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Genèse d’un mythe

Que vaut la série de France 2 sur BB?


Genèse d’un mythe
L'actrice Julia de Nunez, Paris, 2023 © JM HAEDRICH/SIPA

La scénariste Danièle Thompson et son fils Christopher se sont attelés au mythe Bardot auquel la principale intéressée a su survivre avec la distance et le franc-parler qu’on lui connaît. Notre chroniqueuse, amoureuse des biopics, nous invite à « ne pas bouder notre plaisir » en regardant la série qui retrace les années initiatiques d’une jeune fille simple sinon rangée…


La vie est pleine de synchronicités. En effet, il y a deux ans, quasi jour pour jour, je préparai une chronique, pour votre magazine préféré, de l’excellente biographie que mon confrère Pascal Louvrier a consacrée à notre star parmi les stars: La vérité BB. Celle-ci sortira d’ailleurs fin août en format poche, aux Éditions Le passeur. Je ne saurais que trop en recommander la lecture. Cette biographie fait exception, Louvrier a inventé un genre en la matière : il sait fouiller jusqu’aux tréfonds de l’âme de ses sujets, mettre à nu leurs blessures sans jamais céder au voyeurisme. Copinage ? Non. Admiration sincère.

Un avant-goût de sapin?

Synchronicité, car nul n’a pu échapper au battage médiatique de ces derniers jours (éclipsé depuis par l’affaire Adèle Haenel): France 2 sort une mini-série biopic en six épisodes sur le mythe Bardot. Et, bien entendu, les critiques vont bon train sur les réseaux sociaux, tandis que la presse est mitigée. Essayons de mettre un peu d’ordre dans cette cacophonie.

Je suis une habituée des chroniques de biopics de stars populaires, je les aime, beaucoup d’entre elles me fascinent, et comme le dit la chanson, j’aurais voulu être une artiste. Faute d’y être parvenue, je leur rends hommage dès que je peux. Et, à chaque fois, j’écris la même chose : on ne touche pas aux idoles (je vais m’efforcer de ne pas employer dans cette chronique le terme « d’icône », bien trop galvaudé). On ne touche pas aux idoles, disais-je, car elles appartiennent à la fois à tout le monde et à personne. Et finalement même plus à elles-mêmes, ce qui permet, à nous autres, pauvres mortels, de nous projeter en elles, de nous les approprier. Et les hommages anthumes (pour paraphraser Alphonse Allais) sont encore plus périlleux, car ils ont un avant-goût de sapin.

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Notre Bardot, avec son franc parler rebelle que nous lui connaissons, a, selon moi, fort bien réagi: « Je ne veux rien voir je ne veux rien savoir. Ma vie, je la connais par cœur je l’ai vécue et écrite, je n’ai pas besoin de la revivre. » Ces propos mettent donc de la distance, et introduisent la fiction au sein du biopic. D’ailleurs, du temps de sa splendeur, elle avait déjà opéré cette dichotomie, en faisant la différence entre la femme Brigitte Bardot, bien réelle, qui aimait la vie dans sa simplicité, et la star BB, harcelée par les paparazzi, objet de tous les fantasmes et désirs inavoués. Et BB faillit mener Bardot droit en enfer. Là, une comparaison s’impose : Bardot a survécu à BB quand Norma Jean n’a pas survécu à Marilyn…

Savoir aimer

C’est donc la scénariste Danièle Thompson et son fils Christopher à la réalisation qui se sont attelés à la lourde tâche de réécrire, à leur manière, la naissance du mythe BB. En effet, la série en six épisodes couvre les débuts de la petite Brigitte, jeune fille d’origine bourgeoise, mal dans sa peau, inconsciente de sa beauté. Sa période chrysalide. Puis, suivent les étapes qui la feront parvenir au firmament, jusqu’au réalisateur Henri-Georges Clouzot, qui créa, non pas la femme, mais l’actrice, en lui offrant le rôle de Dominique Marceau dans La vérité. Elle y excelle. Elle est enfin elle-même : cette femme trop libre pour être heureuse, trop passionnée pour savoir aimer !

Contre toute attente, cela est plutôt réussi. C’est un objet charmant. Grâce à Danièle Thompson qui, à 81 ans, reste la boss de nos scénaristes ; n’oublions pas qu’elle est la fille de Gérard Oury  et qu’elle fit ses armes en cosignant le scénario de Rabbi Jacob. Elle sait comme personne rendre l’essence d’une époque – La Boum en est le meilleur exemple. Ses scénarii sont délicieusement légers, enlevés, fins, avec quelques touches de lucidité mélancolique. Et effectivement la série de France 2 nous plonge avec délectation dans la douceur de vivre des années 50, le soleil de St Tropez, l’insouciance, la créativité de la jeunesse, le bouillonnement artistique de ces années-là. Bref, tout ce qui nous manque cruellement aujourd’hui. Rien que pour cela, il serait idiot de bouder notre plaisir.

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S’est posée, bien sûr, la question cruciale du choix de l’actrice qui pourrait incarner Bardot l’inimitable, « l’inincarnable ». Le choix de Julia de Nunez est à mon sens judicieux. La jeune actrice savait peu de choses de Bardot, et c’est tant mieux, car elle s’est approprié le personnage à sa manière. Avec évidemment moins de grâce, moins de sex appeal et de minauderies maîtrisées. Mais reste la liberté de Bardot, sa façon de n’en faire qu’à sa tête, son apparent « je m’en foutisme ». Beaucoup ont déploré qu’elle n’ait pas essayé d’imiter LA voix, consubstantielle au personnage, mais encore une fois, cette voix est inimitable, sauf dans la caricature. Et là, nous aurions frôlé le ridicule, ou le spectacle de chez Michou… Reste que la scénariste a bien mis le doigt sur quelque chose qui fut capital et douloureux dans la vie de l’actrice : son rapport aux hommes. Elle les aima trop, elle les aima mal.

Sur France 2 le lundi soir, ou en replay.



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est enseignante.

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