Accueil Édition Abonné Pas de migrants à Saint-Brevin. Mais pas de maire non plus!

Pas de migrants à Saint-Brevin. Mais pas de maire non plus!


Pas de migrants à Saint-Brevin. Mais pas de maire non plus!
Manifestants opposés au centre pour migrants, Saint-Brevin, 29 avril 2023 © FRED TANNEAU / AFP

Le maire divers droite de la localité de Loire-Atlantique, Yannick Moretz, a démissionné avec fracas, s’estimant peu soutenu par l’État, et ses véhicules ayant été incendiés à son domicile, une nuit de mars. La population est vent debout contre le projet d’installation d’un centre de migrants. «L’opposition au centre s’est transformée en haine personnelle. Le boulot de maire n’est simple nulle part, mais là on lui a quand même cramé sa baraque» témoigne la patronne d’un centre de toilettage canin dans Le Monde. L’édile sera reçu à Matignon, mercredi. Le commentaire de Céline Pina.


Ce qui est arrivé au maire de Saint-Brevin-les-Pins (44) relance pour la énième fois le débat sur la montée de la violence dans notre pays. L’histoire est maintenant connue: le déplacement d’un centre d’accueil de migrants près d’une école dans cette petite ville de 13 000 âmes a mis le feu aux poudres. Suite à la mobilisation d’un groupe de riverains inquiets pour la sécurité de leurs enfants, la presse locale titre que la grogne monte autour du projet. L’histoire fait alors l’objet de partages sur les réseaux sociaux des partisans de « Reconquête ! » et du Rassemblement national et prend peu à peu une dimension nationale alors que sur le terrain les manifestations se multiplient. Pas moins de quatre seront organisées. Le ton monte entre manifestants anti-migrants et manifestants pro-migrants. Les uns sont accusés d’être d’affreux racistes qui détestent les étrangers et habillent cela d’un discours mettant en avant la crainte pour la sécurité des enfants pour pouvoir mieux instrumentaliser la situation. Les autres sont accusés de « vouloir imposer le vivre ensemble avec le Pakistan dans nos campagnes. »[1]

L’exécutif n’assure pas le SAV du centre de migrants

La polémique ne va cesser d’enfler jusqu’à ce que, le 22 mars, le domicile et les véhicules du maire soient incendiés alors que celui-ci dort dans la maison. L’édile va alors donner sa démission en invoquant un profond sentiment de solitude et accuse l’Etat d’avoir imposé le déplacement du centre d’accueil sans avoir assuré le service après-vente, laissant le maire fort dépourvu face à la grogne. Si l’affaire de Saint-Brevin est exceptionnelle par son retentissement, les chiffres du ministère de l’Intérieur indiquent qu’en 2022, les violences contre les élus ont augmenté de 32%.

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On ne peut que se sentir solidaire du maire de Saint-Brevin. Quoi que l’on puisse penser de la pertinence de l’installation d’un centre d’accueil de réfugiés près d’une école, notre tradition politique veut qu’oppositions et contestations passent avant tout par la parole, l’organisation de manifestations, la sanction électorale, mais pas par l’agression et la tentative de meurtre. L’incendie aurait en effet pu être fatal au maire et à son épouse.

Le sacerdoce des élus locaux

La démission du maire de Saint-Brevin a entrainé une prise de parole de nombre d’élus locaux qui ont rappelé à quel point le statut de l’élu local peut être ingrat et repose sur un certain sens du devoir et du sacerdoce. Dans les petites villes et les villages, les indemnités sont peu élevées, le maire a une administration souvent sous-dimensionnée et les attentes qu’il génère sont parfois disproportionnées. Mais ce que les statistiques montrent surtout, c’est que le maire commence à être touché par le rejet que subissent les politiques et qui épargnait encore l’échelon local. Un rejet sans doute lié au sentiment de déclassement de la population dans les zones périurbaines. Le constat d’impuissance et/ou d’incompétence des élus face à ce qui inquiète la population (crise de l’énergie, crise migratoire, difficultés financières, difficulté à se projeter dans un monde hostile et anticipation de la régression sociale) rend insupportable un monde politique qui a tendance à remplacer l’action par la leçon de morale permanente. Premier maillon de cette chaîne politique que les Français voient comme plus soucieuse de son poste que de l’avenir du pays, les maires sont en première ligne et essuient les plâtres des erreurs qu’ils n’ont pas commises mais dont ils sont vus comme comptables. Ajoutons à cela que le discours sur la décentralisation prétend leur avoir redonné du pouvoir, mais que la technocratie sait leur lier les mains sur les dossiers les plus susceptibles de susciter des réactions hostiles, comme les installations d’éoliennes ou de centres d’accueil de migrants…

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Concernant ces derniers, les pouvoirs publics font comme si les Français ignoraient la difficulté à assimiler de nouvelles populations dont la culture s’oppose parfois directement à nos fondamentaux, qui refusent l’égalité aux femmes et sont souvent source de nuisances. Les autorités font comme si la question de l’insécurité culturelle n’existait pas, comme si le rejet de l’immigration massive était une légende urbaine, comme si le nombre marginal de reconduites à la frontière était un secret ! Au lieu de travailler à créer des centres plus sécurisés, à mettre en place une politique d’accueil exigeante, à passer des contrats clairs avec les migrants, à leur apprendre leurs obligations et à être capable d’expulser ceux qui n’ont rien à faire sur le territoire, les pouvoirs publics semblent se contenter de jeter l’opprobre sur les riverains. Érigeant tout migrant en victime expiatoire et tout riverain inquiet en salaud xénophobe. Une logique qui pousse certains habitants dans les bras des extrêmes.

Dans cette affaire, tout le monde se sent trahi et abandonné

C’est pour cela qu’il n’y aura pas un avant et un après cette agression. Peut-être que les indemnités des élus seront un jour réévaluées, mais le problème qu’affrontent les maires sur le terrain est bien plus important.

Nos maires sont les interlocuteurs naturels d’une population qui se sent trahie et abandonnée par son gouvernement et ne voit pas d’issue à sa situation car une partie d’entre elle est montrée du doigt et assimilée à des ploucs racistes qui fument des clopes et roulent au diesel. Des gens dont finalement le déclassement importe peu à un gouvernement qui se voit comme un club de premiers de cordée et qui pense qu’il a bien du mérite à essayer de faire avancer un troupeau d’inutiles. Les maires, qui n’ont que peu de prise sur ces réalités-là, finissent parfois par cristalliser sur leur personne un ressentiment qui les dépasse. A Saint-Brevin, cela a failli causer la mort du maire. Peut-être qu’en arrêtant la leçon de morale permanente sur les questions de migration et en affrontant en face la réalité de la pression qu’elles mettent sur les équilibres sociaux, nos élites pourraient enfin faire en sorte que le problème suscite moins de peur et de rage. Force est de constater qu’elles ne s’en donnent pas les moyens. Ce qui est arrivé au maire de Saint-Brevin l’illustre.

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[1] Tweet de Damien Rieu du 25 février 2023




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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