteurs et décline en exempla latins à usage collectif tout un petit bazar de souvenirs intimes dont le lecteur ne sait que faire. Mais « je » est un hôte : il faut le recevoir et l’écouter parler avec émotion et bienveillance.
Vivre vite (Brigitte Giraud, 2022), Mes fragiles (Jérôme Garcin, 2023), Le Monde d’avant (Marc Lambron, 2023), L’Envers des ombres (Céline Navarre, 2023), L’Exil à domicile (Régis Debray 2022), Inconsolable (Adèle Van Reeth, 2023)… À la lecture – bienveillante, mais sans émotion – de ces ouvrages, une certaine gêne nous prend : autant les petits médaillons tout confits d’orgueil auront probablement la joie furtive de nourrir quelque conversation salonarde (« 1965. À l’âge de 8 ans, je suis déjà un lecteur gourmand, comme si je sentais que les livres abritent tous les secrets du monde », Marc Lambron, Le monde d’avant), autant le récit d’un deuil a quelque chose de bien déroutant. Les deux ne sont d’ailleurs pas exclusifs l’un de l’autre, la fin de vie de maman sous perfusion pouvant garder « une grâce mozartienne » et la mort du frère convoquer de belles ombres tutélaires : « avant de m’effondrer, j’ai pensé à notre mère, dont il était le beau, l’irrésistible souci, et je me suis rappelé alors le mot du général de Gaulle, lorsque sa fille trisomique, Anne, mourut à 20 ans dans ses bras : maintenant elle est comme les autres » (Jérôme Garcin, Mes fragiles). Pas sûr que Mozart ou le général de Gaulle ait été enchanté de figurer dans ce genre de récit. Pensons, de notre côté, au mot de Raymond Aron lequel, coupant court à toute possibilité de confidence trop intime sur l’un de ses drames familiaux, déclarait avec cette pudeur qui n’est au fond que la maîtrise sans gloire des émotions trop vives : « Cela n’intéresse personne. »À l’heure où même le porno devient éthique, ces irrépressibles épanchements gagneraient à rester au creux des âmes plutôt que de venir noircir des pages blanches et ternir le sens que nous donnons, en silence, à nos propres malheurs. À moins que la littérature n’ait trouvé dans le bulletin de santé physique et mentale de ses auteurs et de leurs proches de quoi pallier durablement ses carences en imaginaire. Ce qui serait regrettable, car la vie est, espérons-le du moins, autre chose qu’un « tambour de machine à laver » et la mort peut-être assez étrangère à« 300 F oubliés dans le distributeur de la Société Générale » (Brigitte Giraud, Vivre vite, Prix Goncourt 2022).
Sevrage de la myopie égotique
La littérature peut-elle encore être autre chose que ces miscellanées ego-morbo-pornographiques ? Repus du « je » incontinent d’un bon nombre d’auteurs, le lecteur se réfugiera sans doute dans Avers de J.M.G Le Clézio (2023), ou Histoire d’un ogre d’Erik Orsenna, publiés en ce début d’année. Mais parler d’autres que soi est-il davantage une garantie de qualité littéraire ? Dans ses « Nouvelles des indésirables », généreux sous-titre qu’il donne à Avers, Le Clézio se fixe comme objectif « de faire naître [chez le lecteur] un sentiment de révolte face à l’injustice » de ce qui arrive à ses personnages. Pour une fois que nous avons des personnages, ne boudons pas notre plaisir. Pourtant, « pourquoi inventer des personnages, des histoires ? Est-ce que la vie n’y suffit pas ? » se demande soudain l’auteur. Pensons à poser la question à Victor Hugo, Honoré de Balzac, Émile Zola, Marcel Proust. Et aussi à Michel Houellebecq. En attendant, Maureez, Aminata, Hanné, Renault et les autres sont là pour jouer leur rôle de grands oubliés des joies quotidiennes : tous des damnés de la terre, violés, battus, méprisés, insultés, abandonnés à leur triste sort, des « bon[s] à rien juste à nourrir les cochons et aboyer comme les chiens » ou à « rester assis sur [leur] morceau de rue ». À eux « les choses tristes, douces-amères, la dame employée de bureau assise sur le quai, son mari qui l’a battue, qui l’a trompée, ses enfants qui l’ont abandonnée, ses amis qui se sont détournés ». Quant à Erik Orsenna, ce ne sont pas les pauvres, mais les misérables riches qui font sa raison d’écrire : son ogre, Vincent Bolloré, dont il fait un curieux portrait à la limite de la démence, lui donne l’occasion de montrer, dans un style pseudo-voltairien, et entre deux petites jouissances d’autosatisfaction bien sonore (« votre narrateur, un temps conseiller culturel de François Mitterrand, avait participé activement à la création de cette oasis [Canal+] ») qu’avec le temps, la grammaire a cessé d’être une chanson douce. Quel gâchis, Orsenna était un nom si… gracquien.
Revenons donc à La Maison, de Julien Gracq, et comparons : « Tout était léger, ouvert, cristallin, facile – d’un autre monde – comme si le rideau de pluie brusquement levé m’eût été ce fondu enchaîné des films qui soude en une seconde les rues aux forêts et les minutes aux années. Quelques pas plus loin, la maison soudain fut là. Je la touchai presque de la main, gainée qu’elle était presque jusqu’au rebord du toit d’un treillissage de branches sèches, ses volets déboîtés enchevêtrés déjà dans les ronces, son balcon de fer tordu sombré dans le feuillage comme la passerelle d’un bateau coulé. » Ce que l’on trouvera dans ces quelques pages sauvées de l’oubli sera le plaisir, si rare aujourd’hui, de voir décrit le monde. À l’heure où certains sont intarissables sur la solastalgie –pompeux néologisme désignant la nostalgie devant un paysage disparu sous l’effet de l’activité humaine–sans être pour autant capables de dépeindre, par l’écriture, un visage aimé, un coin de nature ou un morceau de ciel, Julien Gracq nous lave les yeux et nous fait voir ce que décrire veut dire. Il nous montre aussi qu’un livre publié en 2023 grâce aux ruses du temps peut ne parler ni des petites misères ni des grands malheurs de son auteur. Rendons un discret hommage, en le lisant, à celui qui, en écrivant, nous sèvre d’un coup des mesquineries de la myopie égotique et nous rappelle les charmes de la presbytie en littérature.
La dernière allocution de notre Impuissant de la République qui vient de promulguer sa Réforme des retraites est, on en a pris l’habitude, aussi incantatoire que nébuleuse. Elle ne manquera pas, on s’en doute, d’attiser l’incendie qui couve sous toute poubelle en France. Notre thaumaturge sollicite 100 jours pour redresser, à coups de projets improbables pilotés par des comités Théodule, un pays qui vacille. 100 jours, puis, l’exil à Sainte-Hélène pour un président stendhalien, épigone de Julien Sorel, qui rejouerait son Waterloo personnel ? Voilà de quoi conforter dans leur volonté d’allumer le feu, blacks blocs et autres illuminés adeptes du désordre comme ultime finalité ou activistes au service d’une écologie sectaire.
C’est le Grand Soir? Non, Madame, juste le crépuscule!
Les manifestations réitérées contre la réforme des retraites, la joyeuse réunion de Sainte-Soline et, peut-être même le printemps, avaient déjà ragaillardi les blacks blocs et les faibles d’esprit de tout poil, séduits par le chaos. Après la dernière sortie présidentielle, on en est à peu près sûr, nos jeunes sots, produits d’une école en faillite et d’une autorité en crise, dûment remobilisés, sont regonflés à…bloc. Encapuchonnés et tout de noir vêtus, ces révolutionnaires d’opérette, aussi décérébrés que nuisibles, vont pouvoir perpétuer leurs ravages dans les centres de nos villes et continuer à attaquer nos policiers. Ces fantoches, confortés dans leurs exactions par certains politiques qui ont pour eux les yeux de Chimène, sont à la contestation citoyenne ce qu’est la grêle aux vignes.
Jeunes sots infatués, ils s’imaginent préparer un nouveau Grand Soir. Las, ce n’est que la tombée du crépuscule qu’ils hâtent. L’histoire, on le savait, se répète, bégayant, de la tragédie à la farce. Mais voilà maintenant qu’elle éructe ; on a perdu jusqu’aux mots que l’école a cessé d’enseigner. Des vocables frustes et grossiers qui confinent à l’onomatopée, badigeonnés à la hâte sur les murs de nos villes par ces Huns modernes, attestent de cette inquiétante volatilisation du langage. La violence tend à se substituer à toute possibilité de verbalisation.
Image d’illustration Unsplash
Au XIXè siècle, déjà, une génération s’égare…
Au début du XIXe siècle, dans une situation de perte de repères semblable à la nôtre, le tout jeune Musset pouvait encore formuler l’absence de perspectives et l’inaction qui corrodent lentement la vie d’une jeunesse rendue veule par l’inertie. Ainsi, dans La Confession d’un enfant du siècle, après la succession des révolutions et la fin des Guerres napoléoniennes, Alfred écrivait, commentant son époque : «Trois éléments partageaient (…) la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique (…)Un sentiment de malaise inexprimable commença donc à fermenter dans tous les cœurs jeunes. Condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres de toutes espèces, à l’oisiveté et à l’ennui, les jeunes gens voyaient se retirer d’eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leurs bras. Tous ces gladiateurs frottés d’huile se sentaient au fond de l’âme une misère insupportable. (…) »
Les mots qui tenaient la nuit en respect ont disparu au profit des comportements décadents et violents. J’ai pu le constater lors de la manifestation lyonnaise du 13 avril. Voyez plutôt: la préfecture, modifiant le parcours de la procession a permis à la médiocrité intellectuelle d’une partie de la jeunesse, biberonnée à la haine de l’effort comme à celle de la réussite et au mépris la culture de s’afficher sans complexe. Ce jour-là, on avait eu, en haut lieu, la géniale idée de faire passer le cortège par le vénérable boulevard des Belges, bordé d’hôtels particuliers qui jouxtent le Parc de la Tête d’Or. Bien sûr, les précédentes journées avaient été, elles aussi, chaotiques : destruction systématique des abris bus, des vitrines des banques, assurances et agences immobilières, sans oublier la pause- café chez Nespresso. Le tout sur fond de feu de poubelles et de provocation des forces de l’ordre. Maintenant, il s’agissait de faire trembler ces salauds de nantis, totale réussite : intrusions dans les propriétés, jets de projectiles sur les façades des bâtiments, slogans anti-riches et tags qui, tels des crachats, souillaient les murs.
Misère des slogans
Voici un florilège de cette expression rupestre d’un genre nouveau, assez inquiétante pour l’avenir de la jeunesse et par voie de conséquence pour les moins jeunes : « Macron pendaison », « Mangez les bourgeois », « Tout le monde déteste les bourgeois », « Vengeance pour Sainte-Soline : vengeance SS (sic) », « On est né pour la retraite », « On veut des cunis pas des képis » et bien sûr, les inévitables « ACAB », ou autre « Tout le monde déteste la police. » Le seul hôtel particulier épargné lors de cet après-midi festif, l’aurait été, selon ce qu’on m’a rapporté, parce que ses propriétaires qui montaient la garde sur le pas de la porte auraient précisé aux jeunes vandales soutenir la cause palestinienne !
Quand l’école préfère s’occuper du sexe des anges et du bien-être de ses usagers plutôt que de nourrir des esprits qui ne tournent plus qu’à vide, craignons que cette minorité facétieuse ne devienne rapidement majorité. La nuit est peut-être sur le point de tomber.
En Irlande, les politiques n’osent pas « genrer » les personnes trans par peur d’y laisser leur poste. Même quand il est question de dangereux délinquants sexuels, devenus femmes pour être emprisonnés auprès de ces dernières…
D’où vient le problème des pays celtiques avec le genre ? On se souvient du cas qui a contribué à la démission de la Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon. Adam Graham avait été arrêté en 2019 pour le viol de deux femmes. Entamant une transition de genre sous le nom d’Isla Bryson, « elle » avait été enfermée dans une prison pour femmes, avant que le scandale public qui éclate en janvier oblige les autorités à la transférer dans une prison pour hommes. Lors d’une interview, Sturgeon n’a pas pu dire si Graham/Bryson était un homme ou une femme, ni expliquer pourquoi un homme serait enfermé chez les femmes ou une femme chez les hommes.
Maintenant, c’est le Premier ministre ou « Taoiseach » de la République d’Irlande, Leo Varadkar, qui est confronté au même dilemme. Un homme très violent né Gabriel Alejandro Gentile vient d’être condamné à cinq ans et demi de prison pour avoir menacé de torturer, violer et assassiner sa propre mère. Il avait 15 condamnations antérieures. En 2020, profitant d’une loi datant de 2015, il a pu changer d’identité de genre, sans aucun besoin de diagnostic médical, pour renaître sous le nom improbable de Barbie Kardashian.
« Elle » est ensuite enfermée dans une prison pour femmes où elle est gardée en isolement cellulaire pour éviter tout contact avec d’autres prisonnières. Lors d’une conférence de presse le 21 mars, un journaliste demande à M. Varadkar si cet individu, possesseur d’un pénis, est un homme ou une femme. La question aurait dû être facile pour le Taoiseach qui a fait sa médecine au prestigieux Trinity College de Dublin, mais il a répondu en bredouillant qu’il ne connaissait pas très bien le dossier. Il a quand même ajouté que, si son cas ressemblait à celui d’Isla Bryson, « Barbie Kardashian » serait transféré chez les hommes. Autrefois ultra-catholique, l’Irlande est sous la coupe des militants de l’idéologie de genre. Un nouveau clergé a remplacé l’ancien. Pas sûr que les Irlandais aient gagné au change.
Comparé aux délires complotistes qui circulent sur les réseaux sociaux, le dieudonnisme semble presque raisonnable. Grâce à Facebook, Twitter et TikTok des millions d’abrutis – occidentaux – sont convaincus que la Terre est plate et que Darwin a eu tort. Impossible d’imaginer les conséquences d’un tel abêtissement planétaire.
L’éviction progressive de Dieudonné des plateaux télé, puis des scènes de théâtre, en un mot, la censure qui l’a visé, a-t-elle renforcé la popularité de ses thèses ? Lorsque l’on compare la situation des États-Unis à celle de la France, l’idée selon laquelle les censeurs feraient, en réalité, le jeu du complotisme ne résiste pas à l’analyse. Protégés par le premier amendement de leur Constitution, la large liberté d’expression dont les Américains bénéficient n’empêche nullement les théories complotistes de s’y épanouir aussi bien qu’en Europe. Les délires pédo-satanistes de QAnon démontrent que, censure ou pas, les complotismes fleurissent en toutes circonstances.
29% des utilisateurs de TikTok sont ainsi persuadés que la Terre est plate, 20% que les Américains n’ont jamais marché sur la Lune
Malgré les interdictions qui ont frappé son animateur, le Dieudonnisme a donc pu survivre et se répandre grâce aux réseaux sociaux, outils d’une révolution majeure et pourtant largement impensée. Passer trois heures par jour sur Facebook, Twitter et TikTok a des conséquences cognitives sur chacun des utilisateurs. Et cette nouvelle addiction n’a rien d’anodin pour la collectivité à laquelle est censé appartenir le demeuré qui « scrolle » d’ineptes vidéos à longueur de journée.
Volumes comparés de l’utilisation quotidienne de chaque application. Chiffres moyens en minutes pour les versions Android (2e trimestre 2022) Source : Sensor Tower Consumer Intelligence
« La mauvaise monnaie chasse la bonne » théorisent les économistes – et il semble en aller de même pour les contenus plébiscités par les tiktokeurs. Les plus abrutissants sont complaisamment mis en avant par des algorithmes dont l’objectif est de vous garder spectateur aussi longtemps que possible – des équations perverses qui déclinent à l’infini ce que vous êtes censé aimer ou penser. Quelle que soit la branche de la bêtise qui vous intéresse, vous trouverez un écosystème riche en contenus, dont quelques influenceurs tirent les ficelles et parfois de substantiels bénéfices. La connerie a certes toujours été une des choses les mieux partagées, mais celle des temps anciens relevait, en comparaison, de l’artisanat local. TikTok et consorts semblent avoir pour projet l’abrutissement de toute une génération, dans des proportions planétaires. Les adultes, notamment ceux qui exercent le pouvoir, ne paraissent pas mesurer le grand abêtissement auquel sont confrontés leurs enfants ni ses conséquences glaçantes. Avec déjà de spectaculaires résultats : 29 % des utilisateurs de TikTok sont ainsi persuadés que la Terre est plate ; 20 % que les Américains n’ont jamais marché sur la Lune, sans parler de ceux, convaincus que Darwin a tort, mais que la Bible ou le Coran (surtout le Coran) a raison.
La situation peut se résumer en un constat aussi simple qu’effrayant : les générations qui arrivent sont statistiquement plus abruties que les précédentes – chez qui les « platistes » sont très marginaux. Une future « élite » bercée par des influenceurs décérébrés, et qui n’aura jamais ouvert un livre, présidera aux destinées d’une humanité persuadée que les pyramides ont été construites par des extra-terrestres – voilà le programme à ce stade.
Les positions du gouvernement chinois relatives au temps d’exposition aux écrans de la jeunesse en général, en particulier les restrictions imposées à TikTok, devraient nous alerter. Les soupçons d’espionnage qui pèsent désormais sur toute technologie émanant de l’empire du Milieu constituent en eux-mêmes un argument suffisant pour réagir. Huawei fut heureusement écarté du marché de la 5G américaine (par l’horrible, mais lucide Trump), puis par la France et s’apprête à l’être en Allemagne. C’est au tour de TikTok d’être banni des portables des officiels français ou européens. Mais c’est l’utilisation même de l’application qui mérite d’être questionnée, en s’inspirant des restrictions mises en œuvre par l’administration de… Xi Jinping.
Interdire TikTok
En Chine, TikTok se nomme Douyin et se doit de vérifier l’âge de ses utilisateurs. Si l’on a moins de 14 ans, on ne peut la consulter plus de quarante minutes par jour ni après 22 heures. Au bout d’un certain temps, impossible d’enchaîner les vidéos sur un mode boulimique. Une chanson du groupe Phoenix vient s’intercaler et vous chante gentiment, en mandarin, « pose ton smartphone ». ByteDance, propriétaire de Douyin, rémunère par ailleurs des contenus jugés culturellement corrects – des vidéos de danses traditionnelles chinoises, par exemple. Sans aller jusqu’à imposer des séquences de bourrée auvergnate à nos collégiens, il paraît urgent de s’inspirer de mesures qui visent à sauvegarder les neurones des plus jeunes.
S’il est envisageable d’interdire TikTok, la consommation hystérique de vidéos débiles ne s’arrêtera pas pour autant, sauf à simultanément bannir Snapchat, Instagram, Facebook, Twitter et tous les autres. Sans doute l’alliance de la limitation horaire et de la réglementation des algorithmes offrirait-elle des résultats probants. On pourrait, par exemple, obliger les Gafam à proposer aux platistes des contenus leur démontrant que la rotondité de notre planète n’est pas une théorie. Et imposer quelques centaines de millions de dollars d’amende aux réseaux dont les algorithmes continueraient à promouvoir des thèses délirantes. Ces solutions – et d’autres – doivent être inventées, mais aucune n’émergera tant que nous n’aurons pas pris la mesure des dégâts monstrueux infligés par les réseaux sociaux à la connaissance scientifique ou à la sociabilité des générations à venir.
Imaginer que les Chinois utilisent sciemment TikTok pour laver le cerveau des jeunes Occidentaux, tout en limitant les méfaits de Douyin sur les méninges adolescentes chinoises, est-ce déjà du complotisme ? Se pose ainsi la délicate question de l’attribution du label « complotiste » au débat intellectuel. Si le platisme paraît chimiquement assez pur en termes de débilité, chacun voudra affubler les idées qu’il ne partage pas de l’infamant label. Le grand remplacement, le climato-scepticisme, les doutes sur les bienfaits de l’immigration d’un côté, le transgenrisme, le racisme systémique ou l’antispécisme de l’autre. Mais entre les réactionnaires et les progressistes, on sait que le choix des Gafam est fait. La perfection n’étant pas de ce monde, nous pourrions nous contenter d’imposer à leurs démoniaques équations algorithmiques de nous suggérer plus de contenus exposant des thèses contraires à celles que nous semblons chérir. Ce serait un peu comme obliger France Inter à nous passer quelques podcasts de CNews.
« Les changements étaient nécessaires », a assuré Emmanuel Macron lundi soir à la télévision pour clore sa réforme des retraites. Le soir même il déambulait dans les rues de Paris après avoir dîné à La Rotondeavec son épouse, à sa table habituelle au fond de la salle.
Un dernier chant avant l’effondrement
Il ira même jusqu’à pousser la chansonnette avec un groupe de jeunes Pyrénéens – qualifiés depuis d’ « extrême droite » par la maréchaussée médiatique à cause de leur enracinement culturel – croisés rue de Rennes. La désinvolture est ce qui caractérise le macronisme, réduit au comportement erratique (le « en même temps ») d’un homme seul et déconnecté. Car il ne suffit pas de flâner le soir, sous la protection de gardes du corps, pour faire oublier le bunker qu’est le palais de l’Élysée abritant son reclus. « Ne rien lâcher, c’est ma devise », a fanfaronné le vainqueur des syndicats et des protestataires tout en annonçant « cent jours d’apaisement, d’unité et d’action au service de la France » : une jactance commune aux esprits embrumés, débitant des « rames de lieux communs farcis de destin, de nécessité, de droit des choses » (Chateaubriand, parlant de Fouché). Derrière la réforme des retraites, c’est l’effondrement du pays qui s’accélère sous la férule d’un président indifférent aux enjeux civilisationnels et méprisant le peuple.
Le volontarisme présidentiel est un leurre. Il relève de la théâtrocratie, cette autre caractéristique du macronisme en déroute. À quoi bon repousser l’âge de départ à la retraite à 64 ans tandis que rien n’a jamais été fait pour désendetter et moderniser l’État ? Vertigineux sont les désastres qui partout s’accumulent. Ils ne mobilisent pas pour autant le chef de l’État, incapable de poser un diagnostic sur les maux dont souffre la nation. Face au défi posé par l’immigration légale, Macron a seulement promis lundi de mieux « contrôler l’immigration illégale », ce qui est la moindre des choses. Bruno Le Maire a enfin découvert, à cette occasion, la nécessité de lutter contre les fraudes sociales entretenues notamment par les flux du Maghreb, ce qui lui a valu d’ailleurs d’être accusé sottement de « mobiliser des préjugés racistes » par Olivier Faure (PS). Quant à l’école sinistrée, Pap NDiaye va s’employer à lui appuyer un peu plus la tête sous l’eau. Non content de vouloir imposer à l’école privée sous contrat, coupable de fonctionner encore, des quotas de mixité sociale au lieu de corriger les abandons de l’école publique, le ministre de l’Éducation entend rendre les armes dans le combat pour la laïcité. Le Conseil des sages de la laïcité, créé en 2018 par Jean-Michel Blanquer pour résister aux offensives islamistes, vient en effet de voir sa mission s’élargir aux luttes contre le racisme, l’antisémitisme, la discrimination : des arguments permettant au séparatisme coranique de se présenter en victime d’une « laïcité de combat ». Macron ? Le naufrageur de la France.
L'espionne Amy Elizabeth Thorpe, connue aussi sous les noms de Betty Thorpe et Betty Pack (1910-1963). D.R.
C’est un fait, notre chroniqueur aime les femmes longilignes aux jambes fuselées et aux yeux verts. D’aimables potiches? Pas même: Amy Elisabeth Thorpe, dite Betty Pack, dite Cynthia (son nom de code au SOE, Special Operation Executive) est peut-être une gourgandine spectaculaire, mais c’est surtout une héroïne grâce à laquelle les Alliés ont remporté la guerre. Rien de moins.
Après Doris Delevingne, qui fut maîtresse de Churchill et dont j’ai relaté les exploits horizontaux, Stéphanie des Horts s’est intéressée à une femme qui fut la quintessence de l’espionnage avant et pendant la guerre, et grâce à laquelle les Alliés déchiffrèrent Enigma, le code ultra-secret allemand, permettant le lancement de l’opération Torch en 1942, en sus du code italien, ce qui conduisit à l’élimination de la flotte du Duce. Et comme James Bond — Betty Pack fut la collègue de Ian Fleming au sein du SOE —, elle met son physique de séductrice au service de Sa Majesté.
Plutôt que de vous raconter une biographie écrite avec vivacité et que vous lirez de même, chauds lapins que vous êtes, j’ai préféré interviewer la romancière sur la femme singulière que fut Betty (1910-1963, elle est morte avant d’être vieille), un modèle pour toutes celles qui se veulent libres et qui n’ont devant les yeux que les harpies débraillées des chiennes de garde…
Causeur. Tentons de définir le féminisme véritable à travers votre héroïne. Elle n’est pas inféodée aux hommes, pas plus à son mari — à une époque où le mariage était plus sacré qu’aujourd’hui — qu’à ses amants…
Stéphanie des Horts. Elle est libre et c’est ainsi que je conçois le féminisme. Elle n’est pas dans le rôle que l’époque, ou bien les hommes, auraient souhaité lui donner. Epouse, mère, infirmière, secrétaire ou je ne sais quoi … Betty a choisi le sien, son rôle, sa liberté. Et c’est faire ce qui lui plait, agir à sa convenance. Certes elle est bien obligée de se marier, elle est enceinte (c’est bien typiquement féminin cela) mais elle n’épouse pas l’homme que sa chère mère aurait choisi pour elle. Elle épouse celui qui va lui permettre de réaliser ses desseins, celui qui va la laisser libre.
Et c’est quoi la liberté selon Betty Pack ? C’est vivre à cent à l’heure, toucher du doigt le danger, aimer passionnément les hommes, se laisser aimer car la féminité lui sied si bien. La liberté selon Betty Pack, c’est balancer les conventions mais en user quand bon lui semble. La liberté selon Betty Pack c’est faire grandir les hommes de sa vie, les pousser à se dépasser, les transformer en héros malgré eux. Regardez-les tous autant qu’ils sont, Carlos Sartorius, John Leche, Michel Lubienski, Charles Brousse… Sans Betty seraient-ils sortis aussi grandis de la guerre ? Certainement pas.
Féministe Betty ? Plutôt féminine, ce n’est pas l’égalité entre les sexes qu’elle recherche, ce sont les différences pour en abuser à loisir. Et c’est bien ce que je souhaite à toutes les femmes d’aujourd’hui, cette triste époque terne et sale où l’on est tout gris à force de vouloir tous se ressembler.
Elle n’est pas une mère très attentionnée, c’est le moins que l’on puisse dire…
On ne peut pas tout faire. L’instinct maternel porte bien son nom. C’est un instinct. Elle ne l’a pas. Point barre. L’enfant à venir est une difficulté à gérer. L’enfant bien arrivé est un autre genre de difficulté, mais toujours une difficulté. Et Betty n’a pas le temps pour cela. Les difficultés, elle les aplanit. Et donc les enfants aussi. Et puis, elle fait partie de ce genre de femmes qui aime trop les hommes pour les partager avec une ribambelle de gamins.
Betty est une séductrice, pas une mère. Betty est piquante, elle ne s’attendrit guère. Elle éprouve d’ailleurs beaucoup de mépris pour tout ce qui touche à l’attendrissement. Elle doit tenir cela de son père. Betty est dure, Betty est dans l’instant partagé avec un homme.
Que vouliez-vous donc qu’elle fasse d’un enfant ? Après tout l’époque aussi voulait cela. Les enfants étaient confiés aux gouvernantes, leur éducation à leurs professeurs, les enfants ne servaient qu’à assurer la descendance. Ceux des milieux modestes se mettaient au travail pour aider leurs parents. Betty se fiche bien de la descendance. Tout ce qu’elle veut, c’est vivre sa vie auprès de l’homme aimé, dans le danger si possible et pour une bonne cause, la victoire contre l’Axe.
Elle aime les falbalas de qualité, elle néglige de s’habiller en souillon garagiste…
C’est certain. Le côté souillon garagiste (va-t-on se faire trucider si l’on emploie ce mot, doit-on se méfier du syndicat CGT des garagistes ?), le côté souillon, mocheté (comme on voit dans le cinéma français actuel — ai-je le droit de dire cela encore ?) donc ce côté-là, non merci. Betty déteste et moi aussi. Et comme je deviens toutes mes héroïnes, en fait je vis leur vie pendant six mois, je les choisis en fonction de leur féminité.
J’aime mettre en valeur la beauté, l’esthétisme, le chic avant tout, l’élégance. Je suis passionnée par l’élégance. Et sa perte. Je regarde les films du début du siècle, ou bien des vidéos qui montrent comment les gens vivaient, amusez-vous à les regarder, l’élégance était partout en 1920, 1930, 1950, chez les bourgeoises comme chez leurs soubrettes. Il y avait de la tenue. Les soubrettes voulaient ressembler à leur patronne. Il existait alors une pyramide sociale qui tirait les gens vers le haut. Aujourd’hui les filles choisissent leurs modèles chez les rappeurs des banlieues. La recherche égalitaire a aplani la pyramide sociale. Evidemment Betty n’est pas de cette engeance.
En même temps, elle a des convictions patriotiques. Agent anglais, elle est en butte aux tracasseries de J. Edgar Hoover, qui manque de peu de l’arrêter. Et elle prend des risques insensés…
Bien sûr qu’elle a des convictions patriotiques ! Qui n’en aurait pas dans cette guerre ? Hitler, Mussolini ne laissaient personne indifférent. Ah si, les Américains, au début. Betty a des convictions et surtout Betty aime le danger. Cela la fait vibrer, elle adore cela.
Elle vit une passion à chaque fois en recherchant des renseignements pour les alliés. Elle vit son amour dans le danger. L’adrénaline la transporte. Chaque mission est liée à une liaison et se termine en un orgasme. La passion s’éteint quand la mission est terminée. Elle ne peut se satisfaire d’une vie simple. Et c’est pourtant ce qui lui arrive à la fin. Alors, elle quitte l’homme de sa vie pour une nouvelle aventure en sachant pertinemment qu’elle se trompe. Sans adrénaline, sans danger, Betty sommeille et cela ne lui ressemble pas. C’est là où je la définis féministe, Betty est celle qui combat toujours, tout le temps, pour des bonnes raisons.
Albin Michel
Elle reste, après-guerre, d’une discrétion exemplaire, dans son château de Castelnou, dans les Pyrénées-Orientales. Elle n’est pas du genre à hanter les gazettes pour s’y faire mousser…
Non, ce n’est pas son genre les gazettes, c’est plutôt celui de sa mère et Betty ne ressemble pas à sa mère qu’elle méprise profondément. Betty s’ennuie à Castelnou, elle s’ennuie terriblement. Je pense que si elle avait vécu, Betty aurait rempilé et aurait été parfaite en pleine guerre froide. C’est peut-être la retraite forcée qui l’a tuée, je ne sais pas. Ce dont je suis certaine c’est qu’elle aurait continué à espionner pour le MI6 en pleine guerre froide. Alors, elle serait tombée amoureuse de Philby et elle aurait mis à jour le réseau des Cinq de Cambridge ! D’ailleurs, ceux-là, j’ai une vraie fascination pour eux. J’ai failli traiter de la femme de Philby, mais enfin, c’est une acharnée du communisme, je n’ai pas pu. Et puis, très mal habillée !
Elle nous montre ce qu’est une vraie héroïne : pas une Pucelle de Domrémy, ni une pétroleuse. Ni Sand, ni Simone de Beauvoir. Ne serait-elle pas un archétype elle-même ? Au fond, un exemple ?
C’est la littérature qui définit les archétypes. Bon la pucelle, impossible. Sand, pas assez féminine, même si c’est une grande amoureuse, Beauvoir trop fausse, une pétroleuse, non, pas assez sérieuse. Betty est en fait toutes les femmes, elle est d’abord une femme amoureuse. En cela elle traverse toutes les époques. Betty est vraie avec elle-même, elle ne se ment jamais, elle définit sa propre vérité qui passe par les hommes. Elle se donne, aux hommes, aux Anglais, à l’Amérique, à l’Espagne. Elle se donne et ça la fait vivre. Non elle n’est pas un archétype. Elle est la femme dans toute sa splendeur, celle qui est prête à aller au bout pour un homme. Betty est Eve et puis Phèdre, Betty est Bardot, Betty est Pamela Harriman, Betty est une séductrice avec des convictions, cela existe encore aujourd’hui ?
Au moment où Betty Pack subtilise les codes qui permettront l’Opération TORCH (entre autres), Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, bien à l’abri de tout projet de résistance, définissent l’être comme la somme de ses actes. Betty n’est-elle pas, de ce point de vue, bien plus réelle que Simone ? Et à ce titre, n’est-elle pas pleinement « devenue femme » ?
Non, pas du tout, Betty est née femme. Elle est à l’opposé de Beauvoir, ce couple m’a toujours profondément ennuyée. Betty a la séduction dans le sang. Toute petite déjà et ce n’est pas une invention de ma part ! Betty petite fille tente de séduire son père qui ne la regarde pas. Alors elle écrit un livre pour lui. Et c’est un amiral italien qui tombe fou d’elle, puis un joueur de tennis espagnol. C’est une petite fille, non c’est déjà une femme et elle n’a que dix ans. Elle a la séduction dans le sang et c’est cela le féminisme tel que je l’entends. La différence et pour tout dire, la supériorité. La femme est supérieure à l’homme dans bien des domaines, ne me parlez surtout pas d’égalité.
Stéphanie des Horts est membre du jury du prix des Hussards, fondé par Christian Millau, avec Jérôme Leroy, estimé chroniqueur de Causeur, Eric Naulleau, Jean Tulard et Philibert Humm. Ils remettront le prochain prix ce soir. Je n’en dirai pas plus — mais je sais qu’ils donneront le « coup du shako » à Nicolas d’Estienne d’Orves pour son Dictionnaire amoureux du mauvais goût, célébré ici-même.
Stéphanie des Horts, Cynthia, Albin Michel, avril 2023, 320 pages.
Le Monde et Le Canard Enchaîné rapportent d’étonnants propos tenus, en petit comité, par Emmanuel Macron. Le président semble affectionner un langage de charretier quand les citoyens ne sont pas là pour l’entendre…
Lors des Vraies Voix (Sud Radio) du 18 avril, animées par Philippe David et Stéphanie de Muru – émission que j’ai la faiblesse de juger excellente par son mélange de sérieux et de drôlerie -, à nouveau confronté à la critique virulente de Françoise Degois, socialiste assumée, sur Emmanuel Macron, je me suis trouvé dans l’obligation de rappeler qu’il avait aussi des qualités, de l’intelligence et qu’on ne pouvait pas faire comme s’il était tellement médiocre que rien de positif ne pouvait être dit à son sujet. J’ai été immédiatement traité de « macroniste », ce qui est une absurdité pour qui, par exemple, lit certains de mes billets. Ceux-ci permettent, il faut le dire, de ne pas s’abandonner à une réactivité immédiate conduisant à forcer le trait…
Avoir écrit le 18 avril : « Emmanuel Macron : « une espèce de vide » ?« , m’a conduit à me pencher sur le contraste entre l’allocution présidentielle et les propos qui l’ont précédée. Entre l’apparente sérénité et équanimité de la première et la vulgarité des seconds, comme si Emmanuel Macron était un adepte du double Je. Ce que d’ailleurs j’ai toujours cru, avec cette propension qu’il a à se couler dans la conviction de son interlocuteur, sur le plan national comme – et c’est plus grave – dans le registre international.
Arrêter de faire des “turluttes” aux maires du Sud
Je ne suis pas naïf au point de m’imaginer que les chefs d’État, dans leur entre-soi de conseillers et d’affidés, n’usent que de la langue de Bossuet. C’était vrai pour le général de Gaulle, pour Georges Pompidou, pour Nicolas Sarkozy et pour Jacques Chirac. C’est vrai pour Emmanuel Macron.On peut aussi se rappeler les vulgarités de Richard Nixon, lors du Watergate, quand il se croyait seul avec ses collaborateurs.
Pour notre président, s’il n’y a rien de choquant dans sa volonté « de faire passer en première lecture avant l’été les textes travail et immigration » et que l’expression imagée dont il use : « Il faut se mettre en danseuse et repartir. Relever le museau« n’est pas honteuse, on peut en revanche s’étonner – euphémisme ! – de la suite : « Il faut être dur avec ceux qui veulent nous crever la paillasse. Faire payer l’hypocrisie et les jeux de dupes ». Sans oublier, à l’intention de quelques maires socialistes du Sud, « il faut arrêter de leur faire des turluttes« (Ce que rapporte Le Canard enchaîné). Sans doute cela a-t-il fait rire son cercle inconditionnel mais de la part d’un président, c’est affligeant. Au risque de passer pour un rabat-joie démocratique, cette période ne prête pas vraiment à la réjouissance ! Il est vrai que tous ceux qui travaillent de près avec Emmanuel Macron ont confirmé qu’il affectionne un langage sinon de charretier, du moins plus que familier. Sans doute la libération d’un esprit trop plein… Pour être aimable !
C’est loin, 2027
Cette manière, après son intervention où il invoque l’exigence de « l’apaisement » en considérant ce dernier quasiment comme acquis, de montrer qu’il n’est prêt qu’à en découdre et à jeter encore plus d’huile sur le feu, ne laisse pas d’inquiéter sur la sincérité de celui qui a été réélu pour tenter de mener la France à bon port au moins jusqu’en 2027. C’est probablement l’une des causes fondamentales de la désaffection citoyenne que cette pluralité de langages sur le plan politique et ce que l’on pourrait appeler la comédie institutionnalisée, l’hypocrisie consacrée. Que peut bien penser un citoyen de bonne foi, même s’il n’y a pas à surestimer la délicatesse des oppositions (celle de LFI en tout cas dans le verbe et les attitudes hostiles au président), de ce clivage entre un Emmanuel Macron qui feint officiellement la douceur et l’urbanité républicaines et, dans ses coulisses authentiques, montre la dérision et le peu de crédit qu’il attache à ces dispositions affichées pour la frime démocratique ?
Ce qui serait acceptable dans une nation à peu près en paix civile est intolérable dans un pays qui depuis plusieurs mois, est bousculé, bouleversé, fracturé, sans gouvernail véritable, sans un pouvoir respecté bien au-delà des contestations politiques. La parole publique n’est plus crue. On ne l’imprime plus comme digne d’intérêt et de confiance.
Avec un président qui joue un double Je avec les citoyens et les corps intermédiaires, elle se perdra dans les oubliettes républicaines.
Je veux conclure, selon moi de manière honnête. J’ai le droit d’avoir cette vision critique du président et de l’essentiel de sa politique mais il n’empêche que j’ai honte pour cette démocratie qui traite et insulte ainsi un chef de l’Etat réélu. J’ai peur pour lui et le silence assourdissant de toute la classe politique est lamentable.
S’opposer au président, soit, mais dégrader à ce point la fonction, non!
Les gogos qui adhèrent aux théories conspirationnistes sont les vaches à lait des « entrepreneurs en complot ». Humoristes ou anciens journalistes, ce sont de véritables hommes d’affaires qui déclinent leur discours haineux en livres, DVD, objets dérivés, voire en cryptomonnaie. Un business anti-élite des plus juteux.
Les chercheurs se sont beaucoup penchés sur les motivations – psychologiques, sociales ou pathologiques – de ceux qui croient aux théories du complot. Mais pour ceux qui leur fourguent ces « théories », l’explication est plus simple : il y a un fric fou à faire. Le modèle économique de ces « entrepreneurs en complots », selon le terme spécialisé, est en évolution constante grâce surtout à la technologie numérique. Leurs multiples sources de revenus comprennent livres, films et DVD, spectacles payants, émissions télé ou radiodiffusées sur internet, la publicité, la vente de marchandises et de services, et finalement des cryptomonnaies.
Opérations sous fausse bannière
Pourquoi ces élucubrations sont-elles si vendables ? À la différence de vrais complots, par exemple celui du 11-Septembre ourdi par Al-Qaida, les conspirations échafaudées par les entrepreneurs sont essentiellement infalsifiables car, selon ces derniers, tout n’est que faux-semblants dans la version « officielle » des événements. Au fond, il y a un seul super-complot mondial organisé par une petite élite où les juifs, les banquiers, différents États et certains organismes supranationaux peuvent jouer un rôle. Cette élite est responsable de presque tout ce qui va mal dans le monde et manipule les citoyens ordinaires. Elle est archicompétente puisqu’elle arrive toujours à ses fins. Pourtant, il reste des anomalies (comme le nombre de coups de feu entendus lors de l’assassinat de JFK) permettant aux chercheurs de vérité de détecter l’influence de cette main cachée. Le complot est toujours en train d’évoluer vers quelque étape finale où notre asservissement sera total, mais cela nous laisse encore le temps de le stopper. Une place importante est accordée aux « opérations sous fausse bannière » : la plupart des attentats terroristes et autres seraient des mises en scène coordonnées par l’élite pour hystériser la population. Cette vision du monde procure au croyant des bienfaits qui valent de l’or : le frisson engendré par un récit dramatique ; le réconfort d’une explication simple pour le chaos apparent du monde ; une consolation pour ses propres échecs, car tout est la faute de l’élite ; le refus des orthodoxies et des expertises reconnues ; la fierté d’être de ceux qui ont compris la vérité ; le contact social avec d’autres croyants ; et enfin le plaisir de la recherche des anomalies – un sudoku intellectualisé.
Par sa version personnelle du complot, l’entrepreneur crée son branding et peut procéder au merchandising. Le père, ou le grand-père, de ce modèle, c’est l’Anglais David Icke, 71 ans, ancien animateur sportif de la BBC et porte-parole du Parti vert. En 1991, il se proclame le fils de Dieu et commence à exposer sa théorie, sans doute la plus délirante de toutes. Très influencé par Les Protocoles des sages de Sion, il considère que l’élite, qui cherche à instaurer un « nouvel ordre mondial », c’est-à-dire un État fasciste planétaire, est surtout composée de « sionistes Rothschild ». Il se défend d’être antisémite, car il s’agirait d’un petit nombre de juifs en apparence qui seraient en réalité des hybrides entre des hommes et des entités interdimensionnelles reptiliennes, comme d’ailleurs tous les présidents américains et la famille royale britannique. La Shoah a eu lieu, mais aurait été financée par cette élite, tandis que le 11-Septembre a été une mise en scène.
Il développe sa vision d’abord dans une série de best-sellers traduits dans de nombreuses langues. Rien qu’avec ses livres, il est multimillionnaire. Les conférences qu’il donne autour du monde se déroulent à guichet fermé. Un seul événement à Melbourne en 2011 lui rapporte 94 000 euros. À Londres, en 2012, il régale un public de 6 000 personnes pendant onze heures. Son site web vend billets, livres, DVD, vêtements et compléments alimentaires. Sa chaîne YouTube, avant sa suppression en 2020, aurait rapporté 180 000 euros par an en publicités. Le délire, ça paie…
Un délire rémunérateur, qui a ses limites
Celui qui a le mieux exploité ce modèle, c’est l’Américain Alex Jones. Débutant comme animateur radio, il crée son site, InfoWars, en 1999. Le 11 septembre 2001, il met déjà en doute la version « officielle » de l’événement. Spécialiste des opérations sous fausse bannière, Jones maintient que la tuerie de l’école primaire de Sandy Hook, en 2012, est une mise en scène n’impliquant que des acteurs payés. Ses fans persécutent les familles des victimes qu’ils accusent d’être au service de l’élite. L’émission radio de Jones, très largement diffusée à travers les États-Unis, a des millions d’auditeurs. À partir de 2013, les deux tiers de ses bénéfices proviennent de la vente en ligne de produits de santé. Antivax, il propose des remèdes contre le Covid-19 jusqu’à ce que les autorités interviennent. L’évaluation de sa fortune reste difficile, mais elle pèserait entre 135 et 270 millions de dollars. En 2022, reconnu coupable de diffamation contre les familles de Sandy Hook, il est condamné à payer 1,38 milliard d’euros. Les bénéfices du délire ont des limites…
La carrière de Dieudonné suit la même trajectoire à partir de 2002. Chacun son truc : c’est sous couvert d’humour qu’il échafaude sa version du complot. Un « lobby sioniste », prolongement de la cabale juive qui aurait été derrière la traite des Noirs, dirige un nouvel ordre mondial. La réalité du 11-Septembre est mise en doute, ainsi que celle de la Shoah. Si ses spectacles constituent la première brique de son modèle économique, l’humoriste regroupe la vente de billets, livres, DVD et vêtements sur son site, la « Dieudosphère », et propose un abonnement à ses vidéos sur Quenelle+. Voulant diversifier sa marque, il a proposé d’autres produits pour exploiter ses fans : Ananassurance, Ananacrédit, des cercueils, des masques chinois à un prix faramineux en pleine pandémie et deux projets très louches de création de cryptomonnaie. Ses démêlés avec le fisc et la justice montrent qu’il a fait – et caché – des bénéfices considérables. À la fin, Dieudo a beau se prétendre antisystème : son système à lui marche très bien.
Treize minutes, douche froide comprise ! Tant qu’à n’avoir rien à annoncer, autant faire court…
C’est bien la seule chose de marquante de cette intervention. Encore qu’écouter quelqu’un gloser plus de 10 minutes sur du vide, vous parler d’un monde idyllique où lui seul paraît vivre, pour finir sur un numéro puéril d’autosatisfaction sur Notre-Dame où le caprice du Prince tient lieu de feuille de route, peut paraître assez long, finalement !
L’instrumentalisation de Notre-Dame est la pire chose qui pouvait arriver au chantier. Maintenant, si un quelconque retard apparaît, il faudra bâcler, car pour les courtisans, la reconstruction devra être achevée pour complaire au Prince et non en ayant pour souci la qualité du travail effectué. Il faut satisfaire le petit lord, c’est la seule chose qui compte.
Pour le reste, l’hôpital est en train de se casser la figure, les pénuries de médicaments et de matières premières se multiplient, l’école est en train de s’effondrer et les annonces du ministre lui maintiennent bien la tête sous l’eau, la réindustrialisation reste marginale et le pouvoir d’achat est en berne. La France dont Macron parle et qu’il se glorifie d’avoir redressée a autant de consistance que le rêve de Poutine de devenir maître de l’Ukraine en 15 jours. Cet homme se paye de mots et s’enivre de lui-même. Mais plus il se met en scène, moins il touche le public.
Tout comme il est difficile de donner une consistance au néant, il devient de plus en plus compliqué de commenter une parole présidentielle aussi creuse que démonétisée. Le verbe de Macron est devenu contre-performatif. Plus il glose, plus il détruit. Plus il est optimiste, plus il apparaît faux. Plus cet homme occupe l’espace, plus il étouffe le réel. La chute continue et l’infatuation du verbe ne réussit même plus à masquer l’absence de perspectives.
Les promesses du président ne sont plus que le rappel de ses échecs passés et de ses turpitudes présentes. Son verbe n’est pas créateur d’avenir ou d’espoir d’en retrouver un. Tout ce qu’il annonce a déjà été annoncé précédemment sans pour autant accoucher d’aucune amélioration. Cette allocution n’est que son énième « qui m’aime me suive ». Il devrait rester seul sur la route.
Au programme du spectacle «No(s) dames»: déconstruction des classiques opératiques et drag-queeneries en tout genre.
Le 11 avril, le contre-ténor Théophile Alexandre et le quatuor féminin Zaïde donnaient un spectacle intitulé « No(s) dames » au Trianon de Paris.
Ces artistes prétendent revisiter les figures d’« héroïnes d’opéra aux destins tragiques ». Les rôles de Carmen, Manon ou Juliette y sont incarnés par des hommes afin de « déconstruire les codes » et d’aller au-delà des « fatalités de genre ». Selon Emmanuel Greze-Masurel, le directeur artistique du Volcan, le centre culturel du Havre où eurent lieu les premières représentations en 2022 : « D’un certain point de vue, l’opéra est l’un des fleurons du patrimoine patriarcal. » Lui et Théophile Alexandre ont donc choisi de privilégier un quatuor de musiciennes plutôt qu’un « orchestre rugissant – encore aujourd’hui majoritairement masculin – et un chef, avec une grande baguette », nous apprend la revue Causettequi, enthousiaste, décrit les folies vestimentaires et drag-queenesques du contre-ténor jouant « avec des bustiers corsetés, des robes entravées et des talons vertigineux ».
De Diapason à Têtu et France Musique, la presse applaudit à ce spectacle qui « réhumanise les grandes arias de divas composées par des hommes » – Bizet, Grieg, Verdi, Mozart, Rossini, Massenet, des monstres masculinistes qui n’accablèrent leurs héroïnes que pour assouvir leur appétit de domination sur « ces femmes, condamnées depuis des siècles aux rôles d’éternelles victimes ». Le passé coupable, le présent vertueux, l’avenir radieux – adossés à ce triptyque totalitaire, le spectacle propose « un point de vue renouvelé sur ces œuvres, musical et sociétal, pour démuséifier cette musique et la projeter vers l’avenir en incarnant de nouveaux modèles (1) » – c’est-à-dire, aurait dit Mao, pour faire advenir un monde nouveau dans lequel Carmen pourra être indistinctement incarnée par un contre-ténor non binaire, une mezzo-soprano transgenre ou un baryton « avec un utérus ».
Tout ce qu’on voudra, du moment que ce n’est pas… une femme.
La littérature française actuelle se repaît des petits bobos de la vie, des accidents des uns et des maladies des autres lorsqu’elle n’est pas donneuse de leçons… Dans ce paysage navrant, 30 pages, humbles et percutantes, viennent stimuler le lecteur exigeant: La Maison, un inédit de Julien Gracq.
En ce début de printemps, les éditions José Corti publient un court récit inédit de Julien Gracq (1910-2007), La Maison. Cette trentaine de pages, probablement rédigées entre 1946 et 1950 et accompagnées des deux manuscrits de l’auteur, feront le bonheur des amoureux d’un style reconnaissable entre tous : la plénitude d’une écriture descriptive capable de donner à une action toujours ténue le charme décisif de l’événement, et de combler l’attente par une abondance de détails envoûtants susceptibles de changer l’ordonnance du monde. Julien Gracq se définissait lui-même comme un écrivain descriptif presbyte, contrairement à ceux qu’il appelait les descriptifs myopes, son goût pour les lointains plutôt que pour les choses toutes proches lui venant peut-être de son enfance au bord de la Loire, avec ses eaux sauvages qui portaient loin la lumière et les bruits. C’est à cette presbytie descriptive que nous invite La Maison – récit, à la première personne, de la fascination exercée par une demeure d’abord aperçue au loin lors d’un trajet quotidien en autocar. Ceux à qui Julien Gracq, notamment avec Le Rivage des Syrtes (1951), rappelle d’ennuyeux moments de lecture, ne seront pas déçus par ce livre au format atypique et à la couverture printanière. Peut-être cet ouvrage, resté si longtemps silencieux à l’abri de l’érosion que les lectures successives font généralement subir aux textes, à l’abri aussi des changements de notre regard porté sur le monde, leur donnera-t-il le plaisir de renouer avec ce qui, aujourd’hui, relève vraiment de l’inédit : une première personne du singulier qui ne soit pas la voix nue de l’auteur, mais la voix d’un narrateur nous invitant toujours à le suivre lorsqu’il dit « je ».
Une lecture antidote
La Maison de Julien Gracq est, à ce titre, une lecture salutaire, antidote à ce qui se publie à la pelle depuis quelques années, à savoir tout un fatras de récits à la première personne dont les embarrassantes confessions font l’effet d’une expression écrite scolaire (« raconte un événement qui t’a beaucoup marqué ») rédigée à la hâte dans la salle d’attente d’un psychologue. Portraits de soi en majesté, petits moi plaintifs inadaptés au temps présent, nostalgiques sépias des avant-hier qui chantaient encore et, surtout, inlassables sagas du deuil, de la mort du mari à moto à celle du frère atteint d’une maladie génétique, en passant forcément par celle du père adoré et de la petite maman aux seins plats partie de la clinique dans la nuit. L’époque n’est décidément plus à « la rareté de tout, des objets, des images, des explications de soi et du monde » (Annie Ernaux, Les Années), mais au grand déballage de ses petits chagrins narcissiques et de ses grandes peines humaines, étalés avec toute l’immodestie et l’impudeur requises sur les innocentes tables de nos librairies. À mi-chemin entre la rubrique des faits divers et le compte Instagram des états d’âme, cette littérature récente nous inflige l’indigente autobiographie de ses auteurs et décline en exempla latins à usage collectif tout un petit bazar de souvenirs intimes dont le lecteur ne sait que faire. Mais « je » est un hôte : il faut le recevoir et l’écouter parler avec émotion et bienveillance.
Vivre vite (Brigitte Giraud, 2022), Mes fragiles (Jérôme Garcin, 2023), Le Monde d’avant (Marc Lambron, 2023), L’Envers des ombres (Céline Navarre, 2023), L’Exil à domicile (Régis Debray 2022), Inconsolable (Adèle Van Reeth, 2023)… À la lecture – bienveillante, mais sans émotion – de ces ouvrages, une certaine gêne nous prend : autant les petits médaillons tout confits d’orgueil auront probablement la joie furtive de nourrir quelque conversation salonarde (« 1965. À l’âge de 8 ans, je suis déjà un lecteur gourmand, comme si je sentais que les livres abritent tous les secrets du monde », Marc Lambron, Le monde d’avant), autant le récit d’un deuil a quelque chose de bien déroutant. Les deux ne sont d’ailleurs pas exclusifs l’un de l’autre, la fin de vie de maman sous perfusion pouvant garder « une grâce mozartienne » et la mort du frère convoquer de belles ombres tutélaires : « avant de m’effondrer, j’ai pensé à notre mère, dont il était le beau, l’irrésistible souci, et je me suis rappelé alors le mot du général de Gaulle, lorsque sa fille trisomique, Anne, mourut à 20 ans dans ses bras : maintenant elle est comme les autres » (Jérôme Garcin, Mes fragiles). Pas sûr que Mozart ou le général de Gaulle ait été enchanté de figurer dans ce genre de récit. Pensons, de notre côté, au mot de Raymond Aron lequel, coupant court à toute possibilité de confidence trop intime sur l’un de ses drames familiaux, déclarait avec cette pudeur qui n’est au fond que la maîtrise sans gloire des émotions trop vives : « Cela n’intéresse personne. »À l’heure où même le porno devient éthique, ces irrépressibles épanchements gagneraient à rester au creux des âmes plutôt que de venir noircir des pages blanches et ternir le sens que nous donnons, en silence, à nos propres malheurs. À moins que la littérature n’ait trouvé dans le bulletin de santé physique et mentale de ses auteurs et de leurs proches de quoi pallier durablement ses carences en imaginaire. Ce qui serait regrettable, car la vie est, espérons-le du moins, autre chose qu’un « tambour de machine à laver » et la mort peut-être assez étrangère à« 300 F oubliés dans le distributeur de la Société Générale » (Brigitte Giraud, Vivre vite, Prix Goncourt 2022).
Sevrage de la myopie égotique
La littérature peut-elle encore être autre chose que ces miscellanées ego-morbo-pornographiques ? Repus du « je » incontinent d’un bon nombre d’auteurs, le lecteur se réfugiera sans doute dans Avers de J.M.G Le Clézio (2023), ou Histoire d’un ogre d’Erik Orsenna, publiés en ce début d’année. Mais parler d’autres que soi est-il davantage une garantie de qualité littéraire ? Dans ses « Nouvelles des indésirables », généreux sous-titre qu’il donne à Avers, Le Clézio se fixe comme objectif « de faire naître [chez le lecteur] un sentiment de révolte face à l’injustice » de ce qui arrive à ses personnages. Pour une fois que nous avons des personnages, ne boudons pas notre plaisir. Pourtant, « pourquoi inventer des personnages, des histoires ? Est-ce que la vie n’y suffit pas ? » se demande soudain l’auteur. Pensons à poser la question à Victor Hugo, Honoré de Balzac, Émile Zola, Marcel Proust. Et aussi à Michel Houellebecq. En attendant, Maureez, Aminata, Hanné, Renault et les autres sont là pour jouer leur rôle de grands oubliés des joies quotidiennes : tous des damnés de la terre, violés, battus, méprisés, insultés, abandonnés à leur triste sort, des « bon[s] à rien juste à nourrir les cochons et aboyer comme les chiens » ou à « rester assis sur [leur] morceau de rue ». À eux « les choses tristes, douces-amères, la dame employée de bureau assise sur le quai, son mari qui l’a battue, qui l’a trompée, ses enfants qui l’ont abandonnée, ses amis qui se sont détournés ». Quant à Erik Orsenna, ce ne sont pas les pauvres, mais les misérables riches qui font sa raison d’écrire : son ogre, Vincent Bolloré, dont il fait un curieux portrait à la limite de la démence, lui donne l’occasion de montrer, dans un style pseudo-voltairien, et entre deux petites jouissances d’autosatisfaction bien sonore (« votre narrateur, un temps conseiller culturel de François Mitterrand, avait participé activement à la création de cette oasis [Canal+] ») qu’avec le temps, la grammaire a cessé d’être une chanson douce. Quel gâchis, Orsenna était un nom si… gracquien.
Revenons donc à La Maison, de Julien Gracq, et comparons : « Tout était léger, ouvert, cristallin, facile – d’un autre monde – comme si le rideau de pluie brusquement levé m’eût été ce fondu enchaîné des films qui soude en une seconde les rues aux forêts et les minutes aux années. Quelques pas plus loin, la maison soudain fut là. Je la touchai presque de la main, gainée qu’elle était presque jusqu’au rebord du toit d’un treillissage de branches sèches, ses volets déboîtés enchevêtrés déjà dans les ronces, son balcon de fer tordu sombré dans le feuillage comme la passerelle d’un bateau coulé. » Ce que l’on trouvera dans ces quelques pages sauvées de l’oubli sera le plaisir, si rare aujourd’hui, de voir décrit le monde. À l’heure où certains sont intarissables sur la solastalgie –pompeux néologisme désignant la nostalgie devant un paysage disparu sous l’effet de l’activité humaine–sans être pour autant capables de dépeindre, par l’écriture, un visage aimé, un coin de nature ou un morceau de ciel, Julien Gracq nous lave les yeux et nous fait voir ce que décrire veut dire. Il nous montre aussi qu’un livre publié en 2023 grâce aux ruses du temps peut ne parler ni des petites misères ni des grands malheurs de son auteur. Rendons un discret hommage, en le lisant, à celui qui, en écrivant, nous sèvre d’un coup des mesquineries de la myopie égotique et nous rappelle les charmes de la presbytie en littérature.
La dernière allocution de notre Impuissant de la République qui vient de promulguer sa Réforme des retraites est, on en a pris l’habitude, aussi incantatoire que nébuleuse. Elle ne manquera pas, on s’en doute, d’attiser l’incendie qui couve sous toute poubelle en France. Notre thaumaturge sollicite 100 jours pour redresser, à coups de projets improbables pilotés par des comités Théodule, un pays qui vacille. 100 jours, puis, l’exil à Sainte-Hélène pour un président stendhalien, épigone de Julien Sorel, qui rejouerait son Waterloo personnel ? Voilà de quoi conforter dans leur volonté d’allumer le feu, blacks blocs et autres illuminés adeptes du désordre comme ultime finalité ou activistes au service d’une écologie sectaire.
C’est le Grand Soir? Non, Madame, juste le crépuscule!
Les manifestations réitérées contre la réforme des retraites, la joyeuse réunion de Sainte-Soline et, peut-être même le printemps, avaient déjà ragaillardi les blacks blocs et les faibles d’esprit de tout poil, séduits par le chaos. Après la dernière sortie présidentielle, on en est à peu près sûr, nos jeunes sots, produits d’une école en faillite et d’une autorité en crise, dûment remobilisés, sont regonflés à…bloc. Encapuchonnés et tout de noir vêtus, ces révolutionnaires d’opérette, aussi décérébrés que nuisibles, vont pouvoir perpétuer leurs ravages dans les centres de nos villes et continuer à attaquer nos policiers. Ces fantoches, confortés dans leurs exactions par certains politiques qui ont pour eux les yeux de Chimène, sont à la contestation citoyenne ce qu’est la grêle aux vignes.
Jeunes sots infatués, ils s’imaginent préparer un nouveau Grand Soir. Las, ce n’est que la tombée du crépuscule qu’ils hâtent. L’histoire, on le savait, se répète, bégayant, de la tragédie à la farce. Mais voilà maintenant qu’elle éructe ; on a perdu jusqu’aux mots que l’école a cessé d’enseigner. Des vocables frustes et grossiers qui confinent à l’onomatopée, badigeonnés à la hâte sur les murs de nos villes par ces Huns modernes, attestent de cette inquiétante volatilisation du langage. La violence tend à se substituer à toute possibilité de verbalisation.
Image d’illustration Unsplash
Au XIXè siècle, déjà, une génération s’égare…
Au début du XIXe siècle, dans une situation de perte de repères semblable à la nôtre, le tout jeune Musset pouvait encore formuler l’absence de perspectives et l’inaction qui corrodent lentement la vie d’une jeunesse rendue veule par l’inertie. Ainsi, dans La Confession d’un enfant du siècle, après la succession des révolutions et la fin des Guerres napoléoniennes, Alfred écrivait, commentant son époque : «Trois éléments partageaient (…) la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique (…)Un sentiment de malaise inexprimable commença donc à fermenter dans tous les cœurs jeunes. Condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres de toutes espèces, à l’oisiveté et à l’ennui, les jeunes gens voyaient se retirer d’eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leurs bras. Tous ces gladiateurs frottés d’huile se sentaient au fond de l’âme une misère insupportable. (…) »
Les mots qui tenaient la nuit en respect ont disparu au profit des comportements décadents et violents. J’ai pu le constater lors de la manifestation lyonnaise du 13 avril. Voyez plutôt: la préfecture, modifiant le parcours de la procession a permis à la médiocrité intellectuelle d’une partie de la jeunesse, biberonnée à la haine de l’effort comme à celle de la réussite et au mépris la culture de s’afficher sans complexe. Ce jour-là, on avait eu, en haut lieu, la géniale idée de faire passer le cortège par le vénérable boulevard des Belges, bordé d’hôtels particuliers qui jouxtent le Parc de la Tête d’Or. Bien sûr, les précédentes journées avaient été, elles aussi, chaotiques : destruction systématique des abris bus, des vitrines des banques, assurances et agences immobilières, sans oublier la pause- café chez Nespresso. Le tout sur fond de feu de poubelles et de provocation des forces de l’ordre. Maintenant, il s’agissait de faire trembler ces salauds de nantis, totale réussite : intrusions dans les propriétés, jets de projectiles sur les façades des bâtiments, slogans anti-riches et tags qui, tels des crachats, souillaient les murs.
Misère des slogans
Voici un florilège de cette expression rupestre d’un genre nouveau, assez inquiétante pour l’avenir de la jeunesse et par voie de conséquence pour les moins jeunes : « Macron pendaison », « Mangez les bourgeois », « Tout le monde déteste les bourgeois », « Vengeance pour Sainte-Soline : vengeance SS (sic) », « On est né pour la retraite », « On veut des cunis pas des képis » et bien sûr, les inévitables « ACAB », ou autre « Tout le monde déteste la police. » Le seul hôtel particulier épargné lors de cet après-midi festif, l’aurait été, selon ce qu’on m’a rapporté, parce que ses propriétaires qui montaient la garde sur le pas de la porte auraient précisé aux jeunes vandales soutenir la cause palestinienne !
Quand l’école préfère s’occuper du sexe des anges et du bien-être de ses usagers plutôt que de nourrir des esprits qui ne tournent plus qu’à vide, craignons que cette minorité facétieuse ne devienne rapidement majorité. La nuit est peut-être sur le point de tomber.