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Maïwenn et Johnny Depp : le scandale du festival de Cannes

L'analyse de Sophie Bachat...


Maïwenn et Johnny Depp : le scandale du festival de Cannes
L'actrice, réalisatrice et scénariste française Maïwenn et l'acteur américain Johnny Depp au Festival de Cannes 2023. © Rocco Spaziani/SIPA

« Nous vivons une époque étrange, dans laquelle on ne peut plus être soi-même, mais je serai toujours moi-même. » Ainsi s’est exprimé, en substance, Johnny Depp, lors de la conférence de presse donnée par l’équipe du film Jeanne du Barry de la réalisatrice Maïwenn, et présenté en ouverture du festival de Cannes.


Ce film fait scandale pour de mauvaises raisons : c’est à dire la présence au casting de Johnny Depp, qui sort d’un procès qu’il a qualifié lui-même de fictionnel, après avoir été accusé de violences conjugales par son ex-compagne : Amber Heard. Il fut « cancellé » aussi sec par le tribunal de la terreur woke qu’est devenu Hollywood. Maïwenn, la culottée – ou la provocatrice – tente de le réhabiliter en lui offrant le rôle de Louis XV dans son dernier film, qu’elle dit porter en elle depuis seize ans : Jeanne du Barry.

Evidemment, la presse de gauche se déchaîne, étrille le film avec des arguments sans intérêt (j’y reviendrai). C’est désormais la routine, plus personne ne sait lire, analyser, regarder une œuvre, qu’elle soit littéraire ou cinématographique, sans chausser des lunettes idéologiques, et ce, à gauche comme à droite.

On entrevoit cependant quelques lueurs d’intelligence au Figaro, sous la plume d’Eric Neuhoff, qui trouve une certaine fraîcheur au film, et de Noémie Halioua, qui affirme que Maïwenn est plus féministe que toutes les féministes qui l’attaquent. Ce en quoi je la rejoins totalement. Et j’irai même plus loin. Maïwenn a des couilles. Maïwenn est un mec. Maïwenn n’a peur de rien.

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Après l’épisode Besson, qu’elle a épousé à l’âge de 15 ans (d’aucuns affirmeront que c’est pour cela qu’elle s’identifie tant à la du Barry), elle ne tomba pas en disgrâce, mais construisit sa carrière pierre par pierre, seule, avec une ténacité exemplaire. En effet, en 2003, elle écrit et interprète un one-woman-show : Le pois chiche, inspiré de son enfance chaotique. À la manière de Philippe Caubère, elle interprète tous les personnages. Ce spectacle est à son image : impudique et intense, et bénéficia d’un excellent bouche-à-oreille. Suite à cela, on ne l’arrête plus.  En 2006 sort Pardonnez moi, qu’elle filme caméra au poing, à fleur de peau. Jusqu’à son œuvre la plus aboutie : Polisse, qui connaît un succès critique et public. Maïwenn continue de déranger, elle est âpre, têtue, on la sent toujours prête à exploser, un peu à l’image de Pialat. Mais elle devient une réalisatrice qui compte. Et qui est respectée.

Bande-annonce de Jeanne du Barry (2023)

Certains critiques ont craché leur venin en qualifiant Jeanne du Barry d’ego trip. Et quand bien même ? Les artistes sont par essence égocentriques. Aurait-on reproché à Pialat (je ne compare évidemment pas le talent indéniable de Maïwenn au génie de Pialat, mais la comparaison s’est immédiatement imposée à moi), aurait-on donc reproché à Pialat de s’être payé un ego trip avec son film Van Gogh, à qui il s’identifiait, lui dont la peinture fut la première vocation ? Certainement pas, mais Pialat fut, de son vivant, car il était trop libre, un réprouvé.

Et puis, article après article, se sont enchaînés les poncifs, toujours les mêmes, comme si les journalistes s’étaient repassé leurs copies. Le film a été qualifié de « sous Barry Lindon ».  Effectivement, comme dans le film de Kubrick, des scènes sont éclairées à la bougie. Voyons-y plutôt un hommage. Et l’argument stupide et rabâché de l’accent de Johnny Depp, qui n’est d’ailleurs pas si prononcé. Il donne même une certaine distance intéressante au personnage de Louis XV, fort bien campé, au demeurant, par l’acteur : un roi fatigué, désabusé, à qui la du Barry – avec sa candeur et sa spontanéité – redonne un peu de vie.

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Personne, il me semble, n’a su repérer l’aspect qui est pour moi le plus intéressant du film. Il est intimiste, à mille lieux du cup cake géant qu’est le Marie-Antoinette de Sofia Coppola. En effet, la réalisatrice s’attache aux objets pour signifier les moments importants du film. Une crinoline abandonnée sur le sol, une bague représentant un portrait du roi, une assiette de fraises annonciatrice d’un coït à venir. A part la galerie des glaces, filmée comme un théâtre, Maïwenn ne montre jamais l’intérieur de Versailles dans sa magnificence. La chambre du roi est banale, petite et sombre.

Les vêtements de la favorite ont également une importance capitale. Nous savons qu’elle a imposé un style, et qu’elle faisait scandale avec ses tenues d’homme et ses robes à rayures. En effet, depuis le Moyen-Age, les rayures symbolisaient la liberté et la marginalité. Ce motif un peu maudit symbolise, finalement, Jeanne du Barry. Cette créature, comme l’appelaient les courtisans.

Autre chose. Au sein du couple qu’elle formait avec Louis XV, les rôles me semblent inversés. L’homme c’est Jeanne, c’est elle qui prend des initiatives. Celles de l’embrasser la première, de le regarder longuement dans les yeux devant la cour, scandalisée et médusée.

Jeanne, avec sa liberté, à l’image de Maïwenn, était un mec. La métaphore est un peu facile, mais au XVIIIème ce comportement faisait scandale à Versailles. Aujourd’hui il fait scandale à Cannes.



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est enseignante.

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