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L’Inquisition nationale s’attaque au Collège Stanislas

En juin 2022, L’Express et Mediapart accusaient l’établissement privé sous contrat Stanislas de «pratiques homophobes, sexistes et autoritaires». La meute était lancée…


Dans leur sillage, le Groupe Gauche Communiste, Écologiste et Citoyenne réclamait du Conseil Régional d’Île de France qu’il suspende ses subventions, saisissait le ministère de l’Éducation nationale afin de diligenter une enquête administrative et passait le relais à re-Mediapart, lequel s’inquiétait, le 9 février 2023, du silence et de l’inaction du ministre.

Notre Pap de l’Éducation nationale et de la Jeunesse de France a donc confié à l’Inspection Générale le soin d’inquisiter. Ce qu’elle s’est attachée à faire en envoyant une cohorte d’inspecteurs pour mener l’enquête. Sus aux hétéro (doxes), aux hérétiques! Qu’il convient de débusquer, en passant au peigne fin consciences et subconscients. Des représentants de toutes catégories (professeurs, élèves, préfets…) sont appelés à comparaître, à confesser leurs fautes, ou plutôt celles du voisin, à signer leurs aveux. Quant aux présumés délateurs que le sort n’aurait pas désignés pour ces « rencontres », ils peuvent « adresser leur témoignage » par mail aux inspecteurs et sont assurés de la confidentialité de leur démarche. Et de la reconnaissance de la Sainte-Institution.

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Mais de quoi, au juste, le Collège Stanislas est-il accusé ? À en croire la voix sirupeuse du service public, Claude Askolovitch, qui recensait le 9 juin 2022 pour France Inter les accusations portées par L’Express, de fautes irrémissibles: rappeler aux élèves qu’une tenue féminine suggestive éveille le désir masculin, que l’école est un lieu d’étude et non de fornication, que la formation affective ne fait pas bon ménage avec le vagabondage sexuel, que l’avortement met fin à la vie de l’embryon ou du fœtus. D’éduquer en somme, selon les principes du catholicisme, peut-être du sens commun. Drôle d’idée pour un établissement catholique.

Ces principes contreviennent à la doxa, offensent gravement les LGBTTQIA+ puisqu’ils se sentent gravement offensés. Voilà, dans le procès qui est fait à cet établissement prestigieux, de simples circonstances aggravantes au regard du véritable chef d’accusation : Stan entend perpétuer l’Excellence. Il la revendique fièrement en trois mots : travail, tenue, talents. Stan caracole en tête des classements. Stan fait le pari de l’intelligence et de la volonté quand l’Institution encourage la médiocrité et le laisser-faire. Stan instruit et éduque. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait à ses trousses les Torquemada du progressisme et de la déconstruction.

Malraux nous manque… avec ses amis peintres. Un chef d’État aussi

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Le débat est clos. L’exposition du Palais de Tokyo vient de fermer ses portes. Elle en aura fait du bruit, la peinture de Miriam Cahn!


« Ce tableau représente un enfant, à genoux, ligoté les mains dans le dos, forcé à une fellation par un adulte » s’indigna une députée du Rassemblement national qui demanda son décrochage. « Ce ne sont pas des enfants. Ce tableau traite de la façon dont la sexualité est utilisée comme arme de guerre, comme crime contre l’humanité », s’est défendue la plasticienne suisse dont c’était, à 73 ans, la première rétrospective en France. « Vu sa taille, c’est un enfant » dirent les uns. « Non, regardez bien, c’est une femme agenouillée », répondirent les autres. La plasticienne « n’ayant pas de dessin » comme on dit dans le métier, le personnage malingre aux mains liées dans le dos demeure fort ambigu. Pourquoi avoir donné comme titre à sa toile : « Fuck abstraction » ? A-t-elle voulu s’en prendre à un art abstrait qui ne saurait par nature dénoncer ce qu’elle entendait dénoncer ?


Ras le bol de l’art disruptif

Mais pourquoi être figuratif si la figuration, incapable de représenter le réel sans ambiguïté, finit par rendre l’engagement illisible ? Avec la grossièreté de ce titre vengeur notre plasticienne pensait-elle nous empêcher de hausser les épaules ? Il fallait au moins être un directeur de centre d’art contemporain ou un pseudo-critique d’art pour participer aujourd’hui encore à pareille comédie. Celle-ci a toujours ses défenseurs et ses subventions. Rien d’étonnant à ce qu’un collectif de 26 responsables de musées et d’institutions ait signé le 8 mai dernier une tribune dans Le Monde pour défendre la liberté de création : « Plutôt que d’avoir peur de choquer, nous devrions avoir peur de ne jamais choquer. Car, oui, l’art choque. Perturbe. Dénonce. Dérange. Questionne. » Assommante énumération de poncifs dont on nous rebat les oreilles depuis des décennies !

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Souvenons-nous de ce qu’écrivait Roland Barthes à propos des grossièretés de Hébert sous la Révolution: « Hébert ne commençait jamais un numéro du Père Duchêne sans y mettre quelques « foutre » et quelques « bougre ». Ces grossièretés ne signifiaient rien, mais elles signalaient. Quoi ? Toute une situation révolutionnaire.» Avec son « Fuck » si peu original, Miriam Cahn ne signale aucune situation; elle ne fait que trahir une attitude qui entend s’adresser à la part la plus médiocre de ses contemporains et rejoindre ainsi plus sûrement le copinage du marché de l’art. Inutile d’aimer Picasso, Braque, Cézanne, le Quattrocento, l’art africain ou l’art grec. Il est même préférable de les avoir oubliés; mieux, de n’en avoir même jamais soupçonné l’existence. Il faut au contraire s’être fait adouber très tôt par la bêtise, la puérilité et la vulgarité. Depuis l’inusable urinoir de Duchamp jusqu’à la scène de sodomie géante devant le Centre Pompidou, en passant par la boîte de Merda d’artista de Manzoni, l’éprouvette d’urine de Ben au Grand-Palais, le Vagin de la reine à Versailles, le Plug anal place Vendôme, l’excrémentiel et le sexe font recette, encouragés par la lâcheté d’une classe politique tétanisée et à court d’arguments.

Une polémique assommante

« Oui, l’art peut choquer, peut questionner, peut parfois susciter du malaise, voire du dégoût. L’art n’est pas consensuel. Et la liberté d’expression et de création est garantie par la loi », a déclaré de son côté la ministre de la Culture dont les termes du plaidoyer ont été complaisamment repris par les signataires de la pétition. Si l’art doit déranger et choquer, le fonctionnaire culturel, lui, ne doit ni déranger ni choquer la rue de Valois.

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À son tour, le Président de la République s’est fait l’écho de la déclaration de son ministre: « En ce 8 mai, où nous célébrons la victoire de la liberté, je condamne l’acte de vandalisme commis hier au Palais de Tokyo. S’en prendre à une œuvre, c’est attenter à nos valeurs. En France, l’art est toujours libre et le respect de la création culturelle, garanti ». Il n’empêche que lorsque l’auteur d’un des tapis de l’Élysée fut visé par une enquête pour viols et agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Culture d‘Emmanuel Macron, déclara: « Je pense que le tapis sera très certainement retiré étant donné l’aspect emblématique de la présidence de la République ». C’était quelque temps après l’installation par ce même plasticien de deux énormes pneus de tracteur dorés à la feuille d’or au bas de l’escalier de l’Opéra Garnier. Il s’agissait de fêter le 350ème anniversaire de la création par Louis XIV de l’académie de musique et de danse.

Si à l’Elysée il fut hier question de retirer le tapis, au Palais de Tokyo il fut hors de question de décrocher la peinture. « La liberté d’expression et de création est garantie par loi », paraît-il. Mais le En même temps veille à l’incohérence des discours et des décisions.

Profitant de la commémoration de la capitulation allemande pour rendre hommage à Jean Moulin, un président de la République bien inspiré aurait dû se souvenir des Otages de Fautrier, de cette « hiéroglyphie de la douleur » dont parla magnifiquement André Malraux, au lieu de participer à une polémique grotesque autour d’une plasticienne insignifiante. En sacrifiant sa vie pour la liberté de notre pays, c’est la noblesse dans la manière d’user de cette liberté que Jean Moulin a défendue. Nullement le degré zéro de son usage. 

«Raciste! Islamophobe!»

Le proviseur du lycée Victor-Hugo, à Marseille, est dans la tourmente. Pour avoir voulu interdire les abayas dont se parent nombre de ses élèves filles, le voici crucifié par une conjuration de lycéens, de pions poussés par la CGT, et autres belles consciences bien intentionnées. Notre chroniqueur, qui habite à deux pas, s’est rendu sur place.


La loi de 2004 avait cru bien faire en interdisant, dans les collèges et lycées, tout signe d’appartenance religieuse. C’était sans compter sur l’ambiguïté (ou l’hypocrisie, faites votre choix) de certains musulmans, qui jurent que tel vêtement — l’abaya, par exemple — est coutumier, et non religieux. C’est le même type d’ambiguïté (en est-ce bien une ?) qui, en accolant aux mosquées une bibliothèque, prétend faire de l’ensemble un lieu culturel et non cultuel. Tout est dans la nuance…

Effet boomerang

Du coup, les chefs d’établissement marseillais (et ailleurs sans doute aussi) se retrouvent face à l’entrisme de fondamentalistes qui arrivent vêtus « comme là-bas » et affirment haut et fort que c’est leur droit. Barbara Lefebvre a écrit un livre entier sur cette génération qui, arguant des « droits » que leur a octroyés la loi Jospin en 1989, se dispensent de tout devoir. Moyennant quoi, dès octobre 1989 justement, commençait à Creil la première opération « voile islamique », que le ministre de l’époque n’a pas voulu enrayer à la source. C’est que Lionel Jospin est ce ministre — plus tard Premier ministre — qui avait cru intelligent de lancer : « Et qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse que la France s’islamise ? »

Trente ans plus tard, ces sophismes pour fins de banquet socialistes nous reviennent en pleine figure.

Le lycée Victor-Hugo est situé dans un arrondissement difficile, aux portes de la Belle-de-Mai, l’un des quartiers les plus pauvres d’Europe, et cumule tous les « handicaps que génère des établissements » socialement et ethniquement unifiés. Comme dans d’autres lycées de Marseille, des élèves y ont donc testé les limites de la tolérance.

Le proviseur, Fabien Mairal, n’est pas connu, localement, pour son extrême habileté de communicant. Comme le raconte La Provence, qui relaie ces informations dans un grand esprit d’apaisement, cela va sans dire, il est arrivé, depuis janvier, à se mettre à dos les élèves, les Assistants d’Éducation (on disait « pions » autrefois) recrutés localement, et une partie des professeurs, qui majoritairement choisissent la paix sociale plutôt que la laïcité dure. Il a donc tenu, depuis le début de l’année scolaire, des propos « inadmissibles », selon ces mêmes AED qui l’ont enregistré — c’est la manie aujourd’hui dans les établissements, on filme tout ce qui se passe, merci aux concepteurs de smartphones. Ils ont ainsi constitué un beau dossier qu’ils ont transmis à Mediapart, un média dont l’objectivité et la neutralité idéologique ne sont plus à démontrer. Qu’on en juge.

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« Je suis tenu de faire respecter le texte, s’est-il expliqué. Je me dois de vous préparer au mieux à votre insertion professionnelle et sociale… Je ne veux pas que vous restiez à la maison avec dix gamins à faire le couscous, le tajine ou les samoussas. »

Horreur ! Horreur ! Horreur ! Comment ? Un responsable de l’Éducation Nationale prétend protéger ces jeunes filles contre elles-mêmes — et contre tous ceux qui les instrumentalisent.

Et encore, Fabien Mairal n’a pas insisté sur la misogynie extrême d’une religion qui ne garantit pas aux filles la même part d’héritage qu’à leurs frères, qui les marie de force, les oblige à se considérer, derrière leurs voiles, comme des provocatrices risquant d’entraîner les hommes, ces pures brebis, vers la damnation éternelle… « Dix gamins » — une allusion probable à la fameuse phrase prêtée à Boumediene, qui, en avril 1974, déclarait à la tribune de l’ONU : « Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère sud pour aller dans l’hémisphère nord. Et ils n’iront pas là-bas en tant qu’amis. Parce qu’ils iront là-bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire. »

Une musulmane, à en croire les fondamentalistes, n’est donc qu’un utérus voilé. Belle promotion. Que des féministes, au nom de l’intersectionnalité des luttes, comme elles disent, défendent cette discrimination vestimentaire en dit long sur l’aveuglement idéologique des chiennes de garde.

Le rectorat tient bon

« On est accusé d’être des diffamateurs », explique l’un de ces AED, Emmanuel Roux, suspendu par le rectorat — qui en l’occurrence n’a pas faibli face à la guérilla lancée par les fondamentalistes de l’abaya… « Mais avec les enregistrements la vérité est sortie… »

Quelle vérité ? Que la Belle-de-Mai, comme certains territoires anglais désormais, devrait être régie par la loi islamique ? Qu’il y a une loi à Paris, mais pas la même à Marseille ? Qu’il est indécent de suspendre des adultes (un professeur-documentaliste est également suspendu par le rectorat pour avoir tenu, lors d’un rassemblement le 8 mars dernier, une banderole sur laquelle était inscrit ce slogan délicat, « Lycée Victor-Hugo, balance ton proviseur, sexiste / raciste ») qui appuient de leur autorité des revendications communautaristes ? Ledit proviseur n’a jamais été sexiste, puisqu’il défend le droit des filles à un enseignement laïque qui tente de les émanciper de la tutelle religieuse. Il n’a jamais été raciste, puisqu’il s’oppose justement à des comportements en eux-mêmes discriminants. Une abaya n’est pas un accessoire de mode. Ce n’est pas une mini-jupe : c’est une déclaration de guerre : « Nous sommes chez nous ».

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Que le ministre (ni le précédent) ne se soit prononcé clairement par décret sur le fait que toute tenue suspecte de prosélytisme religieux est interdite choque le laïque que je suis — mais je n’attends rien, sur le plan de la laïcité, d’un homme qui vient de remplacer les têtes dirigeantes du Conseil des sages de la laïcité et d’installer à sa tête un universitaire, Alain Policar, connu pour avoir dénoncé, dans une tribune de 2019, ceux « qui font de la laïcité une arme contre la religion ». Sans compter que le nouveau Conseil ne pourra plus s’auto-saisir, mais n’agira que sur saisine du ministre, qui n’est pas exactement un descendant en ligne droite du petit père Combes…

Les syndicats recrutent large

Pensez : l’an dernier, la direction de Victor-Hugo surveillait le retrait des voiles islamiques à l’entrée du lycée — parce qu’en fait, ces jeunes filles arrivent voilées et tentent de faire quelques mètres pour marquer un peu plus leur territoire. Une attitude qui, selon l’enseignante-documentaliste suspendue (avec traitement quand même), vise à « cliver les profs » et à « chercher le dérapage ».

Et s’il s’agissait juste de faire respecter la loi ? Où est le dérapage ? N’est-il pas dans la volonté obstinée de faire entrer le culte dans un lieu de culture ? On en revient à la fusion opérée dans les mosquées — et à la volonté de constituer toutes les institutions républicaines en postes avancées de la conquête. Que des syndicats (SUD et la CGT, pour ne pas les nommer) accusent à leur tour le proviseur de « tenir des propos humiliants » pour ces jeunes filles manipulées, et d’« insulter » la laïcité n’est pas bien honorable : c’est juste une façon de recruter large, n’est-ce pas…

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Il faudrait inciter ces gauchistes vertueux à réviser les classiques du marxisme, à la rubrique « aliénation ». Les jeunes filles voilées croient qu’il est de leur devoir d’être soumises. Et l’Éducation vise à faire sauter, justement, toutes les contraintes, toutes les servitudes volontaires qui oblitèrent le jugement. Respecter une aliénation, accuser de racisme ceux qui s’insurgent contre le fanatisme, c’est accabler encore celles que l’on prétend défendre.

L’islamo-gauchisme se porte bien à Marseille — et ailleurs. Sous prétexte de conflits administratifs, c’est toute une idéologie que l’on fait avancer, pion après pion, mètre après mètre. Après les petits pas, les grandes enjambées. Et je ne compte pas sur ce ministre pour mettre fin aux ambiguïtés dont se nourrissent l’hydre et ses relais.

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Derrière les Ombres Blanches

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Yves Charnet, écrivain sur le fil, nous embarque dans une valse à mille temps avec son dernier récit chantant Le libraire de Gambetta aux éditions Tarabuste.


N’attendez aucune linéarité dans son récit, aucune malice ou combine d’auteur pour darder le suspense, aucune prévenance… Yves Charnet, écrivain à quai, Toulousain d’adoption, Ligérien d’errance, normalien d’instruction, est un dissident. Il pratique une littérature des contre-allées, hors les murs, des chemins de halage, qui ose s’aventurer dans le friable et le désenchanté, le maudit et la nostalgie tenace. Le rance ne lui fait pas peur. C’est à la fois écorché, sans rédemption possible, le lecteur est happé par ses récits autofictionnels, il titube à ses côtés, mais aussi féérique, le mot n’est pas exagéré, de convulsions poétiques et de sincérité outrancière. Charnet déjoue tous les bonimenteurs de l’édition qui promeuvent depuis tant d’années maintenant des textes propres, javélisés de toutes mauvaises intentions, expurgés de leur jus libérateur, fainéants dans leur forme et inaudibles dans leur écho.

Avec Charnet, ogre narcisse aux pieds d’argile, l’écriture reprend possession de la page blanche. Elle lui dicte enfin son désespoir. Il y a évidemment la fureur sur le mot jusqu’à sa défiguration et le staccato des possédés, ce rythme qui vient se fracasser sur les récifs des sentiments. Il faut lire Charnet pour réinitialiser son propre moteur de recherche et s’affranchir d’une narration bouchonnée. Le lire régulièrement remet en place les fausses hiérarchies de notre métier qui encensent souvent les ânonneurs et les truqueurs. Dans son dernier livre Le libraire de Gambetta aux éditions Tarabuste (Comment l’appeler ? Le définir ? Récit déconstruit, ode, mélopée, traité d’amitié et d’aigreur, souvenirs amers, exégèse de l’échec etc… ?), le « petit bâtard des bords de Loire » nous parle d’une amitié singulière avec Christian Thorel, figure de proue d’une librairie indépendante, tuteur taiseux et tutelle d’infortune, de ce commerçant non essentiel qui demeure le refuge des âmes seules.  « Sans lui cette ville ne serait pas la même. Cette cité. C’est le centre de Toulouse. Ombres Blanches. Vous l’appelez souvent le Nautilus. Ce navire en papier. Et l’homme, c’est le capitaine Nemo. Le capitaine Achab. Vous l’appelez Christian. Parfois Toto. C’est un point d’appui pour vous. Un point de repère. Vous le considérez. Comme un sorcier des signes » écrit-il. « On ne parle pas de cul avec Christian Thorel. Pas de bouffe non plus. Mon ami boit du Coca Zéro. Avec des sushis sans sauce » prévient-il.

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Charnet travaille sur le motif du libraire, tente de dessiner son contour, ne tait pas sa tristesse quand celui-ci omet de le citer dans un ouvrage et de son inextinguible besoin de reconnaissance qu’il qualifie de « maladie orpheline ». « La Bâtardise. C’est un mal incurable. Un cancer de l’identité. Je fais partie des nés troués » ajoute-t-il. Voilà pourquoi j’aime cet écrivain-poète, car il donne un accès direct à son fil conducteur, sans omettre les blessures, les foucades, les joies intenses ou les écorchures du quotidien. Et puis, il a su créer avec ses lecteurs, une forme de compagnonnage au long cours, on le suit de Nevers aux rives de la Garonne, de Nougaro à un dernier verre au Danton, de SUPAERO à Michel Sardou, de la mort de la mère à la tombe du géniteur, d’Ulm au Capitole, cette tapisserie sans fin n’est jamais ridicule, jamais geignarde, jamais convenue, jamais artificielle, elle « s’encre » en nous.

Et combien j’aime encore plus cette distorsion de la langue, le jeu taquin sur la graphie, les audaces stylistiques que seuls les grands artistes peuvent se permettre sans craindre le ricanement. On retrouve dans ce récit superbement dépenaillé, tout l’humus de Charnet, les figures qui dansent dans la nuit, Gabin, Sautet, Ventura, Delon, les voix d’outre-tombe, Dalida pleure et l’adoubement du maestro Lama, la tristesse des HLM, les confinements attentatoires, cette province qui étouffe et construit, la religion du livre inculquée aux bons élèves méritants et les peaux caressées qui retiennent la nuit. Dans cette déclaration au libraire de Gambetta, l’ancien éditeur Denis Tillinac, réfléchit en effet miroir. « Je faisais, avec cet inénarrable anar, mes universités buissonnières. Rabelais, Blondin, Audiard. Je prétendais, les grands soirs, que la dynamite était bonne à boire » nous confie-t-il. Les deux mêmes faces d’un milieu éditorial qui n’existe plus.

Le libraire de Gambetta de Yves Charnet – Tarabuste, 2023. 184 pages.

Enfin une victoire juridique contre l’écriture inclusive

Le 16 juillet 2020, le Conseil d’Administration de l’Université Grenoble-Alpes avait approuvé le choix de l’écriture inclusive pour la rédaction de ses nouveaux statuts. Un professeur courageux porta l’affaire devant le Tribunal administratif pour que soit annulée la délibération du Conseil d’administration de l’Université.


Le 11 mai 2023, tout récemment, donc, le Tribunal vient de débouter l’Université de Grenoble-Alpes, au motif irréfragable que cette écriture contrevient à l’article 2 de la Constitution lequel déclare que « La langue de la République est le français » en arguant de motifs juridiques imparables : le droit et la norme s’imposent à tous dans un langage intelligible. Ce qu’on appelle des objectifs et exigences à valeur constitutionnelle « d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme ». Le tribunal s’est également mis sous l’autorité de l’Académie Française, gardienne de la langue depuis Richelieu, qui, dénonçant le caractère illisible, confus et discriminant de cette graphie, déclarait, le 26 octobre 2017, que « l’écriture inclusive offusquait la démocratie du langage. » Mieux : ordre a été donné au président de l’Université de procéder à l’affichage et à la publication de ce jugement.

En français et non aultrement !

Résumons: l’écriture inclusive d’actes contenant du droit est contraire à la Constitution. La loi, au sens large, c’est-à-dire, tout acte administratif, doit être aussi rédigé de manière intelligible. Finie la concurrence déloyale d’un idiome discriminant que l’on impose, dans de nombreuses universités. Retour au point de départ dont nous n’aurions jamais dû partir : l’Ordonnance Royale de François Ier, édictée en 1539, connue sous le nom d’Ordonnance de Villers-Cotterêts.

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Le style de l’Ordonnance est clair et sec : tout doit être écrit « en français et non aultrement », dans un langage clair et compréhensible : « Afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement qu’il n’y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ni incertitude ni lieu à demander interprétation. » Date capitale dans notre histoire : chaque mot est à peser. Sur ordre du Roi, le français entre partout dans la vraie vie juridique c’est-à-dire dans les actes de justice de l’existence quotidienne. Avec l’Ordonnance de Beaulieu, en 1564, le français devient la langue de l’administration et s’étend à tous les domaines de la vie, dans toutes les classes sociales.Désormais, notre langue française est la même pour tous : elle est facteur d’unité et d’égalité.

Tous concernés

L’écriture inclusive n’est ni un truc de femmes—savantes ou pas—ni une mode, une lubie, encore moins une exigence louable d’égalité : bien plutôt, elle participe au puissant courant de déconstruction qui affecte notre pays. Oui, notre langue est dans un péril mortel, comme le dit l’Académie. Oui, son sauvetage dépend d’une volonté politique forte. Oui, comme le dit encore l’Académie, « l’écriture inclusive offusque la démocratie du langage. » Contre cette machine à exclure, le président a une arme plus infaillible que tout 49.3 : l’article 2 de la Constitution.

Espérons que cette victoire juridique du 11 mai fera jurisprudence et que nombreux seront les professeurs d’université et de l’Éducation nationale —et tous nos concitoyens—  à entrer en résistance. Car notre langue est « chose politique » c’est-à-dire qu’elle nous concerne tous.

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Planter son drapeau sur des ruines

La loi sur l’obligation de pavoiser les mairies avec le drapeau européen révèle surtout l’arrogance des macronistes.


C’est étonnant, tout de même, ce goût des libéraux français pour les lois inutiles. Naïvement, on croyait que le libéral préférait le contrat. Mais peut-être que le libéral, notamment en France, est libéral quand il s’agit du travail ou de la fiscalité mais beaucoup moins quand il s’agit d’imposer son idéologie, car le libéralisme n’est pas « naturel » contrairement à ce que voudraient faire croire ses thuriféraires de plus en plus nombreux. C’est une construction philosophique, comme le fascisme, le royalisme ou le communisme.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos drapeaux. Voilà que le groupe « Renaissance » a fait passer une loi rendant obligatoire la présence du drapeau européen sur les mairies de plus de 1500 habitants. On nous dit que 78% des mairies échapperont à cette obligation, façon sans doute de faire passer la pilule mais on peut aussi dire que, de facto, toutes les mairies des grandes villes et des villes moyennes seront pavoisées en bleu et or.

Un symbole détourné

Ce qui me gêne un peu, dans cette histoire, ce n’est pas tant le drapeau européen, c’est ce qu’il a fini par symboliser bien malgré lui. Pour aller vite: une zone de libre-échange fondée sur toujours plus de moins-disant social, une zone où est imposée une austérité sans fin, où la répartition des richesses produites par le continent  favorise toujours plus le capital et toujours moins le travail. Une zone dont les promoteurs les plus acharnés sont allés contre la volonté des peuples (remember le non de 2005) et ont fini par faire basculer un certain nombre de pays dans les bras de l’extrême-droite.

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D’ailleurs, derrière les cris d’orfraie des amis de l’UE, « Mon dieu ! la Pologne ; mon dieu ! la Hongrie ; mon dieu ! l’Italie », on voit que finalement, ils s’en accommodent très bien,  les libéraux, des législations restrictives sur l’avortement, sur la fin d’une justice indépendante et autre joyeusetés xénophobes.

Petit Grec, le FMI c’est plus fort que toi !

Tant qu’ils sont dans les clous budgétaires, ces pays-là peuvent tranquillement chasser le migrant. Mais qu’ils ne s’avisent pas de vouloir protéger leur peuple de la violence de la mondialisation en gardant un modèle social avancé, c’est-à-dire en étant de gauche ; là, ils seront punis comme l’U.R.S.S. punissait les « pays frères », à cette différence que c’est le FMI et la BCE qui jouent le rôle du tank.

Alors cette histoire de drapeau, toute symbolique qu’elle soit, elle fait un peu penser à ces armées victorieuses qui plantent leur étendard sur les ruines du rêve de ceux qui croyaient que l’Europe voudrait dire la paix, la prospérité et un modèle social avancé, le rêve de ces utopistes qui n’ont même plus le droit d’exprimer la moindre réserve sur le génie bruxellois, sur l’excellence de la Commission, sans se voir rejeter dans les ténèbres extérieures en compagnie des nationalistes de la pire espèce…

Joe le gaffeur

Il n’y a rien de mal à vouloir séduire un électorat ciblé. Mais en Irlande, Joe Biden nous enseigne exactement ce qu’il ne faut pas faire.


Joe Biden a toujours fait grand cas des origines irlandaises de ses ancêtres. Les exemples du clan Kennedy, de Reagan et de Clinton montrent que, pour un homme politique américain, il n’est pas inutile de plaire à l’électorat issu de l’immigration irlandaise. Pour renforcer son côté irlandais et catholique, le président Biden met la pression sur le gouvernement du Royaume-Uni pour qu’il résolve la question du protocole sur l’Irlande du Nord, conséquence des négociations sur le Brexit. Mais cette pression est peu appréciée des protestants nord-irlandais qui actuellement bloquent la constitution du gouvernement à Belfast. La visite de Bill Clinton en 1998 a été déterminante pour la signature de l’accord du Vendredi saint, qui a mis fin aux troubles. Celle de Joe Biden en avril, qui a coïncidé avec le vingt-cinquième anniversaire de cet accord, a-t-elle aidé à débloquer la situation actuelle ?

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Tout a bien commencé à Belfast avec un discours où le président a révélé qu’il a aussi des ancêtres protestants et même des ancêtres anglais. Pourtant, les observateurs ont repéré un détail désobligeant : normalement, la limousine du président américain, surnommée « The Beast » (« la Bête »), affiche le drapeau américain, d’un côté, et de l’autre, le drapeau du pays où il se trouve. Or, lors de son séjour en Irlande du Nord, on ne voyait pas le drapeau britannique (qu’il avait bien affiché en Écosse en 2021), mais le fanion présidentiel. Cela semblait indiquer qu’il ne reconnaissait pas l’appartenance de l’Irlande du Nord au Royaume-Uni. Et pour finir, lors de son passage dans la République d’Irlande (du sud, Éire), il a passablement gaffé. Voulant complimenter l’équipe de rugby de l’Irlande, il a vanté leur victoire, non sur les All Blacks néo-zélandais, mais sur les Black and Tans, des policiers britanniques qui ont combattu les rebelles lors de la guerre d’indépendance irlandaise de 1919-1921. Joe l’Irlandais ne semble pas si irlandais que ça.

Pas de migrants à Saint-Brevin. Mais pas de maire non plus!

Le maire divers droite de la localité de Loire-Atlantique, Yannick Moretz, a démissionné avec fracas, s’estimant peu soutenu par l’État, et ses véhicules ayant été incendiés à son domicile, une nuit de mars. La population est vent debout contre le projet d’installation d’un centre de migrants. «L’opposition au centre s’est transformée en haine personnelle. Le boulot de maire n’est simple nulle part, mais là on lui a quand même cramé sa baraque» témoigne la patronne d’un centre de toilettage canin dans Le Monde. L’édile sera reçu à Matignon, mercredi. Le commentaire de Céline Pina.


Ce qui est arrivé au maire de Saint-Brevin-les-Pins (44) relance pour la énième fois le débat sur la montée de la violence dans notre pays. L’histoire est maintenant connue: le déplacement d’un centre d’accueil de migrants près d’une école dans cette petite ville de 13 000 âmes a mis le feu aux poudres. Suite à la mobilisation d’un groupe de riverains inquiets pour la sécurité de leurs enfants, la presse locale titre que la grogne monte autour du projet. L’histoire fait alors l’objet de partages sur les réseaux sociaux des partisans de « Reconquête ! » et du Rassemblement national et prend peu à peu une dimension nationale alors que sur le terrain les manifestations se multiplient. Pas moins de quatre seront organisées. Le ton monte entre manifestants anti-migrants et manifestants pro-migrants. Les uns sont accusés d’être d’affreux racistes qui détestent les étrangers et habillent cela d’un discours mettant en avant la crainte pour la sécurité des enfants pour pouvoir mieux instrumentaliser la situation. Les autres sont accusés de « vouloir imposer le vivre ensemble avec le Pakistan dans nos campagnes. »[1]

L’exécutif n’assure pas le SAV du centre de migrants

La polémique ne va cesser d’enfler jusqu’à ce que, le 22 mars, le domicile et les véhicules du maire soient incendiés alors que celui-ci dort dans la maison. L’édile va alors donner sa démission en invoquant un profond sentiment de solitude et accuse l’Etat d’avoir imposé le déplacement du centre d’accueil sans avoir assuré le service après-vente, laissant le maire fort dépourvu face à la grogne. Si l’affaire de Saint-Brevin est exceptionnelle par son retentissement, les chiffres du ministère de l’Intérieur indiquent qu’en 2022, les violences contre les élus ont augmenté de 32%.

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On ne peut que se sentir solidaire du maire de Saint-Brevin. Quoi que l’on puisse penser de la pertinence de l’installation d’un centre d’accueil de réfugiés près d’une école, notre tradition politique veut qu’oppositions et contestations passent avant tout par la parole, l’organisation de manifestations, la sanction électorale, mais pas par l’agression et la tentative de meurtre. L’incendie aurait en effet pu être fatal au maire et à son épouse.

Le sacerdoce des élus locaux

La démission du maire de Saint-Brevin a entrainé une prise de parole de nombre d’élus locaux qui ont rappelé à quel point le statut de l’élu local peut être ingrat et repose sur un certain sens du devoir et du sacerdoce. Dans les petites villes et les villages, les indemnités sont peu élevées, le maire a une administration souvent sous-dimensionnée et les attentes qu’il génère sont parfois disproportionnées. Mais ce que les statistiques montrent surtout, c’est que le maire commence à être touché par le rejet que subissent les politiques et qui épargnait encore l’échelon local. Un rejet sans doute lié au sentiment de déclassement de la population dans les zones périurbaines. Le constat d’impuissance et/ou d’incompétence des élus face à ce qui inquiète la population (crise de l’énergie, crise migratoire, difficultés financières, difficulté à se projeter dans un monde hostile et anticipation de la régression sociale) rend insupportable un monde politique qui a tendance à remplacer l’action par la leçon de morale permanente. Premier maillon de cette chaîne politique que les Français voient comme plus soucieuse de son poste que de l’avenir du pays, les maires sont en première ligne et essuient les plâtres des erreurs qu’ils n’ont pas commises mais dont ils sont vus comme comptables. Ajoutons à cela que le discours sur la décentralisation prétend leur avoir redonné du pouvoir, mais que la technocratie sait leur lier les mains sur les dossiers les plus susceptibles de susciter des réactions hostiles, comme les installations d’éoliennes ou de centres d’accueil de migrants…

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Concernant ces derniers, les pouvoirs publics font comme si les Français ignoraient la difficulté à assimiler de nouvelles populations dont la culture s’oppose parfois directement à nos fondamentaux, qui refusent l’égalité aux femmes et sont souvent source de nuisances. Les autorités font comme si la question de l’insécurité culturelle n’existait pas, comme si le rejet de l’immigration massive était une légende urbaine, comme si le nombre marginal de reconduites à la frontière était un secret ! Au lieu de travailler à créer des centres plus sécurisés, à mettre en place une politique d’accueil exigeante, à passer des contrats clairs avec les migrants, à leur apprendre leurs obligations et à être capable d’expulser ceux qui n’ont rien à faire sur le territoire, les pouvoirs publics semblent se contenter de jeter l’opprobre sur les riverains. Érigeant tout migrant en victime expiatoire et tout riverain inquiet en salaud xénophobe. Une logique qui pousse certains habitants dans les bras des extrêmes.

Dans cette affaire, tout le monde se sent trahi et abandonné

C’est pour cela qu’il n’y aura pas un avant et un après cette agression. Peut-être que les indemnités des élus seront un jour réévaluées, mais le problème qu’affrontent les maires sur le terrain est bien plus important.

Nos maires sont les interlocuteurs naturels d’une population qui se sent trahie et abandonnée par son gouvernement et ne voit pas d’issue à sa situation car une partie d’entre elle est montrée du doigt et assimilée à des ploucs racistes qui fument des clopes et roulent au diesel. Des gens dont finalement le déclassement importe peu à un gouvernement qui se voit comme un club de premiers de cordée et qui pense qu’il a bien du mérite à essayer de faire avancer un troupeau d’inutiles. Les maires, qui n’ont que peu de prise sur ces réalités-là, finissent parfois par cristalliser sur leur personne un ressentiment qui les dépasse. A Saint-Brevin, cela a failli causer la mort du maire. Peut-être qu’en arrêtant la leçon de morale permanente sur les questions de migration et en affrontant en face la réalité de la pression qu’elles mettent sur les équilibres sociaux, nos élites pourraient enfin faire en sorte que le problème suscite moins de peur et de rage. Force est de constater qu’elles ne s’en donnent pas les moyens. Ce qui est arrivé au maire de Saint-Brevin l’illustre.

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[1] Tweet de Damien Rieu du 25 février 2023

Sarah Bernhardt, quand même !

Sarah Bernhardt incarne et inspire tous les superlatifs : grande, divine, unique, impératrice… Des planches à la ville, cette comédienne hors du commun est entrée dans l’histoire par son excentricité et sa force de caractère. Une exposition au Petit Palais en témoigne.


« Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée.  Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers… », Phèdre, acte II, scène 5. La somptueuse exposition « Sarah Bernhardt » qui vient d’ouvrir ses portes à Paris pour commémorer le centenaire de sa mort, permet au visiteur d’écouter pendant une minute et 45 secondes, cornet à l’oreille, cette voix unique gravée sur cylindre, cette inimitable emphase chevrotante. C’est la « Divine », c’est toute une époque.

En son temps, Sarah Bernhardt (1844-1923) est une icône aux yeux du monde entier. On l’appelle « l’Enchanteresse », « l’Unique », « la Voix d’or »… Le fils de Réjane, autre comédienne, écrit : « Sarah Bernhardt, vers 1900 : plus qu’une impératrice, une espèce de divinité. » Et de préciser : « Je crois qu’au point de vue de sa situation dans le monde, Victor Hugo est le seul qu’on puisse lui comparer. » À ses funérailles, le 29 mars 1923, une foule gigantesque accompagne le cortège funèbre dont les chars tendus de noir, tirés par des chevaux caparaçonnés, traversent Paris jusqu’au Père-Lachaise. L’événement est filmé : c’est saisissant. La « Grande Sarah » avait 79 ans et la République, qui l’a décorée de la Légion d’honneur, lui refuse cependant le Panthéon. Celle pour qui Jean Cocteau invente l’expression « monstre sacré » y aurait pourtant sa place.

Renvoyée du conservatoire

« Quand même », telle est sa devise. Elle en estampille non seulement ses cartes de visite, mais aussi son linge, son papier à lettre, ses meubles, rideaux, vaisselle, et jusqu’à l’oriflamme qui, des années durant, flotte à la brise de Belle-Île, sur le toit du fortin qu’elle a aménagé pour y passer ses étés. Bien du chemin – quand même – pour en arriver là ! Fruit d’une liaison, la future diva est une enfant illégitime. Officier de marine, son géniteur présumé meurt prématurément. Julie, sa mère, surnommée Youle, aventurière juive native d’Amsterdam, est une lorette qui, montée à Paris, s’est enrichie en forniquant : le fortuné duc de Morny, frère adultérin de Napoléon III, compte parmi ses meilleures prises. Mal-aimée, livrée à elle-même, élevée à Auteuil dans l’école privée d’une dame Fessard, Sarah est une adolescente difficile. Deux demi-sœurs, Jeanne et Régina, complètent ce foyer glacial (Régina meurt à 18 ans de tuberculose ; quant à Jeanne, devenue opiomane, elle disparaît à 25 ans).

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En attendant, Morny finance l’éducation de cette demoiselle auréolée de boucles rousses – cours de peinture, de maintien, d’escrime… Son entregent ouvre à Sarah les portes du Conservatoire. Une gifle donnée à une honorable sociétaire provoque son renvoi. Désormais émancipée, Sarah monnaye ses faveurs à l’exemple de sa mère. Dans son Journal, Goncourt flétrit « la putinerie de cette maquerelle » qui « a prostitué toutes ses filles, aussitôt qu’elles ont eu treize ans ». Sarah attend d’en avoir vingt pour donner naissance à Maurice – d’un « père inconnu », en fait un aristo belge. Fils unique, Maurice meurt en 1928, après avoir vécu avec constance aux crochets de sa mère, en panier percé, dans un rapport fusionnel avec elle.

Le goût pour la chair fraïche

Muse vénale, Sarah Bernhardt n’a jamais chassé que le gros gibier : industriels, fils de famille, plénipotentiaires, patrons de presse… Leur nombre impressionne : des acteurs Mounet-Sully à Jean Angelo, Philippe Garnier, Édouard de Max (relation platonique, celle-là, vu les inclinations du monsieur) ; du jeune diplomate Édouard de Langrenée (gentiment appelé, en ville, « le petit chien de Sarah ») au poète Jean Richepin ; du génial illustrateur Gustave Doré au chirurgien lancé Samuel Pozzi, qu’elle baptise « docteur Dieu » ; du critique et auteur dramatique Jules Lemaître à l’adaptateur de Zola pour les planches, William Bushach. Et puis il y a Edmond Rostand, 28 ans, l’auteur de Cyrano, de L’Aiglon, dédié à « sa Reine de l’Attitude » – pas sûr qu’ils aient couché. Chaste chevalier servant, Reynaldo Hahn (l’amant de Proust, lequel Proust immortalise Sarah dans La Recherche, sous les traits de la Berma) lui compose des musiques de scène. De bonne heure, cette « folle » de Montesquiou (modèle du baron de Charlus – toujours Proust) idolâtre Sarah, éprise quant à elle du dandy Charles Haas (le modèle de Swann – encore Proust), avant de convoler en justes noces, en 1882, à Londres, avec le bellâtre grec Aristides Damalas, son cadet de douze ans, impétrant diplomate reconverti en acteur, et qu’on surnomme « Damalas aux camélias » pour ses performances dans Dumas fils. Mariage désastreux : ruiné, drogué, l’épave Damalas coule à pic en 1889, à 32 ans. À l’approche de son 70e anniversaire, Sarah n’a pas perdu le goût de la chair fraîche : elle s’éprend d’un modèle de Rodin, Lou Tellegen, colosse néerlandais de 27 ans, acteur pitoyable auquel elle confie le premier rôle dans plusieurs films muets, en 1912-1913 (La Dame aux camélias, La Reine Élisabeth, Adrienne Lecouvreur)… Tellegen, Damalas en pire, se tranche les veines à 50 ans.

Sarah Benhardt, 1869 © Bridgeman Images

Engagée au Théâtre du Gymnase en 1863, prise à l’essai trois ans plus tard à l’Odéon, Sarah connaît son premier triomphe en 1869 dans un rôle travesti : Le Passant, de François Coppée. Forte de son succès dans Ruy Blas, elle se fait engager, la tête haute, à la Comédie-Française en 1872 ; maison dont, lassée, elle démissionne au bout de huit ans. En 1877, nouveau triomphe dans Hernani, merci Hugo. Le giletier du « drame bourgeois »,Victorien Sardou, lui taille sept pièces sur-mesure – de Fédora à Cléopâtre en passant par La Tosca. Dans les années 1880 commence l’époque des tournées incessantes, des deux Amériques jusqu’en Australie, au point qu’on surnomme « La Muse ferroviaire » cette élégante qui, lorsqu’elle ne vogue pas en cabine de première blasonnée à son chiffre, itinère en Pullman aménagé pour ses aises. Elle fait ainsi trois fois le tour du monde.

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Le début du succès

Follement dispendieuse, Sarah Bernhardt est toujours à court d’argent. À la tête du Théâtre de la Renaissance jusqu’en 1899 puis du Théâtre des Nations, place du Châtelet (actuel Théâtre de la Ville), qu’elle rebaptise à son nom et repeint en jaune « bouton d’or », cette infatigable femme d’affaires dix fois ruinée cumule les emplois : scénographe, décoratrice, meneuse de troupes, programmatrice, impresario… De sa gestuelle étudiée à la luxuriance de ses atours, de l’ameublement de ses résidences successives à sa façon de dire bonjour, Sarah Bernhardt est tout entière en représentation. Son narcissisme intempérant lui ravit le don du naturel.

La Divine a frayé avec (presque) tout ce qui compte dans la République des lettres et de la politique : George Sand, Dumas, Coppée, Flaubert, Banville, Loti, Hugo, jusqu’à Henri Rochefort et Léon Gambetta… Sans compter les peintres, à commencer par Georges Clairin et Louise Abbema, lesquels, dévots parmi les dévots, la portraiturent inlassablement – en témoigne à foison la présente exposition. Elle lance l’affichiste Mucha, pose pour des artistes de renom : Jules Bastien-Lepage, Alfred Stevens, Antonio de La Gandara, Jean-Léon Gérôme (qui nous a laissé d’elle un incroyable marbre polychrome), mais aussi pour de grands photographes : Nadar, Étienne Carjat, Achille Mélandri (cf. le célèbre cliché où elle dort dans un cercueil)… Le studio londonien W. & D. Downey popularise son image outre-Manche et aux États-Unis car Sarah Bernhardt travaille son image « à l’international » en faisant commerce de ses propres produits dérivés (cosmétique, biscuits, sardines, champagne, absinthe…). Elle gère sa légende, scénarise ses frasques et médiatise ses excentricités.

La fascination qu’exercent ses intérieurs auprès du public prolonge celle de ses parures : acheteuse compulsive, on la voit émerger telle une naïade d’un flot de bibeloteries éclectiques, cernée d’une ménagerie naturalisée mais également vivante : bestiaire où se coudoient chauves-souris, tortues, singes, perroquets, caméléons, et jusqu’à ces lionceaux, guépards et alligators qu’elle aime à lâcher au jardin. Sur le tard, sa folie des bêtes se mue en passion pour les algues marines, dont elle fait des bronzes délicieusement barbares : elle est aussi sculpteur.

Sarah Bernhardt déborde de talents – et de courage : patriote et dreyfusarde, la citoyenne organise un hôpital militaire pendant la guerre de 1870. Et en 1914-1918, quoique amputée d’une jambe, elle se produit devant les « poilus ».

Cette femme inouïe a été notre première star.

A voir :
« Sarah Bernhardt : et la femme créa la star ». Petit Palais, Paris, jusqu’au 27 août.

À lire :
Catalogue de l’exposition : Sarah Bernhardt (dir. Stéphanie Cantarutti et Cécilie Champy-Vinas), Paris Musées, 2023.

À lire également :
Claudette Joannis, Sarah Bernhardt (Payot, 2000, réédition 2023) et surtout la neuve et très riche biographie d’Hélène Tierchant,
Sarah Bernhardt : scandaleuse et indomptable (Tallandier, 2023).

Mais enfin, Maïwenn!

C’est la starlette dont on va parler cette semaine! Maïwenn fait l’ouverture du festival de Cannes, avec un film dans lequel elle «ose» faire jouer Johnny Depp – malgré les mises en garde néoféministes. Par ailleurs, elle pense qu’Adèle Haenel est un peu con et interprète dans Jeanne du Barry le rôle d’une «courtisane». Enfin, elle a reconnu avoir agressé physiquement le journaliste Edwy Plenel.


Elle est la personnalité du cinéma français dont on parle en ce moment. On ne parle pas ici d’Adèle Haenel, de son caca nerveux et son départ à la retraite, mais de Maïwenn, dont le dernier film Jeanne du Barry ouvrira le prochain festival de Cannes. Par ses dernières prises de position, ses choix d’acteur et même ses coups de griffes administrés à Edwy Plenel dans un restaurant en février dernier, elle est à deux doigts de devenir l’égérie de la droite réactionnaire!

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Un lourd passé de militante décoloniale

Elle revient pourtant de loin. En 2020, elle sortait un film assez navrant, ADN, avec une étrange quête du génome algérien, non sans relents biologiques quelque peu étranges: « Je pense que [l’] engagement [contre le racisme] m’a été transmis par mes ancêtres, qui ont vécu la colonisation ». Depuis, l’actrice et réalisatrice s’est rattrapée. Bien sûr, on ne mettra pas au compte des bonnes actions l’agression d’Edwy Plenel, à coup de tirage de cheveux et de crachats, même si la tentation peut-être grande en présence du patron de Mediapart et son air du type qui vous pique la dernière roue de secours en plein milieu du bush australien. Elle est passée aux aveux, en direct chez Yann Barthès, dans une ambiance de franche rigolade, ce qui a valu une accusation de « complaisance » de la part de Télérama. Fabrice Arfi, la voix de son maître, nous parle carrément de « très mauvais scénario d’une époque ». Quelques semaines après le scandale de la participation d’Hugo Clément au débat de Valeurs actuelles, les médias progressistes semblent se tirer la bourre, et se chercher des poux les uns les autres, c’est à celui qui dérapera le premier.


Concernant l’annonce fracassante de la retraite cinématographique d’Adèle Haenel (celle-ci, additionnée à l’annulation de Stromae et l’arrêt de la matinale de Charline Vanhoenacker, permet d’entrevoir un début de renaissance dans notre pays), Maïwenn n’a pas tout à fait suivi l’enthousiasme de certaines de ses consœurs : « Je trouve ça triste de tenir un discours si radical. Je trouve ça triste pour elle, sur le fait qu’elle voit ce monde-là par ce prisme-là. C’est un peu trop général, un peu trop radical ». En octobre 2020, Maïwenn avait déjà marqué sa divergence avec le féminisme radical d’Adèle Haenel. Enfin, toujours chez Yann Barthès, elle a défendu le choix de faire jouer Johnny Depp dans le rôle de Louis XV, et ce malgré la triste publicité faite par son procès contre Amber Heard. Procès qui nous a permis de ne rien ignorer de ce qui se passait sous les draps, et moins encore, sur les draps.

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« Il a perdu son premier procès, il a gagné le deuxième, c’était parole contre parole, je ne me suis pas sentie de le juger ». Télérama juge bon de nous rappeler que Johnny Depp n’a pas vraiment gagné son procès, « les deux parties ayant été déclarées coupables et condamnées chacune pour diffamation » ; l’acteur a seulement écopé d’une amende moins lourde que son ex-épouse. Le choix de l’acteur est d’autant plus fort qu’il fut fait en janvier 2022, alors que l’issue du procès était loin d’être connue… À l’époque, la frange féministérique des réseaux sociaux s’était étranglée de ce choix.

Une femme dans un milieu d’hommes

Mais alors, où va Maïwenn ? On n’ira pas forcément lui chercher une cohérence idéologique, et on ne lui en demande pas tant. En 2015, elle s’emporte contre ses collègues qui réclament la parité dans les métiers du cinéma. « On fait du tort aux femmes en râlant comme ça. Il y a plus de maquilleuses femmes que d’hommes, et alors ? Qui s’en émeut ? C’est un métier qui fait appel aux hormones masculines [la biologie, encore une fois !], donc il y a tout simplement plus d’hommes réalisateurs, c’est aussi bête que ça ».

Trois ans plus tard, elle signe pourtant la pétition du Collectif 50/50 qui milite pour la parité dans le cinéma. On lui reconnaîtra au moins deux choses : un franc-parler jubilatoire et des derniers coups de gueule salvateurs – mais, par pitié, on ne tire pas les cheveux des vieux messieurs dans les restaurants, même quand ils l’ont un peu mérité !

L’Inquisition nationale s’attaque au Collège Stanislas

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Wikimedia commons

En juin 2022, L’Express et Mediapart accusaient l’établissement privé sous contrat Stanislas de «pratiques homophobes, sexistes et autoritaires». La meute était lancée…


Dans leur sillage, le Groupe Gauche Communiste, Écologiste et Citoyenne réclamait du Conseil Régional d’Île de France qu’il suspende ses subventions, saisissait le ministère de l’Éducation nationale afin de diligenter une enquête administrative et passait le relais à re-Mediapart, lequel s’inquiétait, le 9 février 2023, du silence et de l’inaction du ministre.

Notre Pap de l’Éducation nationale et de la Jeunesse de France a donc confié à l’Inspection Générale le soin d’inquisiter. Ce qu’elle s’est attachée à faire en envoyant une cohorte d’inspecteurs pour mener l’enquête. Sus aux hétéro (doxes), aux hérétiques! Qu’il convient de débusquer, en passant au peigne fin consciences et subconscients. Des représentants de toutes catégories (professeurs, élèves, préfets…) sont appelés à comparaître, à confesser leurs fautes, ou plutôt celles du voisin, à signer leurs aveux. Quant aux présumés délateurs que le sort n’aurait pas désignés pour ces « rencontres », ils peuvent « adresser leur témoignage » par mail aux inspecteurs et sont assurés de la confidentialité de leur démarche. Et de la reconnaissance de la Sainte-Institution.

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Mais de quoi, au juste, le Collège Stanislas est-il accusé ? À en croire la voix sirupeuse du service public, Claude Askolovitch, qui recensait le 9 juin 2022 pour France Inter les accusations portées par L’Express, de fautes irrémissibles: rappeler aux élèves qu’une tenue féminine suggestive éveille le désir masculin, que l’école est un lieu d’étude et non de fornication, que la formation affective ne fait pas bon ménage avec le vagabondage sexuel, que l’avortement met fin à la vie de l’embryon ou du fœtus. D’éduquer en somme, selon les principes du catholicisme, peut-être du sens commun. Drôle d’idée pour un établissement catholique.

Ces principes contreviennent à la doxa, offensent gravement les LGBTTQIA+ puisqu’ils se sentent gravement offensés. Voilà, dans le procès qui est fait à cet établissement prestigieux, de simples circonstances aggravantes au regard du véritable chef d’accusation : Stan entend perpétuer l’Excellence. Il la revendique fièrement en trois mots : travail, tenue, talents. Stan caracole en tête des classements. Stan fait le pari de l’intelligence et de la volonté quand l’Institution encourage la médiocrité et le laisser-faire. Stan instruit et éduque. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait à ses trousses les Torquemada du progressisme et de la déconstruction.

Malraux nous manque… avec ses amis peintres. Un chef d’État aussi

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La plasticienne suisse Miriam Cahn, image d'archive © Christian Charisius/AP/SIPA

Le débat est clos. L’exposition du Palais de Tokyo vient de fermer ses portes. Elle en aura fait du bruit, la peinture de Miriam Cahn!


« Ce tableau représente un enfant, à genoux, ligoté les mains dans le dos, forcé à une fellation par un adulte » s’indigna une députée du Rassemblement national qui demanda son décrochage. « Ce ne sont pas des enfants. Ce tableau traite de la façon dont la sexualité est utilisée comme arme de guerre, comme crime contre l’humanité », s’est défendue la plasticienne suisse dont c’était, à 73 ans, la première rétrospective en France. « Vu sa taille, c’est un enfant » dirent les uns. « Non, regardez bien, c’est une femme agenouillée », répondirent les autres. La plasticienne « n’ayant pas de dessin » comme on dit dans le métier, le personnage malingre aux mains liées dans le dos demeure fort ambigu. Pourquoi avoir donné comme titre à sa toile : « Fuck abstraction » ? A-t-elle voulu s’en prendre à un art abstrait qui ne saurait par nature dénoncer ce qu’elle entendait dénoncer ?


Ras le bol de l’art disruptif

Mais pourquoi être figuratif si la figuration, incapable de représenter le réel sans ambiguïté, finit par rendre l’engagement illisible ? Avec la grossièreté de ce titre vengeur notre plasticienne pensait-elle nous empêcher de hausser les épaules ? Il fallait au moins être un directeur de centre d’art contemporain ou un pseudo-critique d’art pour participer aujourd’hui encore à pareille comédie. Celle-ci a toujours ses défenseurs et ses subventions. Rien d’étonnant à ce qu’un collectif de 26 responsables de musées et d’institutions ait signé le 8 mai dernier une tribune dans Le Monde pour défendre la liberté de création : « Plutôt que d’avoir peur de choquer, nous devrions avoir peur de ne jamais choquer. Car, oui, l’art choque. Perturbe. Dénonce. Dérange. Questionne. » Assommante énumération de poncifs dont on nous rebat les oreilles depuis des décennies !

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Souvenons-nous de ce qu’écrivait Roland Barthes à propos des grossièretés de Hébert sous la Révolution: « Hébert ne commençait jamais un numéro du Père Duchêne sans y mettre quelques « foutre » et quelques « bougre ». Ces grossièretés ne signifiaient rien, mais elles signalaient. Quoi ? Toute une situation révolutionnaire.» Avec son « Fuck » si peu original, Miriam Cahn ne signale aucune situation; elle ne fait que trahir une attitude qui entend s’adresser à la part la plus médiocre de ses contemporains et rejoindre ainsi plus sûrement le copinage du marché de l’art. Inutile d’aimer Picasso, Braque, Cézanne, le Quattrocento, l’art africain ou l’art grec. Il est même préférable de les avoir oubliés; mieux, de n’en avoir même jamais soupçonné l’existence. Il faut au contraire s’être fait adouber très tôt par la bêtise, la puérilité et la vulgarité. Depuis l’inusable urinoir de Duchamp jusqu’à la scène de sodomie géante devant le Centre Pompidou, en passant par la boîte de Merda d’artista de Manzoni, l’éprouvette d’urine de Ben au Grand-Palais, le Vagin de la reine à Versailles, le Plug anal place Vendôme, l’excrémentiel et le sexe font recette, encouragés par la lâcheté d’une classe politique tétanisée et à court d’arguments.

Une polémique assommante

« Oui, l’art peut choquer, peut questionner, peut parfois susciter du malaise, voire du dégoût. L’art n’est pas consensuel. Et la liberté d’expression et de création est garantie par la loi », a déclaré de son côté la ministre de la Culture dont les termes du plaidoyer ont été complaisamment repris par les signataires de la pétition. Si l’art doit déranger et choquer, le fonctionnaire culturel, lui, ne doit ni déranger ni choquer la rue de Valois.

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À son tour, le Président de la République s’est fait l’écho de la déclaration de son ministre: « En ce 8 mai, où nous célébrons la victoire de la liberté, je condamne l’acte de vandalisme commis hier au Palais de Tokyo. S’en prendre à une œuvre, c’est attenter à nos valeurs. En France, l’art est toujours libre et le respect de la création culturelle, garanti ». Il n’empêche que lorsque l’auteur d’un des tapis de l’Élysée fut visé par une enquête pour viols et agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Culture d‘Emmanuel Macron, déclara: « Je pense que le tapis sera très certainement retiré étant donné l’aspect emblématique de la présidence de la République ». C’était quelque temps après l’installation par ce même plasticien de deux énormes pneus de tracteur dorés à la feuille d’or au bas de l’escalier de l’Opéra Garnier. Il s’agissait de fêter le 350ème anniversaire de la création par Louis XIV de l’académie de musique et de danse.

Si à l’Elysée il fut hier question de retirer le tapis, au Palais de Tokyo il fut hors de question de décrocher la peinture. « La liberté d’expression et de création est garantie par loi », paraît-il. Mais le En même temps veille à l’incohérence des discours et des décisions.

Profitant de la commémoration de la capitulation allemande pour rendre hommage à Jean Moulin, un président de la République bien inspiré aurait dû se souvenir des Otages de Fautrier, de cette « hiéroglyphie de la douleur » dont parla magnifiquement André Malraux, au lieu de participer à une polémique grotesque autour d’une plasticienne insignifiante. En sacrifiant sa vie pour la liberté de notre pays, c’est la noblesse dans la manière d’user de cette liberté que Jean Moulin a défendue. Nullement le degré zéro de son usage. 

«Raciste! Islamophobe!»

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© D.R.

Le proviseur du lycée Victor-Hugo, à Marseille, est dans la tourmente. Pour avoir voulu interdire les abayas dont se parent nombre de ses élèves filles, le voici crucifié par une conjuration de lycéens, de pions poussés par la CGT, et autres belles consciences bien intentionnées. Notre chroniqueur, qui habite à deux pas, s’est rendu sur place.


La loi de 2004 avait cru bien faire en interdisant, dans les collèges et lycées, tout signe d’appartenance religieuse. C’était sans compter sur l’ambiguïté (ou l’hypocrisie, faites votre choix) de certains musulmans, qui jurent que tel vêtement — l’abaya, par exemple — est coutumier, et non religieux. C’est le même type d’ambiguïté (en est-ce bien une ?) qui, en accolant aux mosquées une bibliothèque, prétend faire de l’ensemble un lieu culturel et non cultuel. Tout est dans la nuance…

Effet boomerang

Du coup, les chefs d’établissement marseillais (et ailleurs sans doute aussi) se retrouvent face à l’entrisme de fondamentalistes qui arrivent vêtus « comme là-bas » et affirment haut et fort que c’est leur droit. Barbara Lefebvre a écrit un livre entier sur cette génération qui, arguant des « droits » que leur a octroyés la loi Jospin en 1989, se dispensent de tout devoir. Moyennant quoi, dès octobre 1989 justement, commençait à Creil la première opération « voile islamique », que le ministre de l’époque n’a pas voulu enrayer à la source. C’est que Lionel Jospin est ce ministre — plus tard Premier ministre — qui avait cru intelligent de lancer : « Et qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse que la France s’islamise ? »

Trente ans plus tard, ces sophismes pour fins de banquet socialistes nous reviennent en pleine figure.

Le lycée Victor-Hugo est situé dans un arrondissement difficile, aux portes de la Belle-de-Mai, l’un des quartiers les plus pauvres d’Europe, et cumule tous les « handicaps que génère des établissements » socialement et ethniquement unifiés. Comme dans d’autres lycées de Marseille, des élèves y ont donc testé les limites de la tolérance.

Le proviseur, Fabien Mairal, n’est pas connu, localement, pour son extrême habileté de communicant. Comme le raconte La Provence, qui relaie ces informations dans un grand esprit d’apaisement, cela va sans dire, il est arrivé, depuis janvier, à se mettre à dos les élèves, les Assistants d’Éducation (on disait « pions » autrefois) recrutés localement, et une partie des professeurs, qui majoritairement choisissent la paix sociale plutôt que la laïcité dure. Il a donc tenu, depuis le début de l’année scolaire, des propos « inadmissibles », selon ces mêmes AED qui l’ont enregistré — c’est la manie aujourd’hui dans les établissements, on filme tout ce qui se passe, merci aux concepteurs de smartphones. Ils ont ainsi constitué un beau dossier qu’ils ont transmis à Mediapart, un média dont l’objectivité et la neutralité idéologique ne sont plus à démontrer. Qu’on en juge.

A lire aussi, Barbara Lefebvre: Creil 1989-2019: du déni à la soumission

« Je suis tenu de faire respecter le texte, s’est-il expliqué. Je me dois de vous préparer au mieux à votre insertion professionnelle et sociale… Je ne veux pas que vous restiez à la maison avec dix gamins à faire le couscous, le tajine ou les samoussas. »

Horreur ! Horreur ! Horreur ! Comment ? Un responsable de l’Éducation Nationale prétend protéger ces jeunes filles contre elles-mêmes — et contre tous ceux qui les instrumentalisent.

Et encore, Fabien Mairal n’a pas insisté sur la misogynie extrême d’une religion qui ne garantit pas aux filles la même part d’héritage qu’à leurs frères, qui les marie de force, les oblige à se considérer, derrière leurs voiles, comme des provocatrices risquant d’entraîner les hommes, ces pures brebis, vers la damnation éternelle… « Dix gamins » — une allusion probable à la fameuse phrase prêtée à Boumediene, qui, en avril 1974, déclarait à la tribune de l’ONU : « Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère sud pour aller dans l’hémisphère nord. Et ils n’iront pas là-bas en tant qu’amis. Parce qu’ils iront là-bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire. »

Une musulmane, à en croire les fondamentalistes, n’est donc qu’un utérus voilé. Belle promotion. Que des féministes, au nom de l’intersectionnalité des luttes, comme elles disent, défendent cette discrimination vestimentaire en dit long sur l’aveuglement idéologique des chiennes de garde.

Le rectorat tient bon

« On est accusé d’être des diffamateurs », explique l’un de ces AED, Emmanuel Roux, suspendu par le rectorat — qui en l’occurrence n’a pas faibli face à la guérilla lancée par les fondamentalistes de l’abaya… « Mais avec les enregistrements la vérité est sortie… »

Quelle vérité ? Que la Belle-de-Mai, comme certains territoires anglais désormais, devrait être régie par la loi islamique ? Qu’il y a une loi à Paris, mais pas la même à Marseille ? Qu’il est indécent de suspendre des adultes (un professeur-documentaliste est également suspendu par le rectorat pour avoir tenu, lors d’un rassemblement le 8 mars dernier, une banderole sur laquelle était inscrit ce slogan délicat, « Lycée Victor-Hugo, balance ton proviseur, sexiste / raciste ») qui appuient de leur autorité des revendications communautaristes ? Ledit proviseur n’a jamais été sexiste, puisqu’il défend le droit des filles à un enseignement laïque qui tente de les émanciper de la tutelle religieuse. Il n’a jamais été raciste, puisqu’il s’oppose justement à des comportements en eux-mêmes discriminants. Une abaya n’est pas un accessoire de mode. Ce n’est pas une mini-jupe : c’est une déclaration de guerre : « Nous sommes chez nous ».

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Que le ministre (ni le précédent) ne se soit prononcé clairement par décret sur le fait que toute tenue suspecte de prosélytisme religieux est interdite choque le laïque que je suis — mais je n’attends rien, sur le plan de la laïcité, d’un homme qui vient de remplacer les têtes dirigeantes du Conseil des sages de la laïcité et d’installer à sa tête un universitaire, Alain Policar, connu pour avoir dénoncé, dans une tribune de 2019, ceux « qui font de la laïcité une arme contre la religion ». Sans compter que le nouveau Conseil ne pourra plus s’auto-saisir, mais n’agira que sur saisine du ministre, qui n’est pas exactement un descendant en ligne droite du petit père Combes…

Les syndicats recrutent large

Pensez : l’an dernier, la direction de Victor-Hugo surveillait le retrait des voiles islamiques à l’entrée du lycée — parce qu’en fait, ces jeunes filles arrivent voilées et tentent de faire quelques mètres pour marquer un peu plus leur territoire. Une attitude qui, selon l’enseignante-documentaliste suspendue (avec traitement quand même), vise à « cliver les profs » et à « chercher le dérapage ».

Et s’il s’agissait juste de faire respecter la loi ? Où est le dérapage ? N’est-il pas dans la volonté obstinée de faire entrer le culte dans un lieu de culture ? On en revient à la fusion opérée dans les mosquées — et à la volonté de constituer toutes les institutions républicaines en postes avancées de la conquête. Que des syndicats (SUD et la CGT, pour ne pas les nommer) accusent à leur tour le proviseur de « tenir des propos humiliants » pour ces jeunes filles manipulées, et d’« insulter » la laïcité n’est pas bien honorable : c’est juste une façon de recruter large, n’est-ce pas…

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Il faudrait inciter ces gauchistes vertueux à réviser les classiques du marxisme, à la rubrique « aliénation ». Les jeunes filles voilées croient qu’il est de leur devoir d’être soumises. Et l’Éducation vise à faire sauter, justement, toutes les contraintes, toutes les servitudes volontaires qui oblitèrent le jugement. Respecter une aliénation, accuser de racisme ceux qui s’insurgent contre le fanatisme, c’est accabler encore celles que l’on prétend défendre.

L’islamo-gauchisme se porte bien à Marseille — et ailleurs. Sous prétexte de conflits administratifs, c’est toute une idéologie que l’on fait avancer, pion après pion, mètre après mètre. Après les petits pas, les grandes enjambées. Et je ne compte pas sur ce ministre pour mettre fin aux ambiguïtés dont se nourrissent l’hydre et ses relais.

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Derrière les Ombres Blanches

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Yves Charnet © Photo: Hannah Assouline.

Yves Charnet, écrivain sur le fil, nous embarque dans une valse à mille temps avec son dernier récit chantant Le libraire de Gambetta aux éditions Tarabuste.


N’attendez aucune linéarité dans son récit, aucune malice ou combine d’auteur pour darder le suspense, aucune prévenance… Yves Charnet, écrivain à quai, Toulousain d’adoption, Ligérien d’errance, normalien d’instruction, est un dissident. Il pratique une littérature des contre-allées, hors les murs, des chemins de halage, qui ose s’aventurer dans le friable et le désenchanté, le maudit et la nostalgie tenace. Le rance ne lui fait pas peur. C’est à la fois écorché, sans rédemption possible, le lecteur est happé par ses récits autofictionnels, il titube à ses côtés, mais aussi féérique, le mot n’est pas exagéré, de convulsions poétiques et de sincérité outrancière. Charnet déjoue tous les bonimenteurs de l’édition qui promeuvent depuis tant d’années maintenant des textes propres, javélisés de toutes mauvaises intentions, expurgés de leur jus libérateur, fainéants dans leur forme et inaudibles dans leur écho.

Avec Charnet, ogre narcisse aux pieds d’argile, l’écriture reprend possession de la page blanche. Elle lui dicte enfin son désespoir. Il y a évidemment la fureur sur le mot jusqu’à sa défiguration et le staccato des possédés, ce rythme qui vient se fracasser sur les récifs des sentiments. Il faut lire Charnet pour réinitialiser son propre moteur de recherche et s’affranchir d’une narration bouchonnée. Le lire régulièrement remet en place les fausses hiérarchies de notre métier qui encensent souvent les ânonneurs et les truqueurs. Dans son dernier livre Le libraire de Gambetta aux éditions Tarabuste (Comment l’appeler ? Le définir ? Récit déconstruit, ode, mélopée, traité d’amitié et d’aigreur, souvenirs amers, exégèse de l’échec etc… ?), le « petit bâtard des bords de Loire » nous parle d’une amitié singulière avec Christian Thorel, figure de proue d’une librairie indépendante, tuteur taiseux et tutelle d’infortune, de ce commerçant non essentiel qui demeure le refuge des âmes seules.  « Sans lui cette ville ne serait pas la même. Cette cité. C’est le centre de Toulouse. Ombres Blanches. Vous l’appelez souvent le Nautilus. Ce navire en papier. Et l’homme, c’est le capitaine Nemo. Le capitaine Achab. Vous l’appelez Christian. Parfois Toto. C’est un point d’appui pour vous. Un point de repère. Vous le considérez. Comme un sorcier des signes » écrit-il. « On ne parle pas de cul avec Christian Thorel. Pas de bouffe non plus. Mon ami boit du Coca Zéro. Avec des sushis sans sauce » prévient-il.

A lire aussi, du même auteur: Pourquoi, toujours revenir dans la «ville éternelle»?

Charnet travaille sur le motif du libraire, tente de dessiner son contour, ne tait pas sa tristesse quand celui-ci omet de le citer dans un ouvrage et de son inextinguible besoin de reconnaissance qu’il qualifie de « maladie orpheline ». « La Bâtardise. C’est un mal incurable. Un cancer de l’identité. Je fais partie des nés troués » ajoute-t-il. Voilà pourquoi j’aime cet écrivain-poète, car il donne un accès direct à son fil conducteur, sans omettre les blessures, les foucades, les joies intenses ou les écorchures du quotidien. Et puis, il a su créer avec ses lecteurs, une forme de compagnonnage au long cours, on le suit de Nevers aux rives de la Garonne, de Nougaro à un dernier verre au Danton, de SUPAERO à Michel Sardou, de la mort de la mère à la tombe du géniteur, d’Ulm au Capitole, cette tapisserie sans fin n’est jamais ridicule, jamais geignarde, jamais convenue, jamais artificielle, elle « s’encre » en nous.

Et combien j’aime encore plus cette distorsion de la langue, le jeu taquin sur la graphie, les audaces stylistiques que seuls les grands artistes peuvent se permettre sans craindre le ricanement. On retrouve dans ce récit superbement dépenaillé, tout l’humus de Charnet, les figures qui dansent dans la nuit, Gabin, Sautet, Ventura, Delon, les voix d’outre-tombe, Dalida pleure et l’adoubement du maestro Lama, la tristesse des HLM, les confinements attentatoires, cette province qui étouffe et construit, la religion du livre inculquée aux bons élèves méritants et les peaux caressées qui retiennent la nuit. Dans cette déclaration au libraire de Gambetta, l’ancien éditeur Denis Tillinac, réfléchit en effet miroir. « Je faisais, avec cet inénarrable anar, mes universités buissonnières. Rabelais, Blondin, Audiard. Je prétendais, les grands soirs, que la dynamite était bonne à boire » nous confie-t-il. Les deux mêmes faces d’un milieu éditorial qui n’existe plus.

Le libraire de Gambetta de Yves Charnet – Tarabuste, 2023. 184 pages.

Enfin une victoire juridique contre l’écriture inclusive

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D.R.

Le 16 juillet 2020, le Conseil d’Administration de l’Université Grenoble-Alpes avait approuvé le choix de l’écriture inclusive pour la rédaction de ses nouveaux statuts. Un professeur courageux porta l’affaire devant le Tribunal administratif pour que soit annulée la délibération du Conseil d’administration de l’Université.


Le 11 mai 2023, tout récemment, donc, le Tribunal vient de débouter l’Université de Grenoble-Alpes, au motif irréfragable que cette écriture contrevient à l’article 2 de la Constitution lequel déclare que « La langue de la République est le français » en arguant de motifs juridiques imparables : le droit et la norme s’imposent à tous dans un langage intelligible. Ce qu’on appelle des objectifs et exigences à valeur constitutionnelle « d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme ». Le tribunal s’est également mis sous l’autorité de l’Académie Française, gardienne de la langue depuis Richelieu, qui, dénonçant le caractère illisible, confus et discriminant de cette graphie, déclarait, le 26 octobre 2017, que « l’écriture inclusive offusquait la démocratie du langage. » Mieux : ordre a été donné au président de l’Université de procéder à l’affichage et à la publication de ce jugement.

En français et non aultrement !

Résumons: l’écriture inclusive d’actes contenant du droit est contraire à la Constitution. La loi, au sens large, c’est-à-dire, tout acte administratif, doit être aussi rédigé de manière intelligible. Finie la concurrence déloyale d’un idiome discriminant que l’on impose, dans de nombreuses universités. Retour au point de départ dont nous n’aurions jamais dû partir : l’Ordonnance Royale de François Ier, édictée en 1539, connue sous le nom d’Ordonnance de Villers-Cotterêts.

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Le style de l’Ordonnance est clair et sec : tout doit être écrit « en français et non aultrement », dans un langage clair et compréhensible : « Afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement qu’il n’y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ni incertitude ni lieu à demander interprétation. » Date capitale dans notre histoire : chaque mot est à peser. Sur ordre du Roi, le français entre partout dans la vraie vie juridique c’est-à-dire dans les actes de justice de l’existence quotidienne. Avec l’Ordonnance de Beaulieu, en 1564, le français devient la langue de l’administration et s’étend à tous les domaines de la vie, dans toutes les classes sociales.Désormais, notre langue française est la même pour tous : elle est facteur d’unité et d’égalité.

Tous concernés

L’écriture inclusive n’est ni un truc de femmes—savantes ou pas—ni une mode, une lubie, encore moins une exigence louable d’égalité : bien plutôt, elle participe au puissant courant de déconstruction qui affecte notre pays. Oui, notre langue est dans un péril mortel, comme le dit l’Académie. Oui, son sauvetage dépend d’une volonté politique forte. Oui, comme le dit encore l’Académie, « l’écriture inclusive offusque la démocratie du langage. » Contre cette machine à exclure, le président a une arme plus infaillible que tout 49.3 : l’article 2 de la Constitution.

Espérons que cette victoire juridique du 11 mai fera jurisprudence et que nombreux seront les professeurs d’université et de l’Éducation nationale —et tous nos concitoyens—  à entrer en résistance. Car notre langue est « chose politique » c’est-à-dire qu’elle nous concerne tous.

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Planter son drapeau sur des ruines

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Le député Renaissance Mathieu Lefèvre lors des séances de questions au Gouvernement, en octobre 2022. © Jacques Witt/SIPA

La loi sur l’obligation de pavoiser les mairies avec le drapeau européen révèle surtout l’arrogance des macronistes.


C’est étonnant, tout de même, ce goût des libéraux français pour les lois inutiles. Naïvement, on croyait que le libéral préférait le contrat. Mais peut-être que le libéral, notamment en France, est libéral quand il s’agit du travail ou de la fiscalité mais beaucoup moins quand il s’agit d’imposer son idéologie, car le libéralisme n’est pas « naturel » contrairement à ce que voudraient faire croire ses thuriféraires de plus en plus nombreux. C’est une construction philosophique, comme le fascisme, le royalisme ou le communisme.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos drapeaux. Voilà que le groupe « Renaissance » a fait passer une loi rendant obligatoire la présence du drapeau européen sur les mairies de plus de 1500 habitants. On nous dit que 78% des mairies échapperont à cette obligation, façon sans doute de faire passer la pilule mais on peut aussi dire que, de facto, toutes les mairies des grandes villes et des villes moyennes seront pavoisées en bleu et or.

Un symbole détourné

Ce qui me gêne un peu, dans cette histoire, ce n’est pas tant le drapeau européen, c’est ce qu’il a fini par symboliser bien malgré lui. Pour aller vite: une zone de libre-échange fondée sur toujours plus de moins-disant social, une zone où est imposée une austérité sans fin, où la répartition des richesses produites par le continent  favorise toujours plus le capital et toujours moins le travail. Une zone dont les promoteurs les plus acharnés sont allés contre la volonté des peuples (remember le non de 2005) et ont fini par faire basculer un certain nombre de pays dans les bras de l’extrême-droite.

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D’ailleurs, derrière les cris d’orfraie des amis de l’UE, « Mon dieu ! la Pologne ; mon dieu ! la Hongrie ; mon dieu ! l’Italie », on voit que finalement, ils s’en accommodent très bien,  les libéraux, des législations restrictives sur l’avortement, sur la fin d’une justice indépendante et autre joyeusetés xénophobes.

Petit Grec, le FMI c’est plus fort que toi !

Tant qu’ils sont dans les clous budgétaires, ces pays-là peuvent tranquillement chasser le migrant. Mais qu’ils ne s’avisent pas de vouloir protéger leur peuple de la violence de la mondialisation en gardant un modèle social avancé, c’est-à-dire en étant de gauche ; là, ils seront punis comme l’U.R.S.S. punissait les « pays frères », à cette différence que c’est le FMI et la BCE qui jouent le rôle du tank.

Alors cette histoire de drapeau, toute symbolique qu’elle soit, elle fait un peu penser à ces armées victorieuses qui plantent leur étendard sur les ruines du rêve de ceux qui croyaient que l’Europe voudrait dire la paix, la prospérité et un modèle social avancé, le rêve de ces utopistes qui n’ont même plus le droit d’exprimer la moindre réserve sur le génie bruxellois, sur l’excellence de la Commission, sans se voir rejeter dans les ténèbres extérieures en compagnie des nationalistes de la pire espèce…

Joe le gaffeur

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© D.R.

Il n’y a rien de mal à vouloir séduire un électorat ciblé. Mais en Irlande, Joe Biden nous enseigne exactement ce qu’il ne faut pas faire.


Joe Biden a toujours fait grand cas des origines irlandaises de ses ancêtres. Les exemples du clan Kennedy, de Reagan et de Clinton montrent que, pour un homme politique américain, il n’est pas inutile de plaire à l’électorat issu de l’immigration irlandaise. Pour renforcer son côté irlandais et catholique, le président Biden met la pression sur le gouvernement du Royaume-Uni pour qu’il résolve la question du protocole sur l’Irlande du Nord, conséquence des négociations sur le Brexit. Mais cette pression est peu appréciée des protestants nord-irlandais qui actuellement bloquent la constitution du gouvernement à Belfast. La visite de Bill Clinton en 1998 a été déterminante pour la signature de l’accord du Vendredi saint, qui a mis fin aux troubles. Celle de Joe Biden en avril, qui a coïncidé avec le vingt-cinquième anniversaire de cet accord, a-t-elle aidé à débloquer la situation actuelle ?

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Tout a bien commencé à Belfast avec un discours où le président a révélé qu’il a aussi des ancêtres protestants et même des ancêtres anglais. Pourtant, les observateurs ont repéré un détail désobligeant : normalement, la limousine du président américain, surnommée « The Beast » (« la Bête »), affiche le drapeau américain, d’un côté, et de l’autre, le drapeau du pays où il se trouve. Or, lors de son séjour en Irlande du Nord, on ne voyait pas le drapeau britannique (qu’il avait bien affiché en Écosse en 2021), mais le fanion présidentiel. Cela semblait indiquer qu’il ne reconnaissait pas l’appartenance de l’Irlande du Nord au Royaume-Uni. Et pour finir, lors de son passage dans la République d’Irlande (du sud, Éire), il a passablement gaffé. Voulant complimenter l’équipe de rugby de l’Irlande, il a vanté leur victoire, non sur les All Blacks néo-zélandais, mais sur les Black and Tans, des policiers britanniques qui ont combattu les rebelles lors de la guerre d’indépendance irlandaise de 1919-1921. Joe l’Irlandais ne semble pas si irlandais que ça.

Pas de migrants à Saint-Brevin. Mais pas de maire non plus!

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Le maire divers droite de la localité de Loire-Atlantique, Yannick Moretz, a démissionné avec fracas, s’estimant peu soutenu par l’État, et ses véhicules ayant été incendiés à son domicile, une nuit de mars. La population est vent debout contre le projet d’installation d’un centre de migrants. «L’opposition au centre s’est transformée en haine personnelle. Le boulot de maire n’est simple nulle part, mais là on lui a quand même cramé sa baraque» témoigne la patronne d’un centre de toilettage canin dans Le Monde. L’édile sera reçu à Matignon, mercredi. Le commentaire de Céline Pina.


Ce qui est arrivé au maire de Saint-Brevin-les-Pins (44) relance pour la énième fois le débat sur la montée de la violence dans notre pays. L’histoire est maintenant connue: le déplacement d’un centre d’accueil de migrants près d’une école dans cette petite ville de 13 000 âmes a mis le feu aux poudres. Suite à la mobilisation d’un groupe de riverains inquiets pour la sécurité de leurs enfants, la presse locale titre que la grogne monte autour du projet. L’histoire fait alors l’objet de partages sur les réseaux sociaux des partisans de « Reconquête ! » et du Rassemblement national et prend peu à peu une dimension nationale alors que sur le terrain les manifestations se multiplient. Pas moins de quatre seront organisées. Le ton monte entre manifestants anti-migrants et manifestants pro-migrants. Les uns sont accusés d’être d’affreux racistes qui détestent les étrangers et habillent cela d’un discours mettant en avant la crainte pour la sécurité des enfants pour pouvoir mieux instrumentaliser la situation. Les autres sont accusés de « vouloir imposer le vivre ensemble avec le Pakistan dans nos campagnes. »[1]

L’exécutif n’assure pas le SAV du centre de migrants

La polémique ne va cesser d’enfler jusqu’à ce que, le 22 mars, le domicile et les véhicules du maire soient incendiés alors que celui-ci dort dans la maison. L’édile va alors donner sa démission en invoquant un profond sentiment de solitude et accuse l’Etat d’avoir imposé le déplacement du centre d’accueil sans avoir assuré le service après-vente, laissant le maire fort dépourvu face à la grogne. Si l’affaire de Saint-Brevin est exceptionnelle par son retentissement, les chiffres du ministère de l’Intérieur indiquent qu’en 2022, les violences contre les élus ont augmenté de 32%.

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On ne peut que se sentir solidaire du maire de Saint-Brevin. Quoi que l’on puisse penser de la pertinence de l’installation d’un centre d’accueil de réfugiés près d’une école, notre tradition politique veut qu’oppositions et contestations passent avant tout par la parole, l’organisation de manifestations, la sanction électorale, mais pas par l’agression et la tentative de meurtre. L’incendie aurait en effet pu être fatal au maire et à son épouse.

Le sacerdoce des élus locaux

La démission du maire de Saint-Brevin a entrainé une prise de parole de nombre d’élus locaux qui ont rappelé à quel point le statut de l’élu local peut être ingrat et repose sur un certain sens du devoir et du sacerdoce. Dans les petites villes et les villages, les indemnités sont peu élevées, le maire a une administration souvent sous-dimensionnée et les attentes qu’il génère sont parfois disproportionnées. Mais ce que les statistiques montrent surtout, c’est que le maire commence à être touché par le rejet que subissent les politiques et qui épargnait encore l’échelon local. Un rejet sans doute lié au sentiment de déclassement de la population dans les zones périurbaines. Le constat d’impuissance et/ou d’incompétence des élus face à ce qui inquiète la population (crise de l’énergie, crise migratoire, difficultés financières, difficulté à se projeter dans un monde hostile et anticipation de la régression sociale) rend insupportable un monde politique qui a tendance à remplacer l’action par la leçon de morale permanente. Premier maillon de cette chaîne politique que les Français voient comme plus soucieuse de son poste que de l’avenir du pays, les maires sont en première ligne et essuient les plâtres des erreurs qu’ils n’ont pas commises mais dont ils sont vus comme comptables. Ajoutons à cela que le discours sur la décentralisation prétend leur avoir redonné du pouvoir, mais que la technocratie sait leur lier les mains sur les dossiers les plus susceptibles de susciter des réactions hostiles, comme les installations d’éoliennes ou de centres d’accueil de migrants…

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Concernant ces derniers, les pouvoirs publics font comme si les Français ignoraient la difficulté à assimiler de nouvelles populations dont la culture s’oppose parfois directement à nos fondamentaux, qui refusent l’égalité aux femmes et sont souvent source de nuisances. Les autorités font comme si la question de l’insécurité culturelle n’existait pas, comme si le rejet de l’immigration massive était une légende urbaine, comme si le nombre marginal de reconduites à la frontière était un secret ! Au lieu de travailler à créer des centres plus sécurisés, à mettre en place une politique d’accueil exigeante, à passer des contrats clairs avec les migrants, à leur apprendre leurs obligations et à être capable d’expulser ceux qui n’ont rien à faire sur le territoire, les pouvoirs publics semblent se contenter de jeter l’opprobre sur les riverains. Érigeant tout migrant en victime expiatoire et tout riverain inquiet en salaud xénophobe. Une logique qui pousse certains habitants dans les bras des extrêmes.

Dans cette affaire, tout le monde se sent trahi et abandonné

C’est pour cela qu’il n’y aura pas un avant et un après cette agression. Peut-être que les indemnités des élus seront un jour réévaluées, mais le problème qu’affrontent les maires sur le terrain est bien plus important.

Nos maires sont les interlocuteurs naturels d’une population qui se sent trahie et abandonnée par son gouvernement et ne voit pas d’issue à sa situation car une partie d’entre elle est montrée du doigt et assimilée à des ploucs racistes qui fument des clopes et roulent au diesel. Des gens dont finalement le déclassement importe peu à un gouvernement qui se voit comme un club de premiers de cordée et qui pense qu’il a bien du mérite à essayer de faire avancer un troupeau d’inutiles. Les maires, qui n’ont que peu de prise sur ces réalités-là, finissent parfois par cristalliser sur leur personne un ressentiment qui les dépasse. A Saint-Brevin, cela a failli causer la mort du maire. Peut-être qu’en arrêtant la leçon de morale permanente sur les questions de migration et en affrontant en face la réalité de la pression qu’elles mettent sur les équilibres sociaux, nos élites pourraient enfin faire en sorte que le problème suscite moins de peur et de rage. Force est de constater qu’elles ne s’en donnent pas les moyens. Ce qui est arrivé au maire de Saint-Brevin l’illustre.

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[1] Tweet de Damien Rieu du 25 février 2023

Sarah Bernhardt, quand même !

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Portrait de Sarah Bernhardt, Georges Clairin, 1876 © Bridgeman Images

Sarah Bernhardt incarne et inspire tous les superlatifs : grande, divine, unique, impératrice… Des planches à la ville, cette comédienne hors du commun est entrée dans l’histoire par son excentricité et sa force de caractère. Une exposition au Petit Palais en témoigne.


« Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée.  Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers… », Phèdre, acte II, scène 5. La somptueuse exposition « Sarah Bernhardt » qui vient d’ouvrir ses portes à Paris pour commémorer le centenaire de sa mort, permet au visiteur d’écouter pendant une minute et 45 secondes, cornet à l’oreille, cette voix unique gravée sur cylindre, cette inimitable emphase chevrotante. C’est la « Divine », c’est toute une époque.

En son temps, Sarah Bernhardt (1844-1923) est une icône aux yeux du monde entier. On l’appelle « l’Enchanteresse », « l’Unique », « la Voix d’or »… Le fils de Réjane, autre comédienne, écrit : « Sarah Bernhardt, vers 1900 : plus qu’une impératrice, une espèce de divinité. » Et de préciser : « Je crois qu’au point de vue de sa situation dans le monde, Victor Hugo est le seul qu’on puisse lui comparer. » À ses funérailles, le 29 mars 1923, une foule gigantesque accompagne le cortège funèbre dont les chars tendus de noir, tirés par des chevaux caparaçonnés, traversent Paris jusqu’au Père-Lachaise. L’événement est filmé : c’est saisissant. La « Grande Sarah » avait 79 ans et la République, qui l’a décorée de la Légion d’honneur, lui refuse cependant le Panthéon. Celle pour qui Jean Cocteau invente l’expression « monstre sacré » y aurait pourtant sa place.

Renvoyée du conservatoire

« Quand même », telle est sa devise. Elle en estampille non seulement ses cartes de visite, mais aussi son linge, son papier à lettre, ses meubles, rideaux, vaisselle, et jusqu’à l’oriflamme qui, des années durant, flotte à la brise de Belle-Île, sur le toit du fortin qu’elle a aménagé pour y passer ses étés. Bien du chemin – quand même – pour en arriver là ! Fruit d’une liaison, la future diva est une enfant illégitime. Officier de marine, son géniteur présumé meurt prématurément. Julie, sa mère, surnommée Youle, aventurière juive native d’Amsterdam, est une lorette qui, montée à Paris, s’est enrichie en forniquant : le fortuné duc de Morny, frère adultérin de Napoléon III, compte parmi ses meilleures prises. Mal-aimée, livrée à elle-même, élevée à Auteuil dans l’école privée d’une dame Fessard, Sarah est une adolescente difficile. Deux demi-sœurs, Jeanne et Régina, complètent ce foyer glacial (Régina meurt à 18 ans de tuberculose ; quant à Jeanne, devenue opiomane, elle disparaît à 25 ans).

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En attendant, Morny finance l’éducation de cette demoiselle auréolée de boucles rousses – cours de peinture, de maintien, d’escrime… Son entregent ouvre à Sarah les portes du Conservatoire. Une gifle donnée à une honorable sociétaire provoque son renvoi. Désormais émancipée, Sarah monnaye ses faveurs à l’exemple de sa mère. Dans son Journal, Goncourt flétrit « la putinerie de cette maquerelle » qui « a prostitué toutes ses filles, aussitôt qu’elles ont eu treize ans ». Sarah attend d’en avoir vingt pour donner naissance à Maurice – d’un « père inconnu », en fait un aristo belge. Fils unique, Maurice meurt en 1928, après avoir vécu avec constance aux crochets de sa mère, en panier percé, dans un rapport fusionnel avec elle.

Le goût pour la chair fraïche

Muse vénale, Sarah Bernhardt n’a jamais chassé que le gros gibier : industriels, fils de famille, plénipotentiaires, patrons de presse… Leur nombre impressionne : des acteurs Mounet-Sully à Jean Angelo, Philippe Garnier, Édouard de Max (relation platonique, celle-là, vu les inclinations du monsieur) ; du jeune diplomate Édouard de Langrenée (gentiment appelé, en ville, « le petit chien de Sarah ») au poète Jean Richepin ; du génial illustrateur Gustave Doré au chirurgien lancé Samuel Pozzi, qu’elle baptise « docteur Dieu » ; du critique et auteur dramatique Jules Lemaître à l’adaptateur de Zola pour les planches, William Bushach. Et puis il y a Edmond Rostand, 28 ans, l’auteur de Cyrano, de L’Aiglon, dédié à « sa Reine de l’Attitude » – pas sûr qu’ils aient couché. Chaste chevalier servant, Reynaldo Hahn (l’amant de Proust, lequel Proust immortalise Sarah dans La Recherche, sous les traits de la Berma) lui compose des musiques de scène. De bonne heure, cette « folle » de Montesquiou (modèle du baron de Charlus – toujours Proust) idolâtre Sarah, éprise quant à elle du dandy Charles Haas (le modèle de Swann – encore Proust), avant de convoler en justes noces, en 1882, à Londres, avec le bellâtre grec Aristides Damalas, son cadet de douze ans, impétrant diplomate reconverti en acteur, et qu’on surnomme « Damalas aux camélias » pour ses performances dans Dumas fils. Mariage désastreux : ruiné, drogué, l’épave Damalas coule à pic en 1889, à 32 ans. À l’approche de son 70e anniversaire, Sarah n’a pas perdu le goût de la chair fraîche : elle s’éprend d’un modèle de Rodin, Lou Tellegen, colosse néerlandais de 27 ans, acteur pitoyable auquel elle confie le premier rôle dans plusieurs films muets, en 1912-1913 (La Dame aux camélias, La Reine Élisabeth, Adrienne Lecouvreur)… Tellegen, Damalas en pire, se tranche les veines à 50 ans.

Sarah Benhardt, 1869 © Bridgeman Images

Engagée au Théâtre du Gymnase en 1863, prise à l’essai trois ans plus tard à l’Odéon, Sarah connaît son premier triomphe en 1869 dans un rôle travesti : Le Passant, de François Coppée. Forte de son succès dans Ruy Blas, elle se fait engager, la tête haute, à la Comédie-Française en 1872 ; maison dont, lassée, elle démissionne au bout de huit ans. En 1877, nouveau triomphe dans Hernani, merci Hugo. Le giletier du « drame bourgeois »,Victorien Sardou, lui taille sept pièces sur-mesure – de Fédora à Cléopâtre en passant par La Tosca. Dans les années 1880 commence l’époque des tournées incessantes, des deux Amériques jusqu’en Australie, au point qu’on surnomme « La Muse ferroviaire » cette élégante qui, lorsqu’elle ne vogue pas en cabine de première blasonnée à son chiffre, itinère en Pullman aménagé pour ses aises. Elle fait ainsi trois fois le tour du monde.

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Le début du succès

Follement dispendieuse, Sarah Bernhardt est toujours à court d’argent. À la tête du Théâtre de la Renaissance jusqu’en 1899 puis du Théâtre des Nations, place du Châtelet (actuel Théâtre de la Ville), qu’elle rebaptise à son nom et repeint en jaune « bouton d’or », cette infatigable femme d’affaires dix fois ruinée cumule les emplois : scénographe, décoratrice, meneuse de troupes, programmatrice, impresario… De sa gestuelle étudiée à la luxuriance de ses atours, de l’ameublement de ses résidences successives à sa façon de dire bonjour, Sarah Bernhardt est tout entière en représentation. Son narcissisme intempérant lui ravit le don du naturel.

La Divine a frayé avec (presque) tout ce qui compte dans la République des lettres et de la politique : George Sand, Dumas, Coppée, Flaubert, Banville, Loti, Hugo, jusqu’à Henri Rochefort et Léon Gambetta… Sans compter les peintres, à commencer par Georges Clairin et Louise Abbema, lesquels, dévots parmi les dévots, la portraiturent inlassablement – en témoigne à foison la présente exposition. Elle lance l’affichiste Mucha, pose pour des artistes de renom : Jules Bastien-Lepage, Alfred Stevens, Antonio de La Gandara, Jean-Léon Gérôme (qui nous a laissé d’elle un incroyable marbre polychrome), mais aussi pour de grands photographes : Nadar, Étienne Carjat, Achille Mélandri (cf. le célèbre cliché où elle dort dans un cercueil)… Le studio londonien W. & D. Downey popularise son image outre-Manche et aux États-Unis car Sarah Bernhardt travaille son image « à l’international » en faisant commerce de ses propres produits dérivés (cosmétique, biscuits, sardines, champagne, absinthe…). Elle gère sa légende, scénarise ses frasques et médiatise ses excentricités.

La fascination qu’exercent ses intérieurs auprès du public prolonge celle de ses parures : acheteuse compulsive, on la voit émerger telle une naïade d’un flot de bibeloteries éclectiques, cernée d’une ménagerie naturalisée mais également vivante : bestiaire où se coudoient chauves-souris, tortues, singes, perroquets, caméléons, et jusqu’à ces lionceaux, guépards et alligators qu’elle aime à lâcher au jardin. Sur le tard, sa folie des bêtes se mue en passion pour les algues marines, dont elle fait des bronzes délicieusement barbares : elle est aussi sculpteur.

Sarah Bernhardt déborde de talents – et de courage : patriote et dreyfusarde, la citoyenne organise un hôpital militaire pendant la guerre de 1870. Et en 1914-1918, quoique amputée d’une jambe, elle se produit devant les « poilus ».

Cette femme inouïe a été notre première star.

A voir :
« Sarah Bernhardt : et la femme créa la star ». Petit Palais, Paris, jusqu’au 27 août.

À lire :
Catalogue de l’exposition : Sarah Bernhardt (dir. Stéphanie Cantarutti et Cécilie Champy-Vinas), Paris Musées, 2023.

À lire également :
Claudette Joannis, Sarah Bernhardt (Payot, 2000, réédition 2023) et surtout la neuve et très riche biographie d’Hélène Tierchant,
Sarah Bernhardt : scandaleuse et indomptable (Tallandier, 2023).

Mais enfin, Maïwenn!

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La réalisatrice et actrice franco-algérienne Maïwenn, photographiée en 2021 à Cannes © LAURENT VU/PARIENTE JEAN-PHILIPPE/SIPA

C’est la starlette dont on va parler cette semaine! Maïwenn fait l’ouverture du festival de Cannes, avec un film dans lequel elle «ose» faire jouer Johnny Depp – malgré les mises en garde néoféministes. Par ailleurs, elle pense qu’Adèle Haenel est un peu con et interprète dans Jeanne du Barry le rôle d’une «courtisane». Enfin, elle a reconnu avoir agressé physiquement le journaliste Edwy Plenel.


Elle est la personnalité du cinéma français dont on parle en ce moment. On ne parle pas ici d’Adèle Haenel, de son caca nerveux et son départ à la retraite, mais de Maïwenn, dont le dernier film Jeanne du Barry ouvrira le prochain festival de Cannes. Par ses dernières prises de position, ses choix d’acteur et même ses coups de griffes administrés à Edwy Plenel dans un restaurant en février dernier, elle est à deux doigts de devenir l’égérie de la droite réactionnaire!

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Un lourd passé de militante décoloniale

Elle revient pourtant de loin. En 2020, elle sortait un film assez navrant, ADN, avec une étrange quête du génome algérien, non sans relents biologiques quelque peu étranges: « Je pense que [l’] engagement [contre le racisme] m’a été transmis par mes ancêtres, qui ont vécu la colonisation ». Depuis, l’actrice et réalisatrice s’est rattrapée. Bien sûr, on ne mettra pas au compte des bonnes actions l’agression d’Edwy Plenel, à coup de tirage de cheveux et de crachats, même si la tentation peut-être grande en présence du patron de Mediapart et son air du type qui vous pique la dernière roue de secours en plein milieu du bush australien. Elle est passée aux aveux, en direct chez Yann Barthès, dans une ambiance de franche rigolade, ce qui a valu une accusation de « complaisance » de la part de Télérama. Fabrice Arfi, la voix de son maître, nous parle carrément de « très mauvais scénario d’une époque ». Quelques semaines après le scandale de la participation d’Hugo Clément au débat de Valeurs actuelles, les médias progressistes semblent se tirer la bourre, et se chercher des poux les uns les autres, c’est à celui qui dérapera le premier.


Concernant l’annonce fracassante de la retraite cinématographique d’Adèle Haenel (celle-ci, additionnée à l’annulation de Stromae et l’arrêt de la matinale de Charline Vanhoenacker, permet d’entrevoir un début de renaissance dans notre pays), Maïwenn n’a pas tout à fait suivi l’enthousiasme de certaines de ses consœurs : « Je trouve ça triste de tenir un discours si radical. Je trouve ça triste pour elle, sur le fait qu’elle voit ce monde-là par ce prisme-là. C’est un peu trop général, un peu trop radical ». En octobre 2020, Maïwenn avait déjà marqué sa divergence avec le féminisme radical d’Adèle Haenel. Enfin, toujours chez Yann Barthès, elle a défendu le choix de faire jouer Johnny Depp dans le rôle de Louis XV, et ce malgré la triste publicité faite par son procès contre Amber Heard. Procès qui nous a permis de ne rien ignorer de ce qui se passait sous les draps, et moins encore, sur les draps.

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« Il a perdu son premier procès, il a gagné le deuxième, c’était parole contre parole, je ne me suis pas sentie de le juger ». Télérama juge bon de nous rappeler que Johnny Depp n’a pas vraiment gagné son procès, « les deux parties ayant été déclarées coupables et condamnées chacune pour diffamation » ; l’acteur a seulement écopé d’une amende moins lourde que son ex-épouse. Le choix de l’acteur est d’autant plus fort qu’il fut fait en janvier 2022, alors que l’issue du procès était loin d’être connue… À l’époque, la frange féministérique des réseaux sociaux s’était étranglée de ce choix.

Une femme dans un milieu d’hommes

Mais alors, où va Maïwenn ? On n’ira pas forcément lui chercher une cohérence idéologique, et on ne lui en demande pas tant. En 2015, elle s’emporte contre ses collègues qui réclament la parité dans les métiers du cinéma. « On fait du tort aux femmes en râlant comme ça. Il y a plus de maquilleuses femmes que d’hommes, et alors ? Qui s’en émeut ? C’est un métier qui fait appel aux hormones masculines [la biologie, encore une fois !], donc il y a tout simplement plus d’hommes réalisateurs, c’est aussi bête que ça ».

Trois ans plus tard, elle signe pourtant la pétition du Collectif 50/50 qui milite pour la parité dans le cinéma. On lui reconnaîtra au moins deux choses : un franc-parler jubilatoire et des derniers coups de gueule salvateurs – mais, par pitié, on ne tire pas les cheveux des vieux messieurs dans les restaurants, même quand ils l’ont un peu mérité !