Il y a bien un domaine où la France n’est pas en retard. Pour les tweets et les hommages, elle domine! Ce ne serait pas grave si l’expression de cette impuissance noble ne prenait pas assez généralement la place de politiques défaillantes.
Un tragique exemple en a été fourni récemment avec la mort de ces trois jeunes gardiens de la paix conduisant à l’hôpital une jeune fille de 16 ans et dont le véhicule a été heurté par une voiture circulant à contresens avec un chauffeur sous l’emprise de la drogue et de l’alcool. Celui-ci est décédé tandis que son passager est grièvement blessé. Le ministre de l’Intérieur a tweeté, le président aussi, qui a décidé un hommage national. Et on nous donne l’impression ainsi d’une action ! On se moque du citoyen. Il n’est plus possible d’accepter sans réagir la multitude des accidents mortels qui sont commis par des conducteurs ayant perdu leur vigilance à cause de l’alcool et/ou de la drogue. Sur 3000 par an environ, 700 sont concernés. Pour ne pas évoquer les blessures involontaires qui se rajoutent à ce déplorable bilan…
Trois policiers. Une infirmière. Un agent de la direction des routes.
À Villeneuve-d'Ascq, Reims, Sainte-Soulle, en quelques jours, plusieurs agents de l’État ont perdu la vie dans des conditions tragiques. Ils étaient engagés pour les autres.
Paradoxalement, il y a une manière de fuir la fermeté à partir de la législation pourtant existante, et à mon sens suffisante. On propose des pistes apparemment de bon sens mais en réalité contraires à la réalité des comportements routiers transgressifs. Aussi odieux et dévastateurs qu’ils soient, on ne peut les considérer comme on le ferait d’un homicide volontaire qui implique la volonté de tuer le conducteur du véhicule.
Cette propension à s’égarer par une répression ciblée, face à des tragédies qu’on ne parvient pas à dominer, est révélatrice d’une dérive française qui préfère s’évader dans le futur avec des dispositions absurdes plutôt que tout faire pour affronter les défis du présent. Je pourrais également faire référence aux modalités qu’on envisage pour s’attaquer aux violences conjugales: elles illustrent parfaitement la tendance que je viens de décrire et qui non seulement ne va pas rendre plus efficace la lutte contre ces horreurs du quotidien mais au contraire, en donnant bonne conscience avec un avenir programmé meilleur, la dissuadera ici et maintenant d’être plus ferme, sans relâche.
Déjà une évidence: le délit de mise en danger de la vie d’autrui doit être systématiquement visé dès lors que l’alcool et la drogue sont les adjuvants des homicides ou des blessures involontaires.
Ensuite, il ne peut y avoir de politique cohérente contre ce fléau de la conduite irresponsable si on ne multiplie pas les contrôles avec les interdictions et les confiscations qu’impose l’urgence. On ne peut pas espérer gagner ce combat si on n’oppose pas une radicalité répressive aux conduites durablement délictuelles de certains habitués poussant même la provocation jusqu’à continuer à conduire malgré les suspensions du permis de conduire.
Enfin il convient, si on veut véritablement changer la donne, de ne plus raisonner avec le seul principe de l’individualisation des peines, qui aboutira forcément, compte tenu de la multitude des transgressions, à des peines tellement adaptées à chacun qu’elles auront perdu tout impact. L’individualisation des peines, dans ce domaine comme dans d’autres, fait disparaître une sévérité de plus en plus nécessaire derrière une approche subjective qui dilue tout dans un singulier émollient.
Dire qu’il faut moins d’hommages et de tweets et plus d’action est parfois critiqué parce que trop facile, on ne proposerait rien qui soit plus efficient que ce qu’accomplit le pouvoir… D’une part je répète que tout est en place, en ordre pour pallier un désordre et un laxisme coupables. D’autre part, on n’a pas à demander aux citoyens ce qu’ils feraient à la place des ministres. Je suis sûr qu’il y a des citoyens passionnés de politique, des personnalités ne se contentant pas d’effectuer des constats et de théoriser mais toute d’action et de pragmatisme, qui sauraient quoi accomplir si elles avaient la latitude nécessaire pour bousculer les paresses, les conformismes ou stimuler les découragements. Règle numéro un: abandon des tweets et des hommages à répétition !
Sur France 5, Karim Rissouli a consacré une soirée entière à expliquer aux téléspectateurs que l’affaire Lola était un crime atroce qui aurait dû rester un simple fait divers. Pour les journalistes de gauche, il y a la bonne et la mauvaise récupération. S’indigner de ce qu’une fillette de 12 ans soit tuée par une Algérienne sous le coup d’une OQTF à cause des lacunes de l’État n’est selon eux pas légitime.
Samedi 20 mai, c’était le premier anniversaire de l’assassinat du docteur Alban Gervaise. Il avait, on s’en souvient, été égorgé aux cris de « Allah Akhbar » alors qu’il attendait ses enfants devant un établissement catholique de Marseille. Deux jours auparavant, le groupe Lille Antifa tweetait joyeusement : « Laseule église qui illumine, c’est celle qui brûle. » La semaine dernière, c’est un couple de Niçois qu’une bande frappait violemment en les traitant de « sales blancs de merde. »
Que penser alors de l’instrumentalisation sans fin des affaires Théo et Traoré ? De la photographie du corps d’Aylan sur une plage turque ?
Les justes et les récupérateurs
Dans ce contexte léger, qui constitue désormais notre quotidien, dimanche 21 mai, lors de la « La Fabrique du mensonge », émission présentée par Karim Rissouli, la cinquième chaîne du service public a diffusé un documentaire intitulé « Affaire Lola : chronique d’une récupération ». Dans ledit documentaire, la doxa médiatique accuse l’extrême droite de récupérer la mort de l’enfant assassinée pour promouvoir sa vision réactionnaire du monde. Cette extrême droite, résolument visée, poids des mots et choc des photos à l’appui, apparaît pourtant comme une cible flottante aux contours imprécis. Si on y retrouve les inévitables Éric Zemmour, Marine Le Pen et autres groupes de la mouvance identitaire, y apparaissent Cyril Hanouna, Pascal Praud et tous ceux qui ont associé les lettres du sigle OQTF, devenu presque acronyme, à la présumée coupable. Ça commence à faire du monde.
Le documentaire « La Fabrique du mensonge » porte bien son nom. Il reproche à mon équipe d’avoir mis la lumière sur le meurtre ignoble d’une enfant, #Lola, par une étrangère qui n’aurait jamais dû être chez nous : un #francocide.
Ce documentaire, impartial s’il en est, veut montrer l’attitude des Justes, confrontés à « ce terrible fait divers » que constitue le meurtre de Lola. Civilisés et sensés, ils ont « respecté le temps du deuil » puis déclaré posément : « Vous n’aurez pas ma haine. » Las ! C‘était sans compter sur les hordes de nazis tapis qui n’attendaient que l’occasion pour sortir du silence et envoyer valser leurs pantoufles. Leurs bottes enfin chaussées, ces hordes écumantes ont déferlé dans nos rues, scandant (selon l’émission) la bave aux lèvres, leur haine de l’étranger. C’est donc à la sauvette qu’il convenait d’honorer la mémoire de Lola, sous peine d’être accusé d’exploiter politiquement son assassinat.
« Fantasme d’une immigration incontrôlée »
L’introduction au documentaire faite par Karim Rissouli, sans emphase et tout en sobriété, donne immédiatement l’air de la chanson. L’Affaire Lola est un « triste modèle, mais un modèle parfait de manipulation et de récupération politique d’un crime atroce qui aurait pu, aurait dû, rester un terrible fait divers. » Il a « réveillé le fantasme d’une immigration incontrôlée et meurtrière. » Alors, « une armée numérique d’extrêmedroite, la fachosphère, a réussi à imposer son idéologie et ses théories complotistes dans le débat public. » Après cette captatio benevolentiae de choc, place au documentaire, tout aussi impartial.
On commence par y expliquer que L’Affaire Lola naît lorsque la question de l’OQTF « éclipse le fond de l’affaire », à savoir, le fait divers tragique. C’est ce point de détail qui permet à l’extrême droite de tisser le lien qu’elle affectionne entre immigration, crime et délinquance. Bien sûr, on omet de préciser que Gérald Darmanin et Emmanuel Macron ont, eux aussi, reconnu la liaison dangereuse. Dans les faits, les observateurs se sont simplement contentés de constater que la meurtrière n’aurait pas dû se trouver sur le sol français, comme l’indique justement l’obligation de quitter le territoire français…
Pour la nuance, on repassera
D’après le documentaire, la situation d’OQTF qui frappe la présumée meurtrière aurait été amalgamée à sa nationalité algérienne par l’extrême droite. Les stratèges de la fachosphère, grâce à leur parfaite maîtrise des algorithmes, auraient manipulé l’opinion et poussé à la haine de l’étranger. Nulle action qui aurait été suscitée par l’émotion ou la révolte viscérale face à la barbarie du crime perpétré n’est concédée à ceux qu’on désigne comme des « charognards ». Tous ne sont présentés que comme des suppôts d’Éric Zemmour qui militeraient pour imposer l’idée d’un « francocide » imminent. Amis de la nuance, réjouissez-vous. Deux voix autorisées sont convoquées à la rescousse pour rappeler à l’ordre les esprits égarés. Hervé Le Bras atteste qu’il n’y a pas de submersion migratoire à craindre et Éric Dupond-Moretti rappelle ce qu’on avait tous compris: toutes les OQTF n’ont pas pour but d’être exécutées. Le camp du Bien semble vouloir, avec ce documentaire, reprendre la main sur un débat public qui lui échappe. Il convient de rappeler que l’insécurité est un fantasme sécuritaire ; l’immigration, un ressenti malsain. Le documentaire tourne à la propagande.
Que penser alors de l’instrumentalisation sans fin des affaires Théo et Traoré ? Que dire de l’utilisation de la photographie du corps d’Aylan, gisant sur une plage turque ? Deux poids deux mesures dans la narration, peut-être ? Mais, je m’égare. Sans nul doute une émission de télévision se prépare pour dénoncer l’exploitation par l’extrême gauche, criant au racisme systémique, d’une accusation non établie de violence policière.
François Hollande, qu’on se prendrait subrepticement à regretter tant l’actualité nous rend nostalgique du « monde d’avant » aura le dernier mot. Voici les propos que, sage d’un jour, il tint lors de l’un de ses derniers déplacements présidentiels, le 18 mars 2017, à Crolles : « La démocratie estfragilisée quand les faits eux-mêmes viennent à être contestés, tronqués, ignorés par les manipulations, les mensonges, les falsifications. » Pas mieux.
L’économiste Jean Pisani-Ferry a produit un rapport sur les «incidences économiques de l’action pour le climat», destiné à Matignon
Peu connu du grand public, France Stratégie est un service du Premier ministre dont le nom complet est officiellement celui de Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP). Il s’agit d’ailleurs d’une idée originale d’Emmanuel Macron suggérée à François Hollande en 2013, alors que l’actuel président de la République était encore Secrétaire général adjoint du cabinet de l’Elysée. L’idée n’était pas mauvaise en soi…
De fait, les différents rapports d’orientation et d’évaluation des politiques publiques rendus par cette administration se sont parfois révélés utiles. Citons notamment le rapport « Quelle évolution de la ségrégation résidentielle en France ? », ou encore la note « Inégalités des chances : ce qui compte le plus » qui concluait que le genre et le fait d’avoir des parents immigrés jouaient extrêmement peu sur le revenu d’activité des personnes âgées de 35 à 38 ans contrairement au milieu social d’origine, à la richesse du territoire dans lequel le jeune a grandi et au niveau de vie des parents.
Objectif: décroissance
Le rapport qui nous intéresse présentement traite lui de la question de l’écologie. Portant précisément sur les « incidences économiques de l’action pour le climat », ce rapport tente d’appréhender plus finement les conséquences macroéconomiques de la transition climatique. Il montre d’ailleurs bien l’ampleur des difficultés à venir et le coût qu’elles pourraient avoir pour les Français, Jean Pisani-Ferry écrivant dans le 7ᵉ point de la synthèse dudit rapport que: « D’ici 2030, le financement de ces investissements, qui n’accroissent pas le potentiel de croissance, va probablement induire un coût économique et social. Parce que l’investissement sera orienté vers l’économie de combustibles fossiles, plutôt que vers l’efficacité ou l’extension des capacités de production, la transition se paiera temporairement d’un ralentissement de la productivité de l’ordre d’un quart de point par an et elle impliquera des réallocations sur le marché du travail. » Traduit en langue française dépouillée des tics de la haute administration, cela signifie tout simplement que nous allons vers… la décroissance. Nous allons donc perdre en capacités de production et le niveau de vie des Français baissera d’autant. Le plus amusant étant que les auteurs du rapport nous indiquent ensuite que les indicateurs habituels tels que le PIB mesurent encore mal le « coût en bien-être » des réglementations prises pour que la France effectue sa transition écologique. Autant faire court : nous allons en baver.
C’est à ce stade que France Stratégie nous dévoile son plan. Comme on pouvait le pressentir, une administration publique française a toujours la même solution : créer des impôts et des taxes. Et c’est par un raisonnement aussi tortueux que pervers que France Stratégie transforme l’effort consenti par les Français en « soutien aux ménages et aux entreprises » ! Ce n’est évidemment pas l’État qui nous aidera à rénover nos logements rénovés ou à remplacer nos voitures thermiques, mais nos impôts qui sont déjà parmi les plus élevés du monde libre : « Pour financer la transition, au-delà du redéploiement nécessaire des dépenses, notamment des dépenses budgétaires ou fiscales brunes, et en complément de l’endettement, un accroissement des prélèvements obligatoires sera probablement nécessaire. Celui-ci pourrait notamment prendre la forme d’un prélèvement exceptionnel, explicitement temporaire et calibré ex ante en fonction du coût anticipé de la transition pour les finances publiques, qui pourrait être assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés. »
Il faut savoir que la France a régulièrement mis en place des impôts qui devaient n’être que temporaires, destinés à répondre à des crises ou à financer des mesures exceptionnelles. La CSG, que tous les Français ou presque redoutent, devait ainsi ne pas durer. Depuis 1991 et sa création par Michel Rocard, dont la politique ressemble fortement à celle du gouvernement Borne, ses recettes ont explosé et ont été multipliées par dix, le taux et l’assiette augmentant quasiment tous les ans hors un très bref intermède sous la présidence Sarkozy. Le magistrat Charles Prats évalue d’ailleurs le coût de la transition énergétique telle que voulue par France Stratégie à 50 milliards annuels d’impôts en plus pendant quinze ans !
Le plus terrible étant que cela est présenté comme une aide de l’Etat aux Français… L’écologie donne au Moloch administratif l’occasion de revenir avec sa fiscalité redistributive délirante qui n’a rien à envier à Thomas Piketty et qui plombe déjà toute notre économie, la rendant totalement inapte dans la compétition internationale cruelle que se livrent les grands Empires contemporains, à commencer par la Chine et les Etats-Unis.
Le matraquage fiscal ne sera pas arrêté : il va s’intensifier. La stratégie est simple, vous spolier.
Il est probable que l’euthanasie sera légalisée en France. Cette maîtrise de sa propre mort, aboutissement ultime du contrôle de sa propre vie, est réclamée par une grande partie de la population. Mais cette mesure individualiste se double de tant de dérives et de paradoxes que c’est la société entière qui en paiera les conséquences.
Sondage après sondage, une grande majorité de la population se déclare en faveur de l’« euthanasie ». On peut certes critiquer la façon dont les questions sont formulées, qui favorise une réponse de ce genre, mais n’ergotons pas : les résultats sont assez massifs pour être significatifs. Avant de discuter des conclusions législatives qu’il convient d’en tirer, il est bon de s’interroger sur ce qui motive pareille position.
La « culture du projet »
Le premier élément à prendre en compte est un changement profond dans le rapport à la mort. Dans un pays comme la France, au xviiie siècle, un enfant sur deux n’atteignait pas l’âge de 11 ans. Aujourd’hui, plus de neuf décès sur dix surviennent après 60 ans. La mort, de menace toujours présente, a été repoussée dans les marges. « On savait autrefois (ou peut-être le pressentait-on) qu’on contenait la mort à l’intérieur de soi-même, comme un fruit son noyau. […] Et quelle mélancolique beauté était celle des femmes, lorsqu’elles étaient enceintes, debout, et que, dans leur grand corps, sur lequel leurs deux mains fines involontairement se posaient, il y avait deux fruits : un enfant et une mort. » Ce temps est révolu, Rilke l’avait compris. On continue de mourir, certes. Non plus, cependant, parce que la vie est, selon la formule de Hans Jonas, « une aventure dans la mortalité », mais parce qu’il reste des défaillances de la machine humaine que l’on ne sait pas surmonter ou pallier. Si jamais Jeanne Calment, prolongeant de quelques années encore sa vie, s’était éteinte durant la canicule de 2003, à 128 ans, elle ne serait pas morte de vieillesse mais de l’incurie du gouvernement n’ayant pas su prendre toutes les mesures adéquates pour protéger nos anciens.
Par ailleurs, comment définir l’humain ? La question, qui a travaillé la philosophie pendant plus de deux millénaires, a enfin trouvé sa réponse : l’humain est un être qui fait des projets. Si le Projet pouvait parler il dirait : Moi, le Projet, je suis partout. Tout le monde doit faire des projets, tout le temps, à l’intérieur du grand projet moderne qu’est le Progrès. Or, comme relevé il y a un siècle par Max Weber, une vie immergée dans le Projet et le Progrès ne devrait pas avoir de fin, car il y a toujours un nouveau projet à mener à bien, un nouveau progrès à accomplir. « Abraham, ou n’importe quel paysan d’autrefois, pouvaient mourir “âgés et rassasiés de jours” parce qu’ils étaient installés dans le cycle organique de la vie, parce qu’il leur semblait que la vie leur avait apporté, au déclin de leurs jours, tout ce qu’elle pouvait leur offrir, parce qu’il ne subsistait aucune énigme qu’ils auraient encore voulu résoudre ; ils pouvaient donc se tenir pour “satisfaits” par la vie. L’homme civilisé au contraire, placé dans le mouvement permanent d’une civilisation qui ne cesse de s’enrichir en pensées, savoirs, problèmes, peut se sentir “fatigué” de la vie, jamais “rassasié” par elle. Il ne saisit en effet qu’une part infime de ce que la vie de l’esprit engendre à jet continu – et toujours quelque chose de provisoire, rien de définitif. De ce fait, la mort est pour lui un événement dépourvu de sens. Et parce que la mort n’a pas de sens, la vie civilisée en tant que telle n’en a pas non plus, qui, par son “progressisme” insensé, frappe la mort d’absurdité. » Résultat : l’incapacité à recevoir la mort comme fait de nature incite à en faire un processus contrôlé. Un dernier projet.
À cela, il faut ajouter que les progrès de la médecine, qui aident à vivre plus longtemps et en meilleure santé, ont aussi une conséquence moins heureuse : des personnes qui, auparavant, se seraient rapidement éteintes, se trouvent durablement maintenues en vie dans un état où leurs facultés sont gravement altérées. Si la mortalité fait partie de notre condition, les performances de la médecine peuvent déformer cette condition en substituant à la mort une fin frangée, la lente extinction d’un corps dont la personne s’absente progressivement, longtemps avant sa mort. Pareille perspective, en soi peu réjouissante, nous paraît d’autant plus effrayante qu’au cours de la seconde moitié du xxe siècle, une nouvelle forme de surmoi s’est imposée qui sanctionne, non plus tant les manquements à un canon moral, que le fait de ne pas être à la hauteur de l’image que l’on se fait et que l’on souhaiterait donner de soi. S’ensuit que ce qui terrifie est moins la mort, qui annihile, que de tomber dans la « dépendance » ; de là aussi un dégoût insurmontable éprouvé à l’égard des corps déchus, auxquels on ne veut en aucun cas ressembler ; de là enfin la vigueur des revendications quant au choix de sa « fin de vie » – avec l’idée que l’on pourra garder le contrôle jusqu’au bout.
Dans ces conditions, il est fort probable que les partisans de l’euthanasie et du suicide assisté finiront par obtenir les évolutions législatives qu’ils appellent de leurs vœux.
Faut-il s’en féliciter ?
S’il y a un point de vue selon lequel de telles évolutions sont souhaitables, sans contestations possibles, c’est le point de vue financier. Point de vue qui, au demeurant, ne mérite pas l’opprobre. Il est en effet facile de réclamer, au nom de la morale la plus élevée, toujours plus de moyens pour l’assistance aux malades, et de fustiger, en regard, les considérations « bassement » économiques. Les gouvernants doivent pourtant bien, afin de satisfaire, au moins dans une certaine mesure, les innombrables demandes qui leur sont adressées, se soucier de l’économie qui fournit les moyens. Or, voici que se présente une situation rarissime : pour une fois, avec l’euthanasie et le suicide assisté, les citoyens ne réclament pas des dépenses supplémentaires, mais proposent des économies ! (On comprend, au passage, pourquoi une convention citoyenne a été organisée sur la fin de vie, et pas sur les retraites.)
La question financière mise à part, les bénéfices à attendre d’une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté sont plus douteux. L’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), fondée en 1980 et fer de lance de la lutte, sait mettre en avant des cas particuliers, des témoignages dramatiques ou émouvants. Mais s’il est concevable que, dans certains cas, ce soit faire le bien de quelqu’un que de l’aider à mourir, l’opportunité à légiférer n’en résulte pas mécaniquement. Il faut en effet être conscient qu’une nouvelle législation crée un nouveau cadre. Un nouveau cadre où, peut-être, certains cas problématiques d’hier trouveront solution, mais où un grand nombre de nouvelles difficultés apparaîtront, qui n’existaient pas auparavant.
La démoralisation du « soignant »
Le droit dont parlent les partisans d’une légalisation n’est pas un droit-liberté, mais un droit-créance, pas un « droit de » quitter la vie quand je l’ai décidé, mais un « droit à » ce qu’on me la fasse quitter quand je l’ai décidé. Or les partisans d’un droit à l’euthanasie et au suicide assisté semblent systématiquement ignorer l’épreuve que l’exercice de ce droit imposerait aux personnes chargées d’accéder à leur demande – dont tout laisse supposer, étant donné la façon dont les choses s’organisent en France, qu’elles appartiendraient au corps médical. Ainsi que le remarque Gaël Durel, président de l’Association nationale des médecins coordonnateurs en Ehpad et du secteur médico-social : « Les soignants seraient forcément appelés à s’interroger sur le sens de leur mission si on accepte de mettre fin à la vie de ceux qui sont l’objet de tous les soins au quotidien. Comment imaginer que l’on puisse écourter la vie d’une personne en raison de conditions de vie qu’elle juge trop dégradées et, dans la chambre voisine, en accompagner une autre qui est dans la même situation ? » D’autres s’interrogent : comment feront-ils pour concilier « d’une part la primauté de la demande collective de vie sur la volonté individuelle du patient dans le cas de soins prodigués aux auteurs d’une tentative de suicide [de 80 000 à 90 000 personnes sont hospitalisées chaque année en France suite à une telle tentative], d’autre part la primauté de la volonté individuelle de mort sur la demande collective de vie dans le cadre d’une euthanasie ou d’un suicide assisté ? » Transformer les « soignants » en prestataires de service, soutenant la vie et dispensant la mort, selon la demande, n’est pas une bonne idée. Les soignants en souffriraient, les patients aussi. Le fait que certains Belges âgés préfèrent franchir la frontière et se rendre dans des établissements médicalisés allemands, où l’euthanasie n’a pas cours, est à cet égard instructif.
Le suicide assisté, incitation au suicide tout court
Par ailleurs, quoi qu’ils puissent dire, les partisans de l’« aide active à mourir », en obtenant gain de cause, ne feraient pas qu’acquérir un droit pour eux, ils modifieraient le monde commun. Ces modifications peuvent comporter des aspects positifs. « La pensée du suicide est une puissante consolation. Elle aide à bien passer plus d’une mauvaise nuit », écrivait Nietzsche. De même, la pensée du suicide assisté peut conforter le moral de certains. Elle tend aussi, chez de plus nombreux, à accréditer l’idée qu’aux difficultés, la mort est la meilleure solution. Au départ, seuls des adultes mentalement aptes et en phase terminale se trouvent concernés. Mais les choses évoluent rapidement. Theo Boer, membre d’un comité de contrôle dans l’application de la loi sur l’euthanasie adoptée en 2002 aux Pays-Bas, à laquelle il était à l’époque favorable, a été témoin du processus. Dans une tribune publiée par Le Monde (1er décembre 2022), il écrit : « La pratique s’est étendue aux personnes souffrant de maladies chroniques, aux personnes handicapées, à celles souffrant de problèmes psychiatriques, aux adultes non autonomes ayant formulé des directives anticipées ainsi qu’aux jeunes enfants. » Est aujourd’hui discutée une extension aux personnes âgées sans pathologie. En France, le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) mentionne, dans son avis de 2022 : « Il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger. » Le CCNE, qui en 2013 ne voulait pas de l’aide active à mourir, indique lui-même, par l’évolution rapide de ses avis, le crédit qu’il faut accorder aux « conditions strictes, avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger ». Au demeurant, dans une société qui fait du ressenti personnel l’autorité suprême, au point d’y subordonner le fait d’être un homme ou une femme, on voit mal au nom de quoi il serait durablement possible de soumettre le recours au suicide assisté à des critères objectifs. Theo Boer prédit la prochaine étape aux Pays-Bas, au nom de la justice et du respect des personnes : « Pourquoi seulement une mort assistée pour les personnes souffrant d’une maladie, et pas pour celles qui souffrent du manque de sens, de marginalisation, de la solitude, de la vie elle-même ? »
Non seulement, quand l’euthanasie et le suicide assisté sont légalisés, le nombre de demandes ne cesse d’augmenter, mais qui plus est, le nombre de suicides aussi ! Citons encore Theo Boer : « Alors que le pourcentage d’euthanasies dans le nombre total de décès est passé de 1,6 %, en 2007, à 4,8 %, en 2021 [aux Pays-Bas], le nombre de suicides a également augmenté : de 8,3 pour 100 000 habitants, en 2007, à 10,6, en 2021, soit une hausse de 27 %. […] Pendant ce temps, en Allemagne, un pays très similaire aux Pays-Bas quant à sa culture, à son économie et à sa population – mais sans la possibilité d’une mort médicalement assistée –, les taux de suicide ont diminué. » Le phénomène n’a rien de mystérieux. Les partisans de « la mort dans la dignité », du « libre choix de fin de vie » ou de l’« aide active à mourir », en voyant leur requête satisfaite, conduisent une frange croissante de la population à sans cesse devoir examiner la question : Vaut-il bien la peine de rester en vie ? Et donc, dans un certain nombre de cas, à répondre par la négative.
Si la faculté à se poser ce genre de questions est humaine, qu’un cadre légal oblige à s’y confronter est déshumanisant. Mon propos n’est pas de condamner en tant que telle une aide active à mourir, mais de faire mesurer les effets délétères d’une légalisation, qui semblent complètement échapper à ses promoteurs.
Un paradoxe pour finir
C’est au nom de l’autonomie de la personne, de son droit à l’autodétermination, qu’est réclamé un droit à l’euthanasie et au suicide assisté. C’est-à-dire que c’est au nom de l’autonomie qu’est exigée une assistance – alors même que, dans la plupart des cas, les candidats au suicide assisté seraient capables de mettre fin à leurs jours par eux-mêmes. Il faut donc croire qu’il ne suffit pas de vouloir mourir pour arriver à se suicider. Mais précisément, si on n’y arrive pas sans renfort, n’est-ce pas le signe que l’on n’a pas si envie de mourir que cela ? Ne vaut-il pas mieux, en la matière, admettre des limites personnelles que l’on ne parvient pas à franchir, que de requérir les autres pour les outrepasser ?
Hier soir, mes voisins ont une nouvelle fois frappé à ma porte pour me signifier que j’écoutais de la musique trop fort. J’aurais pu leur répondre que je travaillais ma chronique en hommage à Tina Turner, qui vient de nous quitter à l’âge de 83 ans. Libération, cette fois pas très inspiré, a titré : « Tina the best », j’aurais eu un autre titre à leur proposer : Proud Tina, pour paraphraser le tube Proud Mary, cette reprise du groupe Creedence Clearwater Revival, qu’elle a magnifié pour en faire une célébration, un rite vaudou qui ferait entrer n’importe qui en transe. En effet, Tina Turner pourrait être fière de son parcours. Née Anna May Bullock à Memphis (Tennessee), en 1939, au sein d’une famille que l’on qualifierait aujourd’hui de toxique, elle va chercher un peu de consolation et de distraction à l’église baptiste du coin, où elle commence à exercer sa voix quasi surnaturelle – à l’image de celle d’Elvis – en chantant du gospel. Il s’est vraiment passé quelque chose dans les années 50, au Sud des Etats-Unis, encore sous le joug de la discrimination raciale, quelque chose de l’ordre de la synchronicité jungienne, où la musique a circulé, donnant naissance à des demi-dieux ou déesses, qui ont changé à tout jamais la face de l’Amérique.
Une tornade sur la scène
Anna est vite repérée par le musicien Ike Turner, qui lui fait enregistrer A fool in love, titre qui devient vite un énorme succès. Ike la rebaptise Tina en hommage à Sheena, la reine de la jungle, certainement pour célébrer sa façon animale de bouger, tout en rythme et en abandon. Ike fut un cadeau empoisonné pour Tina. Certes, il lui offrit la célébrité, mais c’est un homme extrêmement violent et pervers, qui l’emmena au bordel lors de leur nuit de noces. Il la bat, mais elle joue le jeu de la parfaite épouse, et, sur scène de la parfaite complice amoureuse. Ike va jusqu’à l’obliger à miner des fellations avec son micro. Elle obéit. Mais tente un jour de se suicider. En 1966, elle enregistre River Deep, Mountain High, à l’initiative du producteur de génie, Monsieur wall of sound Phil Spector. Même si une transaction qui ressemblait à un marché d’esclaves eut lieu entre Ike Turner et Phil Spector, elle entre définitivement dans la légende avec ce titre phénoménal et hypnotisant. Et puis, elle n’en peut plus. Elle se tourne vers le bouddhisme, ce qui lui donna la force de quitter son bourreau. Commence alors pour elle une descente aux enfers, où elle vit de bons alimentaires. Elle divorce et perd tout, sauf le nom de Turner. Mais Tina est un phoenix, une guerrière, et c’est en Europe qu’elle renaît de ses cendres. Plus flamboyante et animale que jamais. Elle délaisse un peu la soul pour le rock’n’roll, confie qu’aux Etats-Unis une chanteuse noire reste confinée à la musique noire, et que cela ne lui convient pas.
Elle avait acquis la nationalité suisse en 2013
Débarrassée de Ike, elle veut atteindre le firmament, grimper au sommet de la Tour Eiffel en talons aiguilles, comme sur la célèbre photo de Peter Lindbergh, remplir des stades à en faire pâlir les Stones, tourner dans Mad Max auprès de Mel Gibson. « Proud Tina kept on burning ». Jusqu’à s’éteindre paisiblement en Suisse un jour de printemps.
Ignorant les motivations historiques de l’antifascisme – la lutte contre les régimes fascistes -, les antifas actuels désignent comme « fachos » aussi bien l’Etat que le capitalisme ou le patriarcat. Une confusion qui alimente la radicalisation et la violence de ces black-bobos.
Entretien avec Gilles Vergnon. Maître de conférences, Gilles Vergnon enseigne l’histoire contemporaine à Sciences-Po Lyon. Il est spécialiste de l’histoire des gauches européennes et l’auteur de L’Antifascisme en France : de Mussolini à Le Pen, publié en 2009 aux Presses universitaires de Rennes. Propos recueillis par Maximilien Nagy.
Causeur. Lors des manifestations contre la réforme des retraites et les méga-bassines, nous avons vu ressurgir les mouvements antifas et autres « black blocs ». Que sait-on de ces mouvements?
Gilles Vergnon. Les mouvements antifas profitent aujourd’hui d’une « convergence des mécontentements » suscités par la gestion gouvernementale de la réforme des retraites. Le passage en force du gouvernement d’Élisabeth Borne en fait une cible facile pour les accusations de fascisme. Ce genre d’accusations n’est pas nouveau et a toujours été utilisé de manière hyperbolique par la gauche depuis les années 1930. À cette époque, l’on traitait de fasciste toutes les figures autoritaires et répressives de « droite », en amalgamant Mussolini, Hitler, Franco, les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque et d’autres encore. Cependant, cet amalgame s’appuyait sur l’existence d’un fascisme bien réel installé au pouvoir aux frontières de la France.
D.R.
Le « fascisme » incriminé aujourd’hui désigne les structures de l’État, spécialement la police, mais aussi le patriarcat, le capitalisme dans un amalgame hyperbolique visant une cible bien plus large que l’antifascisme historique qui désignait des partis présentés comme des ennemis de la République parlementaire. L’effondrement de la culture historique dans la société comme chez les militants antifas facilite l’opération.
Quand les mouvements antifas violents que nous connaissons aujourd’hui sont-ils apparus en France ?
Dans les années 1990 certains mouvements étaient dirigés contre le Front national de Jean-Marie Le Pen, vu comme le dernier avatar du « fascisme ». Les deux principaux étaient Ras l’front, animé par la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), ancêtre du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), et le Manifeste contre le Front national, animé par Jean-Christophe Cambadélis, du Parti socialiste (PS), autodissous au début de ce siècle. Existaient aussi des groupes plus radicaux, prédécesseurs des « antifas » actuels, mais ils étaient contenus, partiellement canalisés par les partis politiques et les mouvements qui offraient des perspectives politiques aux jeunes, en les « rebranchant » sur une gauche ou une extrême gauche « classiques ». Aujourd’hui, la décomposition du PS et la disparition de la LCR dégagent un plus grand espace à la nébuleuse radicale dont l’on ne doit pas exagérer l’importance. C’est la crise politique actuelle qui braque l’attention sur elle, sans parler des calculs du gouvernement Macron pour incarner le parti de l’ordre.
Que peut-on dire de la sociologie des jeunes antifas qui participent aux actions dans ces manifestations ?
Dans son dernier ouvrage[1], le professeur allemand Richard Rohrmoser propose une étude sociologique des jeunes antifas allemands. Il pointe le profil universitaire de ces militants, souvent issus de familles de cadres supérieurs citadines, qui soutiennent en général une conception libertarienne de la société et contestent l’autorité. Sans généraliser ce portrait-robot, il est certain que le recrutement de ces militants se fait davantage dans les écoles normales supérieures que dans les lycées professionnels… Ils sont souvent révoltés contre le système, a-partisans et en même temps surpolitisés, méfiants à l’égard des partis de gauche et d’extrême gauche.
À Sainte-Soline, des affrontements très violents ont opposé des blacks blocs et des membres des Soulèvements de la terre aux forces de l’ordre. Pourquoi l’écologie est-elle devenue un domaine privilégié des antifas ?
La défense violente de l’environnement se nourrit d’une vision catastrophiste du monde. Le raisonnement de ces militants d’extrême gauche est relativement simple : « Le monde risque de s’écrouler dans quelques années, l’État refuse d’agir, voire empire la situation. Défendons donc par tous les moyens l’environnement contre ses agresseurs. » Certains courants extrémistes qui défilent dans les rues ne cachent pas qu’une dictature écologiste serait le seul moyen d’éviter que la planète disparaisse d’ici quelques années. La cohérence d’un tel horizon politique avec leurs idéaux libertaires me paraît d’ailleurs relativement douteuse… Autant dire que nous n’avons pas face à nous des militants au raisonnement intellectuel très poussé, ou avec une conception très claire d’une « société idéale ». En revanche, leur détermination à combattre les adversaires désignés de leur idéologie est entière et la violence est vue comme le moyen privilégié pour mener ce combat.
Les antifas refusent toute forme d’action partisane et aucun parti de gauche ne semble vouloir les récupérer… Sont-ils par essence incontrôlables ?
Sans doute est-il trop tôt pour l’affirmer. La nouveauté de ces courants antifas, c’est l’absence de toute perspective de s’inscrire dans une coalition candidate au pouvoir, à la différence du Front populaire dont l’antifascisme était le ciment. Il semble que La France insoumise hésite. La radicalité de la LFI lors des précédents grands débats politiques l’a desservie électoralement, comme l’a montré la défaite de la candidate Nupes face à la candidate socialiste dissidente en Ariège. En même temps, les Insoumis évitent de condamner les violences des antifas contre la police. Pour l’avenir, on ne peut donc pas exclure que les Insoumis cherchent à recruter des militants au sein des mouvements antifas.
En revanche, le gouvernement a réussi, du moins à court terme, à associer les violences antifas avec la virulence des Insoumis, et à apparaître comme le garant de l’ordre et du respect des institutions. Mais le recours au 49-3 aura certainement des conséquences, notamment sur la désertion des urnes. Voire pire. Nous n’en sommes qu’au début d’un processus de radicalisation des antifas, qui pourrait même, dans un scénario extrême, se convertir en lutte armée. Cela s’est produit dans les années 1970 en Italie, avec la dérive violente d’une partie de l’extrême gauche et la création des Brigades rouges. Nous n’en sommes pas encore à ce degré-là, qui nécessiterait un point de bascule décisif et un climat social davantage dégradé. Enfin, pour qu’une forme de milice antifa voie le jour, il faudrait surtout un sérieux effort de structuration de ces mouvements dont nous sommes encore loin.
[1]Antifa : Porträt einer linksradikalen Bewegung, von den 1920er Jahren bis heute, München, 2022 – « Les Antifa : portrait d’un mouvement d’extrême gauche, des années 1920 à nos jours », non traduit
Le ministère de l’Intérieur ayant demandé aux écoles de Toulouse de chiffrer le nombre d’élèves absents le jour de l’Aïd, en augmentation, les islamo-gauchistes exploitent et dénoncent un fichage religieux et « islamophobe » des élèves. Pourtant, un recensement visant à évaluer l’absentéisme n’a rien à voir avec un fichage. Les associations de gauche, SOS Racisme et Ligue des Droits de l’Homme, les partis LFI et EELV, vent debout contre les Secrétaires d’État Sarah El Haïry et Sonia Backès et le ministère de l’Intérieur, font la courte échelle aux islamistes dont ils reprennent le discours victimaire. Analyse.
🔴Lorsque @FraPiquemal questionne le gouvernement sur le fichage des élèves musulmans dans la région de Toulouse le jour de l'Aïd, celui-ci répond à côté.
Alors j'insiste: une ligne a été franchie, et des mesures doivent être prises pour que cela ne se reproduise jamais.❌ pic.twitter.com/LcJaSK6vMZ
Heureusement que le ridicule ne tue pas sinon la fausse affaire du « fichage des élèves musulmans » le jour de l’Aïd aurait abouti à une hécatombe chez certains enseignants, de nombreux politiques et chez les journalistes militants. L’histoire est assez simple. Le ministère de l’Intérieur a demandé aux établissements scolaires de transmettre le taux d’absentéisme des élèves le jour de l’Aïd. Le but était sans doute de voir si ce type d’absence, par ailleurs dûment autorisée, touchait énormément de monde ou non et de voir si cet absentéisme diminuait, était stable ou augmentait. Mais pour une certaine gauche, qui ne vit que de dénonciation de stigmatisations souvent imaginaires, a épousé le discours victimaire des islamistes et diffuse leurs éléments de langage, cette demande équivalait à un « fichage » des élèves musulmans visiblement préalable dans leurs représentations au « retour des heures les plus sombres de notre histoire ».
Être attaché à la tradition de l’Aïd n’a rien de radical ou de stigmatisant
Or on a un peu de mal à voir en quoi cette demande est violente, brutale et stigmatisante. S’il s’agit de s’interroger sur le fait qu’une communauté est, en nombre significatif, en rupture avec la civilité d’un pays, les principes, idéaux et lois qui fondent sa culture et son contrat social, on ne voit guère ce que cette information peut apporter. En effet, l’Aïd n’est pas seulement une fête religieuse, c’est une fête familiale et conviviale, l’équivalent de Noël sous nos latitudes. Si dans un pays non-chrétien, il était autorisé de déroger à l’obligation scolaire pour fêter Noël et si ce pays accueillait un grand nombre de chrétiens de culture ou de confession, il est probable que cette autorisation serait utilisée par un nombre élevé de personnes. On ne peut donc tirer aucune conclusion stigmatisante du fait que nombre de familles musulmanes aient choisi de ne pas mettre leurs enfants à l’école ce jour-là. On en déduira simplement un attachement à des traditions qui sont loin de signifier un acquiescement à une forme de radicalité.
Par ailleurs, nul besoin de cette information pour mesurer l’influence importante des islamistes sur la communauté musulmane, la pénétration de leurs idées au sein de la jeunesse et les conséquences que cela induit sur les revendications de séparatisme. Tout cela est parfaitement renseigné. Dès 2016, l’institut Montaigne dans une étude montrait que 28% des musulmans étaient sous influence radicale (cela était particulièrement vrai chez les jeunes) et que 25%, qualifiés de « conservateurs », étaient très attachés à la charia. Cela faisait plus de 50% d’une communauté qui avait du mal à adhérer aux principes fondant notre contrat social. Cette étude a été complétée par une enquête auprès des jeunes lycéens d’Anne Muxel et Olivier Galland sur la tentation radicale, en 2018. Celle-ci montrait notamment un clivage important entre jeunes musulmans et non musulmans. Les premiers, à 70%, ne condamnaient pas les auteurs des attentats contre Charlie et l’hypercasher, quand les seconds les condamnaient massivement. Les sociologues analysaient ces écart en évoquant la prépondérance d’un effet islam. Les chiffres n’ont cessé de s’accumuler depuis lors et vont toujours dans le même sens, montrant un décrochage dans les références, les représentations et la vision du monde entre musulmans et non musulmans (sondage IFOP sur la pratique religieuse réalisés pour la Fondation Jean-Jaurès en 2019, pour le Comité Laïcité République en 2020 ou pour la Licra en 2021). Dans le sondage du CLR par exemple, 57% des jeunes musulmans considèrent la charia plus importante que les lois de la République (une augmentation de 10 points depuis 2016). Ils sont également 66% à s’opposer au droit des enseignants de montrer des caricatures ; chez les non-musulmans, ils sont 75% à soutenir au contraire cette possibilité. Les chiffres sont similaires sur la question du voile, donc à travers lui parlent de l’acceptation de l’égalité homme/femme. Il y a là un décrochage massif d’une population. Décrochage qui s’explique par l’influence de l’islam politique et par le travail de réislamisation qu’il effectue sur notre territoire. Il n’y a donc nul besoin d’information sur l’absentéisme au moment de l’Aïd pour constater qu’une part significative et de plus en plus importante de la communauté musulmane refuse les principes qui fondent les lois et la culture française. Force est de constater que si les chiffres sont à la fois signifiants, récurrents et en augmentation, le dire est toujours aussi risqué. Il faut donc parler « d’infime minorité » concernant cette dérive, même si les enquêtes montrent qu’il s’agit au contraire d’une majorité chez les plus jeunes. En tout cas on ne voit guère ce que les chiffres de l’absentéisme scolaire lors de l’Aïd permettent d’ajouter à ce constat. La gauche instrumentalise une nouvelle fois un non-évènement pour mettre en accusation le gouvernement, lancer des accusations en fascisme rampant et se draper dans une fausse vertu qui lui permet de se poser en distributeur de leçons universelles. Sans doute histoire de faire oublier qu’elle soigne une clientèle musulmane sous influence islamiste en laissant volontairement de côté ceux des musulmans qui aspirent à un rapport sécularisé à la religion et qui combattent une radicalité dont ils ont souffert parfois dans leur pays d’origine. Mais les républicains et les démocrates pourtant présents dans une partie de cette immigration, ancienne ou récente, ne les intéressent pas. Pour eux l’authentique musulmane ne saurait être que voilée et ils confondent sciemment musulmans et islamistes au profit des derniers.
Narratif de persécution
L’indignation des satellites de la gauche en perdition, SOS Racisme, la Ligue des Droits de l’Homme plonge également ses racines dans la volonté d’imposer un narratif de persécution des musulmans dans le débat public. Il faut dire que ces associations sont victimes d’entrisme et ont depuis longtemps délaissés leurs idéaux et leur histoire pour se faire les petits télégraphistes de la propagande islamo-gauchiste. Sarah El Haïry a donc eu raison de dénoncer l’instrumentalisation d’une fausse polémique et de pointer du doigt la mauvaise foi de ces associations. La réponse ne s’est faite pas fait attendre. Le tweet de Raquel Garrido est à ce titre exemplaire du déni de réalité et de la posture d’autorité visant non à chercher la vérité, mais à museler le débat: « S’en prendre à la Ligue des Droits de l’Homme, c’est s’en prendre aux droits de l’homme. S’en prendre à SOS Racisme, c’est s’en prendre à l’antiracisme ». Fermez le ban. Sauf que la dérive de ces associations est de plus en plus visible et qu’elles sont les premières à déshonorer leurs combats et à capitaliser sur une réputation qu’elles piétinent allégrement. Ces associations ne méritent plus le respect tant leur présent abolit leur passé, et encore moins des subventions publiques. Les excès et la bêtise du tweet de la députée LFI illustrent l’esprit totalitaire qui imprègne de plus en plus une partie de la gauche qui voudrait soumettre le réel à l’idéologie. S’il suffit d’afficher une cause juste alors qu’on la trahit dans ses combats réels pour devenir inattaquable, alors le totalitarisme a de beaux jours devant lui.
Le fait que cette affaire ait été montée en épingle parle plus de la dérive d’une certaine gauche que de celle du gouvernement. Refuser de le regarder en face participe à notre malheur collectif et empêche la reconstruction d’une force de gauche sociale, laïque et républicaine. Quant à la gauche autoritaire alliée des islamistes ? À défaut de convaincre l’électorat, elle exploite jusqu’au bout sa capacité de nuisance.
Michel Houellebecq publie aujourd’hui Quelques mois dans ma vie (Flammarion). L’écrivain a donné un entretien dense et sincère au JDD, où il est notamment revenu sur ses déboires avec son projet de film érotique ou avec le recteur de la Mosquée de Paris. On lui découvre une sagesse qu’on ne lui connaissait pas, observe notre chroniqueur.
Il n’y a que Michel Houellebecq pour me détourner avec bonheur des sujets politiques qui finissent par lasser, tant ils contraignent à des analyses répétitives ; même si on s’efforce, entre détestation et hyperbole, d’emprunter un chemin de mesure. On pourrait considérer qu’avec lui, on ne quitte jamais la politique tant son génie pour l’invention romanesque l’accorde, avec une intuition absolue, à tous les débats fondamentaux de notre société, à ses angoisses les plus douloureuses. Il me semble que déjà, nous avons un nouveau Michel Houellebecq dans la forme qui, par rapport à l’ancien, cultive moins le paradoxe, la réponse désinvolte, les aperçus à compléter et une sorte d’indifférence qui paraissait le placer en position décalée à l’égard de l’interrogation, avec une attitude par avance fatiguée.
Partisan du RIP, défenseur de Depardieu, opposant à la GPA et à l’euthanasie
J’ai été frappé au contraire par l’investissement que Michel Houellebecq a mis dans ses répliques, reléguant la moindre incongruité au profit, le plus souvent, d’une approche raisonnable sans que jamais son tempérament exceptionnel et son intelligence décapante lui interdisent quelques points de vue stimulants. Par exemple, quand il déclare qu’être qualifié de droite l’avait toujours « un peu dérangé » mais que «populiste, ça me va ». Avec son adhésion au « référendum d’initiative populaire, à l’élection des juges, enfin à différentes mesures qui me paraissent propres à augmenter la démocratie. À la créer plutôt ». Et sa défiance à l’égard de la démocratie représentative.
Il défend son ami Gérard Depardieu et, selon lui, « les femmes mentent tout simplement ». Il maintient, sur le fond, son refus argumenté et moral de la GPA et de l’euthanasie, son inquiétude face à la baisse de la natalité, ses pensées lucidement conservatrices avec une modération dans les jugements qu’il porte, par exemple sur Emmanuel Macron. Avec une bienveillance toute particulière pour Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy qu’il félicite d’avoir traité les magistrats de « petits pois », ce qui me rassure: j’ai au moins un point de désaccord avec un écrivain et un intellectuel que j’admire. Ce qui n’empêche pas Michel Houellebecq d’être infiniment percutant sur les magistrats, la répression et les prisons. Il faut citer: « Indulgente avec des petites ordures brutales et dangereuses, surtout lorsqu’il s’agit de mineurs, la justice se veut impitoyable avec les puissants… J’insiste également sur l’élection des juges… Il n’est pas acceptable que les juges se refusent à prononcer des peines de prison parce qu’il n’y a pas de places de prison; c’est la responsabilité d’une autre administration que d’en créer, pas la leur ».
Porno: il a la certitude d’avoir été floué
Il y a, dans l’ensemble des échanges médiatiques dont Michel Houellebecq a bénéficié, comme un climat tranquille, une atmosphère presque sereine, des touches de contrition et de repentance: il regrette les propos extrêmes qu’il a tenus sur l’islam – il a un contentieux avec Michel Onfray à cause de la polémique qui a suivi avec le recteur de la Grande Mosquée de Paris – et se pare de tolérance à l’égard des apparences qui pourraient trancher avec nos habitudes sociales et culturelles, par exemple le burkini.
Sans doute y a-t-il dans l’apparition de ce Michel Houellebecq moins sulfureux qu’équilibré la conséquence aussi de cet épisode dont il a pâti, qu’il dénonce dans son prochain livre et qui, sur le plan de la pornographie, lui pose question. Il a la certitude d’avoir été floué. Un sentiment surgit également, rare chez lui: celui de ne plus pouvoir tout se permettre à cause de ce qu’il est devenu, de ce que la multitude de ses lecteurs attendent de lui. N’étant plus seulement comptable de lui-même, il se résout subtilement à limiter sa liberté d’être pleinement Michel Houellebecq. Comme une responsabilité qui lui est tombée sur les épaules, un devoir sur son destin. Michel Houellebecq, avec ces divers entretiens, a suivi la ligne qui avait été définie par son épouse, toute d’ironie tendre à son égard, si fine dans l’appréhension de ce mari hors du commun et indignée comme lui par la manipulation du film pornographique. À la lecture de cet impressionnant autoportrait de Michel Houellebecq, au travers de toutes les réponses qu’il a livrées, j’ai perçu chez lui l’expression d’une provocation consubstantielle à sa personnalité – Michel Houellebecq n’aura jamais l’esprit ordinaire – mais atténuée par la découverte d’une sagesse qui le conduit dorénavant à poser, sur tout et quasiment sur tous, un regard d’aménité, de bienveillance critique ou de solidarité amicale. Plus rien de délibérément conflictuel, une humeur parfois inquiète, pessimiste mais sans la moindre ostentation: le futur sera comme cela… Cette morale qu’il proclame – « La vie m’ennuie mais je m’ennuie pas dans la vie » résume bien ce qu’il a su faire surgir de lui-même. Il y a là comme un écho d’un illustre devancier littéraire et politique: « Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie » (André Malraux).
Le journaliste d’extrême gauche reproche à la réalisatrice son agressivité anti-Metoo et au festival de Cannes d’être complice de ce sacrilège. Le fondateur de Mediapart a choisi Variety pour répondre à la réalisatrice effrontée Maïwenn. Malin, le journaliste l’accuse d’être une anti #MeToo forcenée, ce qui est bien sûr très mal vu à Hollywood… « Cannes a choisi un symbole complètement fou comme sélection de sa soirée d’ouverture » s’est notamment indigné ce grand défenseur de nos amies les femmes auprès des Ricains.
C’est en train de devenir le feuilleton de ce printemps 2023, dans la rubrique « en voilà deux qui ne passeront pas leurs vacances ensemble ». Depuis quelques jours, la réalisatrice Maïwenn et le journaliste Edwy Plenel occupent l’espace médiatique. Elle, à Cannes, pour la sortie de Madame du Barry[1]. Lui, moustache toujours fièrement arborée[2], sur le site de Variety, magazine de référence du showbiz hollywoodien subitement passionné par les querelles du microcosme parisien (peut-être aussi parce que Johnny Depp joue dans le dernier film de Maïwenn). Entre les deux, une sordide affaire de cheveux tirés et de crachat au visage…
Grâce au magazine américain et à l’interview que lui a accordé Edwy Plenel, on en sait enfin un peu plus. C’est la fâcheuse manie de ce dernier à aller tripoter les fiches de police qui semble être au cœur de la bisbille. Maïwenn n’aurait pas tellement apprécié de voir les termes de sa déposition faite à la police lors de sa séparation avec Luc Besson ressortie à l’occasion d’une « enquête explosive » publiée par Mediapart, fin 2018.
Cinq ans après, et alors que l’affaire Besson a été classée sans suite depuis longtemps, Maïwenn – qui n’aurait jamais passé un coup de fil ou un mail de protestation entretemps – a saisi l’occasion d’une rencontre inopinée dans un restaurant pour s’en prendre au cuir chevelu délicat de Plenel. Lequel, dans sa plainte déposée, s’est dit « traumatisé par l’agression » ! C’est malin.
Madame du Barry au cinéma, Madame Sans-Gêne dans la vie
Plus grave encore, selon Plenel, le fait d’avoir été l’objet de cette froide vengeance, cache un problème bien plus large : Maïwenn serait une anti #MeToo forcenée et couvrirait tout ce petit monde de cinéastes. Le crachat serait un acte politique pour protester contre le travail d’enquête de Mediapart sur les agressions sexuelles et le harcèlement dans l’industrie cinématographique. Il est vrai qu’en 2020, elle avait osé dire à Paris Match : « Quand j’entends des femmes se plaindre que les hommes ne s’intéressent qu’à leurs fesses, je leur dis : « Profitez-en car ça ne durera pas ! » » Madame du Barry au cinéma, mais Madame Sans-Gêne dans la vie, elle a aussi eu le culot de prendre Johnny Depp dans son dernier film, malgré les accusations de violences conjugales portées contre lui à l’époque du tournage, et pour lequel il a été absous.
Collages féministes: et Nabilla ?
« Cannes a choisi un symbole complètement fou comme sélection de sa soirée d’ouverture : un film de Maïwenn qui raconte l’histoire d’une courtisane en quête de pouvoir. La mythologie qui est mise en avant dans le film, couplée au casting de Johnny Depp, ses commentaires anti-#MeToo et maintenant cette agressivité dont elle semble être fière et qui fait rire les gens à la télé, ça veut dire quelque chose ». A Cannes, les néo-féministes vont dans le sens de Plenel. Elles se sont adonnées à leur loisir favori, le collage de rue, pour dénoncer la mise en lumière de l’acteur américain. « Sous le tapis la violence », « J’accuse l’homme, j’emmerde l’artiste », « Pouvoir, violence, souffrance, Cannes complice ». On les a moins entendues (en fait on ne les a pas entendues du tout), quand Nabilla a à son tour fait son apparition sur le tapis rouge de Cannes le samedi 20 mai. On se souvient partout de l’émotion suscitée en France quand un matin de novembre 2014, on apprit que la starlette de la téléréalité avait planté un couteau dans le thorax de son compagnon Thomas, manquant de lui ôter la vie. Ce dernier, moins rancunier que Maïwenn, épousa sa belle un peu plus tard.
Mais alors, pourquoi répondre à une interview si loin, en Amérique, dans un article en anglais ? Plenel raconte à Variety qu’aucun journaliste français n’aurait pris la peine de le contacter pour en savoir plus sur cette affaire de cheveux tirés. Cela en dirait long, selon lui, sur l’ambiance médiatique qui règnerait en France. Le petit monde du cinéma, dans l’hexagone, verrait quant à lui d’un mauvais œil le travail de sape de Médiapart, entravant sa liberté de création. Sans reprendre la vieille antienne mitterrandiste selon laquelle Edwy Plenel serait un agent de la CIA, le patron de Médiapart a certainement voulu se chercher de l’autre côté de l’Atlantique quelques alliés. En France, quand les vagues #MeToo, Black livesmatter et autres monstruosités woke ont déferlé, quelques voix se sont élevées contre l’air du temps, un peu plus qu’ailleurs. Dès janvier 2018, un collectif de cent femmes signait une tribune (Catherine Deneuve, Catherine Millet et Elisabeth Lévy en tête) dans le Monde, défendant une « indispensable liberté d’être importunée » et s’alarmait des dérives de #MeToo. Finalement, ça doit donc être ça, la fameuse exception culturelle française.
Pour la 3e saison consécutive, la Ligue de football professionnelle a souhaité participer à la journée mondiale de lutte contre l’homophobie, le 17 mai, en imposant brassard ou flocage de maillots aux couleurs de l’arc-en-ciel. Si la démarche initiale part d’une louable intention, on a finalement assisté à une nouvelle manifestation du puritanisme woke, par la recherche obsessionnelle de la vertu et l’intimidation des opposants.
L’opération qui avait pour ambition de délivrer un « message de diversité, d’espoir et d’amour » a été accompagnée, comme attendu, d’innombrables polémiques de joueurs refusant, pour des considérations qui leur sont propres, de revêtir la tenue exigée.
L’initiative, aussi louable soit-elle, ne parvient donc pas à satisfaire les promesses de concorde et d’apaisement qu’elle est censée apporter. Bien au contraire, elle est intrinsèquement clivante car elle repose sur deux ambiguïtés. La première est celle d’un message qui se prétend universel mais qui se révèle militant. La seconde est celle d’une méthode qui relève non du droit mais de la posture morale.
Pédagogisme ou militantisme?
L’époque est à l’hétérogénéisation des sociétés, au dépassement historique de l’idée de nation, à la victoire du marché sur l’intérêt général et à la protection de chacun au détriment de tous. Quand plus grand-chose ne nous fédère, notre société ne sait plus quoi faire d’autre que célébrer des diversités.
De prime abord, par la simplicité de son énoncé, l’idée de lutter contre les discriminations est très séduisante. Par la réalité des souffrances vécues par certains footballeurs, elle apparaît fort utile. En revanche, par sa mise en œuvre, elle ne sert que des intérêts catégoriels et, sous couvert d’une entreprise qui se veut vertueuse, véhicule un message militant.
Une campagne parrainée par SOS Homophobie ne saurait être considérée comme étant dénuée de toute portée politique. Particulièrement avant-gardiste dans ses revendications (remplacer « sexe » par « genre » sur les documents officiels, principe d’autodétermination, y compris pour les mineurs, légalisation de la GPA, système de filiation déclaratif), l’association porte un message politique clair dont la désapprobation ne mérite pas nécessairement que soit jeté l’anathème sur toute pensée divergente. L’homosexualité n’est pas simplement considérée comme un état respectable, lié à l’intimité de chacun, mais bel et bien comme une lutte politique. En imposant des couleurs, des brassards et des slogans particulièrement identifiés, on favorise l’adhésion à un mode de pensée, celui qui consiste à envisager la société comme étant par nature patriarcale, oppressante, fondée sur une discrimination systémique où la personne homosexuelle est par essence une victime. Il en résulte une vision de la société qui amène à considérer que les homosexuels forment une communauté spécifique ayant légitimement droit à un statut particulier et à des revendications singulières.
En République, cela pose question, car l’aspiration est à l’égalité et non à la différenciation. C’est pour cela, par exemple, que l’on préfère parler de « mariage pour tous » et non de « mariage gay ». À l’inverse, la tendance au communautarisme est de nature à porter atteinte à l’universalisme du droit. Pour Bertrand Lambert, président des Panam Boyz, club ouvert à la diversité et partenaire de l’opération, « beaucoup de joueurs ne comprennent pas pourquoi on les oblige à porter ce maillot parce qu’il y a un manque de pédagogie». Le message d’ouverture censé être défendu n’est manifestement pas clair. Il mériterait d’être dépourvu de cette ambiguïté en passant par une démarche plus consensuelle.
Méthodes intimidantes
Ce genre de campagne s’inscrit dans ce que Régis Debray décrirait comme l’importation du modèle puritain de l’Europe protestante, par sa recherche obsessionnelle de la vertu et l’intimidation de ses opposants.
La prétention à faire régner le bien entraîne irrémédiablement le besoin de débusquer le mal et si possible publiquement. La quête de l’intégrité dérape facilement vers l’intégrisme. Pour régner, la vertu a besoin d’un instrument, la terreur. Elle appelle nécessairement l’intransigeance, favorise la loi des suspects et encourage la surenchère. Chacun en profite pour dénoncer plus haut et plus fort que son voisin, pour se donner bonne conscience et éprouver le sentiment du devoir accompli. La dénonciation des suspects s’accompagne de l’irrésistible tentation de succomber à l’attitude du paraître et à la pratique ostentatoire de l’indignation: porter un regard dénonciateur sur l’autre pour bien montrer que l’on est soi-même irréprochable.
Eric Roy, entraîneur de l’équipe de football de Brest, en a fait l’amère expérience après avoir critiqué non la campagne, mais le week-end choisi par la ligue de football pour l’organiser, en rappelant que « chacun est libre de ses opinions ». L’inconditionnalité des valeurs vertueuses n’appelant aucune nuance, il n’a pas pu lui être pardonné d’avoir eu la faiblesse de raisonner en entraîneur soucieux des considérations sportives. Le coupable est trouvé, la fuite en avant peut commencer. Peu importe qu’il ait rappelé être ambassadeur d’une association luttant contre les discriminations ou qu’il ait reconnu avoir « porté le brassard aux couleurs arc-en-ciel avec fierté et engagement », sa maladresse le rend moralement coupable et le dogme est répété en boucle: « l’homophobie n’est pas une opinion mais un délit ». Il ne suffit pas pour autant d’asséner 50 fois une affirmation pour qu’elle devienne une vérité.
En démocratie, un délit correspond à une qualification et à une procédure. La qualification de l’homophobie renvoie à l’existence d’une volonté de discriminer sur l’orientation sexuelle et à la commission d’une infraction (meurtre, viol, torture, vol, injures, menaces, provocations à la haine, diffamation). La procédure, c’est celle du procès équitable, au terme duquel le juge prononce la sanction. Avant son procès, le prévenu est protégé par un principe simple: la présomption d’innocence. Que l’on puisse reprocher à des joueurs de football de ne pas participer à une campagne de sensibilisation contre l’homophobie est une chose, céder à la facilité de penser qu’ils sont homophobes de ce fait en est une autre. Être moralement condamnable ne signifie pas pénalement coupable.
La lutte contre les discriminations a trop souvent tendance à être accaparée par des gardiens du temple autoproclamés qui s’admirent dans le rôle de dénonciateurs, assouvissent des besoins narcissiques d’accusation et se complaisent dans des postures morales qui desservent la cause qu’ils croient servir; ils ne combattent pas les discriminations, ils font la chasse au traitre. S’ils estiment être en présence d’un délit, qu’ils tirent alors les conclusions de leurs constatations en saisissant le procureur de la République afin que des poursuites pénales soient engagées. Il est parfaitement contradictoire de rester dans le confort moral de l’invocation de principes juridiques tout en ayant la faiblesse de ne pas en tirer les conséquences. Au mieux, le procédé qui consiste à dénoncer une infraction inexistante pour s’octroyer généreusement le rôle du rempart de la menace qu’on vient artificiellement de créer révèle une parfaite hypocrisie. Au pire, il s’apparente à de la diffamation.
Il y a bien un domaine où la France n’est pas en retard. Pour les tweets et les hommages, elle domine! Ce ne serait pas grave si l’expression de cette impuissance noble ne prenait pas assez généralement la place de politiques défaillantes.
Un tragique exemple en a été fourni récemment avec la mort de ces trois jeunes gardiens de la paix conduisant à l’hôpital une jeune fille de 16 ans et dont le véhicule a été heurté par une voiture circulant à contresens avec un chauffeur sous l’emprise de la drogue et de l’alcool. Celui-ci est décédé tandis que son passager est grièvement blessé. Le ministre de l’Intérieur a tweeté, le président aussi, qui a décidé un hommage national. Et on nous donne l’impression ainsi d’une action ! On se moque du citoyen. Il n’est plus possible d’accepter sans réagir la multitude des accidents mortels qui sont commis par des conducteurs ayant perdu leur vigilance à cause de l’alcool et/ou de la drogue. Sur 3000 par an environ, 700 sont concernés. Pour ne pas évoquer les blessures involontaires qui se rajoutent à ce déplorable bilan…
Trois policiers. Une infirmière. Un agent de la direction des routes.
À Villeneuve-d'Ascq, Reims, Sainte-Soulle, en quelques jours, plusieurs agents de l’État ont perdu la vie dans des conditions tragiques. Ils étaient engagés pour les autres.
Paradoxalement, il y a une manière de fuir la fermeté à partir de la législation pourtant existante, et à mon sens suffisante. On propose des pistes apparemment de bon sens mais en réalité contraires à la réalité des comportements routiers transgressifs. Aussi odieux et dévastateurs qu’ils soient, on ne peut les considérer comme on le ferait d’un homicide volontaire qui implique la volonté de tuer le conducteur du véhicule.
Cette propension à s’égarer par une répression ciblée, face à des tragédies qu’on ne parvient pas à dominer, est révélatrice d’une dérive française qui préfère s’évader dans le futur avec des dispositions absurdes plutôt que tout faire pour affronter les défis du présent. Je pourrais également faire référence aux modalités qu’on envisage pour s’attaquer aux violences conjugales: elles illustrent parfaitement la tendance que je viens de décrire et qui non seulement ne va pas rendre plus efficace la lutte contre ces horreurs du quotidien mais au contraire, en donnant bonne conscience avec un avenir programmé meilleur, la dissuadera ici et maintenant d’être plus ferme, sans relâche.
Déjà une évidence: le délit de mise en danger de la vie d’autrui doit être systématiquement visé dès lors que l’alcool et la drogue sont les adjuvants des homicides ou des blessures involontaires.
Ensuite, il ne peut y avoir de politique cohérente contre ce fléau de la conduite irresponsable si on ne multiplie pas les contrôles avec les interdictions et les confiscations qu’impose l’urgence. On ne peut pas espérer gagner ce combat si on n’oppose pas une radicalité répressive aux conduites durablement délictuelles de certains habitués poussant même la provocation jusqu’à continuer à conduire malgré les suspensions du permis de conduire.
Enfin il convient, si on veut véritablement changer la donne, de ne plus raisonner avec le seul principe de l’individualisation des peines, qui aboutira forcément, compte tenu de la multitude des transgressions, à des peines tellement adaptées à chacun qu’elles auront perdu tout impact. L’individualisation des peines, dans ce domaine comme dans d’autres, fait disparaître une sévérité de plus en plus nécessaire derrière une approche subjective qui dilue tout dans un singulier émollient.
Dire qu’il faut moins d’hommages et de tweets et plus d’action est parfois critiqué parce que trop facile, on ne proposerait rien qui soit plus efficient que ce qu’accomplit le pouvoir… D’une part je répète que tout est en place, en ordre pour pallier un désordre et un laxisme coupables. D’autre part, on n’a pas à demander aux citoyens ce qu’ils feraient à la place des ministres. Je suis sûr qu’il y a des citoyens passionnés de politique, des personnalités ne se contentant pas d’effectuer des constats et de théoriser mais toute d’action et de pragmatisme, qui sauraient quoi accomplir si elles avaient la latitude nécessaire pour bousculer les paresses, les conformismes ou stimuler les découragements. Règle numéro un: abandon des tweets et des hommages à répétition !
Sur France 5, Karim Rissouli a consacré une soirée entière à expliquer aux téléspectateurs que l’affaire Lola était un crime atroce qui aurait dû rester un simple fait divers. Pour les journalistes de gauche, il y a la bonne et la mauvaise récupération. S’indigner de ce qu’une fillette de 12 ans soit tuée par une Algérienne sous le coup d’une OQTF à cause des lacunes de l’État n’est selon eux pas légitime.
Samedi 20 mai, c’était le premier anniversaire de l’assassinat du docteur Alban Gervaise. Il avait, on s’en souvient, été égorgé aux cris de « Allah Akhbar » alors qu’il attendait ses enfants devant un établissement catholique de Marseille. Deux jours auparavant, le groupe Lille Antifa tweetait joyeusement : « Laseule église qui illumine, c’est celle qui brûle. » La semaine dernière, c’est un couple de Niçois qu’une bande frappait violemment en les traitant de « sales blancs de merde. »
Que penser alors de l’instrumentalisation sans fin des affaires Théo et Traoré ? De la photographie du corps d’Aylan sur une plage turque ?
Les justes et les récupérateurs
Dans ce contexte léger, qui constitue désormais notre quotidien, dimanche 21 mai, lors de la « La Fabrique du mensonge », émission présentée par Karim Rissouli, la cinquième chaîne du service public a diffusé un documentaire intitulé « Affaire Lola : chronique d’une récupération ». Dans ledit documentaire, la doxa médiatique accuse l’extrême droite de récupérer la mort de l’enfant assassinée pour promouvoir sa vision réactionnaire du monde. Cette extrême droite, résolument visée, poids des mots et choc des photos à l’appui, apparaît pourtant comme une cible flottante aux contours imprécis. Si on y retrouve les inévitables Éric Zemmour, Marine Le Pen et autres groupes de la mouvance identitaire, y apparaissent Cyril Hanouna, Pascal Praud et tous ceux qui ont associé les lettres du sigle OQTF, devenu presque acronyme, à la présumée coupable. Ça commence à faire du monde.
Le documentaire « La Fabrique du mensonge » porte bien son nom. Il reproche à mon équipe d’avoir mis la lumière sur le meurtre ignoble d’une enfant, #Lola, par une étrangère qui n’aurait jamais dû être chez nous : un #francocide.
Ce documentaire, impartial s’il en est, veut montrer l’attitude des Justes, confrontés à « ce terrible fait divers » que constitue le meurtre de Lola. Civilisés et sensés, ils ont « respecté le temps du deuil » puis déclaré posément : « Vous n’aurez pas ma haine. » Las ! C‘était sans compter sur les hordes de nazis tapis qui n’attendaient que l’occasion pour sortir du silence et envoyer valser leurs pantoufles. Leurs bottes enfin chaussées, ces hordes écumantes ont déferlé dans nos rues, scandant (selon l’émission) la bave aux lèvres, leur haine de l’étranger. C’est donc à la sauvette qu’il convenait d’honorer la mémoire de Lola, sous peine d’être accusé d’exploiter politiquement son assassinat.
« Fantasme d’une immigration incontrôlée »
L’introduction au documentaire faite par Karim Rissouli, sans emphase et tout en sobriété, donne immédiatement l’air de la chanson. L’Affaire Lola est un « triste modèle, mais un modèle parfait de manipulation et de récupération politique d’un crime atroce qui aurait pu, aurait dû, rester un terrible fait divers. » Il a « réveillé le fantasme d’une immigration incontrôlée et meurtrière. » Alors, « une armée numérique d’extrêmedroite, la fachosphère, a réussi à imposer son idéologie et ses théories complotistes dans le débat public. » Après cette captatio benevolentiae de choc, place au documentaire, tout aussi impartial.
On commence par y expliquer que L’Affaire Lola naît lorsque la question de l’OQTF « éclipse le fond de l’affaire », à savoir, le fait divers tragique. C’est ce point de détail qui permet à l’extrême droite de tisser le lien qu’elle affectionne entre immigration, crime et délinquance. Bien sûr, on omet de préciser que Gérald Darmanin et Emmanuel Macron ont, eux aussi, reconnu la liaison dangereuse. Dans les faits, les observateurs se sont simplement contentés de constater que la meurtrière n’aurait pas dû se trouver sur le sol français, comme l’indique justement l’obligation de quitter le territoire français…
Pour la nuance, on repassera
D’après le documentaire, la situation d’OQTF qui frappe la présumée meurtrière aurait été amalgamée à sa nationalité algérienne par l’extrême droite. Les stratèges de la fachosphère, grâce à leur parfaite maîtrise des algorithmes, auraient manipulé l’opinion et poussé à la haine de l’étranger. Nulle action qui aurait été suscitée par l’émotion ou la révolte viscérale face à la barbarie du crime perpétré n’est concédée à ceux qu’on désigne comme des « charognards ». Tous ne sont présentés que comme des suppôts d’Éric Zemmour qui militeraient pour imposer l’idée d’un « francocide » imminent. Amis de la nuance, réjouissez-vous. Deux voix autorisées sont convoquées à la rescousse pour rappeler à l’ordre les esprits égarés. Hervé Le Bras atteste qu’il n’y a pas de submersion migratoire à craindre et Éric Dupond-Moretti rappelle ce qu’on avait tous compris: toutes les OQTF n’ont pas pour but d’être exécutées. Le camp du Bien semble vouloir, avec ce documentaire, reprendre la main sur un débat public qui lui échappe. Il convient de rappeler que l’insécurité est un fantasme sécuritaire ; l’immigration, un ressenti malsain. Le documentaire tourne à la propagande.
Que penser alors de l’instrumentalisation sans fin des affaires Théo et Traoré ? Que dire de l’utilisation de la photographie du corps d’Aylan, gisant sur une plage turque ? Deux poids deux mesures dans la narration, peut-être ? Mais, je m’égare. Sans nul doute une émission de télévision se prépare pour dénoncer l’exploitation par l’extrême gauche, criant au racisme systémique, d’une accusation non établie de violence policière.
François Hollande, qu’on se prendrait subrepticement à regretter tant l’actualité nous rend nostalgique du « monde d’avant » aura le dernier mot. Voici les propos que, sage d’un jour, il tint lors de l’un de ses derniers déplacements présidentiels, le 18 mars 2017, à Crolles : « La démocratie estfragilisée quand les faits eux-mêmes viennent à être contestés, tronqués, ignorés par les manipulations, les mensonges, les falsifications. » Pas mieux.
L’économiste Jean Pisani-Ferry a produit un rapport sur les «incidences économiques de l’action pour le climat», destiné à Matignon
Peu connu du grand public, France Stratégie est un service du Premier ministre dont le nom complet est officiellement celui de Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP). Il s’agit d’ailleurs d’une idée originale d’Emmanuel Macron suggérée à François Hollande en 2013, alors que l’actuel président de la République était encore Secrétaire général adjoint du cabinet de l’Elysée. L’idée n’était pas mauvaise en soi…
De fait, les différents rapports d’orientation et d’évaluation des politiques publiques rendus par cette administration se sont parfois révélés utiles. Citons notamment le rapport « Quelle évolution de la ségrégation résidentielle en France ? », ou encore la note « Inégalités des chances : ce qui compte le plus » qui concluait que le genre et le fait d’avoir des parents immigrés jouaient extrêmement peu sur le revenu d’activité des personnes âgées de 35 à 38 ans contrairement au milieu social d’origine, à la richesse du territoire dans lequel le jeune a grandi et au niveau de vie des parents.
Objectif: décroissance
Le rapport qui nous intéresse présentement traite lui de la question de l’écologie. Portant précisément sur les « incidences économiques de l’action pour le climat », ce rapport tente d’appréhender plus finement les conséquences macroéconomiques de la transition climatique. Il montre d’ailleurs bien l’ampleur des difficultés à venir et le coût qu’elles pourraient avoir pour les Français, Jean Pisani-Ferry écrivant dans le 7ᵉ point de la synthèse dudit rapport que: « D’ici 2030, le financement de ces investissements, qui n’accroissent pas le potentiel de croissance, va probablement induire un coût économique et social. Parce que l’investissement sera orienté vers l’économie de combustibles fossiles, plutôt que vers l’efficacité ou l’extension des capacités de production, la transition se paiera temporairement d’un ralentissement de la productivité de l’ordre d’un quart de point par an et elle impliquera des réallocations sur le marché du travail. » Traduit en langue française dépouillée des tics de la haute administration, cela signifie tout simplement que nous allons vers… la décroissance. Nous allons donc perdre en capacités de production et le niveau de vie des Français baissera d’autant. Le plus amusant étant que les auteurs du rapport nous indiquent ensuite que les indicateurs habituels tels que le PIB mesurent encore mal le « coût en bien-être » des réglementations prises pour que la France effectue sa transition écologique. Autant faire court : nous allons en baver.
C’est à ce stade que France Stratégie nous dévoile son plan. Comme on pouvait le pressentir, une administration publique française a toujours la même solution : créer des impôts et des taxes. Et c’est par un raisonnement aussi tortueux que pervers que France Stratégie transforme l’effort consenti par les Français en « soutien aux ménages et aux entreprises » ! Ce n’est évidemment pas l’État qui nous aidera à rénover nos logements rénovés ou à remplacer nos voitures thermiques, mais nos impôts qui sont déjà parmi les plus élevés du monde libre : « Pour financer la transition, au-delà du redéploiement nécessaire des dépenses, notamment des dépenses budgétaires ou fiscales brunes, et en complément de l’endettement, un accroissement des prélèvements obligatoires sera probablement nécessaire. Celui-ci pourrait notamment prendre la forme d’un prélèvement exceptionnel, explicitement temporaire et calibré ex ante en fonction du coût anticipé de la transition pour les finances publiques, qui pourrait être assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés. »
Il faut savoir que la France a régulièrement mis en place des impôts qui devaient n’être que temporaires, destinés à répondre à des crises ou à financer des mesures exceptionnelles. La CSG, que tous les Français ou presque redoutent, devait ainsi ne pas durer. Depuis 1991 et sa création par Michel Rocard, dont la politique ressemble fortement à celle du gouvernement Borne, ses recettes ont explosé et ont été multipliées par dix, le taux et l’assiette augmentant quasiment tous les ans hors un très bref intermède sous la présidence Sarkozy. Le magistrat Charles Prats évalue d’ailleurs le coût de la transition énergétique telle que voulue par France Stratégie à 50 milliards annuels d’impôts en plus pendant quinze ans !
Le plus terrible étant que cela est présenté comme une aide de l’Etat aux Français… L’écologie donne au Moloch administratif l’occasion de revenir avec sa fiscalité redistributive délirante qui n’a rien à envier à Thomas Piketty et qui plombe déjà toute notre économie, la rendant totalement inapte dans la compétition internationale cruelle que se livrent les grands Empires contemporains, à commencer par la Chine et les Etats-Unis.
Le matraquage fiscal ne sera pas arrêté : il va s’intensifier. La stratégie est simple, vous spolier.
Il est probable que l’euthanasie sera légalisée en France. Cette maîtrise de sa propre mort, aboutissement ultime du contrôle de sa propre vie, est réclamée par une grande partie de la population. Mais cette mesure individualiste se double de tant de dérives et de paradoxes que c’est la société entière qui en paiera les conséquences.
Sondage après sondage, une grande majorité de la population se déclare en faveur de l’« euthanasie ». On peut certes critiquer la façon dont les questions sont formulées, qui favorise une réponse de ce genre, mais n’ergotons pas : les résultats sont assez massifs pour être significatifs. Avant de discuter des conclusions législatives qu’il convient d’en tirer, il est bon de s’interroger sur ce qui motive pareille position.
La « culture du projet »
Le premier élément à prendre en compte est un changement profond dans le rapport à la mort. Dans un pays comme la France, au xviiie siècle, un enfant sur deux n’atteignait pas l’âge de 11 ans. Aujourd’hui, plus de neuf décès sur dix surviennent après 60 ans. La mort, de menace toujours présente, a été repoussée dans les marges. « On savait autrefois (ou peut-être le pressentait-on) qu’on contenait la mort à l’intérieur de soi-même, comme un fruit son noyau. […] Et quelle mélancolique beauté était celle des femmes, lorsqu’elles étaient enceintes, debout, et que, dans leur grand corps, sur lequel leurs deux mains fines involontairement se posaient, il y avait deux fruits : un enfant et une mort. » Ce temps est révolu, Rilke l’avait compris. On continue de mourir, certes. Non plus, cependant, parce que la vie est, selon la formule de Hans Jonas, « une aventure dans la mortalité », mais parce qu’il reste des défaillances de la machine humaine que l’on ne sait pas surmonter ou pallier. Si jamais Jeanne Calment, prolongeant de quelques années encore sa vie, s’était éteinte durant la canicule de 2003, à 128 ans, elle ne serait pas morte de vieillesse mais de l’incurie du gouvernement n’ayant pas su prendre toutes les mesures adéquates pour protéger nos anciens.
Par ailleurs, comment définir l’humain ? La question, qui a travaillé la philosophie pendant plus de deux millénaires, a enfin trouvé sa réponse : l’humain est un être qui fait des projets. Si le Projet pouvait parler il dirait : Moi, le Projet, je suis partout. Tout le monde doit faire des projets, tout le temps, à l’intérieur du grand projet moderne qu’est le Progrès. Or, comme relevé il y a un siècle par Max Weber, une vie immergée dans le Projet et le Progrès ne devrait pas avoir de fin, car il y a toujours un nouveau projet à mener à bien, un nouveau progrès à accomplir. « Abraham, ou n’importe quel paysan d’autrefois, pouvaient mourir “âgés et rassasiés de jours” parce qu’ils étaient installés dans le cycle organique de la vie, parce qu’il leur semblait que la vie leur avait apporté, au déclin de leurs jours, tout ce qu’elle pouvait leur offrir, parce qu’il ne subsistait aucune énigme qu’ils auraient encore voulu résoudre ; ils pouvaient donc se tenir pour “satisfaits” par la vie. L’homme civilisé au contraire, placé dans le mouvement permanent d’une civilisation qui ne cesse de s’enrichir en pensées, savoirs, problèmes, peut se sentir “fatigué” de la vie, jamais “rassasié” par elle. Il ne saisit en effet qu’une part infime de ce que la vie de l’esprit engendre à jet continu – et toujours quelque chose de provisoire, rien de définitif. De ce fait, la mort est pour lui un événement dépourvu de sens. Et parce que la mort n’a pas de sens, la vie civilisée en tant que telle n’en a pas non plus, qui, par son “progressisme” insensé, frappe la mort d’absurdité. » Résultat : l’incapacité à recevoir la mort comme fait de nature incite à en faire un processus contrôlé. Un dernier projet.
À cela, il faut ajouter que les progrès de la médecine, qui aident à vivre plus longtemps et en meilleure santé, ont aussi une conséquence moins heureuse : des personnes qui, auparavant, se seraient rapidement éteintes, se trouvent durablement maintenues en vie dans un état où leurs facultés sont gravement altérées. Si la mortalité fait partie de notre condition, les performances de la médecine peuvent déformer cette condition en substituant à la mort une fin frangée, la lente extinction d’un corps dont la personne s’absente progressivement, longtemps avant sa mort. Pareille perspective, en soi peu réjouissante, nous paraît d’autant plus effrayante qu’au cours de la seconde moitié du xxe siècle, une nouvelle forme de surmoi s’est imposée qui sanctionne, non plus tant les manquements à un canon moral, que le fait de ne pas être à la hauteur de l’image que l’on se fait et que l’on souhaiterait donner de soi. S’ensuit que ce qui terrifie est moins la mort, qui annihile, que de tomber dans la « dépendance » ; de là aussi un dégoût insurmontable éprouvé à l’égard des corps déchus, auxquels on ne veut en aucun cas ressembler ; de là enfin la vigueur des revendications quant au choix de sa « fin de vie » – avec l’idée que l’on pourra garder le contrôle jusqu’au bout.
Dans ces conditions, il est fort probable que les partisans de l’euthanasie et du suicide assisté finiront par obtenir les évolutions législatives qu’ils appellent de leurs vœux.
Faut-il s’en féliciter ?
S’il y a un point de vue selon lequel de telles évolutions sont souhaitables, sans contestations possibles, c’est le point de vue financier. Point de vue qui, au demeurant, ne mérite pas l’opprobre. Il est en effet facile de réclamer, au nom de la morale la plus élevée, toujours plus de moyens pour l’assistance aux malades, et de fustiger, en regard, les considérations « bassement » économiques. Les gouvernants doivent pourtant bien, afin de satisfaire, au moins dans une certaine mesure, les innombrables demandes qui leur sont adressées, se soucier de l’économie qui fournit les moyens. Or, voici que se présente une situation rarissime : pour une fois, avec l’euthanasie et le suicide assisté, les citoyens ne réclament pas des dépenses supplémentaires, mais proposent des économies ! (On comprend, au passage, pourquoi une convention citoyenne a été organisée sur la fin de vie, et pas sur les retraites.)
La question financière mise à part, les bénéfices à attendre d’une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté sont plus douteux. L’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), fondée en 1980 et fer de lance de la lutte, sait mettre en avant des cas particuliers, des témoignages dramatiques ou émouvants. Mais s’il est concevable que, dans certains cas, ce soit faire le bien de quelqu’un que de l’aider à mourir, l’opportunité à légiférer n’en résulte pas mécaniquement. Il faut en effet être conscient qu’une nouvelle législation crée un nouveau cadre. Un nouveau cadre où, peut-être, certains cas problématiques d’hier trouveront solution, mais où un grand nombre de nouvelles difficultés apparaîtront, qui n’existaient pas auparavant.
La démoralisation du « soignant »
Le droit dont parlent les partisans d’une légalisation n’est pas un droit-liberté, mais un droit-créance, pas un « droit de » quitter la vie quand je l’ai décidé, mais un « droit à » ce qu’on me la fasse quitter quand je l’ai décidé. Or les partisans d’un droit à l’euthanasie et au suicide assisté semblent systématiquement ignorer l’épreuve que l’exercice de ce droit imposerait aux personnes chargées d’accéder à leur demande – dont tout laisse supposer, étant donné la façon dont les choses s’organisent en France, qu’elles appartiendraient au corps médical. Ainsi que le remarque Gaël Durel, président de l’Association nationale des médecins coordonnateurs en Ehpad et du secteur médico-social : « Les soignants seraient forcément appelés à s’interroger sur le sens de leur mission si on accepte de mettre fin à la vie de ceux qui sont l’objet de tous les soins au quotidien. Comment imaginer que l’on puisse écourter la vie d’une personne en raison de conditions de vie qu’elle juge trop dégradées et, dans la chambre voisine, en accompagner une autre qui est dans la même situation ? » D’autres s’interrogent : comment feront-ils pour concilier « d’une part la primauté de la demande collective de vie sur la volonté individuelle du patient dans le cas de soins prodigués aux auteurs d’une tentative de suicide [de 80 000 à 90 000 personnes sont hospitalisées chaque année en France suite à une telle tentative], d’autre part la primauté de la volonté individuelle de mort sur la demande collective de vie dans le cadre d’une euthanasie ou d’un suicide assisté ? » Transformer les « soignants » en prestataires de service, soutenant la vie et dispensant la mort, selon la demande, n’est pas une bonne idée. Les soignants en souffriraient, les patients aussi. Le fait que certains Belges âgés préfèrent franchir la frontière et se rendre dans des établissements médicalisés allemands, où l’euthanasie n’a pas cours, est à cet égard instructif.
Le suicide assisté, incitation au suicide tout court
Par ailleurs, quoi qu’ils puissent dire, les partisans de l’« aide active à mourir », en obtenant gain de cause, ne feraient pas qu’acquérir un droit pour eux, ils modifieraient le monde commun. Ces modifications peuvent comporter des aspects positifs. « La pensée du suicide est une puissante consolation. Elle aide à bien passer plus d’une mauvaise nuit », écrivait Nietzsche. De même, la pensée du suicide assisté peut conforter le moral de certains. Elle tend aussi, chez de plus nombreux, à accréditer l’idée qu’aux difficultés, la mort est la meilleure solution. Au départ, seuls des adultes mentalement aptes et en phase terminale se trouvent concernés. Mais les choses évoluent rapidement. Theo Boer, membre d’un comité de contrôle dans l’application de la loi sur l’euthanasie adoptée en 2002 aux Pays-Bas, à laquelle il était à l’époque favorable, a été témoin du processus. Dans une tribune publiée par Le Monde (1er décembre 2022), il écrit : « La pratique s’est étendue aux personnes souffrant de maladies chroniques, aux personnes handicapées, à celles souffrant de problèmes psychiatriques, aux adultes non autonomes ayant formulé des directives anticipées ainsi qu’aux jeunes enfants. » Est aujourd’hui discutée une extension aux personnes âgées sans pathologie. En France, le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) mentionne, dans son avis de 2022 : « Il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger. » Le CCNE, qui en 2013 ne voulait pas de l’aide active à mourir, indique lui-même, par l’évolution rapide de ses avis, le crédit qu’il faut accorder aux « conditions strictes, avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger ». Au demeurant, dans une société qui fait du ressenti personnel l’autorité suprême, au point d’y subordonner le fait d’être un homme ou une femme, on voit mal au nom de quoi il serait durablement possible de soumettre le recours au suicide assisté à des critères objectifs. Theo Boer prédit la prochaine étape aux Pays-Bas, au nom de la justice et du respect des personnes : « Pourquoi seulement une mort assistée pour les personnes souffrant d’une maladie, et pas pour celles qui souffrent du manque de sens, de marginalisation, de la solitude, de la vie elle-même ? »
Non seulement, quand l’euthanasie et le suicide assisté sont légalisés, le nombre de demandes ne cesse d’augmenter, mais qui plus est, le nombre de suicides aussi ! Citons encore Theo Boer : « Alors que le pourcentage d’euthanasies dans le nombre total de décès est passé de 1,6 %, en 2007, à 4,8 %, en 2021 [aux Pays-Bas], le nombre de suicides a également augmenté : de 8,3 pour 100 000 habitants, en 2007, à 10,6, en 2021, soit une hausse de 27 %. […] Pendant ce temps, en Allemagne, un pays très similaire aux Pays-Bas quant à sa culture, à son économie et à sa population – mais sans la possibilité d’une mort médicalement assistée –, les taux de suicide ont diminué. » Le phénomène n’a rien de mystérieux. Les partisans de « la mort dans la dignité », du « libre choix de fin de vie » ou de l’« aide active à mourir », en voyant leur requête satisfaite, conduisent une frange croissante de la population à sans cesse devoir examiner la question : Vaut-il bien la peine de rester en vie ? Et donc, dans un certain nombre de cas, à répondre par la négative.
Si la faculté à se poser ce genre de questions est humaine, qu’un cadre légal oblige à s’y confronter est déshumanisant. Mon propos n’est pas de condamner en tant que telle une aide active à mourir, mais de faire mesurer les effets délétères d’une légalisation, qui semblent complètement échapper à ses promoteurs.
Un paradoxe pour finir
C’est au nom de l’autonomie de la personne, de son droit à l’autodétermination, qu’est réclamé un droit à l’euthanasie et au suicide assisté. C’est-à-dire que c’est au nom de l’autonomie qu’est exigée une assistance – alors même que, dans la plupart des cas, les candidats au suicide assisté seraient capables de mettre fin à leurs jours par eux-mêmes. Il faut donc croire qu’il ne suffit pas de vouloir mourir pour arriver à se suicider. Mais précisément, si on n’y arrive pas sans renfort, n’est-ce pas le signe que l’on n’a pas si envie de mourir que cela ? Ne vaut-il pas mieux, en la matière, admettre des limites personnelles que l’on ne parvient pas à franchir, que de requérir les autres pour les outrepasser ?
Hier soir, mes voisins ont une nouvelle fois frappé à ma porte pour me signifier que j’écoutais de la musique trop fort. J’aurais pu leur répondre que je travaillais ma chronique en hommage à Tina Turner, qui vient de nous quitter à l’âge de 83 ans. Libération, cette fois pas très inspiré, a titré : « Tina the best », j’aurais eu un autre titre à leur proposer : Proud Tina, pour paraphraser le tube Proud Mary, cette reprise du groupe Creedence Clearwater Revival, qu’elle a magnifié pour en faire une célébration, un rite vaudou qui ferait entrer n’importe qui en transe. En effet, Tina Turner pourrait être fière de son parcours. Née Anna May Bullock à Memphis (Tennessee), en 1939, au sein d’une famille que l’on qualifierait aujourd’hui de toxique, elle va chercher un peu de consolation et de distraction à l’église baptiste du coin, où elle commence à exercer sa voix quasi surnaturelle – à l’image de celle d’Elvis – en chantant du gospel. Il s’est vraiment passé quelque chose dans les années 50, au Sud des Etats-Unis, encore sous le joug de la discrimination raciale, quelque chose de l’ordre de la synchronicité jungienne, où la musique a circulé, donnant naissance à des demi-dieux ou déesses, qui ont changé à tout jamais la face de l’Amérique.
Une tornade sur la scène
Anna est vite repérée par le musicien Ike Turner, qui lui fait enregistrer A fool in love, titre qui devient vite un énorme succès. Ike la rebaptise Tina en hommage à Sheena, la reine de la jungle, certainement pour célébrer sa façon animale de bouger, tout en rythme et en abandon. Ike fut un cadeau empoisonné pour Tina. Certes, il lui offrit la célébrité, mais c’est un homme extrêmement violent et pervers, qui l’emmena au bordel lors de leur nuit de noces. Il la bat, mais elle joue le jeu de la parfaite épouse, et, sur scène de la parfaite complice amoureuse. Ike va jusqu’à l’obliger à miner des fellations avec son micro. Elle obéit. Mais tente un jour de se suicider. En 1966, elle enregistre River Deep, Mountain High, à l’initiative du producteur de génie, Monsieur wall of sound Phil Spector. Même si une transaction qui ressemblait à un marché d’esclaves eut lieu entre Ike Turner et Phil Spector, elle entre définitivement dans la légende avec ce titre phénoménal et hypnotisant. Et puis, elle n’en peut plus. Elle se tourne vers le bouddhisme, ce qui lui donna la force de quitter son bourreau. Commence alors pour elle une descente aux enfers, où elle vit de bons alimentaires. Elle divorce et perd tout, sauf le nom de Turner. Mais Tina est un phoenix, une guerrière, et c’est en Europe qu’elle renaît de ses cendres. Plus flamboyante et animale que jamais. Elle délaisse un peu la soul pour le rock’n’roll, confie qu’aux Etats-Unis une chanteuse noire reste confinée à la musique noire, et que cela ne lui convient pas.
Elle avait acquis la nationalité suisse en 2013
Débarrassée de Ike, elle veut atteindre le firmament, grimper au sommet de la Tour Eiffel en talons aiguilles, comme sur la célèbre photo de Peter Lindbergh, remplir des stades à en faire pâlir les Stones, tourner dans Mad Max auprès de Mel Gibson. « Proud Tina kept on burning ». Jusqu’à s’éteindre paisiblement en Suisse un jour de printemps.
Ignorant les motivations historiques de l’antifascisme – la lutte contre les régimes fascistes -, les antifas actuels désignent comme « fachos » aussi bien l’Etat que le capitalisme ou le patriarcat. Une confusion qui alimente la radicalisation et la violence de ces black-bobos.
Entretien avec Gilles Vergnon. Maître de conférences, Gilles Vergnon enseigne l’histoire contemporaine à Sciences-Po Lyon. Il est spécialiste de l’histoire des gauches européennes et l’auteur de L’Antifascisme en France : de Mussolini à Le Pen, publié en 2009 aux Presses universitaires de Rennes. Propos recueillis par Maximilien Nagy.
Causeur. Lors des manifestations contre la réforme des retraites et les méga-bassines, nous avons vu ressurgir les mouvements antifas et autres « black blocs ». Que sait-on de ces mouvements?
Gilles Vergnon. Les mouvements antifas profitent aujourd’hui d’une « convergence des mécontentements » suscités par la gestion gouvernementale de la réforme des retraites. Le passage en force du gouvernement d’Élisabeth Borne en fait une cible facile pour les accusations de fascisme. Ce genre d’accusations n’est pas nouveau et a toujours été utilisé de manière hyperbolique par la gauche depuis les années 1930. À cette époque, l’on traitait de fasciste toutes les figures autoritaires et répressives de « droite », en amalgamant Mussolini, Hitler, Franco, les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque et d’autres encore. Cependant, cet amalgame s’appuyait sur l’existence d’un fascisme bien réel installé au pouvoir aux frontières de la France.
D.R.
Le « fascisme » incriminé aujourd’hui désigne les structures de l’État, spécialement la police, mais aussi le patriarcat, le capitalisme dans un amalgame hyperbolique visant une cible bien plus large que l’antifascisme historique qui désignait des partis présentés comme des ennemis de la République parlementaire. L’effondrement de la culture historique dans la société comme chez les militants antifas facilite l’opération.
Quand les mouvements antifas violents que nous connaissons aujourd’hui sont-ils apparus en France ?
Dans les années 1990 certains mouvements étaient dirigés contre le Front national de Jean-Marie Le Pen, vu comme le dernier avatar du « fascisme ». Les deux principaux étaient Ras l’front, animé par la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), ancêtre du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), et le Manifeste contre le Front national, animé par Jean-Christophe Cambadélis, du Parti socialiste (PS), autodissous au début de ce siècle. Existaient aussi des groupes plus radicaux, prédécesseurs des « antifas » actuels, mais ils étaient contenus, partiellement canalisés par les partis politiques et les mouvements qui offraient des perspectives politiques aux jeunes, en les « rebranchant » sur une gauche ou une extrême gauche « classiques ». Aujourd’hui, la décomposition du PS et la disparition de la LCR dégagent un plus grand espace à la nébuleuse radicale dont l’on ne doit pas exagérer l’importance. C’est la crise politique actuelle qui braque l’attention sur elle, sans parler des calculs du gouvernement Macron pour incarner le parti de l’ordre.
Que peut-on dire de la sociologie des jeunes antifas qui participent aux actions dans ces manifestations ?
Dans son dernier ouvrage[1], le professeur allemand Richard Rohrmoser propose une étude sociologique des jeunes antifas allemands. Il pointe le profil universitaire de ces militants, souvent issus de familles de cadres supérieurs citadines, qui soutiennent en général une conception libertarienne de la société et contestent l’autorité. Sans généraliser ce portrait-robot, il est certain que le recrutement de ces militants se fait davantage dans les écoles normales supérieures que dans les lycées professionnels… Ils sont souvent révoltés contre le système, a-partisans et en même temps surpolitisés, méfiants à l’égard des partis de gauche et d’extrême gauche.
À Sainte-Soline, des affrontements très violents ont opposé des blacks blocs et des membres des Soulèvements de la terre aux forces de l’ordre. Pourquoi l’écologie est-elle devenue un domaine privilégié des antifas ?
La défense violente de l’environnement se nourrit d’une vision catastrophiste du monde. Le raisonnement de ces militants d’extrême gauche est relativement simple : « Le monde risque de s’écrouler dans quelques années, l’État refuse d’agir, voire empire la situation. Défendons donc par tous les moyens l’environnement contre ses agresseurs. » Certains courants extrémistes qui défilent dans les rues ne cachent pas qu’une dictature écologiste serait le seul moyen d’éviter que la planète disparaisse d’ici quelques années. La cohérence d’un tel horizon politique avec leurs idéaux libertaires me paraît d’ailleurs relativement douteuse… Autant dire que nous n’avons pas face à nous des militants au raisonnement intellectuel très poussé, ou avec une conception très claire d’une « société idéale ». En revanche, leur détermination à combattre les adversaires désignés de leur idéologie est entière et la violence est vue comme le moyen privilégié pour mener ce combat.
Les antifas refusent toute forme d’action partisane et aucun parti de gauche ne semble vouloir les récupérer… Sont-ils par essence incontrôlables ?
Sans doute est-il trop tôt pour l’affirmer. La nouveauté de ces courants antifas, c’est l’absence de toute perspective de s’inscrire dans une coalition candidate au pouvoir, à la différence du Front populaire dont l’antifascisme était le ciment. Il semble que La France insoumise hésite. La radicalité de la LFI lors des précédents grands débats politiques l’a desservie électoralement, comme l’a montré la défaite de la candidate Nupes face à la candidate socialiste dissidente en Ariège. En même temps, les Insoumis évitent de condamner les violences des antifas contre la police. Pour l’avenir, on ne peut donc pas exclure que les Insoumis cherchent à recruter des militants au sein des mouvements antifas.
En revanche, le gouvernement a réussi, du moins à court terme, à associer les violences antifas avec la virulence des Insoumis, et à apparaître comme le garant de l’ordre et du respect des institutions. Mais le recours au 49-3 aura certainement des conséquences, notamment sur la désertion des urnes. Voire pire. Nous n’en sommes qu’au début d’un processus de radicalisation des antifas, qui pourrait même, dans un scénario extrême, se convertir en lutte armée. Cela s’est produit dans les années 1970 en Italie, avec la dérive violente d’une partie de l’extrême gauche et la création des Brigades rouges. Nous n’en sommes pas encore à ce degré-là, qui nécessiterait un point de bascule décisif et un climat social davantage dégradé. Enfin, pour qu’une forme de milice antifa voie le jour, il faudrait surtout un sérieux effort de structuration de ces mouvements dont nous sommes encore loin.
[1]Antifa : Porträt einer linksradikalen Bewegung, von den 1920er Jahren bis heute, München, 2022 – « Les Antifa : portrait d’un mouvement d’extrême gauche, des années 1920 à nos jours », non traduit
Le ministère de l’Intérieur ayant demandé aux écoles de Toulouse de chiffrer le nombre d’élèves absents le jour de l’Aïd, en augmentation, les islamo-gauchistes exploitent et dénoncent un fichage religieux et « islamophobe » des élèves. Pourtant, un recensement visant à évaluer l’absentéisme n’a rien à voir avec un fichage. Les associations de gauche, SOS Racisme et Ligue des Droits de l’Homme, les partis LFI et EELV, vent debout contre les Secrétaires d’État Sarah El Haïry et Sonia Backès et le ministère de l’Intérieur, font la courte échelle aux islamistes dont ils reprennent le discours victimaire. Analyse.
🔴Lorsque @FraPiquemal questionne le gouvernement sur le fichage des élèves musulmans dans la région de Toulouse le jour de l'Aïd, celui-ci répond à côté.
Alors j'insiste: une ligne a été franchie, et des mesures doivent être prises pour que cela ne se reproduise jamais.❌ pic.twitter.com/LcJaSK6vMZ
Heureusement que le ridicule ne tue pas sinon la fausse affaire du « fichage des élèves musulmans » le jour de l’Aïd aurait abouti à une hécatombe chez certains enseignants, de nombreux politiques et chez les journalistes militants. L’histoire est assez simple. Le ministère de l’Intérieur a demandé aux établissements scolaires de transmettre le taux d’absentéisme des élèves le jour de l’Aïd. Le but était sans doute de voir si ce type d’absence, par ailleurs dûment autorisée, touchait énormément de monde ou non et de voir si cet absentéisme diminuait, était stable ou augmentait. Mais pour une certaine gauche, qui ne vit que de dénonciation de stigmatisations souvent imaginaires, a épousé le discours victimaire des islamistes et diffuse leurs éléments de langage, cette demande équivalait à un « fichage » des élèves musulmans visiblement préalable dans leurs représentations au « retour des heures les plus sombres de notre histoire ».
Être attaché à la tradition de l’Aïd n’a rien de radical ou de stigmatisant
Or on a un peu de mal à voir en quoi cette demande est violente, brutale et stigmatisante. S’il s’agit de s’interroger sur le fait qu’une communauté est, en nombre significatif, en rupture avec la civilité d’un pays, les principes, idéaux et lois qui fondent sa culture et son contrat social, on ne voit guère ce que cette information peut apporter. En effet, l’Aïd n’est pas seulement une fête religieuse, c’est une fête familiale et conviviale, l’équivalent de Noël sous nos latitudes. Si dans un pays non-chrétien, il était autorisé de déroger à l’obligation scolaire pour fêter Noël et si ce pays accueillait un grand nombre de chrétiens de culture ou de confession, il est probable que cette autorisation serait utilisée par un nombre élevé de personnes. On ne peut donc tirer aucune conclusion stigmatisante du fait que nombre de familles musulmanes aient choisi de ne pas mettre leurs enfants à l’école ce jour-là. On en déduira simplement un attachement à des traditions qui sont loin de signifier un acquiescement à une forme de radicalité.
Par ailleurs, nul besoin de cette information pour mesurer l’influence importante des islamistes sur la communauté musulmane, la pénétration de leurs idées au sein de la jeunesse et les conséquences que cela induit sur les revendications de séparatisme. Tout cela est parfaitement renseigné. Dès 2016, l’institut Montaigne dans une étude montrait que 28% des musulmans étaient sous influence radicale (cela était particulièrement vrai chez les jeunes) et que 25%, qualifiés de « conservateurs », étaient très attachés à la charia. Cela faisait plus de 50% d’une communauté qui avait du mal à adhérer aux principes fondant notre contrat social. Cette étude a été complétée par une enquête auprès des jeunes lycéens d’Anne Muxel et Olivier Galland sur la tentation radicale, en 2018. Celle-ci montrait notamment un clivage important entre jeunes musulmans et non musulmans. Les premiers, à 70%, ne condamnaient pas les auteurs des attentats contre Charlie et l’hypercasher, quand les seconds les condamnaient massivement. Les sociologues analysaient ces écart en évoquant la prépondérance d’un effet islam. Les chiffres n’ont cessé de s’accumuler depuis lors et vont toujours dans le même sens, montrant un décrochage dans les références, les représentations et la vision du monde entre musulmans et non musulmans (sondage IFOP sur la pratique religieuse réalisés pour la Fondation Jean-Jaurès en 2019, pour le Comité Laïcité République en 2020 ou pour la Licra en 2021). Dans le sondage du CLR par exemple, 57% des jeunes musulmans considèrent la charia plus importante que les lois de la République (une augmentation de 10 points depuis 2016). Ils sont également 66% à s’opposer au droit des enseignants de montrer des caricatures ; chez les non-musulmans, ils sont 75% à soutenir au contraire cette possibilité. Les chiffres sont similaires sur la question du voile, donc à travers lui parlent de l’acceptation de l’égalité homme/femme. Il y a là un décrochage massif d’une population. Décrochage qui s’explique par l’influence de l’islam politique et par le travail de réislamisation qu’il effectue sur notre territoire. Il n’y a donc nul besoin d’information sur l’absentéisme au moment de l’Aïd pour constater qu’une part significative et de plus en plus importante de la communauté musulmane refuse les principes qui fondent les lois et la culture française. Force est de constater que si les chiffres sont à la fois signifiants, récurrents et en augmentation, le dire est toujours aussi risqué. Il faut donc parler « d’infime minorité » concernant cette dérive, même si les enquêtes montrent qu’il s’agit au contraire d’une majorité chez les plus jeunes. En tout cas on ne voit guère ce que les chiffres de l’absentéisme scolaire lors de l’Aïd permettent d’ajouter à ce constat. La gauche instrumentalise une nouvelle fois un non-évènement pour mettre en accusation le gouvernement, lancer des accusations en fascisme rampant et se draper dans une fausse vertu qui lui permet de se poser en distributeur de leçons universelles. Sans doute histoire de faire oublier qu’elle soigne une clientèle musulmane sous influence islamiste en laissant volontairement de côté ceux des musulmans qui aspirent à un rapport sécularisé à la religion et qui combattent une radicalité dont ils ont souffert parfois dans leur pays d’origine. Mais les républicains et les démocrates pourtant présents dans une partie de cette immigration, ancienne ou récente, ne les intéressent pas. Pour eux l’authentique musulmane ne saurait être que voilée et ils confondent sciemment musulmans et islamistes au profit des derniers.
Narratif de persécution
L’indignation des satellites de la gauche en perdition, SOS Racisme, la Ligue des Droits de l’Homme plonge également ses racines dans la volonté d’imposer un narratif de persécution des musulmans dans le débat public. Il faut dire que ces associations sont victimes d’entrisme et ont depuis longtemps délaissés leurs idéaux et leur histoire pour se faire les petits télégraphistes de la propagande islamo-gauchiste. Sarah El Haïry a donc eu raison de dénoncer l’instrumentalisation d’une fausse polémique et de pointer du doigt la mauvaise foi de ces associations. La réponse ne s’est faite pas fait attendre. Le tweet de Raquel Garrido est à ce titre exemplaire du déni de réalité et de la posture d’autorité visant non à chercher la vérité, mais à museler le débat: « S’en prendre à la Ligue des Droits de l’Homme, c’est s’en prendre aux droits de l’homme. S’en prendre à SOS Racisme, c’est s’en prendre à l’antiracisme ». Fermez le ban. Sauf que la dérive de ces associations est de plus en plus visible et qu’elles sont les premières à déshonorer leurs combats et à capitaliser sur une réputation qu’elles piétinent allégrement. Ces associations ne méritent plus le respect tant leur présent abolit leur passé, et encore moins des subventions publiques. Les excès et la bêtise du tweet de la députée LFI illustrent l’esprit totalitaire qui imprègne de plus en plus une partie de la gauche qui voudrait soumettre le réel à l’idéologie. S’il suffit d’afficher une cause juste alors qu’on la trahit dans ses combats réels pour devenir inattaquable, alors le totalitarisme a de beaux jours devant lui.
Le fait que cette affaire ait été montée en épingle parle plus de la dérive d’une certaine gauche que de celle du gouvernement. Refuser de le regarder en face participe à notre malheur collectif et empêche la reconstruction d’une force de gauche sociale, laïque et républicaine. Quant à la gauche autoritaire alliée des islamistes ? À défaut de convaincre l’électorat, elle exploite jusqu’au bout sa capacité de nuisance.
Michel Houellebecq publie aujourd’hui Quelques mois dans ma vie (Flammarion). L’écrivain a donné un entretien dense et sincère au JDD, où il est notamment revenu sur ses déboires avec son projet de film érotique ou avec le recteur de la Mosquée de Paris. On lui découvre une sagesse qu’on ne lui connaissait pas, observe notre chroniqueur.
Il n’y a que Michel Houellebecq pour me détourner avec bonheur des sujets politiques qui finissent par lasser, tant ils contraignent à des analyses répétitives ; même si on s’efforce, entre détestation et hyperbole, d’emprunter un chemin de mesure. On pourrait considérer qu’avec lui, on ne quitte jamais la politique tant son génie pour l’invention romanesque l’accorde, avec une intuition absolue, à tous les débats fondamentaux de notre société, à ses angoisses les plus douloureuses. Il me semble que déjà, nous avons un nouveau Michel Houellebecq dans la forme qui, par rapport à l’ancien, cultive moins le paradoxe, la réponse désinvolte, les aperçus à compléter et une sorte d’indifférence qui paraissait le placer en position décalée à l’égard de l’interrogation, avec une attitude par avance fatiguée.
Partisan du RIP, défenseur de Depardieu, opposant à la GPA et à l’euthanasie
J’ai été frappé au contraire par l’investissement que Michel Houellebecq a mis dans ses répliques, reléguant la moindre incongruité au profit, le plus souvent, d’une approche raisonnable sans que jamais son tempérament exceptionnel et son intelligence décapante lui interdisent quelques points de vue stimulants. Par exemple, quand il déclare qu’être qualifié de droite l’avait toujours « un peu dérangé » mais que «populiste, ça me va ». Avec son adhésion au « référendum d’initiative populaire, à l’élection des juges, enfin à différentes mesures qui me paraissent propres à augmenter la démocratie. À la créer plutôt ». Et sa défiance à l’égard de la démocratie représentative.
Il défend son ami Gérard Depardieu et, selon lui, « les femmes mentent tout simplement ». Il maintient, sur le fond, son refus argumenté et moral de la GPA et de l’euthanasie, son inquiétude face à la baisse de la natalité, ses pensées lucidement conservatrices avec une modération dans les jugements qu’il porte, par exemple sur Emmanuel Macron. Avec une bienveillance toute particulière pour Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy qu’il félicite d’avoir traité les magistrats de « petits pois », ce qui me rassure: j’ai au moins un point de désaccord avec un écrivain et un intellectuel que j’admire. Ce qui n’empêche pas Michel Houellebecq d’être infiniment percutant sur les magistrats, la répression et les prisons. Il faut citer: « Indulgente avec des petites ordures brutales et dangereuses, surtout lorsqu’il s’agit de mineurs, la justice se veut impitoyable avec les puissants… J’insiste également sur l’élection des juges… Il n’est pas acceptable que les juges se refusent à prononcer des peines de prison parce qu’il n’y a pas de places de prison; c’est la responsabilité d’une autre administration que d’en créer, pas la leur ».
Porno: il a la certitude d’avoir été floué
Il y a, dans l’ensemble des échanges médiatiques dont Michel Houellebecq a bénéficié, comme un climat tranquille, une atmosphère presque sereine, des touches de contrition et de repentance: il regrette les propos extrêmes qu’il a tenus sur l’islam – il a un contentieux avec Michel Onfray à cause de la polémique qui a suivi avec le recteur de la Grande Mosquée de Paris – et se pare de tolérance à l’égard des apparences qui pourraient trancher avec nos habitudes sociales et culturelles, par exemple le burkini.
Sans doute y a-t-il dans l’apparition de ce Michel Houellebecq moins sulfureux qu’équilibré la conséquence aussi de cet épisode dont il a pâti, qu’il dénonce dans son prochain livre et qui, sur le plan de la pornographie, lui pose question. Il a la certitude d’avoir été floué. Un sentiment surgit également, rare chez lui: celui de ne plus pouvoir tout se permettre à cause de ce qu’il est devenu, de ce que la multitude de ses lecteurs attendent de lui. N’étant plus seulement comptable de lui-même, il se résout subtilement à limiter sa liberté d’être pleinement Michel Houellebecq. Comme une responsabilité qui lui est tombée sur les épaules, un devoir sur son destin. Michel Houellebecq, avec ces divers entretiens, a suivi la ligne qui avait été définie par son épouse, toute d’ironie tendre à son égard, si fine dans l’appréhension de ce mari hors du commun et indignée comme lui par la manipulation du film pornographique. À la lecture de cet impressionnant autoportrait de Michel Houellebecq, au travers de toutes les réponses qu’il a livrées, j’ai perçu chez lui l’expression d’une provocation consubstantielle à sa personnalité – Michel Houellebecq n’aura jamais l’esprit ordinaire – mais atténuée par la découverte d’une sagesse qui le conduit dorénavant à poser, sur tout et quasiment sur tous, un regard d’aménité, de bienveillance critique ou de solidarité amicale. Plus rien de délibérément conflictuel, une humeur parfois inquiète, pessimiste mais sans la moindre ostentation: le futur sera comme cela… Cette morale qu’il proclame – « La vie m’ennuie mais je m’ennuie pas dans la vie » résume bien ce qu’il a su faire surgir de lui-même. Il y a là comme un écho d’un illustre devancier littéraire et politique: « Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie » (André Malraux).
Le journaliste d’extrême gauche reproche à la réalisatrice son agressivité anti-Metoo et au festival de Cannes d’être complice de ce sacrilège. Le fondateur de Mediapart a choisi Variety pour répondre à la réalisatrice effrontée Maïwenn. Malin, le journaliste l’accuse d’être une anti #MeToo forcenée, ce qui est bien sûr très mal vu à Hollywood… « Cannes a choisi un symbole complètement fou comme sélection de sa soirée d’ouverture » s’est notamment indigné ce grand défenseur de nos amies les femmes auprès des Ricains.
C’est en train de devenir le feuilleton de ce printemps 2023, dans la rubrique « en voilà deux qui ne passeront pas leurs vacances ensemble ». Depuis quelques jours, la réalisatrice Maïwenn et le journaliste Edwy Plenel occupent l’espace médiatique. Elle, à Cannes, pour la sortie de Madame du Barry[1]. Lui, moustache toujours fièrement arborée[2], sur le site de Variety, magazine de référence du showbiz hollywoodien subitement passionné par les querelles du microcosme parisien (peut-être aussi parce que Johnny Depp joue dans le dernier film de Maïwenn). Entre les deux, une sordide affaire de cheveux tirés et de crachat au visage…
Grâce au magazine américain et à l’interview que lui a accordé Edwy Plenel, on en sait enfin un peu plus. C’est la fâcheuse manie de ce dernier à aller tripoter les fiches de police qui semble être au cœur de la bisbille. Maïwenn n’aurait pas tellement apprécié de voir les termes de sa déposition faite à la police lors de sa séparation avec Luc Besson ressortie à l’occasion d’une « enquête explosive » publiée par Mediapart, fin 2018.
Cinq ans après, et alors que l’affaire Besson a été classée sans suite depuis longtemps, Maïwenn – qui n’aurait jamais passé un coup de fil ou un mail de protestation entretemps – a saisi l’occasion d’une rencontre inopinée dans un restaurant pour s’en prendre au cuir chevelu délicat de Plenel. Lequel, dans sa plainte déposée, s’est dit « traumatisé par l’agression » ! C’est malin.
Madame du Barry au cinéma, Madame Sans-Gêne dans la vie
Plus grave encore, selon Plenel, le fait d’avoir été l’objet de cette froide vengeance, cache un problème bien plus large : Maïwenn serait une anti #MeToo forcenée et couvrirait tout ce petit monde de cinéastes. Le crachat serait un acte politique pour protester contre le travail d’enquête de Mediapart sur les agressions sexuelles et le harcèlement dans l’industrie cinématographique. Il est vrai qu’en 2020, elle avait osé dire à Paris Match : « Quand j’entends des femmes se plaindre que les hommes ne s’intéressent qu’à leurs fesses, je leur dis : « Profitez-en car ça ne durera pas ! » » Madame du Barry au cinéma, mais Madame Sans-Gêne dans la vie, elle a aussi eu le culot de prendre Johnny Depp dans son dernier film, malgré les accusations de violences conjugales portées contre lui à l’époque du tournage, et pour lequel il a été absous.
Collages féministes: et Nabilla ?
« Cannes a choisi un symbole complètement fou comme sélection de sa soirée d’ouverture : un film de Maïwenn qui raconte l’histoire d’une courtisane en quête de pouvoir. La mythologie qui est mise en avant dans le film, couplée au casting de Johnny Depp, ses commentaires anti-#MeToo et maintenant cette agressivité dont elle semble être fière et qui fait rire les gens à la télé, ça veut dire quelque chose ». A Cannes, les néo-féministes vont dans le sens de Plenel. Elles se sont adonnées à leur loisir favori, le collage de rue, pour dénoncer la mise en lumière de l’acteur américain. « Sous le tapis la violence », « J’accuse l’homme, j’emmerde l’artiste », « Pouvoir, violence, souffrance, Cannes complice ». On les a moins entendues (en fait on ne les a pas entendues du tout), quand Nabilla a à son tour fait son apparition sur le tapis rouge de Cannes le samedi 20 mai. On se souvient partout de l’émotion suscitée en France quand un matin de novembre 2014, on apprit que la starlette de la téléréalité avait planté un couteau dans le thorax de son compagnon Thomas, manquant de lui ôter la vie. Ce dernier, moins rancunier que Maïwenn, épousa sa belle un peu plus tard.
Mais alors, pourquoi répondre à une interview si loin, en Amérique, dans un article en anglais ? Plenel raconte à Variety qu’aucun journaliste français n’aurait pris la peine de le contacter pour en savoir plus sur cette affaire de cheveux tirés. Cela en dirait long, selon lui, sur l’ambiance médiatique qui règnerait en France. Le petit monde du cinéma, dans l’hexagone, verrait quant à lui d’un mauvais œil le travail de sape de Médiapart, entravant sa liberté de création. Sans reprendre la vieille antienne mitterrandiste selon laquelle Edwy Plenel serait un agent de la CIA, le patron de Médiapart a certainement voulu se chercher de l’autre côté de l’Atlantique quelques alliés. En France, quand les vagues #MeToo, Black livesmatter et autres monstruosités woke ont déferlé, quelques voix se sont élevées contre l’air du temps, un peu plus qu’ailleurs. Dès janvier 2018, un collectif de cent femmes signait une tribune (Catherine Deneuve, Catherine Millet et Elisabeth Lévy en tête) dans le Monde, défendant une « indispensable liberté d’être importunée » et s’alarmait des dérives de #MeToo. Finalement, ça doit donc être ça, la fameuse exception culturelle française.
Pour la 3e saison consécutive, la Ligue de football professionnelle a souhaité participer à la journée mondiale de lutte contre l’homophobie, le 17 mai, en imposant brassard ou flocage de maillots aux couleurs de l’arc-en-ciel. Si la démarche initiale part d’une louable intention, on a finalement assisté à une nouvelle manifestation du puritanisme woke, par la recherche obsessionnelle de la vertu et l’intimidation des opposants.
L’opération qui avait pour ambition de délivrer un « message de diversité, d’espoir et d’amour » a été accompagnée, comme attendu, d’innombrables polémiques de joueurs refusant, pour des considérations qui leur sont propres, de revêtir la tenue exigée.
L’initiative, aussi louable soit-elle, ne parvient donc pas à satisfaire les promesses de concorde et d’apaisement qu’elle est censée apporter. Bien au contraire, elle est intrinsèquement clivante car elle repose sur deux ambiguïtés. La première est celle d’un message qui se prétend universel mais qui se révèle militant. La seconde est celle d’une méthode qui relève non du droit mais de la posture morale.
Pédagogisme ou militantisme?
L’époque est à l’hétérogénéisation des sociétés, au dépassement historique de l’idée de nation, à la victoire du marché sur l’intérêt général et à la protection de chacun au détriment de tous. Quand plus grand-chose ne nous fédère, notre société ne sait plus quoi faire d’autre que célébrer des diversités.
De prime abord, par la simplicité de son énoncé, l’idée de lutter contre les discriminations est très séduisante. Par la réalité des souffrances vécues par certains footballeurs, elle apparaît fort utile. En revanche, par sa mise en œuvre, elle ne sert que des intérêts catégoriels et, sous couvert d’une entreprise qui se veut vertueuse, véhicule un message militant.
Une campagne parrainée par SOS Homophobie ne saurait être considérée comme étant dénuée de toute portée politique. Particulièrement avant-gardiste dans ses revendications (remplacer « sexe » par « genre » sur les documents officiels, principe d’autodétermination, y compris pour les mineurs, légalisation de la GPA, système de filiation déclaratif), l’association porte un message politique clair dont la désapprobation ne mérite pas nécessairement que soit jeté l’anathème sur toute pensée divergente. L’homosexualité n’est pas simplement considérée comme un état respectable, lié à l’intimité de chacun, mais bel et bien comme une lutte politique. En imposant des couleurs, des brassards et des slogans particulièrement identifiés, on favorise l’adhésion à un mode de pensée, celui qui consiste à envisager la société comme étant par nature patriarcale, oppressante, fondée sur une discrimination systémique où la personne homosexuelle est par essence une victime. Il en résulte une vision de la société qui amène à considérer que les homosexuels forment une communauté spécifique ayant légitimement droit à un statut particulier et à des revendications singulières.
En République, cela pose question, car l’aspiration est à l’égalité et non à la différenciation. C’est pour cela, par exemple, que l’on préfère parler de « mariage pour tous » et non de « mariage gay ». À l’inverse, la tendance au communautarisme est de nature à porter atteinte à l’universalisme du droit. Pour Bertrand Lambert, président des Panam Boyz, club ouvert à la diversité et partenaire de l’opération, « beaucoup de joueurs ne comprennent pas pourquoi on les oblige à porter ce maillot parce qu’il y a un manque de pédagogie». Le message d’ouverture censé être défendu n’est manifestement pas clair. Il mériterait d’être dépourvu de cette ambiguïté en passant par une démarche plus consensuelle.
Méthodes intimidantes
Ce genre de campagne s’inscrit dans ce que Régis Debray décrirait comme l’importation du modèle puritain de l’Europe protestante, par sa recherche obsessionnelle de la vertu et l’intimidation de ses opposants.
La prétention à faire régner le bien entraîne irrémédiablement le besoin de débusquer le mal et si possible publiquement. La quête de l’intégrité dérape facilement vers l’intégrisme. Pour régner, la vertu a besoin d’un instrument, la terreur. Elle appelle nécessairement l’intransigeance, favorise la loi des suspects et encourage la surenchère. Chacun en profite pour dénoncer plus haut et plus fort que son voisin, pour se donner bonne conscience et éprouver le sentiment du devoir accompli. La dénonciation des suspects s’accompagne de l’irrésistible tentation de succomber à l’attitude du paraître et à la pratique ostentatoire de l’indignation: porter un regard dénonciateur sur l’autre pour bien montrer que l’on est soi-même irréprochable.
Eric Roy, entraîneur de l’équipe de football de Brest, en a fait l’amère expérience après avoir critiqué non la campagne, mais le week-end choisi par la ligue de football pour l’organiser, en rappelant que « chacun est libre de ses opinions ». L’inconditionnalité des valeurs vertueuses n’appelant aucune nuance, il n’a pas pu lui être pardonné d’avoir eu la faiblesse de raisonner en entraîneur soucieux des considérations sportives. Le coupable est trouvé, la fuite en avant peut commencer. Peu importe qu’il ait rappelé être ambassadeur d’une association luttant contre les discriminations ou qu’il ait reconnu avoir « porté le brassard aux couleurs arc-en-ciel avec fierté et engagement », sa maladresse le rend moralement coupable et le dogme est répété en boucle: « l’homophobie n’est pas une opinion mais un délit ». Il ne suffit pas pour autant d’asséner 50 fois une affirmation pour qu’elle devienne une vérité.
En démocratie, un délit correspond à une qualification et à une procédure. La qualification de l’homophobie renvoie à l’existence d’une volonté de discriminer sur l’orientation sexuelle et à la commission d’une infraction (meurtre, viol, torture, vol, injures, menaces, provocations à la haine, diffamation). La procédure, c’est celle du procès équitable, au terme duquel le juge prononce la sanction. Avant son procès, le prévenu est protégé par un principe simple: la présomption d’innocence. Que l’on puisse reprocher à des joueurs de football de ne pas participer à une campagne de sensibilisation contre l’homophobie est une chose, céder à la facilité de penser qu’ils sont homophobes de ce fait en est une autre. Être moralement condamnable ne signifie pas pénalement coupable.
La lutte contre les discriminations a trop souvent tendance à être accaparée par des gardiens du temple autoproclamés qui s’admirent dans le rôle de dénonciateurs, assouvissent des besoins narcissiques d’accusation et se complaisent dans des postures morales qui desservent la cause qu’ils croient servir; ils ne combattent pas les discriminations, ils font la chasse au traitre. S’ils estiment être en présence d’un délit, qu’ils tirent alors les conclusions de leurs constatations en saisissant le procureur de la République afin que des poursuites pénales soient engagées. Il est parfaitement contradictoire de rester dans le confort moral de l’invocation de principes juridiques tout en ayant la faiblesse de ne pas en tirer les conséquences. Au mieux, le procédé qui consiste à dénoncer une infraction inexistante pour s’octroyer généreusement le rôle du rempart de la menace qu’on vient artificiellement de créer révèle une parfaite hypocrisie. Au pire, il s’apparente à de la diffamation.