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Sollers, plus vivant que jamais

Philippe Sollers (1936-2023)


Sollers, plus vivant que jamais
© Hannah Assouline

Pascal Louvrier, ami et biographe de Philippe Sollers, nous parle de l’écrivain qui marqua profondément la littérature française depuis les années 60 et qui vient de mourir, à l’âge de 86 ans.


Sollers est mort. Je n’arrive même pas à croire ce que j’écris. Je le savais pourtant très malade depuis plusieurs mois. La Closerie des Lilas, sans lui, était d’une grande tristesse. Son rire, si communicatif, très nicotiné, ne résonnait plus à l’heure où les bourgeois vont se coucher. Il était pourtant né bourgeois, dans la banlieue de Bordeaux ; il connaissait tous les codes, il en jouait, sans jamais se prendre au sérieux. C’était un joueur d’échecs, très vif et patient à la fois, avec des fulgurances étonnantes. Aragon et Mauriac l’avaient soutenu dès la parution de son premier roman, Une curieuse solitude. Le grand écart entre le communisme et le catholicisme. Avec une colonne vertébrale solide : la fidélité à de Gaulle – comme le fut sa famille. 

Sans cesse en mouvement

Né le 28 novembre 1936, et parti dans les couloirs du temps le 5 mai 2023, il faudra reprendre l’itinéraire de cet homme sans cesse en mouvement, provocateur, charmeur, cultivé, brillant (son vrai nom est Joyaux) aimant les femmes (vraiment) émancipées, et diablement intelligent. Mais ce n’est pas le moment. Enfin du moins, pour moi. 

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Je veux plutôt me souvenir des promenades d’un pas rapide dans les ruelles de Venise quand il me parlait des jésuites, de la Contre-Réforme, d’Ezra Pound, d’Hemingway, en négligeant les romantiques du malheur; car avec Sollers, à l’image de ses livres, il n’y avait pas de gras, pas de larmes, aucun pathos: il y avait la lumière, le vent du large, les mouettes, l’acacia au fond du jardin, la vie pleine et entière, le bonheur de respirer l’aube de juin… 

« Faire le Mao »

Je veux me souvenir des bains de mer, à la tombée des ombres dans l’Atlantique jamais tranquille, ce besoin soudain de faire la planche, de « faire le Mao » comme il disait, c’est-à-dire de guetter les erreurs de l’adversaire et de lancer une contre-offensive fulgurante. Je veux encore me souvenir de son bureau « dé à coudre », à la « banque centrale » – comprenez Gallimard. Il y préparait minutieusement ses bombes portatives. La plus réussie fut Femmes (1983). Lisez, et vous comprendrez… 

Je me souviens encore d’une promenade au pas de course dans le cloitre de Port-Royal, à Paris. Il avait quand même pris le temps de s’asseoir sur un banc. Il m’avait dit en substance qu’il fallait toujours rester libre, en agitant sa main gauche baguée. Il fallait pour cela esquiver, et prendre toujours des chemins de traverse, être clandestin tout en apparaissant le plus possible dans les médias qui se nourrissaient d’une fausse image de vous, vous laissant travailler en toute quiétude, dans le silence tout mozartien. 

Le bleu du ciel

Car Sollers a beaucoup travaillé. Son œuvre est colossale. Elle résistera au temps, c’est une certitude. Il ne voulait pas être élu à l’Académie française. Trop poussiéreuse. L’immortalité ne passait pas par le quai Conti. Il fallait, au contraire, « postuler posthume », comme il le rappelait, c’est-à-dire écrire, écrire et encore écrire, à l’encre bleue achetée à Venise. Il fallait, pour cela, avoir des amis, et ses amis, il les choisissait parmi les écrivains qui rendaient l’existence moins pesante. Il les nommait les voyageurs du temps. 

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Désormais Sollers navigue donc dans les couloirs du temps. Il est déjà à Venise en compagnie de Casanova. Il a repéré une jeune femme mince, yeux verts, petits seins, la démarche souple. Puis il va retrouver Céline en train de gueuler contre Gallimard qui se goinfre sur son dos. Il y aura aussi Roth qu’il réconfortera de n’avoir jamais eu le Nobel. La belle affaire, le Nobel ! Bataille l’invitera à manger des œufs mayo à Vézelay, sous la protection de Marie-Madeleine. Quant à moi, je continuerai de prendre de ses nouvelles en passant le pont de l’île de Ré. J’irai dans le petit cimetière d’Ars, près du carré des aviateurs anglais, australiens et néo-zélandais tombés ici durant la Seconde Guerre mondiale – ne pas se tromper de camp, jamais – me recueillir devant son cénotaphe. 
J’écouterai, portés par le vent de la marée, ses nouveaux messages. Je lui dirai : « La lune est pleine d’éléphants verts. » Et, dans le bleu du ciel, une mouette rira. Non, Sollers n’est pas mort. Il est plus vivant que jamais.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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