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Sarah Bernhardt, quand même !

Sarah Bernhardt incarne et inspire tous les superlatifs : grande, divine, unique, impératrice… Des planches à la ville, cette comédienne hors du commun est entrée dans l’histoire par son excentricité et sa force de caractère. Une exposition au Petit Palais en témoigne.


« Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée.  Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers… », Phèdre, acte II, scène 5. La somptueuse exposition « Sarah Bernhardt » qui vient d’ouvrir ses portes à Paris pour commémorer le centenaire de sa mort, permet au visiteur d’écouter pendant une minute et 45 secondes, cornet à l’oreille, cette voix unique gravée sur cylindre, cette inimitable emphase chevrotante. C’est la « Divine », c’est toute une époque.

En son temps, Sarah Bernhardt (1844-1923) est une icône aux yeux du monde entier. On l’appelle « l’Enchanteresse », « l’Unique », « la Voix d’or »… Le fils de Réjane, autre comédienne, écrit : « Sarah Bernhardt, vers 1900 : plus qu’une impératrice, une espèce de divinité. » Et de préciser : « Je crois qu’au point de vue de sa situation dans le monde, Victor Hugo est le seul qu’on puisse lui comparer. » À ses funérailles, le 29 mars 1923, une foule gigantesque accompagne le cortège funèbre dont les chars tendus de noir, tirés par des chevaux caparaçonnés, traversent Paris jusqu’au Père-Lachaise. L’événement est filmé : c’est saisissant. La « Grande Sarah » avait 79 ans et la République, qui l’a décorée de la Légion d’honneur, lui refuse cependant le Panthéon. Celle pour qui Jean Cocteau invente l’expression « monstre sacré » y aurait pourtant sa place.

Renvoyée du conservatoire

« Quand même », telle est sa devise. Elle en estampille non seulement ses cartes de visite, mais aussi son linge, son papier à lettre, ses meubles, rideaux, vaisselle, et jusqu’à l’oriflamme qui, des années durant, flotte à la brise de Belle-Île, sur le toit du fortin qu’elle a aménagé pour y passer ses étés. Bien du chemin – quand même – pour en arriver là ! Fruit d’une liaison, la future diva est une enfant illégitime. Officier de marine, son géniteur présumé meurt prématurément. Julie, sa mère, surnommée Youle, aventurière juive native d’Amsterdam, est une lorette qui, montée à Paris, s’est enrichie en forniquant : le fortuné duc de Morny, frère adultérin de Napoléon III, compte parmi ses meilleures prises. Mal-aimée, livrée à elle-même, élevée à Auteuil dans l’école privée d’une dame Fessard, Sarah est une adolescente difficile. Deux demi-sœurs, Jeanne et Régina, complètent ce foyer glacial (Régina meurt à 18 ans de tuberculose ; quant à Jeanne, devenue opiomane, elle disparaît à 25 ans).

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En attendant, Morny finance l’éducation de cette demoiselle auréolée de boucles rousses – cours de peinture, de maintien, d’escrime… Son entregent ouvre à Sarah les portes du Conservatoire. Une gifle donnée à une honorable sociétaire provoque son renvoi. Désormais émancipée, Sarah monnaye ses faveurs à l’exemple de sa mère. Dans son Journal, Goncourt flétrit « la putinerie de cette maquerelle » qui « a prostitué toutes ses filles, aussitôt qu’elles ont eu treize ans ». Sarah attend d’en avoir vingt pour donner naissance à Maurice – d’un « père inconnu », en fait un aristo belge. Fils unique, Maurice meurt en 1928, après avoir vécu avec constance aux crochets de sa mère, en panier percé, dans un rapport fusionnel avec elle.

Le goût pour la chair fraïche

Muse vénale, Sarah Bernhardt n’a jamais chassé que le gros gibier : industriels, fils de famille, plénipotentiaires, patrons de presse… Leur nombre impressionne : des acteurs Mounet-Sully à Jean Angelo, Philippe Garnier, Édouard de Max (relation platonique, celle-là, vu les inclinations du monsieur) ; du jeune diplomate Édouard de Langrenée (gentiment appelé, en ville, « le petit chien de Sarah ») au poète Jean Richepin ; du génial illustrateur Gustave Doré au chirurgien lancé Samuel Pozzi, qu’elle baptise « docteur Dieu » ; du critique et auteur dramatique Jules Lemaître à l’adaptateur de Zola pour les planches, William Bushach. Et puis il y a Edmond Rostand, 28 ans, l’auteur de Cyrano, de L’Aiglon, dédié à « sa Reine de l’Attitude » – pas sûr qu’ils aient couché. Chaste chevalier servant, Reynaldo Hahn (l’amant de Proust, lequel Proust immortalise Sarah dans La Recherche, sous les traits de la Berma) lui compose des musiques de scène. De bonne heure, cette « folle » de Montesquiou (modèle du baron de Charlus – toujours Proust) idolâtre Sarah, éprise quant à elle du dandy Charles Haas (le modèle de Swann – encore Proust), avant de convoler en justes noces, en 1882, à Londres, avec le bellâtre grec Aristides Damalas, son cadet de douze ans, impétrant diplomate reconverti en acteur, et qu’on surnomme « Damalas aux camélias » pour ses performances dans Dumas fils. Mariage désastreux : ruiné, drogué, l’épave Damalas coule à pic en 1889, à 32 ans. À l’approche de son 70e anniversaire, Sarah n’a pas perdu le goût de la chair fraîche : elle s’éprend d’un modèle de Rodin, Lou Tellegen, colosse néerlandais de 27 ans, acteur pitoyable auquel elle confie le premier rôle dans plusieurs films muets, en 1912-1913 (La Dame aux camélias, La Reine Élisabeth, Adrienne Lecouvreur)… Tellegen, Damalas en pire, se tranche les veines à 50 ans.

Sarah Benhardt, 1869 © Bridgeman Images

Engagée au Théâtre du Gymnase en 1863, prise à l’essai trois ans plus tard à l’Odéon, Sarah connaît son premier triomphe en 1869 dans un rôle travesti : Le Passant, de François Coppée. Forte de son succès dans Ruy Blas, elle se fait engager, la tête haute, à la Comédie-Française en 1872 ; maison dont, lassée, elle démissionne au bout de huit ans. En 1877, nouveau triomphe dans Hernani, merci Hugo. Le giletier du « drame bourgeois »,Victorien Sardou, lui taille sept pièces sur-mesure – de Fédora à Cléopâtre en passant par La Tosca. Dans les années 1880 commence l’époque des tournées incessantes, des deux Amériques jusqu’en Australie, au point qu’on surnomme « La Muse ferroviaire » cette élégante qui, lorsqu’elle ne vogue pas en cabine de première blasonnée à son chiffre, itinère en Pullman aménagé pour ses aises. Elle fait ainsi trois fois le tour du monde.

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Le début du succès

Follement dispendieuse, Sarah Bernhardt est toujours à court d’argent. À la tête du Théâtre de la Renaissance jusqu’en 1899 puis du Théâtre des Nations, place du Châtelet (actuel Théâtre de la Ville), qu’elle rebaptise à son nom et repeint en jaune « bouton d’or », cette infatigable femme d’affaires dix fois ruinée cumule les emplois : scénographe, décoratrice, meneuse de troupes, programmatrice, impresario… De sa gestuelle étudiée à la luxuriance de ses atours, de l’ameublement de ses résidences successives à sa façon de dire bonjour, Sarah Bernhardt est tout entière en représentation. Son narcissisme intempérant lui ravit le don du naturel.

La Divine a frayé avec (presque) tout ce qui compte dans la République des lettres et de la politique : George Sand, Dumas, Coppée, Flaubert, Banville, Loti, Hugo, jusqu’à Henri Rochefort et Léon Gambetta… Sans compter les peintres, à commencer par Georges Clairin et Louise Abbema, lesquels, dévots parmi les dévots, la portraiturent inlassablement – en témoigne à foison la présente exposition. Elle lance l’affichiste Mucha, pose pour des artistes de renom : Jules Bastien-Lepage, Alfred Stevens, Antonio de La Gandara, Jean-Léon Gérôme (qui nous a laissé d’elle un incroyable marbre polychrome), mais aussi pour de grands photographes : Nadar, Étienne Carjat, Achille Mélandri (cf. le célèbre cliché où elle dort dans un cercueil)… Le studio londonien W. & D. Downey popularise son image outre-Manche et aux États-Unis car Sarah Bernhardt travaille son image « à l’international » en faisant commerce de ses propres produits dérivés (cosmétique, biscuits, sardines, champagne, absinthe…). Elle gère sa légende, scénarise ses frasques et médiatise ses excentricités.

La fascination qu’exercent ses intérieurs auprès du public prolonge celle de ses parures : acheteuse compulsive, on la voit émerger telle une naïade d’un flot de bibeloteries éclectiques, cernée d’une ménagerie naturalisée mais également vivante : bestiaire où se coudoient chauves-souris, tortues, singes, perroquets, caméléons, et jusqu’à ces lionceaux, guépards et alligators qu’elle aime à lâcher au jardin. Sur le tard, sa folie des bêtes se mue en passion pour les algues marines, dont elle fait des bronzes délicieusement barbares : elle est aussi sculpteur.

Sarah Bernhardt déborde de talents – et de courage : patriote et dreyfusarde, la citoyenne organise un hôpital militaire pendant la guerre de 1870. Et en 1914-1918, quoique amputée d’une jambe, elle se produit devant les « poilus ».

Cette femme inouïe a été notre première star.

A voir :
« Sarah Bernhardt : et la femme créa la star ». Petit Palais, Paris, jusqu’au 27 août.

À lire :
Catalogue de l’exposition : Sarah Bernhardt (dir. Stéphanie Cantarutti et Cécilie Champy-Vinas), Paris Musées, 2023.

À lire également :
Claudette Joannis, Sarah Bernhardt (Payot, 2000, réédition 2023) et surtout la neuve et très riche biographie d’Hélène Tierchant,
Sarah Bernhardt : scandaleuse et indomptable (Tallandier, 2023).

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Mais enfin, Maïwenn!

C’est la starlette dont on va parler cette semaine! Maïwenn fait l’ouverture du festival de Cannes, avec un film dans lequel elle «ose» faire jouer Johnny Depp – malgré les mises en garde néoféministes. Par ailleurs, elle pense qu’Adèle Haenel est un peu con et interprète dans Jeanne du Barry le rôle d’une «courtisane». Enfin, elle a reconnu avoir agressé physiquement le journaliste Edwy Plenel.


Elle est la personnalité du cinéma français dont on parle en ce moment. On ne parle pas ici d’Adèle Haenel, de son caca nerveux et son départ à la retraite, mais de Maïwenn, dont le dernier film Jeanne du Barry ouvrira le prochain festival de Cannes. Par ses dernières prises de position, ses choix d’acteur et même ses coups de griffes administrés à Edwy Plenel dans un restaurant en février dernier, elle est à deux doigts de devenir l’égérie de la droite réactionnaire!

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Un lourd passé de militante décoloniale

Elle revient pourtant de loin. En 2020, elle sortait un film assez navrant, ADN, avec une étrange quête du génome algérien, non sans relents biologiques quelque peu étranges: « Je pense que [l’] engagement [contre le racisme] m’a été transmis par mes ancêtres, qui ont vécu la colonisation ». Depuis, l’actrice et réalisatrice s’est rattrapée. Bien sûr, on ne mettra pas au compte des bonnes actions l’agression d’Edwy Plenel, à coup de tirage de cheveux et de crachats, même si la tentation peut-être grande en présence du patron de Mediapart et son air du type qui vous pique la dernière roue de secours en plein milieu du bush australien. Elle est passée aux aveux, en direct chez Yann Barthès, dans une ambiance de franche rigolade, ce qui a valu une accusation de « complaisance » de la part de Télérama. Fabrice Arfi, la voix de son maître, nous parle carrément de « très mauvais scénario d’une époque ». Quelques semaines après le scandale de la participation d’Hugo Clément au débat de Valeurs actuelles, les médias progressistes semblent se tirer la bourre, et se chercher des poux les uns les autres, c’est à celui qui dérapera le premier.


Concernant l’annonce fracassante de la retraite cinématographique d’Adèle Haenel (celle-ci, additionnée à l’annulation de Stromae et l’arrêt de la matinale de Charline Vanhoenacker, permet d’entrevoir un début de renaissance dans notre pays), Maïwenn n’a pas tout à fait suivi l’enthousiasme de certaines de ses consœurs : « Je trouve ça triste de tenir un discours si radical. Je trouve ça triste pour elle, sur le fait qu’elle voit ce monde-là par ce prisme-là. C’est un peu trop général, un peu trop radical ». En octobre 2020, Maïwenn avait déjà marqué sa divergence avec le féminisme radical d’Adèle Haenel. Enfin, toujours chez Yann Barthès, elle a défendu le choix de faire jouer Johnny Depp dans le rôle de Louis XV, et ce malgré la triste publicité faite par son procès contre Amber Heard. Procès qui nous a permis de ne rien ignorer de ce qui se passait sous les draps, et moins encore, sur les draps.

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« Il a perdu son premier procès, il a gagné le deuxième, c’était parole contre parole, je ne me suis pas sentie de le juger ». Télérama juge bon de nous rappeler que Johnny Depp n’a pas vraiment gagné son procès, « les deux parties ayant été déclarées coupables et condamnées chacune pour diffamation » ; l’acteur a seulement écopé d’une amende moins lourde que son ex-épouse. Le choix de l’acteur est d’autant plus fort qu’il fut fait en janvier 2022, alors que l’issue du procès était loin d’être connue… À l’époque, la frange féministérique des réseaux sociaux s’était étranglée de ce choix.

Une femme dans un milieu d’hommes

Mais alors, où va Maïwenn ? On n’ira pas forcément lui chercher une cohérence idéologique, et on ne lui en demande pas tant. En 2015, elle s’emporte contre ses collègues qui réclament la parité dans les métiers du cinéma. « On fait du tort aux femmes en râlant comme ça. Il y a plus de maquilleuses femmes que d’hommes, et alors ? Qui s’en émeut ? C’est un métier qui fait appel aux hormones masculines [la biologie, encore une fois !], donc il y a tout simplement plus d’hommes réalisateurs, c’est aussi bête que ça ».

Trois ans plus tard, elle signe pourtant la pétition du Collectif 50/50 qui milite pour la parité dans le cinéma. On lui reconnaîtra au moins deux choses : un franc-parler jubilatoire et des derniers coups de gueule salvateurs – mais, par pitié, on ne tire pas les cheveux des vieux messieurs dans les restaurants, même quand ils l’ont un peu mérité !

Une sirène trop voluptueuse

Dans le sud de l’Italie, dans la région des Pouilles et dans une ville nommée Monopoli, une partie de la population semble ne pas avoir apprécié la dernière sculpture d’étudiants en école des arts représentant une sirène. Trop de fesses, trop de seins, trop!


Ah, il est vrai que nous sommes loin de «  la petite sirène » d’Andersen qui inspira une autre statue ; celle que l’on peut voir encore aujourd’hui à Copenhague. Autres temps, autres mœurs ? La sirène n’a jamais cessé d’évoluer. Chez les présocratiques, si mes souvenirs sont bons, ces dames étaient ailées et inspiraient aux hommes capables de les entendre la connaissance suprême. Quand sont-elles exactement tombées dans l’eau ? Je ne saurais le dire. Bien sûr, tout le monde connaît l’aventure d’Ulysse qui boucha les oreilles de ses rameurs avec les boules Quies de l’époque, mais qui, lui, ne résista pas au désir de les entendre tout en prenant soin de ne pas céder à la tentation et, pour ce faire se ficela à son mât.

Il y a quelques années, dans une librairie de Sceaux, la ville bien nommée, je trouvai un livre de Pascal Quignard, intitulé sobrement Boutès. J’ai cru que ce grand écrivain avait inventé ce personnage dont je n’avais jamais entendu parler, puis, je m’aperçus qu’il l’avait, en fait, exhumé. La postérité n’avait donc rien retenu du seul qui avait exécuté le grand saut, et c’est Pascal Quignard qui se chargea de le repêcher.

Il faut voir, du reste, certains tableaux du XIXème siècle qui montrent des marins complètement affolés et reculant d’effroi devant des sirènes échevelées accrochées au bateau. Je les ai toujours trouvés pathétiques et grotesques…

Mais revenons à cette sirène qui fait jaser à défaut de faire chanter pour cause de formes non conformes à la petite fille attendant mélancoliquement sur son rocher. En Italie, elle se trouve, et c’est aussi en Italie, mais plus au sud, en Sicile à vrai dire, que la sirène la plus captivante a été trouvée ; celle que nous devons à Lampédusa:

«  Cette jeune fille, qui devait avoir seize ans, me souriait et ses lèvres pâles, à peine étirées, laissaient entrevoir de petites dents pointues et blanches, pareilles à celles des chiens. Rien de commun cependant avec les sourires que vous échangez, vous autres, toujours abâtardis par une expression accessoire, ironie ou bienveillance, pitié, cruauté ou dieu sait quoi ; ce sourire-là, n’exprimait que lui-même, c’est-à-dire une joie d’exister presque animale, une allégresse quasi divine. »

Je laisse le lecteur découvrir lui-même la suite de cette rencontre fabuleuse qui mènera le futur sénateur, encore jeune à l’époque, à faire le grand plongeon.

En attendant qu’il découvre l’homme qui sauta et la sirène sicilienne, ayons pitié de ceux qui, pourtant Italiens (et ma déception est grande) trouvent à redire aux femmes qui, telle la vague, souvent débordent…


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Le professeur et la sirène de Lampedusa, collection Points aux éditions du Seuil

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Nous sommes bien trop cléments avec le concours de l’Eurovision!

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Nous nous sommes habitués petit à petit à l’extrême vulgarité de ce show musical annuel, qui oppose des chanteurs de tout le continent. À l’issue de la dernière édition, remportée samedi par la Suédoise Loreen, les commentateurs se demandaient si la représentante de la France avait ou non fait un doigt d’honneur à la caméra après avoir découvert son résultat. Mauvais goût: 12 points! Analyse.


On sait de longue date que l’Eurovision, le concours européen de la chanson, est un rendez-vous annuel du mauvais goût. S’y côtoient souvent une certaine vulgarité esthétique et une pauvreté musicale. D’aucuns soutiennent d’ailleurs que c’est là tout l’intérêt du concours, dont la finale télévisée serait à regarder au second degré pour accéder à la supposée dimension comique du spectacle, ludique et sans prétention. Notre époque étant si hostile à la légèreté, à l’humour et à la joie de vivre, on serait alors tenté d’accorder le bénéfice du doute à ce vieux monument du kitsch télévisuel qu’est la soirée de l’Eurovision. Après tout, une bulle de résistance festive et chaleureuse dans un univers si morose ne peut manquer d’intérêt. Un visionnage du spectacle de samedi soir suffit pourtant à dissiper toute illusion: la mauvaise réputation de l’Eurovision est méritée, voire encore trop clémente. 

Sous-texte féministo-lgbtqiste peu subtil

La chanson et l’interprète choisies pour représenter la France avaient cependant pour elles l’intérêt d’avoir misé sur l’élégance. Un texte soigné en français, un air à la fois classique et moderne, une interprétation maîtrisée inspirée de Piaf, le tout servi par une chanteuse à l’allure très sophistiquée: les agents de France Télévisions qui ont choisi cette prestation pour représenter la France ont opté pour l’affirmation d’une France belle et confiante. Une vidéo de présentation de la candidate, tournée à Fontainebleau, était à ce titre très réussie. Passons sur le sens équivoque des paroles de la chanson: elles ressemblent aux confidences d’une prostituée rêveuse et désabusée (façon « Les hommes qui passent » de Patricia Kaas, elle-même candidate de la France au concours de 2009), mais évoluent ensuite vers une harangue de l’artiste elle-même (« Ai-je réussi à chanter la grande France ? », nous demande-t-elle dans une envolée vocale). L’exégèse des chansons pop est un art périlleux qu’il vaut mieux laisser aux initiés. 

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Outre cette prestation française, il faut d’emblée constater que le reste fut pénible. Mauvais goût et pauvreté artistiques étaient bien là. L’hypothèse du second degré s’est quant à elle vite évaporée: la soif de notoriété des participants et des présentateurs, qui rivalisaient d’artifices et de postures pour s’illustrer à la caméra, donna à voir un spectacle assez laid – et franchement risible – d’orgueil et de fatuité. Le message militant et vindicatif que revêtait la plupart des prestations scéniques, avec un sous-texte féministo-lgbtqistes si peu subtil, doucha tout espoir de passer un moment léger et fédérateur. Enfin, les allusions innombrables au conflit en Ukraine, sans rapport ni propos avec la soirée musicale, cadencées comme le seraient des coupures publicité, étaient d’une lourdeur sans nom. Dans ce temple du narcissisme, les démonstrations de soutien au peuple ukrainien, répétées ad nauseam, manifestaient surtout une prétention morale aussi grotesque qu’indécente. Au lieu de lamentations forcées, la réalité tragique de la guerre appelait plutôt recueillement et retenue.

Uniformisation

Au terme de la soirée, un constat s’impose. L’Eurovision n’est ni une célébration de la chanson, ni une célébration de l’Europe. Plutôt qu’un forum de la diversité et de la créativité musicales européennes, le concours s’avère davantage une vitrine de l’uniformisation anglo-saxonne mâtinée de discours pseudo-engagés et convenus. La plupart des prestations consistent en des morceaux faciles de pop, chantés en anglais. Les prestations sont presque toutes interchangeables. L’influence des codes du divertissement américain y est évidente, avec des mises en scène faussement grandioses, ridiculement grandiloquentes, dans une logique de performance très hollywoodienne. C’est d’ailleurs une sorte de pré-requis tacite du concours: n’ont une chance de gagner que les pays dont la prestation fait le pari clair de l’extravagance. La diversité des styles et des langues européennes ne se manifestent qu’à la marge et sous une forme folklorique. La forme règne sans partage, le fond est dépourvu de propos véritable, de sentiment ou d’émotion authentiques, conséquence logique de l’emploi généralisé d’une langue internationale standardisée et appauvrie. À ce titre, l’acculturation américaine se manifeste aussi dans les paroles et expressions des acteurs de ce spectacle, qu’ils soient participants, présentateurs ou intervenants extérieurs: dans un anglais d’aéroport, les échanges sont ponctués d’expressions faciales exagérées et l’on ne compte plus les « oh my god », « so great » et inévitables « amazing ». 

En bref, le concours de l’Eurovision présente l’image parfaite d’une Europe forcément a-nationale, mais surtout a-culturelle: un élément vide, neutre, indistinct, sans caractère propre, qui ne brille que par réfraction des influences extérieures. Un astre mort.

[VIDEO] Driss Ghali sur la colonisation française: mensonge de gauche et mensonge de droite…

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Entretien avec Driss Ghali, écrivain, conférencier et auteur à Causeur. Il nous présente son dernier livre, Une contre-histoire de la colonisation française (Jean-Cyrille Godefroy éditions).


L’essayiste raconte les faces cachées de la colonisation française d’un point de vue à la fois politique, économique et financier, en dénonçant la désinformation et la pensée unique de la colonisation. Selon lui, les colonisés n’ont pas plus raison de se plaindre de la colonisation que les colonisateurs n’en ont de s’en glorifier.

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Il veut dénoncer la désinformation et la pensée unique de la colonisation. Tout le débat contemporain est caduc et nous empêche d’aller de l’avant.

5 questions à Driss Ghali

Une contre-histoire de la colonisation française

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Démocrature, dictablanda et blablabla?

Avec Cinquante Nuances de dictature, tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs, Renée Fregosi échauffe les esprits et c’est avec froideur qu’elle aborde la brûlante question de l’état actuel du pays : « De là à considérer la démocratie française comme une dictature, il y a de la marge », affirme-t-elle.


« Il arrive que des régimes dictatoriaux s’installent dans des sociétés démocratiques… qui ont posé des principes d’égalité entre leurs membres et de liberté d’individus, mais qui en ont perdu le sens », explique la politologue Renée Fregosi. Nous, Français, spécialistes du créneau, avons-nous développé un tel problème de latéralisation ? 

L’essai fait principalement voyager dans les dictatures de l’ailleurs. Du Venezuela à la Russie, de la Chine à l’Arabie Saoudite, en passant par la Libye et l’Allemagne nazie, toutes les aires géographiques sont passées au peigne fin. Toutes les figures des livres d’Histoire, de Pinochet à Kadhafi, sont convoquées. Et, chiffres à l’appui, sont passés au crible les divers critères de démocratisation. 

Tour du monde des réussites autoritaires

Car le néologisme a été fort utile pour définir le degré plus ou moins marginal de la démocratisation d’un régime. Si l’on est habitué aux « dictablanda » ou encore aux « démocratures », l’Economist Intelligence Unit, elle, identifie les « régimes autoritaires » (35,3 % des pays de la planète), les « régimes hybrides » (20,4 %), les « démocraties pleines » (12,6%) et les « démocraties imparfaites (31,7%). Évidemment, « pleut-il ou ne pleut-il pas » est une question moins épineuse… 

Renée Frégosi © BALTEL/SIPA

« Ne serait-il pas plus clair de parler de « régimes autoritaires imparfaits » ou « plus-que-parfaits » plutôt que de régimes hybrides ? » interroge la philosophe. Pourquoi ne pas alors décréter que les deux totalitarismes, nazisme et communisme, sont des « régimes antérieurs » à ce « totalitarisme du troisième type » comme Frégosi nomme le totalitarisme islamique dans son troisième chapitre ? Parce que l’on passerait à côté des émergences néo-nazies ? Pourtant, selon une autre équipe de chercheurs, qui mesure « la qualité de démocratie de chaque régime, en [l’] évaluant sur une échelle de 0 à 10 », Pologne et Hongrie obtiennent respectivement une note de 6,80 et 6,50. 

A relire: Turquie: est-ce la fin du calife Erdoğan?

Alors il en est des régimes comme des hommes, ils changent : « Depuis 2016, et sur les cinq années consécutives, le nombre des pays versant dans l’autoritarisme est approximativement trois fois plus haut que celui de ceux qui progressent vers la démocratie. » Et dans ce tour du monde des tentatives et réussites autoritaires, Fregosi fait remarquer que peu de pays seraient, depuis leur création, identifiés comme « démocratie » et félicités d’une bonne note, ainsi pour le Proche-Orient, seul « Israël, avec ses 7,84, se situe depuis sa fondation en 1948 dans le groupe des démocraties ». 

Les Français menacés par leur servitude volontaire

Alors quid de la France promise dès le titre de l’essai ? Paradoxalement, elle apparaît peu, et les définitions liminaires invitent à se demander si l’analyse de Fregosi n’est pas une habile turquerie — ce processus dont les Lumières ont usé et abusé, et grâce auquel une pièce de Voltaire intitulée Mahomet attaquait la religion catholique. Une turquerie dont les analyses révèlent deux lourdes menaces pour la démocratie française : le frérisme et le wokisme.

Quand elle explique : « Les pouvoirs autoritaires fonctionnent toujours selon le principe de l’imposition de certains sur d’autres, et entravent ou interdisent le libre choix de chacun », ne pense-t-on pas à… Et quand on lit que la « dictature politique survient comme la conséquence d’une dégradation de la société qui n’a pas su se prémunir contre, d’une part, l’atomisation, l’égoïsme et la « servitude volontaire », ne penserait-on pas à… ?

La nuance entre les mots ne tient qu’à un fil, et ignorer celui-ci amène à tous les abus. Dictature, totalitarisme, ou fascisme sont autant de gros mots qui ont envahi façon blitzkrieg la basse-cour politique et les réseaux sociaux. Employés comme des étendards, leur prolifération provient du « flou des mots qui embrouille les esprits [et] fait écho au désintérêt pour l’étude des dictatures contemporaines ». Désintérêt d’une part et complaisance de l’autre : « Quant aux pays du Maghreb, du proche et moyen Orient, ils ont été, et pour nombre d’entre eux sont toujours, l’objet d’une complaisance ahurissante de la part des démocraties occidentales. » Ah bon ?

La « fin de l’histoire », pour l’Occident, n’a pas été l’extension d’une démocratie idyllique mais plutôt une déshistorisation des concepts. L’apprentissage, la projection, la réflexion, bref la nuance, sont hors-jeu dès lors que le buzz et le pathos sont autant de moteurs du discours politique. « Car une pensée extrême se fait par l’évacuation de toute autre idée compensatrice, modératrice ou contradictoire avec l’idée première. » Mais il y a bien des sujets de pathos en France, et les régimes peuvent tomber. « Les dictatures comme les démocraties » conclut l’auteur dans Corse Matin (Fregosi est née à Ajaccio), et l’on se demande bien de quel côté va tomber la France. 

Renée Fregosi, Cinquante nuances de dictature : tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs, Editions de l’aube, avril 2023, 191 p.

Vous avez dit Gringoire?

Vexé par une couverture de Valeurs actuelles, le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye compare l’hebdomadaire à Gringoire


En même temps qu’il s’emploie à mettre à mal l’enseignement de notre corpus civilisationnel français à l’école, Monsieur le ministre de l’Éducation nationale s’aventure à exhumer des archives médiatiques l’hebdomadaire satirique Gringoire. Ceux qui n’ignoraient pas son existence l’avaient probablement oubliée. On saura donc gré au ministre de l’effort de restitution historique auquel il a bien voulu sacrifier en la circonstance. Nous sommes soulagés : voilà cette publication des heures sombres de notre passé sauvée de l’épuration wokiste si ardemment ourdie par ledit ministre. Profitons-en donc pour pousser un peu plus loin le bouchon de la réminiscence historique.  Ce qui a fait le renom et assuré la postérité de cette publication est le rôle qu’elle a joué dans l’affaire Salengro. Nous sommes en 1936. Avènement du Front Populaire. Roger Salengro, député-maire de Lille devient ministre de l’Intérieur. Quelques mois plus tard, en novembre, l’homme se suicide au gaz dans son appartement de Lille. Depuis pratiquement son entrée au gouvernement, il faisait l’objet d’accusations graves, mettant sérieusement en cause son honneur. On le soupçonnait d’avoir déserté pendant la Grande Guerre. Rien de moins. Les journaux d’opposition, la presse d’extrême droite, Gringoire en première ligne, s’en donnent cœur joie. On en fait des tonnes. Le scandale est énorme. Pour tenter d’éteindre l’incendie, on décide la tenue d’un débat parlementaire dont on espère qu’il apportera sinon toute la lumière, du moins l’apaisement. Le débat a lieu, suivi d’un vote. Vote favorable au mis en cause. Cela paraît bel et bon, sauf que, dans la foulée, le lendemain même, Gringoire sort la formule qui tue : « On a blanchi Salengro, le voilà propre en gros ». Le jeu de mots, aussi facile que douteux d’ailleurs, fait florès. L’opinion ne veut retenir que ce trait. Le vote de l’Assemblée demeure donc sans aucun effet. Quelques jours plus tard, survient le drame. Roger Salengro se donne la mort. Il faut un coupable. Ce sera la presse de droite, d’extrême-droite, surtout Gringoire, bien sûr. L’humanité du 17 novembre titre en Une: « À la suite des attaques de journaux infâmes le ministre de l’Intérieur s’est tué. » Suit un chapeau: « Cruellement atteint par les coups répétés de la haine fasciste du Gringoire de Chiappe et des organes hitlériens, Roger Salengro a été trouvé asphyxié au gaz dans son appartement de Lille. »


C’est alors que nous devons nous faire un devoir – doublé d’un vif plaisir – d’apporter à la connaissance de notre ministre de l’Éducation nationale quelques précisions historiques complaisamment passées sous silence hier et encore aujourd’hui. Tout d’abord, les premières accusations journalistiques de désertion face à l’ennemi à l’encontre de Salengro ne sont pas à chercher du côté de Gringoire ou des journaux d’extrême droite, mais – et cela dès les années 1920 – dans les colonnes du Prolétaire, publication communiste du Nord. Accusation reprise en 1931 par le même organe. Selon l’article publié, « le 7 octobre 1915, le soldat Salengro, cycliste (autrement dit estafette) – au 233 eme d’Infanterie, 51eme division, serait passé à l’ennemi après avoir quitté ses lignes sous prétexte d’aller récupérer le corps ou les papiers d’un compagnon d’armes tombé la veille. » On notera au passage que dans cet article, la désertion se trouve aggravée du crime de trahison. Quand on manie la faucille et le marteau, autant ne pas y aller de main morte, n’est-ce pas ! Quant au pesant jeu de mots Proprengro, c’est également sous une plume communiste qu’il apparaît en premier, également en 1931. Gringoire ne fait donc que le reprendre.

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Il y a mieux. Nous avons évoqué le vote positif de l’Assemblée. Au vu des chiffres, la cause paraît entendue: 530 votants. 427 favorables. 103 contre. Mais à l’examen du texte sur lequel les députés ont été appelés à se prononcer, l’affaire est beaucoup moins claire: « La Chambre, constatant l’inanité des accusations apportées contre un membre du gouvernement, flétrit les campagnes d’outrages et de calomnies qui ne peuvent qu’énerver (sic) l’opinion publique, exaspérer les passions partisanes, propager les méthodes de violence et déconsidérer notre pays aux yeux de l’étranger, fait confiance au gouvernement pour soumettre sans délai au parlement un projet de loi qui, tout en sauvegardant la liberté de la presse permette à tous les citoyens de défendre efficacement leur honneur contre la calomnie et la diffamation. » Voilà donc la résolution proposée et votée le vendredi 13 novembre 1936 à l’Assemblée. Le premier intéressé, Roger Salengro, n’est même pas nommé. On s’en tient au très impersonnel « un membre du gouvernement ». Les faits pourtant fort graves qui lui sont reprochés et sur lesquels il s’agit de se prononcer ne sont nullement exposés. Là où on s’attendrait à trouver en termes précis l’affirmation vigoureuse que le soldat Salengro est innocent de ce dont on l’accuse, qu’il doit être blanchi une fois pour toutes hic et nunc, on se contente de quelques mots en ouverture pour dévier aussitôt sur l’énoncé de bonnes intentions législatives exprimées avec toute l’emphatique lourdeur de l’immortelle langue de bois. S’en retournant chez lui à Lille, Roger Salengro peut-il se convaincre qu’il est soutenu par son propre camp avec la vigueur qu’il pouvait en attendre ? Certes, la violence des attaques ad hominem de Gringoire, l’effet qu’elles ont eu dans l’opinion, sont à condamner avec la dernière fermeté en regard de l’issue dramatique de l’affaire. Mais que ce constat d’évidence ne nous interdise pas de considérer que, de retour chez lui, à Lille, le ministre Salengro, de surcroît veuf depuis peu, ait pu se sentir bien seul.

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LR contre-attaque: Ciotti présente son « shadow cabinet »

Mais un contre-gouvernement, ça ne suffit pas…


La Première ministre a du caractère: plus elle se sent menacée, plus elle provoque le président de la République. De la même manière que je me doutais que celui-ci n’apprécierait pas Fugue américaine de Bruno Le Maire à cause de l’image que cela donnerait d’un ministre se gardant du temps pour écrire un long roman, je suis persuadé qu’Emmanuel Macron, jaloux de son pouvoir comme il l’est, n’aura pas goûté qu’Elisabeth Borne affirme au JDD: « Je veux continuer à relever les défis du pays ». Comme si elle amplifiait sa liberté et se créditait d’une durée dépendant de sa seule initiative…

Si j’étais Premier ministre…

Au même moment, Eric Ciotti, pour LR, dévoile son « shadow cabinet » promis depuis plusieurs semaines, un contre-gouvernement composé de douze personnalités, auxquelles il convient d’ajouter une coordinatrice, Annie Genevard. Le président Ciotti ne m’en voudra pas mais je continue à regretter que, selon un mauvais sort trop fréquent, l’homme le plus fait pour occuper ce poste, Bruno Retailleau, ne l’ait pas emporté. Sa rigueur, son intelligence et sa détermination, démontrées par exemple encore une fois dans un entretien au Parisien – « Emmanuel Macron est ligoté par ses contradictions » – auraient sans doute fait souffler sur ce parti un autre air.


Il n’empêche que ce contre-gouvernement a belle allure avec notamment deux cracks, Philippe Juvin chargé du Travail et Jean-Louis Thiériot de la Défense. Frédéric Péchenard à l’Intérieur ne serait pas dépaysé. Nadine Morano, à l’Immigration, serait à son aise et ne pourrait pas être taxée de faiblesse. Et à la Justice, le sénateur François-Noël Buffet, président de la Commission des Lois.

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Je voudrais m’attacher à ce dernier ministère virtuel parce que la pensée de la droite, au sujet de la Justice et de tout ce qui dépend d’elle, doit être révisée. Surtout décapée de tout ce qui, subtilement, la gangrène avec des poncifs et un conformisme hérités de la gauche et jamais battus en brèche. Notamment sur les prisons, la récidive, l’obligation de remettre en chantier de nouvelles peines planchers, de favoriser les procédures rapides (par exemple pourquoi ne pas redonner vie à la saisine directe, datant d’Alain Peyrefitte et permettant de juger immédiatement des faits incontestables, même anciens ?) et, avant tout, de rendre efficient un système d’exécution des peines mis à mal par l’abus des sursis trop rarement révoqués et les contradictions entre peines d’emprisonnement mais aménagements immédiats…

Quatre longues années avant 2027

Il y aurait une voie royale pour une droite voulant rénover la Justice, à condition que plus aucun tabou ni interdit venant d’ailleurs ne pèsent sur l’élaboration de son projet. Un contre-gouvernement ne suffit évidemment pas pour redresser LR. Des noms, même fiables et brillants, ne pourront pas à eux seuls offrir des chances et de l’avenir à une droite authentiquement et solidement conservatrice. Il conviendra d’élaborer, pour chacun des secteurs concernés, un programme suffisamment précis, mais pas trop pour que la réalité, venu le temps du pouvoir, puisse s’y engouffrer. Et il n’y aura que ce dernier détail à régler: l’emporter en 2027. Ce pas d’aujourd’hui n’est que le premier mais il ouvrira le chemin si la droite cesse enfin d’aspirer à une identité si molle et si peu fiable qu’elle lui est en réalité imposée par ses adversaires.

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Sexe et genre, place à la haine

Que deviennent les hommes à l’heure où la révolution des mœurs – la révolution morale – souffle en tempête sur l’Occident ?


Nid à névroses, la famille est aussi un refuge. La mère, le père, l’Œdipe, et l’amour comme ciment. Il en va ainsi pour la plupart des gens en Occident depuis l’invention de la famille moderne au xviiie siècle, avec des variantes, des ambivalences. Que s’est-il donc passé pour qu’aujourd’hui des essaims de guêpes survoltées attaquent en piqué la figure paternelle ? Elle est étrange, tout de même, cette obsession du grand démon blanc hétéro-patriarcal. Je m’étonne qu’on n’aille pas fouiller ce qui se passe là-dessous, dans ce brasier de rage en fusion.

La librairie Mollat prise pour cible

À des degrés divers, tout ce qui se rapporte au sexe et, par extension, au genre, contient de la violence. Pour le féminisme radical, comme pour son versant woke, la figure paternelle, entourée de ses rejetons mâles, incarne cette violence – image de la domination à tous crins, symbole de la tyrannie sans frein. La réaction à cette violence fantasmatique, quoique trop souvent réelle, est également une violence, mais de nature différente. Si vindicatifs soient-ils, le néoféminisme comme le wokisme restent dans les limites du respect de l’intégrité physique. Ils aspirent à une emprise de type totalitaire sans recourir aux pratiques meurtrières des révolutions rouges ou brunes. Ils n’en restent pas moins des violences.

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Récemment invité à Bordeaux par la librairie Mollat pour présenter son dernier roman, Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé, Frédéric Beigbeder suscite la colère des gardes roses de la révolution morale, qui manifestent devant la librairie préalablement taguée. Parmi ces tags, celui-ci : «Tu as un discours de violeur. » Toujours cette rengaine absurde.

La vénérable Sorbonne n’échappe pas à la déglingue, cette fois dans le cadre des études de genre. Fin mars, dans une vidéo, Emmanuelle Hénin, professeur de littérature comparée, condamne les impostures du déconstructionnisme, décrit leur influence au sein de l’université, et pour finir dénonce « l’avènement d’un crétinarcat » où se repère évidemment la critique d’un patriarcat mis à toutes les sauces. Des propos polémiques mais argumentés, sans aucune attaque ad hominem. Or voilà que deux de ses collègues, responsables de l’« Initiative genre » de Sorbonne-Université, postent sur leur site et envoient à une large liste de diffusion un « billet d’humeur », en écriture inclusive, qui se veut une « réponse aux insultes » intitulé « Sainte Bécassine », et dont voici le premier paragraphe : « Dans une vidéo récente diffusée sur Twitter par Le Figaro, une professeure des universités se permet d’insulter des collègues proches, certes non nommé.e.s, mais identifiables de manière implicite : celles et ceux qui utilisent les outils des études de genre, de la déconstruction, ou encore de l’intersectionnalité, installeraient un “crétinarcat” au cœur de l’institution. Ces mauvaises manières sont-elles nouvelles ? Que nenni. Cette dame et ses sombres acolytes sont coutumiers du fait. »

Démolir la figure paternelle

Rien de bien méchant, direz-vous. À ceci près que la suite déborde d’injures d’une telle violence qu’une citation s’impose, hautement révélatrice du dogmatisme woke : « Comment la chose pourrait-elle dès lors penser avant de parler ? Il ne lui reste effectivement que l’invective pour toute panoplie. D’ailleurs, la chose parle-t-elle seulement ? Non, la chose est parlée. En elle, ça parle, et c’est bien en cela qu’elle n’est que métaphore, ou symptôme, d’un phénomène d’une tout autre ampleur. C’est quoi, ça ? Un mélange infâme, de ressentiment, de peur, de fantasme, et même d’idéologie douteuse, puisque l’on renifle dans son infect potage les relents de haines recuites. Notre prophète de pacotille n’est en vérité qu’une pauvre marionnette qui ânonne son gloubi-boulga. Vous savez ? Cette ragougnasse dont seuls raffolent les dinosaures bipèdes de l’espèce des Casimirus. Dans un grand saladier, vous mélangez de la confiture de fraises, du chocolat en poudre, de la banane écrasée, de la moutarde très forte et de la saucisse de Toulouse. Sans doute commencez-vous à concevoir quelque idée de ce que nous sert cette fripouille. » Diatribe telle quelle, que je cite un peu longuement parce qu’elle trahit la projection repérable à l’emploi des termes jetés comme un aveu caché, « ressentiment », « peur », « fantasme », « idéologie douteuse », « relents de haines recuites », tout ce qui caractérise justement la démarche woke et l’agressivité dont elle se nourrit.

Déconstruire le patriarcat, c’est-à-dire démolir la figure paternelle sans se soucier des conséquences sociales et sociétales à terme, ne prend pas nécessairement des formes brutales. Prenez l’idée de l’invisibilité des femmes. Par exemple, dans MGEN Actus du 8 mars, la mutuelle proclame : « On s’engage pour les droits des femmes. » Et de préciser, au sujet de la question du genre, placée au cœur de la crise du Covid : « Cette crise a aussi mis en lumière des secteurs dits “féminins” : ceux de la santé, de la grande distribution, du commerce de détail… invisibilisés en période ordinaire et pourtant vitaux en période extraordinaire ! » Difficile de trouver mutuelle plus humaniste que la MGEN. Pourtant l’accent porté sur l’invisibilité des secteurs dits féminins constitue une forme de violence, dès lors qu’elle passe sous silence, et de facto exclut, l’invisibilité des secteurs masculins qui devraient également être mis en lumière, infirmiers, éboueurs, chauffeurs routiers, ouvriers dans les métiers soumis aux trois-huit, etc., secteurs non moins « invisibilisés en période ordinaire et pourtant vitaux en période extraordinaire ». Ce deux poids, deux mesures est problématique. En Occident, notamment en France, les femmes ne sont pas plus invisibles que les hommes, ou plutôt ne le sont plus. L’élection de Sophie Binet à la tête de la CGT, la désignation de Marylise Léon pour succéder à Laurent Berger et diriger la CFDT valent confirmation d’un véritable renversement dans le champ des pouvoirs, et ce ne sont pas les seuls, tant s’en faut. On peut se réjouir de cette évolution. Mais l’insatiable surenchère du néoféminisme, comme l’expansion du wokisme au sein de l’Université et de l’Éducation nationale, n’en deviennent que plus intolérables.

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Docteur Greta

C’est la consécration pour Greta Thunberg, laquelle a déjà reçu deux doctorats honoris causa.


L’université de Helsinki vient d’annoncer que, le 9 juin, Greta Thunberg recevra le titre de docteur honoris causa pour récompenser son activité de militante écologique.

Les diplômes honorifiques ont été inventés par les universités médiévales afin de reconnaître et de récompenser l’érudition de certains individus sans les obliger à passer des examens. Aujourd’hui, ces diplômes sont devenus des marques de distinction décernées à des personnalités éminentes sans grand lien avec le travail académique.

Dans le cas de Greta Thunberg, ce lien est particulièrement ténu et paradoxal. Il semble que, non seulement la jeune femme de 20 ans n’a pas encore commencé d’études universitaires, mais qu’elle n’a pas passé l’équivalent d’un baccalauréat. En 2019-2020, elle a pris une « année sabbatique » pour voyager, en faisant notamment deux traversées « décarbonées » de l’Atlantique à bord d’un voilier et d’un catamaran – sauf que le déplacement en voilier aurait nécessité six billets d’avion entre l’Europe et les États-Unis pour des membres de l’équipe. En 2018, elle avait refusé d’aller à l’école et a encouragé tous les enfants autour de la planète à faire une « grève scolaire pour le climat ». Malgré cette façon de ne pas rendre service à l’éducation, elle a déjà reçu deux doctorats honoris causa, un de l’université de Mons, en Belgique, en 2019, et un autre de l’université de la Colombie-Britannique Okanagan, en 2021. Curieusement, ce dernier doctorat était en droit. Plus bizarrement encore, celui qui lui sera décerné par Helsinki sera en théologie. Est-ce reconnaître que le changement climatique ne relève plus de la science, mais est hissé au rang de religion?

Sarah Bernhardt, quand même !

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Portrait de Sarah Bernhardt, Georges Clairin, 1876 © Bridgeman Images

Sarah Bernhardt incarne et inspire tous les superlatifs : grande, divine, unique, impératrice… Des planches à la ville, cette comédienne hors du commun est entrée dans l’histoire par son excentricité et sa force de caractère. Une exposition au Petit Palais en témoigne.


« Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée.  Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers… », Phèdre, acte II, scène 5. La somptueuse exposition « Sarah Bernhardt » qui vient d’ouvrir ses portes à Paris pour commémorer le centenaire de sa mort, permet au visiteur d’écouter pendant une minute et 45 secondes, cornet à l’oreille, cette voix unique gravée sur cylindre, cette inimitable emphase chevrotante. C’est la « Divine », c’est toute une époque.

En son temps, Sarah Bernhardt (1844-1923) est une icône aux yeux du monde entier. On l’appelle « l’Enchanteresse », « l’Unique », « la Voix d’or »… Le fils de Réjane, autre comédienne, écrit : « Sarah Bernhardt, vers 1900 : plus qu’une impératrice, une espèce de divinité. » Et de préciser : « Je crois qu’au point de vue de sa situation dans le monde, Victor Hugo est le seul qu’on puisse lui comparer. » À ses funérailles, le 29 mars 1923, une foule gigantesque accompagne le cortège funèbre dont les chars tendus de noir, tirés par des chevaux caparaçonnés, traversent Paris jusqu’au Père-Lachaise. L’événement est filmé : c’est saisissant. La « Grande Sarah » avait 79 ans et la République, qui l’a décorée de la Légion d’honneur, lui refuse cependant le Panthéon. Celle pour qui Jean Cocteau invente l’expression « monstre sacré » y aurait pourtant sa place.

Renvoyée du conservatoire

« Quand même », telle est sa devise. Elle en estampille non seulement ses cartes de visite, mais aussi son linge, son papier à lettre, ses meubles, rideaux, vaisselle, et jusqu’à l’oriflamme qui, des années durant, flotte à la brise de Belle-Île, sur le toit du fortin qu’elle a aménagé pour y passer ses étés. Bien du chemin – quand même – pour en arriver là ! Fruit d’une liaison, la future diva est une enfant illégitime. Officier de marine, son géniteur présumé meurt prématurément. Julie, sa mère, surnommée Youle, aventurière juive native d’Amsterdam, est une lorette qui, montée à Paris, s’est enrichie en forniquant : le fortuné duc de Morny, frère adultérin de Napoléon III, compte parmi ses meilleures prises. Mal-aimée, livrée à elle-même, élevée à Auteuil dans l’école privée d’une dame Fessard, Sarah est une adolescente difficile. Deux demi-sœurs, Jeanne et Régina, complètent ce foyer glacial (Régina meurt à 18 ans de tuberculose ; quant à Jeanne, devenue opiomane, elle disparaît à 25 ans).

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En attendant, Morny finance l’éducation de cette demoiselle auréolée de boucles rousses – cours de peinture, de maintien, d’escrime… Son entregent ouvre à Sarah les portes du Conservatoire. Une gifle donnée à une honorable sociétaire provoque son renvoi. Désormais émancipée, Sarah monnaye ses faveurs à l’exemple de sa mère. Dans son Journal, Goncourt flétrit « la putinerie de cette maquerelle » qui « a prostitué toutes ses filles, aussitôt qu’elles ont eu treize ans ». Sarah attend d’en avoir vingt pour donner naissance à Maurice – d’un « père inconnu », en fait un aristo belge. Fils unique, Maurice meurt en 1928, après avoir vécu avec constance aux crochets de sa mère, en panier percé, dans un rapport fusionnel avec elle.

Le goût pour la chair fraïche

Muse vénale, Sarah Bernhardt n’a jamais chassé que le gros gibier : industriels, fils de famille, plénipotentiaires, patrons de presse… Leur nombre impressionne : des acteurs Mounet-Sully à Jean Angelo, Philippe Garnier, Édouard de Max (relation platonique, celle-là, vu les inclinations du monsieur) ; du jeune diplomate Édouard de Langrenée (gentiment appelé, en ville, « le petit chien de Sarah ») au poète Jean Richepin ; du génial illustrateur Gustave Doré au chirurgien lancé Samuel Pozzi, qu’elle baptise « docteur Dieu » ; du critique et auteur dramatique Jules Lemaître à l’adaptateur de Zola pour les planches, William Bushach. Et puis il y a Edmond Rostand, 28 ans, l’auteur de Cyrano, de L’Aiglon, dédié à « sa Reine de l’Attitude » – pas sûr qu’ils aient couché. Chaste chevalier servant, Reynaldo Hahn (l’amant de Proust, lequel Proust immortalise Sarah dans La Recherche, sous les traits de la Berma) lui compose des musiques de scène. De bonne heure, cette « folle » de Montesquiou (modèle du baron de Charlus – toujours Proust) idolâtre Sarah, éprise quant à elle du dandy Charles Haas (le modèle de Swann – encore Proust), avant de convoler en justes noces, en 1882, à Londres, avec le bellâtre grec Aristides Damalas, son cadet de douze ans, impétrant diplomate reconverti en acteur, et qu’on surnomme « Damalas aux camélias » pour ses performances dans Dumas fils. Mariage désastreux : ruiné, drogué, l’épave Damalas coule à pic en 1889, à 32 ans. À l’approche de son 70e anniversaire, Sarah n’a pas perdu le goût de la chair fraîche : elle s’éprend d’un modèle de Rodin, Lou Tellegen, colosse néerlandais de 27 ans, acteur pitoyable auquel elle confie le premier rôle dans plusieurs films muets, en 1912-1913 (La Dame aux camélias, La Reine Élisabeth, Adrienne Lecouvreur)… Tellegen, Damalas en pire, se tranche les veines à 50 ans.

Sarah Benhardt, 1869 © Bridgeman Images

Engagée au Théâtre du Gymnase en 1863, prise à l’essai trois ans plus tard à l’Odéon, Sarah connaît son premier triomphe en 1869 dans un rôle travesti : Le Passant, de François Coppée. Forte de son succès dans Ruy Blas, elle se fait engager, la tête haute, à la Comédie-Française en 1872 ; maison dont, lassée, elle démissionne au bout de huit ans. En 1877, nouveau triomphe dans Hernani, merci Hugo. Le giletier du « drame bourgeois »,Victorien Sardou, lui taille sept pièces sur-mesure – de Fédora à Cléopâtre en passant par La Tosca. Dans les années 1880 commence l’époque des tournées incessantes, des deux Amériques jusqu’en Australie, au point qu’on surnomme « La Muse ferroviaire » cette élégante qui, lorsqu’elle ne vogue pas en cabine de première blasonnée à son chiffre, itinère en Pullman aménagé pour ses aises. Elle fait ainsi trois fois le tour du monde.

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Le début du succès

Follement dispendieuse, Sarah Bernhardt est toujours à court d’argent. À la tête du Théâtre de la Renaissance jusqu’en 1899 puis du Théâtre des Nations, place du Châtelet (actuel Théâtre de la Ville), qu’elle rebaptise à son nom et repeint en jaune « bouton d’or », cette infatigable femme d’affaires dix fois ruinée cumule les emplois : scénographe, décoratrice, meneuse de troupes, programmatrice, impresario… De sa gestuelle étudiée à la luxuriance de ses atours, de l’ameublement de ses résidences successives à sa façon de dire bonjour, Sarah Bernhardt est tout entière en représentation. Son narcissisme intempérant lui ravit le don du naturel.

La Divine a frayé avec (presque) tout ce qui compte dans la République des lettres et de la politique : George Sand, Dumas, Coppée, Flaubert, Banville, Loti, Hugo, jusqu’à Henri Rochefort et Léon Gambetta… Sans compter les peintres, à commencer par Georges Clairin et Louise Abbema, lesquels, dévots parmi les dévots, la portraiturent inlassablement – en témoigne à foison la présente exposition. Elle lance l’affichiste Mucha, pose pour des artistes de renom : Jules Bastien-Lepage, Alfred Stevens, Antonio de La Gandara, Jean-Léon Gérôme (qui nous a laissé d’elle un incroyable marbre polychrome), mais aussi pour de grands photographes : Nadar, Étienne Carjat, Achille Mélandri (cf. le célèbre cliché où elle dort dans un cercueil)… Le studio londonien W. & D. Downey popularise son image outre-Manche et aux États-Unis car Sarah Bernhardt travaille son image « à l’international » en faisant commerce de ses propres produits dérivés (cosmétique, biscuits, sardines, champagne, absinthe…). Elle gère sa légende, scénarise ses frasques et médiatise ses excentricités.

La fascination qu’exercent ses intérieurs auprès du public prolonge celle de ses parures : acheteuse compulsive, on la voit émerger telle une naïade d’un flot de bibeloteries éclectiques, cernée d’une ménagerie naturalisée mais également vivante : bestiaire où se coudoient chauves-souris, tortues, singes, perroquets, caméléons, et jusqu’à ces lionceaux, guépards et alligators qu’elle aime à lâcher au jardin. Sur le tard, sa folie des bêtes se mue en passion pour les algues marines, dont elle fait des bronzes délicieusement barbares : elle est aussi sculpteur.

Sarah Bernhardt déborde de talents – et de courage : patriote et dreyfusarde, la citoyenne organise un hôpital militaire pendant la guerre de 1870. Et en 1914-1918, quoique amputée d’une jambe, elle se produit devant les « poilus ».

Cette femme inouïe a été notre première star.

A voir :
« Sarah Bernhardt : et la femme créa la star ». Petit Palais, Paris, jusqu’au 27 août.

À lire :
Catalogue de l’exposition : Sarah Bernhardt (dir. Stéphanie Cantarutti et Cécilie Champy-Vinas), Paris Musées, 2023.

À lire également :
Claudette Joannis, Sarah Bernhardt (Payot, 2000, réédition 2023) et surtout la neuve et très riche biographie d’Hélène Tierchant,
Sarah Bernhardt : scandaleuse et indomptable (Tallandier, 2023).

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Mais enfin, Maïwenn!

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La réalisatrice et actrice franco-algérienne Maïwenn, photographiée en 2021 à Cannes © LAURENT VU/PARIENTE JEAN-PHILIPPE/SIPA

C’est la starlette dont on va parler cette semaine! Maïwenn fait l’ouverture du festival de Cannes, avec un film dans lequel elle «ose» faire jouer Johnny Depp – malgré les mises en garde néoféministes. Par ailleurs, elle pense qu’Adèle Haenel est un peu con et interprète dans Jeanne du Barry le rôle d’une «courtisane». Enfin, elle a reconnu avoir agressé physiquement le journaliste Edwy Plenel.


Elle est la personnalité du cinéma français dont on parle en ce moment. On ne parle pas ici d’Adèle Haenel, de son caca nerveux et son départ à la retraite, mais de Maïwenn, dont le dernier film Jeanne du Barry ouvrira le prochain festival de Cannes. Par ses dernières prises de position, ses choix d’acteur et même ses coups de griffes administrés à Edwy Plenel dans un restaurant en février dernier, elle est à deux doigts de devenir l’égérie de la droite réactionnaire!

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Un lourd passé de militante décoloniale

Elle revient pourtant de loin. En 2020, elle sortait un film assez navrant, ADN, avec une étrange quête du génome algérien, non sans relents biologiques quelque peu étranges: « Je pense que [l’] engagement [contre le racisme] m’a été transmis par mes ancêtres, qui ont vécu la colonisation ». Depuis, l’actrice et réalisatrice s’est rattrapée. Bien sûr, on ne mettra pas au compte des bonnes actions l’agression d’Edwy Plenel, à coup de tirage de cheveux et de crachats, même si la tentation peut-être grande en présence du patron de Mediapart et son air du type qui vous pique la dernière roue de secours en plein milieu du bush australien. Elle est passée aux aveux, en direct chez Yann Barthès, dans une ambiance de franche rigolade, ce qui a valu une accusation de « complaisance » de la part de Télérama. Fabrice Arfi, la voix de son maître, nous parle carrément de « très mauvais scénario d’une époque ». Quelques semaines après le scandale de la participation d’Hugo Clément au débat de Valeurs actuelles, les médias progressistes semblent se tirer la bourre, et se chercher des poux les uns les autres, c’est à celui qui dérapera le premier.


Concernant l’annonce fracassante de la retraite cinématographique d’Adèle Haenel (celle-ci, additionnée à l’annulation de Stromae et l’arrêt de la matinale de Charline Vanhoenacker, permet d’entrevoir un début de renaissance dans notre pays), Maïwenn n’a pas tout à fait suivi l’enthousiasme de certaines de ses consœurs : « Je trouve ça triste de tenir un discours si radical. Je trouve ça triste pour elle, sur le fait qu’elle voit ce monde-là par ce prisme-là. C’est un peu trop général, un peu trop radical ». En octobre 2020, Maïwenn avait déjà marqué sa divergence avec le féminisme radical d’Adèle Haenel. Enfin, toujours chez Yann Barthès, elle a défendu le choix de faire jouer Johnny Depp dans le rôle de Louis XV, et ce malgré la triste publicité faite par son procès contre Amber Heard. Procès qui nous a permis de ne rien ignorer de ce qui se passait sous les draps, et moins encore, sur les draps.

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« Il a perdu son premier procès, il a gagné le deuxième, c’était parole contre parole, je ne me suis pas sentie de le juger ». Télérama juge bon de nous rappeler que Johnny Depp n’a pas vraiment gagné son procès, « les deux parties ayant été déclarées coupables et condamnées chacune pour diffamation » ; l’acteur a seulement écopé d’une amende moins lourde que son ex-épouse. Le choix de l’acteur est d’autant plus fort qu’il fut fait en janvier 2022, alors que l’issue du procès était loin d’être connue… À l’époque, la frange féministérique des réseaux sociaux s’était étranglée de ce choix.

Une femme dans un milieu d’hommes

Mais alors, où va Maïwenn ? On n’ira pas forcément lui chercher une cohérence idéologique, et on ne lui en demande pas tant. En 2015, elle s’emporte contre ses collègues qui réclament la parité dans les métiers du cinéma. « On fait du tort aux femmes en râlant comme ça. Il y a plus de maquilleuses femmes que d’hommes, et alors ? Qui s’en émeut ? C’est un métier qui fait appel aux hormones masculines [la biologie, encore une fois !], donc il y a tout simplement plus d’hommes réalisateurs, c’est aussi bête que ça ».

Trois ans plus tard, elle signe pourtant la pétition du Collectif 50/50 qui milite pour la parité dans le cinéma. On lui reconnaîtra au moins deux choses : un franc-parler jubilatoire et des derniers coups de gueule salvateurs – mais, par pitié, on ne tire pas les cheveux des vieux messieurs dans les restaurants, même quand ils l’ont un peu mérité !

Une sirène trop voluptueuse

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D.R.

Dans le sud de l’Italie, dans la région des Pouilles et dans une ville nommée Monopoli, une partie de la population semble ne pas avoir apprécié la dernière sculpture d’étudiants en école des arts représentant une sirène. Trop de fesses, trop de seins, trop!


Ah, il est vrai que nous sommes loin de «  la petite sirène » d’Andersen qui inspira une autre statue ; celle que l’on peut voir encore aujourd’hui à Copenhague. Autres temps, autres mœurs ? La sirène n’a jamais cessé d’évoluer. Chez les présocratiques, si mes souvenirs sont bons, ces dames étaient ailées et inspiraient aux hommes capables de les entendre la connaissance suprême. Quand sont-elles exactement tombées dans l’eau ? Je ne saurais le dire. Bien sûr, tout le monde connaît l’aventure d’Ulysse qui boucha les oreilles de ses rameurs avec les boules Quies de l’époque, mais qui, lui, ne résista pas au désir de les entendre tout en prenant soin de ne pas céder à la tentation et, pour ce faire se ficela à son mât.

Il y a quelques années, dans une librairie de Sceaux, la ville bien nommée, je trouvai un livre de Pascal Quignard, intitulé sobrement Boutès. J’ai cru que ce grand écrivain avait inventé ce personnage dont je n’avais jamais entendu parler, puis, je m’aperçus qu’il l’avait, en fait, exhumé. La postérité n’avait donc rien retenu du seul qui avait exécuté le grand saut, et c’est Pascal Quignard qui se chargea de le repêcher.

Il faut voir, du reste, certains tableaux du XIXème siècle qui montrent des marins complètement affolés et reculant d’effroi devant des sirènes échevelées accrochées au bateau. Je les ai toujours trouvés pathétiques et grotesques…

Mais revenons à cette sirène qui fait jaser à défaut de faire chanter pour cause de formes non conformes à la petite fille attendant mélancoliquement sur son rocher. En Italie, elle se trouve, et c’est aussi en Italie, mais plus au sud, en Sicile à vrai dire, que la sirène la plus captivante a été trouvée ; celle que nous devons à Lampédusa:

«  Cette jeune fille, qui devait avoir seize ans, me souriait et ses lèvres pâles, à peine étirées, laissaient entrevoir de petites dents pointues et blanches, pareilles à celles des chiens. Rien de commun cependant avec les sourires que vous échangez, vous autres, toujours abâtardis par une expression accessoire, ironie ou bienveillance, pitié, cruauté ou dieu sait quoi ; ce sourire-là, n’exprimait que lui-même, c’est-à-dire une joie d’exister presque animale, une allégresse quasi divine. »

Je laisse le lecteur découvrir lui-même la suite de cette rencontre fabuleuse qui mènera le futur sénateur, encore jeune à l’époque, à faire le grand plongeon.

En attendant qu’il découvre l’homme qui sauta et la sirène sicilienne, ayons pitié de ceux qui, pourtant Italiens (et ma déception est grande) trouvent à redire aux femmes qui, telle la vague, souvent débordent…


Boutès de P. Quignard, aux éditions Galilée

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Le professeur et la sirène de Lampedusa, collection Points aux éditions du Seuil

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Nous sommes bien trop cléments avec le concours de l’Eurovision!

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Kaarija, le hip hop finlandais, s'est classé second, Liverpool, 13 mai 2023 © Graham Finney/Cover ImagesCOVER/SIPA

Nous nous sommes habitués petit à petit à l’extrême vulgarité de ce show musical annuel, qui oppose des chanteurs de tout le continent. À l’issue de la dernière édition, remportée samedi par la Suédoise Loreen, les commentateurs se demandaient si la représentante de la France avait ou non fait un doigt d’honneur à la caméra après avoir découvert son résultat. Mauvais goût: 12 points! Analyse.


On sait de longue date que l’Eurovision, le concours européen de la chanson, est un rendez-vous annuel du mauvais goût. S’y côtoient souvent une certaine vulgarité esthétique et une pauvreté musicale. D’aucuns soutiennent d’ailleurs que c’est là tout l’intérêt du concours, dont la finale télévisée serait à regarder au second degré pour accéder à la supposée dimension comique du spectacle, ludique et sans prétention. Notre époque étant si hostile à la légèreté, à l’humour et à la joie de vivre, on serait alors tenté d’accorder le bénéfice du doute à ce vieux monument du kitsch télévisuel qu’est la soirée de l’Eurovision. Après tout, une bulle de résistance festive et chaleureuse dans un univers si morose ne peut manquer d’intérêt. Un visionnage du spectacle de samedi soir suffit pourtant à dissiper toute illusion: la mauvaise réputation de l’Eurovision est méritée, voire encore trop clémente. 

Sous-texte féministo-lgbtqiste peu subtil

La chanson et l’interprète choisies pour représenter la France avaient cependant pour elles l’intérêt d’avoir misé sur l’élégance. Un texte soigné en français, un air à la fois classique et moderne, une interprétation maîtrisée inspirée de Piaf, le tout servi par une chanteuse à l’allure très sophistiquée: les agents de France Télévisions qui ont choisi cette prestation pour représenter la France ont opté pour l’affirmation d’une France belle et confiante. Une vidéo de présentation de la candidate, tournée à Fontainebleau, était à ce titre très réussie. Passons sur le sens équivoque des paroles de la chanson: elles ressemblent aux confidences d’une prostituée rêveuse et désabusée (façon « Les hommes qui passent » de Patricia Kaas, elle-même candidate de la France au concours de 2009), mais évoluent ensuite vers une harangue de l’artiste elle-même (« Ai-je réussi à chanter la grande France ? », nous demande-t-elle dans une envolée vocale). L’exégèse des chansons pop est un art périlleux qu’il vaut mieux laisser aux initiés. 

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Outre cette prestation française, il faut d’emblée constater que le reste fut pénible. Mauvais goût et pauvreté artistiques étaient bien là. L’hypothèse du second degré s’est quant à elle vite évaporée: la soif de notoriété des participants et des présentateurs, qui rivalisaient d’artifices et de postures pour s’illustrer à la caméra, donna à voir un spectacle assez laid – et franchement risible – d’orgueil et de fatuité. Le message militant et vindicatif que revêtait la plupart des prestations scéniques, avec un sous-texte féministo-lgbtqistes si peu subtil, doucha tout espoir de passer un moment léger et fédérateur. Enfin, les allusions innombrables au conflit en Ukraine, sans rapport ni propos avec la soirée musicale, cadencées comme le seraient des coupures publicité, étaient d’une lourdeur sans nom. Dans ce temple du narcissisme, les démonstrations de soutien au peuple ukrainien, répétées ad nauseam, manifestaient surtout une prétention morale aussi grotesque qu’indécente. Au lieu de lamentations forcées, la réalité tragique de la guerre appelait plutôt recueillement et retenue.

Uniformisation

Au terme de la soirée, un constat s’impose. L’Eurovision n’est ni une célébration de la chanson, ni une célébration de l’Europe. Plutôt qu’un forum de la diversité et de la créativité musicales européennes, le concours s’avère davantage une vitrine de l’uniformisation anglo-saxonne mâtinée de discours pseudo-engagés et convenus. La plupart des prestations consistent en des morceaux faciles de pop, chantés en anglais. Les prestations sont presque toutes interchangeables. L’influence des codes du divertissement américain y est évidente, avec des mises en scène faussement grandioses, ridiculement grandiloquentes, dans une logique de performance très hollywoodienne. C’est d’ailleurs une sorte de pré-requis tacite du concours: n’ont une chance de gagner que les pays dont la prestation fait le pari clair de l’extravagance. La diversité des styles et des langues européennes ne se manifestent qu’à la marge et sous une forme folklorique. La forme règne sans partage, le fond est dépourvu de propos véritable, de sentiment ou d’émotion authentiques, conséquence logique de l’emploi généralisé d’une langue internationale standardisée et appauvrie. À ce titre, l’acculturation américaine se manifeste aussi dans les paroles et expressions des acteurs de ce spectacle, qu’ils soient participants, présentateurs ou intervenants extérieurs: dans un anglais d’aéroport, les échanges sont ponctués d’expressions faciales exagérées et l’on ne compte plus les « oh my god », « so great » et inévitables « amazing ». 

En bref, le concours de l’Eurovision présente l’image parfaite d’une Europe forcément a-nationale, mais surtout a-culturelle: un élément vide, neutre, indistinct, sans caractère propre, qui ne brille que par réfraction des influences extérieures. Un astre mort.

[VIDEO] Driss Ghali sur la colonisation française: mensonge de gauche et mensonge de droite…

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Entretien avec Driss Ghali, écrivain, conférencier et auteur à Causeur. Il nous présente son dernier livre, Une contre-histoire de la colonisation française (Jean-Cyrille Godefroy éditions).


L’essayiste raconte les faces cachées de la colonisation française d’un point de vue à la fois politique, économique et financier, en dénonçant la désinformation et la pensée unique de la colonisation. Selon lui, les colonisés n’ont pas plus raison de se plaindre de la colonisation que les colonisateurs n’en ont de s’en glorifier.

A lire aussi, Alexis Brunet: La colonisation, histoire d’un échec

Il veut dénoncer la désinformation et la pensée unique de la colonisation. Tout le débat contemporain est caduc et nous empêche d’aller de l’avant.

5 questions à Driss Ghali

Une contre-histoire de la colonisation française

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Démocrature, dictablanda et blablabla?

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Recep Tayyip Erdogan dans un bureau de vote à Istanbul, accompagné de son épouse Emine, 14 mai 2023 © Umit Bektas/AP/SIPA

Avec Cinquante Nuances de dictature, tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs, Renée Fregosi échauffe les esprits et c’est avec froideur qu’elle aborde la brûlante question de l’état actuel du pays : « De là à considérer la démocratie française comme une dictature, il y a de la marge », affirme-t-elle.


« Il arrive que des régimes dictatoriaux s’installent dans des sociétés démocratiques… qui ont posé des principes d’égalité entre leurs membres et de liberté d’individus, mais qui en ont perdu le sens », explique la politologue Renée Fregosi. Nous, Français, spécialistes du créneau, avons-nous développé un tel problème de latéralisation ? 

L’essai fait principalement voyager dans les dictatures de l’ailleurs. Du Venezuela à la Russie, de la Chine à l’Arabie Saoudite, en passant par la Libye et l’Allemagne nazie, toutes les aires géographiques sont passées au peigne fin. Toutes les figures des livres d’Histoire, de Pinochet à Kadhafi, sont convoquées. Et, chiffres à l’appui, sont passés au crible les divers critères de démocratisation. 

Tour du monde des réussites autoritaires

Car le néologisme a été fort utile pour définir le degré plus ou moins marginal de la démocratisation d’un régime. Si l’on est habitué aux « dictablanda » ou encore aux « démocratures », l’Economist Intelligence Unit, elle, identifie les « régimes autoritaires » (35,3 % des pays de la planète), les « régimes hybrides » (20,4 %), les « démocraties pleines » (12,6%) et les « démocraties imparfaites (31,7%). Évidemment, « pleut-il ou ne pleut-il pas » est une question moins épineuse… 

Renée Frégosi © BALTEL/SIPA

« Ne serait-il pas plus clair de parler de « régimes autoritaires imparfaits » ou « plus-que-parfaits » plutôt que de régimes hybrides ? » interroge la philosophe. Pourquoi ne pas alors décréter que les deux totalitarismes, nazisme et communisme, sont des « régimes antérieurs » à ce « totalitarisme du troisième type » comme Frégosi nomme le totalitarisme islamique dans son troisième chapitre ? Parce que l’on passerait à côté des émergences néo-nazies ? Pourtant, selon une autre équipe de chercheurs, qui mesure « la qualité de démocratie de chaque régime, en [l’] évaluant sur une échelle de 0 à 10 », Pologne et Hongrie obtiennent respectivement une note de 6,80 et 6,50. 

A relire: Turquie: est-ce la fin du calife Erdoğan?

Alors il en est des régimes comme des hommes, ils changent : « Depuis 2016, et sur les cinq années consécutives, le nombre des pays versant dans l’autoritarisme est approximativement trois fois plus haut que celui de ceux qui progressent vers la démocratie. » Et dans ce tour du monde des tentatives et réussites autoritaires, Fregosi fait remarquer que peu de pays seraient, depuis leur création, identifiés comme « démocratie » et félicités d’une bonne note, ainsi pour le Proche-Orient, seul « Israël, avec ses 7,84, se situe depuis sa fondation en 1948 dans le groupe des démocraties ». 

Les Français menacés par leur servitude volontaire

Alors quid de la France promise dès le titre de l’essai ? Paradoxalement, elle apparaît peu, et les définitions liminaires invitent à se demander si l’analyse de Fregosi n’est pas une habile turquerie — ce processus dont les Lumières ont usé et abusé, et grâce auquel une pièce de Voltaire intitulée Mahomet attaquait la religion catholique. Une turquerie dont les analyses révèlent deux lourdes menaces pour la démocratie française : le frérisme et le wokisme.

Quand elle explique : « Les pouvoirs autoritaires fonctionnent toujours selon le principe de l’imposition de certains sur d’autres, et entravent ou interdisent le libre choix de chacun », ne pense-t-on pas à… Et quand on lit que la « dictature politique survient comme la conséquence d’une dégradation de la société qui n’a pas su se prémunir contre, d’une part, l’atomisation, l’égoïsme et la « servitude volontaire », ne penserait-on pas à… ?

La nuance entre les mots ne tient qu’à un fil, et ignorer celui-ci amène à tous les abus. Dictature, totalitarisme, ou fascisme sont autant de gros mots qui ont envahi façon blitzkrieg la basse-cour politique et les réseaux sociaux. Employés comme des étendards, leur prolifération provient du « flou des mots qui embrouille les esprits [et] fait écho au désintérêt pour l’étude des dictatures contemporaines ». Désintérêt d’une part et complaisance de l’autre : « Quant aux pays du Maghreb, du proche et moyen Orient, ils ont été, et pour nombre d’entre eux sont toujours, l’objet d’une complaisance ahurissante de la part des démocraties occidentales. » Ah bon ?

La « fin de l’histoire », pour l’Occident, n’a pas été l’extension d’une démocratie idyllique mais plutôt une déshistorisation des concepts. L’apprentissage, la projection, la réflexion, bref la nuance, sont hors-jeu dès lors que le buzz et le pathos sont autant de moteurs du discours politique. « Car une pensée extrême se fait par l’évacuation de toute autre idée compensatrice, modératrice ou contradictoire avec l’idée première. » Mais il y a bien des sujets de pathos en France, et les régimes peuvent tomber. « Les dictatures comme les démocraties » conclut l’auteur dans Corse Matin (Fregosi est née à Ajaccio), et l’on se demande bien de quel côté va tomber la France. 

Renée Fregosi, Cinquante nuances de dictature : tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs, Editions de l’aube, avril 2023, 191 p.

Vous avez dit Gringoire?

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Pap Ndiaye sur le plateau de France 3, 7 mai 2023. Image: capture d'écran France 3.

Vexé par une couverture de Valeurs actuelles, le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye compare l’hebdomadaire à Gringoire


En même temps qu’il s’emploie à mettre à mal l’enseignement de notre corpus civilisationnel français à l’école, Monsieur le ministre de l’Éducation nationale s’aventure à exhumer des archives médiatiques l’hebdomadaire satirique Gringoire. Ceux qui n’ignoraient pas son existence l’avaient probablement oubliée. On saura donc gré au ministre de l’effort de restitution historique auquel il a bien voulu sacrifier en la circonstance. Nous sommes soulagés : voilà cette publication des heures sombres de notre passé sauvée de l’épuration wokiste si ardemment ourdie par ledit ministre. Profitons-en donc pour pousser un peu plus loin le bouchon de la réminiscence historique.  Ce qui a fait le renom et assuré la postérité de cette publication est le rôle qu’elle a joué dans l’affaire Salengro. Nous sommes en 1936. Avènement du Front Populaire. Roger Salengro, député-maire de Lille devient ministre de l’Intérieur. Quelques mois plus tard, en novembre, l’homme se suicide au gaz dans son appartement de Lille. Depuis pratiquement son entrée au gouvernement, il faisait l’objet d’accusations graves, mettant sérieusement en cause son honneur. On le soupçonnait d’avoir déserté pendant la Grande Guerre. Rien de moins. Les journaux d’opposition, la presse d’extrême droite, Gringoire en première ligne, s’en donnent cœur joie. On en fait des tonnes. Le scandale est énorme. Pour tenter d’éteindre l’incendie, on décide la tenue d’un débat parlementaire dont on espère qu’il apportera sinon toute la lumière, du moins l’apaisement. Le débat a lieu, suivi d’un vote. Vote favorable au mis en cause. Cela paraît bel et bon, sauf que, dans la foulée, le lendemain même, Gringoire sort la formule qui tue : « On a blanchi Salengro, le voilà propre en gros ». Le jeu de mots, aussi facile que douteux d’ailleurs, fait florès. L’opinion ne veut retenir que ce trait. Le vote de l’Assemblée demeure donc sans aucun effet. Quelques jours plus tard, survient le drame. Roger Salengro se donne la mort. Il faut un coupable. Ce sera la presse de droite, d’extrême-droite, surtout Gringoire, bien sûr. L’humanité du 17 novembre titre en Une: « À la suite des attaques de journaux infâmes le ministre de l’Intérieur s’est tué. » Suit un chapeau: « Cruellement atteint par les coups répétés de la haine fasciste du Gringoire de Chiappe et des organes hitlériens, Roger Salengro a été trouvé asphyxié au gaz dans son appartement de Lille. »


C’est alors que nous devons nous faire un devoir – doublé d’un vif plaisir – d’apporter à la connaissance de notre ministre de l’Éducation nationale quelques précisions historiques complaisamment passées sous silence hier et encore aujourd’hui. Tout d’abord, les premières accusations journalistiques de désertion face à l’ennemi à l’encontre de Salengro ne sont pas à chercher du côté de Gringoire ou des journaux d’extrême droite, mais – et cela dès les années 1920 – dans les colonnes du Prolétaire, publication communiste du Nord. Accusation reprise en 1931 par le même organe. Selon l’article publié, « le 7 octobre 1915, le soldat Salengro, cycliste (autrement dit estafette) – au 233 eme d’Infanterie, 51eme division, serait passé à l’ennemi après avoir quitté ses lignes sous prétexte d’aller récupérer le corps ou les papiers d’un compagnon d’armes tombé la veille. » On notera au passage que dans cet article, la désertion se trouve aggravée du crime de trahison. Quand on manie la faucille et le marteau, autant ne pas y aller de main morte, n’est-ce pas ! Quant au pesant jeu de mots Proprengro, c’est également sous une plume communiste qu’il apparaît en premier, également en 1931. Gringoire ne fait donc que le reprendre.

A lire aussi: Hugo délire

Il y a mieux. Nous avons évoqué le vote positif de l’Assemblée. Au vu des chiffres, la cause paraît entendue: 530 votants. 427 favorables. 103 contre. Mais à l’examen du texte sur lequel les députés ont été appelés à se prononcer, l’affaire est beaucoup moins claire: « La Chambre, constatant l’inanité des accusations apportées contre un membre du gouvernement, flétrit les campagnes d’outrages et de calomnies qui ne peuvent qu’énerver (sic) l’opinion publique, exaspérer les passions partisanes, propager les méthodes de violence et déconsidérer notre pays aux yeux de l’étranger, fait confiance au gouvernement pour soumettre sans délai au parlement un projet de loi qui, tout en sauvegardant la liberté de la presse permette à tous les citoyens de défendre efficacement leur honneur contre la calomnie et la diffamation. » Voilà donc la résolution proposée et votée le vendredi 13 novembre 1936 à l’Assemblée. Le premier intéressé, Roger Salengro, n’est même pas nommé. On s’en tient au très impersonnel « un membre du gouvernement ». Les faits pourtant fort graves qui lui sont reprochés et sur lesquels il s’agit de se prononcer ne sont nullement exposés. Là où on s’attendrait à trouver en termes précis l’affirmation vigoureuse que le soldat Salengro est innocent de ce dont on l’accuse, qu’il doit être blanchi une fois pour toutes hic et nunc, on se contente de quelques mots en ouverture pour dévier aussitôt sur l’énoncé de bonnes intentions législatives exprimées avec toute l’emphatique lourdeur de l’immortelle langue de bois. S’en retournant chez lui à Lille, Roger Salengro peut-il se convaincre qu’il est soutenu par son propre camp avec la vigueur qu’il pouvait en attendre ? Certes, la violence des attaques ad hominem de Gringoire, l’effet qu’elles ont eu dans l’opinion, sont à condamner avec la dernière fermeté en regard de l’issue dramatique de l’affaire. Mais que ce constat d’évidence ne nous interdise pas de considérer que, de retour chez lui, à Lille, le ministre Salengro, de surcroît veuf depuis peu, ait pu se sentir bien seul.

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LR contre-attaque: Ciotti présente son « shadow cabinet »

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Eric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau sortent après leur entretien avec Elisabeth Borne, en avril 2023 © Lyam Bourrouilhou/SIPA

Mais un contre-gouvernement, ça ne suffit pas…


La Première ministre a du caractère: plus elle se sent menacée, plus elle provoque le président de la République. De la même manière que je me doutais que celui-ci n’apprécierait pas Fugue américaine de Bruno Le Maire à cause de l’image que cela donnerait d’un ministre se gardant du temps pour écrire un long roman, je suis persuadé qu’Emmanuel Macron, jaloux de son pouvoir comme il l’est, n’aura pas goûté qu’Elisabeth Borne affirme au JDD: « Je veux continuer à relever les défis du pays ». Comme si elle amplifiait sa liberté et se créditait d’une durée dépendant de sa seule initiative…

Si j’étais Premier ministre…

Au même moment, Eric Ciotti, pour LR, dévoile son « shadow cabinet » promis depuis plusieurs semaines, un contre-gouvernement composé de douze personnalités, auxquelles il convient d’ajouter une coordinatrice, Annie Genevard. Le président Ciotti ne m’en voudra pas mais je continue à regretter que, selon un mauvais sort trop fréquent, l’homme le plus fait pour occuper ce poste, Bruno Retailleau, ne l’ait pas emporté. Sa rigueur, son intelligence et sa détermination, démontrées par exemple encore une fois dans un entretien au Parisien – « Emmanuel Macron est ligoté par ses contradictions » – auraient sans doute fait souffler sur ce parti un autre air.


Il n’empêche que ce contre-gouvernement a belle allure avec notamment deux cracks, Philippe Juvin chargé du Travail et Jean-Louis Thiériot de la Défense. Frédéric Péchenard à l’Intérieur ne serait pas dépaysé. Nadine Morano, à l’Immigration, serait à son aise et ne pourrait pas être taxée de faiblesse. Et à la Justice, le sénateur François-Noël Buffet, président de la Commission des Lois.

À lire aussi : Quand Emmanuel Macron passe aux aveux

Je voudrais m’attacher à ce dernier ministère virtuel parce que la pensée de la droite, au sujet de la Justice et de tout ce qui dépend d’elle, doit être révisée. Surtout décapée de tout ce qui, subtilement, la gangrène avec des poncifs et un conformisme hérités de la gauche et jamais battus en brèche. Notamment sur les prisons, la récidive, l’obligation de remettre en chantier de nouvelles peines planchers, de favoriser les procédures rapides (par exemple pourquoi ne pas redonner vie à la saisine directe, datant d’Alain Peyrefitte et permettant de juger immédiatement des faits incontestables, même anciens ?) et, avant tout, de rendre efficient un système d’exécution des peines mis à mal par l’abus des sursis trop rarement révoqués et les contradictions entre peines d’emprisonnement mais aménagements immédiats…

Quatre longues années avant 2027

Il y aurait une voie royale pour une droite voulant rénover la Justice, à condition que plus aucun tabou ni interdit venant d’ailleurs ne pèsent sur l’élaboration de son projet. Un contre-gouvernement ne suffit évidemment pas pour redresser LR. Des noms, même fiables et brillants, ne pourront pas à eux seuls offrir des chances et de l’avenir à une droite authentiquement et solidement conservatrice. Il conviendra d’élaborer, pour chacun des secteurs concernés, un programme suffisamment précis, mais pas trop pour que la réalité, venu le temps du pouvoir, puisse s’y engouffrer. Et il n’y aura que ce dernier détail à régler: l’emporter en 2027. Ce pas d’aujourd’hui n’est que le premier mais il ouvrira le chemin si la droite cesse enfin d’aspirer à une identité si molle et si peu fiable qu’elle lui est en réalité imposée par ses adversaires.

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Sexe et genre, place à la haine

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L'écrivain Frédéric Beigbeder. © LAURENT BENHAMOU/SIPA

Que deviennent les hommes à l’heure où la révolution des mœurs – la révolution morale – souffle en tempête sur l’Occident ?


Nid à névroses, la famille est aussi un refuge. La mère, le père, l’Œdipe, et l’amour comme ciment. Il en va ainsi pour la plupart des gens en Occident depuis l’invention de la famille moderne au xviiie siècle, avec des variantes, des ambivalences. Que s’est-il donc passé pour qu’aujourd’hui des essaims de guêpes survoltées attaquent en piqué la figure paternelle ? Elle est étrange, tout de même, cette obsession du grand démon blanc hétéro-patriarcal. Je m’étonne qu’on n’aille pas fouiller ce qui se passe là-dessous, dans ce brasier de rage en fusion.

La librairie Mollat prise pour cible

À des degrés divers, tout ce qui se rapporte au sexe et, par extension, au genre, contient de la violence. Pour le féminisme radical, comme pour son versant woke, la figure paternelle, entourée de ses rejetons mâles, incarne cette violence – image de la domination à tous crins, symbole de la tyrannie sans frein. La réaction à cette violence fantasmatique, quoique trop souvent réelle, est également une violence, mais de nature différente. Si vindicatifs soient-ils, le néoféminisme comme le wokisme restent dans les limites du respect de l’intégrité physique. Ils aspirent à une emprise de type totalitaire sans recourir aux pratiques meurtrières des révolutions rouges ou brunes. Ils n’en restent pas moins des violences.

A lire aussi: Le wokisme est un fascisme

Récemment invité à Bordeaux par la librairie Mollat pour présenter son dernier roman, Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé, Frédéric Beigbeder suscite la colère des gardes roses de la révolution morale, qui manifestent devant la librairie préalablement taguée. Parmi ces tags, celui-ci : «Tu as un discours de violeur. » Toujours cette rengaine absurde.

La vénérable Sorbonne n’échappe pas à la déglingue, cette fois dans le cadre des études de genre. Fin mars, dans une vidéo, Emmanuelle Hénin, professeur de littérature comparée, condamne les impostures du déconstructionnisme, décrit leur influence au sein de l’université, et pour finir dénonce « l’avènement d’un crétinarcat » où se repère évidemment la critique d’un patriarcat mis à toutes les sauces. Des propos polémiques mais argumentés, sans aucune attaque ad hominem. Or voilà que deux de ses collègues, responsables de l’« Initiative genre » de Sorbonne-Université, postent sur leur site et envoient à une large liste de diffusion un « billet d’humeur », en écriture inclusive, qui se veut une « réponse aux insultes » intitulé « Sainte Bécassine », et dont voici le premier paragraphe : « Dans une vidéo récente diffusée sur Twitter par Le Figaro, une professeure des universités se permet d’insulter des collègues proches, certes non nommé.e.s, mais identifiables de manière implicite : celles et ceux qui utilisent les outils des études de genre, de la déconstruction, ou encore de l’intersectionnalité, installeraient un “crétinarcat” au cœur de l’institution. Ces mauvaises manières sont-elles nouvelles ? Que nenni. Cette dame et ses sombres acolytes sont coutumiers du fait. »

Démolir la figure paternelle

Rien de bien méchant, direz-vous. À ceci près que la suite déborde d’injures d’une telle violence qu’une citation s’impose, hautement révélatrice du dogmatisme woke : « Comment la chose pourrait-elle dès lors penser avant de parler ? Il ne lui reste effectivement que l’invective pour toute panoplie. D’ailleurs, la chose parle-t-elle seulement ? Non, la chose est parlée. En elle, ça parle, et c’est bien en cela qu’elle n’est que métaphore, ou symptôme, d’un phénomène d’une tout autre ampleur. C’est quoi, ça ? Un mélange infâme, de ressentiment, de peur, de fantasme, et même d’idéologie douteuse, puisque l’on renifle dans son infect potage les relents de haines recuites. Notre prophète de pacotille n’est en vérité qu’une pauvre marionnette qui ânonne son gloubi-boulga. Vous savez ? Cette ragougnasse dont seuls raffolent les dinosaures bipèdes de l’espèce des Casimirus. Dans un grand saladier, vous mélangez de la confiture de fraises, du chocolat en poudre, de la banane écrasée, de la moutarde très forte et de la saucisse de Toulouse. Sans doute commencez-vous à concevoir quelque idée de ce que nous sert cette fripouille. » Diatribe telle quelle, que je cite un peu longuement parce qu’elle trahit la projection repérable à l’emploi des termes jetés comme un aveu caché, « ressentiment », « peur », « fantasme », « idéologie douteuse », « relents de haines recuites », tout ce qui caractérise justement la démarche woke et l’agressivité dont elle se nourrit.

Déconstruire le patriarcat, c’est-à-dire démolir la figure paternelle sans se soucier des conséquences sociales et sociétales à terme, ne prend pas nécessairement des formes brutales. Prenez l’idée de l’invisibilité des femmes. Par exemple, dans MGEN Actus du 8 mars, la mutuelle proclame : « On s’engage pour les droits des femmes. » Et de préciser, au sujet de la question du genre, placée au cœur de la crise du Covid : « Cette crise a aussi mis en lumière des secteurs dits “féminins” : ceux de la santé, de la grande distribution, du commerce de détail… invisibilisés en période ordinaire et pourtant vitaux en période extraordinaire ! » Difficile de trouver mutuelle plus humaniste que la MGEN. Pourtant l’accent porté sur l’invisibilité des secteurs dits féminins constitue une forme de violence, dès lors qu’elle passe sous silence, et de facto exclut, l’invisibilité des secteurs masculins qui devraient également être mis en lumière, infirmiers, éboueurs, chauffeurs routiers, ouvriers dans les métiers soumis aux trois-huit, etc., secteurs non moins « invisibilisés en période ordinaire et pourtant vitaux en période extraordinaire ». Ce deux poids, deux mesures est problématique. En Occident, notamment en France, les femmes ne sont pas plus invisibles que les hommes, ou plutôt ne le sont plus. L’élection de Sophie Binet à la tête de la CGT, la désignation de Marylise Léon pour succéder à Laurent Berger et diriger la CFDT valent confirmation d’un véritable renversement dans le champ des pouvoirs, et ce ne sont pas les seuls, tant s’en faut. On peut se réjouir de cette évolution. Mais l’insatiable surenchère du néoféminisme, comme l’expansion du wokisme au sein de l’Université et de l’Éducation nationale, n’en deviennent que plus intolérables.

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Docteur Greta

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© D.R.

C’est la consécration pour Greta Thunberg, laquelle a déjà reçu deux doctorats honoris causa.


L’université de Helsinki vient d’annoncer que, le 9 juin, Greta Thunberg recevra le titre de docteur honoris causa pour récompenser son activité de militante écologique.

Les diplômes honorifiques ont été inventés par les universités médiévales afin de reconnaître et de récompenser l’érudition de certains individus sans les obliger à passer des examens. Aujourd’hui, ces diplômes sont devenus des marques de distinction décernées à des personnalités éminentes sans grand lien avec le travail académique.

Dans le cas de Greta Thunberg, ce lien est particulièrement ténu et paradoxal. Il semble que, non seulement la jeune femme de 20 ans n’a pas encore commencé d’études universitaires, mais qu’elle n’a pas passé l’équivalent d’un baccalauréat. En 2019-2020, elle a pris une « année sabbatique » pour voyager, en faisant notamment deux traversées « décarbonées » de l’Atlantique à bord d’un voilier et d’un catamaran – sauf que le déplacement en voilier aurait nécessité six billets d’avion entre l’Europe et les États-Unis pour des membres de l’équipe. En 2018, elle avait refusé d’aller à l’école et a encouragé tous les enfants autour de la planète à faire une « grève scolaire pour le climat ». Malgré cette façon de ne pas rendre service à l’éducation, elle a déjà reçu deux doctorats honoris causa, un de l’université de Mons, en Belgique, en 2019, et un autre de l’université de la Colombie-Britannique Okanagan, en 2021. Curieusement, ce dernier doctorat était en droit. Plus bizarrement encore, celui qui lui sera décerné par Helsinki sera en théologie. Est-ce reconnaître que le changement climatique ne relève plus de la science, mais est hissé au rang de religion?