C’est la consécration pour Greta Thunberg, laquelle a déjà reçu deux doctorats honoris causa.
L’université de Helsinki vient d’annoncer que, le 9 juin, Greta Thunberg recevra le titre de docteur honoris causa pour récompenser son activité de militante écologique.
Les diplômes honorifiques ont été inventés par les universités médiévales afin de reconnaître et de récompenser l’érudition de certains individus sans les obliger à passer des examens. Aujourd’hui, ces diplômes sont devenus des marques de distinction décernées à des personnalités éminentes sans grand lien avec le travail académique.
Dans le cas de Greta Thunberg, ce lien est particulièrement ténu et paradoxal. Il semble que, non seulement la jeune femme de 20 ans n’a pas encore commencé d’études universitaires, mais qu’elle n’a pas passé l’équivalent d’un baccalauréat. En 2019-2020, elle a pris une « année sabbatique » pour voyager, en faisant notamment deux traversées « décarbonées » de l’Atlantique à bord d’un voilier et d’un catamaran – sauf que le déplacement en voilier aurait nécessité six billets d’avion entre l’Europe et les États-Unis pour des membres de l’équipe. En 2018, elle avait refusé d’aller à l’école et a encouragé tous les enfants autour de la planète à faire une « grève scolaire pour le climat ». Malgré cette façon de ne pas rendre service à l’éducation, elle a déjà reçu deux doctorats honoris causa, un de l’université de Mons, en Belgique, en 2019, et un autre de l’université de la Colombie-Britannique Okanagan, en 2021. Curieusement, ce dernier doctorat était en droit. Plus bizarrement encore, celui qui lui sera décerné par Helsinki sera en théologie. Est-ce reconnaître que le changement climatique ne relève plus de la science, mais est hissé au rang de religion?
Un volume Quarto est consacré au romancier québécois Réjean Ducharme (1941-2017). Une manière de découvrir Ducharme, un écrivain secret, jamais apparu dans les médias…
Réjean Ducharme, c’est d’abord quatre livres, « achevés pratiquement en même temps, au début de la vingtaine, en quelques années de fécondité créatrice exceptionnelle ». Gallimard sera son éditeur historique, avec des lecteurs comme Raymond Queneau et Dominique Aury, excusez du peu. « À prendre sans hésiter », écrivent-ils tous les deux, fascinés par le jeune génie. Pour son premier roman, paru en 1966, L’Avalée des avalés (Ducharme est très fort pour les titres), Queneau va même essayer de lui faire obtenir le prix Goncourt, hélas en vain, même si le livre est un succès immédiat, et durable.
Émule rajeuni de Léautaud
Aujourd’hui, quelques années après sa mort, on connaît davantage d’éléments sur la vie de Réjean Ducharme. Le monde universitaire, surtout québécois, s’est beaucoup intéressé à lui. Certains aspects de sa vie privée sont venus confirmer l’étrangeté de ses livres. Ne serait-ce, pour l’anecdote, que sa manière de s’habiller, qui en fait un émule rajeuni de Léautaud: « blouson, tee-shirt ou pull à col rond, jeans en velours côtelé, baskets délacées, tête nue ». Mais arrêtons-nous un instant sur ses lectures, car Ducharme était un lecteur passionné. Il lisait beaucoup Céline, Queneau, mais aussi Tolstoï, ainsi que Le Clézio, dont il deviendra l’ami (« Je crois, lui écrit Le Clézio, que vous êtes […] le seul poète que j’ai jamais rencontré »). Il se met par ailleurs au Bruit et à la fureur de Faulkner, mais sans succès: « Comprends pas. N’aime pas », écrit-il dans son Journal. Il faut savoir également que Ducharme s’est intéressé à Lacan.
« L’absolu de l’amour »
La vraie inspiration de ses romans, néanmoins, réside en lui-même, dans son cœur et sa propre humanité. Comme l’observe la préfacière: « Partout, l’absolu de l’amour, de l’amitié et de la liberté, incarnés dans une enfance dure dont le deuil ne veut surtout pas finir… » Le Nez qui voque, en 1966, fait penser, selon les critiques, à la fois à L’Attrape-cœurs de Salinger et à Lautréamont. Quand Ducharme propose Les Gros Mots à Antoine Gallimard, en 1998, celui-ci, décontenancé par le manuscrit, lui fait une réponse hésitante, faisant valoir qu’il ne retrouve pas ce dont il avait l’habitude chez lui: la « richesse du style » digne de Rimbaud, l’« inventivité verbale », avec ses jeux de mots et ses pitreries coutumières, et la « verve » de l’écrivain, point central de son absolue sincérité. Le roman, heureusement, paraîtra quand même. Ce sera son chant du cygne.
L’esprit du Nord
Tous les romans de Ducharme sont porteurs de cette nostalgie très reconnaissable des années soixante-dix, décennie inoubliable pour ceux qui l’ont vécue, et peut-être aussi pour ceux qui sont nés après. Une œuvre de 1973, que contient également ce « Quarto », L’Hiver de force, le plus lu de ses ouvrages au Québec après L’Avalée des avalés, nous présente le fonds de cet imaginaire propre à Ducharme. C’est un récit, cette fois, et non un roman. La notice le dit: « Comme une capsule de l’air du temps des années soixante-dix, le livre saisit les discours de l’époque du point de vue d’une marge artistique, intellectuelle et politique contestataire dont il emprunte la langue. » Nous sommes ici peut-être proches de certains romans de Thomas Pynchon, mais avec davantage d’esprit du Nord, comme dans l’abbaye glaciale de L’Avalée des avalés qu’habite la petite Bérénice, qui rêve de soleil et de chaleur humaine.
La France a adopté depuis le début ce cousin de la lointaine province. Les éditions Gallimard en ont fait un de leurs auteurs fétiches, lui apportant aide et encouragement. Ducharme a reçu plusieurs prix, chez nous, dont, en 1999, le grand prix national des Lettres. C’est le moment, grâce à ce « Quarto », de revenir sur les romans de Réjean Ducharme, et d’en apprécier la suprême nécessité.
Réjean Ducharme, Romans. Édition établie et présentée par Élisabeth Nardout-Lafarge. Éd. Gallimard, collection « Quarto ».
Pascal Bonafoux publie un guide anachronique de Rome qui s’écarte des sites touristiques et des réflexions convenues
Aujourd’hui, si le livre sort du cadre marchand, sa viabilité ne sera plus assurée, on ne donnera pas cher de sa peau. Il doit se plier au pitch, à la bouillie intellectuelle du moment et aux facilités de langage. Oubliez le style et l’étrangeté, l’hybridation et le cocasse, la phrase sauvage et l’érudition primesautière, misez plutôt sur l’argumentaire mâchonné et les idées molles dans le vent pour sa réussite commerciale.
Pascal Bonafoux, historien de l’art, déjoue les mécanismes fainéants de notre époque en proposant un Guide anachronique de Rome à l’usage de ceux qui se demandent pourquoi elle est la seule ville éternelle aux éditions arléa.
À la fois manuel savant hautement historique, réflexions littéraires qui décrassent la tête, goût du paradoxe et du saute-mouton chronologique, ce guide ne déroule pas une fatuité linéaire et n’enfile pas les poncifs. Il surprend par sa charge poétique, ses références précieuses et son dilettantisme souverain, une forme de détachement qui sied aux meilleurs universitaires de notre pays.
Un livre qui ne suit aucune trace préétablie, qui ne s’inscrit dans aucune mode factice, qui promène seulement son lecteur entre Nicolas Gogol et Fellini, Dickens et Joachim du Bellay, Nicolas Poussin et Charles Dupaty, qui passe de la louve à Alberto Moravia, d’un pape oublié aux indulgences de Boniface VIII, d’un trait de plume facétieux et inspiré. Sur les conseils de Stendhal qui écrivait: « Je dirais aux voyageurs: en arrivant à Rome, ne vous laissez pas empoissonner par aucun avis; n’achetez aucun livre, l’époque de la curiosité et de la science ne remplacera que trop tôt celle des émotions », Pascal Bonafoux estime lui aussi qu’un tel guide aussi riche qu’ennuyeux « désorienterait » le visiteur, serait même un frein à la communion. Un tue-l’amour. « Car il (vous) priverait du dialogue singulier qu’est, à Rome, celui des ruines et du faste. D’un faste qui ne serait pas ce qu’il est sans les ruines » conclut-il. A Rome, les ruines sont un manteau d’hermine souvent trop encombrant, trop chaud, trop solennel, trop aveuglant et cependant nécessaire à une forme de désœuvrement, voire de découragement intérieur. La « ville éternelle », poussiéreuse et pesante, déploie une langueur qui s’infiltre en vous et ne vous quitte plus. Malgré ses millions de touristes qui se déversent chaque année dans son centre-ville, elle ne lâche rien, impénétrable et indolente, hiératique, elle se moque, elle vous nargue, elle vous capture à votre insu. Elle m’inspire un sentiment d’épuisement à force de vouloir toucher son absolu. Elle sent le ragoût et les tripes, les entrailles du monde civilisé.
Le Tibre et sa couleur douteuse perturberont longtemps vos songes. « Il y a peu d’autres villes qui, comme Rome, peuvent prétendre être une cité palimpseste: un parchemin manuscrit dont on a effacé la première écriture pour pourvoir écrire un nouveau texte, telle en est la définition. Et elle aura été la première à l’être » souligne l’auteur. Alors, nous continuons à l’explorer, en s’exilant jusqu’à Garbatella ou en se promenant du côté de Testaccio, avec le guide Bonafoux sous le bras, comme un acte de résistance à la pensée unique.
Guide anachronique de Rome de Pascal Bonafoux – arléa
Parmi les nombreuses éditions des Illuminations que nous possédons, celle qui nous accompagne un peu partout date de juin 2000, dans la collection Librio. La couverture représente « Les saules au coucher du soleil » de Van Gogh, ce qui n’est pas un choix idiot du tout. D’abord parce que les dates de naissance et de mort du peintre à l’oreille coupée (1853-1890) coïncident presque exactement avec celle du poète voyou voyant (1854-1891) et que les deux, chacun dans leur domaine, sont à l’origine d’une véritable révolution dans la perception.
Cette édition ne comporte pas de notes, ce qui est toujours plaisant, et puis comment ne pas aimer ce volume qui a aussi bien vieilli qu’une veste en tweed et qui est libellé en francs – vous vous souvenez sans doute du franc, qui a précédé l’actuelle monnaie d’occupation austéritaire.
Nous voulions juste lui rendre hommage, car c’est elle qui nous accompagne en voyage depuis plus de 20 ans et nous permet de relire avec un œil neuf, c’est-à-dire très ancien (bonheur de Rimbaud, on ne lit jamais le même poème, même au bout de la centième fois), par exemple Enfance, après une ascension solitaire et matinale vers le Kastro de Plaka, sur l’île de Milos…
Enfance
À la lisière de la forêt, – les fleurs de rêve tintent, éclatent, éclairent, – la fille à lèvre d’orange, les genoux croisés dans le clair déluge qui sourd des prés, nudité qu’ombrent, traversent et habillent les arcs-en-ciel, la flore, la mer.
Cette idole, yeux noirs et crin jaune, sans parents ni cour, plus noble que la fable, mexicaine et flamande; son domaine, azur et verdure insolents, court sur des plages nommées, par des vagues sans vaisseaux, de noms férocement grecs, slaves, celtiques.
Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la mer; enfantes et géantes, superbes noires dans la mousse vert-de-gris, bijoux debout sur le sol gras des bosquets et des jardinets dégelés, – jeunes mères et grandes sœurs aux regards pleins de pèlerinages, sultanes, princesses de démarche et de costumes tyranniques, petites étrangères et personnes doucement malheureuses.
Quel ennui, l’heure du « cher corps » et « cher cœur »!
Par nature dépressif, l’homme moderne a bien du mal à ne serait-ce que sourire devant le spectacle affligeant du « monde tel qu’il ne va pas » (Chesterton)…
Il lui arrive cependant, certains jours, au début du printemps, entre deux averses, d’échapper comme par miracle à la morosité qui mine ses journées solitaires et, durant ces moments fugaces, de risquer de mourir de rire en prenant connaissance des absurdités qui, la veille encore, l’accablaient – ce qui est a priori plus plaisant que d’agoniser la tête dans le four à gaz. Ces derniers temps ont été riches en pitreries en tous genres. Profitant d’une humeur primesautière passagère, votre serviteur a colligé les plus savoureuses parmi celles qui ont failli le faire passer de vie à trépas dans un dernier éclat de rire.
Mort de rire 1 : en entendant Roselyne Bachelot, toute de rose bonbon vêtue, se moquer du physique du roi Charles III et des « vêtements de carnaval » qu’arboraient ce dernier et ses invités pour son couronnement. Elle a vu, dit-elle en parlant du couple royal, « deux glands » au balcon. De la même manière qu’il existe une « bêtise du second degré » (Rosset), il existe une vulgarité du quatrième pouvoir – Mme Bachelot réussit la prouesse de cumuler les deux. Sur BFMTV, accoudée à son pupitre comme un poivrot à son comptoir, tout le dentier à l’air, attifée faut voir comme, la commère médiatique a lâché son venin contre la monarchie britannique. Cette cancanière, qui aura passé sa vie, empaquetée dans des toilettes aux couleurs aussi criardes que sa voix, à médire sur ses congénères politiques et à ricaner sur les plateaux de télévision, donne des leçons de maintien à la royauté anglaise – je me tiens les côtes !
Mort de rire 2 : en apprenant qu’Adèle Haenel arrête le cinéma pour se lancer dans une carrière révolutionnaire. Ici, la bêtise est au premier degré. C’est de la bêtise bêtasse, de la bêtise brute, sans chichi. Adèle Haenel est l’archétype de l’individu nombriliste, abruti et inapte à toute réflexion personnelle. Après avoir pioché dans les tracts de Révolution Permanente le peu de vocabulaire politique qu’elle connaît, la voici qui se répand dans les AG des universités ou dans quelques obscures officines gauchistes. Le regard halluciné et haineux, cette révolutionnaire de comédie ne comprend pas la moitié de ce qu’elle dit. Elle mâchonne généralement des bribes de phrases incohérentes desquelles émergent les mots patriarcat, capitalisme, écocide, biodiversité, virilisme, etc., c’est-à-dire toute la bouillie wokisto-écolo-gauchiste. Haenel parle comme Despentes écrit, c’est-à-dire mal. En Chine, dans les années 60, elle aurait fait une très vigilante Garde rouge assidue aux tâches de rééducation des « bourgeois » qu’elle déteste de tout son cœur puisqu’elle n’a d’amour que pour « celleux » qui « organisent la résistance » et « essayent d’arracher un avenir à cette planète », gribouille-t-elle dans sa lettre de démission. Le cinéma français perd une actrice qui n’avait aucun talent, il n’y a donc pas grande perte. Et je me réjouis d’avance en pensant aux camarades révolutionnaires qui vont se coltiner cette truffe et qui, au bout d’un moment, inévitablement, vont la trouver saumâtre.
Adèle Haenel. Festival du film d’Angouleme 2019. Auteurs : Lionel GUERICOLAS/MPP/SIPA.
Mort de rire 3 : en constatant que c’est dans Télérama, c’est-à-dire le magazine le plus bobo qui soit et dont le lectorat est un concentré de tout ce que hait Adèle Haenel et, en même temps, de tout ce qu’elle représente – une petite-bourgeoisie éprise d’elle-même, toujours prête à se laver la conscience en public et à donner des leçons de morale, culturellement cultureuse, c’est-à-dire netflixienne et trapenardienne, moutonnière et conformiste – qu’Adèle Haenel s’est épanchée. Histoire de nous achever, Libération prend le relais et « salue l’acte politique » de l’actrice, tandis que Le Monde sonde tous les faux-culs du 7ème art qui, « admiratifs », évoquent son « courage ». Pitié, laissez-nous le temps de respirer !
Mort de rire 4 : en découvrant que “Le prix du passage”, film représentatif du cinéma engagé qu’Adèle Haenel appelle de ses vœux puisqu’il narre les aventures de Natacha et d’un migrant irakien « improvisant une filière artisanale de passages clandestins », complète la longue liste des films à message immigrationniste que personne ne va voir : après trois semaines d’exploitation, le nombre d’entrées culmine à 7300, dont… 31 entrées pour la seule troisième semaine. Ça sent le sapin. Ceci dit, c’est beaucoup mieux que la dernière daube de BHL (“Slava Ukraini”, 1024 entrées en tout) qui elle-même surpassait l’avant-dernière réalisation du même BHL, “Une autre idée du monde”, qui a en effet réussi l’exploit d’attirer 152 spectateurs lors de sa première et… dernière semaine d’exploitation.
Mort de rire 5 : en baguenaudant sur le compte Twitter de Sandrine Rousseau. Un trésor. Une mine. En plus des tweets, la députée EELV inclut des vidéos de ses passages à la radio ou à la télé, morceaux choisis de toutes les âneries qu’elle a pu proférer. Un coup de moins bien ? La sensation de ne pas être intellectuellement au mieux ? Une seule solution, un seul remède, plutôt que de vous désoler sur vous-même, comparez-vous à Sandrine Rousseau en visitant son compte Twitter. Si, pour une raison ou une autre, celui-ci est inaccessible, vous pouvez vous requinquer l’hypophyse en vous rabattant sur ceux de Mathilde Panot ou de Louis Boyard. Je peux vous assurer qu’après avoir vu ça, même le plus neuneu des neuneus se sent pousser des ailes, intellectuellement parlant bien sûr.
Mort de rire 6 : en voyant, sur différents plateaux, le visage inspiré et concentré des journalistes gobant la prose insipide du plus lamentable des professeurs d’université gauchistes, j’ai nommé Mathieu Slama, le chienchien à sa mémère mélenchoniste, le mètre-étalon de la bêtise du second degré.
Mort de rire 7 (a): en entendant le rappeur Maître Gims expliquer que les pharaons avaient l’électricité à tous les étages de leurs pyramides.
Mort de rire 7 (b) : en entendant Rama Yade prendre la défense du rappeur et revisiter l’histoire du continent africain. Bon d’accord, dit-elle, Master Gims en a un peu rajouté à propos des pyramides presque nucléaires mais, « dans l’esprit », il n’avait pas tort : l’Afrique, du néolithique à l’antiquité, a devancé l’Europe en tout, science, agriculture, art, etc. L’humoriste Rama Yade est actuellement en tournée aux États-Unis. Il nous tarde de connaître les prochaines dates de sa tournée en France.
Mort de rire 8 : en apprenant, sur France Inter, de la bouche de notre ministre de l’Éducation nationale, comment celui-ci compte faire rattraper aux élèves les heures perdues de mathématiques à cause de l’absence, pour cause de maladie, d’un professeur de mathématiques remplacé par un professeur d’anglais qui, naturellement, n’aura dispensé que des cours d’anglais. Il suffira, dit Pap Ndiaye, d’attendre que le professeur d’anglais tombe malade à son tour, et de le faire remplacer par le professeur de mathématiques revenu de son congé maladie qui, naturellement, dispensera des cours de mathématiques à la place de ceux d’anglais, rattrapant ainsi son retard. On dirait un sketch des Monthy Python.
Mort de rire 9 : en entendant le cri d’horreur poussé par Adjoa Andoh. Cette actrice britannique d’origine ghanéenne a été profondément choquée par les cérémonies du couronnement de Charles III. Motif ? « C’était terriblement blanc », a-t-elle dit en désignant le balcon du Palais de Buckingham. Il faut dire qu’Adjoa Andoh a joué dans la série américaine “La Chronique des Bridgerton”. Bien que se déroulant pendant la régence anglaise du XIXe siècle, ladite série joue à fond la carte de la diversité au mépris de la vérité historique : jamais haute société anglaise n’aura compté autant d’individus noirs ou métis parmi ses membres. On comprend mieux la déception d’Adjoa Andoh qui a dû prendre pour argent comptant la conception toute netflixienne de l’histoire du Royaume-Uni. Sans doute croit-elle également que la deuxième épouse d’Henry VIII était noire : la BBC a en effet diffusé en 2021 une mini-série sur la vie d’Anne Boylen dans laquelle cette dernière était interprétée par Jodie Turner-Smith, une actrice… noire.
Mort de rire 10 : en lisant quelques passages de la dernière production de la Castafiore guyanaise, Christiane Taubira, une pièce de théâtre intitulée Frivolités – titre affriolant mais mensonger. C’est lourd, très lourd ; et drôle, très drôle tellement c’est lourd. Dans ce fourre-tout revendicatif et woke, des femmes de différentes ethnies dénoncent les Blancs, l’Occident, la colonisation, le capitalisme, la masculinité toxique et la police en écoutant des chansons d’Anne Sylvestre et de James Brown ou en tapant sur des tambours. Certaines répliques semblent avoir été écrites par Sandrine Rousseau : « En effet il ne suffira pas de virer les hommes, il faut monter les bas salaires, plafonner les dividendes, interdire la chasse à courre, contrôler les pesticides, alléger les abattoirs, réduire le temps de travail… » – d’autres par Lilian Thuram : « Cette ignoblerie de Blancs qui vendent des Noirs, ça a laissé plein de traces dans le racisme aujourd’hui encore ». Musicalement, il est prévu, entre autres, une « prestation de washboard lors du dialogue sur l’endométriose (sic) », dialogue durant lequel les mégères taubiresques envisagent que le mot « endométriose » devienne « une injure au masculin : ce salaud d’endométriose, par exemple ». David Bobée, le directeur woke du Théâtre de Lille et cofondateur du collectif “Décoloniser les arts”, semble tout désigné pour mettre en scène cette grotesque farce, ce boudin théâtral. J’ai hâte de voir ça.
Mort de rire 11 : en apprenant que Charline Vanhoenacker et sa bande de ricaneurs sont virées de la prochaine grille quotidienne de France Inter. À gauche, le milieu culturo-médiatico-politique est tout retourné. Aymeric Caron, le brocoli poivre et sel de la Nupes, est très inquiet et s’interroge sur Twitter : « Serait-ce un choix politique ? » Télérama craint « une possible dépolitisation de l’humour ». Mona Chollet, à dada sur son balai, frissonne en retweetant l’article de Télérama. La penseuse poitevine, Ségolène Royal, affirme que c’est « incompréhensible ». Libération et L’Humanité sont en émoi. Waly Dia, un autre humoriste pas drôle de la radio publique, appelle à signer la pétition « Sauvons “C’est encore nous” ».Un des « humoristes » de l’émission bientôt défunte, Aymeric Lompret, remerciait il y a quelques mois, sous les ricanements de ses acolytes, « les fachos d’avoir payé [la redevance audiovisuelle] pour qu’on dise que vous êtes des gros cons ! » Finalement, il y a une justice en ce bas monde. Mort de rire !
Actualité plutôt maigre ce mois-ci à l’Assemblée… Après le tumulte de la réforme des retraites, les députés se sont comme assoupis. Enfin, façon de parler: il me reste quand même quelques élucubrations à vous conter!
Holodomor
La famine comme arme de guerre. Comme « solution finale ». Le « grenier à blé » de l’URSS transformé en « cimetière des affamés ». Cette famine impitoyable de 1932-1933 a été orchestrée, organisée, planifiée par un pouvoir soviétique qui voulait piller et asservir l’Ukraine. Quatre millions – certains avancent un chiffre encore plus important –, quatre millions d’Ukrainiens, principalement des paysans, furent alors condamnés à la famine et à la mort. Dissimulée aux yeux du monde, cette tragédie est restée désespérément taboue pendant des décennies. À l’heure où des millions de paysans périssaient, condamnés à mort par un régime qui voulait briser leur résistance, le journal L’Humanité affirmait, en août 1933, aveugle ou complice : « Il n’y a pas de famine en Ukraine ni dans aucune république ou région de l’Union soviétique. Mais la campagne antisoviétique fait rage parce que l’URSS a déjoué tous les plans d’agression, parce que sa puissance grandit, parce que sa politique de paix enregistre des succès retentissants. »
Cette tragédie, depuis largement documentée, n’a jamais été reconnue par la France. L’Assemblée nationale s’en saisit enfin. Le timing est le bon, symboliquement au moins. L’ambassadeur d’Ukraine en France se tient en tribune de l’Hémicycle et écoute attentivement les débats. Car il n’y a pas consensus. Si la majorité des historiens s’accordent aujourd’hui pour affirmer que l’Holodomor est un génocide, La France insoumise et les communistes ne sont pas prêts à l’accepter. Les premiers, parce que « dans les campagnes ukrainiennes, les victimes de la famine ne furent pas uniquement des Ukrainiens » et les seconds au motif qu’ils « refusent par principe de contribuer à la politisation des enjeux de mémoire et d’histoire ». Mais aussi, et c’est plus grave, parce qu’ils s’interrogent – il faut oser – sur l’opportunité « de voter ce texte qui nous rapprochera un peu plus du point de non-retour dans nos relations avec la Russie »…
Pour ma part, je l’ai dit à la tribune, s’il nous a fallu aussi longtemps pour nous saisir de cette question, c’est parce que le communisme a bénéficié d’un traitement différent des autres totalitarismes qui ont défiguré le xxe siècle. Cent millions de morts mais, aujourd’hui encore, certains continuent de s’en revendiquer ! Imaginez un instant qu’un parti politique se réclame du fascisme ou du nazisme ! En revanche, se définir comme communiste après le goulag, Pol Pot, la Révolution culturelle ou la chasse aux homosexuels chez Castro ne semble pas troubler certains…
Résultat du vote : 168 pour. Les deux députés communistes présents votent contre, tandis que leurs collègues LFI ne prennent pas part au vote. Quatre-vingt-dix ans plus tard, la lâcheté est toujours la même de ce côté de l’échiquier politique. Ils n’ont rien appris et ne veulent rien apprendre. Peut-être parce que, pour ne pas déplaire à Staline, nous n’avons jamais osé un Nuremberg du communisme. Nous le payons encore aujourd’hui.
Chers attachés parlementaires
On parle peu d’eux. Dommage parce qu’ils sont tout simplement indispensables, incontournables. Je veux parler, bien sûr, des attachés parlementaires. J’en ai trois. Deux à Paris et une à Béziers. Dans mon bureau de la capitale – comme on dit chez nous –, nous sommes entassés les uns sur les autres. À ceux qui nous imaginent dans des locaux spacieux, je propose de venir jeter un œil. La République fait attention à son argent et elle a raison. Je ne me plains pas. Non-inscrite, je ne bénéficie pas des moyens d’un groupe politique. Et, notamment, de ces attachés de groupe justement qui vous mâchent le travail. À nous quatre, nous devons plancher sur tous les projets et propositions de loi. Je dépose des centaines d’amendements par an. Non pour faire de l’obstruction, comme certains s’y emploient. Mais pour préciser, contredire quand il le faut, améliorer, même si le texte est porté par un adversaire politique. Souvent, je me sens seule. Mes attachés sont alors un cocon où je me tiens au chaud. Alors que mes voisins de couloir me parlent peu, ça fait du bien…
Bien vieillir
L’occasion de m’énerver contre la majorité qui présente une loi sur le « bien vieillir ». En clair, la vie des personnes âgées, qu’elles vivent à domicile ou en maison de retraite. Un texte incomplet, imprécis et qui « brasse de l’air ». À l’article 3 de cette proposition de loi, il est précisé que toute personne vivant dans un Ehpad (pour simplifier) a un droit de visite de sa famille et de ses proches. Il me semble important de préciser que le droit de visite concerne, outre les proches, « toute autre personne souhaitée ». Bref, qu’une personne âgée a le droit de recevoir qui elle veut ! Ma proposition est balayée au motif que trop préciser le texte serait restrictif… Les bras m’en tombent : ça doit être ça, la nouvelle méthode du gouvernement !
Brasserie Le Bourbon
Le Bourbon est quasiment une annexe de l’Assemblée. Il est le lieu de rendez-vous. On se croise. On se sourit. On s’ignore. Au gré des sympathies ou des antipathies, de toujours ou du moment. Mais aussi des voisins : il ne s’agirait pas d’afficher une proximité que la bien-pensance condamne… Pourtant, les barrières finissent par tomber. J’ai le sentiment que les années passant, chacun convient – et salue, seulement en privé pour la plupart – de mon travail et de mon absence de sectarisme. Je me fais peut-être des illusions… Je connais maintenant tous les serveurs ou presque. Ils me chouchoutent quand ils me voient en peine, toujours stupéfaite par la mauvaise foi de certains. Il y a même Mike qui vient de Béziers et avec qui j’ai mille sujets à aborder : le vin de chez nous, le rugby, la corrida et… le soleil qui nous manque tant à Paris. Allez, je me dépêche. La séance reprend.
Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.
Un spectre hante le monde, il s’appelle ChatGPT. L’apparition de ce « robot conversationnel » ou de cette intelligence artificielle, « IA » pour les intimes, fait osciller les médias entre effroi et extase. Effroi des conservateurs, pas nécessairement de droite d’ailleurs, et ravissement des progressistes, pas nécessairement de gauche. Avec cette question, toujours en toile de fond : va-t-on réussir à maîtriser la Bête ?
Étonnamment, on trouve Elon Musk chez les angoissés : il signe une tribune collective demandant « une pause immédiate des essais », de crainte que des IA plus perfectionnées que ChatGPT4 provoquent « des perturbations économiques et politiques dramatiques, en particulier pour la démocratie ». C’est d’autant plus surprenant qu’Elon Musk est l’un des cofondateurs de la chose.
Mais le paradoxe n’est qu’apparent : Robert Oppenheimer, le « père de la bombe atomique », a passé sa vie à dénoncer ses dangers pour l’humanité au point de connaître les foudres du maccarthysme. Ce comportement a été parfaitement défini par le philosophe Günther Anders qui expliquait, en 1956, dans L’Obsolescence de l’homme, ce qu’il qualifiait de « honte prométhéenne », c’est-à-dire « la honte qui s’empare de l’homme devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même fabriquées ». On ne pourra pas dire qu’on n’était pas prévenu. La capacité infinie des intelligences artificielles à produire des fake news de plus en plus élaborées et, surtout, à mimer l’être humain, ont fait les beaux jours de la science-fiction depuis l’après-guerre. On songe notamment au génial et prophétique Philip K. Dick qui, dès les années 1950, avec le développement de l’informatique, annonce que l’humanité ne sera jamais plus certaine d’évoluer dans la réalité. Dans Ubik, notamment, qui est censé se passer en 1992, le monde est entièrement falsifié par des machines : « Joe avaitl’impression d’être comme un papillon de nuit et de se heurter vainement contre la vitre de la réalité – une réalité qu’il ne faisait qu’entr’apercevoir de l’extérieur. »
K. Dick a aussi, assez logiquement, influencé le philosophe Jean Baudrillard, mort en 2007. Baudrillard lui a emprunté la notion de « simulacre » et a pensé, par anticipation, dans Le Crime parfait, notre présent sous le signe de ChatGPT : « C’est celui d’une réalisation inconditionnelle du monde par l’actualisation de toutes les données, par transformation de tous nos actes, de tous les événements en informatique pure : la solution finale, la résolution anticipée du monde par clonage de la réalité et l’extermination du réel par son double. »
Rassurons-nous cependant, avec ChatGPT, les affaires continuent puisque le site Boursorama y voit « une opportunité d’investissement ». C’est quand même le plus important.
Le premier roman d’Aurélia Clément, Mamie Loulou, retrace le portrait d’une femme qui aimait trop les livres…
La plupart des grands-mères lèguent à leurs petites-filles le secret d’une recette de cuisine, ou celui d’ôter une tache tenace sur un chemisier blanc. Mamie Loulou, la grand-mère de la narratrice et héroïne du premier roman d’Aurélia Clément (mais est-ce vraiment un roman ?…) ne lègue rien de concret, si ce n’est le mystère de sa vie. Mamie Loulou est morte stupidement : en tombant de son escabeau alors qu’elle voulait attraper un livre. Elle n’avait que 69 ans et était en pleine forme. Cette mamie-là vivait recluse parmi des milliers d’ouvrages, dans une vieille maison dont le jardin était asphyxié par le lierre et les mauvaises herbes.
Pathologie
Durant tout le roman, la narratrice interroge sa grand-mère défunte. Le « tu » marque l’obsession à vouloir comprendre le pourquoi de cet effacement. A-t-elle vécu un jour dans la vraie vie ? s’interroge sa petite-fille. N’est-elle pas, comme dans une tragédie, la petite-fille d’une lignée maudite ? À travers ce questionnement, la narratrice va chercher à cerner sa propre personnalité, et surtout elle espère débloquer les verrous qui l’empêchent de vivre pleinement. Au fur et à mesure qu’elle découvre l’existence très romanesque de sa grand-mère, elle se libère du poids qui pèse sur ses épaules. Le lecteur devient le témoin d’une véritable thérapie. Il découvre le chagrin qui a brisé le cœur de Mamie Loulou, prénommée Louise. Ce chagrin porte un nom : l’abandon.
Elle avait construit une véritable forteresse, pour reprendre le titre du scénario d’Alain Robbe-Grillet écrit pour un projet de film d’Antonioni, avec d’immenses murs de papier où l’on retrouvait les ouvrages de Voltaire, Flaubert, Gide, Camus, Jules Renard, Romain Rolland… Elle était devenue une bibliomane pathologique, s’égarant dans les labyrinthes fictionnels, sans possibilité d’en sortir jamais. Elle s’ensevelit sous les livres.
Ce premier roman tient toutes les promesses d’un bon livre. Grâce à quelques rebondissements crédibles, l’enquête œdipienne ne faiblit pas. Elle permet aussi de revisiter le XXe siècle puisque Louise est née en 1925. Elle a dû batailler ferme pour gagner sa liberté de femme. Militante féministe, sans lunettes idéologiques, Louise, à l’image des femmes de sa génération, a payé cher le prix de la domination patriarcale. Et celui de la lâcheté des hommes.
Le roman, émaillé de nombreuses références littéraires, est également un hommage rendu à la littérature. La narratrice, interrogeant Louise : « Tu désirais être comprise et la littérature te donnait le sentiment d’être acceptée dans toutes tes contradictions. Plus encore, elle minimisait tes échecs en t’offrant la possibilité de combler l’écart entre la femme que tu aurais pu être et la femme que tu étais devenue. » Mais elle poursuit, un peu amère : « Même si tout cela est illusoire, que l’on peut choisir sans regret, que les mots sont impuissants et que les livres, au bout du compte, ne nous rendent pas heureux. »
Il n’y a rien d’étonnant à ce que Madame Bovary ait été le livre de chevet de Mamie Loulou.
Après le retrait précipité de la force Barkhane du Mali en novembre 2022, la perte de 58 soldats français sur ce théâtre d’opération continue de hanter les mémoires. Dans un livre aussi captivant que révélateur, un officier qui a commandé une unité de combat au cœur de la campagne militaire française explique pourquoi il était nécessaire de « combattre et anéantir le serpent islamiste en terre africaine pour protéger nos compatriotes sur le territoire national ». Le succès limité de cette intervention invite à réfléchir sur la capacité de la France à s’engager dans « la guerre de demain ».
De l’intervention française au Mali, les Français se souviennent que, dès 2013, des troupes avaient été déployées dans le cadre de l’opération Serval, puis de l’opération Barkhane, un an plus tard, pour lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes au Sahel et au Sahara, et ce, à la demande du gouvernement malien. Au cours de la dernière décennie, l’armée française perdit 58 soldats sur ce théâtre d’opération. Les cérémonies funèbres se succédèrent dans la Cour d’honneur de l’Hôtel national des Invalides à Paris en hommage à ces valeureux combattants tombés au combat, avec en point d’orgue la mort de 13 soldats français, le 25 novembre 2019. Le 4 janvier 2021, alors que trois soldats français venaient de perdre la vie au Mali, la sergente Yvonne Huynh, 33 ans, mère d’un garçon de 12 ans, fut la première femme tuée au combat depuis le début de l’intervention française au Sahel. Cette mère de famille est décédée dans l’explosion de son véhicule blindé, tout comme son jeune camarade, le brigadier Loïc Risser âgé de 24 ans, provoquant un choc dans l’opinion publique.
Morts pour la France
En France, l’année 2021 fut par conséquent celle du doute et de la peur de l’enlisement, d’autant que l’on apprit que les nouvelles autorités maliennes parvenues au pouvoir après le coup d’État du mois d’août 2020, s’appuyaient désormais, aux dépens des Français, sur les mercenaires de la société militaire privée russe Wagner pour combattre les rebelles djihadistes du Nord-Mali. Le 9 novembre 2022, Emmanuel Macron annonça soudain la fin de l’opération Barkhane[1]. La France allait retirer ses troupes. Une question surgit : à quoi avait donc servi la mort de tous ces soldats français au fil de ces années si éprouvantes pour les familles de ces militaires ?
Dans son ouvrage intitulé Septentrion[2], le colonel de l’armée de terre, François-Régis Dabas, tente de dissiper les doutes, l’amertume et le chagrin en plongeant le lecteur dans un récit de guerre intense et en recontextualisant l’engagement français au Mali. Lui, reste convaincu que, « peu importe finalement l’engrenage qui mène à la fin d’Illion, ce sont les exploits des Achéens et des Atrides qui nous intéressent, pour goûter leurs vertus héroïques et faire grandir notre humanité ! »
Au sein du Groupement tactique « Désert ardent » (GTD Ardent), l’unité de combat qu’il commanda au Nord du Mali, le colonel Dabas a participé, entre septembre 2016 et février 2017, à une phase décisive de l’opération Barkhane. Il a mené un combat direct contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) sur un terrain-clé, l’Adrar des Ifoghas, en plein cœur de l’Azawad, l’un des principaux massifs montagneux du Sahara. « Dans les périphéries du Sud algérien et du Nord malien, c’est le territoire des Touaregs qu’aucun des deux Etats concernés ne contrôle véritablement », écrit-il[3]. A la suite de la guerre civile algérienne (1991-2002) et de la guerre en Libye en 2011, l’Azawad est devenu un repaire de groupes salafistes djihadistes alimenté par un afflux de combattants. C’est sur ce territoire que la guerre au Mali avait éclaté en 2012 après que les rebelles touaregs en eurent proclamé l’indépendance. La France y a agi en partenariat avec la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad et elle y a augmenté ses effectifs déployés dans le cadre de Barkhane de 3000 soldats au début de l’opération, jusqu’à plus de 5000 en février 2020.
Combattre en terre africaine pour protéger le territoire national
Tandis que l’opération Serval avait pour objectif de stopper la progression des islamistes vers Bamako depuis le Nord-Mali, l’opération Barkhane, à compter de l’été 2014, a été régionalisée sur une zone grande comme dix fois l’Hexagone. En France, après les attentats islamistes meurtriers de 2015 et 2016, le doute n’était plus permis: il fallait agir. Comme le rappelle l’auteur: « Pour les hommes et les femmes du GTD Ardent et pour moi-même, la mission est sacrée : nous partons combattre et anéantir le serpent islamiste en terre africaine pour protéger nos compatriotes sur le territoire national »[4]. Le gouvernement français met alors en exergue le rôle bénéfique de Barkhane au profit des populations locales qu’elle entend protéger des groupes terroristes[5].
Dans l’Adrar des Ifoghas, le GTD Ardent du colonel Dabas, fort de 800 combattants, s’est notamment retrouvé aux prises avec le groupe touareg Ansar Edin soutenu par l’AQMI. Sa mission était d’en neutraliser le potentiel de combat, dans le cadre d’une phase d’effort du plan de campagne stratégique, la phase « Septentrion »[6]. S’en sont suivis, pour les forces françaises, des combats acharnés dans un environnement désertique particulièrement hostile à toute présence humaine, où la température avoisinait souvent les 50°C.
Quelques années plus tard, l’enthousiasme du début de l’opération s’est progressivement estompé en raison de la férocité des combats et des pertes humaines qui en ont résulté. La presse française s’est alors mise à évoquer les difficultés pour la France d’évoluer au Mali dans « un environnement local gangrené par la corruption et les contentieux entre les chefs traditionnels, les trafiquants d’armes, de migrants et de drogue, sur fond de corruption du pouvoir central »[7], selon le journal Le Monde du 14 janvier 2020. Le piège menaçait alors de se refermer sur le gouvernement désormais confronté au dilemme suivant: poursuivre le combat en accroissant inévitablement le risque d’enlisement et de compromission avec des armées locales prédatrices ou se retirer. Ce qui aurait eu pour conséquence de « livrer les pays du Sahel et leurs populations au chaos et à l’emprise d’une dictature religieuse ». Puis, on annonça qu’une junte militaire, hostile à la France, avait pris le pouvoir à Bamako, le 19 août 2020, à la suite d’un coup d’État. Les autorités françaises annoncèrent une réduction prochaine des effectifs de la force Barkhane et se dirent ouvertes « à des négociations avec des groupes sahéliens, à l’exception des directions d’Al-Qaïda et du groupe Etat islamique »[8]. Ce positionnement a marqué le début de la fin de l’engagement de la France au Mali.
La question religieuse n’est pas le seul problème
Comment expliquer cet échec ? Peut-être aurait-il fallu aborder la guerre au Mali sous un angle différent. Pour l’éminent spécialiste de l’Afrique, Bernard Lugan[9], la grande erreur qui a été faite par les décideurs politiques français, « c’est de croire que le problème c’est la question religieuse ». « L’islamisme au Sahel », analyse-t-il, « n’est que la surinfection de plaies ethniques millénaires », ajoutant que même si demain les groupes djihadistes étaient tous détruits, les problèmes entre les peuples du Nord – des peuples guerriers nomades qui cultivent la vertu de la minorité et de la guerre – et les peuples du Sud, majoritaires et sédentaires, persisteraient. L’islam, dans ces régions, date de quelques siècles. En revanche, l’opposition entre Sudistes et Nordistes date du Néolithique. Après la disparition de l’immense Afrique occidentale française (AOF), de nouvelles frontières sont apparues et les rapports de force entre des peuples multimillénaires ont été bouleversés, mais on assisterait aujourd’hui à un retour à l’ordre ancien dans la zone sahélienne[10].En ce qui concerne l’avenir proche, alors que la France a récemment rapatrié au Niger ses moyens qui étaient au Mali et au Burkina Faso, on peut s’interroger sur la pérennité de cette stratégie, attendu que l’Etat nigérien est lui-même en guerre sur quatre fronts.
La poursuite de cette réflexion sur les conséquences pour la France de son engagement au Mali demeure nécessaire. En effet, alors que l’exercice militaire de grande ampleur « Orion », le plus vaste depuis 30 ans, vient de se dérouler sur fond de guerre en Ukraine, en vue de préparer les armées françaises à un conflit de haute intensité en durcissant leur entraînement, il faut affronter l’idée angoissante d’un engagement potentiel de nos forces dans « la guerre de demain ». C’est de cette réflexion que naîtra, il faut l’espérer, l’idée qu’il faut par tous les moyens, œuvrer en faveur de la paix et refuser de se laisser entraîner dans un conflit sanglant.
[1] Barkhane avait succédé aux opérations Serval au Mali (11 janvier 2013 – 1er août 2014) et Epervier au Tchad (13 février 1986 -1er août 2014).
[2] François-Régis DABAS : Septentrion, Paris, Mareuil Editions, 2023.
La scénariste Danièle Thompson et son fils Christopher se sont attelés au mythe Bardot auquel la principale intéressée a su survivre avec la distance et le franc-parler qu’on lui connaît. Notre chroniqueuse, amoureuse des biopics, nous invite à « ne pas bouder notre plaisir » en regardant la série qui retrace les années initiatiques d’une jeune fille simple sinon rangée…
La vie est pleine de synchronicités. En effet, il y a deux ans, quasi jour pour jour, je préparai une chronique, pour votre magazine préféré, de l’excellente biographie que mon confrère Pascal Louvrier a consacrée à notre star parmi les stars: La vérité BB. Celle-ci sortira d’ailleurs fin août en format poche, aux Éditions Le passeur. Je ne saurais que trop en recommander la lecture. Cette biographie fait exception, Louvrier a inventé un genre en la matière : il sait fouiller jusqu’aux tréfonds de l’âme de ses sujets, mettre à nu leurs blessures sans jamais céder au voyeurisme. Copinage ? Non. Admiration sincère.
Un avant-goût de sapin?
Synchronicité, car nul n’a pu échapper au battage médiatique de ces derniers jours (éclipsé depuis par l’affaire Adèle Haenel): France 2 sort une mini-série biopic en six épisodes sur le mythe Bardot. Et, bien entendu, les critiques vont bon train sur les réseaux sociaux, tandis que la presse est mitigée. Essayons de mettre un peu d’ordre dans cette cacophonie.
Je suis une habituée des chroniques de biopics de stars populaires, je les aime, beaucoup d’entre elles me fascinent, et comme le dit la chanson, j’aurais voulu être une artiste. Faute d’y être parvenue, je leur rends hommage dès que je peux. Et, à chaque fois, j’écris la même chose : on ne touche pas aux idoles (je vais m’efforcer de ne pas employer dans cette chronique le terme « d’icône », bien trop galvaudé). On ne touche pas aux idoles, disais-je, car elles appartiennent à la fois à tout le monde et à personne. Et finalement même plus à elles-mêmes, ce qui permet, à nous autres, pauvres mortels, de nous projeter en elles, de nous les approprier. Et les hommages anthumes (pour paraphraser Alphonse Allais) sont encore plus périlleux, car ils ont un avant-goût de sapin.
Notre Bardot, avec son franc parler rebelle que nous lui connaissons, a, selon moi, fort bien réagi: « Je ne veux rien voir je ne veux rien savoir. Ma vie, je la connais par cœur je l’ai vécue et écrite, je n’ai pas besoin de la revivre. » Ces propos mettent donc de la distance, et introduisent la fiction au sein du biopic. D’ailleurs, du temps de sa splendeur, elle avait déjà opéré cette dichotomie, en faisant la différence entre la femme Brigitte Bardot, bien réelle, qui aimait la vie dans sa simplicité, et la star BB, harcelée par les paparazzi, objet de tous les fantasmes et désirs inavoués. Et BB faillit mener Bardot droit en enfer. Là, une comparaison s’impose : Bardot a survécu à BB quand Norma Jean n’a pas survécu à Marilyn…
Savoir aimer
C’est donc la scénariste Danièle Thompson et son fils Christopher à la réalisation qui se sont attelés à la lourde tâche de réécrire, à leur manière, la naissance du mythe BB. En effet, la série en six épisodes couvre les débuts de la petite Brigitte, jeune fille d’origine bourgeoise, mal dans sa peau, inconsciente de sa beauté. Sa période chrysalide. Puis, suivent les étapes qui la feront parvenir au firmament, jusqu’au réalisateur Henri-Georges Clouzot, qui créa, non pas la femme, mais l’actrice, en lui offrant le rôle de Dominique Marceau dans La vérité. Elle y excelle. Elle est enfin elle-même : cette femme trop libre pour être heureuse, trop passionnée pour savoir aimer !
Contre toute attente, cela est plutôt réussi. C’est un objet charmant. Grâce à Danièle Thompson qui, à 81 ans, reste la boss de nos scénaristes ; n’oublions pas qu’elle est la fille de Gérard Oury et qu’elle fit ses armes en cosignant le scénario de Rabbi Jacob. Elle sait comme personne rendre l’essence d’une époque – La Boum en est le meilleur exemple. Ses scénarii sont délicieusement légers, enlevés, fins, avec quelques touches de lucidité mélancolique. Et effectivement la série de France 2 nous plonge avec délectation dans la douceur de vivre des années 50, le soleil de St Tropez, l’insouciance, la créativité de la jeunesse, le bouillonnement artistique de ces années-là. Bref, tout ce qui nous manque cruellement aujourd’hui. Rien que pour cela, il serait idiot de bouder notre plaisir.
S’est posée, bien sûr, la question cruciale du choix de l’actrice qui pourrait incarner Bardot l’inimitable, « l’inincarnable ». Le choix de Julia de Nunez est à mon sens judicieux. La jeune actrice savait peu de choses de Bardot, et c’est tant mieux, car elle s’est approprié le personnage à sa manière. Avec évidemment moins de grâce, moins de sex appeal et de minauderies maîtrisées. Mais reste la liberté de Bardot, sa façon de n’en faire qu’à sa tête, son apparent « je m’en foutisme ». Beaucoup ont déploré qu’elle n’ait pas essayé d’imiter LA voix, consubstantielle au personnage, mais encore une fois, cette voix est inimitable, sauf dans la caricature. Et là, nous aurions frôlé le ridicule, ou le spectacle de chez Michou… Reste que la scénariste a bien mis le doigt sur quelque chose qui fut capital et douloureux dans la vie de l’actrice : son rapport aux hommes. Elle les aima trop, elle les aima mal.
C’est la consécration pour Greta Thunberg, laquelle a déjà reçu deux doctorats honoris causa.
L’université de Helsinki vient d’annoncer que, le 9 juin, Greta Thunberg recevra le titre de docteur honoris causa pour récompenser son activité de militante écologique.
Les diplômes honorifiques ont été inventés par les universités médiévales afin de reconnaître et de récompenser l’érudition de certains individus sans les obliger à passer des examens. Aujourd’hui, ces diplômes sont devenus des marques de distinction décernées à des personnalités éminentes sans grand lien avec le travail académique.
Dans le cas de Greta Thunberg, ce lien est particulièrement ténu et paradoxal. Il semble que, non seulement la jeune femme de 20 ans n’a pas encore commencé d’études universitaires, mais qu’elle n’a pas passé l’équivalent d’un baccalauréat. En 2019-2020, elle a pris une « année sabbatique » pour voyager, en faisant notamment deux traversées « décarbonées » de l’Atlantique à bord d’un voilier et d’un catamaran – sauf que le déplacement en voilier aurait nécessité six billets d’avion entre l’Europe et les États-Unis pour des membres de l’équipe. En 2018, elle avait refusé d’aller à l’école et a encouragé tous les enfants autour de la planète à faire une « grève scolaire pour le climat ». Malgré cette façon de ne pas rendre service à l’éducation, elle a déjà reçu deux doctorats honoris causa, un de l’université de Mons, en Belgique, en 2019, et un autre de l’université de la Colombie-Britannique Okanagan, en 2021. Curieusement, ce dernier doctorat était en droit. Plus bizarrement encore, celui qui lui sera décerné par Helsinki sera en théologie. Est-ce reconnaître que le changement climatique ne relève plus de la science, mais est hissé au rang de religion?
Un volume Quarto est consacré au romancier québécois Réjean Ducharme (1941-2017). Une manière de découvrir Ducharme, un écrivain secret, jamais apparu dans les médias…
Réjean Ducharme, c’est d’abord quatre livres, « achevés pratiquement en même temps, au début de la vingtaine, en quelques années de fécondité créatrice exceptionnelle ». Gallimard sera son éditeur historique, avec des lecteurs comme Raymond Queneau et Dominique Aury, excusez du peu. « À prendre sans hésiter », écrivent-ils tous les deux, fascinés par le jeune génie. Pour son premier roman, paru en 1966, L’Avalée des avalés (Ducharme est très fort pour les titres), Queneau va même essayer de lui faire obtenir le prix Goncourt, hélas en vain, même si le livre est un succès immédiat, et durable.
Émule rajeuni de Léautaud
Aujourd’hui, quelques années après sa mort, on connaît davantage d’éléments sur la vie de Réjean Ducharme. Le monde universitaire, surtout québécois, s’est beaucoup intéressé à lui. Certains aspects de sa vie privée sont venus confirmer l’étrangeté de ses livres. Ne serait-ce, pour l’anecdote, que sa manière de s’habiller, qui en fait un émule rajeuni de Léautaud: « blouson, tee-shirt ou pull à col rond, jeans en velours côtelé, baskets délacées, tête nue ». Mais arrêtons-nous un instant sur ses lectures, car Ducharme était un lecteur passionné. Il lisait beaucoup Céline, Queneau, mais aussi Tolstoï, ainsi que Le Clézio, dont il deviendra l’ami (« Je crois, lui écrit Le Clézio, que vous êtes […] le seul poète que j’ai jamais rencontré »). Il se met par ailleurs au Bruit et à la fureur de Faulkner, mais sans succès: « Comprends pas. N’aime pas », écrit-il dans son Journal. Il faut savoir également que Ducharme s’est intéressé à Lacan.
« L’absolu de l’amour »
La vraie inspiration de ses romans, néanmoins, réside en lui-même, dans son cœur et sa propre humanité. Comme l’observe la préfacière: « Partout, l’absolu de l’amour, de l’amitié et de la liberté, incarnés dans une enfance dure dont le deuil ne veut surtout pas finir… » Le Nez qui voque, en 1966, fait penser, selon les critiques, à la fois à L’Attrape-cœurs de Salinger et à Lautréamont. Quand Ducharme propose Les Gros Mots à Antoine Gallimard, en 1998, celui-ci, décontenancé par le manuscrit, lui fait une réponse hésitante, faisant valoir qu’il ne retrouve pas ce dont il avait l’habitude chez lui: la « richesse du style » digne de Rimbaud, l’« inventivité verbale », avec ses jeux de mots et ses pitreries coutumières, et la « verve » de l’écrivain, point central de son absolue sincérité. Le roman, heureusement, paraîtra quand même. Ce sera son chant du cygne.
L’esprit du Nord
Tous les romans de Ducharme sont porteurs de cette nostalgie très reconnaissable des années soixante-dix, décennie inoubliable pour ceux qui l’ont vécue, et peut-être aussi pour ceux qui sont nés après. Une œuvre de 1973, que contient également ce « Quarto », L’Hiver de force, le plus lu de ses ouvrages au Québec après L’Avalée des avalés, nous présente le fonds de cet imaginaire propre à Ducharme. C’est un récit, cette fois, et non un roman. La notice le dit: « Comme une capsule de l’air du temps des années soixante-dix, le livre saisit les discours de l’époque du point de vue d’une marge artistique, intellectuelle et politique contestataire dont il emprunte la langue. » Nous sommes ici peut-être proches de certains romans de Thomas Pynchon, mais avec davantage d’esprit du Nord, comme dans l’abbaye glaciale de L’Avalée des avalés qu’habite la petite Bérénice, qui rêve de soleil et de chaleur humaine.
La France a adopté depuis le début ce cousin de la lointaine province. Les éditions Gallimard en ont fait un de leurs auteurs fétiches, lui apportant aide et encouragement. Ducharme a reçu plusieurs prix, chez nous, dont, en 1999, le grand prix national des Lettres. C’est le moment, grâce à ce « Quarto », de revenir sur les romans de Réjean Ducharme, et d’en apprécier la suprême nécessité.
Réjean Ducharme, Romans. Édition établie et présentée par Élisabeth Nardout-Lafarge. Éd. Gallimard, collection « Quarto ».
Pascal Bonafoux publie un guide anachronique de Rome qui s’écarte des sites touristiques et des réflexions convenues
Aujourd’hui, si le livre sort du cadre marchand, sa viabilité ne sera plus assurée, on ne donnera pas cher de sa peau. Il doit se plier au pitch, à la bouillie intellectuelle du moment et aux facilités de langage. Oubliez le style et l’étrangeté, l’hybridation et le cocasse, la phrase sauvage et l’érudition primesautière, misez plutôt sur l’argumentaire mâchonné et les idées molles dans le vent pour sa réussite commerciale.
Pascal Bonafoux, historien de l’art, déjoue les mécanismes fainéants de notre époque en proposant un Guide anachronique de Rome à l’usage de ceux qui se demandent pourquoi elle est la seule ville éternelle aux éditions arléa.
À la fois manuel savant hautement historique, réflexions littéraires qui décrassent la tête, goût du paradoxe et du saute-mouton chronologique, ce guide ne déroule pas une fatuité linéaire et n’enfile pas les poncifs. Il surprend par sa charge poétique, ses références précieuses et son dilettantisme souverain, une forme de détachement qui sied aux meilleurs universitaires de notre pays.
Un livre qui ne suit aucune trace préétablie, qui ne s’inscrit dans aucune mode factice, qui promène seulement son lecteur entre Nicolas Gogol et Fellini, Dickens et Joachim du Bellay, Nicolas Poussin et Charles Dupaty, qui passe de la louve à Alberto Moravia, d’un pape oublié aux indulgences de Boniface VIII, d’un trait de plume facétieux et inspiré. Sur les conseils de Stendhal qui écrivait: « Je dirais aux voyageurs: en arrivant à Rome, ne vous laissez pas empoissonner par aucun avis; n’achetez aucun livre, l’époque de la curiosité et de la science ne remplacera que trop tôt celle des émotions », Pascal Bonafoux estime lui aussi qu’un tel guide aussi riche qu’ennuyeux « désorienterait » le visiteur, serait même un frein à la communion. Un tue-l’amour. « Car il (vous) priverait du dialogue singulier qu’est, à Rome, celui des ruines et du faste. D’un faste qui ne serait pas ce qu’il est sans les ruines » conclut-il. A Rome, les ruines sont un manteau d’hermine souvent trop encombrant, trop chaud, trop solennel, trop aveuglant et cependant nécessaire à une forme de désœuvrement, voire de découragement intérieur. La « ville éternelle », poussiéreuse et pesante, déploie une langueur qui s’infiltre en vous et ne vous quitte plus. Malgré ses millions de touristes qui se déversent chaque année dans son centre-ville, elle ne lâche rien, impénétrable et indolente, hiératique, elle se moque, elle vous nargue, elle vous capture à votre insu. Elle m’inspire un sentiment d’épuisement à force de vouloir toucher son absolu. Elle sent le ragoût et les tripes, les entrailles du monde civilisé.
Le Tibre et sa couleur douteuse perturberont longtemps vos songes. « Il y a peu d’autres villes qui, comme Rome, peuvent prétendre être une cité palimpseste: un parchemin manuscrit dont on a effacé la première écriture pour pourvoir écrire un nouveau texte, telle en est la définition. Et elle aura été la première à l’être » souligne l’auteur. Alors, nous continuons à l’explorer, en s’exilant jusqu’à Garbatella ou en se promenant du côté de Testaccio, avec le guide Bonafoux sous le bras, comme un acte de résistance à la pensée unique.
Guide anachronique de Rome de Pascal Bonafoux – arléa
Parmi les nombreuses éditions des Illuminations que nous possédons, celle qui nous accompagne un peu partout date de juin 2000, dans la collection Librio. La couverture représente « Les saules au coucher du soleil » de Van Gogh, ce qui n’est pas un choix idiot du tout. D’abord parce que les dates de naissance et de mort du peintre à l’oreille coupée (1853-1890) coïncident presque exactement avec celle du poète voyou voyant (1854-1891) et que les deux, chacun dans leur domaine, sont à l’origine d’une véritable révolution dans la perception.
Cette édition ne comporte pas de notes, ce qui est toujours plaisant, et puis comment ne pas aimer ce volume qui a aussi bien vieilli qu’une veste en tweed et qui est libellé en francs – vous vous souvenez sans doute du franc, qui a précédé l’actuelle monnaie d’occupation austéritaire.
Nous voulions juste lui rendre hommage, car c’est elle qui nous accompagne en voyage depuis plus de 20 ans et nous permet de relire avec un œil neuf, c’est-à-dire très ancien (bonheur de Rimbaud, on ne lit jamais le même poème, même au bout de la centième fois), par exemple Enfance, après une ascension solitaire et matinale vers le Kastro de Plaka, sur l’île de Milos…
Enfance
À la lisière de la forêt, – les fleurs de rêve tintent, éclatent, éclairent, – la fille à lèvre d’orange, les genoux croisés dans le clair déluge qui sourd des prés, nudité qu’ombrent, traversent et habillent les arcs-en-ciel, la flore, la mer.
Cette idole, yeux noirs et crin jaune, sans parents ni cour, plus noble que la fable, mexicaine et flamande; son domaine, azur et verdure insolents, court sur des plages nommées, par des vagues sans vaisseaux, de noms férocement grecs, slaves, celtiques.
Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la mer; enfantes et géantes, superbes noires dans la mousse vert-de-gris, bijoux debout sur le sol gras des bosquets et des jardinets dégelés, – jeunes mères et grandes sœurs aux regards pleins de pèlerinages, sultanes, princesses de démarche et de costumes tyranniques, petites étrangères et personnes doucement malheureuses.
Quel ennui, l’heure du « cher corps » et « cher cœur »!
Par nature dépressif, l’homme moderne a bien du mal à ne serait-ce que sourire devant le spectacle affligeant du « monde tel qu’il ne va pas » (Chesterton)…
Il lui arrive cependant, certains jours, au début du printemps, entre deux averses, d’échapper comme par miracle à la morosité qui mine ses journées solitaires et, durant ces moments fugaces, de risquer de mourir de rire en prenant connaissance des absurdités qui, la veille encore, l’accablaient – ce qui est a priori plus plaisant que d’agoniser la tête dans le four à gaz. Ces derniers temps ont été riches en pitreries en tous genres. Profitant d’une humeur primesautière passagère, votre serviteur a colligé les plus savoureuses parmi celles qui ont failli le faire passer de vie à trépas dans un dernier éclat de rire.
Mort de rire 1 : en entendant Roselyne Bachelot, toute de rose bonbon vêtue, se moquer du physique du roi Charles III et des « vêtements de carnaval » qu’arboraient ce dernier et ses invités pour son couronnement. Elle a vu, dit-elle en parlant du couple royal, « deux glands » au balcon. De la même manière qu’il existe une « bêtise du second degré » (Rosset), il existe une vulgarité du quatrième pouvoir – Mme Bachelot réussit la prouesse de cumuler les deux. Sur BFMTV, accoudée à son pupitre comme un poivrot à son comptoir, tout le dentier à l’air, attifée faut voir comme, la commère médiatique a lâché son venin contre la monarchie britannique. Cette cancanière, qui aura passé sa vie, empaquetée dans des toilettes aux couleurs aussi criardes que sa voix, à médire sur ses congénères politiques et à ricaner sur les plateaux de télévision, donne des leçons de maintien à la royauté anglaise – je me tiens les côtes !
Mort de rire 2 : en apprenant qu’Adèle Haenel arrête le cinéma pour se lancer dans une carrière révolutionnaire. Ici, la bêtise est au premier degré. C’est de la bêtise bêtasse, de la bêtise brute, sans chichi. Adèle Haenel est l’archétype de l’individu nombriliste, abruti et inapte à toute réflexion personnelle. Après avoir pioché dans les tracts de Révolution Permanente le peu de vocabulaire politique qu’elle connaît, la voici qui se répand dans les AG des universités ou dans quelques obscures officines gauchistes. Le regard halluciné et haineux, cette révolutionnaire de comédie ne comprend pas la moitié de ce qu’elle dit. Elle mâchonne généralement des bribes de phrases incohérentes desquelles émergent les mots patriarcat, capitalisme, écocide, biodiversité, virilisme, etc., c’est-à-dire toute la bouillie wokisto-écolo-gauchiste. Haenel parle comme Despentes écrit, c’est-à-dire mal. En Chine, dans les années 60, elle aurait fait une très vigilante Garde rouge assidue aux tâches de rééducation des « bourgeois » qu’elle déteste de tout son cœur puisqu’elle n’a d’amour que pour « celleux » qui « organisent la résistance » et « essayent d’arracher un avenir à cette planète », gribouille-t-elle dans sa lettre de démission. Le cinéma français perd une actrice qui n’avait aucun talent, il n’y a donc pas grande perte. Et je me réjouis d’avance en pensant aux camarades révolutionnaires qui vont se coltiner cette truffe et qui, au bout d’un moment, inévitablement, vont la trouver saumâtre.
Adèle Haenel. Festival du film d’Angouleme 2019. Auteurs : Lionel GUERICOLAS/MPP/SIPA.
Mort de rire 3 : en constatant que c’est dans Télérama, c’est-à-dire le magazine le plus bobo qui soit et dont le lectorat est un concentré de tout ce que hait Adèle Haenel et, en même temps, de tout ce qu’elle représente – une petite-bourgeoisie éprise d’elle-même, toujours prête à se laver la conscience en public et à donner des leçons de morale, culturellement cultureuse, c’est-à-dire netflixienne et trapenardienne, moutonnière et conformiste – qu’Adèle Haenel s’est épanchée. Histoire de nous achever, Libération prend le relais et « salue l’acte politique » de l’actrice, tandis que Le Monde sonde tous les faux-culs du 7ème art qui, « admiratifs », évoquent son « courage ». Pitié, laissez-nous le temps de respirer !
Mort de rire 4 : en découvrant que “Le prix du passage”, film représentatif du cinéma engagé qu’Adèle Haenel appelle de ses vœux puisqu’il narre les aventures de Natacha et d’un migrant irakien « improvisant une filière artisanale de passages clandestins », complète la longue liste des films à message immigrationniste que personne ne va voir : après trois semaines d’exploitation, le nombre d’entrées culmine à 7300, dont… 31 entrées pour la seule troisième semaine. Ça sent le sapin. Ceci dit, c’est beaucoup mieux que la dernière daube de BHL (“Slava Ukraini”, 1024 entrées en tout) qui elle-même surpassait l’avant-dernière réalisation du même BHL, “Une autre idée du monde”, qui a en effet réussi l’exploit d’attirer 152 spectateurs lors de sa première et… dernière semaine d’exploitation.
Mort de rire 5 : en baguenaudant sur le compte Twitter de Sandrine Rousseau. Un trésor. Une mine. En plus des tweets, la députée EELV inclut des vidéos de ses passages à la radio ou à la télé, morceaux choisis de toutes les âneries qu’elle a pu proférer. Un coup de moins bien ? La sensation de ne pas être intellectuellement au mieux ? Une seule solution, un seul remède, plutôt que de vous désoler sur vous-même, comparez-vous à Sandrine Rousseau en visitant son compte Twitter. Si, pour une raison ou une autre, celui-ci est inaccessible, vous pouvez vous requinquer l’hypophyse en vous rabattant sur ceux de Mathilde Panot ou de Louis Boyard. Je peux vous assurer qu’après avoir vu ça, même le plus neuneu des neuneus se sent pousser des ailes, intellectuellement parlant bien sûr.
Mort de rire 6 : en voyant, sur différents plateaux, le visage inspiré et concentré des journalistes gobant la prose insipide du plus lamentable des professeurs d’université gauchistes, j’ai nommé Mathieu Slama, le chienchien à sa mémère mélenchoniste, le mètre-étalon de la bêtise du second degré.
Mort de rire 7 (a): en entendant le rappeur Maître Gims expliquer que les pharaons avaient l’électricité à tous les étages de leurs pyramides.
Mort de rire 7 (b) : en entendant Rama Yade prendre la défense du rappeur et revisiter l’histoire du continent africain. Bon d’accord, dit-elle, Master Gims en a un peu rajouté à propos des pyramides presque nucléaires mais, « dans l’esprit », il n’avait pas tort : l’Afrique, du néolithique à l’antiquité, a devancé l’Europe en tout, science, agriculture, art, etc. L’humoriste Rama Yade est actuellement en tournée aux États-Unis. Il nous tarde de connaître les prochaines dates de sa tournée en France.
Mort de rire 8 : en apprenant, sur France Inter, de la bouche de notre ministre de l’Éducation nationale, comment celui-ci compte faire rattraper aux élèves les heures perdues de mathématiques à cause de l’absence, pour cause de maladie, d’un professeur de mathématiques remplacé par un professeur d’anglais qui, naturellement, n’aura dispensé que des cours d’anglais. Il suffira, dit Pap Ndiaye, d’attendre que le professeur d’anglais tombe malade à son tour, et de le faire remplacer par le professeur de mathématiques revenu de son congé maladie qui, naturellement, dispensera des cours de mathématiques à la place de ceux d’anglais, rattrapant ainsi son retard. On dirait un sketch des Monthy Python.
Mort de rire 9 : en entendant le cri d’horreur poussé par Adjoa Andoh. Cette actrice britannique d’origine ghanéenne a été profondément choquée par les cérémonies du couronnement de Charles III. Motif ? « C’était terriblement blanc », a-t-elle dit en désignant le balcon du Palais de Buckingham. Il faut dire qu’Adjoa Andoh a joué dans la série américaine “La Chronique des Bridgerton”. Bien que se déroulant pendant la régence anglaise du XIXe siècle, ladite série joue à fond la carte de la diversité au mépris de la vérité historique : jamais haute société anglaise n’aura compté autant d’individus noirs ou métis parmi ses membres. On comprend mieux la déception d’Adjoa Andoh qui a dû prendre pour argent comptant la conception toute netflixienne de l’histoire du Royaume-Uni. Sans doute croit-elle également que la deuxième épouse d’Henry VIII était noire : la BBC a en effet diffusé en 2021 une mini-série sur la vie d’Anne Boylen dans laquelle cette dernière était interprétée par Jodie Turner-Smith, une actrice… noire.
Mort de rire 10 : en lisant quelques passages de la dernière production de la Castafiore guyanaise, Christiane Taubira, une pièce de théâtre intitulée Frivolités – titre affriolant mais mensonger. C’est lourd, très lourd ; et drôle, très drôle tellement c’est lourd. Dans ce fourre-tout revendicatif et woke, des femmes de différentes ethnies dénoncent les Blancs, l’Occident, la colonisation, le capitalisme, la masculinité toxique et la police en écoutant des chansons d’Anne Sylvestre et de James Brown ou en tapant sur des tambours. Certaines répliques semblent avoir été écrites par Sandrine Rousseau : « En effet il ne suffira pas de virer les hommes, il faut monter les bas salaires, plafonner les dividendes, interdire la chasse à courre, contrôler les pesticides, alléger les abattoirs, réduire le temps de travail… » – d’autres par Lilian Thuram : « Cette ignoblerie de Blancs qui vendent des Noirs, ça a laissé plein de traces dans le racisme aujourd’hui encore ». Musicalement, il est prévu, entre autres, une « prestation de washboard lors du dialogue sur l’endométriose (sic) », dialogue durant lequel les mégères taubiresques envisagent que le mot « endométriose » devienne « une injure au masculin : ce salaud d’endométriose, par exemple ». David Bobée, le directeur woke du Théâtre de Lille et cofondateur du collectif “Décoloniser les arts”, semble tout désigné pour mettre en scène cette grotesque farce, ce boudin théâtral. J’ai hâte de voir ça.
Mort de rire 11 : en apprenant que Charline Vanhoenacker et sa bande de ricaneurs sont virées de la prochaine grille quotidienne de France Inter. À gauche, le milieu culturo-médiatico-politique est tout retourné. Aymeric Caron, le brocoli poivre et sel de la Nupes, est très inquiet et s’interroge sur Twitter : « Serait-ce un choix politique ? » Télérama craint « une possible dépolitisation de l’humour ». Mona Chollet, à dada sur son balai, frissonne en retweetant l’article de Télérama. La penseuse poitevine, Ségolène Royal, affirme que c’est « incompréhensible ». Libération et L’Humanité sont en émoi. Waly Dia, un autre humoriste pas drôle de la radio publique, appelle à signer la pétition « Sauvons “C’est encore nous” ».Un des « humoristes » de l’émission bientôt défunte, Aymeric Lompret, remerciait il y a quelques mois, sous les ricanements de ses acolytes, « les fachos d’avoir payé [la redevance audiovisuelle] pour qu’on dise que vous êtes des gros cons ! » Finalement, il y a une justice en ce bas monde. Mort de rire !
Actualité plutôt maigre ce mois-ci à l’Assemblée… Après le tumulte de la réforme des retraites, les députés se sont comme assoupis. Enfin, façon de parler: il me reste quand même quelques élucubrations à vous conter!
Holodomor
La famine comme arme de guerre. Comme « solution finale ». Le « grenier à blé » de l’URSS transformé en « cimetière des affamés ». Cette famine impitoyable de 1932-1933 a été orchestrée, organisée, planifiée par un pouvoir soviétique qui voulait piller et asservir l’Ukraine. Quatre millions – certains avancent un chiffre encore plus important –, quatre millions d’Ukrainiens, principalement des paysans, furent alors condamnés à la famine et à la mort. Dissimulée aux yeux du monde, cette tragédie est restée désespérément taboue pendant des décennies. À l’heure où des millions de paysans périssaient, condamnés à mort par un régime qui voulait briser leur résistance, le journal L’Humanité affirmait, en août 1933, aveugle ou complice : « Il n’y a pas de famine en Ukraine ni dans aucune république ou région de l’Union soviétique. Mais la campagne antisoviétique fait rage parce que l’URSS a déjoué tous les plans d’agression, parce que sa puissance grandit, parce que sa politique de paix enregistre des succès retentissants. »
Cette tragédie, depuis largement documentée, n’a jamais été reconnue par la France. L’Assemblée nationale s’en saisit enfin. Le timing est le bon, symboliquement au moins. L’ambassadeur d’Ukraine en France se tient en tribune de l’Hémicycle et écoute attentivement les débats. Car il n’y a pas consensus. Si la majorité des historiens s’accordent aujourd’hui pour affirmer que l’Holodomor est un génocide, La France insoumise et les communistes ne sont pas prêts à l’accepter. Les premiers, parce que « dans les campagnes ukrainiennes, les victimes de la famine ne furent pas uniquement des Ukrainiens » et les seconds au motif qu’ils « refusent par principe de contribuer à la politisation des enjeux de mémoire et d’histoire ». Mais aussi, et c’est plus grave, parce qu’ils s’interrogent – il faut oser – sur l’opportunité « de voter ce texte qui nous rapprochera un peu plus du point de non-retour dans nos relations avec la Russie »…
Pour ma part, je l’ai dit à la tribune, s’il nous a fallu aussi longtemps pour nous saisir de cette question, c’est parce que le communisme a bénéficié d’un traitement différent des autres totalitarismes qui ont défiguré le xxe siècle. Cent millions de morts mais, aujourd’hui encore, certains continuent de s’en revendiquer ! Imaginez un instant qu’un parti politique se réclame du fascisme ou du nazisme ! En revanche, se définir comme communiste après le goulag, Pol Pot, la Révolution culturelle ou la chasse aux homosexuels chez Castro ne semble pas troubler certains…
Résultat du vote : 168 pour. Les deux députés communistes présents votent contre, tandis que leurs collègues LFI ne prennent pas part au vote. Quatre-vingt-dix ans plus tard, la lâcheté est toujours la même de ce côté de l’échiquier politique. Ils n’ont rien appris et ne veulent rien apprendre. Peut-être parce que, pour ne pas déplaire à Staline, nous n’avons jamais osé un Nuremberg du communisme. Nous le payons encore aujourd’hui.
Chers attachés parlementaires
On parle peu d’eux. Dommage parce qu’ils sont tout simplement indispensables, incontournables. Je veux parler, bien sûr, des attachés parlementaires. J’en ai trois. Deux à Paris et une à Béziers. Dans mon bureau de la capitale – comme on dit chez nous –, nous sommes entassés les uns sur les autres. À ceux qui nous imaginent dans des locaux spacieux, je propose de venir jeter un œil. La République fait attention à son argent et elle a raison. Je ne me plains pas. Non-inscrite, je ne bénéficie pas des moyens d’un groupe politique. Et, notamment, de ces attachés de groupe justement qui vous mâchent le travail. À nous quatre, nous devons plancher sur tous les projets et propositions de loi. Je dépose des centaines d’amendements par an. Non pour faire de l’obstruction, comme certains s’y emploient. Mais pour préciser, contredire quand il le faut, améliorer, même si le texte est porté par un adversaire politique. Souvent, je me sens seule. Mes attachés sont alors un cocon où je me tiens au chaud. Alors que mes voisins de couloir me parlent peu, ça fait du bien…
Bien vieillir
L’occasion de m’énerver contre la majorité qui présente une loi sur le « bien vieillir ». En clair, la vie des personnes âgées, qu’elles vivent à domicile ou en maison de retraite. Un texte incomplet, imprécis et qui « brasse de l’air ». À l’article 3 de cette proposition de loi, il est précisé que toute personne vivant dans un Ehpad (pour simplifier) a un droit de visite de sa famille et de ses proches. Il me semble important de préciser que le droit de visite concerne, outre les proches, « toute autre personne souhaitée ». Bref, qu’une personne âgée a le droit de recevoir qui elle veut ! Ma proposition est balayée au motif que trop préciser le texte serait restrictif… Les bras m’en tombent : ça doit être ça, la nouvelle méthode du gouvernement !
Brasserie Le Bourbon
Le Bourbon est quasiment une annexe de l’Assemblée. Il est le lieu de rendez-vous. On se croise. On se sourit. On s’ignore. Au gré des sympathies ou des antipathies, de toujours ou du moment. Mais aussi des voisins : il ne s’agirait pas d’afficher une proximité que la bien-pensance condamne… Pourtant, les barrières finissent par tomber. J’ai le sentiment que les années passant, chacun convient – et salue, seulement en privé pour la plupart – de mon travail et de mon absence de sectarisme. Je me fais peut-être des illusions… Je connais maintenant tous les serveurs ou presque. Ils me chouchoutent quand ils me voient en peine, toujours stupéfaite par la mauvaise foi de certains. Il y a même Mike qui vient de Béziers et avec qui j’ai mille sujets à aborder : le vin de chez nous, le rugby, la corrida et… le soleil qui nous manque tant à Paris. Allez, je me dépêche. La séance reprend.
Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.
Un spectre hante le monde, il s’appelle ChatGPT. L’apparition de ce « robot conversationnel » ou de cette intelligence artificielle, « IA » pour les intimes, fait osciller les médias entre effroi et extase. Effroi des conservateurs, pas nécessairement de droite d’ailleurs, et ravissement des progressistes, pas nécessairement de gauche. Avec cette question, toujours en toile de fond : va-t-on réussir à maîtriser la Bête ?
Étonnamment, on trouve Elon Musk chez les angoissés : il signe une tribune collective demandant « une pause immédiate des essais », de crainte que des IA plus perfectionnées que ChatGPT4 provoquent « des perturbations économiques et politiques dramatiques, en particulier pour la démocratie ». C’est d’autant plus surprenant qu’Elon Musk est l’un des cofondateurs de la chose.
Mais le paradoxe n’est qu’apparent : Robert Oppenheimer, le « père de la bombe atomique », a passé sa vie à dénoncer ses dangers pour l’humanité au point de connaître les foudres du maccarthysme. Ce comportement a été parfaitement défini par le philosophe Günther Anders qui expliquait, en 1956, dans L’Obsolescence de l’homme, ce qu’il qualifiait de « honte prométhéenne », c’est-à-dire « la honte qui s’empare de l’homme devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même fabriquées ». On ne pourra pas dire qu’on n’était pas prévenu. La capacité infinie des intelligences artificielles à produire des fake news de plus en plus élaborées et, surtout, à mimer l’être humain, ont fait les beaux jours de la science-fiction depuis l’après-guerre. On songe notamment au génial et prophétique Philip K. Dick qui, dès les années 1950, avec le développement de l’informatique, annonce que l’humanité ne sera jamais plus certaine d’évoluer dans la réalité. Dans Ubik, notamment, qui est censé se passer en 1992, le monde est entièrement falsifié par des machines : « Joe avaitl’impression d’être comme un papillon de nuit et de se heurter vainement contre la vitre de la réalité – une réalité qu’il ne faisait qu’entr’apercevoir de l’extérieur. »
K. Dick a aussi, assez logiquement, influencé le philosophe Jean Baudrillard, mort en 2007. Baudrillard lui a emprunté la notion de « simulacre » et a pensé, par anticipation, dans Le Crime parfait, notre présent sous le signe de ChatGPT : « C’est celui d’une réalisation inconditionnelle du monde par l’actualisation de toutes les données, par transformation de tous nos actes, de tous les événements en informatique pure : la solution finale, la résolution anticipée du monde par clonage de la réalité et l’extermination du réel par son double. »
Rassurons-nous cependant, avec ChatGPT, les affaires continuent puisque le site Boursorama y voit « une opportunité d’investissement ». C’est quand même le plus important.
Le premier roman d’Aurélia Clément, Mamie Loulou, retrace le portrait d’une femme qui aimait trop les livres…
La plupart des grands-mères lèguent à leurs petites-filles le secret d’une recette de cuisine, ou celui d’ôter une tache tenace sur un chemisier blanc. Mamie Loulou, la grand-mère de la narratrice et héroïne du premier roman d’Aurélia Clément (mais est-ce vraiment un roman ?…) ne lègue rien de concret, si ce n’est le mystère de sa vie. Mamie Loulou est morte stupidement : en tombant de son escabeau alors qu’elle voulait attraper un livre. Elle n’avait que 69 ans et était en pleine forme. Cette mamie-là vivait recluse parmi des milliers d’ouvrages, dans une vieille maison dont le jardin était asphyxié par le lierre et les mauvaises herbes.
Pathologie
Durant tout le roman, la narratrice interroge sa grand-mère défunte. Le « tu » marque l’obsession à vouloir comprendre le pourquoi de cet effacement. A-t-elle vécu un jour dans la vraie vie ? s’interroge sa petite-fille. N’est-elle pas, comme dans une tragédie, la petite-fille d’une lignée maudite ? À travers ce questionnement, la narratrice va chercher à cerner sa propre personnalité, et surtout elle espère débloquer les verrous qui l’empêchent de vivre pleinement. Au fur et à mesure qu’elle découvre l’existence très romanesque de sa grand-mère, elle se libère du poids qui pèse sur ses épaules. Le lecteur devient le témoin d’une véritable thérapie. Il découvre le chagrin qui a brisé le cœur de Mamie Loulou, prénommée Louise. Ce chagrin porte un nom : l’abandon.
Elle avait construit une véritable forteresse, pour reprendre le titre du scénario d’Alain Robbe-Grillet écrit pour un projet de film d’Antonioni, avec d’immenses murs de papier où l’on retrouvait les ouvrages de Voltaire, Flaubert, Gide, Camus, Jules Renard, Romain Rolland… Elle était devenue une bibliomane pathologique, s’égarant dans les labyrinthes fictionnels, sans possibilité d’en sortir jamais. Elle s’ensevelit sous les livres.
Ce premier roman tient toutes les promesses d’un bon livre. Grâce à quelques rebondissements crédibles, l’enquête œdipienne ne faiblit pas. Elle permet aussi de revisiter le XXe siècle puisque Louise est née en 1925. Elle a dû batailler ferme pour gagner sa liberté de femme. Militante féministe, sans lunettes idéologiques, Louise, à l’image des femmes de sa génération, a payé cher le prix de la domination patriarcale. Et celui de la lâcheté des hommes.
Le roman, émaillé de nombreuses références littéraires, est également un hommage rendu à la littérature. La narratrice, interrogeant Louise : « Tu désirais être comprise et la littérature te donnait le sentiment d’être acceptée dans toutes tes contradictions. Plus encore, elle minimisait tes échecs en t’offrant la possibilité de combler l’écart entre la femme que tu aurais pu être et la femme que tu étais devenue. » Mais elle poursuit, un peu amère : « Même si tout cela est illusoire, que l’on peut choisir sans regret, que les mots sont impuissants et que les livres, au bout du compte, ne nous rendent pas heureux. »
Il n’y a rien d’étonnant à ce que Madame Bovary ait été le livre de chevet de Mamie Loulou.
Après le retrait précipité de la force Barkhane du Mali en novembre 2022, la perte de 58 soldats français sur ce théâtre d’opération continue de hanter les mémoires. Dans un livre aussi captivant que révélateur, un officier qui a commandé une unité de combat au cœur de la campagne militaire française explique pourquoi il était nécessaire de « combattre et anéantir le serpent islamiste en terre africaine pour protéger nos compatriotes sur le territoire national ». Le succès limité de cette intervention invite à réfléchir sur la capacité de la France à s’engager dans « la guerre de demain ».
De l’intervention française au Mali, les Français se souviennent que, dès 2013, des troupes avaient été déployées dans le cadre de l’opération Serval, puis de l’opération Barkhane, un an plus tard, pour lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes au Sahel et au Sahara, et ce, à la demande du gouvernement malien. Au cours de la dernière décennie, l’armée française perdit 58 soldats sur ce théâtre d’opération. Les cérémonies funèbres se succédèrent dans la Cour d’honneur de l’Hôtel national des Invalides à Paris en hommage à ces valeureux combattants tombés au combat, avec en point d’orgue la mort de 13 soldats français, le 25 novembre 2019. Le 4 janvier 2021, alors que trois soldats français venaient de perdre la vie au Mali, la sergente Yvonne Huynh, 33 ans, mère d’un garçon de 12 ans, fut la première femme tuée au combat depuis le début de l’intervention française au Sahel. Cette mère de famille est décédée dans l’explosion de son véhicule blindé, tout comme son jeune camarade, le brigadier Loïc Risser âgé de 24 ans, provoquant un choc dans l’opinion publique.
Morts pour la France
En France, l’année 2021 fut par conséquent celle du doute et de la peur de l’enlisement, d’autant que l’on apprit que les nouvelles autorités maliennes parvenues au pouvoir après le coup d’État du mois d’août 2020, s’appuyaient désormais, aux dépens des Français, sur les mercenaires de la société militaire privée russe Wagner pour combattre les rebelles djihadistes du Nord-Mali. Le 9 novembre 2022, Emmanuel Macron annonça soudain la fin de l’opération Barkhane[1]. La France allait retirer ses troupes. Une question surgit : à quoi avait donc servi la mort de tous ces soldats français au fil de ces années si éprouvantes pour les familles de ces militaires ?
Dans son ouvrage intitulé Septentrion[2], le colonel de l’armée de terre, François-Régis Dabas, tente de dissiper les doutes, l’amertume et le chagrin en plongeant le lecteur dans un récit de guerre intense et en recontextualisant l’engagement français au Mali. Lui, reste convaincu que, « peu importe finalement l’engrenage qui mène à la fin d’Illion, ce sont les exploits des Achéens et des Atrides qui nous intéressent, pour goûter leurs vertus héroïques et faire grandir notre humanité ! »
Au sein du Groupement tactique « Désert ardent » (GTD Ardent), l’unité de combat qu’il commanda au Nord du Mali, le colonel Dabas a participé, entre septembre 2016 et février 2017, à une phase décisive de l’opération Barkhane. Il a mené un combat direct contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) sur un terrain-clé, l’Adrar des Ifoghas, en plein cœur de l’Azawad, l’un des principaux massifs montagneux du Sahara. « Dans les périphéries du Sud algérien et du Nord malien, c’est le territoire des Touaregs qu’aucun des deux Etats concernés ne contrôle véritablement », écrit-il[3]. A la suite de la guerre civile algérienne (1991-2002) et de la guerre en Libye en 2011, l’Azawad est devenu un repaire de groupes salafistes djihadistes alimenté par un afflux de combattants. C’est sur ce territoire que la guerre au Mali avait éclaté en 2012 après que les rebelles touaregs en eurent proclamé l’indépendance. La France y a agi en partenariat avec la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad et elle y a augmenté ses effectifs déployés dans le cadre de Barkhane de 3000 soldats au début de l’opération, jusqu’à plus de 5000 en février 2020.
Combattre en terre africaine pour protéger le territoire national
Tandis que l’opération Serval avait pour objectif de stopper la progression des islamistes vers Bamako depuis le Nord-Mali, l’opération Barkhane, à compter de l’été 2014, a été régionalisée sur une zone grande comme dix fois l’Hexagone. En France, après les attentats islamistes meurtriers de 2015 et 2016, le doute n’était plus permis: il fallait agir. Comme le rappelle l’auteur: « Pour les hommes et les femmes du GTD Ardent et pour moi-même, la mission est sacrée : nous partons combattre et anéantir le serpent islamiste en terre africaine pour protéger nos compatriotes sur le territoire national »[4]. Le gouvernement français met alors en exergue le rôle bénéfique de Barkhane au profit des populations locales qu’elle entend protéger des groupes terroristes[5].
Dans l’Adrar des Ifoghas, le GTD Ardent du colonel Dabas, fort de 800 combattants, s’est notamment retrouvé aux prises avec le groupe touareg Ansar Edin soutenu par l’AQMI. Sa mission était d’en neutraliser le potentiel de combat, dans le cadre d’une phase d’effort du plan de campagne stratégique, la phase « Septentrion »[6]. S’en sont suivis, pour les forces françaises, des combats acharnés dans un environnement désertique particulièrement hostile à toute présence humaine, où la température avoisinait souvent les 50°C.
Quelques années plus tard, l’enthousiasme du début de l’opération s’est progressivement estompé en raison de la férocité des combats et des pertes humaines qui en ont résulté. La presse française s’est alors mise à évoquer les difficultés pour la France d’évoluer au Mali dans « un environnement local gangrené par la corruption et les contentieux entre les chefs traditionnels, les trafiquants d’armes, de migrants et de drogue, sur fond de corruption du pouvoir central »[7], selon le journal Le Monde du 14 janvier 2020. Le piège menaçait alors de se refermer sur le gouvernement désormais confronté au dilemme suivant: poursuivre le combat en accroissant inévitablement le risque d’enlisement et de compromission avec des armées locales prédatrices ou se retirer. Ce qui aurait eu pour conséquence de « livrer les pays du Sahel et leurs populations au chaos et à l’emprise d’une dictature religieuse ». Puis, on annonça qu’une junte militaire, hostile à la France, avait pris le pouvoir à Bamako, le 19 août 2020, à la suite d’un coup d’État. Les autorités françaises annoncèrent une réduction prochaine des effectifs de la force Barkhane et se dirent ouvertes « à des négociations avec des groupes sahéliens, à l’exception des directions d’Al-Qaïda et du groupe Etat islamique »[8]. Ce positionnement a marqué le début de la fin de l’engagement de la France au Mali.
La question religieuse n’est pas le seul problème
Comment expliquer cet échec ? Peut-être aurait-il fallu aborder la guerre au Mali sous un angle différent. Pour l’éminent spécialiste de l’Afrique, Bernard Lugan[9], la grande erreur qui a été faite par les décideurs politiques français, « c’est de croire que le problème c’est la question religieuse ». « L’islamisme au Sahel », analyse-t-il, « n’est que la surinfection de plaies ethniques millénaires », ajoutant que même si demain les groupes djihadistes étaient tous détruits, les problèmes entre les peuples du Nord – des peuples guerriers nomades qui cultivent la vertu de la minorité et de la guerre – et les peuples du Sud, majoritaires et sédentaires, persisteraient. L’islam, dans ces régions, date de quelques siècles. En revanche, l’opposition entre Sudistes et Nordistes date du Néolithique. Après la disparition de l’immense Afrique occidentale française (AOF), de nouvelles frontières sont apparues et les rapports de force entre des peuples multimillénaires ont été bouleversés, mais on assisterait aujourd’hui à un retour à l’ordre ancien dans la zone sahélienne[10].En ce qui concerne l’avenir proche, alors que la France a récemment rapatrié au Niger ses moyens qui étaient au Mali et au Burkina Faso, on peut s’interroger sur la pérennité de cette stratégie, attendu que l’Etat nigérien est lui-même en guerre sur quatre fronts.
La poursuite de cette réflexion sur les conséquences pour la France de son engagement au Mali demeure nécessaire. En effet, alors que l’exercice militaire de grande ampleur « Orion », le plus vaste depuis 30 ans, vient de se dérouler sur fond de guerre en Ukraine, en vue de préparer les armées françaises à un conflit de haute intensité en durcissant leur entraînement, il faut affronter l’idée angoissante d’un engagement potentiel de nos forces dans « la guerre de demain ». C’est de cette réflexion que naîtra, il faut l’espérer, l’idée qu’il faut par tous les moyens, œuvrer en faveur de la paix et refuser de se laisser entraîner dans un conflit sanglant.
[1] Barkhane avait succédé aux opérations Serval au Mali (11 janvier 2013 – 1er août 2014) et Epervier au Tchad (13 février 1986 -1er août 2014).
[2] François-Régis DABAS : Septentrion, Paris, Mareuil Editions, 2023.
La scénariste Danièle Thompson et son fils Christopher se sont attelés au mythe Bardot auquel la principale intéressée a su survivre avec la distance et le franc-parler qu’on lui connaît. Notre chroniqueuse, amoureuse des biopics, nous invite à « ne pas bouder notre plaisir » en regardant la série qui retrace les années initiatiques d’une jeune fille simple sinon rangée…
La vie est pleine de synchronicités. En effet, il y a deux ans, quasi jour pour jour, je préparai une chronique, pour votre magazine préféré, de l’excellente biographie que mon confrère Pascal Louvrier a consacrée à notre star parmi les stars: La vérité BB. Celle-ci sortira d’ailleurs fin août en format poche, aux Éditions Le passeur. Je ne saurais que trop en recommander la lecture. Cette biographie fait exception, Louvrier a inventé un genre en la matière : il sait fouiller jusqu’aux tréfonds de l’âme de ses sujets, mettre à nu leurs blessures sans jamais céder au voyeurisme. Copinage ? Non. Admiration sincère.
Un avant-goût de sapin?
Synchronicité, car nul n’a pu échapper au battage médiatique de ces derniers jours (éclipsé depuis par l’affaire Adèle Haenel): France 2 sort une mini-série biopic en six épisodes sur le mythe Bardot. Et, bien entendu, les critiques vont bon train sur les réseaux sociaux, tandis que la presse est mitigée. Essayons de mettre un peu d’ordre dans cette cacophonie.
Je suis une habituée des chroniques de biopics de stars populaires, je les aime, beaucoup d’entre elles me fascinent, et comme le dit la chanson, j’aurais voulu être une artiste. Faute d’y être parvenue, je leur rends hommage dès que je peux. Et, à chaque fois, j’écris la même chose : on ne touche pas aux idoles (je vais m’efforcer de ne pas employer dans cette chronique le terme « d’icône », bien trop galvaudé). On ne touche pas aux idoles, disais-je, car elles appartiennent à la fois à tout le monde et à personne. Et finalement même plus à elles-mêmes, ce qui permet, à nous autres, pauvres mortels, de nous projeter en elles, de nous les approprier. Et les hommages anthumes (pour paraphraser Alphonse Allais) sont encore plus périlleux, car ils ont un avant-goût de sapin.
Notre Bardot, avec son franc parler rebelle que nous lui connaissons, a, selon moi, fort bien réagi: « Je ne veux rien voir je ne veux rien savoir. Ma vie, je la connais par cœur je l’ai vécue et écrite, je n’ai pas besoin de la revivre. » Ces propos mettent donc de la distance, et introduisent la fiction au sein du biopic. D’ailleurs, du temps de sa splendeur, elle avait déjà opéré cette dichotomie, en faisant la différence entre la femme Brigitte Bardot, bien réelle, qui aimait la vie dans sa simplicité, et la star BB, harcelée par les paparazzi, objet de tous les fantasmes et désirs inavoués. Et BB faillit mener Bardot droit en enfer. Là, une comparaison s’impose : Bardot a survécu à BB quand Norma Jean n’a pas survécu à Marilyn…
Savoir aimer
C’est donc la scénariste Danièle Thompson et son fils Christopher à la réalisation qui se sont attelés à la lourde tâche de réécrire, à leur manière, la naissance du mythe BB. En effet, la série en six épisodes couvre les débuts de la petite Brigitte, jeune fille d’origine bourgeoise, mal dans sa peau, inconsciente de sa beauté. Sa période chrysalide. Puis, suivent les étapes qui la feront parvenir au firmament, jusqu’au réalisateur Henri-Georges Clouzot, qui créa, non pas la femme, mais l’actrice, en lui offrant le rôle de Dominique Marceau dans La vérité. Elle y excelle. Elle est enfin elle-même : cette femme trop libre pour être heureuse, trop passionnée pour savoir aimer !
Contre toute attente, cela est plutôt réussi. C’est un objet charmant. Grâce à Danièle Thompson qui, à 81 ans, reste la boss de nos scénaristes ; n’oublions pas qu’elle est la fille de Gérard Oury et qu’elle fit ses armes en cosignant le scénario de Rabbi Jacob. Elle sait comme personne rendre l’essence d’une époque – La Boum en est le meilleur exemple. Ses scénarii sont délicieusement légers, enlevés, fins, avec quelques touches de lucidité mélancolique. Et effectivement la série de France 2 nous plonge avec délectation dans la douceur de vivre des années 50, le soleil de St Tropez, l’insouciance, la créativité de la jeunesse, le bouillonnement artistique de ces années-là. Bref, tout ce qui nous manque cruellement aujourd’hui. Rien que pour cela, il serait idiot de bouder notre plaisir.
S’est posée, bien sûr, la question cruciale du choix de l’actrice qui pourrait incarner Bardot l’inimitable, « l’inincarnable ». Le choix de Julia de Nunez est à mon sens judicieux. La jeune actrice savait peu de choses de Bardot, et c’est tant mieux, car elle s’est approprié le personnage à sa manière. Avec évidemment moins de grâce, moins de sex appeal et de minauderies maîtrisées. Mais reste la liberté de Bardot, sa façon de n’en faire qu’à sa tête, son apparent « je m’en foutisme ». Beaucoup ont déploré qu’elle n’ait pas essayé d’imiter LA voix, consubstantielle au personnage, mais encore une fois, cette voix est inimitable, sauf dans la caricature. Et là, nous aurions frôlé le ridicule, ou le spectacle de chez Michou… Reste que la scénariste a bien mis le doigt sur quelque chose qui fut capital et douloureux dans la vie de l’actrice : son rapport aux hommes. Elle les aima trop, elle les aima mal.