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Taïwan est plus importante que l’Ukraine

Une tribune libre d’Alain Destexhe


Taïwan est plus importante que l’Ukraine
Un garde devant le Mémorial de Tchang Kaï-chek, Taipei, mars 2023 © UPI/Newscom/SIPA

Avec les nouvelles manœuvres chinoises et la dernière gaffe du président Macron, la question de Taïwan est revenue sur le devant de la scène. Malgré son éloignement géographique, l’avenir de cette île de 23 millions d’habitants nous concerne davantage que l’Ukraine.


Tout d’abord, puisque les dirigeants occidentaux ont inscrit la guerre entre l’Ukraine et la Russie dans le cadre d’un affrontement entre démocratie et autoritarisme, Taiwan est une démocratie accomplie avec une totale liberté de la presse et une alternance régulière au pouvoir. Au contraire, l’Ukraine est une ploutocratie, dominée par quelques oligarques qui se disputent le pouvoir.

Ainsi le célèbre classement des démocraties de The Economist plaçait en 2020 l’Ukraine au 35ème rang européen (avec un score de 5.81 sur 10) et Taïwan au premier rang asiatique (avec un score de 8.94). Taïwan se situe au 11ème rang mondial (devant la France 24ème), l’Ukraine étant… 79ème. Pourtant, indépendante depuis 1991, située aux frontières de l’Union européenne, soutenue par les Occidentaux, l’Ukraine a eu largement le temps de moderniser son système politique, alors que la première élection libre à Taïwan date seulement de 1996. Si la défense de la démocratie est autre chose qu’un slogan visant à justifier les interventions militaires américaines en Irak, en Afghanistan ou en Ukraine, Taïwan mérite d’être défendue autant que l’Ukraine.

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Ensuite, Taiwan produit 60% des semi-conducteurs mondiaux indispensables aux équipements électroniques des voitures comme des smartphones. Une seule entreprise, TSMC, fabriquait 53% de la production mondiale, en 2022. La destruction de ces usines comme leur contrôle par la Chine auraient des conséquences dévastatrices sur l’économie mondiale et, immédiatement, sur notre niveau de vie.

Enfin, du point de vue géopolitique, l’île asiatique occupe une position bien plus stratégique, à l’extrémité ouest du Pacifique, que le Donbass. Taïwan se situe au centre d’une région qui produit aujourd’hui plus de la moitié du PIB mondial, et qui est devenue la première voie maritime de la planète – mais que Pékin entend contrôler. L’invasion de Formose changerait l’équilibre des forces dans cette région indo-pacifique, et à travers le monde, envoyant le signal que les États-Unis ne sont plus la première puissance mondiale. Les Philippines, l’Indonésie, des pays du Pacifique et bien d’autres par ricochet (jusqu’en Afrique et en Amérique latine), constatant la puissance et la volonté hégémonique chinoise, ou effrayés par elles, risqueraient de basculer dans l’orbite de l’Empire du Milieu et d’aligner leurs politiques étrangère comme intérieure sur ses exigences.

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Laisser entendre comme le président Macron que c’est d’abord l’affaire de la Chine et que l’Europe n’en subirait pas les conséquences est évidemment absurde. À ce niveau de responsabilité, c’est le signe d’un étrange amateurisme. Au contraire, à travers les déclarations de la France et de l’Europe, la Chine doit comprendre qu’elle payerait cher sur les plans économique et diplomatique une invasion de l’île et que, dans ce cas, nous serions les alliés d’une riposte américaine. Le sort de Taïwan dépasse celui de ses habitants qui vivent sous l’anxieuse menace d’une attaque. Défendre la République de Chine (son nom officiel), c’est non seulement défendre la démocratie, mais aussi nos intérêts politiques et économiques.



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Sénateur honoraire belge, ex-secrétaire général de Médecins sans frontières, ex-président de l’International Crisis Group

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