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«Cinéma» anglais ou «opéra-bouffe» de l’extrême gauche sud-américaine

L’autocritique de Monsieur Mélenchon


«Cinéma» anglais ou «opéra-bouffe» de l’extrême gauche sud-américaine
Nicolas Maduro, lors d'une grande parade militaire marquant la première année du décès d'Hugo Chavez, Caracas, 2014 © MIGUEL GUTIERREZ/EFE/SIPA

Le couronnement de Charles III a dégoûté le leader de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon. Mais si la couronne avait été pour lui, il n’aurait peut-être pas été aussi mécontent!


Nombreux sont ceux qui, politiques et intellectuels, prédisent un destin psychiatrique à Monsieur Jean-Luc Mélenchon. Langage outrancier, propos inexacts mâtinés de liaisons grammaticales exactes, saupoudrage de culture historique, répertoire simultané de la connivence et de l’agressivité, de la flatterie et de la lapidation : ses échecs aux deux dernières élections présidentielles auraient dû raisonnablement mettre fin à l’extrême agitation du patriarche de l’extrême gauche française, dont l’idéal sans-culottiste aurait pu trouver dans cette double déculottée l’esquisse d’un principe de réalité. Les derniers mots de son discours du 10 avril 2022, lancés comme une bouteille à la mer, avaient fait naître l’espoir d’une retraite bien méritée après tant d’énergie renouvelable investie dans le déni du réel: « Faites mieux. Merci. » Il est probable que Monsieur Mélenchon ait estimé depuis qu’aucun de ses lieutenants de La France Insoumise n’était capable de mieux faire. Et il est également probable que la petite troupe de députés LFI n’ait pas vraiment retenu les leçons de leur maître en confondant langage outrancier et langage ordurier, invectives et insultes, tous globalement oublieux de la grammaire, et adaptes du saupoudrage culturel et des changements de ton requis par la geste populiste. Vent debout contre le départ à la retraite à 64 ans, Monsieur Mélenchon, 71 ans, s’est donc résigné à travailler encore un peu à son remake de 1789, cette mauvaise mini-série qui cumule les tares habituelles des reconstitutions historiques bénéficiant de gros budgets idéologiques: scénario truffé d’anachronismes, mauvais acteurs, dialogues indigents, création fort coûteuse en décor urbain.

Shocking !

La réaction du patron des Insoumis au couronnement du Roi Charles III d’Angleterre était un épisode attendu du feuilleton révolutionnaire. On se doutait que le protocole anglais, ourlé de ses traditions monarchistes séculaires, rencontrerait sa réprobation et que les effluves de l’Ancien Régime émoustilleraient sa créativité sémantique. Le vocabulaire employé par Monsieur Mélenchon interroge toutefois et on se demande s’il ne s’est pas trompé de fiche, intervertissant ce qu’il devait dire sur Charles III et ce que l’extrême gauche, y compris celle d’un continent qu’il porte dans son cœur, l’Amérique latine, serait bien inspirée de penser d’elle-même. « Cinéma », « homme couvert de déguisements, de bijoux et de pierres précieuses », « sirops dégoulinants de la monarchie »: on ne pouvait mieux confondre critique et autocritique.

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Car en termes de « cinéma », les trois heures du couronnement anglais ne sont rien en regard de la mise en scène de soi de dignitaires politiques type Hugo Chávez, ex-président du Venezuela et grande référence tropicale de LFI, bolivariste cathodique, célèbre pour s’être mis en scène dans d’interminables émissions dominicales télévisées, sortes de monologues fleuves de quatre, six voire huit heures, temps nécessaire au pédagogisme révolutionnaire, à l’éviction en direct de collaborateurs gênants et à la planification de quelques projets urgents comme la construction d’une école ou d’une maternité dont les premières pierres attendent encore d’être posées. « Cinéma » poursuivi par Nicolás Maduro, l’auto-proclamé héritier au trône chaviste depuis 2013 et qui, devant toujours entendre son maître (réincarné selon lui en petit oiseau) lui siffler à l’oreille de doux gazouillis bolivariens, a annoncé se représenter aux élections de 2024 contre l’anti-chaviste Juan Guaidó affublé par ses soins des doux noms de « clown », « traître » et « imbécile ». On dirait du LFI dans le texte. « Cinéma » de bien d’autres encore, du Nicaraguayen Daniel Ortega au Mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO), dont les discours interminables, entrecoupés de silences infinis, sont des épreuves de niveau olympique même pour les meilleurs lecteurs de Plutarque et de son célèbre Comment écouter.

Sirops

Le nouveau roi d’Angleterre incommode-t-il Monsieur Mélenchon ? Quand on se compare humblement à Louis XI, « sommet de l’habileté et de l’intelligence politique » (sic) on doit être bon prince et supporter la monarchie des autres.  Charles III était-il « déguisé » le 6 mai dernier ? Pas plus sans doute qu’un Evo Morales président de la Bolivie de 2006 à 2019 et qui aimait se parer du costume traditionnel ou de la célèbre Chompa bolivienne lors de ses déplacements, y compris à l’étranger. Était-il éhontément « couvert de bijoux et de pierres précieuses » ? Sans doute moins qu’Eva Perón en son temps, la célèbre madone argentine des pauvres « sans-chemises » (en espagnol, « descamisados ») ayant déclaré, au milieu de ses tailleurs Prince de Galles, ses quelque 120 montres, ses colliers de pierres précieuses et son émeraude de 48 carats : « les pauvres aiment me voir jolie, ils ne veulent pas que celle qui les protège soit une vieille femme mal fagotée. » Les « sirops dégoulinants » de la monarchie britannique ne sont rien par rapport à la mélasse tropicalo-andine de l’extrême gauche latino-américaine, source d’inspiration inépuisable pour LFI qui se réjouit d’ailleurs des récentes « casserolades » françaises, produits contestataires d’importation latino (cacerolazos) susceptibles de faire se trémousser le sans-culottisme au rythme de la salsa et du merengue.

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L’autocritique de Monsieur Mélenchon a donc de quoi inquiéter, effectivement. Peut-être est-il mûr, à ce stade de clairvoyance, pour la lecture des ouvrages de l’historien mexicain Enrique Krauze (1947), récompensé en Espagne en 2021 du célèbre prix Historia Órdenes Españolas. Ses livres sur le populisme latino-américain expliquent avec précision les ressorts de cette dangereuse essentialisation du peuple conduite de façon quasi mystique par un leader politique convaincu de sa mission de rédemption par-delà les échecs de l’histoire. Ça, c’est la prochaine étape de l’autocritique pour celui qui hésite entre « la République c’est moi » et « notre boussole c’est le peuple. »



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