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Le panache français et ses avatars

Le panache français n’a jamais brillé avec autant d’éclat qu’aujourd’hui. La courtoisie, le tact. L’élégance. Le culte du beau langage. Un paroxysme!


Il a, certes, connu des précédents glorieux: le bras d’honneur du Garde des Sceaux, ce parangon de distinction. Les vociférations des Insoumis à l’Assemblée. Sans compter, à l’époque de la pandémie covidienne, les malédictions gluantes proférées par le chef de l’Etat à l’encontre des réfractaires à la vaccination. Les sommets viennent toutefois d’être atteints. D’abord, par le ministre de l’Intérieur et son jeu de billard à trois bandes : traiter d’ « incapable » le chef du gouvernement italien, au risque de déclencher un incident diplomatique, dans le seul but de salir une adversaire politique, voilà qui relève de la goujaterie pure et simple. La palme de l’impudeur revient toutefois à l’ineffable Roselyne Bachelot. Invitée au couronnement de Charles III, elle a cru bon de se gausser, à la télévision, du monarque et de son épouse. De caricaturer leur allure et leur accoutrement. De railler une cérémonie où nul ne l’avait contrainte à assister. Celle qui fut un temps ministre de la Culture a ainsi dévoilé sa vraie nature et son souci forcené de se singulariser. Jamais l’hôpital ne s’était moqué de l’infirmerie avec une telle inconscience. Tel est l’état de notre société. De quoi entretenir la nostalgie d’un passé plus glorieux.


Aux victoires du rap français, les têtes des trois « nominés » pour la révélation masculine vont vous étonner

Enfin, Cérésa vint…

Dans son dernier ouvrage en date, Dictionnaire égoïste du panache français, François Cérésa évoque la question à sa manière. Il donne du panache français une définition qui mêle « le courage et l’élégance à la mélancolique flamboyance des causes perdues ». Pour illustrer ses dires, 52 portraits de personnages issus d’époques et de milieux divers. Un ensemble à tout le moins hétéroclite. Séduisant et surprenant à la fois. De Jacques Anquetil à Louise de Vilmorin, un défilé qui respecte, grosso modo, la parité entre les sexes. Pour s’en tenir à quelques exemples, s’y côtoient Georges Clémenceau et Georges Feydeau, François Rabelais et Charles De Gaulle, Jean-Paul Belmondo et Jean-Pierre Chevènement. Jeanne d’Arc y voisine avec Coco Chanel et Brigitte Bardot avec Olympe de Gouges. Vercingétorix y côtoie Gérard Depardieu. Choix en apparence surprenant, voire saugrenu. La clé en réside dans le seul adjectif égoïste choisi pour qualifier ce dictionnaire.

francois ceresa philippe lacoche

Un portrait en creux

Autrement dit, au fur et à mesure de la lecture, on prend conscience que, quels que soient l’époque et le domaine où  se sont illustrés les protagonistes, beaucoup d’entre eux ont été  choisis par l’auteur en raison de liens particuliers que celui-ci a su nouer avec eux. En d’autres termes, le trait d’union est constitué par l’auteur lui-même. On en peut déduire les centres d’intérêt et la curiosité d’esprit de celui-ci. Nombre de portraits sont ainsi enrichis d’anecdotes personnelles. De souvenirs vécus. C’est un des intérêts du livre : outre la découverte de héros peu ou mal connus, il permet de pénétrer dans l’univers intime de l’auteur. De mieux le comprendre. Le portrait qui se dessine en creux, c’est le sien propre. Il ne surprendra pas les familiers de cet écrivain prolixe. Inclassable. Il a touché à tout, du roman historique à la confidence autobiographique, en passant par d’autres genres et d’autres tonalités. Du style classique au vérisme le plus cru de la période actuelle, sans oublier l’argot dont la maîtrise pourrait le placer dans la lignée de Céline. Ou encore d’Albert Simonin. Voire de Jehan Rictus. Ce Dictionnaire vient ajouter une pièce à ce puzzle et apporter une nouvelle pierre à un édifice déjà imposant.

François Cérésa, Dictionnaire égoïste du panache français, 400 p.

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«Cinéma» anglais ou «opéra-bouffe» de l’extrême gauche sud-américaine

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Le couronnement de Charles III a dégoûté le leader de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon. Mais si la couronne avait été pour lui, il n’aurait peut-être pas été aussi mécontent!


Nombreux sont ceux qui, politiques et intellectuels, prédisent un destin psychiatrique à Monsieur Jean-Luc Mélenchon. Langage outrancier, propos inexacts mâtinés de liaisons grammaticales exactes, saupoudrage de culture historique, répertoire simultané de la connivence et de l’agressivité, de la flatterie et de la lapidation : ses échecs aux deux dernières élections présidentielles auraient dû raisonnablement mettre fin à l’extrême agitation du patriarche de l’extrême gauche française, dont l’idéal sans-culottiste aurait pu trouver dans cette double déculottée l’esquisse d’un principe de réalité. Les derniers mots de son discours du 10 avril 2022, lancés comme une bouteille à la mer, avaient fait naître l’espoir d’une retraite bien méritée après tant d’énergie renouvelable investie dans le déni du réel: « Faites mieux. Merci. » Il est probable que Monsieur Mélenchon ait estimé depuis qu’aucun de ses lieutenants de La France Insoumise n’était capable de mieux faire. Et il est également probable que la petite troupe de députés LFI n’ait pas vraiment retenu les leçons de leur maître en confondant langage outrancier et langage ordurier, invectives et insultes, tous globalement oublieux de la grammaire, et adaptes du saupoudrage culturel et des changements de ton requis par la geste populiste. Vent debout contre le départ à la retraite à 64 ans, Monsieur Mélenchon, 71 ans, s’est donc résigné à travailler encore un peu à son remake de 1789, cette mauvaise mini-série qui cumule les tares habituelles des reconstitutions historiques bénéficiant de gros budgets idéologiques: scénario truffé d’anachronismes, mauvais acteurs, dialogues indigents, création fort coûteuse en décor urbain.

Shocking !

La réaction du patron des Insoumis au couronnement du Roi Charles III d’Angleterre était un épisode attendu du feuilleton révolutionnaire. On se doutait que le protocole anglais, ourlé de ses traditions monarchistes séculaires, rencontrerait sa réprobation et que les effluves de l’Ancien Régime émoustilleraient sa créativité sémantique. Le vocabulaire employé par Monsieur Mélenchon interroge toutefois et on se demande s’il ne s’est pas trompé de fiche, intervertissant ce qu’il devait dire sur Charles III et ce que l’extrême gauche, y compris celle d’un continent qu’il porte dans son cœur, l’Amérique latine, serait bien inspirée de penser d’elle-même. « Cinéma », « homme couvert de déguisements, de bijoux et de pierres précieuses », « sirops dégoulinants de la monarchie »: on ne pouvait mieux confondre critique et autocritique.

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Car en termes de « cinéma », les trois heures du couronnement anglais ne sont rien en regard de la mise en scène de soi de dignitaires politiques type Hugo Chávez, ex-président du Venezuela et grande référence tropicale de LFI, bolivariste cathodique, célèbre pour s’être mis en scène dans d’interminables émissions dominicales télévisées, sortes de monologues fleuves de quatre, six voire huit heures, temps nécessaire au pédagogisme révolutionnaire, à l’éviction en direct de collaborateurs gênants et à la planification de quelques projets urgents comme la construction d’une école ou d’une maternité dont les premières pierres attendent encore d’être posées. « Cinéma » poursuivi par Nicolás Maduro, l’auto-proclamé héritier au trône chaviste depuis 2013 et qui, devant toujours entendre son maître (réincarné selon lui en petit oiseau) lui siffler à l’oreille de doux gazouillis bolivariens, a annoncé se représenter aux élections de 2024 contre l’anti-chaviste Juan Guaidó affublé par ses soins des doux noms de « clown », « traître » et « imbécile ». On dirait du LFI dans le texte. « Cinéma » de bien d’autres encore, du Nicaraguayen Daniel Ortega au Mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO), dont les discours interminables, entrecoupés de silences infinis, sont des épreuves de niveau olympique même pour les meilleurs lecteurs de Plutarque et de son célèbre Comment écouter.

Sirops

Le nouveau roi d’Angleterre incommode-t-il Monsieur Mélenchon ? Quand on se compare humblement à Louis XI, « sommet de l’habileté et de l’intelligence politique » (sic) on doit être bon prince et supporter la monarchie des autres.  Charles III était-il « déguisé » le 6 mai dernier ? Pas plus sans doute qu’un Evo Morales président de la Bolivie de 2006 à 2019 et qui aimait se parer du costume traditionnel ou de la célèbre Chompa bolivienne lors de ses déplacements, y compris à l’étranger. Était-il éhontément « couvert de bijoux et de pierres précieuses » ? Sans doute moins qu’Eva Perón en son temps, la célèbre madone argentine des pauvres « sans-chemises » (en espagnol, « descamisados ») ayant déclaré, au milieu de ses tailleurs Prince de Galles, ses quelque 120 montres, ses colliers de pierres précieuses et son émeraude de 48 carats : « les pauvres aiment me voir jolie, ils ne veulent pas que celle qui les protège soit une vieille femme mal fagotée. » Les « sirops dégoulinants » de la monarchie britannique ne sont rien par rapport à la mélasse tropicalo-andine de l’extrême gauche latino-américaine, source d’inspiration inépuisable pour LFI qui se réjouit d’ailleurs des récentes « casserolades » françaises, produits contestataires d’importation latino (cacerolazos) susceptibles de faire se trémousser le sans-culottisme au rythme de la salsa et du merengue.

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L’autocritique de Monsieur Mélenchon a donc de quoi inquiéter, effectivement. Peut-être est-il mûr, à ce stade de clairvoyance, pour la lecture des ouvrages de l’historien mexicain Enrique Krauze (1947), récompensé en Espagne en 2021 du célèbre prix Historia Órdenes Españolas. Ses livres sur le populisme latino-américain expliquent avec précision les ressorts de cette dangereuse essentialisation du peuple conduite de façon quasi mystique par un leader politique convaincu de sa mission de rédemption par-delà les échecs de l’histoire. Ça, c’est la prochaine étape de l’autocritique pour celui qui hésite entre « la République c’est moi » et « notre boussole c’est le peuple. »

Pierre Legendre, les piliers de l’Occident

L’anthropologue et historien du droit Pierre Legendre nous a quittés le 2 mars. Il laisse autant de pistes de réflexions que d’arguments à opposer à notre civilisation à la dérive. Son œuvre imposante, à rebours de la doxa, nous met en garde contre la reféodalisation du monde.


« Il faut du théâtre, des rites, des cérémonies d’écriture pour faire exister un État, lui donner forme, en faire une fiction animée […]. On n’a jamais vu, on ne verra jamais, une société vivre et se gouverner sans scénario fondateur, sans narrations totémiques, sans musiques, sans chorégraphies… sans préceptes et sans interdits[1]. » Pierre Legendre a vu le jour en 1930, en Normandie, et s’est éteint le 2 mars dernier. Il nous lègue un trésor intellectuel insigne, inexploré, irrecevable pour les héritiers de la bourdieuserie et autres Trissotin wokistes bas de plafond.

Un penseur majeur à l’écart des chapelles et de la doxa

Côté jardin (secret), fils d’imprimeur, curieux de tous les savoirs du monde, agrégé, grand couturier du droit, il avait le Moyen Âge et les manuscrits dans la peau. Il voyait Ce que l’Occident ne voit pas de l’Occident[2] : la sagesse d’Hampâté Bâ, l’exégèse rabbinique, la ritualité japonaise. L’œuvre savante convie Rimbaud, Borges, Ovide, Origène, ceux qui sentent le soufre. Son style baroque fait de condensations et d’ellipses joue de répétitions, digressions, creuse un sillon, envoûte comme du Péguy. La syntaxe est libre, poétique, furieuse parfois, comme du Saint-Simon.

Côté cour, Pierre Legendre méprisait honneurs, rebelles d’État, vengeurs de race, transfuges sans classe assoiffés de reconnaissance. Il n’a jamais frayé avec les sociologues fonctionnalistes, les philodoxes naïfs (qui appréhendent le pouvoir comme une malédiction ou comme une gouvernance), les Jivaros réduisant le juridique à une fonction de pilotage technique, doublée aujourd’hui de la broderie ad infinitum d’une tapisserie de droits putatifs au bonheur, à l’enfant aux yeux bleus, à la paresse…

Son œuvre est colossale, capitale. Des centaines d’articles, quarante ouvrages de forte densité aux titres surprenants : Jouir du pouvoir[3]; Le Désir politique de Dieu[4] ; Les Hauteurs de l’Éden[5]L’un de ses derniers opus, L’Avant dernier des jours : fragments de quasi mémoires[6], éclaire magistralement, par un clair-obscur mélancolique digne d’un Caravage ou d’un La Tour, la pensée d’une vie.

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Lacanien, Pierre Legendre a mis sur la table des vérités qui dérangent : le sujet possédé par l’institution, L’Amour du censeur[7], De la société comme texte[8]. « Pour être deux, il faut être trois[9] ». La réforme grégorienne (xie siècle) constitue pour Legendre un moment fondateur, un pilier porteur de l’Occident. L’héritage du droit romain, capté par la papauté, a fonctionné comme mythe rationnel, l’Empire de la vérité[10]. Le Corpus juris civilis de Justinien a statut de totem. Sur le mode de l’emblème, c’est un principe de signification. La fonction heuristique du texte fondateur est de produire la raison.

Legendre laboure son champ épistémologique, l’anthropologie dogmatique, et scrute un amer incontournable, la question du Tiers. Pas de société, d’« enfantement du sujet humain » sans relation ternaire, grand Tiers inaugural, légalité rapportable à un texte idéal « qui nous parle » et « institue la vie » (vitam instituere). La trame sociale est écrite dogmatiquement comme procédure de collage, manigance d’écritures et de paroles. Nous devons aussi à Pierre Legendre trois films documentaires réalisés avec Gérald Caillat et Pierre-Olivier Bardet. Trois comme la Trinité ou un triptyque : La Fabrique de l’homme occidental (1996) et Dominium Mundi : l’empire du management (2007) se referment sur Miroir d’une nation : l’École nationale d’administration (1999) et les fantômes de l’État français. L’ENA est morte, vive l’Institut national du service public!

Actualité de Pierre Legendre

Les médias convulsionnaires de la bien-pensance multiplient les crises de nerfs, se gargarisent de mots-valises, slogans creux, sucrés et collants comme le papier tue-mouche (du coche) : pluriel, citoyen, diversité, lien social… Il ne faut pas désespérer Télérama. Billancourt a compris l’imposture depuis longtemps.

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La mise en réseau planétaire des individus, l’Homo festivus ont pulvérisé la galaxie Gutenberg et l’alètheia[11]. Le techno-management et l’idéal libéral-libertaire-victimaire triomphent. L’homme occidental, moderne Phaéthon, incapable de maîtriser la course de son quadrige, meurt foudroyé après avoir tout embras(s)é. Ses sœurs, les Héliades, pleurent des larmes d’ambre. Paysage avec la chute d’Icare, le chef-d’œuvre énigmatique de Bruegel, figure notre monde en perdition. Le soleil décline à l’horizon, les jambes d’Icare s’agitent désespérément dans l’écume et les plumes. On distingue dans le coin inférieur du tableau, son petit plouf. Le laboureur, un pêcheur, une perdrix, les marins sur le naos sont imperturbables… Combien de temps ?

Pierre Legendre nous met en garde contre la reféodalisation du monde, les refoulements meurtriers, les guerres des Textes, le « self-service normatif », les transgressions généalogiques, « conceptions bouchères de la filiation »« Il n’est au pouvoir d’aucune société de congédier le “pourquoi ?” d’abolir cette marque de l’humain[12]. »

Les éditions Ars Dogmatica préparent une réédition du Trésor historique de l’État en France : inventorier la cargaison du navire, un traité d’histoire du droit bienvenu en ces temps de sauve-qui-peut. Dans l’attente de cette publication, le site Ars Dogmatica (arsdogmatica.com) présente magistralement l’œuvre chorale et stimulante.

Janus associé aux portes, Hermès gardien des routes, speculator maximus, Pierre Legendre « redonne forme au monde entier » (reformatio totius orbis, formule pontificale). Et son œuvre nous aide à « cheminer dans les forêts obscures, au milieu du chemin de nos vies », comme disait Dante.


[1]. Le Visage de la main, Les Belles Lettres, 2019.

[2]. Mille et une nuits, 2004.

[3]. Minuit, 1976.

[4]. Fayard, 1988.

[5]. Ars Dogmatica Éditions, 2022.

[6]. Ars Dogmatica Éditions, 2021.

[7]. Le Seuil, 1974.

[8]. Fayard, 2001.

[9]. L’Inestimable objet de la transmission : étude sur le principe généalogique en Occident, Fayard, 1985.

[10]. Fayard, 1983.

[11]. Vérité supérieure.

[12]. La Fabrique de l’homme occidental, Mille et une nuit, 1996.

Le casse-tête du recrutement de nouveaux enseignants

Nous manquons déjà d’enseignants, nous allons en manquer bien davantage: toujours optimiste, notre chroniqueur explique pourquoi ça ne s’arrangera pas de sitôt, à moins de renverser la table.


Malgré les mirifiques hausses de salaire promises, et la perspective d’exercer un métier de fainéant tout rempli de vacances, et en dépit de la grande mansuétude programmée des examinateurs, le ministère de l’Education peine encore cette année à trouver, dans maintes spécialités, plus de candidats que de postes à pourvoir. Quelle malédiction s’exerce ainsi sur le recrutement futur des maîtres ?

En fait, même si le ministère leur promettait la lune — un salaire de départ supérieur à 2000 € après six ans d’études, et une première nomination à côté de chez eux —, la situation n’aurait que peu de chances de s’améliorer. Il en est des enseignants comme des médecins (on sait que les déserts médicaux s’accroissent chaque année) : c’est moins un hypothétique numerus clausus qui est en cause que l’épuisement du vivier. Le problème est avant tout démographique.

Qui risquerait une décapitation pour 2000€ par mois ?

Un regard sur les modifications démographiques depuis la dernière guerre permet de saisir la situation — et les réalités antérieures. Les boomers ont fourni le gros des troupes, dans l’enseignement comme dans d’autres corps, à partir des années 1970, quand ils sont arrivés en âge de travailler. En ces années 2020, la plupart d’entre eux sont désormais à la retraite — même moi qui ai cotisé 49 ans, fait cours pendant 45 ans et suis parti, contraint et forcé, à 67 ans accomplis. Remplacer poste pour poste ces départs massifs est parfaitement impossible, et les revendications syndicales sur le dédoublement des classes sont sans objet : aux myriades d’enfants des années 1950-1960 ont succédé des classes creuses (1970-2000), qui arrivées à l’âge adulte ne fournissent pas assez de candidats pour se substituer à leurs aînés. Et ce, alors qu’un nouveau babyboom, autour des années 2000, a notoirement augmenté le nombre d’élèves.

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Ou si vous préférez, pour dix profs qui partent, cinq tout au plus se présentent. Et il ne saurait y en avoir davantage, sauf à inciter les quinquagénaires à entrer sur le tard dans une profession peu lucrative (et à l’âge mûr on n’a pas la même perception du lucratif qu’à 20 ans, où 2000€ sont encore une somme), mal considérée, et démesurément pénible, voire dangereuse. Qui risquerait une décapitation pour 2000 € par mois ? Ou même une agression d’un parent courroucé parce qu’on ne reconnaît pas le génie intrinsèque de Monchéri-Moncœur — ou simplement qu’on lui a confisqué son portable ?

Nous nous retrouvons donc aujourd’hui avec une masse d’élèves — ce qui génère de la part du ministère une offre assez copieuse de postes, d’autant qu’il faut mécaniquement remplacer les retraités — auquel le faible nombre d’adultes quasi trentenaires ne peut fournir d’enseignants, ni de docteurs : voir la grande misère de la médecine scolaire, sans parler des carences atroces de personnels spécialisés pour les élèves handicapés, balancés de ce fait parmi des camarades qui ne sont pas forcément sympas, face à des maîtres qui ne sont pas formés pour les suivre.

Le ministre de l’Education nationale Pap Ndiaye quittant l’Elysée après le Conseil des ministres © Jacques Witt/SIPA

Profs recrutés à la va-vite mis face à des jeunes crétins

Auditionné le jeudi 26 janvier par la délégation à la prospective du Sénat, Jacques Attali, auteur en 2022 des Histoires et avenirs de l’éducation, est revenu sur deux tendances négatives pour l’éducation : une « dictature de l’ignorance », liée à une démographie croissante — trop de jeunes à la cervelle vide et aux certitudes létales ; et une « barbarie technologique », liée au temps passé sur les jeux vidéo (de moins en moins) et les réseaux sociaux (de plus en plus).

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La confrontation d’enseignants mal formés, recrutés à la va-vite (le ministère est en train d’explorer la piste de la titularisation de personnels sans concours) et de jeunes crétins qui croient tout ce qu’ils trouvent sur TikTok et sont persuadés qu’« influenceur » est une situation d’avenir n’a aucune chance de bien se terminer.

C’est l’éternelle histoire du quantitatif et du qualitatif. Autrefois, la qualité du maître contrebalançait sans peine l’ignorance des masses qu’on lui confiait. Aujourd’hui, le rapport s’est tellement détérioré que les foules adolescentes ignares l’emportent aisément sur des maîtres trop peu nombreux et très mal formés. Ajoutez à cela que la loi Jospin (1989) a donné aux jeunes hilotes le pouvoir de s’exprimer à leur gré, et que certains inspecteurs s’inquiètent lorsque la salle de classe n’est pas animée d’un brouhaha permanent, signe, paraît-il, d’une effervescence intellectuelle…

Et ceux qui croient qu’en embauchant plus d’adultes permettra de réduire les tensions sont victimes d’une très dangereuse illusion. La seule chose qui peut contrarier les certitudes glauques des petits barbares, c’est la qualité des maîtres. Bien plus que leur nombre.

Les consignes pédagogiques prodiguées par les IUFM / ESPE / INESPE (seule l’étiquette change, le contenu est toujours imbuvable), additionnées aux manques flagrants de maîtrise académique des néoprofs, plus le manque chronique de maîtres, incitent l’administration à recruter plus bas, toujours plus bas, ne permettant guère de se montrer optimiste.

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Et pour reprendre le diagnostic de Jacques Attali, ce déséquilibre entre la masse des jeunes et le déficit des adultes entraîne une montée de la barbarie intellectuelle. Sans encadrement sérieux, les jeunes penchent fatalement vers le côté obscur de l’ignorance, là où les certitudes les plus glauques, les fanatismes les plus dangereux s’expriment à l’air libre, puisqu’aucun savoir réel ne vient les contrebalancer.

Des solutions existent pourtant

—Il faut régionaliser l’Education Nationale, afin que les décideurs soient au plus près des besoins. Cessons de penser en uniformisation jacobine. Réorientons les moyens localement en fonction des besoins. Si une classe, un collège ont besoin de six heures de Français au lieu de quatre, il faut pouvoir sortir du carcan du « collège unique » et donner plus à ceux qui savent moins. Quitte à sacrifier momentanément telle ou telle discipline secondaire. Enseigner l’anglais en Primaire à des enfants qui ne maîtrisent pas le Français est absurde. Organiser des « sorties scolaires » pour herboriser aux îles du Frioul alors que les bases des maths ne sont pas maîtrisées est criminel.

—Les augmentations de salaire doivent être plus conséquentes. Lorsque le nombre de candidats est plus restreint, il faut attirer de nouvelles vocations. Et on ne les attirera pas avec du vinaigre. Par ailleurs, il faut trouver un mode de rémunération annexe en fonction du mérite — non pas le mérite d’inventer des pédagogies actives et autres merveilles pédagogiques, mais d’amener chaque élève au plus haut de ses capacités.

—Il faut supprimer tout ce qui est aujourd’hui dissuasif. En régionalisant le recrutement ­— ce qui est déjà le cas pour les professeurs des écoles —, on promettrait une première nomination dans un rayon raisonnable. Pas à Pétaouchnok, localité bien connue de Seine-Saint-Denis. Ni à Trifouillis-les-Oies, village attenant aux Quartiers Nord de Marseille et de Villeurbanne à la fois.

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—Il faut reprendre en main la formation, en recréant les anciennes Ecoles Normales d’un côté — où l’on enseignait les disciplines, et non je ne sais quelle didactique de la sodomisation des coléoptères. On ne fait pas cours avec de la bienveillance et de l’écoute (en tout cas, pas seulement), mais avec des savoirs dispensés par des maîtres qui les maîtrisent à des élèves qui les ignorent.

—Et pour le second degré, en dehors de l’agrégation, qui vu sa difficulté confère à ceux qui la passent un saut qualitatif et doit être conservée telle quelle (en nommant enfin prioritairement les agrégés en lycées, et non plus dans des collèges « Prévention Violence ou Ambition Réussite, deux appellations contrôlées visant à tromper les parents sur les contenus déplorables de l’enseignement que l’on y dispense), il faut ressusciter cette bourse autrefois appelée IPES, obtenue sur concours à Bac + 1, et octroyée en échange d’un contrat décennal.

—Enfin, il faut d’urgence remettre à niveau les enseignants sortis des concours depuis dix ans. Lesdits concours ont tellement abandonné les savoirs au profit de compétences pédagogiques farfelues qu’ils n’ont plus, la routine aidant, que des bribes des savoirs effectivement requis. L’introduction d’une question de grammaire au Bac de Français fin Première a permis de mesurer l’ampleur des gouffres conceptuels de certains. Là encore, seuls les agrégés de Lettres sont encore formés à manipuler des concepts grammaticaux solides.

J’ajoute qu’il me semblerait normal que l’on interdise à des élèves (par exemple aux ex-élèves de classes préparatoires, ceux qui sont les plus coûteux dans le système français — entre le double et le triple de ce que coûte un étudiant d’université) formés en France d’aller exercer leurs talents, dans les dix ans qui suivent leur sortie du système qui les a biberonnés, dans un autre pays que le nôtre.

Je soumets ces divers projets à l’appréciation du lecteur. Peut-être me jugera-t-il trop coercitif. Mais on n’a pas le beurre et l’argent du beurre sans pressurer un peu la crémière.

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Proust et le poisson

L’excellent poisson d’avril de Nicolas Ragonneau.


Sur le site proustonomics.com, l’écrivain et éditeur Nicolas Ragonneau est heureux de nous annoncer la parution au Québec de la « première version dégenrée de la Recherche » aux éditions Intersexions. À cette occasion, il dit s’être entretenu avec Claude Tremblay, la créatrice de cette « maison d’édition non binaire », qui ambitionne de devenir un « laboratoire de publications gender fluid ». Il précise qu’à la demande de cette dernière, il utilise « le pronom iel pour la.e désigner, car iel se définit comme personne non binaire ». Tremblay aurait expliqué à Ragonneau : « On a travaillé sur l’épicène, sur les potentialités bi des personnages. Tous les personnages bisexuels du livre reçoivent le pronom iel.[…] On résout cette question de la sexualité des personnages, où l’hétérosexualité normée du tournant du siècle les oblige à vivre dans la clandestinité. […] Marcel devient Marcel·le et le narrateur se fait narrateur.rice ». Tremblay dit également vouloir démontrer que « les pulsions du Narrateur dans l’œuvre originelle relèvent assurément de la culture du viol » et que, « en crachant sur le portrait de Vinteuil, Mlle Vinteuil et son amie préfigurent les luttes anti-patriarcales du xxie siècle ». La couverture sera « forcément arc-en-ciel » et les multiples typographies utilisées forcément « dégenrées » afin d’obtenir une « version pour les queer-trans-pédés-bi-gouines ». Enfin, Tremblay envisagerait d’ores et déjà de s’attaquer à d’autres classiques de la littérature mondiale en s’aidant, pour aller plus vite, de nouveaux générateurs de texte par intelligence artificielle : « Avec plusieurs ami.es, nous travaillons à une version dégenrée de Chat GPT, les Chattes GPT ». Là, ça fait beaucoup. Un doute surgit. Vite, un coup d’œil sur la date de parution de cet article : 1er avril 2023 ! Soulagé, le lecteur réalise qu’il vient de lire un magistral pastiche de délire woke, un brillant « poisson d’avril » qui aurait pu tout aussi bien, par les temps qui courent, ne pas en être un. Ne reste plus qu’à espérer que cela ne donne pas des idées à certain.e.s.

Patrick Buisson aux sources du déclin démographique (et moral) français

L’éminence grise de la droite dure, Patrick Buisson, publie Décadanse chez Albin Michel.


Avec son dernier livre, Décadanse (Albin Michel), Patrick Buisson a commis un pavé suffisamment dense (528 pages) pour avoir une chance de ne pas être lu trop sérieusement. Une stratégie comme une autre pour remettre en cause en toute tranquillité un gros demi-siècle d’évolution sociétale, avec la focale mise sur les années 60-70. En ligne de mire : le rock’n’roll, la pilule, l’avortement, la pornographie, le divorce et le mambo endiablé de Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme.

Les déroutes de l’ordre moral

Dans La crise de la conscience européenne, Paul Hazard avait montré comment les Français, qui pensaient comme Bossuet en 1680, se sont mis à penser comme Voltaire en l’espace de quelques décennies. Dans sa Décadanse, Patrick Buisson explique comment la France des années 50, pétrie de valeurs catholiques, épargnante et laborieuse, toute acquise à un élan nataliste apparu sous l’État français, s’est progressivement mué en société hédoniste, libertaire et avorteuse en l’espace de trente ans. En gros, comment la Française est passée de la mère Denis à Brigitte Bardot. Pour ce faire, il a fallu l’intervention de quelques personnages de l’ombre : Ménie Grégoire, animatrice sur RTL d’une émission qui visait à dérider et à débrider les femmes françaises ; Pierre Simon, juif et franc-maçon, dans tous les bons coups et tous les bons réseaux pour avancer ses pions dans son combat en faveur de la contraception et de l’avortement ; les milieux protestants, très impliqués dans l’apparition du Mouvement pour le planning familial[1]. Attention, les États confédérés de l’Anti-France sont presque au grand complet dans cette entreprise de détricotage de la France classique et de déniaisement des Françaises – d’un autre côté, Buisson reconnaît qu’avant Pétain, et ce depuis le milieu du XVIIIème siècle, la France a été à la pointe de la maîtrise des naissances et que les Français et les Françaises, bien avant tout le monde, avaient trouvé les bons tuyaux pour contourner la nature.

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Alliance de la faucille et du goupillon

Peu de faits divers de cette période échappent à la vigilance de l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy. Le texte est émaillé également de références à la chanson française, de Léo Ferré à Gainsbourg (à commencer par le titre du livre), signe que l’auteur ne néglige aucun des petits indices qui permettent de comprendre l’évolution de la société – façon aussi peut-être de nous faire entrer dans son jukebox mental. L’ouvrage a le mérite d’exprimer un point-de-vue à contre-courant conservateur qui n’a plus tellement voix au chapitre. Tous ceux qui ont essayé d’incarner le parti de l’ordre moral depuis les années 70, de Jean Royer, chahuté lors de la présidentielle 1974 pour sa croisade contre la pornographie, à Christine Boutin se sont mis immanquablement à dos les rieurs. En 1971, Charlie Hebdo s’était demandé qui avait bien pu engrosser les 343 salopes du Nouvel Obs ; un Michel Debré de cartoon, sur la défensive, répondait : « c’était pour la France ! ». Dans sa thèse, Buisson cite quelques auteurs réacs (René Guenon, Georges Bernanos ou François Mauriac) mais il se cherche aussi à gauche quelques alliés de revers, parmi lesquels le cinéaste communiste et homosexuel Pier Paolo Pasolini, l’inclassable Maurice Clavel, le pourfendeur du libéralisme libertaire Michel Clouscard et surtout le vieux Parti communiste à papa. Peu regardant sur les invasions des pays frères d’Europe centrale dans les années 50-60, celui-ci était, il est vrai, irréprochable sur la question de la natalité. En ce temps-là, Jeannette Vermeersch, épouse de Maurice Thorez, était bien décidée à ce que les femmes du prolétariat n’en viennent pas à se comporter comme des petites bourgeoises. Contrôler les naissances en milieu ouvrier, c’était faire un trop beau cadeau numérique à la classe dominante. Des années 40 jusqu’au milieu des années 60, se dessine un consensus nataliste et familialiste soutenu par l’Eglise et le PCF, dans une sorte d’alliance de la faucille et du goupillon.


Et puis, c’est le drame. Déjà, avec l’arrivée du rock’n’roll, les jeunes s’enferment dans leur chambre et écoutent sur leur transistor des tubes « yéyés ». De Gaulle, si prompt à voir des chevaux de Troie partout, n’avait pas vu les menaces intérieures et le péril que représentaient Claude Moine et Jean-Philippe Smet. C’est tout le paradoxe décrit par Buisson : c’est sous la droite au pouvoir que la « grande décomposition morale » se produit. Un peu par fainéantise, un peu par conformisme, un peu par infiltration des « forces occultes » citées plus haut. Loin d’être acquis au départ, de Gaulle se laisse par exemple convaincre par son épouse au sujet de la loi Neuwirth légalisant la pilule. Tante Yvonne s’imaginait alors que ladite loi serait un barrage efficace contre l’avortement, hantise des catholiques. Manque de chance, les partisans de la contraception, Pierre Simon en tête, avancent en coulisse et n’ont pas d’autre idée que de passer à l’étape suivante : l’IVG. Il fallait aussi compter sur l’habileté politique de Simone Veil, que Buisson ne voit non pas comme une dame bourgeoise qui s’est retrouvée un peu par hasard dans le combat pour l’avortement, mais comme une alliée objective et maligne, presque une infiltrée de l’extrême-gauche féministe, résolue à infliger une défaite aux « égreneurs de chapelet ». Là, l’auteur, pas au maximum de son fair-play, néglige peut-être le courage politique de la ministre et le tombereau d’injures, y compris antisémites, qu’elle a eu à endurer.

Une France plus froide que celle de jadis

C’est que Patrick Buisson n’a pas vraiment digéré le virage de la France moderne, plus individualiste et plus froide que celle de jadis. En quelques années, disparaissent des rituels religieux forts, comme les relevailles, quand tout le voisinage et le clergé avoisinant venaient accompagner pendant plusieurs jours la jeune mère qui venait d’accoucher, avec grand renfort de brioche et de prières. Faut-il en pour autant jeter le bébé de l’individualisme avec l’eau du bain libéral-libertaire ? Etait-il vraiment souhaitable de maintenir les femmes dans cette et immaîtrise biologique ? Buisson cite le courrier des lectrices d’un journal catholique, L’Echo des Françaises, qui en 1963, ont l’air de ne plus en pouvoir du carcan religieux et familial et qui souhaitent enfin pouvoir contrôler leur fécondité : « mère de famille nombreuse, je sens un immense dégoût de la vie (…) je trouve révoltant de mettre au monde une douzaine de martyrs alors qu’on peut décemment en élever deux ou trois ». Peut-on prendre seulement d’un haussement d’épaules ces témoignages ?

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C’est qu’il a existé, après la première Guerre du Golfe et jusqu’à la présidence Hollande (durant laquelle ont été sérieusement réduites les allocations familiales pour les ménages dits aisés, entraînant assez mécaniquement un déclin des naissances) un petit baby-boom, la France ayant réussi à stabiliser le nombre d’enfants par femme au chiffre de deux ou presque, pendant 20 ans, dans une société pas spécialement asphyxiée par les immixtions sociales de l’Eglise ou du PCF, déjà moribonds à cette époque. On pourrait qualifier cette période de phase adulte de la France moderne : celle-ci parvient à peu près à renouveler ses générations, sans revenir en arrière sur les acquis sociétaux des précédentes décennies. Avant de revenir aux années 50, songeons déjà à revenir aux années 90 !

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[1] On connait grâce aux Monty Python la différence de conception entre catholiques et protestants dans ce domaine.

Trump 2024: ce match retour qui pend au nez des Américains

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La prochaine élection présidentielle aux États-Unis aura lieu le 5 novembre 2024. Et pour l’instant, il semble probable que les deux candidats principaux soient les mêmes que la dernière fois, en 2020! Et ce, en dépit des différents inconvénients, désavantages et autres casseroles qui s’attachent à eux…


95% des Américains ne veulent pas d’un nouveau match entre Biden et Trump, et 38% d’entre eux ne veulent ni l’un ni l’autre comme candidat. Si jamais la partie se rejoue entre les deux hommes, le gagnant risque d’être, non celui qui a le plus de vertus aux yeux d’une majorité d’électeurs, mais celui qui a le moins de vices. Toute ressemblance avec la France…

Joe Biden et la course vers l’impopularité

On savait déjà que, même pour les électeurs démocrates, l’âge avancé du président actuel était considéré comme un obstacle majeur. Maintenant, un nouveau sondage réalisé pour le Washington Post et la chaîne ABC, publié le 7 mai, révèle que la côte de popularité du chef d’État a atteint un nouveau nadir : 36%. Pour les électeurs de moins de 30 ans, le chiffre tombe à 26%, tandis son taux de désapprobation auprès des citoyens en général est de 56%. 68% pensent que Joe Biden est trop âgé, sa santé physique et son acuité mentale trop fragiles, pour gouverner de nouveau. Seuls 44% disqualifient Trump pour la même raison, bien qu’il n’ait que quatre ans de moins que Biden. Trump bat Biden aussi en termes de gestion de l’économie : 54% sont de l’avis que Trump s’en est mieux sorti dans ce domaine, contre 36% pour Biden. Quand on a demandé aux personnes interrogées pour qui ils voteraient « certainement ou probablement », 44% ont cité Trump contre 38% pour Biden. Cet écart n’est pas déterminant, mais il montre que, quand Biden justifie sa candidature pour 2024 en affirmant qu’il est le seul démocrate capable de battre Trump, c’est loin d’être sûr.

Donald Trump lors de sa déposition dans l’affaire E. Jean Carroll, octobre 2022 D.R.

Donald Trump, collectionneur de procès

Déjà le 3 avril, l’ancien président a été inculpé par les autorités new-yorkaises sur 34 chefs d’accusation portant sur la fraude comptable et concernant ses relations avec l’ancienne actrice porno, Stormy Daniels. Maintenant, un tribunal fédéral à New York vient de le condamner pour agression sexuelle et diffamation contre la journaliste et auteur, E. Jean Carroll. Elle prétend qu’il l’aurait violée dans une cabine d’essayage d’une des boutiques du grand magasin Bergdorf Goodman à New York en 1995 ou 1996. Le jury a condamné Trump à verser cinq millions de dollars (4,5 millions d’euros) à la plaignante en dommages et intérêts : deux millions pour l’avoir molestée et trois pour l’avoir dénigrée en niant les accusations qu’elle a portées contre lui dans un bestseller de 2019, What Do We Need Men For ? Trump, qui a toujours maintenu qu’elle avait inventé l’incident afin de vendre son livre, a immédiatement fait appel.

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Trump semble ainsi être puni plus pour ce qu’il a dit de Carroll que pour ce qu’il lui aurait fait. Il s’agit d’ailleurs d’un procès civil où le niveau de preuve n’est pas aussi exigeant que dans un procès criminel. Le jury a en outre rejeté l’accusation de viol. Au tribunal, la victime a reconnu qu’elle ne se souvenait pas si l’agression avait eu lieu en 1995 ou 1996 et que son récit ressemblait étrangement à l’intrigue d’un épisode de la série télévisée, New York, unité spéciale, datant de 2012.

Guerre culturelle et guerre sexuelle

Il y a un donc un grain de crédibilité derrière la réaction scandalisée et typiquement hyperbolique, toute en majuscules, de Donald Trump sur sa plateforme, Truth Social : « JE NE CONNAIS ABSOLUMENT PAS CETTE FEMME ET NE SAIS PAS QUI C’EST. CE VERDICT EST HONTEUX – UN NOUVEL ÉPISODE DE LA PLUS GRANDE CHASSE AUX SORCIERS DE TOUS LES TEMPS ». La conviction de sa base électorale que Trump est la victime d’un complot ourdi par les élites mondialistes ne sera que renforcée. Pourtant, pour gagner une élection, Trump a besoin de convaincre un large public au-delà de sa seule base, et l’accumulation de procès pourrait bien l’en empêcher. Il a certes des atouts : l’impopularité de Biden et la façon dont ce dernier semble approuver les pires doctrines wokistes qui envahissent les domaines de l’éducation, de la médecine et de la vie en entreprise outre-Atlantique. Mais Biden n’est pas complètement désarmé non plus face à son adversaire.

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Peut-être que l’atout majeur que Biden possède encore, c’est la question de l’avortement. La décision de la Cour suprême, en juin de l’année dernière, qui a renversé le célèbre arrêt Roe v. Wade, a permis aux différents Etats de rendre l’accès à l’avortement plus difficile. 22 états ont profité du jugement pour imposer des restrictions dans ce domaine. Or, deux tiers des Américains restent favorables au principe d’un accès facile à l’avortement pour toutes les femmes. Donald Trump, qui a nommé les juges qui ont rendu possible le verdict de la Cour suprême, et le Parti républicain, dont certains membres ont longtemps mené campagne contre l’avortement, sont associés dans l’esprit des électeurs à cette mesure. Dans cet éternel retour des mêmes, il ne s’agit pas de savoir qui, de Biden ou Trump, suscitera le plus d’enthousiasme, mais qui suscitera le plus d’antagonisme.

Le prochain test important aura lieu ce jeudi 11 mai, quand Trump participera à un « town hall meeting » dans l’Etat du New Hampshire, une de ces réunions où les candidats à la candidature répondent aux questions du public.

De la lèpre fasciste et de ses cas contacts

Dans un « livre-enquête », le journaliste François Krug essaie de diaboliser Michel Houellebecq, Sylvain Tesson et Yann Moix en les accusant d’avoir vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu Charles Maurras…


Quand elles sont bien faites, les fiches de basse police peuvent procurer un vrai plaisir de lecture. Maître du genre, Emmanuel Ratier (1957-2015) n’avait pas son pareil pour révéler, dans sa lettre conspirationniste, antisémite et antimaçonnique Faits et Documents, la présence de tel ministre en vue ou de tel intellectuel médiatique à une conférence organisée par le Grand Orient de France ou dans les colonnes d’un journal juif confidentiel. Croyant salir ses cibles, il montrait en fait la complexité des hommes, leur éclectisme parfois inattendu, les rendant souvent plus sympathiques qu’on imaginait.


Dans son nouveau livre, François Krug est armé des mêmes intentions et méthodes, mais au service du camp d’en face, celui de la gauche sectaire. En 220 pages, il tente d’établir que trois des écrivains français contemporains les plus célèbres, Michel Houellebecq, Sylvain Tesson et Yann Moix, seraient d’abominables « compagnons de route cachés de l’extrême droite », non pas pour leurs écrits ni leurs prises de position, mais à cause de quelques-unes de leurs rencontres et fréquentations. Évitons les habituelles récriminations contre cette dangereuse manière de cataloguer les gens. À force de parler de chasse aux sorcières, de procès de Moscou ou de maccarthysme, on devient lassant.

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Remarquons plutôt que n’est pas Ratier qui veut. Le livre de Krug ne contient aucune révélation. Il ne fait que redire ce que Philippe Muray, Marc-Édouard Nabe, Jérôme Dupuis (dans L’Express) et Saïd Mahrane (dans Le Point) ont déjà raconté avec davantage de talent et de culture littéraire. Ah non ! pardon, on y apprend quand même que Moix a pris une fois un verre avec Dieudonné (en 2010), que Tesson a confié par écrit à Jean Raspail qu’il se sentait « membre de la société secrète » de ses admirateurs (en 2019), et que contrairement à ce qu’on avait cru comprendre dans le Cahier de l’Herne qui lui est consacré, le premier article de Michel Houellebecq pour L’Idiot interna-
tional
(en 1991) ne parlait pas de Pif Gadget, mais de prothèses mammaires. Tremble, bête immonde !

Krug nous réserve aussi un formidable fou rire quand il croit démontrer la monstruosité de Tesson en remarquant que celui-ci partageait avec l’ultra-nationaliste Dominique Venner (1935-2013) un goût commun pour Homère et l’Islande ! Ne lui dites surtout pas que Mélenchon et Zemmour apprécient tous les deux Jean d’Ormesson, il pourrait penser que la collusion réac au sommet du pouvoir est encore plus vaste qu’il le redoute.

Mais ce livre restera sûrement dans les annales grâce à un procédé innovant. Pour les besoins de ses recherches, Krug s’est en effet penché sur une anodine photographie, parue dans Paris Match, de Sylvain Tesson dans son salon. Si l’on zoome dans l’image, s’excite-t-il, on découvre sur une étagère plusieurs ouvrages d’auteurs sulfureux (Martin Peltier, Alain Sanders et Jean-Pierre Hebert), dont la simple possession suffit bien sûr à prouver l’adhésion aux pires idées… Après le journalisme de caniveau, voilà donc inventé le complotisme de rayonnage.

Réactions françaises: Enquête sur lextrême droite littéraire

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Saisies de casseroles: il est vertigineux de voir où nous en sommes rendus!

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique. Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise.


L’arrêté de la préfecture de l’Hérault en avait pourtant informé la population : dans un périmètre autour du collège Louise-Michel de Ganges, tout « dispositif sonore portatif » était rigoureusement interdit lors de la visite du président de la République, le 20 avril. Des casseroles ont été saisies. Il est vertigineux de voir là où nous en sommes : des casseroles saisies ! Absurdistan. Ceux qui contestent aujourd’hui la réalité d’une « crise démocratique » sont ainsi exposés à la menace d’un concert polyphonique. Malgré le rouleau compresseur des dernières années, du référendum de 2005 au 49.3 de 2023, le peuple fait montre d’une inventivité citoyenne toujours renouvelée.
Il y a un an, le 30 avril 2022, lors de la cérémonie de remise des diplômes d’AgroParisTech, huit étudiants avaient publiquement appelé à « déserter » des emplois « destructeurs ». Que nous disaient-ils ? « Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fiers et méritants d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours. […] Quelle vie voulons-nous ? Un patron cynique, un salaire pour prendre l’avion, même pas cinq semaines par an pour souffler et puis un burnout à 40 ans ? »

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Ils ne sont pas des cas isolés. Dans de très nombreuses grandes écoles et universités, la question de l’avenir est posée et âprement discutée. Elle invite à des prises de conscience, des bifurcations et des ruptures. Ces jeunes ingénieurs refusent d’être les exécutants dociles de décisions prises par les marchés financiers et présentées comme « incontournables et urgentes » par leurs serviteurs politiques.
Ils ne veulent pas participer à la folle course à la productivité, à la compétitivité et à la rentabilité. Ils lui opposent d’autres objectifs : le développement humain et écologique durable, une réelle autonomie. Une vie à la retraite et en bonne santé. Selon des travaux
récents, environ 30 % des étudiants de grande école sont en « rupture » et se questionnent sur les métiers auxquels ils sont formés. Ils veulent en connaître l’impact social, écologique ou économique, quelles que soient les conséquences sur leur statut social ou leur situation financière.

Au cours des derniers mois, plus nous avons parlé des retraites et plus il a été question du travail, de son sens, de sa réalité, des transformations à opérer, et de l’ampleur de la crise du travail qui exige de « donner la parole et une partie du pouvoir à celles et ceux qui font le travail », comme le propose Dominique Méda (Le Monde, 15 avril 2023). Et si nous devenions les ingénieurs de nos vies ! Que voulez-vous, on ne me changera pas. Je suis né dans une casserole où étaient mélangés idéaux de justice, d’émancipation, d’utopies concrètes et d’actions immédiates pour de vraies solutions. Pour les héritiers de Denis Kessler, économiste passé du communisme au libéralisme pur et dur, l’objectif reste de « défaire méthodiquement le programme du CNR » (Challenges, 4 octobre 2007). Ma recette est à leurs yeux un brouet indigeste. Et s’il était notre futur festin ?

Agnès Buzyn sera-t-elle conduite de force devant les juges de la CJR?

Nous assistons actuellement à un bras de fer burlesque entre Agnès Buzyn et les juges. L’ancienne ministre de la Santé refuse de se rendre aux convocations. L’analyse de Philippe Bilger.


À l’interrogation formulée par mon titre, je répondrai qu’elle devrait l’être. Je l’aurais d’ailleurs déjà fait. Il y a une multitude de rendez-vous où, selon le parti qu’elle choisira, la Justice continuera à aller soit vers la dépendance et l’inégalité, soit du côté de la rectitude et de l’équité. Le choix à effectuer est capital. Il concerne les juges de la Cour de Justice de la République (CJR) mais il pourrait tout aussi bien s’appliquer aux juridictions ordinaires. Cet arbitrage à opérer est d’autant plus fondamental que nous savons que le garde des Sceaux, il y a plusieurs mois, n’a pas fourni le meilleur exemple de sa soumission à l’État de droit, à cause de l’attitude qu’il a adoptée face à la commission d’instruction de cette même CJR. Il ne s’agit pas de faire « payer » à Agnès Buzyn cet épisode antérieur si calamiteux mais de restaurer un crédit à mon sens déjà fortement entamé. Les juges ne sont pas à la disposition des témoins assistés ; la règle est l’inverse. Le 10 septembre 2021, Agnès Buzyn avait été mise en examen pour mise en danger de la vie d’autrui. Ulcérée par cette qualification, elle avait engagé un recours et la Cour de cassation, le 20 janvier, avait annulé cette mise en examen.

L’État de droit, à la carte?

Le 28 février, elle défiait ses juges, « leur indiquant qu’elle mettait fin d’elle-même à l’interrogatoire et qu’elle ne répondrait plus à leurs questions ». Le 20 comme le 27 mars, convoquée, elle n’a pas daigné comparaître, après qu’un courrier de ses deux avocats, dont M. Eric Dezeuze, a cherché à expliquer, le 28 février, l’attitude de leur cliente. Ce même 28 février, ils recevaient une réponse très argumentée des trois juges mais rien n’y faisait : Agnès Buzyn ne déférait pas en mars à deux reprises. J’avoue plusieurs étonnements et c’est un euphémisme.

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Ainsi, c’est Agnès Buzyn qui décide du respect ou non de l’État de droit. Elle veut bien de celui-ci quand, ayant le droit d’en user, il lui donne raison par l’entremise de la Cour de cassation le 20 janvier. Mais elle fait défaut en ne le respectant plus, prenant l’initiative d’une double absence en mars. Quel étrange processus que cette démarche alternée et choquante, surtout de la part d’une ancienne ministre, dans une affaire à la fois judiciaire et politique, à la tonalité intensément tragique. Je suis surtout surpris qu’un avocat à la parfaite déontologie et à la compétence reconnue par tous, M. Eric Dezeuze – je ne connais pas l’autre, M. Arnaud Mailhos – ait pu conseiller à sa cliente une telle pratique de rupture dont je pense qu’elle ne va pas améliorer son image, bien au contraire. Je considère que la lettre des juges n’était pas nécessaire parce que son existence semble donner un semblant de légitimité à l’obstruction d’Agnès Buzyn, confortée par ses avocats: ils se justifient comme s’ils étaient coupables ! Avec le risque qu’une mesure coercitive soit d’autant plus mal perçue ensuite…

Pas une affaire dérisoire

J’admets bien volontiers qu’une forme de lassitude ait pu naître après plus de 20 interrogatoires – hallucinant de lenteur ou de faiblesse dans la synthèse ! – mais cette fatigue ne saurait valider l’arrêt impérieux dû à la seule Agnès Buzyn. Ce n’est pas une affaire dérisoire. D’un côté, des politiques semblent de plus en plus traiter avec désinvolture ce que la Justice a le devoir de leur imposer pour enquêter et instruire valablement. De l’autre, heureusement, il en est d’autres qui donnent des exemples d’exemplarité dans leurs rapports avec les magistrats: je songe à Nicolas Sarkozy qui a toujours comparu, quels que soient ses sentiments négatifs à l’encontre de ses juges, et à Edouard Philippe, impeccable dans son adhésion républicaine à l’État de droit, quoiqu’il lui en ait coûté.

Les trois juges ont la possibilité de délivrer un mandat de comparution ou d’amener ou d’arrêt à l’encontre d’Agnès Buzyn. Qu’attendent-ils ? Ont-ils peur ? Pourtant ce ne serait pas un coup d’éclat ou de la provocation, mais de la Justice.

Le panache français et ses avatars

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D.R.

Le panache français n’a jamais brillé avec autant d’éclat qu’aujourd’hui. La courtoisie, le tact. L’élégance. Le culte du beau langage. Un paroxysme!


Il a, certes, connu des précédents glorieux: le bras d’honneur du Garde des Sceaux, ce parangon de distinction. Les vociférations des Insoumis à l’Assemblée. Sans compter, à l’époque de la pandémie covidienne, les malédictions gluantes proférées par le chef de l’Etat à l’encontre des réfractaires à la vaccination. Les sommets viennent toutefois d’être atteints. D’abord, par le ministre de l’Intérieur et son jeu de billard à trois bandes : traiter d’ « incapable » le chef du gouvernement italien, au risque de déclencher un incident diplomatique, dans le seul but de salir une adversaire politique, voilà qui relève de la goujaterie pure et simple. La palme de l’impudeur revient toutefois à l’ineffable Roselyne Bachelot. Invitée au couronnement de Charles III, elle a cru bon de se gausser, à la télévision, du monarque et de son épouse. De caricaturer leur allure et leur accoutrement. De railler une cérémonie où nul ne l’avait contrainte à assister. Celle qui fut un temps ministre de la Culture a ainsi dévoilé sa vraie nature et son souci forcené de se singulariser. Jamais l’hôpital ne s’était moqué de l’infirmerie avec une telle inconscience. Tel est l’état de notre société. De quoi entretenir la nostalgie d’un passé plus glorieux.


Aux victoires du rap français, les têtes des trois « nominés » pour la révélation masculine vont vous étonner

Enfin, Cérésa vint…

Dans son dernier ouvrage en date, Dictionnaire égoïste du panache français, François Cérésa évoque la question à sa manière. Il donne du panache français une définition qui mêle « le courage et l’élégance à la mélancolique flamboyance des causes perdues ». Pour illustrer ses dires, 52 portraits de personnages issus d’époques et de milieux divers. Un ensemble à tout le moins hétéroclite. Séduisant et surprenant à la fois. De Jacques Anquetil à Louise de Vilmorin, un défilé qui respecte, grosso modo, la parité entre les sexes. Pour s’en tenir à quelques exemples, s’y côtoient Georges Clémenceau et Georges Feydeau, François Rabelais et Charles De Gaulle, Jean-Paul Belmondo et Jean-Pierre Chevènement. Jeanne d’Arc y voisine avec Coco Chanel et Brigitte Bardot avec Olympe de Gouges. Vercingétorix y côtoie Gérard Depardieu. Choix en apparence surprenant, voire saugrenu. La clé en réside dans le seul adjectif égoïste choisi pour qualifier ce dictionnaire.

francois ceresa philippe lacoche

Un portrait en creux

Autrement dit, au fur et à mesure de la lecture, on prend conscience que, quels que soient l’époque et le domaine où  se sont illustrés les protagonistes, beaucoup d’entre eux ont été  choisis par l’auteur en raison de liens particuliers que celui-ci a su nouer avec eux. En d’autres termes, le trait d’union est constitué par l’auteur lui-même. On en peut déduire les centres d’intérêt et la curiosité d’esprit de celui-ci. Nombre de portraits sont ainsi enrichis d’anecdotes personnelles. De souvenirs vécus. C’est un des intérêts du livre : outre la découverte de héros peu ou mal connus, il permet de pénétrer dans l’univers intime de l’auteur. De mieux le comprendre. Le portrait qui se dessine en creux, c’est le sien propre. Il ne surprendra pas les familiers de cet écrivain prolixe. Inclassable. Il a touché à tout, du roman historique à la confidence autobiographique, en passant par d’autres genres et d’autres tonalités. Du style classique au vérisme le plus cru de la période actuelle, sans oublier l’argot dont la maîtrise pourrait le placer dans la lignée de Céline. Ou encore d’Albert Simonin. Voire de Jehan Rictus. Ce Dictionnaire vient ajouter une pièce à ce puzzle et apporter une nouvelle pierre à un édifice déjà imposant.

François Cérésa, Dictionnaire égoïste du panache français, 400 p.

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«Cinéma» anglais ou «opéra-bouffe» de l’extrême gauche sud-américaine

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Nicolas Maduro, lors d'une grande parade militaire marquant la première année du décès d'Hugo Chavez, Caracas, 2014 © MIGUEL GUTIERREZ/EFE/SIPA

Le couronnement de Charles III a dégoûté le leader de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon. Mais si la couronne avait été pour lui, il n’aurait peut-être pas été aussi mécontent!


Nombreux sont ceux qui, politiques et intellectuels, prédisent un destin psychiatrique à Monsieur Jean-Luc Mélenchon. Langage outrancier, propos inexacts mâtinés de liaisons grammaticales exactes, saupoudrage de culture historique, répertoire simultané de la connivence et de l’agressivité, de la flatterie et de la lapidation : ses échecs aux deux dernières élections présidentielles auraient dû raisonnablement mettre fin à l’extrême agitation du patriarche de l’extrême gauche française, dont l’idéal sans-culottiste aurait pu trouver dans cette double déculottée l’esquisse d’un principe de réalité. Les derniers mots de son discours du 10 avril 2022, lancés comme une bouteille à la mer, avaient fait naître l’espoir d’une retraite bien méritée après tant d’énergie renouvelable investie dans le déni du réel: « Faites mieux. Merci. » Il est probable que Monsieur Mélenchon ait estimé depuis qu’aucun de ses lieutenants de La France Insoumise n’était capable de mieux faire. Et il est également probable que la petite troupe de députés LFI n’ait pas vraiment retenu les leçons de leur maître en confondant langage outrancier et langage ordurier, invectives et insultes, tous globalement oublieux de la grammaire, et adaptes du saupoudrage culturel et des changements de ton requis par la geste populiste. Vent debout contre le départ à la retraite à 64 ans, Monsieur Mélenchon, 71 ans, s’est donc résigné à travailler encore un peu à son remake de 1789, cette mauvaise mini-série qui cumule les tares habituelles des reconstitutions historiques bénéficiant de gros budgets idéologiques: scénario truffé d’anachronismes, mauvais acteurs, dialogues indigents, création fort coûteuse en décor urbain.

Shocking !

La réaction du patron des Insoumis au couronnement du Roi Charles III d’Angleterre était un épisode attendu du feuilleton révolutionnaire. On se doutait que le protocole anglais, ourlé de ses traditions monarchistes séculaires, rencontrerait sa réprobation et que les effluves de l’Ancien Régime émoustilleraient sa créativité sémantique. Le vocabulaire employé par Monsieur Mélenchon interroge toutefois et on se demande s’il ne s’est pas trompé de fiche, intervertissant ce qu’il devait dire sur Charles III et ce que l’extrême gauche, y compris celle d’un continent qu’il porte dans son cœur, l’Amérique latine, serait bien inspirée de penser d’elle-même. « Cinéma », « homme couvert de déguisements, de bijoux et de pierres précieuses », « sirops dégoulinants de la monarchie »: on ne pouvait mieux confondre critique et autocritique.

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Car en termes de « cinéma », les trois heures du couronnement anglais ne sont rien en regard de la mise en scène de soi de dignitaires politiques type Hugo Chávez, ex-président du Venezuela et grande référence tropicale de LFI, bolivariste cathodique, célèbre pour s’être mis en scène dans d’interminables émissions dominicales télévisées, sortes de monologues fleuves de quatre, six voire huit heures, temps nécessaire au pédagogisme révolutionnaire, à l’éviction en direct de collaborateurs gênants et à la planification de quelques projets urgents comme la construction d’une école ou d’une maternité dont les premières pierres attendent encore d’être posées. « Cinéma » poursuivi par Nicolás Maduro, l’auto-proclamé héritier au trône chaviste depuis 2013 et qui, devant toujours entendre son maître (réincarné selon lui en petit oiseau) lui siffler à l’oreille de doux gazouillis bolivariens, a annoncé se représenter aux élections de 2024 contre l’anti-chaviste Juan Guaidó affublé par ses soins des doux noms de « clown », « traître » et « imbécile ». On dirait du LFI dans le texte. « Cinéma » de bien d’autres encore, du Nicaraguayen Daniel Ortega au Mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO), dont les discours interminables, entrecoupés de silences infinis, sont des épreuves de niveau olympique même pour les meilleurs lecteurs de Plutarque et de son célèbre Comment écouter.

Sirops

Le nouveau roi d’Angleterre incommode-t-il Monsieur Mélenchon ? Quand on se compare humblement à Louis XI, « sommet de l’habileté et de l’intelligence politique » (sic) on doit être bon prince et supporter la monarchie des autres.  Charles III était-il « déguisé » le 6 mai dernier ? Pas plus sans doute qu’un Evo Morales président de la Bolivie de 2006 à 2019 et qui aimait se parer du costume traditionnel ou de la célèbre Chompa bolivienne lors de ses déplacements, y compris à l’étranger. Était-il éhontément « couvert de bijoux et de pierres précieuses » ? Sans doute moins qu’Eva Perón en son temps, la célèbre madone argentine des pauvres « sans-chemises » (en espagnol, « descamisados ») ayant déclaré, au milieu de ses tailleurs Prince de Galles, ses quelque 120 montres, ses colliers de pierres précieuses et son émeraude de 48 carats : « les pauvres aiment me voir jolie, ils ne veulent pas que celle qui les protège soit une vieille femme mal fagotée. » Les « sirops dégoulinants » de la monarchie britannique ne sont rien par rapport à la mélasse tropicalo-andine de l’extrême gauche latino-américaine, source d’inspiration inépuisable pour LFI qui se réjouit d’ailleurs des récentes « casserolades » françaises, produits contestataires d’importation latino (cacerolazos) susceptibles de faire se trémousser le sans-culottisme au rythme de la salsa et du merengue.

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L’autocritique de Monsieur Mélenchon a donc de quoi inquiéter, effectivement. Peut-être est-il mûr, à ce stade de clairvoyance, pour la lecture des ouvrages de l’historien mexicain Enrique Krauze (1947), récompensé en Espagne en 2021 du célèbre prix Historia Órdenes Españolas. Ses livres sur le populisme latino-américain expliquent avec précision les ressorts de cette dangereuse essentialisation du peuple conduite de façon quasi mystique par un leader politique convaincu de sa mission de rédemption par-delà les échecs de l’histoire. Ça, c’est la prochaine étape de l’autocritique pour celui qui hésite entre « la République c’est moi » et « notre boussole c’est le peuple. »

Pierre Legendre, les piliers de l’Occident

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Pierre Legendre en 2007. © Hannah Assouline

L’anthropologue et historien du droit Pierre Legendre nous a quittés le 2 mars. Il laisse autant de pistes de réflexions que d’arguments à opposer à notre civilisation à la dérive. Son œuvre imposante, à rebours de la doxa, nous met en garde contre la reféodalisation du monde.


« Il faut du théâtre, des rites, des cérémonies d’écriture pour faire exister un État, lui donner forme, en faire une fiction animée […]. On n’a jamais vu, on ne verra jamais, une société vivre et se gouverner sans scénario fondateur, sans narrations totémiques, sans musiques, sans chorégraphies… sans préceptes et sans interdits[1]. » Pierre Legendre a vu le jour en 1930, en Normandie, et s’est éteint le 2 mars dernier. Il nous lègue un trésor intellectuel insigne, inexploré, irrecevable pour les héritiers de la bourdieuserie et autres Trissotin wokistes bas de plafond.

Un penseur majeur à l’écart des chapelles et de la doxa

Côté jardin (secret), fils d’imprimeur, curieux de tous les savoirs du monde, agrégé, grand couturier du droit, il avait le Moyen Âge et les manuscrits dans la peau. Il voyait Ce que l’Occident ne voit pas de l’Occident[2] : la sagesse d’Hampâté Bâ, l’exégèse rabbinique, la ritualité japonaise. L’œuvre savante convie Rimbaud, Borges, Ovide, Origène, ceux qui sentent le soufre. Son style baroque fait de condensations et d’ellipses joue de répétitions, digressions, creuse un sillon, envoûte comme du Péguy. La syntaxe est libre, poétique, furieuse parfois, comme du Saint-Simon.

Côté cour, Pierre Legendre méprisait honneurs, rebelles d’État, vengeurs de race, transfuges sans classe assoiffés de reconnaissance. Il n’a jamais frayé avec les sociologues fonctionnalistes, les philodoxes naïfs (qui appréhendent le pouvoir comme une malédiction ou comme une gouvernance), les Jivaros réduisant le juridique à une fonction de pilotage technique, doublée aujourd’hui de la broderie ad infinitum d’une tapisserie de droits putatifs au bonheur, à l’enfant aux yeux bleus, à la paresse…

Son œuvre est colossale, capitale. Des centaines d’articles, quarante ouvrages de forte densité aux titres surprenants : Jouir du pouvoir[3]; Le Désir politique de Dieu[4] ; Les Hauteurs de l’Éden[5]L’un de ses derniers opus, L’Avant dernier des jours : fragments de quasi mémoires[6], éclaire magistralement, par un clair-obscur mélancolique digne d’un Caravage ou d’un La Tour, la pensée d’une vie.

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Lacanien, Pierre Legendre a mis sur la table des vérités qui dérangent : le sujet possédé par l’institution, L’Amour du censeur[7], De la société comme texte[8]. « Pour être deux, il faut être trois[9] ». La réforme grégorienne (xie siècle) constitue pour Legendre un moment fondateur, un pilier porteur de l’Occident. L’héritage du droit romain, capté par la papauté, a fonctionné comme mythe rationnel, l’Empire de la vérité[10]. Le Corpus juris civilis de Justinien a statut de totem. Sur le mode de l’emblème, c’est un principe de signification. La fonction heuristique du texte fondateur est de produire la raison.

Legendre laboure son champ épistémologique, l’anthropologie dogmatique, et scrute un amer incontournable, la question du Tiers. Pas de société, d’« enfantement du sujet humain » sans relation ternaire, grand Tiers inaugural, légalité rapportable à un texte idéal « qui nous parle » et « institue la vie » (vitam instituere). La trame sociale est écrite dogmatiquement comme procédure de collage, manigance d’écritures et de paroles. Nous devons aussi à Pierre Legendre trois films documentaires réalisés avec Gérald Caillat et Pierre-Olivier Bardet. Trois comme la Trinité ou un triptyque : La Fabrique de l’homme occidental (1996) et Dominium Mundi : l’empire du management (2007) se referment sur Miroir d’une nation : l’École nationale d’administration (1999) et les fantômes de l’État français. L’ENA est morte, vive l’Institut national du service public!

Actualité de Pierre Legendre

Les médias convulsionnaires de la bien-pensance multiplient les crises de nerfs, se gargarisent de mots-valises, slogans creux, sucrés et collants comme le papier tue-mouche (du coche) : pluriel, citoyen, diversité, lien social… Il ne faut pas désespérer Télérama. Billancourt a compris l’imposture depuis longtemps.

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La mise en réseau planétaire des individus, l’Homo festivus ont pulvérisé la galaxie Gutenberg et l’alètheia[11]. Le techno-management et l’idéal libéral-libertaire-victimaire triomphent. L’homme occidental, moderne Phaéthon, incapable de maîtriser la course de son quadrige, meurt foudroyé après avoir tout embras(s)é. Ses sœurs, les Héliades, pleurent des larmes d’ambre. Paysage avec la chute d’Icare, le chef-d’œuvre énigmatique de Bruegel, figure notre monde en perdition. Le soleil décline à l’horizon, les jambes d’Icare s’agitent désespérément dans l’écume et les plumes. On distingue dans le coin inférieur du tableau, son petit plouf. Le laboureur, un pêcheur, une perdrix, les marins sur le naos sont imperturbables… Combien de temps ?

Pierre Legendre nous met en garde contre la reféodalisation du monde, les refoulements meurtriers, les guerres des Textes, le « self-service normatif », les transgressions généalogiques, « conceptions bouchères de la filiation »« Il n’est au pouvoir d’aucune société de congédier le “pourquoi ?” d’abolir cette marque de l’humain[12]. »

Les éditions Ars Dogmatica préparent une réédition du Trésor historique de l’État en France : inventorier la cargaison du navire, un traité d’histoire du droit bienvenu en ces temps de sauve-qui-peut. Dans l’attente de cette publication, le site Ars Dogmatica (arsdogmatica.com) présente magistralement l’œuvre chorale et stimulante.

Janus associé aux portes, Hermès gardien des routes, speculator maximus, Pierre Legendre « redonne forme au monde entier » (reformatio totius orbis, formule pontificale). Et son œuvre nous aide à « cheminer dans les forêts obscures, au milieu du chemin de nos vies », comme disait Dante.


[1]. Le Visage de la main, Les Belles Lettres, 2019.

[2]. Mille et une nuits, 2004.

[3]. Minuit, 1976.

[4]. Fayard, 1988.

[5]. Ars Dogmatica Éditions, 2022.

[6]. Ars Dogmatica Éditions, 2021.

[7]. Le Seuil, 1974.

[8]. Fayard, 2001.

[9]. L’Inestimable objet de la transmission : étude sur le principe généalogique en Occident, Fayard, 1985.

[10]. Fayard, 1983.

[11]. Vérité supérieure.

[12]. La Fabrique de l’homme occidental, Mille et une nuit, 1996.

Le casse-tête du recrutement de nouveaux enseignants

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Salle de classe au Lycée Louis Le Grand à Paris, 2020 © Olivier Coret/SIPA

Nous manquons déjà d’enseignants, nous allons en manquer bien davantage: toujours optimiste, notre chroniqueur explique pourquoi ça ne s’arrangera pas de sitôt, à moins de renverser la table.


Malgré les mirifiques hausses de salaire promises, et la perspective d’exercer un métier de fainéant tout rempli de vacances, et en dépit de la grande mansuétude programmée des examinateurs, le ministère de l’Education peine encore cette année à trouver, dans maintes spécialités, plus de candidats que de postes à pourvoir. Quelle malédiction s’exerce ainsi sur le recrutement futur des maîtres ?

En fait, même si le ministère leur promettait la lune — un salaire de départ supérieur à 2000 € après six ans d’études, et une première nomination à côté de chez eux —, la situation n’aurait que peu de chances de s’améliorer. Il en est des enseignants comme des médecins (on sait que les déserts médicaux s’accroissent chaque année) : c’est moins un hypothétique numerus clausus qui est en cause que l’épuisement du vivier. Le problème est avant tout démographique.

Qui risquerait une décapitation pour 2000€ par mois ?

Un regard sur les modifications démographiques depuis la dernière guerre permet de saisir la situation — et les réalités antérieures. Les boomers ont fourni le gros des troupes, dans l’enseignement comme dans d’autres corps, à partir des années 1970, quand ils sont arrivés en âge de travailler. En ces années 2020, la plupart d’entre eux sont désormais à la retraite — même moi qui ai cotisé 49 ans, fait cours pendant 45 ans et suis parti, contraint et forcé, à 67 ans accomplis. Remplacer poste pour poste ces départs massifs est parfaitement impossible, et les revendications syndicales sur le dédoublement des classes sont sans objet : aux myriades d’enfants des années 1950-1960 ont succédé des classes creuses (1970-2000), qui arrivées à l’âge adulte ne fournissent pas assez de candidats pour se substituer à leurs aînés. Et ce, alors qu’un nouveau babyboom, autour des années 2000, a notoirement augmenté le nombre d’élèves.

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Ou si vous préférez, pour dix profs qui partent, cinq tout au plus se présentent. Et il ne saurait y en avoir davantage, sauf à inciter les quinquagénaires à entrer sur le tard dans une profession peu lucrative (et à l’âge mûr on n’a pas la même perception du lucratif qu’à 20 ans, où 2000€ sont encore une somme), mal considérée, et démesurément pénible, voire dangereuse. Qui risquerait une décapitation pour 2000 € par mois ? Ou même une agression d’un parent courroucé parce qu’on ne reconnaît pas le génie intrinsèque de Monchéri-Moncœur — ou simplement qu’on lui a confisqué son portable ?

Nous nous retrouvons donc aujourd’hui avec une masse d’élèves — ce qui génère de la part du ministère une offre assez copieuse de postes, d’autant qu’il faut mécaniquement remplacer les retraités — auquel le faible nombre d’adultes quasi trentenaires ne peut fournir d’enseignants, ni de docteurs : voir la grande misère de la médecine scolaire, sans parler des carences atroces de personnels spécialisés pour les élèves handicapés, balancés de ce fait parmi des camarades qui ne sont pas forcément sympas, face à des maîtres qui ne sont pas formés pour les suivre.

Le ministre de l’Education nationale Pap Ndiaye quittant l’Elysée après le Conseil des ministres © Jacques Witt/SIPA

Profs recrutés à la va-vite mis face à des jeunes crétins

Auditionné le jeudi 26 janvier par la délégation à la prospective du Sénat, Jacques Attali, auteur en 2022 des Histoires et avenirs de l’éducation, est revenu sur deux tendances négatives pour l’éducation : une « dictature de l’ignorance », liée à une démographie croissante — trop de jeunes à la cervelle vide et aux certitudes létales ; et une « barbarie technologique », liée au temps passé sur les jeux vidéo (de moins en moins) et les réseaux sociaux (de plus en plus).

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La confrontation d’enseignants mal formés, recrutés à la va-vite (le ministère est en train d’explorer la piste de la titularisation de personnels sans concours) et de jeunes crétins qui croient tout ce qu’ils trouvent sur TikTok et sont persuadés qu’« influenceur » est une situation d’avenir n’a aucune chance de bien se terminer.

C’est l’éternelle histoire du quantitatif et du qualitatif. Autrefois, la qualité du maître contrebalançait sans peine l’ignorance des masses qu’on lui confiait. Aujourd’hui, le rapport s’est tellement détérioré que les foules adolescentes ignares l’emportent aisément sur des maîtres trop peu nombreux et très mal formés. Ajoutez à cela que la loi Jospin (1989) a donné aux jeunes hilotes le pouvoir de s’exprimer à leur gré, et que certains inspecteurs s’inquiètent lorsque la salle de classe n’est pas animée d’un brouhaha permanent, signe, paraît-il, d’une effervescence intellectuelle…

Et ceux qui croient qu’en embauchant plus d’adultes permettra de réduire les tensions sont victimes d’une très dangereuse illusion. La seule chose qui peut contrarier les certitudes glauques des petits barbares, c’est la qualité des maîtres. Bien plus que leur nombre.

Les consignes pédagogiques prodiguées par les IUFM / ESPE / INESPE (seule l’étiquette change, le contenu est toujours imbuvable), additionnées aux manques flagrants de maîtrise académique des néoprofs, plus le manque chronique de maîtres, incitent l’administration à recruter plus bas, toujours plus bas, ne permettant guère de se montrer optimiste.

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Et pour reprendre le diagnostic de Jacques Attali, ce déséquilibre entre la masse des jeunes et le déficit des adultes entraîne une montée de la barbarie intellectuelle. Sans encadrement sérieux, les jeunes penchent fatalement vers le côté obscur de l’ignorance, là où les certitudes les plus glauques, les fanatismes les plus dangereux s’expriment à l’air libre, puisqu’aucun savoir réel ne vient les contrebalancer.

Des solutions existent pourtant

—Il faut régionaliser l’Education Nationale, afin que les décideurs soient au plus près des besoins. Cessons de penser en uniformisation jacobine. Réorientons les moyens localement en fonction des besoins. Si une classe, un collège ont besoin de six heures de Français au lieu de quatre, il faut pouvoir sortir du carcan du « collège unique » et donner plus à ceux qui savent moins. Quitte à sacrifier momentanément telle ou telle discipline secondaire. Enseigner l’anglais en Primaire à des enfants qui ne maîtrisent pas le Français est absurde. Organiser des « sorties scolaires » pour herboriser aux îles du Frioul alors que les bases des maths ne sont pas maîtrisées est criminel.

—Les augmentations de salaire doivent être plus conséquentes. Lorsque le nombre de candidats est plus restreint, il faut attirer de nouvelles vocations. Et on ne les attirera pas avec du vinaigre. Par ailleurs, il faut trouver un mode de rémunération annexe en fonction du mérite — non pas le mérite d’inventer des pédagogies actives et autres merveilles pédagogiques, mais d’amener chaque élève au plus haut de ses capacités.

—Il faut supprimer tout ce qui est aujourd’hui dissuasif. En régionalisant le recrutement ­— ce qui est déjà le cas pour les professeurs des écoles —, on promettrait une première nomination dans un rayon raisonnable. Pas à Pétaouchnok, localité bien connue de Seine-Saint-Denis. Ni à Trifouillis-les-Oies, village attenant aux Quartiers Nord de Marseille et de Villeurbanne à la fois.

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—Il faut reprendre en main la formation, en recréant les anciennes Ecoles Normales d’un côté — où l’on enseignait les disciplines, et non je ne sais quelle didactique de la sodomisation des coléoptères. On ne fait pas cours avec de la bienveillance et de l’écoute (en tout cas, pas seulement), mais avec des savoirs dispensés par des maîtres qui les maîtrisent à des élèves qui les ignorent.

—Et pour le second degré, en dehors de l’agrégation, qui vu sa difficulté confère à ceux qui la passent un saut qualitatif et doit être conservée telle quelle (en nommant enfin prioritairement les agrégés en lycées, et non plus dans des collèges « Prévention Violence ou Ambition Réussite, deux appellations contrôlées visant à tromper les parents sur les contenus déplorables de l’enseignement que l’on y dispense), il faut ressusciter cette bourse autrefois appelée IPES, obtenue sur concours à Bac + 1, et octroyée en échange d’un contrat décennal.

—Enfin, il faut d’urgence remettre à niveau les enseignants sortis des concours depuis dix ans. Lesdits concours ont tellement abandonné les savoirs au profit de compétences pédagogiques farfelues qu’ils n’ont plus, la routine aidant, que des bribes des savoirs effectivement requis. L’introduction d’une question de grammaire au Bac de Français fin Première a permis de mesurer l’ampleur des gouffres conceptuels de certains. Là encore, seuls les agrégés de Lettres sont encore formés à manipuler des concepts grammaticaux solides.

J’ajoute qu’il me semblerait normal que l’on interdise à des élèves (par exemple aux ex-élèves de classes préparatoires, ceux qui sont les plus coûteux dans le système français — entre le double et le triple de ce que coûte un étudiant d’université) formés en France d’aller exercer leurs talents, dans les dix ans qui suivent leur sortie du système qui les a biberonnés, dans un autre pays que le nôtre.

Je soumets ces divers projets à l’appréciation du lecteur. Peut-être me jugera-t-il trop coercitif. Mais on n’a pas le beurre et l’argent du beurre sans pressurer un peu la crémière.

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Proust et le poisson

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© D.R

L’excellent poisson d’avril de Nicolas Ragonneau.


Sur le site proustonomics.com, l’écrivain et éditeur Nicolas Ragonneau est heureux de nous annoncer la parution au Québec de la « première version dégenrée de la Recherche » aux éditions Intersexions. À cette occasion, il dit s’être entretenu avec Claude Tremblay, la créatrice de cette « maison d’édition non binaire », qui ambitionne de devenir un « laboratoire de publications gender fluid ». Il précise qu’à la demande de cette dernière, il utilise « le pronom iel pour la.e désigner, car iel se définit comme personne non binaire ». Tremblay aurait expliqué à Ragonneau : « On a travaillé sur l’épicène, sur les potentialités bi des personnages. Tous les personnages bisexuels du livre reçoivent le pronom iel.[…] On résout cette question de la sexualité des personnages, où l’hétérosexualité normée du tournant du siècle les oblige à vivre dans la clandestinité. […] Marcel devient Marcel·le et le narrateur se fait narrateur.rice ». Tremblay dit également vouloir démontrer que « les pulsions du Narrateur dans l’œuvre originelle relèvent assurément de la culture du viol » et que, « en crachant sur le portrait de Vinteuil, Mlle Vinteuil et son amie préfigurent les luttes anti-patriarcales du xxie siècle ». La couverture sera « forcément arc-en-ciel » et les multiples typographies utilisées forcément « dégenrées » afin d’obtenir une « version pour les queer-trans-pédés-bi-gouines ». Enfin, Tremblay envisagerait d’ores et déjà de s’attaquer à d’autres classiques de la littérature mondiale en s’aidant, pour aller plus vite, de nouveaux générateurs de texte par intelligence artificielle : « Avec plusieurs ami.es, nous travaillons à une version dégenrée de Chat GPT, les Chattes GPT ». Là, ça fait beaucoup. Un doute surgit. Vite, un coup d’œil sur la date de parution de cet article : 1er avril 2023 ! Soulagé, le lecteur réalise qu’il vient de lire un magistral pastiche de délire woke, un brillant « poisson d’avril » qui aurait pu tout aussi bien, par les temps qui courent, ne pas en être un. Ne reste plus qu’à espérer que cela ne donne pas des idées à certain.e.s.

Patrick Buisson aux sources du déclin démographique (et moral) français

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Patrick Buisson (1949-2023) © Hannah ASSOULINE

L’éminence grise de la droite dure, Patrick Buisson, publie Décadanse chez Albin Michel.


Avec son dernier livre, Décadanse (Albin Michel), Patrick Buisson a commis un pavé suffisamment dense (528 pages) pour avoir une chance de ne pas être lu trop sérieusement. Une stratégie comme une autre pour remettre en cause en toute tranquillité un gros demi-siècle d’évolution sociétale, avec la focale mise sur les années 60-70. En ligne de mire : le rock’n’roll, la pilule, l’avortement, la pornographie, le divorce et le mambo endiablé de Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme.

Les déroutes de l’ordre moral

Dans La crise de la conscience européenne, Paul Hazard avait montré comment les Français, qui pensaient comme Bossuet en 1680, se sont mis à penser comme Voltaire en l’espace de quelques décennies. Dans sa Décadanse, Patrick Buisson explique comment la France des années 50, pétrie de valeurs catholiques, épargnante et laborieuse, toute acquise à un élan nataliste apparu sous l’État français, s’est progressivement mué en société hédoniste, libertaire et avorteuse en l’espace de trente ans. En gros, comment la Française est passée de la mère Denis à Brigitte Bardot. Pour ce faire, il a fallu l’intervention de quelques personnages de l’ombre : Ménie Grégoire, animatrice sur RTL d’une émission qui visait à dérider et à débrider les femmes françaises ; Pierre Simon, juif et franc-maçon, dans tous les bons coups et tous les bons réseaux pour avancer ses pions dans son combat en faveur de la contraception et de l’avortement ; les milieux protestants, très impliqués dans l’apparition du Mouvement pour le planning familial[1]. Attention, les États confédérés de l’Anti-France sont presque au grand complet dans cette entreprise de détricotage de la France classique et de déniaisement des Françaises – d’un autre côté, Buisson reconnaît qu’avant Pétain, et ce depuis le milieu du XVIIIème siècle, la France a été à la pointe de la maîtrise des naissances et que les Français et les Françaises, bien avant tout le monde, avaient trouvé les bons tuyaux pour contourner la nature.

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Alliance de la faucille et du goupillon

Peu de faits divers de cette période échappent à la vigilance de l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy. Le texte est émaillé également de références à la chanson française, de Léo Ferré à Gainsbourg (à commencer par le titre du livre), signe que l’auteur ne néglige aucun des petits indices qui permettent de comprendre l’évolution de la société – façon aussi peut-être de nous faire entrer dans son jukebox mental. L’ouvrage a le mérite d’exprimer un point-de-vue à contre-courant conservateur qui n’a plus tellement voix au chapitre. Tous ceux qui ont essayé d’incarner le parti de l’ordre moral depuis les années 70, de Jean Royer, chahuté lors de la présidentielle 1974 pour sa croisade contre la pornographie, à Christine Boutin se sont mis immanquablement à dos les rieurs. En 1971, Charlie Hebdo s’était demandé qui avait bien pu engrosser les 343 salopes du Nouvel Obs ; un Michel Debré de cartoon, sur la défensive, répondait : « c’était pour la France ! ». Dans sa thèse, Buisson cite quelques auteurs réacs (René Guenon, Georges Bernanos ou François Mauriac) mais il se cherche aussi à gauche quelques alliés de revers, parmi lesquels le cinéaste communiste et homosexuel Pier Paolo Pasolini, l’inclassable Maurice Clavel, le pourfendeur du libéralisme libertaire Michel Clouscard et surtout le vieux Parti communiste à papa. Peu regardant sur les invasions des pays frères d’Europe centrale dans les années 50-60, celui-ci était, il est vrai, irréprochable sur la question de la natalité. En ce temps-là, Jeannette Vermeersch, épouse de Maurice Thorez, était bien décidée à ce que les femmes du prolétariat n’en viennent pas à se comporter comme des petites bourgeoises. Contrôler les naissances en milieu ouvrier, c’était faire un trop beau cadeau numérique à la classe dominante. Des années 40 jusqu’au milieu des années 60, se dessine un consensus nataliste et familialiste soutenu par l’Eglise et le PCF, dans une sorte d’alliance de la faucille et du goupillon.


Et puis, c’est le drame. Déjà, avec l’arrivée du rock’n’roll, les jeunes s’enferment dans leur chambre et écoutent sur leur transistor des tubes « yéyés ». De Gaulle, si prompt à voir des chevaux de Troie partout, n’avait pas vu les menaces intérieures et le péril que représentaient Claude Moine et Jean-Philippe Smet. C’est tout le paradoxe décrit par Buisson : c’est sous la droite au pouvoir que la « grande décomposition morale » se produit. Un peu par fainéantise, un peu par conformisme, un peu par infiltration des « forces occultes » citées plus haut. Loin d’être acquis au départ, de Gaulle se laisse par exemple convaincre par son épouse au sujet de la loi Neuwirth légalisant la pilule. Tante Yvonne s’imaginait alors que ladite loi serait un barrage efficace contre l’avortement, hantise des catholiques. Manque de chance, les partisans de la contraception, Pierre Simon en tête, avancent en coulisse et n’ont pas d’autre idée que de passer à l’étape suivante : l’IVG. Il fallait aussi compter sur l’habileté politique de Simone Veil, que Buisson ne voit non pas comme une dame bourgeoise qui s’est retrouvée un peu par hasard dans le combat pour l’avortement, mais comme une alliée objective et maligne, presque une infiltrée de l’extrême-gauche féministe, résolue à infliger une défaite aux « égreneurs de chapelet ». Là, l’auteur, pas au maximum de son fair-play, néglige peut-être le courage politique de la ministre et le tombereau d’injures, y compris antisémites, qu’elle a eu à endurer.

Une France plus froide que celle de jadis

C’est que Patrick Buisson n’a pas vraiment digéré le virage de la France moderne, plus individualiste et plus froide que celle de jadis. En quelques années, disparaissent des rituels religieux forts, comme les relevailles, quand tout le voisinage et le clergé avoisinant venaient accompagner pendant plusieurs jours la jeune mère qui venait d’accoucher, avec grand renfort de brioche et de prières. Faut-il en pour autant jeter le bébé de l’individualisme avec l’eau du bain libéral-libertaire ? Etait-il vraiment souhaitable de maintenir les femmes dans cette et immaîtrise biologique ? Buisson cite le courrier des lectrices d’un journal catholique, L’Echo des Françaises, qui en 1963, ont l’air de ne plus en pouvoir du carcan religieux et familial et qui souhaitent enfin pouvoir contrôler leur fécondité : « mère de famille nombreuse, je sens un immense dégoût de la vie (…) je trouve révoltant de mettre au monde une douzaine de martyrs alors qu’on peut décemment en élever deux ou trois ». Peut-on prendre seulement d’un haussement d’épaules ces témoignages ?

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C’est qu’il a existé, après la première Guerre du Golfe et jusqu’à la présidence Hollande (durant laquelle ont été sérieusement réduites les allocations familiales pour les ménages dits aisés, entraînant assez mécaniquement un déclin des naissances) un petit baby-boom, la France ayant réussi à stabiliser le nombre d’enfants par femme au chiffre de deux ou presque, pendant 20 ans, dans une société pas spécialement asphyxiée par les immixtions sociales de l’Eglise ou du PCF, déjà moribonds à cette époque. On pourrait qualifier cette période de phase adulte de la France moderne : celle-ci parvient à peu près à renouveler ses générations, sans revenir en arrière sur les acquis sociétaux des précédentes décennies. Avant de revenir aux années 50, songeons déjà à revenir aux années 90 !

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[1] On connait grâce aux Monty Python la différence de conception entre catholiques et protestants dans ce domaine.

Trump 2024: ce match retour qui pend au nez des Américains

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E. Jean Carroll arrive au tribunal, New York, 9 mai 2023 © John Minchillo/AP/SIPA

La prochaine élection présidentielle aux États-Unis aura lieu le 5 novembre 2024. Et pour l’instant, il semble probable que les deux candidats principaux soient les mêmes que la dernière fois, en 2020! Et ce, en dépit des différents inconvénients, désavantages et autres casseroles qui s’attachent à eux…


95% des Américains ne veulent pas d’un nouveau match entre Biden et Trump, et 38% d’entre eux ne veulent ni l’un ni l’autre comme candidat. Si jamais la partie se rejoue entre les deux hommes, le gagnant risque d’être, non celui qui a le plus de vertus aux yeux d’une majorité d’électeurs, mais celui qui a le moins de vices. Toute ressemblance avec la France…

Joe Biden et la course vers l’impopularité

On savait déjà que, même pour les électeurs démocrates, l’âge avancé du président actuel était considéré comme un obstacle majeur. Maintenant, un nouveau sondage réalisé pour le Washington Post et la chaîne ABC, publié le 7 mai, révèle que la côte de popularité du chef d’État a atteint un nouveau nadir : 36%. Pour les électeurs de moins de 30 ans, le chiffre tombe à 26%, tandis son taux de désapprobation auprès des citoyens en général est de 56%. 68% pensent que Joe Biden est trop âgé, sa santé physique et son acuité mentale trop fragiles, pour gouverner de nouveau. Seuls 44% disqualifient Trump pour la même raison, bien qu’il n’ait que quatre ans de moins que Biden. Trump bat Biden aussi en termes de gestion de l’économie : 54% sont de l’avis que Trump s’en est mieux sorti dans ce domaine, contre 36% pour Biden. Quand on a demandé aux personnes interrogées pour qui ils voteraient « certainement ou probablement », 44% ont cité Trump contre 38% pour Biden. Cet écart n’est pas déterminant, mais il montre que, quand Biden justifie sa candidature pour 2024 en affirmant qu’il est le seul démocrate capable de battre Trump, c’est loin d’être sûr.

Donald Trump lors de sa déposition dans l’affaire E. Jean Carroll, octobre 2022 D.R.

Donald Trump, collectionneur de procès

Déjà le 3 avril, l’ancien président a été inculpé par les autorités new-yorkaises sur 34 chefs d’accusation portant sur la fraude comptable et concernant ses relations avec l’ancienne actrice porno, Stormy Daniels. Maintenant, un tribunal fédéral à New York vient de le condamner pour agression sexuelle et diffamation contre la journaliste et auteur, E. Jean Carroll. Elle prétend qu’il l’aurait violée dans une cabine d’essayage d’une des boutiques du grand magasin Bergdorf Goodman à New York en 1995 ou 1996. Le jury a condamné Trump à verser cinq millions de dollars (4,5 millions d’euros) à la plaignante en dommages et intérêts : deux millions pour l’avoir molestée et trois pour l’avoir dénigrée en niant les accusations qu’elle a portées contre lui dans un bestseller de 2019, What Do We Need Men For ? Trump, qui a toujours maintenu qu’elle avait inventé l’incident afin de vendre son livre, a immédiatement fait appel.

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Trump semble ainsi être puni plus pour ce qu’il a dit de Carroll que pour ce qu’il lui aurait fait. Il s’agit d’ailleurs d’un procès civil où le niveau de preuve n’est pas aussi exigeant que dans un procès criminel. Le jury a en outre rejeté l’accusation de viol. Au tribunal, la victime a reconnu qu’elle ne se souvenait pas si l’agression avait eu lieu en 1995 ou 1996 et que son récit ressemblait étrangement à l’intrigue d’un épisode de la série télévisée, New York, unité spéciale, datant de 2012.

Guerre culturelle et guerre sexuelle

Il y a un donc un grain de crédibilité derrière la réaction scandalisée et typiquement hyperbolique, toute en majuscules, de Donald Trump sur sa plateforme, Truth Social : « JE NE CONNAIS ABSOLUMENT PAS CETTE FEMME ET NE SAIS PAS QUI C’EST. CE VERDICT EST HONTEUX – UN NOUVEL ÉPISODE DE LA PLUS GRANDE CHASSE AUX SORCIERS DE TOUS LES TEMPS ». La conviction de sa base électorale que Trump est la victime d’un complot ourdi par les élites mondialistes ne sera que renforcée. Pourtant, pour gagner une élection, Trump a besoin de convaincre un large public au-delà de sa seule base, et l’accumulation de procès pourrait bien l’en empêcher. Il a certes des atouts : l’impopularité de Biden et la façon dont ce dernier semble approuver les pires doctrines wokistes qui envahissent les domaines de l’éducation, de la médecine et de la vie en entreprise outre-Atlantique. Mais Biden n’est pas complètement désarmé non plus face à son adversaire.

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Peut-être que l’atout majeur que Biden possède encore, c’est la question de l’avortement. La décision de la Cour suprême, en juin de l’année dernière, qui a renversé le célèbre arrêt Roe v. Wade, a permis aux différents Etats de rendre l’accès à l’avortement plus difficile. 22 états ont profité du jugement pour imposer des restrictions dans ce domaine. Or, deux tiers des Américains restent favorables au principe d’un accès facile à l’avortement pour toutes les femmes. Donald Trump, qui a nommé les juges qui ont rendu possible le verdict de la Cour suprême, et le Parti républicain, dont certains membres ont longtemps mené campagne contre l’avortement, sont associés dans l’esprit des électeurs à cette mesure. Dans cet éternel retour des mêmes, il ne s’agit pas de savoir qui, de Biden ou Trump, suscitera le plus d’enthousiasme, mais qui suscitera le plus d’antagonisme.

Le prochain test important aura lieu ce jeudi 11 mai, quand Trump participera à un « town hall meeting » dans l’Etat du New Hampshire, une de ces réunions où les candidats à la candidature répondent aux questions du public.

De la lèpre fasciste et de ses cas contacts

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© Hannah Assouline ; SIPA. 00885251_000019 ; Arnaud Meyer / Leextra / Editions Grasset.

Dans un « livre-enquête », le journaliste François Krug essaie de diaboliser Michel Houellebecq, Sylvain Tesson et Yann Moix en les accusant d’avoir vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu Charles Maurras…


Quand elles sont bien faites, les fiches de basse police peuvent procurer un vrai plaisir de lecture. Maître du genre, Emmanuel Ratier (1957-2015) n’avait pas son pareil pour révéler, dans sa lettre conspirationniste, antisémite et antimaçonnique Faits et Documents, la présence de tel ministre en vue ou de tel intellectuel médiatique à une conférence organisée par le Grand Orient de France ou dans les colonnes d’un journal juif confidentiel. Croyant salir ses cibles, il montrait en fait la complexité des hommes, leur éclectisme parfois inattendu, les rendant souvent plus sympathiques qu’on imaginait.


Dans son nouveau livre, François Krug est armé des mêmes intentions et méthodes, mais au service du camp d’en face, celui de la gauche sectaire. En 220 pages, il tente d’établir que trois des écrivains français contemporains les plus célèbres, Michel Houellebecq, Sylvain Tesson et Yann Moix, seraient d’abominables « compagnons de route cachés de l’extrême droite », non pas pour leurs écrits ni leurs prises de position, mais à cause de quelques-unes de leurs rencontres et fréquentations. Évitons les habituelles récriminations contre cette dangereuse manière de cataloguer les gens. À force de parler de chasse aux sorcières, de procès de Moscou ou de maccarthysme, on devient lassant.

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Remarquons plutôt que n’est pas Ratier qui veut. Le livre de Krug ne contient aucune révélation. Il ne fait que redire ce que Philippe Muray, Marc-Édouard Nabe, Jérôme Dupuis (dans L’Express) et Saïd Mahrane (dans Le Point) ont déjà raconté avec davantage de talent et de culture littéraire. Ah non ! pardon, on y apprend quand même que Moix a pris une fois un verre avec Dieudonné (en 2010), que Tesson a confié par écrit à Jean Raspail qu’il se sentait « membre de la société secrète » de ses admirateurs (en 2019), et que contrairement à ce qu’on avait cru comprendre dans le Cahier de l’Herne qui lui est consacré, le premier article de Michel Houellebecq pour L’Idiot interna-
tional
(en 1991) ne parlait pas de Pif Gadget, mais de prothèses mammaires. Tremble, bête immonde !

Krug nous réserve aussi un formidable fou rire quand il croit démontrer la monstruosité de Tesson en remarquant que celui-ci partageait avec l’ultra-nationaliste Dominique Venner (1935-2013) un goût commun pour Homère et l’Islande ! Ne lui dites surtout pas que Mélenchon et Zemmour apprécient tous les deux Jean d’Ormesson, il pourrait penser que la collusion réac au sommet du pouvoir est encore plus vaste qu’il le redoute.

Mais ce livre restera sûrement dans les annales grâce à un procédé innovant. Pour les besoins de ses recherches, Krug s’est en effet penché sur une anodine photographie, parue dans Paris Match, de Sylvain Tesson dans son salon. Si l’on zoome dans l’image, s’excite-t-il, on découvre sur une étagère plusieurs ouvrages d’auteurs sulfureux (Martin Peltier, Alain Sanders et Jean-Pierre Hebert), dont la simple possession suffit bien sûr à prouver l’adhésion aux pires idées… Après le journalisme de caniveau, voilà donc inventé le complotisme de rayonnage.

Réactions françaises: Enquête sur lextrême droite littéraire

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Saisies de casseroles: il est vertigineux de voir où nous en sommes rendus!

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©D.R.

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique. Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise.


L’arrêté de la préfecture de l’Hérault en avait pourtant informé la population : dans un périmètre autour du collège Louise-Michel de Ganges, tout « dispositif sonore portatif » était rigoureusement interdit lors de la visite du président de la République, le 20 avril. Des casseroles ont été saisies. Il est vertigineux de voir là où nous en sommes : des casseroles saisies ! Absurdistan. Ceux qui contestent aujourd’hui la réalité d’une « crise démocratique » sont ainsi exposés à la menace d’un concert polyphonique. Malgré le rouleau compresseur des dernières années, du référendum de 2005 au 49.3 de 2023, le peuple fait montre d’une inventivité citoyenne toujours renouvelée.
Il y a un an, le 30 avril 2022, lors de la cérémonie de remise des diplômes d’AgroParisTech, huit étudiants avaient publiquement appelé à « déserter » des emplois « destructeurs ». Que nous disaient-ils ? « Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fiers et méritants d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours. […] Quelle vie voulons-nous ? Un patron cynique, un salaire pour prendre l’avion, même pas cinq semaines par an pour souffler et puis un burnout à 40 ans ? »

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Ils ne sont pas des cas isolés. Dans de très nombreuses grandes écoles et universités, la question de l’avenir est posée et âprement discutée. Elle invite à des prises de conscience, des bifurcations et des ruptures. Ces jeunes ingénieurs refusent d’être les exécutants dociles de décisions prises par les marchés financiers et présentées comme « incontournables et urgentes » par leurs serviteurs politiques.
Ils ne veulent pas participer à la folle course à la productivité, à la compétitivité et à la rentabilité. Ils lui opposent d’autres objectifs : le développement humain et écologique durable, une réelle autonomie. Une vie à la retraite et en bonne santé. Selon des travaux
récents, environ 30 % des étudiants de grande école sont en « rupture » et se questionnent sur les métiers auxquels ils sont formés. Ils veulent en connaître l’impact social, écologique ou économique, quelles que soient les conséquences sur leur statut social ou leur situation financière.

Au cours des derniers mois, plus nous avons parlé des retraites et plus il a été question du travail, de son sens, de sa réalité, des transformations à opérer, et de l’ampleur de la crise du travail qui exige de « donner la parole et une partie du pouvoir à celles et ceux qui font le travail », comme le propose Dominique Méda (Le Monde, 15 avril 2023). Et si nous devenions les ingénieurs de nos vies ! Que voulez-vous, on ne me changera pas. Je suis né dans une casserole où étaient mélangés idéaux de justice, d’émancipation, d’utopies concrètes et d’actions immédiates pour de vraies solutions. Pour les héritiers de Denis Kessler, économiste passé du communisme au libéralisme pur et dur, l’objectif reste de « défaire méthodiquement le programme du CNR » (Challenges, 4 octobre 2007). Ma recette est à leurs yeux un brouet indigeste. Et s’il était notre futur festin ?

Agnès Buzyn sera-t-elle conduite de force devant les juges de la CJR?

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Agnès Buzyn, novembre 2017. © SIPA.

Nous assistons actuellement à un bras de fer burlesque entre Agnès Buzyn et les juges. L’ancienne ministre de la Santé refuse de se rendre aux convocations. L’analyse de Philippe Bilger.


À l’interrogation formulée par mon titre, je répondrai qu’elle devrait l’être. Je l’aurais d’ailleurs déjà fait. Il y a une multitude de rendez-vous où, selon le parti qu’elle choisira, la Justice continuera à aller soit vers la dépendance et l’inégalité, soit du côté de la rectitude et de l’équité. Le choix à effectuer est capital. Il concerne les juges de la Cour de Justice de la République (CJR) mais il pourrait tout aussi bien s’appliquer aux juridictions ordinaires. Cet arbitrage à opérer est d’autant plus fondamental que nous savons que le garde des Sceaux, il y a plusieurs mois, n’a pas fourni le meilleur exemple de sa soumission à l’État de droit, à cause de l’attitude qu’il a adoptée face à la commission d’instruction de cette même CJR. Il ne s’agit pas de faire « payer » à Agnès Buzyn cet épisode antérieur si calamiteux mais de restaurer un crédit à mon sens déjà fortement entamé. Les juges ne sont pas à la disposition des témoins assistés ; la règle est l’inverse. Le 10 septembre 2021, Agnès Buzyn avait été mise en examen pour mise en danger de la vie d’autrui. Ulcérée par cette qualification, elle avait engagé un recours et la Cour de cassation, le 20 janvier, avait annulé cette mise en examen.

L’État de droit, à la carte?

Le 28 février, elle défiait ses juges, « leur indiquant qu’elle mettait fin d’elle-même à l’interrogatoire et qu’elle ne répondrait plus à leurs questions ». Le 20 comme le 27 mars, convoquée, elle n’a pas daigné comparaître, après qu’un courrier de ses deux avocats, dont M. Eric Dezeuze, a cherché à expliquer, le 28 février, l’attitude de leur cliente. Ce même 28 février, ils recevaient une réponse très argumentée des trois juges mais rien n’y faisait : Agnès Buzyn ne déférait pas en mars à deux reprises. J’avoue plusieurs étonnements et c’est un euphémisme.

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Ainsi, c’est Agnès Buzyn qui décide du respect ou non de l’État de droit. Elle veut bien de celui-ci quand, ayant le droit d’en user, il lui donne raison par l’entremise de la Cour de cassation le 20 janvier. Mais elle fait défaut en ne le respectant plus, prenant l’initiative d’une double absence en mars. Quel étrange processus que cette démarche alternée et choquante, surtout de la part d’une ancienne ministre, dans une affaire à la fois judiciaire et politique, à la tonalité intensément tragique. Je suis surtout surpris qu’un avocat à la parfaite déontologie et à la compétence reconnue par tous, M. Eric Dezeuze – je ne connais pas l’autre, M. Arnaud Mailhos – ait pu conseiller à sa cliente une telle pratique de rupture dont je pense qu’elle ne va pas améliorer son image, bien au contraire. Je considère que la lettre des juges n’était pas nécessaire parce que son existence semble donner un semblant de légitimité à l’obstruction d’Agnès Buzyn, confortée par ses avocats: ils se justifient comme s’ils étaient coupables ! Avec le risque qu’une mesure coercitive soit d’autant plus mal perçue ensuite…

Pas une affaire dérisoire

J’admets bien volontiers qu’une forme de lassitude ait pu naître après plus de 20 interrogatoires – hallucinant de lenteur ou de faiblesse dans la synthèse ! – mais cette fatigue ne saurait valider l’arrêt impérieux dû à la seule Agnès Buzyn. Ce n’est pas une affaire dérisoire. D’un côté, des politiques semblent de plus en plus traiter avec désinvolture ce que la Justice a le devoir de leur imposer pour enquêter et instruire valablement. De l’autre, heureusement, il en est d’autres qui donnent des exemples d’exemplarité dans leurs rapports avec les magistrats: je songe à Nicolas Sarkozy qui a toujours comparu, quels que soient ses sentiments négatifs à l’encontre de ses juges, et à Edouard Philippe, impeccable dans son adhésion républicaine à l’État de droit, quoiqu’il lui en ait coûté.

Les trois juges ont la possibilité de délivrer un mandat de comparution ou d’amener ou d’arrêt à l’encontre d’Agnès Buzyn. Qu’attendent-ils ? Ont-ils peur ? Pourtant ce ne serait pas un coup d’éclat ou de la provocation, mais de la Justice.