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Agnès Buzyn sera-t-elle conduite de force devant les juges de la CJR?

"Qu'attendent les juges ? Ont-ils peur ?"


Agnès Buzyn sera-t-elle conduite de force devant les juges de la CJR?
Agnès Buzyn, novembre 2017. © SIPA.

Nous assistons actuellement à un bras de fer burlesque entre Agnès Buzyn et les juges. L’ancienne ministre de la Santé refuse de se rendre aux convocations. L’analyse de Philippe Bilger.


À l’interrogation formulée par mon titre, je répondrai qu’elle devrait l’être. Je l’aurais d’ailleurs déjà fait. Il y a une multitude de rendez-vous où, selon le parti qu’elle choisira, la Justice continuera à aller soit vers la dépendance et l’inégalité, soit du côté de la rectitude et de l’équité. Le choix à effectuer est capital. Il concerne les juges de la Cour de Justice de la République (CJR) mais il pourrait tout aussi bien s’appliquer aux juridictions ordinaires. Cet arbitrage à opérer est d’autant plus fondamental que nous savons que le garde des Sceaux, il y a plusieurs mois, n’a pas fourni le meilleur exemple de sa soumission à l’État de droit, à cause de l’attitude qu’il a adoptée face à la commission d’instruction de cette même CJR. Il ne s’agit pas de faire « payer » à Agnès Buzyn cet épisode antérieur si calamiteux mais de restaurer un crédit à mon sens déjà fortement entamé. Les juges ne sont pas à la disposition des témoins assistés ; la règle est l’inverse. Le 10 septembre 2021, Agnès Buzyn avait été mise en examen pour mise en danger de la vie d’autrui. Ulcérée par cette qualification, elle avait engagé un recours et la Cour de cassation, le 20 janvier, avait annulé cette mise en examen.

L’État de droit, à la carte?

Le 28 février, elle défiait ses juges, « leur indiquant qu’elle mettait fin d’elle-même à l’interrogatoire et qu’elle ne répondrait plus à leurs questions ». Le 20 comme le 27 mars, convoquée, elle n’a pas daigné comparaître, après qu’un courrier de ses deux avocats, dont M. Eric Dezeuze, a cherché à expliquer, le 28 février, l’attitude de leur cliente. Ce même 28 février, ils recevaient une réponse très argumentée des trois juges mais rien n’y faisait : Agnès Buzyn ne déférait pas en mars à deux reprises. J’avoue plusieurs étonnements et c’est un euphémisme.

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Ainsi, c’est Agnès Buzyn qui décide du respect ou non de l’État de droit. Elle veut bien de celui-ci quand, ayant le droit d’en user, il lui donne raison par l’entremise de la Cour de cassation le 20 janvier. Mais elle fait défaut en ne le respectant plus, prenant l’initiative d’une double absence en mars. Quel étrange processus que cette démarche alternée et choquante, surtout de la part d’une ancienne ministre, dans une affaire à la fois judiciaire et politique, à la tonalité intensément tragique. Je suis surtout surpris qu’un avocat à la parfaite déontologie et à la compétence reconnue par tous, M. Eric Dezeuze – je ne connais pas l’autre, M. Arnaud Mailhos – ait pu conseiller à sa cliente une telle pratique de rupture dont je pense qu’elle ne va pas améliorer son image, bien au contraire. Je considère que la lettre des juges n’était pas nécessaire parce que son existence semble donner un semblant de légitimité à l’obstruction d’Agnès Buzyn, confortée par ses avocats: ils se justifient comme s’ils étaient coupables ! Avec le risque qu’une mesure coercitive soit d’autant plus mal perçue ensuite…

Pas une affaire dérisoire

J’admets bien volontiers qu’une forme de lassitude ait pu naître après plus de 20 interrogatoires – hallucinant de lenteur ou de faiblesse dans la synthèse ! – mais cette fatigue ne saurait valider l’arrêt impérieux dû à la seule Agnès Buzyn. Ce n’est pas une affaire dérisoire. D’un côté, des politiques semblent de plus en plus traiter avec désinvolture ce que la Justice a le devoir de leur imposer pour enquêter et instruire valablement. De l’autre, heureusement, il en est d’autres qui donnent des exemples d’exemplarité dans leurs rapports avec les magistrats: je songe à Nicolas Sarkozy qui a toujours comparu, quels que soient ses sentiments négatifs à l’encontre de ses juges, et à Edouard Philippe, impeccable dans son adhésion républicaine à l’État de droit, quoiqu’il lui en ait coûté.

Les trois juges ont la possibilité de délivrer un mandat de comparution ou d’amener ou d’arrêt à l’encontre d’Agnès Buzyn. Qu’attendent-ils ? Ont-ils peur ? Pourtant ce ne serait pas un coup d’éclat ou de la provocation, mais de la Justice.




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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