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Au bord du gouffre turc

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Dommage, ce titre, Burning Days : ça sonne franchement plat.  Et d’abord, pourquoi en anglais ? Pour la sortie du film dans nos salles, le distributeur aurait été mieux inspiré de conserver le titre original, en Turc : Kurak Günler. Euphoniquement, ça chauffe beaucoup mieux. Tant pis : ce n’est pas l’essentiel.

Emin Alper, un réalisateur et scénariste talentueux

Burning Days, donc : dernier long métrage d’Emin Alper, 49 ans, figure majeure du Septième art ottoman, et actuel programmateur artistique de la (toute nouvelle) cinémathèque d’Istambul. On lui doit déjà trois films sensationnels : Derrière la colline (2012), Abluka – Suspicions (2015) tourné dans une banlieue misérable de la capitale, A Tale of Three Sisters (2019), drame social situé dans un village montagneux d’Anatolie. Sans compter, en 2020, Alef, une série policière diffusée sur FX Network. Autant dire que Burning Days, dont le réalisateur est cette fois encore le scénariste, aiguisait d’emblée la curiosité. On n’a pas été déçu : tant sur le plan visuel que narratif, c’est une perle.  

Selin Yeninci et Selahatti̇n Paşali

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Une route rectiligne traverse un désert minéral, calciné, au milieu duquel s’ouvre, surprise, un énorme cratère de forme rigoureusement circulaire, aux vertigineuses parois verticales, gouffre géométrique qui semble échappé de l’imaginaire SF. En réalité, ces chaudrons spectaculaires existent bel et bien dans la nature : ce sont ce qu’on appelle des dolines. Sous l’effet de l’assèchement des nappes phréatiques, le sol calcaire se dissout, ce qui provoque de tels effondrements de terrains, aussi soudains qu’imprévisibles. Le prologue du film nous en dévoile un. Fascinant.

Pathologies turques

Propre sur lui, tiré à quatre épingles, Emre (Selahattin Pasali), un jeune, sportif et séduisant procureur, célibataire de son état, vient tout juste d’entrer en fonction dans une bourgade retirée, Yaniklar (mais le nom est fictif), au fin fond de l’Anatolie. Passé les politesses d’usage, le fonctionnaire vertueux ne tarde pas à s’affronter aux notables locaux, lesquels encouragent et patronnent les traditions du cru, en particulier la chasse au sanglier. Celle-ci donne lieu chaque année à des réjouissances populaires, marquées entre autres par le défilé d’une bête sanguinolente dans la rue principale du bled, par des libations sans frein, mais aussi par des coups de feu tirés en l’air, au risque d’un accident. Passant les réserves d’un officier de police gêné aux entournures à l’idée du scandale, Emre réagit avec fermeté, n’hésitant pas à inculper les fauteurs de trouble. Sur cette ambiance surchauffée se greffe une situation de grave pénurie d’eau, les nappes phréatiques étant à sec, si bien que les habitants, munis de bidons en plastique, se voient contraints de former quotidiennement de longues files d’attente pour s’approvisionner aux rares points d’eau disponibles. A l’approche des élections municipales, l’atmosphère est électrique. Mêlé à ces luttes de pouvoir, Murat, un journaliste controversé (Ekin Koç), héritier d’un journal local, enquête sur les exactions des édiles en place. Le climat se détériore. D’autant qu’un nouveau glissement de terrain vient de se produire à la limite de la zone construite, mettant à cran une population crédule, manipulée par l’engeance politicienne, à commencer par le maire et son fils. 


C’est avec un art consommé qu’Alper combine les ressorts multiples d’une intrigue qui, sous les triples oripeaux du thriller, du brûlot écologique et du conte (im)moral, dépeint une société fondamentalement pathologique, en proie aux préjugés, à la corruption, au népotisme. Sur fond de catastrophe environnementale, les motifs du machisme, de l’homophobie, de la violence endémique se cristallisent dans le complot ourdi contre Emre, dont les deux commensaux véreux qui le conviaient à dîner semblent avoir empoisonné son verre de raki dans le dessein de l’impliquer dans le viol consécutif de Pemkez, une petite gitane à demi débile qui, depuis longtemps, sert en toute impunité à éponger la lubricité autochtone. Emre tente de reconstituer en pensée, a posteriori, ce qui s’est réellement passé cette nuit- là, tandis que madame la juge le soupçonne d’avoir été partie prenante du crime, et qu’une rumeur se répand quant à ses mœurs homosexuelles supposées, ainsi que sur celles de Murat…

Fort subtilement, le script laissera jusqu’au bout planer sur le spectateur le doute si les flash-back de l’intègre procureur ne relèvent pas des errements de sa mémoire… D’où un suspense qui vous tient tout à la fois captif de ces impondérables du psychisme, et anxieux de savoir de quelle façon cet imbroglio va trouver son dénouement… Au bord d’une doline ?    


Burning Days. Film de Emin Alper. Avec Ekin Koç, Selahattin Pasali. Turquie, France, Allemagne, Pays-Bas, Grèce, Croatie. Couleur, 2022. Durée : 2h09. Sorti en salles le 26 avril 2023.

À la recherche des musiques perdues

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C’est à guichet fermé que, dimanche 16 avril, s’achevait à l’Athénée – ce délicieux théâtre parisien « à l’italienne », orphelin de Louis Jouvet (qui y mourut), au décor « fin de siècle » resté dans son jus – la comédie musicale Ô mon bel inconnu ! Pur joyau. Encore fallait-il avoir la bonne idée de l’exhumer.

Une éclatante réussite du tandem Hahn/Guitry

En 1933, année de sa création aux Bouffes-Parisiens, le spectacle – avec Arletty, dans le rôle le plus désopilant de la distribution – fut un triomphe. Au point que Radio-Paris le diffuse en direct sur les ondes, le jour même de la sortie du film Ciboulette, de Claude Autant-Lara, adaptation de la plus célèbre opérette de Reynaldo Hahn. Sur un facétieux livret du grand Sacha Guitry, semé de calembours et de fausses rimes, la partition de Ô mon bel inconnu ! conjugue l’esprit potache du café-concert au raffinement allègre de l’opérette. Réuni pour la seconde fois (après Mozart, en 1925, succès qui se prolonge alors pendant quasiment une décennie) le tandem Hahn/Guitry déploie ici sa plus éclatante réussite : ironie, légèreté, tendresse frémissante, jeux d’esprit, magie sonore. Alternant scènes parlées et chantées, le texte, d’une verve éblouissante, magnifie la fantaisie pétillante, la malice, le lyrisme de la composition pour orchestre.

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L’argument ? Prosper Aubertin, un chapelier, tient boutique avec sa femme Antoinette, sa fille Marie-Anne et leur bonne, Félicie. Sous ce toit bourgeois, on ne cesse de s’engueuler. Prosper fait paraître une annonce appelant de ses vœux « l’âme sœur », reçoit cinquante réponses, dont l’une paraphée d’une prétendue comtesse. Mais dans deux autres missives, il reconnaît l’écriture, et de sa femme, et de sa fille. Déguisant la sienne, il leur répond à toutes deux, leur fixe rendez-vous à la villa «  Mon Rêve », prise en location pour huit jours, au Pays basque. Il s’avère que la comtesse n’est autre que Félicie, la bonne. Epuisés la ribambelle de quiproquos plus savoureux les uns que les autres, l’intrigue galante se dénouera par le retour du couple Prosper & Antoinette dans le devoir conjugal, la félicité… de Félicie auprès du propriétaire de la villa, et l’arrangement des fiançailles de la Marie-Anne avec le bel inconnu de la poste restante…

Pas un fade sirop

Cette resucée des Années Folles ne serait qu’un fade sirop sans cette merveilleuse mise en scène, signée Emeline Bayard, à laquelle les chanteurs interprètes apportent leur contribution sans faille. A commencer par Emilie Bayard, dans le rôle « parigo » et gouailleur, irrésistiblement déluré, de Félicie la soubrette. Sommet de la partition, emprunt d’une mélancolie toute romantique, le trio familial du deuxième acte met en valeur les voix de Clémence Tilquin (Antoinette) et de Sheva Tehoval (Marie-Anne), tandis que Marc Labonnette campe Prosper avec brio. Dans la fosse, le bien nommé Orchestre des Frivolités Parisiennes, et Samuel Jean à la baguette, pleine de vivacité.   

La province – ou « les territoires », comme on se doit paraît-il de dire aujourd’hui – ont de la chance. Le spectacle en effet sera repris l’hiver prochain pour quelques rares représentations, à Lyon, puis à Rouen, Avignon et puis encore à Massy, Samuel Jean partageant cette fois le pupitre avec Marc Leroy-Calatayud, tour à tour devant l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, l’Orchestre National Avignon Provence, et l’Orchestre de l’Opéra de Massy. Sans compter une version de concert, en octobre 2023, à Munich, dans une production de la Radio de Munich.

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Le Palazzetto Bru Zane, palais magnifiquement restauré en 2009, sis au cœur de la Sérénissime, dans un quartier proche de la basilique des Frari, abrite un Centre culturel de renommée internationale, qui s’est donné pour vocation la redécouverte et le rayonnement de la musique romantique française. C’est au Palazzetto Bru Zane qu’on doit l’édition CD de Ô mon bel inconnu, à partir d’un enregistrement réalisé en 2019 à Avignon, livre-disque somptueusement conçu, à l’instar des autres volumes publiés avec un soin inouï par l’institution vénitienne (par exemple l’opéra Herculanum, de Félicien David, ou Thérèse, de Massenet) : couverture luxueusement cartonnée illustrations superbes, textes critiques et livret bilingues français-anglais, etc.

© Marie Pétry

Last but not least, le Palazetto Bru Zane transporte son Festival parisien, pour sa 10ème édition du 19 juin au 4 juillet prochains, à l’Auditorium de Radio France et au Théâtre des Champs-Elysées. Point fort de ce rendez-vous hautement mélomane, le « conte lyrique » Grisélidis, de Jules Massenet, œuvre créée en 1901, et qui, clôturant le festival, sera jouée en version concert dans la fameuse salle de l’avenue Montaigne. En ouverture de la manifestation, Motets du Second empire à la Troisième république, florilège de ces compositions signées Fauré, Chausson, Gounod, Saint-Saëns, Delibes mais aussi, moins connues, Sohy, Grandval, Bonis ou Chaminade, le Chœur de Radio France aux manettes. Autre rareté, l’opéra Fausto, de Louise Bertin, œuvre millésimée 1831, toujours au Théâtre des Champs-Elysées, le 20 juin, où l’on entendra également, le 23 juin, quelques pièces rares de « compositrices romantiques », telles l’ouverture du Loup-Garou, toujours Louise Bertin, ou le deuxième concerto pour piano de Marie Jaëll, en tout sept partitions méconnues – Hervé Niquet au pupitre, l’Orchestre de chambre de Paris dans la fosse, et David Kadouch au clavier.

Comme quoi, la musique française reste encore une belle inconnue à rencontrer.


Ô mon bel inconnu, de Reynaldo Hahn. Avec Marc Labonnette, Clémence Tilquin, Sheva Tehoval, Emeline Bayard, Victor Sicard, Jean-François Novelli, Carl Ghazarossian, Emeline Bayard (mise en scène), Anne-Sophie Grac (décors et costumes), Joël Fabing (lumières), Orchestre des Frivolités parisiennes, Samuel Jean (direction). Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris, jusqu’au 16 avril 2023

Reprises du spectacle :
Opéra de Dijon les 1er et 2 décembre 2023 à 20h. Théâtre des arts, Rouen, le 16 décembre 2023 à 18h et 17 décembre à 16h. Opéra Grand Avignon les 29 et 31 décembre 2023 à 20h, le 30 décembre 2023 à 14h30. Opéra de Massy le 9 mars 2024 à 20h, le 10 mars 2024 à 16h.

Livre-disque : Ô mon bel inconnu, de Reynaldo Hahn. Avec Véronique Gens, Olivia Doray, Eléonore Pancrazi, Thomas Dolié, Yoann Dubruque, Carl Ghazarossian, Orchestre national Avignon-Provence, Samuel Jean (direction). Palazzetto Bru Zane.

Reynaldo Hahn: Ô mon bel inconnu

Price: 9,99 €

1 used & new available from 9,99 €

Festival Palazetto Bru Zane Paris, du 19 juin au 4 juillet.

Réservations : theatrechamselysees.fr Tel : O1 49 52 50 50

www.maisondelaradioetdelamusique.fr Tel: 01 70 23 01 31

Mort à la littérature!

Les sensitivity readers sont le bras armé du puritanisme progressiste en littérature. En expurgeant les œuvres anciennes et modernes, notamment celles de Roald Dahl et Ian Fleming, de toute aspérité et complexité, du moindre mot qui pourrait troubler, voire blesser le lecteur bisounours issu du wokisme, ces censeurs défendent des livres aussi lisses qu’inutiles.


Le grand mouvement actuel de réécriture, voire d’abolition, des œuvres du passé, repose sur une incompréhension totale de ce qu’est la littérature. Et même l’art. La littérature n’est pas une maman qui console et qui rassure, elle n’est pas non plus un grand frère qui montre la voie, avec sa sale tronche d’optimiste souriant, elle n’est pas davantage une marquise pour qui « tout va très bien ». Cioran, dans un entretien de 1973, soutient que « l’on écrit pour faire du mal, dans le sens supérieur du mot, pour troubler… […] tout ce que j’ai lu dans ma vie, je l’ai lu pour être troublé… Un écrivain qui ne me martyrise pas d’une façon ou d’une autre ne m’intéresse pas… Il faut que quelqu’un vous fasse souffrir, autrement je ne vois pas la nécessité de lire. » Kafka, dans sa lettre célèbre à Oskar Pollak du 27 janvier 1904, développe la même idée : « Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? »

Les libertaro-puritains qui veulent la mort de nos classiques

Les partisans de la réécriture des œuvres aimeraient, au contraire, des livres qui veillent sur leur sommeil existentiel, des livres gentils avec des personnages gentils, pour construire un monde meilleur. Ou plutôt des livres avec des gentils et des méchants bien identifiables que les lecteurs sucrés puissent reconnaître de façon à aimer les aimables et à détester les détestables (ils ne doutent pas d’appartenir à la caste moralement et intellectuellement supérieure). Au fond, ils ne savent même plus pourquoi la littérature existe, elle n’est légitime, à leurs yeux, qu’à la condition de conforter leur engagement moral, politique et citoyen. Or un livre citoyen est un oxymore. Sans doute, toute une littérature « facile » passe-t-elle de la pommade sur le dos des lecteurs allongés, à La Baule ou à Villefranche-sur-Mer, sur une serviette de bain. Ce type de livres est bien connu ; et je ne le critique pas. Mais les vandales (appelons-les par leur nom, car comme l’écrivit Albert Camus, « mal nommer les choses… »), les vandales, donc, n’ont rien à reprocher à ces livres-pommades, non, ils s’en prennent aux classiques, dressent des listes où l’on retrouve les plus grands écrivains. Ils mandatent des sensitivity readers pour déminer les phrases qui pourraient offusquer les minorités : rien ne doit blesser, aucun mot mal élevé, aucune idée délinquante (« Adieu gros, nègre, pouffe, couvée ! »). Le lecteur est trop sensible pour un tel lexique, la lectrice est trop princesse au petit pois pour supporter une « sexualisation des seins et des fesses ». Au nom du progrès, on retourne au puritanisme le plus con (oui, je fais exprès d’employer ce mot menacé) : les puritains ne le sont plus par conservatisme, mais ils défilent, désormais, sous le drapeau du progressisme (arc-en-ciel, féministe, activiste, arriviste). Je me répète : lire pour ne pas être blessé, ne pas être heurté, c’est lire en philistin, en plouc, en beauf – qu’on porte des seins, des cheveux bleus, des T-shirts contre le réchauffement climatique ne change rien à l’affaire : vous désirez gommer un « gros », souffler sur une « scène raciste », ne pas « sexualiser les fesses de Bardot », vous êtes des porcs. Il faut vous balancer.

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Souhaiter une littérature débarrassée du négatif, c’est souhaiter, ni plus ni moins, la mort de la littérature. Il ne restera que des écrivains sympas, en lutte contre les discriminations sociales et sexistes ; et des sociologues. D’un côté, des romans de plage, inoffensifs, douceâtres et positifs ; et de l’autre, des romans engagés, démocrates et qui posent « la question du vivre-ensemble ». Des romans militants. J’ajoute que si j’ai plus d’estime pour un roman engagé à droite qu’à gauche, c’est seulement parce que le premier type de romans est moins bien reçu médiatiquement que le second. En soi, je l’exècre aussi. Et je les exècre parce qu’ils préfèrent la politique à la littérature, le collectif à l’individu.

Et après ? Le néant…

Les sensitivity readers n’améliorent pas, ils détruisent : ils travaillent pour satisfaire les anti-lecteurs, les lecteurs militants, les lecteurs puant la morale, tous ces lecteurs qui, par nature, n’auraient jamais dû ouvrir un roman digne de ce nom, ou même à peine digne de ce nom (comme les romans de Ian Fleming). Le plus ahurissant, ce sont les justifications, par des universitaires ou des critiques, de la « cancel culture » : comment peut-on aimer l’art, le cinéma, la littérature, tout en acceptant qu’on retouche une phrase, un mot, une idée ? Dans L’Homme surnuméraire, j’avais imaginé une collection, « La littérature humaniste », où l’on supprimait « les morceaux qui heurtent trop la dignité de l’homme, le sens du progrès, la cause des femmes ». Les promoteurs de cette collection défendaient leur programme éditorial en refusant qu’on lui accole le concept de « censure » : ils arguaient que, de toute façon, d’autres éditeurs proposeraient toujours les livres « dans leur intégralité ». Je n’ai donc pas été étonné de retrouver, tel quel, ce stupide argument sous la plume des partisans des réécritures (si prévisibles iconoclastes !). Mais je n’avais pas songé à cette baliverne qu’on entend partout : « On a toujours réécrit les œuvres pour les adapter à des époques nouvelles. » Cet argument est un sophisme : quand Cocteau réécrit Œdipe roi, il signe Cocteau, pas Sophocle. Et plus insidieux encore, certains confondent les réécritures « morales » avec la traduction d’une langue à une autre. C’est oublier que jusqu’au xxie siècle, un traducteur s’enorgueillissait d’être fidèle à l’auteur qu’il traduisait, et ne revendiquait pas de corriger les indignités du livre qu’il était censé servir. Que des jeunes gens, par nature révoltés et naïfs, réclament la tête d’un adjectif ou d’une idée, nous pouvons le comprendre ; mais que des maquignons, déguisés en éditeurs, ou que des militants, grimés en critiques et en professeurs, leur emboîtent le pas, doit être combattu et qualifié pour ce que c’est : de la bêtise, la bêtise toujours recommencée. Increvable. Le monde aura disparu qu’elle continuera de vibrer dans le néant.

La littérature au fouet

Catherine Robbe-Grillet, la dominatrice de la littérature, fut à une époque la très sulfureuse Jeanne de Berg. Son livre culte reparait dans la collection les Cahiers Rouges.


Cérémonies de femmes, ouvrage culte publié, sous pseudonyme, reparaît aujourd’hui sous le véritable nom de l’auteure, Catherine Robbe-Grillet, l’épouse de l’écrivain mort en 2008. Elle relate, à travers six grands tableaux, les moments troublants de sa vie de dominatrice. En 1985, Catherine souhaite garder l’anonymat, même si Mai 68 a bouleversé les mentalités. Elle publie donc sous le pseudonyme de Jeanne de Berg Cérémonies de femmes. Invitée sur le plateau d’Apostrophes, le 13 décembre, elle décide de masquer le bas de son visage avec une voilette. Alain Robbe-Grillet, de New York où il enseigne la littérature française, lui prodigue quelques conseils.

D.R.

Onirisme

C’est un habitué de l’émission ; il y manie l’humour, l’ironie, ses réparties fusent, le regard espiègle au milieu d’un visage barbu. Il tient tête aux conservateurs Michel Droit et Louis Pauwels qui le regardent avec mépris. Il ne lâche rien face au bondissant Philippe Sollers qui n’admet pas de partager le pouvoir des lettres avec « le pape » du Nouveau Roman. À Catherine, donc, il lui recommande d’être naturelle malgré son masque, de ne pas chercher à trop faire la promotion de son livre, de souligner surtout l’urgence qu’il y a à exprimer des fantasmes féminins, ce qu’il fait dans ses livres, souvent de manière onirique. Il dit encore : « On fait trop croire aux femmes qu’elles n’ont pas de vie sexuelle fantasmatique, et même pas de vie érotique indépendante. » Catherine se retrouve face à Françoise Sagan, Bertrand Poirot-Delpech et Roger Peyrefitte. Son intelligence et son audace font mouche. En guise de conclusion à l’émission, Bernard Pivot ne peut s’empêcher de cabotiner en lisant un quatrain dont voici les deux derniers vers : « N’ôtera ni chapeau ni voilette ni robe/En sorte que son nom ne sera pas grillé. » Le secret est éventé. Le livre devient un best-seller.

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De New York aux appartements cossus de Paris, en faisant une halte le long des quais de la Seine, particulièrement suggestive, Catherine Robbe-Grillet lève le voile sur sa longue carrière de dominatrice, méticuleuse ordonnatrice de soirées théâtralisées, qui oscillent entre Sade et Bataille. Le martyre de Saint Sébastien reste le point d’orgue de ces soirées entre initiés. À la lire, on se croirait dans un tableau de Georges de La Tour. Les plaies ouvertes et saignantes ne sont pas sans rappeler celles du Christ en Croix. On se demande alors si cette violence infligée volontairement n’est pas la recherche de la souffrance endurée par le Christ pour obtenir la Rédemption de l’homme malgré son incurable incertitude durant la Vigile pascale.

Glissements progressifs du plaisir

Toujours à propos de Sébastien, Catherine Robbe-Grillet évoque le film de son mari, Glissement progressif du plaisir (1974). « Il y a une scène où une jeune femme casse des œufs sur le corps d’une autre femme, rappelle Catherine Robbe-Grillet. Ces œufs sont déposés avec délicatesse, de telle sorte qu’ils bougent, qu’ils tremblent, mais qu’ils n’éclatent pas. J’avais envie, au contraire, qu’ils éclatent. » Elle remplace alors les flèches du supplice de Saint Sébastien par des œufs. La référence au livre de Georges Bataille, Histoire de l’œil, est évidente. Bataille, né d’un père aveugle et paralysé, écrit : « J’ai, comme Œdipe deviné l’énigme : personne n’a deviné plus loin que moi. » À travers cette mystérieuse jouissance humiliante, Catherine Robbe-Grillet, a-t-elle deviné aussi loin ?

Précisons que ce livre est, avant tout, un objet littéraire qui prouve, une nouvelle fois, que la boite noire de la littérature émet d’où elle veut.

Catherine Robbe-Grillet, Cérémonies de femmes, Les Cahiers Rouges, Grasset, 144 pages.

La révolution, les urnes et la rue

La crise profonde que nous vivons n’est pas inédite dans notre histoire. Elle témoigne même d’une longue « tradition » héritée de 1789: la guerre de légitimité entre le peuple et ses gouvernants. Et notre culture privilégiant l’affrontement à la négociation, la politique se fait aussi dans la rue. Nos dirigeants devraient s’en souvenir.


Apollinaire aimait la guerre et son souvenir, comme nous avons la nostalgie des grandes manifestations de notre enfance. Celles d’aujourd’hui sont trop proches pour être poétiques. Je me souviens de ma déception d’avoir été envoyé à 8 ans en Angleterre. C’était en mai 1968. Les écoles étaient en grève et mes parents y avaient vu l’opportunité de m’y faire apprendre les langues étrangères. J’ânonnais celle de Shakespeare quand en France mes petits amis étaient en vacances. Je trouvais cela injuste. Plus tard, je me suis rattrapé. Ah ! les belles manifestations de ma jeunesse, celles contre les lois Savary sur l’université et les grandes écoles en mai 1983, celles de 1986, trois ans plus tard, contre le projet de loi Devaquet. Je n’avais jamais entendu parler de l’un ni de l’autre, je me fichais comme de l’an quarante de ce qu’ils nous voulaient. Ils avaient mis les étudiants dans la rue et c’était comme une grande récréation, des jours d’école buissonnière entre deux cours, à déambuler narines ouvertes le long des grands boulevards. J’étais jeune, il faisait beau, les filles étaient jolies. Elles avaient la démarche légère et mon âme l’était aussi.

Je n’ai repensé à tout cela que bien plus tard et un peu par hasard, au musée d’Orsay, devant un tableau d’André Devambez peint en 1902, l’un de ses plus célèbres, intitulé La Charge. Il représente en une sorte de plongée nocturne hallucinée, un bout du boulevard Montmartre à l’époque des réclames et des premiers réverbères électriques. Le long d’un trottoir animé, un cordon de policier charge un groupe de manifestants réfugiés en une masse confuse et noire dans le bas du tableau. Entre les deux, on ne voit que l’espace lumineux de l’asphalte. Un immense vide.

Ce tableau-là est comme une allégorie de toute notre histoire depuis la Révolution. Il n’y a pas d’autres pays que le nôtre où la politique s’est faite aussi souvent dans la rue et se mesure encore aujourd’hui – n’en déplaise à Emmanuel Macron – à la longueur de ses cortèges. Nous sommes bien les seuls à ne pas nous étonner d’avoir à vivre des semaines entières dans un pays en partie ou totalement bloqué, à la grande stupeur de nos voisins qui nous regardent en souriant comme on le ferait d’une tribu aborigène au fond d’une savane exotique. Les journées non travaillées pour cause de grève sont une tradition française : plus de 300 pour 5 000 salariés en 2010, plus de 150 en 2019, contre six aux États-Unis la même année. Il existe peut-être des raisons à cela. Il faut les regarder du côté de l’histoire.

Tout se passe comme si nous étions encore aujourd’hui les héritiers d’un unique et long affrontement entre deux légitimités : celle des urnes et de la représentation parlementaire ; celle du « peuple », de sa puissance symbolique, de sa souveraineté éminente et de l’expression immédiate de sa volonté.

La rue contre les urnes. Cette opposition-là est vieille de plus de deux siècles. Cela commence sous la Révolution. Quand, le 17 juin 1789, les députés du tiers-état se constituent en Assemblée nationale sans demander au roi son avis, le 14 juillet, le peuple des faubourgs parisiens prend la Bastille. La « nation » d’un côté, le « peuple » de l’autre. Cet antagonisme est au cœur de la Révolution, il en constitue même le combustible, jusque sous la Terreur. À chaque fois que les sans-culottes des 48 sections parisiennes et de la Commune de Paris marchent sur la Convention, en autant de « journées révolutionnaires », le 5 septembre 1792, le 10 mars et le 31 mai 1793, la Révolution se radicalise.

Ce qui s’apparente à un rapport de forces et de violence tout autant qu’à une guerre de légitimités s’est poursuivi, de barricades en barricades, tout au long du xixe siècle : 1830, 1848, la Commune. Puis dans les grandes grèves sociales de la « Belle Époque », dans les manifestations monstres de février 1934, dans celles du Front populaire, jusqu’aux « événements » de 1968. Et cela dure encore.

L’ombre portée de 1789 n’en finit pas de grandir sous le soleil de l’utopie. Certes, notre Révolution n’est pas exceptionnelle, elle s’inscrit dans un cycle long qui touche, dans les années 1780, les colonies anglaises d’Amérique, Genève et la Hollande avec leurs couleurs propres et leurs influences réciproques. Mais elle est « idéale », dans ce sens où elle a été en France comme nulle part ailleurs, à la fois politique et sociale, égalitaire, amnésique, ombrageuse, totalisante et abstraite. En France, les mots précèdent les choses. Tocqueville le note en passant à propos de la révolution de juin 1848, qu’il a vécue de près. Pris en masse, les Français se comportent très souvent en politique comme « un homme de Lettres ». Ils en ont le tempérament et les humeurs. Rien n’a jamais mieux servi leur imaginaire, leurs projets, leurs désirs que les mots. On a fait la révolution au nom du « peuple » de la « liberté », de l’« égalité » mais de quel peuple, de quelle liberté, de quelle égalité parlait-on ? Civile, politique ou sociale ? Dans un tel contexte, ce que François Furet appelle « le tournant égalitaire » de 1789 nous a durablement marqués. Bien sûr, en juin 1789, le « climat », si l’on peut parler de climat, était un peu celui de l’Arcadie : les enthousiasmes, la sincérité, le désintéressement, l’espoir et les promesses de bonheur. Mais on y respirait aussi un air moins printanier : le choc des ambitions, la jalousie et les soupçons, l’intolérance, les vengeances et la haine. La monarchie absolutiste à la française, pour avoir été incapable de se réformer par le haut, de réduire ses privilèges et d’égaliser l’impôt, a fini par accoucher d’une révolution tout aussi absolutiste, au nom des mêmes principes d’unité et d’indivisibilité. Pour ces raisons mêmes, on en était déjà en 1789 aux violences verbales, les massacres de 1793 en moins. Comment dès lors admettre une quelconque opposition ? De 1789 à 1794, décret après décret, l’adversaire s’est tour à tour mué en « contre-révolutionnaire », puis en « suspect », puis en « ennemi du peuple ». Le Tribunal révolutionnaire et la guillotine réglaient la question, quand ce sera plus tard la déportation et aujourd’hui les tribunaux. Nous n’arrivons pas à nous parler.  Toute notre culture politique, qui préfère l’affrontement à la négociation, découle de ce lointain héritage.

Revenons à nos grèves. La conquête et l’occupation durable de l’entreprise ou de la rue – cet espace lumineux et vide que représente Devambez dans son tableau – sont devenues l’expression par excellence de la légitimité du peuple contre la légalité de ses gouvernants. Un véritable enjeu de pouvoir. En juin 1793, les conventionnels en inscrivent même le principe dans leur Constitution, dite « de l’An I ». Souvenez-vous de l’article 35 de leur Déclaration des droits de l’homme : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

De Gaulle s’est réclamé de cette légitimité contre la légalité douteuse du gouvernement de Vichy, à Londres en 1940, au nom de l’« intérêt du pays » et de l’« urgence nationale » – « Si la légalité est défaillante, la légitimité doit s’y substituer. » Et Sartre tout autant, en 1973, lorsqu’il reprend dans les Temps modernes le slogan des manifestants de 1968 : « Élections, piège à cons ! »

Si, aujourd’hui, le principe de la souveraineté du peuple est admis, après avoir été longtemps contesté, celui de la légitimité morale de notre actuelle République « telle qu’elle est constituée » l’est de moins en moins. Au nom même de son idéal et du vertige inatteignable de ce qui la fonde : la liberté, l’égalité, la fraternité, on n’en aura jamais fini de dénoncer, dans l’ombre portée de la légalité, la corruption par l’argent, les « violences » sociales faites aux salariés ou les insuffisances du droit d’élire. Nous serons encore longtemps habités de cette utopie si française.

Alors qu’il était sur le point de commencer à peindre sa Liberté guidant le peuple dans son atelier du 15, quai Voltaire, Delacroix écrivait ceci à son frère, Charles-Henri, le 12 octobre 1830 : « J’ai entrepris un sujet moderne, une barricade […] et si je n’ai pas vaincu pour la patrie, au moins peindrai-je pour elle. Cela m’a remis de belle humeur. » Il ne s’est pas battu pendant les Trois Glorieuses, mais il a fait beaucoup mieux que cela. Une allégorie de notre histoire. Ce qui surplombe en effet sa liberté, c’est l’utopie et c’est l’avenir. Je pense à Victor Hugo, aux Misérables, à Enjolras et à ses compagnons embusqués derrière leur barricade de la rue de la Chanvrerie, tous ces « glorieux combattants de l’avenir », tous ces « confesseurs de l’utopie » des journées sanglantes de juin 1832. Aujourd’hui, nous ne construisons plus de barricades, si ce n’est avec des poubelles ! Les cortèges les ont remplacés, avec leur lot de violences. La réaction de nos gouvernants aussi a changé. On réprime moins, n’en déplaise à certains, on efface. À la fin des années 1990, les voiturettes vertes des services de propreté de la Ville de Paris nettoyaient, à l’arrière des défilés, jusqu’au dernier tract des manifestants. On a un peu plus de mal aujourd’hui à rendre aux boulevards leur netteté insignifiante et bien ordonnée. C’est que les manifestations se suivent en rangs serrés, des Gilets jaunes aux actuels défilés, comme le ressac et les marées. Ce « pays-ci », comme on le disait de la Cour sous l’ancien régime, demeurera longtemps le pays des songes. Exaltés, contradictoires, meurtris. En France, parfois, ce sont les songes qui l’emportent.

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Ganges Potemkine

Entre demi-vérités et vrai jeu de rôle, par un beau jeudi d’avril, Emmanuel Macron, escorté en silence par Pap Ndiaye, a poursuivi dans l’Hérault sa tentative d’apaisement selon son modus operandi habituel: fausse décontraction de la veste sur l’épaule, éléments de langage et effets d’annonce. Peut-on être convaincu par ses propos sur l’éducation?


Commençons par analyser factuellement le contexte. Sommes-nous vraiment là en milieu rural ? Ganges, à la porte des Cévennes est une ville de 3000 habitants dont la prospérité fut autrefois assurée par l’industrie textile, héritage des filatures de soie d’antan. La concurrence chinoise a, comme chez sa voisine gardoise Le Vigan, détruit ce secteur économique et la petite cité vit aujourd’hui dans la sphère d’influence montpelliéraine. Aux vieilles familles locales sont venus s’ajouter de jeunes cadres et des familles très modestes refoulés là par la flambée des prix de l’immobilier dans la grande métropole distante de 45 kilomètres. Précarité et relatif confort matériel s’y côtoient donc, faisant du lieu une « France périphérique » rurbaine plus qu’un milieu purement rural. Michel Fratissier, maire de Ganges a donc pu, légitimement, évoquer les questions emblématiques des zones géographiques de ce type : fermeture de la maternité, fracture numérique et sécurité. Sans doute par pudeur, cet ancien professeur d’I.U.F.M, que la carrière a pourtant rendu forcément expert sur les difficultés de mises en pratique des consignes de la rue de Grenelle, n’a pas souhaité émettre de doutes sur les annonces pour l’éducation. On  peut cependant comprendre que, lorsque l’on gère une commune où la Macronie, tout à fait par hasard bien sûr, aime à se mettre en scène, l’on ne souhaite contrarier ses hôtes (rappelons la précédente visite en décembre 2021 de Sarah El Haïry à l’école maternelle puis, début 2023, celle annoncée puis annulée de Patricia Mirallès).

Pourtant, des interrogations, il y en a, surtout concernant les niveaux scolaires qui précèdent le collège.

Tout d’abord, l’échec du choc d’attractivité, atteste du fait que l’appréciation du terme « substantiel » diffère du ministère au terrain. Les montants annoncés ne semblent pas de nature à compenser la dégradation des conditions d’exercice du métier. Le gel du point d’indice laisse les plus anciens 20% à 25% en dessous de la rémunération de fin de carrière qu’ils espéraient en entrant dans le métier.

Dégradation continue

Au-delà de cet aspect financier, nombreux sont ceux qui évoquent la perte du sens de leur activité. Depuis Nicolas Sarkozy, tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont contribué à assécher, de façon continue, le flux de transmission des connaissances, principale ambition de tout enseignant. Allègement continu des programmes, suppression de tout livret d’évaluation précis en maternelle au profit de quelques photos des seules réussites, mise en avant du ludique et du sociétal, disparition des R.A.S.E.D.[1], auxiliaires précieux de l’entrée des plus en difficulté dans les disciplines les plus arides, formation continue hors sol… À cela est venue s’ajouter l’ « école inclusive », idée philosophiquement noble ayant accouché d’un monstre, qui conduit les enseignants à s’improviser éducateurs spécialisés, pour des cas de plus en plus lourds, puisque les instituts spécialisés n’accueillent la plupart du temps qu’après six ans, alors que l’âge de l’obligation d’instruction a été ramené à trois ans par Jean-Michel Blanquer.

A lire aussi: Pap Ndiaye, wokiste à temps partiel

A cette dégradation continue, Emmanuel Macron a pris sa part avec l’apparition de pseudos experts, qui ne quittent leur bureau douillet que pour venir réciter des éléments de langage fumeux et proposer de « changer de posture » à des enseignants désespérés de ne plus pouvoir instruire les élèves, occupés qu’ils sont à calmer les crises de tel élève violent ou tel « Enfant à Besoin Educatif Particulier » hurlant sa souffrance d’être si mal pris en charge. Dans un tel contexte, les consignes d’olympiades d’une semaine de Pap Ndiaye, venues s’ajouter à celle de chanter le jour de la rentrée de Jean-Michel Blanquer sont l’ombrelle sur un cocktail explosif.

Les enseignants les plus expérimentés sont les plus mécontents des annonces

Enfin, et cela explique sans doute le choix du collège et non de l’école située juste en face, comme lieu de l’annonce, la part variable liée à des missions supplémentaires semble difficilement accessible aux professeurs des écoles.

Cours de soutien au collège ? Cela ne sera matériellement possible et intéressant financièrement que pour les enseignants proches de l’établissement concerné et hors des horaires de l’école. Il  ne faut pas oublier qu’en école primaire, le temps de présence incompressible devant les élèves est d’au minimum 26 heures : aucune flexibilité dans les plannings possible. Remplacement des collègues ? Les professeurs des écoles assument, depuis toujours, la prise en charge des élèves de leurs collègues absents. Le manque de remplaçants transforme régulièrement une partie des salles de classe en garderie, faisant monter les effectifs à surveiller au-delà de 30 élèves pouvant avoir de trois à 10 ans.  Prise en charge de cours le mercredi ? C’est ce jour là qu’ont lieu les formations, qui, à la différence du secondaire, ne se font que très rarement sur les temps d’enseignement. Il ne restera que les vacances. De nombreux gouvernements ont rêvé de les raccourcir : nous y sommes, et les enseignants, épuisés, écœurés, l’ont bien compris.

À ces réalités-là, Emmanuel Macron ne change donc rien et aucun élément de langage tel que « excellence » n’est de nature à convaincre les professeurs des écoles. Lorsqu’en plus Pap Ndiaye continue, sur Twitter, de ne citer que « les débuts et milieux de carrière », les enseignants les plus expérimentés, ayant passé un concours plus exigeant qu’aujourd’hui, achèvent de désespérer. Ripolinée de frais par les employés de mairie, sécurisée par les chasseurs de casseroles, Ganges n’aura donc été qu’un Neverland de plus où quelques enseignants complices auront contribué à construire un décor d’opérette pour un grand tisonnier venu agiter les braises en prétendant éteindre un incendie.


[1] Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté

Taïwan est plus importante que l’Ukraine

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Avec les nouvelles manœuvres chinoises et la dernière gaffe du président Macron, la question de Taïwan est revenue sur le devant de la scène. Malgré son éloignement géographique, l’avenir de cette île de 23 millions d’habitants nous concerne davantage que l’Ukraine.


Tout d’abord, puisque les dirigeants occidentaux ont inscrit la guerre entre l’Ukraine et la Russie dans le cadre d’un affrontement entre démocratie et autoritarisme, Taiwan est une démocratie accomplie avec une totale liberté de la presse et une alternance régulière au pouvoir. Au contraire, l’Ukraine est une ploutocratie, dominée par quelques oligarques qui se disputent le pouvoir.

Ainsi le célèbre classement des démocraties de The Economist plaçait en 2020 l’Ukraine au 35ème rang européen (avec un score de 5.81 sur 10) et Taïwan au premier rang asiatique (avec un score de 8.94). Taïwan se situe au 11ème rang mondial (devant la France 24ème), l’Ukraine étant… 79ème. Pourtant, indépendante depuis 1991, située aux frontières de l’Union européenne, soutenue par les Occidentaux, l’Ukraine a eu largement le temps de moderniser son système politique, alors que la première élection libre à Taïwan date seulement de 1996. Si la défense de la démocratie est autre chose qu’un slogan visant à justifier les interventions militaires américaines en Irak, en Afghanistan ou en Ukraine, Taïwan mérite d’être défendue autant que l’Ukraine.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Qui est disposé à mourir pour Taïwan — ou pour l’Ukraine?

Ensuite, Taiwan produit 60% des semi-conducteurs mondiaux indispensables aux équipements électroniques des voitures comme des smartphones. Une seule entreprise, TSMC, fabriquait 53% de la production mondiale, en 2022. La destruction de ces usines comme leur contrôle par la Chine auraient des conséquences dévastatrices sur l’économie mondiale et, immédiatement, sur notre niveau de vie.

Enfin, du point de vue géopolitique, l’île asiatique occupe une position bien plus stratégique, à l’extrémité ouest du Pacifique, que le Donbass. Taïwan se situe au centre d’une région qui produit aujourd’hui plus de la moitié du PIB mondial, et qui est devenue la première voie maritime de la planète – mais que Pékin entend contrôler. L’invasion de Formose changerait l’équilibre des forces dans cette région indo-pacifique, et à travers le monde, envoyant le signal que les États-Unis ne sont plus la première puissance mondiale. Les Philippines, l’Indonésie, des pays du Pacifique et bien d’autres par ricochet (jusqu’en Afrique et en Amérique latine), constatant la puissance et la volonté hégémonique chinoise, ou effrayés par elles, risqueraient de basculer dans l’orbite de l’Empire du Milieu et d’aligner leurs politiques étrangère comme intérieure sur ses exigences.

A lire aussi, Jean-Sylvestre Mongrenier: De la Russie à la Chine, Emmanuel Macron et l’illusion de la «puissance d’équilibre»

Laisser entendre comme le président Macron que c’est d’abord l’affaire de la Chine et que l’Europe n’en subirait pas les conséquences est évidemment absurde. À ce niveau de responsabilité, c’est le signe d’un étrange amateurisme. Au contraire, à travers les déclarations de la France et de l’Europe, la Chine doit comprendre qu’elle payerait cher sur les plans économique et diplomatique une invasion de l’île et que, dans ce cas, nous serions les alliés d’une riposte américaine. Le sort de Taïwan dépasse celui de ses habitants qui vivent sous l’anxieuse menace d’une attaque. Défendre la République de Chine (son nom officiel), c’est non seulement défendre la démocratie, mais aussi nos intérêts politiques et économiques.

Le patriarcat, le patriarcat, vous dis-je!

Nous savions déjà que les néoféministes préféraient les femmes qui jettent des sorts aux hommes qui construisent des EPR. Dernièrement, nous avons découvert que ces bonnes fées souhaitent désormais réallouer le budget octroyé au SNU à la lutte contre les « féminicides »…


Je ne saurais dire si le SNU (Service National Universel) est une bonne ou une mauvaise chose ; en revanche, je puis affirmer que cela n’a rien à voir avec le service militaire obligatoire d’antan, au contraire de ce que semble penser la militante féministe Anne-Cécile Mailfert.

Durant ce SNU de 12 jours, nos adolescents doivent porter un vêtement uniforme, hisser le drapeau tricolore et chanter la marseillaise, se désole la présidente de la Fondation des femmes lors de sa chronique hebdomadaire sur France Inter le 31 mars dernier. Elle y voit, dit-elle, une résurgence des « cultures patriarcales et militaristes » vouant « un culte aux mêmes contre-valeurs : la hiérarchie, la violence, l’obéissance, l’uniformité, l’autoritarisme et le virilisme ». Ce gauchisme anti-militariste et soixante-huitard libertaire à la petite semaine saupoudré de quelques notions wokes dans l’air du temps est aussi affligeant que les réactions des représentants du syndicat La voix lycéenne et de l’Unef qui considèrent que le SNU ne favorise pas suffisamment « l’engagement associatif, politique ou syndical (1)». Ces jeunes gens confondent apparemment un service national (militaire, universel, républicain, appelez-le comme vous voulez) qui, même mal fagoté, est normalement destiné à renforcer la cohésion sociale en confortant certaines valeurs communes (nationales, patriotiques, républicaines, etc.) et un service de recrutement à destination des syndicats, des associations et des mouvements gauchistes. La présidente de la Fondation des femmes abonde d’ailleurs dans leur sens pour ce qui est des associations.

Deux milliards d’euros que récupérerait bien Caroline de Haas…

Anne-Cécile Mailfert évoque soudainement « le corps des femmes [qui] sont des champs de bataille quand les hommes ne parlent pas de nous en conquêtes ». Quel est le rapport avec le SNU ? Nous comprendrons un peu plus tard que l’évocation étrange de cet hypothétique  champ de ruines corporelles n’a servi qu’à justifier la question de savoir à quoi pourrait bien être employé un des deux milliards d’euros prévus pour le SNU obligatoire, si celui-ci venait à être abandonné sous la pression de cette jeunesse si joyeusement anti-militariste, anti-nationaliste, anti-patriotique et, bien entendu, féministe. « Il suffirait d’un petit milliard pour avoir les moyens d’une vraie politique de lutte contre les féminicides », assure Mme Mailfert. Ce montant magique, il nous semble bien l’avoir déjà entendu quelque part. Mais oui, mais c’est bien sûr : ce milliard, c’est celui que Caroline De Haas réclame à cor et à cri depuis des années, en tout cas depuis qu’elle a créé sa petite entreprise de « conseil, de formation et de communication experte de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la lutte contre les discriminations, de la diversité et de la prévention des violences sexistes et sexuelles ». Caroline De Haas a en effet co-fondé Egae, entreprise à but lucratif et aux méthodes douteuses vivant essentiellement grâce aux contrats passés avec des entreprises ou des établissements publics. Cette entreprise qui se targue de « percuter l’illusion de l’égalité » a surtout bouleversé la vie de quelques hommes soumis à des enquêtes malsaines et très orientées, au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris ou à Télérama, par exemple. Résultat : des ambiances délétères, des procès moscovites, des soupçons ruinant les carrières d’un musicien et d’un journaliste, ce dernier, licencié abusivement, ayant toutefois obtenu que les Prud’hommes condamnent l’hebdomadaire télévisuel à lui verser 90 000 euros à titre de dédommagement. Avant cela, Caroline De Haas avait fondé l’association “Osez le féminisme !” dont… Anne-Cécile Mailfert a été la porte-parole puis la présidente. En 2016, cette dernière, décidément en proie aux idées fixes, a co-écrit le rapport « Où est l’argent pour les droits des femmes ? » En 2019, elle expliquait sans rire au magazine 50/50 : « Une des raisons pour lesquelles ce secteur est sous financé […] c’est le problème du rapport des femmes à l’argent. Les femmes sont dans le soin de l’autre, la générosité, l’altruisme, elles se “sacrifient” pour les autres. Et donc la recherche d’argent pour elles-mêmes, pour leurs projets, n’est pas prioritaire. Il y aussi cette image que les femmes qui cherchent de l’argent sont des femmes vénales. Je pense que c’est une imagination de la domination masculine pour nous empêcher d’aller sur ce terrain-là. » Toujours la même ennuyeuse ritournelle. Notons que pour des gens qui prétendent combattre les stéréotypes, ils n’en manquent pas en magasin. Résumons-nous : le patriarcat, la domination masculine, et tout ça et tout ça, sont la cause de tous les maux. De tous les maux ? De tous les maux ! Comme nous allons pouvoir le vérifier immédiatement.

A lire aussi: Marguerite Stern et Dora Moutot: «Le féminisme actuel a été parasité par l’idéologie transgenre et queer»

La pensée atomique de Jade Lindgaard

Quelques jours plus tard, en effet, Jade Lindgaard, journaliste au pôle écologie de Mediapart, était reçue par Mathieu Vidard dans l’émission écologiste pro-GIEC “La Terre au carré”, sur la radio publique abonnée à toutes les idéologies modernes, j’ai nommé France Inter. Pour mémoire, Jade Lindgaard se distingua en 2017, sur le plateau de l’émission C l’hebdo, en dénonçant l’islamophobie en France et le « système généralisé de racisme dans ce pays », et en expliquant que « l’islamisme, en tant que tel, n’est pas en soi une chose grave, c’est un phénomène qu’il faut comprendre et expliquer ». Cela situe le niveau de réflexion de la dame. Les féministes, explique notre brillante journaliste dans l’émission de Mathieu Vidard, ont été, dès les années 1970, à la pointe de la lutte contre le nucléaire. Passons rapidement sur la confusion entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire savamment entretenue par Mme Lindgaard, pour déboucher directement sur la pensée atomique suivante : « À l’époque, le nucléaire est considéré comme l’incarnation et la célébration du patriarcat. C’est une énergie brutale et hiérarchique, opaque, sur laquelle on n’a aucune prise, qui vous écrase, vous marche dessus, et ne vous laisse pas votre mot à dire. » Sic d’or pour l’ensemble de cette ahurissante allégation dont chaque terme est une bêtise. On est à peu près au niveau des réflexions de Dame Rousseau dénonçant « les relations entre colonialisme, capitalisme et patriarcat » (Par-delà l’androcène, Seuil, 2022) ;ou disant préférer « les femmes qui jettent des sorts plutôt que les hommes qui construisent des EPR » ; ou fustigeant les monstres patriarcaux et virilistes que sont les hommes s’occupant du barbecue ; ou réprimandant une Élisabeth Badinter qui, ayant critiqué ses « révélations » sur Julien Bayou, se voit accusée d’être « du côté de l’ordre tel qu’il est actuellement, qui est un ordre patriarcal » (le Grand entretien, France Inter, 3 octobre 2022).

Sandrine Rousseau lors de la manifestation en soutien aux femmes iraniennes, Paris, le 2 octobre 2022 MUSTAFA SEVGI/SIPA

Chose étrange : plus le patriarcat occidental a des allures de squelette, plus les néoféministes s’acharnent à briser ses inoffensifs osselets – il en est pourtant un autre, plus rudimentaire, plus brutal, plus oriental, plus patriarcalement patriarcal, pourrait-on dire, qui remporte en ce moment un beau succès dans notre pays pourtant historiquement peu enclin à ce genre de « domination », quoi qu’en disent certaines féministes. Mais visiblement, ce patriarcat-là n’intéresse pas beaucoup nos militantes qui préfèrent continuer de vilipender un fantôme, quitte à dire n’importe quoi – ainsi, Dame Rousseau qui, défendant le port du voile sous nos latitudes, pense qu’il y a « plein de motivations pour porter le voile » et que, de toute manière, « à chaque fois qu’on parle du corps des femmes, à chaque fois qu’on parle de la manière dont on doit l’habiller, on sert le patriarcat » (LCP, 4 novembre 2021). Le patriarcat, le patriarcat, vous dis-je.

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[1] Propos relevés dans Politis, 27 février 2023.

Sarko à Matignon

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Au-delà de la surprise provoquée par une indiscrétion de l’Obs, on peut trouver dans cette hypothèse une certaine logique. Si Macron doit faire dans la casserole autant qu’il s’adresse au grossiste du marché. Depuis le temps que Sarko se trimballe des casseroles en batterie il distingue à l’oreille l’adhésive de l’anti, le téflon du fer et la céramique du cuivre. Alors Macron lui passe un coup de fil pour lui proposer Matignon…


-Nicolas ça va qu’est-ce que tu fais?
Je regarde le télé-achat.
Arrête!
-Oui oui oui Olé!
-Qu’est ce qui se passe?
Je viens de choper une casserole Mauviel 1830 en cuivre, la Rolls de la casserole.
-Je ne savais pas que tu faisais la cuisine.

En 27 je me présente et je te nomme à Matignon. On se fait une Poutine-Medvedev!

Mais c’est pas pour faire la cuisine, idiot. Tiens y a pas 20 minutes Carla m’a rejoint sur le canapé avec sa guitare et a attaqué lalala. Elle n’est jamais arrivée au refrain. J’ai pris ma petite Tefal en fer, du 12 avec le manche en bois et tic un coup sec dans le cornet. Elle va répéter plus loin et je peux me mater le télé-achat peinard.
-Elle tire des balles ta Téfal?
-Quoi?
Tu as dit du 12!
Putain il est mur, 12 c’est le diamètre de la casserole. Tu as 12, 16, 18 et 20.
-Pour Brigitte il faut du combien?
-Brigitte, heu attends, je calcule. Pour une première fois il lui faut de la céramique. Et vu la surface de son brushing tu vas prendre une De Buyer, au moins du 18.
Je note De Buyer du 18. Et pour Borne?
Borne on s’en fout, tu prends ce que tu as sous la main. Mais une avec le manche en bois. Comme tu pourras plus t’arrêter de frapper, tu as besoin d’ergonomie.

A lire aussi, du même auteur: Le Macron Casse-Rock-and-Roll Show

Génial! Et pour Veran?
Pour le champion il faut du lourd. Une Le Creuset en fonte. Ou une Staub en fonte. Attention ça pèse un Benalla ces trucs-là. Tu attends qu’il dorme pour pas le rater.
-Yes! Et pour N’Diaye?
Tu prends un wok.
-Ouais! Dussopt, Dussopt?
-Celui-là c’est un vicieux, fais-lui à l’envers.
Comment ça à l’envers?
Avec le manche.
Nicolas t’es un génie!
Mais dis-moi, pourquoi tu m’appelais?
Pour te proposer Matignon cet été!
Tu t’es pris un coup de casserole dans le casque à Montpellier?
-Alors?
-C’est ok! Mais tu restes au Château, tu joues à la casserole, je veux pas te voir au milieu. En 27 je me présente et je te nomme à Matignon. On se fait une Poutine-Medvedev!
Nicolas, Nicolas, allo?
Qui c’est? Ici c’est Carla…
C’est Emmanuel, je parlais à…
Il a pris sa Tefal avec le manche en bois et il est parti en courant.
-Parti où?
Il a crié Matignon.
-Et merde…

Les phraseurs

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S’agissant des hommes qui ont laissé un nom dans l’histoire, on trouve presque toujours des êtres qui disent l’essentiel en peu de mots. À bon entendeur…


Il y a ceux qui, comme Clemenceau et ses célèbres formules : « On les aura » ou « il est plus facile de faire la guerre que la paix », ont un ton naturellement martial. Il y a ceux qui s’inspirent des ordres du jour de Napoléon : « De ces pyramides, cinquante siècles vous contemplent… » ou « Un chef n’est rien sans ses hommes »… Ils pensent que la force d’une idée est d’autant plus grande qu’elle est exprimée brièvement. Plus récemment, on peut citer aussi le général de Gaulle disant « La France a perdu une bataille, mais elle n’a pas perdu la guerre ». Ce genre de phrases crée un choc, c’est pour cela qu’elles frappent ; c’est aussi pour cela que la postérité les retient… Il me semble que s’agissant des hommes qui ont laissé un nom dans l’histoire, on trouve presque toujours des êtres qui disent l’essentiel en peu de mots. Pensons aussi à Churchill résumant sa pensée dans sa célèbre déclaration à la chambre des Communes, après les accords de Munich : « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur, vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre. » Bref, et c’est le cas de le dire, la grandeur apprécie les symboles et aime la brièveté. La discrète croix de Lorraine voisine avec les modestes deux étoiles d’un chef qui, se confiant à André Malraux, ajoute: « Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples »

Tout est dit !

Il me semble qu’avec toutes ces formules, tout est dit sans qu’il soit besoin de disserter longuement, alors que nous sommes aujourd’hui incapables de régler nos problèmes, malgré d’interminables discours… sur les questions de société… ou sur les grands enjeux géopolitiques. Trouver une solution pour 55 pays africains relève du discours sans effet, et l’inscription de l’IVG dans la constitution procède de la manœuvre de diversion.

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On l’a compris : s’il est un conseil à donner à ceux que guette le verbiage, c’est d’aller à l’essentiel en quelques mots, ce qu’avait aussi bien su faire la reine d’Angleterre malgré ses 93 ans. Notre époque est celle du bavardage, pour ne pas dire de la parlotte. Pourtant les Français aiment le langage viril, car c’est le fond de leur caractère. Un président trop souvent bavard, la répétition sans fin des mêmes idées fatigue. On écoute les 10 premières phrases, puis on baisse le son et enfin, on éteint le poste.

D.R.

Gaulois réfractaires

Il convient de choisir sa cible. Si l’on est devant un parterre de penseurs ou de philosophes, l’on peut se permettre d’être disert, mais lorsque l’on s’adresse à un peuple et plus encore à un peuple indiscipliné par nature, il vaut mieux s’interrompre à temps si l’on ne veut pas perdre la face.

Et, pour revenir à Clemenceau: « Les journalistes ne doivent pas oublier qu’une phrase se compose d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Ceux qui voudront user d’un adjectif passeront me voir dans mon bureau. Ceux qui emploieront un adverbe seront foutus à la porte. » Il est curieux de constater que dans la triste affaire du coronavirus comme face à la réforme des retraites, c’est le contraire qui semble avoir été fait : longues explications de texte, discours fumeux, rencontres aussi nombreuses qu’inutiles…

Ah ! j’oubliais un dernier point : les grands hommes aiment le secret, ce qui leur permet de garder toujours quelques armes au feu. À trop dire, le chef se prive de tout ce qu’il aurait pu dire, ou de ce qu’il dira le jour venu lorsque les circonstances auront changé. Il n’est jamais bon d’abattre toutes ses cartes d’un coup… Nous y sommes. Et comme dit la sagesse populaire, le reste n’est que… littérature!

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Au bord du gouffre turc

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Selahatti̇n Paşali et Si̇nan Demi̇rer dans "Burning days" de Emin Alper (2023) © Memento Distribution

Dommage, ce titre, Burning Days : ça sonne franchement plat.  Et d’abord, pourquoi en anglais ? Pour la sortie du film dans nos salles, le distributeur aurait été mieux inspiré de conserver le titre original, en Turc : Kurak Günler. Euphoniquement, ça chauffe beaucoup mieux. Tant pis : ce n’est pas l’essentiel.

Emin Alper, un réalisateur et scénariste talentueux

Burning Days, donc : dernier long métrage d’Emin Alper, 49 ans, figure majeure du Septième art ottoman, et actuel programmateur artistique de la (toute nouvelle) cinémathèque d’Istambul. On lui doit déjà trois films sensationnels : Derrière la colline (2012), Abluka – Suspicions (2015) tourné dans une banlieue misérable de la capitale, A Tale of Three Sisters (2019), drame social situé dans un village montagneux d’Anatolie. Sans compter, en 2020, Alef, une série policière diffusée sur FX Network. Autant dire que Burning Days, dont le réalisateur est cette fois encore le scénariste, aiguisait d’emblée la curiosité. On n’a pas été déçu : tant sur le plan visuel que narratif, c’est une perle.  

Selin Yeninci et Selahatti̇n Paşali

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Une route rectiligne traverse un désert minéral, calciné, au milieu duquel s’ouvre, surprise, un énorme cratère de forme rigoureusement circulaire, aux vertigineuses parois verticales, gouffre géométrique qui semble échappé de l’imaginaire SF. En réalité, ces chaudrons spectaculaires existent bel et bien dans la nature : ce sont ce qu’on appelle des dolines. Sous l’effet de l’assèchement des nappes phréatiques, le sol calcaire se dissout, ce qui provoque de tels effondrements de terrains, aussi soudains qu’imprévisibles. Le prologue du film nous en dévoile un. Fascinant.

Pathologies turques

Propre sur lui, tiré à quatre épingles, Emre (Selahattin Pasali), un jeune, sportif et séduisant procureur, célibataire de son état, vient tout juste d’entrer en fonction dans une bourgade retirée, Yaniklar (mais le nom est fictif), au fin fond de l’Anatolie. Passé les politesses d’usage, le fonctionnaire vertueux ne tarde pas à s’affronter aux notables locaux, lesquels encouragent et patronnent les traditions du cru, en particulier la chasse au sanglier. Celle-ci donne lieu chaque année à des réjouissances populaires, marquées entre autres par le défilé d’une bête sanguinolente dans la rue principale du bled, par des libations sans frein, mais aussi par des coups de feu tirés en l’air, au risque d’un accident. Passant les réserves d’un officier de police gêné aux entournures à l’idée du scandale, Emre réagit avec fermeté, n’hésitant pas à inculper les fauteurs de trouble. Sur cette ambiance surchauffée se greffe une situation de grave pénurie d’eau, les nappes phréatiques étant à sec, si bien que les habitants, munis de bidons en plastique, se voient contraints de former quotidiennement de longues files d’attente pour s’approvisionner aux rares points d’eau disponibles. A l’approche des élections municipales, l’atmosphère est électrique. Mêlé à ces luttes de pouvoir, Murat, un journaliste controversé (Ekin Koç), héritier d’un journal local, enquête sur les exactions des édiles en place. Le climat se détériore. D’autant qu’un nouveau glissement de terrain vient de se produire à la limite de la zone construite, mettant à cran une population crédule, manipulée par l’engeance politicienne, à commencer par le maire et son fils. 


C’est avec un art consommé qu’Alper combine les ressorts multiples d’une intrigue qui, sous les triples oripeaux du thriller, du brûlot écologique et du conte (im)moral, dépeint une société fondamentalement pathologique, en proie aux préjugés, à la corruption, au népotisme. Sur fond de catastrophe environnementale, les motifs du machisme, de l’homophobie, de la violence endémique se cristallisent dans le complot ourdi contre Emre, dont les deux commensaux véreux qui le conviaient à dîner semblent avoir empoisonné son verre de raki dans le dessein de l’impliquer dans le viol consécutif de Pemkez, une petite gitane à demi débile qui, depuis longtemps, sert en toute impunité à éponger la lubricité autochtone. Emre tente de reconstituer en pensée, a posteriori, ce qui s’est réellement passé cette nuit- là, tandis que madame la juge le soupçonne d’avoir été partie prenante du crime, et qu’une rumeur se répand quant à ses mœurs homosexuelles supposées, ainsi que sur celles de Murat…

Fort subtilement, le script laissera jusqu’au bout planer sur le spectateur le doute si les flash-back de l’intègre procureur ne relèvent pas des errements de sa mémoire… D’où un suspense qui vous tient tout à la fois captif de ces impondérables du psychisme, et anxieux de savoir de quelle façon cet imbroglio va trouver son dénouement… Au bord d’une doline ?    


Burning Days. Film de Emin Alper. Avec Ekin Koç, Selahattin Pasali. Turquie, France, Allemagne, Pays-Bas, Grèce, Croatie. Couleur, 2022. Durée : 2h09. Sorti en salles le 26 avril 2023.

À la recherche des musiques perdues

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"O mon bel inconnu" au théâtre de l’Athénée, Paris © Marie Pétry

C’est à guichet fermé que, dimanche 16 avril, s’achevait à l’Athénée – ce délicieux théâtre parisien « à l’italienne », orphelin de Louis Jouvet (qui y mourut), au décor « fin de siècle » resté dans son jus – la comédie musicale Ô mon bel inconnu ! Pur joyau. Encore fallait-il avoir la bonne idée de l’exhumer.

Une éclatante réussite du tandem Hahn/Guitry

En 1933, année de sa création aux Bouffes-Parisiens, le spectacle – avec Arletty, dans le rôle le plus désopilant de la distribution – fut un triomphe. Au point que Radio-Paris le diffuse en direct sur les ondes, le jour même de la sortie du film Ciboulette, de Claude Autant-Lara, adaptation de la plus célèbre opérette de Reynaldo Hahn. Sur un facétieux livret du grand Sacha Guitry, semé de calembours et de fausses rimes, la partition de Ô mon bel inconnu ! conjugue l’esprit potache du café-concert au raffinement allègre de l’opérette. Réuni pour la seconde fois (après Mozart, en 1925, succès qui se prolonge alors pendant quasiment une décennie) le tandem Hahn/Guitry déploie ici sa plus éclatante réussite : ironie, légèreté, tendresse frémissante, jeux d’esprit, magie sonore. Alternant scènes parlées et chantées, le texte, d’une verve éblouissante, magnifie la fantaisie pétillante, la malice, le lyrisme de la composition pour orchestre.

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L’argument ? Prosper Aubertin, un chapelier, tient boutique avec sa femme Antoinette, sa fille Marie-Anne et leur bonne, Félicie. Sous ce toit bourgeois, on ne cesse de s’engueuler. Prosper fait paraître une annonce appelant de ses vœux « l’âme sœur », reçoit cinquante réponses, dont l’une paraphée d’une prétendue comtesse. Mais dans deux autres missives, il reconnaît l’écriture, et de sa femme, et de sa fille. Déguisant la sienne, il leur répond à toutes deux, leur fixe rendez-vous à la villa «  Mon Rêve », prise en location pour huit jours, au Pays basque. Il s’avère que la comtesse n’est autre que Félicie, la bonne. Epuisés la ribambelle de quiproquos plus savoureux les uns que les autres, l’intrigue galante se dénouera par le retour du couple Prosper & Antoinette dans le devoir conjugal, la félicité… de Félicie auprès du propriétaire de la villa, et l’arrangement des fiançailles de la Marie-Anne avec le bel inconnu de la poste restante…

Pas un fade sirop

Cette resucée des Années Folles ne serait qu’un fade sirop sans cette merveilleuse mise en scène, signée Emeline Bayard, à laquelle les chanteurs interprètes apportent leur contribution sans faille. A commencer par Emilie Bayard, dans le rôle « parigo » et gouailleur, irrésistiblement déluré, de Félicie la soubrette. Sommet de la partition, emprunt d’une mélancolie toute romantique, le trio familial du deuxième acte met en valeur les voix de Clémence Tilquin (Antoinette) et de Sheva Tehoval (Marie-Anne), tandis que Marc Labonnette campe Prosper avec brio. Dans la fosse, le bien nommé Orchestre des Frivolités Parisiennes, et Samuel Jean à la baguette, pleine de vivacité.   

La province – ou « les territoires », comme on se doit paraît-il de dire aujourd’hui – ont de la chance. Le spectacle en effet sera repris l’hiver prochain pour quelques rares représentations, à Lyon, puis à Rouen, Avignon et puis encore à Massy, Samuel Jean partageant cette fois le pupitre avec Marc Leroy-Calatayud, tour à tour devant l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, l’Orchestre National Avignon Provence, et l’Orchestre de l’Opéra de Massy. Sans compter une version de concert, en octobre 2023, à Munich, dans une production de la Radio de Munich.

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Le Palazzetto Bru Zane, palais magnifiquement restauré en 2009, sis au cœur de la Sérénissime, dans un quartier proche de la basilique des Frari, abrite un Centre culturel de renommée internationale, qui s’est donné pour vocation la redécouverte et le rayonnement de la musique romantique française. C’est au Palazzetto Bru Zane qu’on doit l’édition CD de Ô mon bel inconnu, à partir d’un enregistrement réalisé en 2019 à Avignon, livre-disque somptueusement conçu, à l’instar des autres volumes publiés avec un soin inouï par l’institution vénitienne (par exemple l’opéra Herculanum, de Félicien David, ou Thérèse, de Massenet) : couverture luxueusement cartonnée illustrations superbes, textes critiques et livret bilingues français-anglais, etc.

© Marie Pétry

Last but not least, le Palazetto Bru Zane transporte son Festival parisien, pour sa 10ème édition du 19 juin au 4 juillet prochains, à l’Auditorium de Radio France et au Théâtre des Champs-Elysées. Point fort de ce rendez-vous hautement mélomane, le « conte lyrique » Grisélidis, de Jules Massenet, œuvre créée en 1901, et qui, clôturant le festival, sera jouée en version concert dans la fameuse salle de l’avenue Montaigne. En ouverture de la manifestation, Motets du Second empire à la Troisième république, florilège de ces compositions signées Fauré, Chausson, Gounod, Saint-Saëns, Delibes mais aussi, moins connues, Sohy, Grandval, Bonis ou Chaminade, le Chœur de Radio France aux manettes. Autre rareté, l’opéra Fausto, de Louise Bertin, œuvre millésimée 1831, toujours au Théâtre des Champs-Elysées, le 20 juin, où l’on entendra également, le 23 juin, quelques pièces rares de « compositrices romantiques », telles l’ouverture du Loup-Garou, toujours Louise Bertin, ou le deuxième concerto pour piano de Marie Jaëll, en tout sept partitions méconnues – Hervé Niquet au pupitre, l’Orchestre de chambre de Paris dans la fosse, et David Kadouch au clavier.

Comme quoi, la musique française reste encore une belle inconnue à rencontrer.


Ô mon bel inconnu, de Reynaldo Hahn. Avec Marc Labonnette, Clémence Tilquin, Sheva Tehoval, Emeline Bayard, Victor Sicard, Jean-François Novelli, Carl Ghazarossian, Emeline Bayard (mise en scène), Anne-Sophie Grac (décors et costumes), Joël Fabing (lumières), Orchestre des Frivolités parisiennes, Samuel Jean (direction). Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris, jusqu’au 16 avril 2023

Reprises du spectacle :
Opéra de Dijon les 1er et 2 décembre 2023 à 20h. Théâtre des arts, Rouen, le 16 décembre 2023 à 18h et 17 décembre à 16h. Opéra Grand Avignon les 29 et 31 décembre 2023 à 20h, le 30 décembre 2023 à 14h30. Opéra de Massy le 9 mars 2024 à 20h, le 10 mars 2024 à 16h.

Livre-disque : Ô mon bel inconnu, de Reynaldo Hahn. Avec Véronique Gens, Olivia Doray, Eléonore Pancrazi, Thomas Dolié, Yoann Dubruque, Carl Ghazarossian, Orchestre national Avignon-Provence, Samuel Jean (direction). Palazzetto Bru Zane.

Reynaldo Hahn: Ô mon bel inconnu

Price: 9,99 €

1 used & new available from 9,99 €

Festival Palazetto Bru Zane Paris, du 19 juin au 4 juillet.

Réservations : theatrechamselysees.fr Tel : O1 49 52 50 50

www.maisondelaradioetdelamusique.fr Tel: 01 70 23 01 31

Mort à la littérature!

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Patrice Jean. © François GRIVELET/Opale.photo

Les sensitivity readers sont le bras armé du puritanisme progressiste en littérature. En expurgeant les œuvres anciennes et modernes, notamment celles de Roald Dahl et Ian Fleming, de toute aspérité et complexité, du moindre mot qui pourrait troubler, voire blesser le lecteur bisounours issu du wokisme, ces censeurs défendent des livres aussi lisses qu’inutiles.


Le grand mouvement actuel de réécriture, voire d’abolition, des œuvres du passé, repose sur une incompréhension totale de ce qu’est la littérature. Et même l’art. La littérature n’est pas une maman qui console et qui rassure, elle n’est pas non plus un grand frère qui montre la voie, avec sa sale tronche d’optimiste souriant, elle n’est pas davantage une marquise pour qui « tout va très bien ». Cioran, dans un entretien de 1973, soutient que « l’on écrit pour faire du mal, dans le sens supérieur du mot, pour troubler… […] tout ce que j’ai lu dans ma vie, je l’ai lu pour être troublé… Un écrivain qui ne me martyrise pas d’une façon ou d’une autre ne m’intéresse pas… Il faut que quelqu’un vous fasse souffrir, autrement je ne vois pas la nécessité de lire. » Kafka, dans sa lettre célèbre à Oskar Pollak du 27 janvier 1904, développe la même idée : « Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? »

Les libertaro-puritains qui veulent la mort de nos classiques

Les partisans de la réécriture des œuvres aimeraient, au contraire, des livres qui veillent sur leur sommeil existentiel, des livres gentils avec des personnages gentils, pour construire un monde meilleur. Ou plutôt des livres avec des gentils et des méchants bien identifiables que les lecteurs sucrés puissent reconnaître de façon à aimer les aimables et à détester les détestables (ils ne doutent pas d’appartenir à la caste moralement et intellectuellement supérieure). Au fond, ils ne savent même plus pourquoi la littérature existe, elle n’est légitime, à leurs yeux, qu’à la condition de conforter leur engagement moral, politique et citoyen. Or un livre citoyen est un oxymore. Sans doute, toute une littérature « facile » passe-t-elle de la pommade sur le dos des lecteurs allongés, à La Baule ou à Villefranche-sur-Mer, sur une serviette de bain. Ce type de livres est bien connu ; et je ne le critique pas. Mais les vandales (appelons-les par leur nom, car comme l’écrivit Albert Camus, « mal nommer les choses… »), les vandales, donc, n’ont rien à reprocher à ces livres-pommades, non, ils s’en prennent aux classiques, dressent des listes où l’on retrouve les plus grands écrivains. Ils mandatent des sensitivity readers pour déminer les phrases qui pourraient offusquer les minorités : rien ne doit blesser, aucun mot mal élevé, aucune idée délinquante (« Adieu gros, nègre, pouffe, couvée ! »). Le lecteur est trop sensible pour un tel lexique, la lectrice est trop princesse au petit pois pour supporter une « sexualisation des seins et des fesses ». Au nom du progrès, on retourne au puritanisme le plus con (oui, je fais exprès d’employer ce mot menacé) : les puritains ne le sont plus par conservatisme, mais ils défilent, désormais, sous le drapeau du progressisme (arc-en-ciel, féministe, activiste, arriviste). Je me répète : lire pour ne pas être blessé, ne pas être heurté, c’est lire en philistin, en plouc, en beauf – qu’on porte des seins, des cheveux bleus, des T-shirts contre le réchauffement climatique ne change rien à l’affaire : vous désirez gommer un « gros », souffler sur une « scène raciste », ne pas « sexualiser les fesses de Bardot », vous êtes des porcs. Il faut vous balancer.

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Souhaiter une littérature débarrassée du négatif, c’est souhaiter, ni plus ni moins, la mort de la littérature. Il ne restera que des écrivains sympas, en lutte contre les discriminations sociales et sexistes ; et des sociologues. D’un côté, des romans de plage, inoffensifs, douceâtres et positifs ; et de l’autre, des romans engagés, démocrates et qui posent « la question du vivre-ensemble ». Des romans militants. J’ajoute que si j’ai plus d’estime pour un roman engagé à droite qu’à gauche, c’est seulement parce que le premier type de romans est moins bien reçu médiatiquement que le second. En soi, je l’exècre aussi. Et je les exècre parce qu’ils préfèrent la politique à la littérature, le collectif à l’individu.

Et après ? Le néant…

Les sensitivity readers n’améliorent pas, ils détruisent : ils travaillent pour satisfaire les anti-lecteurs, les lecteurs militants, les lecteurs puant la morale, tous ces lecteurs qui, par nature, n’auraient jamais dû ouvrir un roman digne de ce nom, ou même à peine digne de ce nom (comme les romans de Ian Fleming). Le plus ahurissant, ce sont les justifications, par des universitaires ou des critiques, de la « cancel culture » : comment peut-on aimer l’art, le cinéma, la littérature, tout en acceptant qu’on retouche une phrase, un mot, une idée ? Dans L’Homme surnuméraire, j’avais imaginé une collection, « La littérature humaniste », où l’on supprimait « les morceaux qui heurtent trop la dignité de l’homme, le sens du progrès, la cause des femmes ». Les promoteurs de cette collection défendaient leur programme éditorial en refusant qu’on lui accole le concept de « censure » : ils arguaient que, de toute façon, d’autres éditeurs proposeraient toujours les livres « dans leur intégralité ». Je n’ai donc pas été étonné de retrouver, tel quel, ce stupide argument sous la plume des partisans des réécritures (si prévisibles iconoclastes !). Mais je n’avais pas songé à cette baliverne qu’on entend partout : « On a toujours réécrit les œuvres pour les adapter à des époques nouvelles. » Cet argument est un sophisme : quand Cocteau réécrit Œdipe roi, il signe Cocteau, pas Sophocle. Et plus insidieux encore, certains confondent les réécritures « morales » avec la traduction d’une langue à une autre. C’est oublier que jusqu’au xxie siècle, un traducteur s’enorgueillissait d’être fidèle à l’auteur qu’il traduisait, et ne revendiquait pas de corriger les indignités du livre qu’il était censé servir. Que des jeunes gens, par nature révoltés et naïfs, réclament la tête d’un adjectif ou d’une idée, nous pouvons le comprendre ; mais que des maquignons, déguisés en éditeurs, ou que des militants, grimés en critiques et en professeurs, leur emboîtent le pas, doit être combattu et qualifié pour ce que c’est : de la bêtise, la bêtise toujours recommencée. Increvable. Le monde aura disparu qu’elle continuera de vibrer dans le néant.

La littérature au fouet

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Catherine Robbe-Grillet photographiée en 2007 © BALTEL/SIPA

Catherine Robbe-Grillet, la dominatrice de la littérature, fut à une époque la très sulfureuse Jeanne de Berg. Son livre culte reparait dans la collection les Cahiers Rouges.


Cérémonies de femmes, ouvrage culte publié, sous pseudonyme, reparaît aujourd’hui sous le véritable nom de l’auteure, Catherine Robbe-Grillet, l’épouse de l’écrivain mort en 2008. Elle relate, à travers six grands tableaux, les moments troublants de sa vie de dominatrice. En 1985, Catherine souhaite garder l’anonymat, même si Mai 68 a bouleversé les mentalités. Elle publie donc sous le pseudonyme de Jeanne de Berg Cérémonies de femmes. Invitée sur le plateau d’Apostrophes, le 13 décembre, elle décide de masquer le bas de son visage avec une voilette. Alain Robbe-Grillet, de New York où il enseigne la littérature française, lui prodigue quelques conseils.

D.R.

Onirisme

C’est un habitué de l’émission ; il y manie l’humour, l’ironie, ses réparties fusent, le regard espiègle au milieu d’un visage barbu. Il tient tête aux conservateurs Michel Droit et Louis Pauwels qui le regardent avec mépris. Il ne lâche rien face au bondissant Philippe Sollers qui n’admet pas de partager le pouvoir des lettres avec « le pape » du Nouveau Roman. À Catherine, donc, il lui recommande d’être naturelle malgré son masque, de ne pas chercher à trop faire la promotion de son livre, de souligner surtout l’urgence qu’il y a à exprimer des fantasmes féminins, ce qu’il fait dans ses livres, souvent de manière onirique. Il dit encore : « On fait trop croire aux femmes qu’elles n’ont pas de vie sexuelle fantasmatique, et même pas de vie érotique indépendante. » Catherine se retrouve face à Françoise Sagan, Bertrand Poirot-Delpech et Roger Peyrefitte. Son intelligence et son audace font mouche. En guise de conclusion à l’émission, Bernard Pivot ne peut s’empêcher de cabotiner en lisant un quatrain dont voici les deux derniers vers : « N’ôtera ni chapeau ni voilette ni robe/En sorte que son nom ne sera pas grillé. » Le secret est éventé. Le livre devient un best-seller.

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De New York aux appartements cossus de Paris, en faisant une halte le long des quais de la Seine, particulièrement suggestive, Catherine Robbe-Grillet lève le voile sur sa longue carrière de dominatrice, méticuleuse ordonnatrice de soirées théâtralisées, qui oscillent entre Sade et Bataille. Le martyre de Saint Sébastien reste le point d’orgue de ces soirées entre initiés. À la lire, on se croirait dans un tableau de Georges de La Tour. Les plaies ouvertes et saignantes ne sont pas sans rappeler celles du Christ en Croix. On se demande alors si cette violence infligée volontairement n’est pas la recherche de la souffrance endurée par le Christ pour obtenir la Rédemption de l’homme malgré son incurable incertitude durant la Vigile pascale.

Glissements progressifs du plaisir

Toujours à propos de Sébastien, Catherine Robbe-Grillet évoque le film de son mari, Glissement progressif du plaisir (1974). « Il y a une scène où une jeune femme casse des œufs sur le corps d’une autre femme, rappelle Catherine Robbe-Grillet. Ces œufs sont déposés avec délicatesse, de telle sorte qu’ils bougent, qu’ils tremblent, mais qu’ils n’éclatent pas. J’avais envie, au contraire, qu’ils éclatent. » Elle remplace alors les flèches du supplice de Saint Sébastien par des œufs. La référence au livre de Georges Bataille, Histoire de l’œil, est évidente. Bataille, né d’un père aveugle et paralysé, écrit : « J’ai, comme Œdipe deviné l’énigme : personne n’a deviné plus loin que moi. » À travers cette mystérieuse jouissance humiliante, Catherine Robbe-Grillet, a-t-elle deviné aussi loin ?

Précisons que ce livre est, avant tout, un objet littéraire qui prouve, une nouvelle fois, que la boite noire de la littérature émet d’où elle veut.

Catherine Robbe-Grillet, Cérémonies de femmes, Les Cahiers Rouges, Grasset, 144 pages.

La révolution, les urnes et la rue

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Emmanuel de Waresquiel © Photo: Hannah Assouline

La crise profonde que nous vivons n’est pas inédite dans notre histoire. Elle témoigne même d’une longue « tradition » héritée de 1789: la guerre de légitimité entre le peuple et ses gouvernants. Et notre culture privilégiant l’affrontement à la négociation, la politique se fait aussi dans la rue. Nos dirigeants devraient s’en souvenir.


Apollinaire aimait la guerre et son souvenir, comme nous avons la nostalgie des grandes manifestations de notre enfance. Celles d’aujourd’hui sont trop proches pour être poétiques. Je me souviens de ma déception d’avoir été envoyé à 8 ans en Angleterre. C’était en mai 1968. Les écoles étaient en grève et mes parents y avaient vu l’opportunité de m’y faire apprendre les langues étrangères. J’ânonnais celle de Shakespeare quand en France mes petits amis étaient en vacances. Je trouvais cela injuste. Plus tard, je me suis rattrapé. Ah ! les belles manifestations de ma jeunesse, celles contre les lois Savary sur l’université et les grandes écoles en mai 1983, celles de 1986, trois ans plus tard, contre le projet de loi Devaquet. Je n’avais jamais entendu parler de l’un ni de l’autre, je me fichais comme de l’an quarante de ce qu’ils nous voulaient. Ils avaient mis les étudiants dans la rue et c’était comme une grande récréation, des jours d’école buissonnière entre deux cours, à déambuler narines ouvertes le long des grands boulevards. J’étais jeune, il faisait beau, les filles étaient jolies. Elles avaient la démarche légère et mon âme l’était aussi.

Je n’ai repensé à tout cela que bien plus tard et un peu par hasard, au musée d’Orsay, devant un tableau d’André Devambez peint en 1902, l’un de ses plus célèbres, intitulé La Charge. Il représente en une sorte de plongée nocturne hallucinée, un bout du boulevard Montmartre à l’époque des réclames et des premiers réverbères électriques. Le long d’un trottoir animé, un cordon de policier charge un groupe de manifestants réfugiés en une masse confuse et noire dans le bas du tableau. Entre les deux, on ne voit que l’espace lumineux de l’asphalte. Un immense vide.

Ce tableau-là est comme une allégorie de toute notre histoire depuis la Révolution. Il n’y a pas d’autres pays que le nôtre où la politique s’est faite aussi souvent dans la rue et se mesure encore aujourd’hui – n’en déplaise à Emmanuel Macron – à la longueur de ses cortèges. Nous sommes bien les seuls à ne pas nous étonner d’avoir à vivre des semaines entières dans un pays en partie ou totalement bloqué, à la grande stupeur de nos voisins qui nous regardent en souriant comme on le ferait d’une tribu aborigène au fond d’une savane exotique. Les journées non travaillées pour cause de grève sont une tradition française : plus de 300 pour 5 000 salariés en 2010, plus de 150 en 2019, contre six aux États-Unis la même année. Il existe peut-être des raisons à cela. Il faut les regarder du côté de l’histoire.

Tout se passe comme si nous étions encore aujourd’hui les héritiers d’un unique et long affrontement entre deux légitimités : celle des urnes et de la représentation parlementaire ; celle du « peuple », de sa puissance symbolique, de sa souveraineté éminente et de l’expression immédiate de sa volonté.

La rue contre les urnes. Cette opposition-là est vieille de plus de deux siècles. Cela commence sous la Révolution. Quand, le 17 juin 1789, les députés du tiers-état se constituent en Assemblée nationale sans demander au roi son avis, le 14 juillet, le peuple des faubourgs parisiens prend la Bastille. La « nation » d’un côté, le « peuple » de l’autre. Cet antagonisme est au cœur de la Révolution, il en constitue même le combustible, jusque sous la Terreur. À chaque fois que les sans-culottes des 48 sections parisiennes et de la Commune de Paris marchent sur la Convention, en autant de « journées révolutionnaires », le 5 septembre 1792, le 10 mars et le 31 mai 1793, la Révolution se radicalise.

Ce qui s’apparente à un rapport de forces et de violence tout autant qu’à une guerre de légitimités s’est poursuivi, de barricades en barricades, tout au long du xixe siècle : 1830, 1848, la Commune. Puis dans les grandes grèves sociales de la « Belle Époque », dans les manifestations monstres de février 1934, dans celles du Front populaire, jusqu’aux « événements » de 1968. Et cela dure encore.

L’ombre portée de 1789 n’en finit pas de grandir sous le soleil de l’utopie. Certes, notre Révolution n’est pas exceptionnelle, elle s’inscrit dans un cycle long qui touche, dans les années 1780, les colonies anglaises d’Amérique, Genève et la Hollande avec leurs couleurs propres et leurs influences réciproques. Mais elle est « idéale », dans ce sens où elle a été en France comme nulle part ailleurs, à la fois politique et sociale, égalitaire, amnésique, ombrageuse, totalisante et abstraite. En France, les mots précèdent les choses. Tocqueville le note en passant à propos de la révolution de juin 1848, qu’il a vécue de près. Pris en masse, les Français se comportent très souvent en politique comme « un homme de Lettres ». Ils en ont le tempérament et les humeurs. Rien n’a jamais mieux servi leur imaginaire, leurs projets, leurs désirs que les mots. On a fait la révolution au nom du « peuple » de la « liberté », de l’« égalité » mais de quel peuple, de quelle liberté, de quelle égalité parlait-on ? Civile, politique ou sociale ? Dans un tel contexte, ce que François Furet appelle « le tournant égalitaire » de 1789 nous a durablement marqués. Bien sûr, en juin 1789, le « climat », si l’on peut parler de climat, était un peu celui de l’Arcadie : les enthousiasmes, la sincérité, le désintéressement, l’espoir et les promesses de bonheur. Mais on y respirait aussi un air moins printanier : le choc des ambitions, la jalousie et les soupçons, l’intolérance, les vengeances et la haine. La monarchie absolutiste à la française, pour avoir été incapable de se réformer par le haut, de réduire ses privilèges et d’égaliser l’impôt, a fini par accoucher d’une révolution tout aussi absolutiste, au nom des mêmes principes d’unité et d’indivisibilité. Pour ces raisons mêmes, on en était déjà en 1789 aux violences verbales, les massacres de 1793 en moins. Comment dès lors admettre une quelconque opposition ? De 1789 à 1794, décret après décret, l’adversaire s’est tour à tour mué en « contre-révolutionnaire », puis en « suspect », puis en « ennemi du peuple ». Le Tribunal révolutionnaire et la guillotine réglaient la question, quand ce sera plus tard la déportation et aujourd’hui les tribunaux. Nous n’arrivons pas à nous parler.  Toute notre culture politique, qui préfère l’affrontement à la négociation, découle de ce lointain héritage.

Revenons à nos grèves. La conquête et l’occupation durable de l’entreprise ou de la rue – cet espace lumineux et vide que représente Devambez dans son tableau – sont devenues l’expression par excellence de la légitimité du peuple contre la légalité de ses gouvernants. Un véritable enjeu de pouvoir. En juin 1793, les conventionnels en inscrivent même le principe dans leur Constitution, dite « de l’An I ». Souvenez-vous de l’article 35 de leur Déclaration des droits de l’homme : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

De Gaulle s’est réclamé de cette légitimité contre la légalité douteuse du gouvernement de Vichy, à Londres en 1940, au nom de l’« intérêt du pays » et de l’« urgence nationale » – « Si la légalité est défaillante, la légitimité doit s’y substituer. » Et Sartre tout autant, en 1973, lorsqu’il reprend dans les Temps modernes le slogan des manifestants de 1968 : « Élections, piège à cons ! »

Si, aujourd’hui, le principe de la souveraineté du peuple est admis, après avoir été longtemps contesté, celui de la légitimité morale de notre actuelle République « telle qu’elle est constituée » l’est de moins en moins. Au nom même de son idéal et du vertige inatteignable de ce qui la fonde : la liberté, l’égalité, la fraternité, on n’en aura jamais fini de dénoncer, dans l’ombre portée de la légalité, la corruption par l’argent, les « violences » sociales faites aux salariés ou les insuffisances du droit d’élire. Nous serons encore longtemps habités de cette utopie si française.

Alors qu’il était sur le point de commencer à peindre sa Liberté guidant le peuple dans son atelier du 15, quai Voltaire, Delacroix écrivait ceci à son frère, Charles-Henri, le 12 octobre 1830 : « J’ai entrepris un sujet moderne, une barricade […] et si je n’ai pas vaincu pour la patrie, au moins peindrai-je pour elle. Cela m’a remis de belle humeur. » Il ne s’est pas battu pendant les Trois Glorieuses, mais il a fait beaucoup mieux que cela. Une allégorie de notre histoire. Ce qui surplombe en effet sa liberté, c’est l’utopie et c’est l’avenir. Je pense à Victor Hugo, aux Misérables, à Enjolras et à ses compagnons embusqués derrière leur barricade de la rue de la Chanvrerie, tous ces « glorieux combattants de l’avenir », tous ces « confesseurs de l’utopie » des journées sanglantes de juin 1832. Aujourd’hui, nous ne construisons plus de barricades, si ce n’est avec des poubelles ! Les cortèges les ont remplacés, avec leur lot de violences. La réaction de nos gouvernants aussi a changé. On réprime moins, n’en déplaise à certains, on efface. À la fin des années 1990, les voiturettes vertes des services de propreté de la Ville de Paris nettoyaient, à l’arrière des défilés, jusqu’au dernier tract des manifestants. On a un peu plus de mal aujourd’hui à rendre aux boulevards leur netteté insignifiante et bien ordonnée. C’est que les manifestations se suivent en rangs serrés, des Gilets jaunes aux actuels défilés, comme le ressac et les marées. Ce « pays-ci », comme on le disait de la Cour sous l’ancien régime, demeurera longtemps le pays des songes. Exaltés, contradictoires, meurtris. En France, parfois, ce sont les songes qui l’emportent.

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Ganges Potemkine

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Le président Macron visite le collège Louise Michel à Ganges (34), le 20 avril 2023 © PHILIPPE MAGONI/SIPA

Entre demi-vérités et vrai jeu de rôle, par un beau jeudi d’avril, Emmanuel Macron, escorté en silence par Pap Ndiaye, a poursuivi dans l’Hérault sa tentative d’apaisement selon son modus operandi habituel: fausse décontraction de la veste sur l’épaule, éléments de langage et effets d’annonce. Peut-on être convaincu par ses propos sur l’éducation?


Commençons par analyser factuellement le contexte. Sommes-nous vraiment là en milieu rural ? Ganges, à la porte des Cévennes est une ville de 3000 habitants dont la prospérité fut autrefois assurée par l’industrie textile, héritage des filatures de soie d’antan. La concurrence chinoise a, comme chez sa voisine gardoise Le Vigan, détruit ce secteur économique et la petite cité vit aujourd’hui dans la sphère d’influence montpelliéraine. Aux vieilles familles locales sont venus s’ajouter de jeunes cadres et des familles très modestes refoulés là par la flambée des prix de l’immobilier dans la grande métropole distante de 45 kilomètres. Précarité et relatif confort matériel s’y côtoient donc, faisant du lieu une « France périphérique » rurbaine plus qu’un milieu purement rural. Michel Fratissier, maire de Ganges a donc pu, légitimement, évoquer les questions emblématiques des zones géographiques de ce type : fermeture de la maternité, fracture numérique et sécurité. Sans doute par pudeur, cet ancien professeur d’I.U.F.M, que la carrière a pourtant rendu forcément expert sur les difficultés de mises en pratique des consignes de la rue de Grenelle, n’a pas souhaité émettre de doutes sur les annonces pour l’éducation. On  peut cependant comprendre que, lorsque l’on gère une commune où la Macronie, tout à fait par hasard bien sûr, aime à se mettre en scène, l’on ne souhaite contrarier ses hôtes (rappelons la précédente visite en décembre 2021 de Sarah El Haïry à l’école maternelle puis, début 2023, celle annoncée puis annulée de Patricia Mirallès).

Pourtant, des interrogations, il y en a, surtout concernant les niveaux scolaires qui précèdent le collège.

Tout d’abord, l’échec du choc d’attractivité, atteste du fait que l’appréciation du terme « substantiel » diffère du ministère au terrain. Les montants annoncés ne semblent pas de nature à compenser la dégradation des conditions d’exercice du métier. Le gel du point d’indice laisse les plus anciens 20% à 25% en dessous de la rémunération de fin de carrière qu’ils espéraient en entrant dans le métier.

Dégradation continue

Au-delà de cet aspect financier, nombreux sont ceux qui évoquent la perte du sens de leur activité. Depuis Nicolas Sarkozy, tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont contribué à assécher, de façon continue, le flux de transmission des connaissances, principale ambition de tout enseignant. Allègement continu des programmes, suppression de tout livret d’évaluation précis en maternelle au profit de quelques photos des seules réussites, mise en avant du ludique et du sociétal, disparition des R.A.S.E.D.[1], auxiliaires précieux de l’entrée des plus en difficulté dans les disciplines les plus arides, formation continue hors sol… À cela est venue s’ajouter l’ « école inclusive », idée philosophiquement noble ayant accouché d’un monstre, qui conduit les enseignants à s’improviser éducateurs spécialisés, pour des cas de plus en plus lourds, puisque les instituts spécialisés n’accueillent la plupart du temps qu’après six ans, alors que l’âge de l’obligation d’instruction a été ramené à trois ans par Jean-Michel Blanquer.

A lire aussi: Pap Ndiaye, wokiste à temps partiel

A cette dégradation continue, Emmanuel Macron a pris sa part avec l’apparition de pseudos experts, qui ne quittent leur bureau douillet que pour venir réciter des éléments de langage fumeux et proposer de « changer de posture » à des enseignants désespérés de ne plus pouvoir instruire les élèves, occupés qu’ils sont à calmer les crises de tel élève violent ou tel « Enfant à Besoin Educatif Particulier » hurlant sa souffrance d’être si mal pris en charge. Dans un tel contexte, les consignes d’olympiades d’une semaine de Pap Ndiaye, venues s’ajouter à celle de chanter le jour de la rentrée de Jean-Michel Blanquer sont l’ombrelle sur un cocktail explosif.

Les enseignants les plus expérimentés sont les plus mécontents des annonces

Enfin, et cela explique sans doute le choix du collège et non de l’école située juste en face, comme lieu de l’annonce, la part variable liée à des missions supplémentaires semble difficilement accessible aux professeurs des écoles.

Cours de soutien au collège ? Cela ne sera matériellement possible et intéressant financièrement que pour les enseignants proches de l’établissement concerné et hors des horaires de l’école. Il  ne faut pas oublier qu’en école primaire, le temps de présence incompressible devant les élèves est d’au minimum 26 heures : aucune flexibilité dans les plannings possible. Remplacement des collègues ? Les professeurs des écoles assument, depuis toujours, la prise en charge des élèves de leurs collègues absents. Le manque de remplaçants transforme régulièrement une partie des salles de classe en garderie, faisant monter les effectifs à surveiller au-delà de 30 élèves pouvant avoir de trois à 10 ans.  Prise en charge de cours le mercredi ? C’est ce jour là qu’ont lieu les formations, qui, à la différence du secondaire, ne se font que très rarement sur les temps d’enseignement. Il ne restera que les vacances. De nombreux gouvernements ont rêvé de les raccourcir : nous y sommes, et les enseignants, épuisés, écœurés, l’ont bien compris.

À ces réalités-là, Emmanuel Macron ne change donc rien et aucun élément de langage tel que « excellence » n’est de nature à convaincre les professeurs des écoles. Lorsqu’en plus Pap Ndiaye continue, sur Twitter, de ne citer que « les débuts et milieux de carrière », les enseignants les plus expérimentés, ayant passé un concours plus exigeant qu’aujourd’hui, achèvent de désespérer. Ripolinée de frais par les employés de mairie, sécurisée par les chasseurs de casseroles, Ganges n’aura donc été qu’un Neverland de plus où quelques enseignants complices auront contribué à construire un décor d’opérette pour un grand tisonnier venu agiter les braises en prétendant éteindre un incendie.


[1] Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté

Taïwan est plus importante que l’Ukraine

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Un garde devant le Mémorial de Tchang Kaï-chek, Taipei, mars 2023 © UPI/Newscom/SIPA

Avec les nouvelles manœuvres chinoises et la dernière gaffe du président Macron, la question de Taïwan est revenue sur le devant de la scène. Malgré son éloignement géographique, l’avenir de cette île de 23 millions d’habitants nous concerne davantage que l’Ukraine.


Tout d’abord, puisque les dirigeants occidentaux ont inscrit la guerre entre l’Ukraine et la Russie dans le cadre d’un affrontement entre démocratie et autoritarisme, Taiwan est une démocratie accomplie avec une totale liberté de la presse et une alternance régulière au pouvoir. Au contraire, l’Ukraine est une ploutocratie, dominée par quelques oligarques qui se disputent le pouvoir.

Ainsi le célèbre classement des démocraties de The Economist plaçait en 2020 l’Ukraine au 35ème rang européen (avec un score de 5.81 sur 10) et Taïwan au premier rang asiatique (avec un score de 8.94). Taïwan se situe au 11ème rang mondial (devant la France 24ème), l’Ukraine étant… 79ème. Pourtant, indépendante depuis 1991, située aux frontières de l’Union européenne, soutenue par les Occidentaux, l’Ukraine a eu largement le temps de moderniser son système politique, alors que la première élection libre à Taïwan date seulement de 1996. Si la défense de la démocratie est autre chose qu’un slogan visant à justifier les interventions militaires américaines en Irak, en Afghanistan ou en Ukraine, Taïwan mérite d’être défendue autant que l’Ukraine.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Qui est disposé à mourir pour Taïwan — ou pour l’Ukraine?

Ensuite, Taiwan produit 60% des semi-conducteurs mondiaux indispensables aux équipements électroniques des voitures comme des smartphones. Une seule entreprise, TSMC, fabriquait 53% de la production mondiale, en 2022. La destruction de ces usines comme leur contrôle par la Chine auraient des conséquences dévastatrices sur l’économie mondiale et, immédiatement, sur notre niveau de vie.

Enfin, du point de vue géopolitique, l’île asiatique occupe une position bien plus stratégique, à l’extrémité ouest du Pacifique, que le Donbass. Taïwan se situe au centre d’une région qui produit aujourd’hui plus de la moitié du PIB mondial, et qui est devenue la première voie maritime de la planète – mais que Pékin entend contrôler. L’invasion de Formose changerait l’équilibre des forces dans cette région indo-pacifique, et à travers le monde, envoyant le signal que les États-Unis ne sont plus la première puissance mondiale. Les Philippines, l’Indonésie, des pays du Pacifique et bien d’autres par ricochet (jusqu’en Afrique et en Amérique latine), constatant la puissance et la volonté hégémonique chinoise, ou effrayés par elles, risqueraient de basculer dans l’orbite de l’Empire du Milieu et d’aligner leurs politiques étrangère comme intérieure sur ses exigences.

A lire aussi, Jean-Sylvestre Mongrenier: De la Russie à la Chine, Emmanuel Macron et l’illusion de la «puissance d’équilibre»

Laisser entendre comme le président Macron que c’est d’abord l’affaire de la Chine et que l’Europe n’en subirait pas les conséquences est évidemment absurde. À ce niveau de responsabilité, c’est le signe d’un étrange amateurisme. Au contraire, à travers les déclarations de la France et de l’Europe, la Chine doit comprendre qu’elle payerait cher sur les plans économique et diplomatique une invasion de l’île et que, dans ce cas, nous serions les alliés d’une riposte américaine. Le sort de Taïwan dépasse celui de ses habitants qui vivent sous l’anxieuse menace d’une attaque. Défendre la République de Chine (son nom officiel), c’est non seulement défendre la démocratie, mais aussi nos intérêts politiques et économiques.

Le patriarcat, le patriarcat, vous dis-je!

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De gauche à droite : Anne-Cécile Mailfert, Caroline de Haas et Jade Lindgaard. D.R.

Nous savions déjà que les néoféministes préféraient les femmes qui jettent des sorts aux hommes qui construisent des EPR. Dernièrement, nous avons découvert que ces bonnes fées souhaitent désormais réallouer le budget octroyé au SNU à la lutte contre les « féminicides »…


Je ne saurais dire si le SNU (Service National Universel) est une bonne ou une mauvaise chose ; en revanche, je puis affirmer que cela n’a rien à voir avec le service militaire obligatoire d’antan, au contraire de ce que semble penser la militante féministe Anne-Cécile Mailfert.

Durant ce SNU de 12 jours, nos adolescents doivent porter un vêtement uniforme, hisser le drapeau tricolore et chanter la marseillaise, se désole la présidente de la Fondation des femmes lors de sa chronique hebdomadaire sur France Inter le 31 mars dernier. Elle y voit, dit-elle, une résurgence des « cultures patriarcales et militaristes » vouant « un culte aux mêmes contre-valeurs : la hiérarchie, la violence, l’obéissance, l’uniformité, l’autoritarisme et le virilisme ». Ce gauchisme anti-militariste et soixante-huitard libertaire à la petite semaine saupoudré de quelques notions wokes dans l’air du temps est aussi affligeant que les réactions des représentants du syndicat La voix lycéenne et de l’Unef qui considèrent que le SNU ne favorise pas suffisamment « l’engagement associatif, politique ou syndical (1)». Ces jeunes gens confondent apparemment un service national (militaire, universel, républicain, appelez-le comme vous voulez) qui, même mal fagoté, est normalement destiné à renforcer la cohésion sociale en confortant certaines valeurs communes (nationales, patriotiques, républicaines, etc.) et un service de recrutement à destination des syndicats, des associations et des mouvements gauchistes. La présidente de la Fondation des femmes abonde d’ailleurs dans leur sens pour ce qui est des associations.

Deux milliards d’euros que récupérerait bien Caroline de Haas…

Anne-Cécile Mailfert évoque soudainement « le corps des femmes [qui] sont des champs de bataille quand les hommes ne parlent pas de nous en conquêtes ». Quel est le rapport avec le SNU ? Nous comprendrons un peu plus tard que l’évocation étrange de cet hypothétique  champ de ruines corporelles n’a servi qu’à justifier la question de savoir à quoi pourrait bien être employé un des deux milliards d’euros prévus pour le SNU obligatoire, si celui-ci venait à être abandonné sous la pression de cette jeunesse si joyeusement anti-militariste, anti-nationaliste, anti-patriotique et, bien entendu, féministe. « Il suffirait d’un petit milliard pour avoir les moyens d’une vraie politique de lutte contre les féminicides », assure Mme Mailfert. Ce montant magique, il nous semble bien l’avoir déjà entendu quelque part. Mais oui, mais c’est bien sûr : ce milliard, c’est celui que Caroline De Haas réclame à cor et à cri depuis des années, en tout cas depuis qu’elle a créé sa petite entreprise de « conseil, de formation et de communication experte de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la lutte contre les discriminations, de la diversité et de la prévention des violences sexistes et sexuelles ». Caroline De Haas a en effet co-fondé Egae, entreprise à but lucratif et aux méthodes douteuses vivant essentiellement grâce aux contrats passés avec des entreprises ou des établissements publics. Cette entreprise qui se targue de « percuter l’illusion de l’égalité » a surtout bouleversé la vie de quelques hommes soumis à des enquêtes malsaines et très orientées, au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris ou à Télérama, par exemple. Résultat : des ambiances délétères, des procès moscovites, des soupçons ruinant les carrières d’un musicien et d’un journaliste, ce dernier, licencié abusivement, ayant toutefois obtenu que les Prud’hommes condamnent l’hebdomadaire télévisuel à lui verser 90 000 euros à titre de dédommagement. Avant cela, Caroline De Haas avait fondé l’association “Osez le féminisme !” dont… Anne-Cécile Mailfert a été la porte-parole puis la présidente. En 2016, cette dernière, décidément en proie aux idées fixes, a co-écrit le rapport « Où est l’argent pour les droits des femmes ? » En 2019, elle expliquait sans rire au magazine 50/50 : « Une des raisons pour lesquelles ce secteur est sous financé […] c’est le problème du rapport des femmes à l’argent. Les femmes sont dans le soin de l’autre, la générosité, l’altruisme, elles se “sacrifient” pour les autres. Et donc la recherche d’argent pour elles-mêmes, pour leurs projets, n’est pas prioritaire. Il y aussi cette image que les femmes qui cherchent de l’argent sont des femmes vénales. Je pense que c’est une imagination de la domination masculine pour nous empêcher d’aller sur ce terrain-là. » Toujours la même ennuyeuse ritournelle. Notons que pour des gens qui prétendent combattre les stéréotypes, ils n’en manquent pas en magasin. Résumons-nous : le patriarcat, la domination masculine, et tout ça et tout ça, sont la cause de tous les maux. De tous les maux ? De tous les maux ! Comme nous allons pouvoir le vérifier immédiatement.

A lire aussi: Marguerite Stern et Dora Moutot: «Le féminisme actuel a été parasité par l’idéologie transgenre et queer»

La pensée atomique de Jade Lindgaard

Quelques jours plus tard, en effet, Jade Lindgaard, journaliste au pôle écologie de Mediapart, était reçue par Mathieu Vidard dans l’émission écologiste pro-GIEC “La Terre au carré”, sur la radio publique abonnée à toutes les idéologies modernes, j’ai nommé France Inter. Pour mémoire, Jade Lindgaard se distingua en 2017, sur le plateau de l’émission C l’hebdo, en dénonçant l’islamophobie en France et le « système généralisé de racisme dans ce pays », et en expliquant que « l’islamisme, en tant que tel, n’est pas en soi une chose grave, c’est un phénomène qu’il faut comprendre et expliquer ». Cela situe le niveau de réflexion de la dame. Les féministes, explique notre brillante journaliste dans l’émission de Mathieu Vidard, ont été, dès les années 1970, à la pointe de la lutte contre le nucléaire. Passons rapidement sur la confusion entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire savamment entretenue par Mme Lindgaard, pour déboucher directement sur la pensée atomique suivante : « À l’époque, le nucléaire est considéré comme l’incarnation et la célébration du patriarcat. C’est une énergie brutale et hiérarchique, opaque, sur laquelle on n’a aucune prise, qui vous écrase, vous marche dessus, et ne vous laisse pas votre mot à dire. » Sic d’or pour l’ensemble de cette ahurissante allégation dont chaque terme est une bêtise. On est à peu près au niveau des réflexions de Dame Rousseau dénonçant « les relations entre colonialisme, capitalisme et patriarcat » (Par-delà l’androcène, Seuil, 2022) ;ou disant préférer « les femmes qui jettent des sorts plutôt que les hommes qui construisent des EPR » ; ou fustigeant les monstres patriarcaux et virilistes que sont les hommes s’occupant du barbecue ; ou réprimandant une Élisabeth Badinter qui, ayant critiqué ses « révélations » sur Julien Bayou, se voit accusée d’être « du côté de l’ordre tel qu’il est actuellement, qui est un ordre patriarcal » (le Grand entretien, France Inter, 3 octobre 2022).

Sandrine Rousseau lors de la manifestation en soutien aux femmes iraniennes, Paris, le 2 octobre 2022 MUSTAFA SEVGI/SIPA

Chose étrange : plus le patriarcat occidental a des allures de squelette, plus les néoféministes s’acharnent à briser ses inoffensifs osselets – il en est pourtant un autre, plus rudimentaire, plus brutal, plus oriental, plus patriarcalement patriarcal, pourrait-on dire, qui remporte en ce moment un beau succès dans notre pays pourtant historiquement peu enclin à ce genre de « domination », quoi qu’en disent certaines féministes. Mais visiblement, ce patriarcat-là n’intéresse pas beaucoup nos militantes qui préfèrent continuer de vilipender un fantôme, quitte à dire n’importe quoi – ainsi, Dame Rousseau qui, défendant le port du voile sous nos latitudes, pense qu’il y a « plein de motivations pour porter le voile » et que, de toute manière, « à chaque fois qu’on parle du corps des femmes, à chaque fois qu’on parle de la manière dont on doit l’habiller, on sert le patriarcat » (LCP, 4 novembre 2021). Le patriarcat, le patriarcat, vous dis-je.

Les gobeurs

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[1] Propos relevés dans Politis, 27 février 2023.

Sarko à Matignon

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Paris, mars 2023 © ERIC TSCHAEN / POOL/SIPA

Au-delà de la surprise provoquée par une indiscrétion de l’Obs, on peut trouver dans cette hypothèse une certaine logique. Si Macron doit faire dans la casserole autant qu’il s’adresse au grossiste du marché. Depuis le temps que Sarko se trimballe des casseroles en batterie il distingue à l’oreille l’adhésive de l’anti, le téflon du fer et la céramique du cuivre. Alors Macron lui passe un coup de fil pour lui proposer Matignon…


-Nicolas ça va qu’est-ce que tu fais?
Je regarde le télé-achat.
Arrête!
-Oui oui oui Olé!
-Qu’est ce qui se passe?
Je viens de choper une casserole Mauviel 1830 en cuivre, la Rolls de la casserole.
-Je ne savais pas que tu faisais la cuisine.

En 27 je me présente et je te nomme à Matignon. On se fait une Poutine-Medvedev!

Mais c’est pas pour faire la cuisine, idiot. Tiens y a pas 20 minutes Carla m’a rejoint sur le canapé avec sa guitare et a attaqué lalala. Elle n’est jamais arrivée au refrain. J’ai pris ma petite Tefal en fer, du 12 avec le manche en bois et tic un coup sec dans le cornet. Elle va répéter plus loin et je peux me mater le télé-achat peinard.
-Elle tire des balles ta Téfal?
-Quoi?
Tu as dit du 12!
Putain il est mur, 12 c’est le diamètre de la casserole. Tu as 12, 16, 18 et 20.
-Pour Brigitte il faut du combien?
-Brigitte, heu attends, je calcule. Pour une première fois il lui faut de la céramique. Et vu la surface de son brushing tu vas prendre une De Buyer, au moins du 18.
Je note De Buyer du 18. Et pour Borne?
Borne on s’en fout, tu prends ce que tu as sous la main. Mais une avec le manche en bois. Comme tu pourras plus t’arrêter de frapper, tu as besoin d’ergonomie.

A lire aussi, du même auteur: Le Macron Casse-Rock-and-Roll Show

Génial! Et pour Veran?
Pour le champion il faut du lourd. Une Le Creuset en fonte. Ou une Staub en fonte. Attention ça pèse un Benalla ces trucs-là. Tu attends qu’il dorme pour pas le rater.
-Yes! Et pour N’Diaye?
Tu prends un wok.
-Ouais! Dussopt, Dussopt?
-Celui-là c’est un vicieux, fais-lui à l’envers.
Comment ça à l’envers?
Avec le manche.
Nicolas t’es un génie!
Mais dis-moi, pourquoi tu m’appelais?
Pour te proposer Matignon cet été!
Tu t’es pris un coup de casserole dans le casque à Montpellier?
-Alors?
-C’est ok! Mais tu restes au Château, tu joues à la casserole, je veux pas te voir au milieu. En 27 je me présente et je te nomme à Matignon. On se fait une Poutine-Medvedev!
Nicolas, Nicolas, allo?
Qui c’est? Ici c’est Carla…
C’est Emmanuel, je parlais à…
Il a pris sa Tefal avec le manche en bois et il est parti en courant.
-Parti où?
Il a crié Matignon.
-Et merde…

Les phraseurs

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S’agissant des hommes qui ont laissé un nom dans l’histoire, on trouve presque toujours des êtres qui disent l’essentiel en peu de mots. À bon entendeur…


Il y a ceux qui, comme Clemenceau et ses célèbres formules : « On les aura » ou « il est plus facile de faire la guerre que la paix », ont un ton naturellement martial. Il y a ceux qui s’inspirent des ordres du jour de Napoléon : « De ces pyramides, cinquante siècles vous contemplent… » ou « Un chef n’est rien sans ses hommes »… Ils pensent que la force d’une idée est d’autant plus grande qu’elle est exprimée brièvement. Plus récemment, on peut citer aussi le général de Gaulle disant « La France a perdu une bataille, mais elle n’a pas perdu la guerre ». Ce genre de phrases crée un choc, c’est pour cela qu’elles frappent ; c’est aussi pour cela que la postérité les retient… Il me semble que s’agissant des hommes qui ont laissé un nom dans l’histoire, on trouve presque toujours des êtres qui disent l’essentiel en peu de mots. Pensons aussi à Churchill résumant sa pensée dans sa célèbre déclaration à la chambre des Communes, après les accords de Munich : « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur, vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre. » Bref, et c’est le cas de le dire, la grandeur apprécie les symboles et aime la brièveté. La discrète croix de Lorraine voisine avec les modestes deux étoiles d’un chef qui, se confiant à André Malraux, ajoute: « Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples »

Tout est dit !

Il me semble qu’avec toutes ces formules, tout est dit sans qu’il soit besoin de disserter longuement, alors que nous sommes aujourd’hui incapables de régler nos problèmes, malgré d’interminables discours… sur les questions de société… ou sur les grands enjeux géopolitiques. Trouver une solution pour 55 pays africains relève du discours sans effet, et l’inscription de l’IVG dans la constitution procède de la manœuvre de diversion.

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On l’a compris : s’il est un conseil à donner à ceux que guette le verbiage, c’est d’aller à l’essentiel en quelques mots, ce qu’avait aussi bien su faire la reine d’Angleterre malgré ses 93 ans. Notre époque est celle du bavardage, pour ne pas dire de la parlotte. Pourtant les Français aiment le langage viril, car c’est le fond de leur caractère. Un président trop souvent bavard, la répétition sans fin des mêmes idées fatigue. On écoute les 10 premières phrases, puis on baisse le son et enfin, on éteint le poste.

D.R.

Gaulois réfractaires

Il convient de choisir sa cible. Si l’on est devant un parterre de penseurs ou de philosophes, l’on peut se permettre d’être disert, mais lorsque l’on s’adresse à un peuple et plus encore à un peuple indiscipliné par nature, il vaut mieux s’interrompre à temps si l’on ne veut pas perdre la face.

Et, pour revenir à Clemenceau: « Les journalistes ne doivent pas oublier qu’une phrase se compose d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Ceux qui voudront user d’un adjectif passeront me voir dans mon bureau. Ceux qui emploieront un adverbe seront foutus à la porte. » Il est curieux de constater que dans la triste affaire du coronavirus comme face à la réforme des retraites, c’est le contraire qui semble avoir été fait : longues explications de texte, discours fumeux, rencontres aussi nombreuses qu’inutiles…

Ah ! j’oubliais un dernier point : les grands hommes aiment le secret, ce qui leur permet de garder toujours quelques armes au feu. À trop dire, le chef se prive de tout ce qu’il aurait pu dire, ou de ce qu’il dira le jour venu lorsque les circonstances auront changé. Il n’est jamais bon d’abattre toutes ses cartes d’un coup… Nous y sommes. Et comme dit la sagesse populaire, le reste n’est que… littérature!

Entre deux mondes

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