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Le casse-tête du recrutement de nouveaux enseignants

Face au manque de candidats, quelles solutions s'offrent à Pap Ndiaye?


Le casse-tête du recrutement de nouveaux enseignants
Salle de classe au Lycée Louis Le Grand à Paris, 2020 © Olivier Coret/SIPA

Nous manquons déjà d’enseignants, nous allons en manquer bien davantage: toujours optimiste, notre chroniqueur explique pourquoi ça ne s’arrangera pas de sitôt, à moins de renverser la table.


Malgré les mirifiques hausses de salaire promises, et la perspective d’exercer un métier de fainéant tout rempli de vacances, et en dépit de la grande mansuétude programmée des examinateurs, le ministère de l’Education peine encore cette année à trouver, dans maintes spécialités, plus de candidats que de postes à pourvoir. Quelle malédiction s’exerce ainsi sur le recrutement futur des maîtres ?

En fait, même si le ministère leur promettait la lune — un salaire de départ supérieur à 2000 € après six ans d’études, et une première nomination à côté de chez eux —, la situation n’aurait que peu de chances de s’améliorer. Il en est des enseignants comme des médecins (on sait que les déserts médicaux s’accroissent chaque année) : c’est moins un hypothétique numerus clausus qui est en cause que l’épuisement du vivier. Le problème est avant tout démographique.

Qui risquerait une décapitation pour 2000€ par mois ?

Un regard sur les modifications démographiques depuis la dernière guerre permet de saisir la situation — et les réalités antérieures. Les boomers ont fourni le gros des troupes, dans l’enseignement comme dans d’autres corps, à partir des années 1970, quand ils sont arrivés en âge de travailler. En ces années 2020, la plupart d’entre eux sont désormais à la retraite — même moi qui ai cotisé 49 ans, fait cours pendant 45 ans et suis parti, contraint et forcé, à 67 ans accomplis. Remplacer poste pour poste ces départs massifs est parfaitement impossible, et les revendications syndicales sur le dédoublement des classes sont sans objet : aux myriades d’enfants des années 1950-1960 ont succédé des classes creuses (1970-2000), qui arrivées à l’âge adulte ne fournissent pas assez de candidats pour se substituer à leurs aînés. Et ce, alors qu’un nouveau babyboom, autour des années 2000, a notoirement augmenté le nombre d’élèves.

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Ou si vous préférez, pour dix profs qui partent, cinq tout au plus se présentent. Et il ne saurait y en avoir davantage, sauf à inciter les quinquagénaires à entrer sur le tard dans une profession peu lucrative (et à l’âge mûr on n’a pas la même perception du lucratif qu’à 20 ans, où 2000€ sont encore une somme), mal considérée, et démesurément pénible, voire dangereuse. Qui risquerait une décapitation pour 2000 € par mois ? Ou même une agression d’un parent courroucé parce qu’on ne reconnaît pas le génie intrinsèque de Monchéri-Moncœur — ou simplement qu’on lui a confisqué son portable ?

Nous nous retrouvons donc aujourd’hui avec une masse d’élèves — ce qui génère de la part du ministère une offre assez copieuse de postes, d’autant qu’il faut mécaniquement remplacer les retraités — auquel le faible nombre d’adultes quasi trentenaires ne peut fournir d’enseignants, ni de docteurs : voir la grande misère de la médecine scolaire, sans parler des carences atroces de personnels spécialisés pour les élèves handicapés, balancés de ce fait parmi des camarades qui ne sont pas forcément sympas, face à des maîtres qui ne sont pas formés pour les suivre.

Le ministre de l’Education nationale Pap Ndiaye quittant l’Elysée après le Conseil des ministres © Jacques Witt/SIPA

Profs recrutés à la va-vite mis face à des jeunes crétins

Auditionné le jeudi 26 janvier par la délégation à la prospective du Sénat, Jacques Attali, auteur en 2022 des Histoires et avenirs de l’éducation, est revenu sur deux tendances négatives pour l’éducation : une « dictature de l’ignorance », liée à une démographie croissante — trop de jeunes à la cervelle vide et aux certitudes létales ; et une « barbarie technologique », liée au temps passé sur les jeux vidéo (de moins en moins) et les réseaux sociaux (de plus en plus).

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La confrontation d’enseignants mal formés, recrutés à la va-vite (le ministère est en train d’explorer la piste de la titularisation de personnels sans concours) et de jeunes crétins qui croient tout ce qu’ils trouvent sur TikTok et sont persuadés qu’« influenceur » est une situation d’avenir n’a aucune chance de bien se terminer.

C’est l’éternelle histoire du quantitatif et du qualitatif. Autrefois, la qualité du maître contrebalançait sans peine l’ignorance des masses qu’on lui confiait. Aujourd’hui, le rapport s’est tellement détérioré que les foules adolescentes ignares l’emportent aisément sur des maîtres trop peu nombreux et très mal formés. Ajoutez à cela que la loi Jospin (1989) a donné aux jeunes hilotes le pouvoir de s’exprimer à leur gré, et que certains inspecteurs s’inquiètent lorsque la salle de classe n’est pas animée d’un brouhaha permanent, signe, paraît-il, d’une effervescence intellectuelle…

Et ceux qui croient qu’en embauchant plus d’adultes permettra de réduire les tensions sont victimes d’une très dangereuse illusion. La seule chose qui peut contrarier les certitudes glauques des petits barbares, c’est la qualité des maîtres. Bien plus que leur nombre.

Les consignes pédagogiques prodiguées par les IUFM / ESPE / INESPE (seule l’étiquette change, le contenu est toujours imbuvable), additionnées aux manques flagrants de maîtrise académique des néoprofs, plus le manque chronique de maîtres, incitent l’administration à recruter plus bas, toujours plus bas, ne permettant guère de se montrer optimiste.

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Et pour reprendre le diagnostic de Jacques Attali, ce déséquilibre entre la masse des jeunes et le déficit des adultes entraîne une montée de la barbarie intellectuelle. Sans encadrement sérieux, les jeunes penchent fatalement vers le côté obscur de l’ignorance, là où les certitudes les plus glauques, les fanatismes les plus dangereux s’expriment à l’air libre, puisqu’aucun savoir réel ne vient les contrebalancer.

Des solutions existent pourtant

—Il faut régionaliser l’Education Nationale, afin que les décideurs soient au plus près des besoins. Cessons de penser en uniformisation jacobine. Réorientons les moyens localement en fonction des besoins. Si une classe, un collège ont besoin de six heures de Français au lieu de quatre, il faut pouvoir sortir du carcan du « collège unique » et donner plus à ceux qui savent moins. Quitte à sacrifier momentanément telle ou telle discipline secondaire. Enseigner l’anglais en Primaire à des enfants qui ne maîtrisent pas le Français est absurde. Organiser des « sorties scolaires » pour herboriser aux îles du Frioul alors que les bases des maths ne sont pas maîtrisées est criminel.

—Les augmentations de salaire doivent être plus conséquentes. Lorsque le nombre de candidats est plus restreint, il faut attirer de nouvelles vocations. Et on ne les attirera pas avec du vinaigre. Par ailleurs, il faut trouver un mode de rémunération annexe en fonction du mérite — non pas le mérite d’inventer des pédagogies actives et autres merveilles pédagogiques, mais d’amener chaque élève au plus haut de ses capacités.

—Il faut supprimer tout ce qui est aujourd’hui dissuasif. En régionalisant le recrutement ­— ce qui est déjà le cas pour les professeurs des écoles —, on promettrait une première nomination dans un rayon raisonnable. Pas à Pétaouchnok, localité bien connue de Seine-Saint-Denis. Ni à Trifouillis-les-Oies, village attenant aux Quartiers Nord de Marseille et de Villeurbanne à la fois.

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—Il faut reprendre en main la formation, en recréant les anciennes Ecoles Normales d’un côté — où l’on enseignait les disciplines, et non je ne sais quelle didactique de la sodomisation des coléoptères. On ne fait pas cours avec de la bienveillance et de l’écoute (en tout cas, pas seulement), mais avec des savoirs dispensés par des maîtres qui les maîtrisent à des élèves qui les ignorent.

—Et pour le second degré, en dehors de l’agrégation, qui vu sa difficulté confère à ceux qui la passent un saut qualitatif et doit être conservée telle quelle (en nommant enfin prioritairement les agrégés en lycées, et non plus dans des collèges « Prévention Violence ou Ambition Réussite, deux appellations contrôlées visant à tromper les parents sur les contenus déplorables de l’enseignement que l’on y dispense), il faut ressusciter cette bourse autrefois appelée IPES, obtenue sur concours à Bac + 1, et octroyée en échange d’un contrat décennal.

—Enfin, il faut d’urgence remettre à niveau les enseignants sortis des concours depuis dix ans. Lesdits concours ont tellement abandonné les savoirs au profit de compétences pédagogiques farfelues qu’ils n’ont plus, la routine aidant, que des bribes des savoirs effectivement requis. L’introduction d’une question de grammaire au Bac de Français fin Première a permis de mesurer l’ampleur des gouffres conceptuels de certains. Là encore, seuls les agrégés de Lettres sont encore formés à manipuler des concepts grammaticaux solides.

J’ajoute qu’il me semblerait normal que l’on interdise à des élèves (par exemple aux ex-élèves de classes préparatoires, ceux qui sont les plus coûteux dans le système français — entre le double et le triple de ce que coûte un étudiant d’université) formés en France d’aller exercer leurs talents, dans les dix ans qui suivent leur sortie du système qui les a biberonnés, dans un autre pays que le nôtre.

Je soumets ces divers projets à l’appréciation du lecteur. Peut-être me jugera-t-il trop coercitif. Mais on n’a pas le beurre et l’argent du beurre sans pressurer un peu la crémière.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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