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L’écrivain québécois Réjean Ducharme: tous ses romans en pays de neige

« Romans » de Réjean Ducharme (Quarto Gallimard, 2022)


L’écrivain québécois Réjean Ducharme: tous ses romans en pays de neige
L'écrivain québecois Réjean Ducharme (1941-2017) D.R.

Un volume Quarto est consacré au romancier québécois Réjean Ducharme (1941-2017). Une manière de découvrir Ducharme, un écrivain secret, jamais apparu dans les médias…


Réjean Ducharme, c’est d’abord quatre livres, « achevés pratiquement en même temps, au début de la vingtaine, en quelques années de fécondité créatrice exceptionnelle ». Gallimard sera son éditeur historique, avec des lecteurs comme Raymond Queneau et Dominique Aury, excusez du peu. « À prendre sans hésiter », écrivent-ils tous les deux, fascinés par le jeune génie. Pour son premier roman, paru en 1966, L’Avalée des avalés (Ducharme est très fort pour les titres), Queneau va même essayer de lui faire obtenir le prix Goncourt, hélas en vain, même si le livre est un succès immédiat, et durable.

Émule rajeuni de Léautaud

Aujourd’hui, quelques années après sa mort, on connaît davantage d’éléments sur la vie de Réjean Ducharme. Le monde universitaire, surtout québécois, s’est beaucoup intéressé à lui. Certains aspects de sa vie privée sont venus confirmer l’étrangeté de ses livres. Ne serait-ce, pour l’anecdote, que sa manière de s’habiller, qui en fait un émule rajeuni de Léautaud: « blouson, tee-shirt ou pull à col rond, jeans en velours côtelé, baskets délacées, tête nue ». Mais arrêtons-nous un instant sur ses lectures, car Ducharme était un lecteur passionné. Il lisait beaucoup Céline, Queneau, mais aussi Tolstoï, ainsi que Le Clézio, dont il deviendra l’ami (« Je crois, lui écrit Le Clézio, que vous êtes […] le seul poète que j’ai jamais rencontré »). Il se met par ailleurs au Bruit et à la fureur de Faulkner, mais sans succès: « Comprends pas. N’aime pas », écrit-il dans son Journal. Il faut savoir également que Ducharme s’est intéressé à Lacan.

« L’absolu de l’amour »

La vraie inspiration de ses romans, néanmoins, réside en lui-même, dans son cœur et sa propre humanité. Comme l’observe la préfacière: « Partout, l’absolu de l’amour, de l’amitié et de la liberté, incarnés dans une enfance dure dont le deuil ne veut surtout pas finir… » Le Nez qui voque, en 1966, fait penser, selon les critiques, à la fois à L’Attrape-cœurs de Salinger et à Lautréamont. Quand Ducharme propose Les Gros Mots à Antoine Gallimard, en 1998, celui-ci, décontenancé par le manuscrit, lui fait une réponse hésitante, faisant valoir qu’il ne retrouve pas ce dont il avait l’habitude chez lui: la « richesse du style » digne de Rimbaud, l’« inventivité verbale », avec ses jeux de mots et ses pitreries coutumières, et la « verve » de l’écrivain, point central de son absolue sincérité. Le roman, heureusement, paraîtra quand même. Ce sera son chant du cygne.

L’esprit du Nord

Tous les romans de Ducharme sont porteurs de cette nostalgie très reconnaissable des années soixante-dix, décennie inoubliable pour ceux qui l’ont vécue, et peut-être aussi pour ceux qui sont nés après. Une œuvre de 1973, que contient également ce « Quarto », L’Hiver de force, le plus lu de ses ouvrages au Québec après L’Avalée des avalés, nous présente le fonds de cet imaginaire propre à Ducharme. C’est un récit, cette fois, et non un roman. La notice le dit: « Comme une capsule de l’air du temps des années soixante-dix, le livre saisit les discours de l’époque du point de vue d’une marge artistique, intellectuelle et politique contestataire dont il emprunte la langue. » Nous sommes ici peut-être proches de certains romans de Thomas Pynchon, mais avec davantage d’esprit du Nord, comme dans l’abbaye glaciale de L’Avalée des avalés qu’habite la petite Bérénice, qui rêve de soleil et de chaleur humaine.

La France a adopté depuis le début ce cousin de la lointaine province. Les éditions Gallimard en ont fait un de leurs auteurs fétiches, lui apportant aide et encouragement. Ducharme a reçu plusieurs prix, chez nous, dont, en 1999, le grand prix national des Lettres. C’est le moment, grâce à ce « Quarto », de revenir sur les romans de Réjean Ducharme, et d’en apprécier la suprême nécessité.

Réjean Ducharme, Romans. Édition établie et présentée par Élisabeth Nardout-Lafarge. Éd. Gallimard, collection « Quarto ».

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Jacques-Emile Miriel, critique littéraire, a collaboré au Magazine littéraire et au Dictionnaire des Auteurs et des Oeuvres des éditions Robert Laffont dans la collection "Bouquins".

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