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Patrick Buisson aux sources du déclin démographique (et moral) français


Patrick Buisson aux sources du déclin démographique (et moral) français
Patrick Buisson (1949-2023) © Hannah ASSOULINE

L’éminence grise de la droite dure, Patrick Buisson, publie Décadanse chez Albin Michel.


Avec son dernier livre, Décadanse (Albin Michel), Patrick Buisson a commis un pavé suffisamment dense (528 pages) pour avoir une chance de ne pas être lu trop sérieusement. Une stratégie comme une autre pour remettre en cause en toute tranquillité un gros demi-siècle d’évolution sociétale, avec la focale mise sur les années 60-70. En ligne de mire : le rock’n’roll, la pilule, l’avortement, la pornographie, le divorce et le mambo endiablé de Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme.

Les déroutes de l’ordre moral

Dans La crise de la conscience européenne, Paul Hazard avait montré comment les Français, qui pensaient comme Bossuet en 1680, se sont mis à penser comme Voltaire en l’espace de quelques décennies. Dans sa Décadanse, Patrick Buisson explique comment la France des années 50, pétrie de valeurs catholiques, épargnante et laborieuse, toute acquise à un élan nataliste apparu sous l’État français, s’est progressivement mué en société hédoniste, libertaire et avorteuse en l’espace de trente ans. En gros, comment la Française est passée de la mère Denis à Brigitte Bardot. Pour ce faire, il a fallu l’intervention de quelques personnages de l’ombre : Ménie Grégoire, animatrice sur RTL d’une émission qui visait à dérider et à débrider les femmes françaises ; Pierre Simon, juif et franc-maçon, dans tous les bons coups et tous les bons réseaux pour avancer ses pions dans son combat en faveur de la contraception et de l’avortement ; les milieux protestants, très impliqués dans l’apparition du Mouvement pour le planning familial[1]. Attention, les États confédérés de l’Anti-France sont presque au grand complet dans cette entreprise de détricotage de la France classique et de déniaisement des Françaises – d’un autre côté, Buisson reconnaît qu’avant Pétain, et ce depuis le milieu du XVIIIème siècle, la France a été à la pointe de la maîtrise des naissances et que les Français et les Françaises, bien avant tout le monde, avaient trouvé les bons tuyaux pour contourner la nature.

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Alliance de la faucille et du goupillon

Peu de faits divers de cette période échappent à la vigilance de l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy. Le texte est émaillé également de références à la chanson française, de Léo Ferré à Gainsbourg (à commencer par le titre du livre), signe que l’auteur ne néglige aucun des petits indices qui permettent de comprendre l’évolution de la société – façon aussi peut-être de nous faire entrer dans son jukebox mental. L’ouvrage a le mérite d’exprimer un point-de-vue à contre-courant conservateur qui n’a plus tellement voix au chapitre. Tous ceux qui ont essayé d’incarner le parti de l’ordre moral depuis les années 70, de Jean Royer, chahuté lors de la présidentielle 1974 pour sa croisade contre la pornographie, à Christine Boutin se sont mis immanquablement à dos les rieurs. En 1971, Charlie Hebdo s’était demandé qui avait bien pu engrosser les 343 salopes du Nouvel Obs ; un Michel Debré de cartoon, sur la défensive, répondait : « c’était pour la France ! ». Dans sa thèse, Buisson cite quelques auteurs réacs (René Guenon, Georges Bernanos ou François Mauriac) mais il se cherche aussi à gauche quelques alliés de revers, parmi lesquels le cinéaste communiste et homosexuel Pier Paolo Pasolini, l’inclassable Maurice Clavel, le pourfendeur du libéralisme libertaire Michel Clouscard et surtout le vieux Parti communiste à papa. Peu regardant sur les invasions des pays frères d’Europe centrale dans les années 50-60, celui-ci était, il est vrai, irréprochable sur la question de la natalité. En ce temps-là, Jeannette Vermeersch, épouse de Maurice Thorez, était bien décidée à ce que les femmes du prolétariat n’en viennent pas à se comporter comme des petites bourgeoises. Contrôler les naissances en milieu ouvrier, c’était faire un trop beau cadeau numérique à la classe dominante. Des années 40 jusqu’au milieu des années 60, se dessine un consensus nataliste et familialiste soutenu par l’Eglise et le PCF, dans une sorte d’alliance de la faucille et du goupillon.


Et puis, c’est le drame. Déjà, avec l’arrivée du rock’n’roll, les jeunes s’enferment dans leur chambre et écoutent sur leur transistor des tubes « yéyés ». De Gaulle, si prompt à voir des chevaux de Troie partout, n’avait pas vu les menaces intérieures et le péril que représentaient Claude Moine et Jean-Philippe Smet. C’est tout le paradoxe décrit par Buisson : c’est sous la droite au pouvoir que la « grande décomposition morale » se produit. Un peu par fainéantise, un peu par conformisme, un peu par infiltration des « forces occultes » citées plus haut. Loin d’être acquis au départ, de Gaulle se laisse par exemple convaincre par son épouse au sujet de la loi Neuwirth légalisant la pilule. Tante Yvonne s’imaginait alors que ladite loi serait un barrage efficace contre l’avortement, hantise des catholiques. Manque de chance, les partisans de la contraception, Pierre Simon en tête, avancent en coulisse et n’ont pas d’autre idée que de passer à l’étape suivante : l’IVG. Il fallait aussi compter sur l’habileté politique de Simone Veil, que Buisson ne voit non pas comme une dame bourgeoise qui s’est retrouvée un peu par hasard dans le combat pour l’avortement, mais comme une alliée objective et maligne, presque une infiltrée de l’extrême-gauche féministe, résolue à infliger une défaite aux « égreneurs de chapelet ». Là, l’auteur, pas au maximum de son fair-play, néglige peut-être le courage politique de la ministre et le tombereau d’injures, y compris antisémites, qu’elle a eu à endurer.

Une France plus froide que celle de jadis

C’est que Patrick Buisson n’a pas vraiment digéré le virage de la France moderne, plus individualiste et plus froide que celle de jadis. En quelques années, disparaissent des rituels religieux forts, comme les relevailles, quand tout le voisinage et le clergé avoisinant venaient accompagner pendant plusieurs jours la jeune mère qui venait d’accoucher, avec grand renfort de brioche et de prières. Faut-il en pour autant jeter le bébé de l’individualisme avec l’eau du bain libéral-libertaire ? Etait-il vraiment souhaitable de maintenir les femmes dans cette et immaîtrise biologique ? Buisson cite le courrier des lectrices d’un journal catholique, L’Echo des Françaises, qui en 1963, ont l’air de ne plus en pouvoir du carcan religieux et familial et qui souhaitent enfin pouvoir contrôler leur fécondité : « mère de famille nombreuse, je sens un immense dégoût de la vie (…) je trouve révoltant de mettre au monde une douzaine de martyrs alors qu’on peut décemment en élever deux ou trois ». Peut-on prendre seulement d’un haussement d’épaules ces témoignages ?

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C’est qu’il a existé, après la première Guerre du Golfe et jusqu’à la présidence Hollande (durant laquelle ont été sérieusement réduites les allocations familiales pour les ménages dits aisés, entraînant assez mécaniquement un déclin des naissances) un petit baby-boom, la France ayant réussi à stabiliser le nombre d’enfants par femme au chiffre de deux ou presque, pendant 20 ans, dans une société pas spécialement asphyxiée par les immixtions sociales de l’Eglise ou du PCF, déjà moribonds à cette époque. On pourrait qualifier cette période de phase adulte de la France moderne : celle-ci parvient à peu près à renouveler ses générations, sans revenir en arrière sur les acquis sociétaux des précédentes décennies. Avant de revenir aux années 50, songeons déjà à revenir aux années 90 !

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[1] On connait grâce aux Monty Python la différence de conception entre catholiques et protestants dans ce domaine.



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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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