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L’Assemblée nationale qualifie de génocide l’Holodomor

Ma vie à l'Assemblée, la chronique d'Emmanuelle Ménard


L’Assemblée nationale qualifie de génocide l’Holodomor
© JacquesWitt/SIPA

Actualité plutôt maigre ce mois-ci à l’Assemblée… Après le tumulte de la réforme des retraites, les députés se sont comme assoupis. Enfin, façon de parler: il me reste quand même quelques élucubrations à vous conter!


Holodomor

La famine comme arme de guerre. Comme « solution finale ». Le « grenier à blé » de l’URSS transformé en « cimetière des affamés ». Cette famine impitoyable de 1932-1933 a été orchestrée, organisée, planifiée par un pouvoir soviétique qui voulait piller et asservir l’Ukraine. Quatre millions – certains avancent un chiffre encore plus important –, quatre millions d’Ukrainiens, principalement des paysans, furent alors condamnés à la famine et à la mort. Dissimulée aux yeux du monde, cette tragédie est restée désespérément taboue pendant des décennies. À l’heure où des millions de paysans périssaient, condamnés à mort par un régime qui voulait briser leur résistance, le journal L’Humanité affirmait, en août 1933, aveugle ou complice : « Il n’y a pas de famine en Ukraine ni dans aucune république ou région de l’Union soviétique. Mais la campagne antisoviétique fait rage parce que l’URSS a déjoué tous les plans d’agression, parce que sa puissance grandit, parce que sa politique de paix enregistre des succès retentissants. »

Cette tragédie, depuis largement documentée, n’a jamais été reconnue par la France. L’Assemblée nationale s’en saisit enfin. Le timing est le bon, symboliquement au moins. L’ambassadeur d’Ukraine en France se tient en tribune de l’Hémicycle et écoute attentivement les débats. Car il n’y a pas consensus. Si la majorité des historiens s’accordent aujourd’hui pour affirmer que l’Holodomor est un génocide, La France insoumise et les communistes ne sont pas prêts à l’accepter. Les premiers, parce que « dans les campagnes ukrainiennes, les victimes de la famine ne furent pas uniquement des Ukrainiens » et les seconds au motif qu’ils « refusent par principe de contribuer à la politisation des enjeux de mémoire et d’histoire ». Mais aussi, et c’est plus grave, parce qu’ils s’interrogent – il faut oser – sur l’opportunité « de voter ce texte qui nous rapprochera un peu plus du point de non-retour dans nos relations avec la Russie »

Pour ma part, je l’ai dit à la tribune, s’il nous a fallu aussi longtemps pour nous saisir de cette question, c’est parce que le communisme a bénéficié d’un traitement différent des autres totalitarismes qui ont défiguré le xxe siècle. Cent millions de morts mais, aujourd’hui encore, certains continuent de s’en revendiquer ! Imaginez un instant qu’un parti politique se réclame du fascisme ou du nazisme ! En revanche, se définir comme communiste après le goulag, Pol Pot, la Révolution culturelle ou la chasse aux homosexuels chez Castro ne semble pas troubler certains…

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Résultat du vote : 168 pour. Les deux députés communistes présents votent contre, tandis que leurs collègues LFI ne prennent pas part au vote. Quatre-vingt-dix ans plus tard, la lâcheté est toujours la même de ce côté de l’échiquier politique. Ils n’ont rien appris et ne veulent rien apprendre. Peut-être parce que, pour ne pas déplaire à Staline, nous n’avons jamais osé un Nuremberg du communisme. Nous le payons encore aujourd’hui.

Chers attachés parlementaires

On parle peu d’eux. Dommage parce qu’ils sont tout simplement indispensables, incontournables. Je veux parler, bien sûr, des attachés parlementaires. J’en ai trois. Deux à Paris et une à Béziers. Dans mon bureau de la capitale – comme on dit chez nous –, nous sommes entassés les uns sur les autres. À ceux qui nous imaginent dans des locaux spacieux, je propose de venir jeter un œil. La République fait attention à son argent et elle a raison. Je ne me plains pas. Non-inscrite, je ne bénéficie pas des moyens d’un groupe politique. Et, notamment, de ces attachés de groupe justement qui vous mâchent le travail. À nous quatre, nous devons plancher sur tous les projets et propositions de loi. Je dépose des centaines d’amendements par an. Non pour faire de l’obstruction, comme certains s’y emploient. Mais pour préciser, contredire quand il le faut, améliorer, même si le texte est porté par un adversaire politique. Souvent, je me sens seule. Mes attachés sont alors un cocon où je me tiens au chaud. Alors que mes voisins de couloir me parlent peu, ça fait du bien…

Bien vieillir

L’occasion de m’énerver contre la majorité qui présente une loi sur le « bien vieillir ». En clair, la vie des personnes âgées, qu’elles vivent à domicile ou en maison de retraite. Un texte incomplet, imprécis et qui « brasse de l’air ». À l’article 3 de cette proposition de loi, il est précisé que toute personne vivant dans un Ehpad (pour simplifier) a un droit de visite de sa famille et de ses proches. Il me semble important de préciser que le droit de visite concerne, outre les proches, « toute autre personne souhaitée ». Bref, qu’une personne âgée a le droit de recevoir qui elle veut ! Ma proposition est balayée au motif que trop préciser le texte serait restrictif… Les bras m’en tombent : ça doit être ça, la nouvelle méthode du gouvernement !

Brasserie Le Bourbon

Le Bourbon est quasiment une annexe de l’Assemblée. Il est le lieu de rendez-vous. On se croise. On se sourit. On s’ignore. Au gré des sympathies ou des antipathies, de toujours ou du moment. Mais aussi des voisins : il ne s’agirait pas d’afficher une proximité que la bien-pensance condamne… Pourtant, les barrières finissent par tomber. J’ai le sentiment que les années passant, chacun convient – et salue, seulement en privé pour la plupart – de mon travail et de mon absence de sectarisme. Je me fais peut-être des illusions… Je connais maintenant tous les serveurs ou presque. Ils me chouchoutent quand ils me voient en peine, toujours stupéfaite par la mauvaise foi de certains. Il y a même Mike qui vient de Béziers et avec qui j’ai mille sujets à aborder : le vin de chez nous, le rugby, la corrida et… le soleil qui nous manque tant à Paris. Allez, je me dépêche. La séance reprend.

Mai 2023 – Causeur #112

Article extrait du Magazine Causeur




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Députée, non-inscrite, de la 6ème circonscription de l’Hérault.

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