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Le fantasme fasciste

Ignorant les motivations historiques de l’antifascisme – la lutte contre les régimes fascistes -, les antifas actuels désignent comme « fachos » aussi bien l’Etat que le capitalisme ou le patriarcat. Une confusion qui alimente la radicalisation et la violence de ces black-bobos.


Entretien avec Gilles Vergnon. Maître de conférences, Gilles Vergnon enseigne l’histoire contemporaine à Sciences-Po Lyon. Il est spécialiste de l’histoire des gauches européennes et l’auteur de L’Antifascisme en France : de Mussolini à Le Pen, publié en 2009 aux Presses universitaires de Rennes. Propos recueillis par Maximilien Nagy.


Causeur. Lors des manifestations contre la réforme des retraites et les méga-bassines, nous avons vu ressurgir les mouvements antifas et autres « black blocs ». Que sait-on de ces mouvements?

Gilles Vergnon. Les mouvements antifas profitent aujourd’hui d’une « convergence des mécontentements » suscités par la gestion gouvernementale de la réforme des retraites. Le passage en force du gouvernement d’Élisabeth Borne en fait une cible facile pour les accusations de fascisme. Ce genre d’accusations n’est pas nouveau et a toujours été utilisé de manière hyperbolique par la gauche depuis les années 1930. À cette époque, l’on traitait de fasciste toutes les figures autoritaires et répressives de « droite », en amalgamant Mussolini, Hitler, Franco, les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque et d’autres encore. Cependant, cet amalgame s’appuyait sur l’existence d’un fascisme bien réel installé au pouvoir aux frontières de la France.

D.R.

Le « fascisme » incriminé aujourd’hui désigne les structures de l’État, spécialement la police, mais aussi le patriarcat, le capitalisme dans un amalgame hyperbolique visant une cible bien plus large que l’antifascisme historique qui désignait des partis présentés comme des ennemis de la République parlementaire. L’effondrement de la culture historique dans la société comme chez les militants antifas facilite l’opération.

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Quand les mouvements antifas violents que nous connaissons aujourd’hui sont-ils apparus en France ?

Dans les années 1990 certains mouvements étaient dirigés contre le Front national de Jean-Marie Le Pen, vu comme le dernier avatar du « fascisme ». Les deux principaux étaient Ras l’front, animé par la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), ancêtre du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), et le Manifeste contre le Front national, animé par Jean-Christophe Cambadélis, du Parti socialiste (PS), autodissous au début de ce siècle. Existaient aussi des groupes plus radicaux, prédécesseurs des « antifas » actuels, mais ils étaient contenus, partiellement canalisés par les partis politiques et les mouvements qui offraient des perspectives politiques aux jeunes, en les « rebranchant » sur une gauche ou une extrême gauche « classiques ». Aujourd’hui, la décomposition du PS et la disparition de la LCR dégagent un plus grand espace à la nébuleuse radicale dont l’on ne doit pas exagérer l’importance. C’est la crise politique actuelle qui braque l’attention sur elle, sans parler des calculs du gouvernement Macron pour incarner le parti de l’ordre.

Que peut-on dire de la sociologie des jeunes antifas qui participent aux actions dans ces manifestations ?

Dans son dernier ouvrage[1], le professeur allemand Richard Rohrmoser propose une étude sociologique des jeunes antifas allemands. Il pointe le profil universitaire de ces militants, souvent issus de familles de cadres supérieurs citadines, qui soutiennent en général une conception libertarienne de la société et contestent l’autorité. Sans généraliser ce portrait-robot, il est certain que le recrutement de ces militants se fait davantage dans les écoles normales supérieures que dans les lycées professionnels… Ils sont souvent révoltés contre le système, a-partisans et en même temps surpolitisés, méfiants à l’égard des partis de gauche et d’extrême gauche.

À Sainte-Soline, des affrontements très violents ont opposé des blacks blocs et des membres des Soulèvements de la terre aux forces de l’ordre. Pourquoi l’écologie est-elle devenue un domaine privilégié des antifas ?

La défense violente de l’environnement se nourrit d’une vision catastrophiste du monde. Le raisonnement de ces militants d’extrême gauche est relativement simple : « Le monde risque de s’écrouler dans quelques années, l’État refuse d’agir, voire empire la situation. Défendons donc par tous les moyens l’environnement contre ses agresseurs. » Certains courants extrémistes qui défilent dans les rues ne cachent pas qu’une dictature écologiste serait le seul moyen d’éviter que la planète disparaisse d’ici quelques années. La cohérence d’un tel horizon politique avec leurs idéaux libertaires me paraît d’ailleurs relativement douteuse… Autant dire que nous n’avons pas face à nous des militants au raisonnement intellectuel très poussé, ou avec une conception très claire d’une « société idéale ». En revanche, leur détermination à combattre les adversaires désignés de leur idéologie est entière et la violence est vue comme le moyen privilégié pour mener ce combat.

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Les antifas refusent toute forme d’action partisane et aucun parti de gauche ne semble vouloir les récupérer… Sont-ils par essence incontrôlables ?

Sans doute est-il trop tôt pour l’affirmer. La nouveauté de ces courants antifas, c’est l’absence de toute perspective de s’inscrire dans une coalition candidate au pouvoir, à la différence du Front populaire dont l’antifascisme était le ciment. Il semble que La France insoumise hésite. La radicalité de la LFI lors des précédents grands débats politiques l’a desservie électoralement, comme l’a montré la défaite de la candidate Nupes face à la candidate socialiste dissidente en Ariège. En même temps, les Insoumis évitent de condamner les violences des antifas contre la police. Pour l’avenir, on ne peut donc pas exclure que les Insoumis cherchent à recruter des militants au sein des mouvements antifas.

En revanche, le gouvernement a réussi, du moins à court terme, à associer les violences antifas avec la virulence des Insoumis, et à apparaître comme le garant de l’ordre et du respect des institutions. Mais le recours au 49-3 aura certainement des conséquences, notamment sur la désertion des urnes. Voire pire. Nous n’en sommes qu’au début d’un processus de radicalisation des antifas, qui pourrait même, dans un scénario extrême, se convertir en lutte armée. Cela s’est produit dans les années 1970 en Italie, avec la dérive violente d’une partie de l’extrême gauche et la création des Brigades rouges. Nous n’en sommes pas encore à ce degré-là, qui nécessiterait un point de bascule décisif et un climat social davantage dégradé. Enfin, pour qu’une forme de milice antifa voie le jour, il faudrait surtout un sérieux effort de structuration de ces mouvements dont nous sommes encore loin.

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[1] Antifa : Porträt einer linksradikalen Bewegung, von den 1920er Jahren bis heute, München, 2022 – « Les Antifa : portrait d’un mouvement d’extrême gauche, des années 1920 à nos jours », non traduit

Non, le gouvernement n’a pas fiché les élèves musulmans pendant l’Aïd!

Le ministère de l’Intérieur ayant demandé aux écoles de Toulouse de chiffrer le nombre d’élèves absents le jour de l’Aïd, en augmentation, les islamo-gauchistes exploitent et dénoncent un fichage religieux et « islamophobe » des élèves. Pourtant, un recensement visant à évaluer l’absentéisme n’a rien à voir avec un fichage. Les associations de gauche, SOS Racisme et Ligue des Droits de l’Homme, les partis LFI et EELV, vent debout contre les Secrétaires d’État Sarah El Haïry et Sonia Backès et le ministère de l’Intérieur, font la courte échelle aux islamistes dont ils reprennent le discours victimaire. Analyse.


Heureusement que le ridicule ne tue pas sinon la fausse affaire du « fichage des élèves musulmans » le jour de l’Aïd aurait abouti à une hécatombe chez certains enseignants, de nombreux politiques et chez les journalistes militants. L’histoire est assez simple. Le ministère de l’Intérieur a demandé aux établissements scolaires de transmettre le taux d’absentéisme des élèves le jour de l’Aïd. Le but était sans doute de voir si ce type d’absence, par ailleurs dûment autorisée, touchait énormément de monde ou non et de voir si cet absentéisme diminuait, était stable ou augmentait. Mais pour une certaine gauche, qui ne vit que de dénonciation de stigmatisations souvent imaginaires, a épousé le discours victimaire des islamistes et diffuse leurs éléments de langage, cette demande équivalait à un « fichage » des élèves musulmans visiblement préalable dans leurs représentations au « retour des heures les plus sombres de notre histoire ».

Être attaché à la tradition de l’Aïd n’a rien de radical ou de stigmatisant

Or on a un peu de mal à voir en quoi cette demande est violente, brutale et stigmatisante. S’il s’agit de s’interroger sur le fait qu’une communauté est, en nombre significatif, en rupture avec la civilité d’un pays, les principes, idéaux et lois qui fondent sa culture et son contrat social, on ne voit guère ce que cette information peut apporter. En effet, l’Aïd n’est pas seulement une fête religieuse, c’est une fête familiale et conviviale, l’équivalent de Noël sous nos latitudes. Si dans un pays non-chrétien, il était autorisé de déroger à l’obligation scolaire pour fêter Noël et si ce pays accueillait un grand nombre de chrétiens de culture ou de confession, il est probable que cette autorisation serait utilisée par un nombre élevé de personnes. On ne peut donc tirer aucune conclusion stigmatisante du fait que nombre de familles musulmanes aient choisi de ne pas mettre leurs enfants à l’école ce jour-là. On en déduira simplement un attachement à des traditions qui sont loin de signifier un acquiescement à une forme de radicalité.

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Par ailleurs, nul besoin de cette information pour mesurer l’influence importante des islamistes sur la communauté musulmane, la pénétration de leurs idées au sein de la jeunesse et les conséquences que cela induit sur les revendications de séparatisme. Tout cela est parfaitement renseigné. Dès 2016, l’institut Montaigne dans une étude montrait que 28% des musulmans étaient sous influence radicale (cela était particulièrement vrai chez les jeunes) et que 25%, qualifiés de « conservateurs », étaient très attachés à la charia. Cela faisait plus de 50% d’une communauté qui avait du mal à adhérer aux principes fondant notre contrat social. Cette étude a été complétée par une enquête auprès des jeunes lycéens d’Anne Muxel et Olivier Galland sur la tentation radicale, en 2018. Celle-ci montrait notamment un clivage important entre jeunes musulmans et non musulmans. Les premiers, à 70%, ne condamnaient pas les auteurs des attentats contre Charlie et l’hypercasher, quand les seconds les condamnaient massivement. Les sociologues analysaient ces écart en évoquant la prépondérance d’un effet islam. Les chiffres n’ont cessé de s’accumuler depuis lors et vont toujours dans le même sens, montrant un décrochage dans les références, les représentations et la vision du monde entre musulmans et non musulmans (sondage IFOP sur la pratique religieuse réalisés pour la Fondation Jean-Jaurès en 2019, pour le Comité Laïcité République en 2020 ou pour la Licra en 2021). Dans le sondage du CLR par exemple, 57% des jeunes musulmans considèrent la charia plus importante que les lois de la République (une augmentation de 10 points depuis 2016). Ils sont également 66% à s’opposer au droit des enseignants de montrer des caricatures ; chez les non-musulmans, ils sont 75% à soutenir au contraire cette possibilité. Les chiffres sont similaires sur la question du voile, donc à travers lui parlent de l’acceptation de l’égalité homme/femme. Il y a là un décrochage massif d’une population. Décrochage qui s’explique par l’influence de l’islam politique et par le travail de réislamisation qu’il effectue sur notre territoire. Il n’y a donc nul besoin d’information sur l’absentéisme au moment de l’Aïd pour constater qu’une part significative et de plus en plus importante de la communauté musulmane refuse les principes qui fondent les lois et la culture française. Force est de constater que si les chiffres sont à la fois signifiants, récurrents et en augmentation, le dire est toujours aussi risqué. Il faut donc parler « d’infime minorité » concernant cette dérive, même si les enquêtes montrent qu’il s’agit au contraire d’une majorité chez les plus jeunes. En tout cas on ne voit guère ce que les chiffres de l’absentéisme scolaire lors de l’Aïd permettent d’ajouter à ce constat. La gauche instrumentalise une nouvelle fois un non-évènement pour mettre en accusation le gouvernement, lancer des accusations en fascisme rampant et se draper dans une fausse vertu qui lui permet de se poser en distributeur de leçons universelles. Sans doute histoire de faire oublier qu’elle soigne une clientèle musulmane sous influence islamiste en laissant volontairement de côté ceux des musulmans qui aspirent à un rapport sécularisé à la religion et qui combattent une radicalité dont ils ont souffert parfois dans leur pays d’origine. Mais les républicains et les démocrates pourtant présents dans une partie de cette immigration, ancienne ou récente, ne les intéressent pas. Pour eux l’authentique musulmane ne saurait être que voilée et ils confondent sciemment musulmans et islamistes au profit des derniers.

Narratif de persécution

L’indignation des satellites de la gauche en perdition, SOS Racisme, la Ligue des Droits de l’Homme plonge également ses racines dans la volonté d’imposer un narratif de persécution des musulmans dans le débat public. Il faut dire que ces associations sont victimes d’entrisme et ont depuis longtemps délaissés leurs idéaux et leur histoire pour se faire les petits télégraphistes de la propagande islamo-gauchiste. Sarah El Haïry a donc eu raison de dénoncer l’instrumentalisation d’une fausse polémique et de pointer du doigt la mauvaise foi de ces associations. La réponse ne s’est faite pas fait attendre. Le tweet de Raquel Garrido est à ce titre exemplaire du déni de réalité et de la posture d’autorité visant non à chercher la vérité, mais à museler le débat: « S’en prendre à la Ligue des Droits de l’Homme, c’est s’en prendre aux droits de l’homme. S’en prendre à SOS Racisme, c’est s’en prendre à l’antiracisme ». Fermez le ban. Sauf que la dérive de ces associations est de plus en plus visible et qu’elles sont les premières à déshonorer leurs combats et à capitaliser sur une réputation qu’elles piétinent allégrement. Ces associations ne méritent plus le respect tant leur présent abolit leur passé, et encore moins des subventions publiques. Les excès et la bêtise du tweet de la députée LFI illustrent l’esprit totalitaire qui imprègne de plus en plus une partie de la gauche qui voudrait soumettre le réel à l’idéologie. S’il suffit d’afficher une cause juste alors qu’on la trahit dans ses combats réels pour devenir inattaquable, alors le totalitarisme a de beaux jours devant lui.

Le fait que cette affaire ait été montée en épingle parle plus de la dérive d’une certaine gauche que de celle du gouvernement. Refuser de le regarder en face participe à notre malheur collectif et empêche la reconstruction d’une force de gauche sociale, laïque et républicaine. Quant à la gauche autoritaire alliée des islamistes ? À défaut de convaincre l’électorat, elle exploite jusqu’au bout sa capacité de nuisance.

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Michel Houellebecq a changé

Michel Houellebecq publie aujourd’hui Quelques mois dans ma vie (Flammarion). L’écrivain a donné un entretien dense et sincère au JDD, où il est notamment revenu sur ses déboires avec son projet de film érotique ou avec le recteur de la Mosquée de Paris. On lui découvre une sagesse qu’on ne lui connaissait pas, observe notre chroniqueur.


Il n’y a que Michel Houellebecq pour me détourner avec bonheur des sujets politiques qui finissent par lasser, tant ils contraignent à des analyses répétitives ; même si on s’efforce, entre détestation et hyperbole, d’emprunter un chemin de mesure. On pourrait considérer qu’avec lui, on ne quitte jamais la politique tant son génie pour l’invention romanesque l’accorde, avec une intuition absolue, à tous les débats fondamentaux de notre société, à ses angoisses les plus douloureuses.
Il me semble que déjà, nous avons un nouveau Michel Houellebecq dans la forme qui, par rapport à l’ancien, cultive moins le paradoxe, la réponse désinvolte, les aperçus à compléter et une sorte d’indifférence qui paraissait le placer en position décalée à l’égard de l’interrogation, avec une attitude par avance fatiguée.

Partisan du RIP, défenseur de Depardieu, opposant à la GPA et à l’euthanasie

J’ai été frappé au contraire par l’investissement que Michel Houellebecq a mis dans ses répliques, reléguant la moindre incongruité au profit, le plus souvent, d’une approche raisonnable sans que jamais son tempérament exceptionnel et son intelligence décapante lui interdisent quelques points de vue stimulants. Par exemple, quand il déclare qu’être qualifié de droite l’avait toujours « un peu dérangé » mais que « populiste, ça me va ». Avec son adhésion au « référendum d’initiative populaire, à l’élection des juges, enfin à différentes mesures qui me paraissent propres à augmenter la démocratie. À la créer plutôt ». Et sa défiance à l’égard de la démocratie représentative.

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Il défend son ami Gérard Depardieu et, selon lui, « les femmes mentent tout simplement ».
Il maintient, sur le fond, son refus argumenté et moral de la GPA et de l’euthanasie, son inquiétude face à la baisse de la natalité, ses pensées lucidement conservatrices avec une modération dans les jugements qu’il porte, par exemple sur Emmanuel Macron. Avec une bienveillance toute particulière pour Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy qu’il félicite d’avoir traité les magistrats de « petits pois », ce qui me rassure: j’ai au moins un point de désaccord avec un écrivain et un intellectuel que j’admire. Ce qui n’empêche pas Michel Houellebecq d’être infiniment percutant sur les magistrats, la répression et les prisons. Il faut citer: « Indulgente avec des petites ordures brutales et dangereuses, surtout lorsqu’il s’agit de mineurs, la justice se veut impitoyable avec les puissants… J’insiste également sur l’élection des juges… Il n’est pas acceptable que les juges se refusent à prononcer des peines de prison parce qu’il n’y a pas de places de prison; c’est la responsabilité d’une autre administration que d’en créer, pas la leur ».

Porno: il a la certitude d’avoir été floué

Il y a, dans l’ensemble des échanges médiatiques dont Michel Houellebecq a bénéficié, comme un climat tranquille, une atmosphère presque sereine, des touches de contrition et de repentance: il regrette les propos extrêmes qu’il a tenus sur l’islam – il a un contentieux avec Michel Onfray à cause de la polémique qui a suivi avec le recteur de la Grande Mosquée de Paris – et se pare de tolérance à l’égard des apparences qui pourraient trancher avec nos habitudes sociales et culturelles, par exemple le burkini.

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Sans doute y a-t-il dans l’apparition de ce Michel Houellebecq moins sulfureux qu’équilibré la conséquence aussi de cet épisode dont il a pâti, qu’il dénonce dans son prochain livre et qui, sur le plan de la pornographie, lui pose question. Il a la certitude d’avoir été floué. Un sentiment surgit également, rare chez lui: celui de ne plus pouvoir tout se permettre à cause de ce qu’il est devenu, de ce que la multitude de ses lecteurs attendent de lui. N’étant plus seulement comptable de lui-même, il se résout subtilement à limiter sa liberté d’être pleinement Michel Houellebecq. Comme une responsabilité qui lui est tombée sur les épaules, un devoir sur son destin.
Michel Houellebecq, avec ces divers entretiens, a suivi la ligne qui avait été définie par son épouse, toute d’ironie tendre à son égard, si fine dans l’appréhension de ce mari hors du commun et indignée comme lui par la manipulation du film pornographique.
À la lecture de cet impressionnant autoportrait de Michel Houellebecq, au travers de toutes les réponses qu’il a livrées, j’ai perçu chez lui l’expression d’une provocation consubstantielle à sa personnalité – Michel Houellebecq n’aura jamais l’esprit ordinaire – mais atténuée par la découverte d’une sagesse qui le conduit dorénavant à poser, sur tout et quasiment sur tous, un regard d’aménité, de bienveillance critique ou de solidarité amicale. Plus rien de délibérément conflictuel, une humeur parfois inquiète, pessimiste mais sans la moindre ostentation: le futur sera comme cela… Cette morale qu’il proclame – « La vie m’ennuie mais je m’ennuie pas dans la vie » résume bien ce qu’il a su faire surgir de lui-même. Il y a là comme un écho d’un illustre devancier littéraire et politique: « Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie » (André Malraux).

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Plenel/Maïwenn: ils ne passeront pas leurs vacances ensemble

Le journaliste d’extrême gauche reproche à la réalisatrice son agressivité anti-Metoo et au festival de Cannes d’être complice de ce sacrilège. Le fondateur de Mediapart a choisi Variety pour répondre à la réalisatrice effrontée Maïwenn. Malin, le journaliste l’accuse d’être une anti #MeToo forcenée, ce qui est bien sûr très mal vu à Hollywood… « Cannes a choisi un symbole complètement fou comme sélection de sa soirée d’ouverture » s’est notamment indigné ce grand défenseur de nos amies les femmes auprès des Ricains.


C’est en train de devenir le feuilleton de ce printemps 2023, dans la rubrique « en voilà deux qui ne passeront pas leurs vacances ensemble ». Depuis quelques jours, la réalisatrice Maïwenn et le journaliste Edwy Plenel occupent l’espace médiatique. Elle, à Cannes, pour la sortie de Madame du Barry[1]. Lui, moustache toujours fièrement arborée[2], sur le site de Variety, magazine de référence du showbiz hollywoodien subitement passionné par les querelles du microcosme parisien (peut-être aussi parce que Johnny Depp joue dans le dernier film de Maïwenn). Entre les deux, une sordide affaire de cheveux tirés et de crachat au visage…

Grâce au magazine américain et à l’interview que lui a accordé Edwy Plenel, on en sait enfin un peu plus. C’est la fâcheuse manie de ce dernier à aller tripoter les fiches de police qui semble être au cœur de la bisbille. Maïwenn n’aurait pas tellement apprécié de voir les termes de sa déposition faite à la police lors de sa séparation avec Luc Besson ressortie à l’occasion d’une « enquête explosive » publiée par Mediapart, fin 2018.

Cinq ans après, et alors que l’affaire Besson a été classée sans suite depuis longtemps, Maïwenn – qui n’aurait jamais passé un coup de fil ou un mail de protestation entretemps – a saisi l’occasion d’une rencontre inopinée dans un restaurant pour s’en prendre au cuir chevelu délicat de Plenel. Lequel, dans sa plainte déposée, s’est dit « traumatisé par l’agression » ! C’est malin.

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Madame du Barry au cinéma, Madame Sans-Gêne dans la vie

Plus grave encore, selon Plenel, le fait d’avoir été l’objet de cette froide vengeance, cache un problème bien plus large : Maïwenn serait une anti #MeToo forcenée et couvrirait tout ce petit monde de cinéastes. Le crachat serait un acte politique pour protester contre le travail d’enquête de Mediapart sur les agressions sexuelles et le harcèlement dans l’industrie cinématographique. Il est vrai qu’en 2020, elle avait osé dire à Paris Match : « Quand j’entends des femmes se plaindre que les hommes ne s’intéressent qu’à leurs fesses, je leur dis : « Profitez-en car ça ne durera pas ! » » Madame du Barry au cinéma, mais Madame Sans-Gêne dans la vie, elle a aussi eu le culot de prendre Johnny Depp dans son dernier film, malgré les accusations de violences conjugales portées contre lui à l’époque du tournage, et pour lequel il a été absous.

Collages féministes: et Nabilla ?

« Cannes a choisi un symbole complètement fou comme sélection de sa soirée d’ouverture : un film de Maïwenn qui raconte l’histoire d’une courtisane en quête de pouvoir. La mythologie qui est mise en avant dans le film, couplée au casting de Johnny Depp, ses commentaires anti-#MeToo et maintenant cette agressivité dont elle semble être fière et qui fait rire les gens à la télé, ça veut dire quelque chose ». A Cannes, les néo-féministes vont dans le sens de Plenel. Elles se sont adonnées à leur loisir favori, le collage de rue, pour dénoncer la mise en lumière de l’acteur américain. « Sous le tapis la violence », « J’accuse l’homme, j’emmerde l’artiste », « Pouvoir, violence, souffrance, Cannes complice ». On les a moins entendues (en fait on ne les a pas entendues du tout), quand Nabilla a à son tour fait son apparition sur le tapis rouge de Cannes le samedi 20 mai. On se souvient partout de l’émotion suscitée en France quand un matin de novembre 2014, on apprit que la starlette de la téléréalité avait planté un couteau dans le thorax de son compagnon Thomas, manquant de lui ôter la vie. Ce dernier, moins rancunier que Maïwenn, épousa sa belle un peu plus tard.

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Edwy Plenel, l’oncle d’Amérique

Mais alors, pourquoi répondre à une interview si loin, en Amérique, dans un article en anglais ? Plenel raconte à Variety qu’aucun journaliste français n’aurait pris la peine de le contacter pour en savoir plus sur cette affaire de cheveux tirés. Cela en dirait long, selon lui, sur l’ambiance médiatique qui règnerait en France. Le petit monde du cinéma, dans l’hexagone, verrait quant à lui d’un mauvais œil le travail de sape de Médiapart, entravant sa liberté de création. Sans reprendre la vieille antienne mitterrandiste selon laquelle Edwy Plenel serait un agent de la CIA, le patron de Médiapart a certainement voulu se chercher de l’autre côté de l’Atlantique quelques alliés. En France, quand les vagues #MeToo, Black livesmatter et autres  monstruosités woke ont déferlé, quelques voix se sont élevées contre l’air du temps, un peu plus qu’ailleurs. Dès janvier 2018, un collectif de cent femmes signait une tribune (Catherine Deneuve, Catherine Millet et Elisabeth Lévy en tête) dans le Monde, défendant une « indispensable liberté d’être importunée » et s’alarmait des dérives de #MeToo. Finalement, ça doit donc être ça, la fameuse exception culturelle française.


[1] Sophie Bachat l’a vu pour nous et a aimé.

[2] Un jour, Laurent Baffie lui avait demandé : « quand tu fais un 69, ça fait velcro ? »

Journée contre l’homophobie dans le foot: une fausse bonne idée

Pour la 3e saison consécutive, la Ligue de football professionnelle a souhaité participer à la journée mondiale de lutte contre l’homophobie, le 17 mai, en imposant brassard ou flocage de maillots aux couleurs de l’arc-en-ciel. Si la démarche initiale part d’une louable intention, on a finalement assisté à une nouvelle manifestation du puritanisme woke, par la recherche obsessionnelle de la vertu et l’intimidation des opposants.


L’opération qui avait pour ambition de délivrer un « message de diversité, d’espoir et d’amour » a été accompagnée, comme attendu, d’innombrables polémiques de joueurs refusant, pour des considérations qui leur sont propres, de revêtir la tenue exigée.

L’initiative, aussi louable soit-elle, ne parvient donc pas à satisfaire les promesses de concorde et d’apaisement qu’elle est censée apporter. Bien au contraire, elle est intrinsèquement clivante car elle repose sur deux ambiguïtés. La première est celle d’un message qui se prétend universel mais qui se révèle militant. La seconde est celle d’une méthode qui relève non du droit mais de la posture morale.

Pédagogisme ou militantisme?

L’époque est à l’hétérogénéisation des sociétés, au dépassement historique de l’idée de nation, à la victoire du marché sur l’intérêt général et à la protection de chacun au détriment de tous. Quand plus grand-chose ne nous fédère, notre société ne sait plus quoi faire d’autre que célébrer des diversités.

De prime abord, par la simplicité de son énoncé, l’idée de lutter contre les discriminations est très séduisante. Par la réalité des souffrances vécues par certains footballeurs, elle apparaît fort utile. En revanche, par sa mise en œuvre, elle ne sert que des intérêts catégoriels et, sous couvert d’une entreprise qui se veut vertueuse, véhicule un message militant.

Une campagne parrainée par SOS Homophobie ne saurait être considérée comme étant dénuée de toute portée politique. Particulièrement avant-gardiste dans ses revendications (remplacer « sexe » par « genre » sur les documents officiels, principe d’autodétermination, y compris pour les mineurs, légalisation de la GPA, système de filiation déclaratif), l’association porte un message politique clair dont la désapprobation ne mérite pas nécessairement que soit jeté l’anathème sur toute pensée divergente. L’homosexualité n’est pas simplement considérée comme un état respectable, lié à l’intimité de chacun, mais bel et bien comme une lutte politique. En imposant des couleurs, des brassards et des slogans particulièrement identifiés, on favorise l’adhésion à un mode de pensée, celui qui consiste à envisager la société comme étant par nature patriarcale, oppressante, fondée sur une discrimination systémique où la personne homosexuelle est par essence une victime. Il en résulte une vision de la société qui amène à considérer que les homosexuels forment une communauté spécifique ayant légitimement droit à un statut particulier et à des revendications singulières.

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En République, cela pose question, car l’aspiration est à l’égalité et non à la différenciation. C’est pour cela, par exemple, que l’on préfère parler de « mariage pour tous » et non de « mariage gay ». À l’inverse, la tendance au communautarisme est de nature à porter atteinte à l’universalisme du droit. Pour Bertrand Lambert, président des Panam Boyz, club ouvert à la diversité et partenaire de l’opération, « beaucoup de joueurs ne comprennent pas pourquoi on les oblige à porter ce maillot parce qu’il y a un manque de pédagogie ». Le message d’ouverture censé être défendu n’est manifestement pas clair. Il mériterait d’être dépourvu de cette ambiguïté en passant par une démarche plus consensuelle.

Méthodes intimidantes

Ce genre de campagne s’inscrit dans ce que Régis Debray décrirait comme l’importation du modèle puritain de l’Europe protestante, par sa recherche obsessionnelle de la vertu et l’intimidation de ses opposants.

Marseille reçoit Angers lors de la 35e journée de Ligue 1 de football. Les joueurs étaient invités à soutenir le message « Homos ou hétéros, on porte tous le même maillot » lors de cette journée du championnat © ADIL BENAYACHE/SIPA

La prétention à faire régner le bien entraîne irrémédiablement le besoin de débusquer le mal et si possible publiquement. La quête de l’intégrité dérape facilement vers l’intégrisme. Pour régner, la vertu a besoin d’un instrument, la terreur. Elle appelle nécessairement l’intransigeance, favorise la loi des suspects et encourage la surenchère. Chacun en profite pour dénoncer plus haut et plus fort que son voisin, pour se donner bonne conscience et éprouver le sentiment du devoir accompli. La dénonciation des suspects s’accompagne de l’irrésistible tentation de succomber à l’attitude du paraître et à la pratique ostentatoire de l’indignation: porter un regard dénonciateur sur l’autre pour bien montrer que l’on est soi-même irréprochable.

Eric Roy, entraîneur de l’équipe de football de Brest, en a fait l’amère expérience après avoir critiqué non la campagne, mais le week-end choisi par la ligue de football pour l’organiser, en rappelant que « chacun est libre de ses opinions ». L’inconditionnalité des valeurs vertueuses n’appelant aucune nuance, il n’a pas pu lui être pardonné d’avoir eu la faiblesse de raisonner en entraîneur soucieux des considérations sportives. Le coupable est trouvé, la fuite en avant peut commencer. Peu importe qu’il ait rappelé être ambassadeur d’une association luttant contre les discriminations ou qu’il ait reconnu avoir « porté le brassard aux couleurs arc-en-ciel avec fierté et engagement », sa maladresse le rend moralement coupable et le dogme est répété en boucle: « l’homophobie n’est pas une opinion mais un délit ». Il ne suffit pas pour autant d’asséner 50 fois une affirmation pour qu’elle devienne une vérité.

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En démocratie, un délit correspond à une qualification et à une procédure. La qualification de l’homophobie renvoie à l’existence d’une volonté de discriminer sur l’orientation sexuelle et à la commission d’une infraction (meurtre, viol, torture, vol, injures, menaces, provocations à la haine, diffamation). La procédure, c’est celle du procès équitable, au terme duquel le juge prononce la sanction. Avant son procès, le prévenu est protégé par un principe simple: la présomption d’innocence. Que l’on puisse reprocher à des joueurs de football de ne pas participer à une campagne de sensibilisation contre l’homophobie est une chose, céder à la facilité de penser qu’ils sont homophobes de ce fait en est une autre. Être moralement condamnable ne signifie pas pénalement coupable.

La lutte contre les discriminations a trop souvent tendance à être accaparée par des gardiens du temple autoproclamés qui s’admirent dans le rôle de dénonciateurs, assouvissent des besoins narcissiques d’accusation et se complaisent dans des postures morales qui desservent la cause qu’ils croient servir; ils ne combattent pas les discriminations, ils font la chasse au traitre. S’ils estiment être en présence d’un délit, qu’ils tirent alors les conclusions de leurs constatations en saisissant le procureur de la République afin que des poursuites pénales soient engagées. Il est parfaitement contradictoire de rester dans le confort moral de l’invocation de principes juridiques tout en ayant la faiblesse de ne pas en tirer les conséquences. Au mieux, le procédé qui consiste à dénoncer une infraction inexistante pour s’octroyer généreusement le rôle du rempart de la menace qu’on vient artificiellement de créer révèle une parfaite hypocrisie. Au pire, il s’apparente à de la diffamation.

Causeur est victime de la censure woke!

Chers lecteurs, chers abonnés,


Nous souhaitons vous alerter à propos d’un incident majeur qui touche Causeur.

Depuis quelques mois nous n’avons plus le « droit » de placer des publicités sur le site de causeur.fr car toutes les régies publicitaires ont décidé de nous blacklister et ainsi de nous priver d’une source de revenus essentielle à notre équilibre économique déjà précaire.

Il s’agit, ni plus ni moins, d’une guerre économique menée contre Causeur par des collectifs comme Sleeping Giants souhaitant nous faire taire en frappant au portefeuille. Ils font pression par des campagnes de « shaming » et d’intimidation sur les réseaux sociaux à l’encontre des entreprises « annonceurs » pour les dissuader de placer des publicités sur notre site causeur.fr.

Les régies gérant leurs budgets publicitaires ont ainsi décidé de ne plus travailler avec nous.

Ces collectifs de la censure ne nous reprochent pourtant pas des propos illégaux – qu’ils n’auraient pas hésité à signaler à la justice s’ils existaient –  mais tout simplement parce que le contenu de nos articles ne leur plaît pas… Les entreprises, surtout les grandes marques, déjà en plein « clientélisme woke », cèdent facilement à ce qu’on peut qualifier de chantage à la réputation.


Le Sleeping Giants, très efficaces sur les réseaux, organisent des campagnes d’intimidation envers les entreprises « annonceurs ». © Captures Twitter.


Tous nos efforts pour remplacer les régies ont échoué pour le moment et notre budget est désormais amputé de plusieurs milliers d’euros par an.    

Dans cette guerre économique et face à ceux qui essaient de nous asphyxier pour nous faire taire, nous avons besoin de votre aide. Nous nous battons et gérons au mieux nos moyens mais sans votre soutien et votre générosité nous n’y arriverons pas.   

Chaque abonnement et chaque don sont essentiels pour remplacer les recettes dont nous privent ces ennemis de la liberté et du débat d’idées.

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Vertu de la patience

Le film iranien « L’odeur du vent » de Hadi Mohaghegh est d’une sensibilité rare. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ça au cinéma!


À mille lieues des drames sociaux et conjugaux en milieu urbain dont le très fécond cinéma iranien actuel est coutumier, L’odeur du vent nous projette dans ces confins ruraux du monde perse, où ce qu’il est convenu d’appeler, sous nos latitudes, « l’aménagement du territoire » n’a pas encore atteint l’horizon de ces villages isolés. Le téléphone portable y reste une rareté, l’eau courante un mirage, le courant électrique une fourniture capricieuse. Fait exclusivement de plans fixes au chromatisme délicat, composés avec un soin tout pictorialiste, ce film à la lenteur hypnotique ne rebutera que les camés à la série TV, ontologiquement indifférents à la plastique formelle du Septième art –  soit probablement beaucoup de monde, hélas, par les temps qui courent. Mais, comme certains livres leurs lecteurs, les films auront toujours les spectateurs qu’ils méritent…

(c) Bodega Films

Le corps déformé par une paraplégie qui l’oblige à se traîner au sol pour se mouvoir, un homme élève seul son fils, probablement atteint de paralysie (décidément !), car alité dans une position immuable. Ce père « handicapé moteur » plutôt courageux fournit le voisinage en décoctions médicinales qu’il arrache à grand peine du roc de la montagne – le maigre pécule qu’il en tire est manifestement sa seule ressource. Adversité supplémentaire, soudain c’est la panne d’électricité. L’infirme se déplace péniblement jusqu’au hameau pour solliciter, via le portable d’un habitant mieux loti, l’intervention d’un électricien sur le transformateur proche de la masure qu’il occupe avec son enfant. Voilà pour l’entrée en matière. Se pointe, en voiture, le préposé du réseau électrique (joué par le cinéaste lui-même, Hadi Mohaghegh, mécanicien automobile de son état, avant que de devenir dans les années 1990 acteur et metteur en scène, puis assistant de plusieurs réalisateurs, et enfin cinéaste). Grimpant au mât du transformateur défaillant, le technicien tente de le réparer. Mais une pièce est manquante.

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Road movie d’un genre un peu particulier, on l’aura compris, L’odeur du vent (titre français moins approprié que Derb, le titre original, qui en langue régionale, signifie « sol dur ») accompagne les étapes d’un chemin de croix: celui de ce fonctionnaire diligent et secourable qui, doué d’une patience véritablement angélique, sacrifiera son temps sans compter, malgré les contrariétés qui s’accumulent (douille hors d’usage, adresse mal comprise, automobile ensablée dans une flaque d’eau, panne de moteur…) Son seul dessein: sortir le pauvre hère du pétrin.

Endossant avec simplicité cette figure de la sainteté, Hadi Mohaghegh fait moins œuvre pie qu’il ne célèbre, avec beaucoup de grâce et sans une once de mièvrerie, la pure bonté dans son expression banale. Générosité qui se décline dans les gestes les plus ordinaires, comme celui de cueillir un bouquet pour cet aveugle, au lieu même de son rendez-vous galant – une des belles scènes du film. L’intense sobriété de cette œuvre paysagiste n’est évidemment pas sans rappeler la plastique tout à la fois épurée, finement construite et hautement graphique du regretté Abbas Kiarostami, son compatriote.


L’odeur du vent (Derb). Film de Hadi Mohaghegh. Avec Mohammad Eghbali, Hadi Mohaghegh. Iran, 2022, couleur. Durée: 1h30. En salles le 24 mai 2023.

L’autre «transition» des écolos

Ma chère Augustine, je t’écris depuis Paris qui se trouve dans un grand ensemble qu’on appelle l’Europe, et je m’émerveille chaque jour que Dieu fait encore chez nous de ce qu’il défait en ces lieux


Figure-toi qu’il y a ici des gens qu’on appelle des « écologistes » et qui rappellent qu’il existe des lois naturelles élémentaires selon lesquelles on ne donne pas de farine animale aux vaches, ce en quoi nous ne pouvons que les approuver, n’est-ce pas ? Car qui dit vache dit herbe, dit pré et qu’elles gambadent bon sang !

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D’autre part, ils disent qu’on n’encage pas les poules les unes sur les autres, car à la fin on n’a même plus besoin de les déplumer, elles s’en sont chargées elles-mêmes ! Et ils affirment qu’on laisse un sol en jachère de sorte qu’il puisse se reconstituer, ce qui va de soi.
Te rends-tu compte, ma chère Augustine à quoi ce qu’ils appellent « le progrès » les avait menés ? Heureusement, ces gens qu’on appelle donc des « écologistes » veillent au grain si j’ose dire, et remettent à l’endroit ce qui avait été mis de travers.

Image d’illustration Unsplash.

Mais chose étrange, absolument étrange et que tu auras peine à croire, seuls les humains échappent à la règle. C’est on ne peut plus curieux; c’est un paradoxe que je ne m’explique pas. Mais que je te narre l’affaire: ici, on ne discute plus du sexe des anges; non, ça n’intéresse plus personne. En revanche, par une curieuse opération du Saint-Esprit, les êtres humains n’auraient plus de sexe à la naissance. Oui oui, comme je te le dis ! On ne naît plus garçon ou fille; on peut choisir son genre tout au long de sa vie; ils appellent cela « transitionner » et tu peux, ma bonne amie, transitionner autant de fois que tu veux. Enfin, jusqu’à un certain point, parce que sans rentrer dans des détails qui offenseraient notre mutuelle pudeur, on ne peut pas à l’infini, enlever, remettre, enlever, remettre etc. On ne peut d’ailleurs le faire, il me semble, qu’une seule fois; sans compter que l’on doit prendre moultes potions et qui sont bien amères pour la santé.
Mais enfin, que je te rassure, tout le monde n’est pas obligé de faire cela et la plupart s’en tiennent au « sexe à signer » à la naissance. Encore un mystère que cette chose-là, car normalement on ne sait ni lire ni écrire au sortir du ventre de sa mère, mais sans doute sont-ce les parents qui le font ?

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Ce qui m’échappe totalement dans les mœurs de ces gens là, c’est qu’ils puissent revenir à la raison pour tout ce qui les entoure et la perdre pour ce qui les concerne.
Par ailleurs, il n’y aurait donc plus deux sexes comme nous l’avons toujours connu, et pourtant, lorsqu’ils « transitionnent », c’est toujours pour prendre le sexe de l’autre. On ne voit personne demander à se transformer en chaise à porteur ou en métier à tisser. Ils restent donc dans les catégories qui nous sont familières tout en disant qu’elles n’existent pas; comprends-tu une chose pareille ?!
Décidément, ce voyage me laisse perplexe et me donne passablement la berlue. Je ne serai pas mécontente de retrouver notre XVIIIe siècle, nos verts pâturages et la différence sexuelle qui fait le bonheur que l’on sait…
Ta cousine Thérèse.

Mitterrand le mytho

Avec son nouvel essai En bande organisée, le journaliste Sébastien Le Fol revient sur la jeunesse droitière de François Mitterrand. Encore?


Le thème n’est en effet plus tout à fait nouveau. Depuis Une jeunesse française de Pierre Péan jusqu’aux plus récentes Vies parallèles de Michel Onfray, plus grand-chose n’est ignoré des turpitudes du jeune Mitterrand – la francisque, l’amitié avec René Bousquet… Ce nouveau livre s’intéresse à l’épineuse question de la jeunesse du président français (1981-1995), sous l’angle de la petite bande d’ambitieux copains qui s’est constituée au 104 de la rue Vaugirard, chez les pères maristes.

Un quarteron de mousquetaires provinciaux

François Dalle, André Bettencourt (tous deux passés à la tête de L’Oréal, généreux sponsor des débuts politiques de Mitterrand) et Pierre de Bénouville (celui qui fut le plus proche de François Mitterrand parmi la bande puisqu’il l’a connu au collège d’Angoulême), tel était le quarteron de mousquetaires provinciaux, qui n’a cessé de se faire la courte échelle. La petite bande n’ignore rien de la seconde vie de Mitterrand et de l’existence de sa fille cachée, et en ricane allègrement…

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Président, Mitterrand hésite même un temps à nommer son vieux copain Bettencourt, ancien ministre de De Gaulle et Pompidou, à Matignon, en 1986, après la victoire de la droite aux législatives. Député RPR dans les années 80, Pierre de Bénouville monte au filet, de son côté, pour défendre son vieux camarade Mitterrand quand les jeunes loups de la droite de l’époque (François d’Aubert, Jacques Toubon ou Alain Madelin) s’en prennent au passé trouble du président. Passé trouble dont on ne savait pas encore grand-chose, hormis quelques entrefilets qui circulaient dans des feuilles de chou d’extrême droite suffisamment confidentielles et marginales pour rester inaperçues. Il n’y a que la menace de la nationalisation de Dassault – dont Bénouville est l’éminence grise – au moment du programme commun, qui a failli écorner l’indéfectible amitié. Pour le reste, Bénouville est reçu à l’Élysée tard le soir et donne son avis sur la composition du gouvernement. On finit presque par s’imaginer Bénouville en conseiller occulte du président… Mais il faut revenir au Paris des années 30. Le jeune Mitterrand commence par naviguer dans le turbulent Quartier Latin, manifestant tantôt contre « l’invasion métèque », signant tantôt des articles qui s’en prennent au « dehors », lequel aurait contaminé l’esprit national… Bref, François Mitterrand a politiquement une bonne droite, et cela ne va pas s’arranger après la débâcle de 1940. Attiré par les marges politiques, la canaille et l’esprit de bande, il y a dans l’entourage de Mitterrand des Cagoulards un peu partout, au point de se demander s’il n’a pas lui aussi plus ou moins appartenu à cette organisation qui avait projeté de renverser la République au prix d’un complot militaire. Jean Charbonnel, gaulliste de gauche que le journaliste a fréquenté peu avant sa mort et qui a étudié le dossier, approchait à la fin de sa vie de cette conclusion. Il faut bien dire que certaines archives ont mal résisté aux passages opportuns de Mitterrand à la tête des ministères de la Justice et de l’Intérieur durant les années 50…


Ouvriers de la vingt-troisième heure, voire de la vingt-cinquième…

Des écrits, la bande des quatre en a pourtant laissé. Pendant la guerre, dans La Terre française, revue agricole vichyste, André Bettencourt se lâche contre les Juifs, les francs-maçons. Sans basculer tout à fait dans le collaborationnisme, Bettencourt ne contient pas une certaine admiration pour ce qu’est en train de devenir l’Allemagne, à la suite d’un voyage outre-Rhin en 1939 auquel participe… un certain Mitterrand François. Quelques décennies plus tard, quand il évince Jean Frydman, administrateur israélien d’une filiale de L’Oréal, sous la pression de la Ligue arabe, et que les écrits de jeunesse refont surface, évidemment, ça ne fait pas très bonne impression.

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Heureusement, la bande avait fini par rejoindre la Résistance, plus ou moins tôt. Ouvriers de la vingt-troisième heure, voire de la vingt-cinquième pour Bettencourt, dont les premiers indices de participation à la Résistance ne remontent pas avant juillet 44, ils sont des figures « vichysto-résistantes », un temps séduits par la Révolution nationale, et ralliés à la France Libre ensuite, jouant parfois un double jeu.

Leurs parcours illustrent la complexité de l’époque, à mille lieux du schéma manichéen dessiné après-guerre entre bons et méchants – récit simplificateur que la gauche mitterrandienne n’a pas peu contribué à perpétuer.

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Immigration: les LR en ont-ils fini avec le terrorisme intellectuel de gauche?

Elisabeth Lévy se réjouit de l’offensive de LR sur l’immigration. Eric Ciotti aimerait que la France s’inspire du Danemark sur cette question. Le parti, hier divisé sur la réforme des retraites, joue ici sa survie politique et veut forcer la majorité macroniste à se positionner sur ses propositions.


Les propositions des Républicains sur l’immigration sont-elles crédibles ? On peut, comme Ivan Rioufol, ironiser sur cette droite qui découvre la lune. Mais, c’est finalement préférable au déni et à la soumission au terrorisme intellectuel de la gauche, laquelle empêche depuis 30 ans la droite de satisfaire ses électeurs sur ce sujet. Comme nous le savons, il ne fallait pas « faire le jeu du FN ». Oui, bien sûr, cette droite a ânonné que l’immigration était une chance-pour-la-France. Mais alors que la macronie patauge, écartelée entre les électeurs et les bons sentiments, on ne va pas se plaindre de cette prise de conscience, aussi tardive soit-elle.

Vers l’immigration presque-zéro

On peut aussi, comme Éric Zemmour, trouver que cette droite manque d’ambition, puisqu’elle continue à expliquer que l’immigration zéro est un fantasme et qu’il faut une immigration « choisie ».

A relire: Marlène Schiappa: «Les Français attendent qu’on règle leurs problèmes, pas qu’on fasse la gueule»

Avec les millions d’immigrés clandestins déjà présents sur notre territoire et les descendants d’immigrés qui ne s’intègrent pas et s’assimilent encore moins (la conséquence de 40 ans d’errements), relancer la machine à fabriquer des Français est déjà un défi considérable. Les Français veulent qu’on arrête les flux. On n’arrivera peut-être pas à l’immigration presque-zéro. Mais cela devrait être l’objectif.

Ces projets sont-ils de la poudre aux yeux ?

Non! Peut-être Eric Ciotti (le président de LR), Bruno Retailleau (le chef des sénateurs LR), et Olivier Marleix (le chef des députés LR), ne vont-ils pas assez loin, mais ils proposent tout de même l’essentiel: permettre à la France de recouvrer sa souveraineté en donnant au parlement la possibilité de contrer une législation européenne ou internationale contraire à nos intérêts nationaux. Traduction: que cela plaise ou pas à M. Scholz, nous avons le droit de décider qui nous accueillons ! Je concède que l’idée d’inscrire l’assimilation dans la Constitution ressemble à une proclamation d’intention pour se faire plaisir.

A lire aussi: Olivier Marleix (LR): “Aucune réforme des retraites n’a jamais été populaire”

En revanche, plusieurs mesures de bon sens figurent dans ces deux textes de loi proposés par LR. 1) Le rétablissement du délit de séjour irrégulier. Une loi que l’on peut transgresser sans conséquences, on ne voit pas très bien à quoi cela sert ! 2) Il n’y aura plus une seule prestation sociale pour les clandestins, plus de « pompe aspirante ». Cette seule mesure devrait dissuader pas mal de candidats… 3) L’examen des demandes d’asile à l’étranger. 4) Quant au rétablissement de la double-peine et l’expulsion des clandestins avec mesures de rétorsions: attendons de voir.

En supposant qu’on parvienne effectivement à stopper ou à réduire drastiquement les arrivées, il n’est cependant pas sûr que cela suffise à enrayer le changement démographique et le glissement de la France vers le multiculturalisme.

Mais, alors qu’on nous serine depuis des décennies qu’en matière migratoire la France ne peut rien seule et que les migrants viendront de toute façon, les dirigeants de LR, qui jouent sur ce dossier leur survie, nous disent : oui, c’est possible, nous pouvons contrôler nos frontières. Et ça, c’est une révolution copernicienne.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale, du lundi au jeudi après le journal de 8 heures.

Le fantasme fasciste

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Saccage d'un bâtiment de l'université de Caen, 16 avril 2023. © D.R.

Ignorant les motivations historiques de l’antifascisme – la lutte contre les régimes fascistes -, les antifas actuels désignent comme « fachos » aussi bien l’Etat que le capitalisme ou le patriarcat. Une confusion qui alimente la radicalisation et la violence de ces black-bobos.


Entretien avec Gilles Vergnon. Maître de conférences, Gilles Vergnon enseigne l’histoire contemporaine à Sciences-Po Lyon. Il est spécialiste de l’histoire des gauches européennes et l’auteur de L’Antifascisme en France : de Mussolini à Le Pen, publié en 2009 aux Presses universitaires de Rennes. Propos recueillis par Maximilien Nagy.


Causeur. Lors des manifestations contre la réforme des retraites et les méga-bassines, nous avons vu ressurgir les mouvements antifas et autres « black blocs ». Que sait-on de ces mouvements?

Gilles Vergnon. Les mouvements antifas profitent aujourd’hui d’une « convergence des mécontentements » suscités par la gestion gouvernementale de la réforme des retraites. Le passage en force du gouvernement d’Élisabeth Borne en fait une cible facile pour les accusations de fascisme. Ce genre d’accusations n’est pas nouveau et a toujours été utilisé de manière hyperbolique par la gauche depuis les années 1930. À cette époque, l’on traitait de fasciste toutes les figures autoritaires et répressives de « droite », en amalgamant Mussolini, Hitler, Franco, les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque et d’autres encore. Cependant, cet amalgame s’appuyait sur l’existence d’un fascisme bien réel installé au pouvoir aux frontières de la France.

D.R.

Le « fascisme » incriminé aujourd’hui désigne les structures de l’État, spécialement la police, mais aussi le patriarcat, le capitalisme dans un amalgame hyperbolique visant une cible bien plus large que l’antifascisme historique qui désignait des partis présentés comme des ennemis de la République parlementaire. L’effondrement de la culture historique dans la société comme chez les militants antifas facilite l’opération.

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Quand les mouvements antifas violents que nous connaissons aujourd’hui sont-ils apparus en France ?

Dans les années 1990 certains mouvements étaient dirigés contre le Front national de Jean-Marie Le Pen, vu comme le dernier avatar du « fascisme ». Les deux principaux étaient Ras l’front, animé par la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), ancêtre du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), et le Manifeste contre le Front national, animé par Jean-Christophe Cambadélis, du Parti socialiste (PS), autodissous au début de ce siècle. Existaient aussi des groupes plus radicaux, prédécesseurs des « antifas » actuels, mais ils étaient contenus, partiellement canalisés par les partis politiques et les mouvements qui offraient des perspectives politiques aux jeunes, en les « rebranchant » sur une gauche ou une extrême gauche « classiques ». Aujourd’hui, la décomposition du PS et la disparition de la LCR dégagent un plus grand espace à la nébuleuse radicale dont l’on ne doit pas exagérer l’importance. C’est la crise politique actuelle qui braque l’attention sur elle, sans parler des calculs du gouvernement Macron pour incarner le parti de l’ordre.

Que peut-on dire de la sociologie des jeunes antifas qui participent aux actions dans ces manifestations ?

Dans son dernier ouvrage[1], le professeur allemand Richard Rohrmoser propose une étude sociologique des jeunes antifas allemands. Il pointe le profil universitaire de ces militants, souvent issus de familles de cadres supérieurs citadines, qui soutiennent en général une conception libertarienne de la société et contestent l’autorité. Sans généraliser ce portrait-robot, il est certain que le recrutement de ces militants se fait davantage dans les écoles normales supérieures que dans les lycées professionnels… Ils sont souvent révoltés contre le système, a-partisans et en même temps surpolitisés, méfiants à l’égard des partis de gauche et d’extrême gauche.

À Sainte-Soline, des affrontements très violents ont opposé des blacks blocs et des membres des Soulèvements de la terre aux forces de l’ordre. Pourquoi l’écologie est-elle devenue un domaine privilégié des antifas ?

La défense violente de l’environnement se nourrit d’une vision catastrophiste du monde. Le raisonnement de ces militants d’extrême gauche est relativement simple : « Le monde risque de s’écrouler dans quelques années, l’État refuse d’agir, voire empire la situation. Défendons donc par tous les moyens l’environnement contre ses agresseurs. » Certains courants extrémistes qui défilent dans les rues ne cachent pas qu’une dictature écologiste serait le seul moyen d’éviter que la planète disparaisse d’ici quelques années. La cohérence d’un tel horizon politique avec leurs idéaux libertaires me paraît d’ailleurs relativement douteuse… Autant dire que nous n’avons pas face à nous des militants au raisonnement intellectuel très poussé, ou avec une conception très claire d’une « société idéale ». En revanche, leur détermination à combattre les adversaires désignés de leur idéologie est entière et la violence est vue comme le moyen privilégié pour mener ce combat.

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Les antifas refusent toute forme d’action partisane et aucun parti de gauche ne semble vouloir les récupérer… Sont-ils par essence incontrôlables ?

Sans doute est-il trop tôt pour l’affirmer. La nouveauté de ces courants antifas, c’est l’absence de toute perspective de s’inscrire dans une coalition candidate au pouvoir, à la différence du Front populaire dont l’antifascisme était le ciment. Il semble que La France insoumise hésite. La radicalité de la LFI lors des précédents grands débats politiques l’a desservie électoralement, comme l’a montré la défaite de la candidate Nupes face à la candidate socialiste dissidente en Ariège. En même temps, les Insoumis évitent de condamner les violences des antifas contre la police. Pour l’avenir, on ne peut donc pas exclure que les Insoumis cherchent à recruter des militants au sein des mouvements antifas.

En revanche, le gouvernement a réussi, du moins à court terme, à associer les violences antifas avec la virulence des Insoumis, et à apparaître comme le garant de l’ordre et du respect des institutions. Mais le recours au 49-3 aura certainement des conséquences, notamment sur la désertion des urnes. Voire pire. Nous n’en sommes qu’au début d’un processus de radicalisation des antifas, qui pourrait même, dans un scénario extrême, se convertir en lutte armée. Cela s’est produit dans les années 1970 en Italie, avec la dérive violente d’une partie de l’extrême gauche et la création des Brigades rouges. Nous n’en sommes pas encore à ce degré-là, qui nécessiterait un point de bascule décisif et un climat social davantage dégradé. Enfin, pour qu’une forme de milice antifa voie le jour, il faudrait surtout un sérieux effort de structuration de ces mouvements dont nous sommes encore loin.

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[1] Antifa : Porträt einer linksradikalen Bewegung, von den 1920er Jahren bis heute, München, 2022 – « Les Antifa : portrait d’un mouvement d’extrême gauche, des années 1920 à nos jours », non traduit

Non, le gouvernement n’a pas fiché les élèves musulmans pendant l’Aïd!

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La Secrétaire d'État à la citoyenneté, Sonia Backès (image d'archive), a dû répondre aux attaques infamantes de la gauche accusant le gouvernement d'avoir fiché les élèves musulmans. © Arnaud Andrieu/SIPA

Le ministère de l’Intérieur ayant demandé aux écoles de Toulouse de chiffrer le nombre d’élèves absents le jour de l’Aïd, en augmentation, les islamo-gauchistes exploitent et dénoncent un fichage religieux et « islamophobe » des élèves. Pourtant, un recensement visant à évaluer l’absentéisme n’a rien à voir avec un fichage. Les associations de gauche, SOS Racisme et Ligue des Droits de l’Homme, les partis LFI et EELV, vent debout contre les Secrétaires d’État Sarah El Haïry et Sonia Backès et le ministère de l’Intérieur, font la courte échelle aux islamistes dont ils reprennent le discours victimaire. Analyse.


Heureusement que le ridicule ne tue pas sinon la fausse affaire du « fichage des élèves musulmans » le jour de l’Aïd aurait abouti à une hécatombe chez certains enseignants, de nombreux politiques et chez les journalistes militants. L’histoire est assez simple. Le ministère de l’Intérieur a demandé aux établissements scolaires de transmettre le taux d’absentéisme des élèves le jour de l’Aïd. Le but était sans doute de voir si ce type d’absence, par ailleurs dûment autorisée, touchait énormément de monde ou non et de voir si cet absentéisme diminuait, était stable ou augmentait. Mais pour une certaine gauche, qui ne vit que de dénonciation de stigmatisations souvent imaginaires, a épousé le discours victimaire des islamistes et diffuse leurs éléments de langage, cette demande équivalait à un « fichage » des élèves musulmans visiblement préalable dans leurs représentations au « retour des heures les plus sombres de notre histoire ».

Être attaché à la tradition de l’Aïd n’a rien de radical ou de stigmatisant

Or on a un peu de mal à voir en quoi cette demande est violente, brutale et stigmatisante. S’il s’agit de s’interroger sur le fait qu’une communauté est, en nombre significatif, en rupture avec la civilité d’un pays, les principes, idéaux et lois qui fondent sa culture et son contrat social, on ne voit guère ce que cette information peut apporter. En effet, l’Aïd n’est pas seulement une fête religieuse, c’est une fête familiale et conviviale, l’équivalent de Noël sous nos latitudes. Si dans un pays non-chrétien, il était autorisé de déroger à l’obligation scolaire pour fêter Noël et si ce pays accueillait un grand nombre de chrétiens de culture ou de confession, il est probable que cette autorisation serait utilisée par un nombre élevé de personnes. On ne peut donc tirer aucune conclusion stigmatisante du fait que nombre de familles musulmanes aient choisi de ne pas mettre leurs enfants à l’école ce jour-là. On en déduira simplement un attachement à des traditions qui sont loin de signifier un acquiescement à une forme de radicalité.

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Par ailleurs, nul besoin de cette information pour mesurer l’influence importante des islamistes sur la communauté musulmane, la pénétration de leurs idées au sein de la jeunesse et les conséquences que cela induit sur les revendications de séparatisme. Tout cela est parfaitement renseigné. Dès 2016, l’institut Montaigne dans une étude montrait que 28% des musulmans étaient sous influence radicale (cela était particulièrement vrai chez les jeunes) et que 25%, qualifiés de « conservateurs », étaient très attachés à la charia. Cela faisait plus de 50% d’une communauté qui avait du mal à adhérer aux principes fondant notre contrat social. Cette étude a été complétée par une enquête auprès des jeunes lycéens d’Anne Muxel et Olivier Galland sur la tentation radicale, en 2018. Celle-ci montrait notamment un clivage important entre jeunes musulmans et non musulmans. Les premiers, à 70%, ne condamnaient pas les auteurs des attentats contre Charlie et l’hypercasher, quand les seconds les condamnaient massivement. Les sociologues analysaient ces écart en évoquant la prépondérance d’un effet islam. Les chiffres n’ont cessé de s’accumuler depuis lors et vont toujours dans le même sens, montrant un décrochage dans les références, les représentations et la vision du monde entre musulmans et non musulmans (sondage IFOP sur la pratique religieuse réalisés pour la Fondation Jean-Jaurès en 2019, pour le Comité Laïcité République en 2020 ou pour la Licra en 2021). Dans le sondage du CLR par exemple, 57% des jeunes musulmans considèrent la charia plus importante que les lois de la République (une augmentation de 10 points depuis 2016). Ils sont également 66% à s’opposer au droit des enseignants de montrer des caricatures ; chez les non-musulmans, ils sont 75% à soutenir au contraire cette possibilité. Les chiffres sont similaires sur la question du voile, donc à travers lui parlent de l’acceptation de l’égalité homme/femme. Il y a là un décrochage massif d’une population. Décrochage qui s’explique par l’influence de l’islam politique et par le travail de réislamisation qu’il effectue sur notre territoire. Il n’y a donc nul besoin d’information sur l’absentéisme au moment de l’Aïd pour constater qu’une part significative et de plus en plus importante de la communauté musulmane refuse les principes qui fondent les lois et la culture française. Force est de constater que si les chiffres sont à la fois signifiants, récurrents et en augmentation, le dire est toujours aussi risqué. Il faut donc parler « d’infime minorité » concernant cette dérive, même si les enquêtes montrent qu’il s’agit au contraire d’une majorité chez les plus jeunes. En tout cas on ne voit guère ce que les chiffres de l’absentéisme scolaire lors de l’Aïd permettent d’ajouter à ce constat. La gauche instrumentalise une nouvelle fois un non-évènement pour mettre en accusation le gouvernement, lancer des accusations en fascisme rampant et se draper dans une fausse vertu qui lui permet de se poser en distributeur de leçons universelles. Sans doute histoire de faire oublier qu’elle soigne une clientèle musulmane sous influence islamiste en laissant volontairement de côté ceux des musulmans qui aspirent à un rapport sécularisé à la religion et qui combattent une radicalité dont ils ont souffert parfois dans leur pays d’origine. Mais les républicains et les démocrates pourtant présents dans une partie de cette immigration, ancienne ou récente, ne les intéressent pas. Pour eux l’authentique musulmane ne saurait être que voilée et ils confondent sciemment musulmans et islamistes au profit des derniers.

Narratif de persécution

L’indignation des satellites de la gauche en perdition, SOS Racisme, la Ligue des Droits de l’Homme plonge également ses racines dans la volonté d’imposer un narratif de persécution des musulmans dans le débat public. Il faut dire que ces associations sont victimes d’entrisme et ont depuis longtemps délaissés leurs idéaux et leur histoire pour se faire les petits télégraphistes de la propagande islamo-gauchiste. Sarah El Haïry a donc eu raison de dénoncer l’instrumentalisation d’une fausse polémique et de pointer du doigt la mauvaise foi de ces associations. La réponse ne s’est faite pas fait attendre. Le tweet de Raquel Garrido est à ce titre exemplaire du déni de réalité et de la posture d’autorité visant non à chercher la vérité, mais à museler le débat: « S’en prendre à la Ligue des Droits de l’Homme, c’est s’en prendre aux droits de l’homme. S’en prendre à SOS Racisme, c’est s’en prendre à l’antiracisme ». Fermez le ban. Sauf que la dérive de ces associations est de plus en plus visible et qu’elles sont les premières à déshonorer leurs combats et à capitaliser sur une réputation qu’elles piétinent allégrement. Ces associations ne méritent plus le respect tant leur présent abolit leur passé, et encore moins des subventions publiques. Les excès et la bêtise du tweet de la députée LFI illustrent l’esprit totalitaire qui imprègne de plus en plus une partie de la gauche qui voudrait soumettre le réel à l’idéologie. S’il suffit d’afficher une cause juste alors qu’on la trahit dans ses combats réels pour devenir inattaquable, alors le totalitarisme a de beaux jours devant lui.

Le fait que cette affaire ait été montée en épingle parle plus de la dérive d’une certaine gauche que de celle du gouvernement. Refuser de le regarder en face participe à notre malheur collectif et empêche la reconstruction d’une force de gauche sociale, laïque et républicaine. Quant à la gauche autoritaire alliée des islamistes ? À défaut de convaincre l’électorat, elle exploite jusqu’au bout sa capacité de nuisance.

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Michel Houellebecq a changé

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Michel Houellebecq en Espagne, septembre 2019 © REX/SIPA

Michel Houellebecq publie aujourd’hui Quelques mois dans ma vie (Flammarion). L’écrivain a donné un entretien dense et sincère au JDD, où il est notamment revenu sur ses déboires avec son projet de film érotique ou avec le recteur de la Mosquée de Paris. On lui découvre une sagesse qu’on ne lui connaissait pas, observe notre chroniqueur.


Il n’y a que Michel Houellebecq pour me détourner avec bonheur des sujets politiques qui finissent par lasser, tant ils contraignent à des analyses répétitives ; même si on s’efforce, entre détestation et hyperbole, d’emprunter un chemin de mesure. On pourrait considérer qu’avec lui, on ne quitte jamais la politique tant son génie pour l’invention romanesque l’accorde, avec une intuition absolue, à tous les débats fondamentaux de notre société, à ses angoisses les plus douloureuses.
Il me semble que déjà, nous avons un nouveau Michel Houellebecq dans la forme qui, par rapport à l’ancien, cultive moins le paradoxe, la réponse désinvolte, les aperçus à compléter et une sorte d’indifférence qui paraissait le placer en position décalée à l’égard de l’interrogation, avec une attitude par avance fatiguée.

Partisan du RIP, défenseur de Depardieu, opposant à la GPA et à l’euthanasie

J’ai été frappé au contraire par l’investissement que Michel Houellebecq a mis dans ses répliques, reléguant la moindre incongruité au profit, le plus souvent, d’une approche raisonnable sans que jamais son tempérament exceptionnel et son intelligence décapante lui interdisent quelques points de vue stimulants. Par exemple, quand il déclare qu’être qualifié de droite l’avait toujours « un peu dérangé » mais que « populiste, ça me va ». Avec son adhésion au « référendum d’initiative populaire, à l’élection des juges, enfin à différentes mesures qui me paraissent propres à augmenter la démocratie. À la créer plutôt ». Et sa défiance à l’égard de la démocratie représentative.

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Il défend son ami Gérard Depardieu et, selon lui, « les femmes mentent tout simplement ».
Il maintient, sur le fond, son refus argumenté et moral de la GPA et de l’euthanasie, son inquiétude face à la baisse de la natalité, ses pensées lucidement conservatrices avec une modération dans les jugements qu’il porte, par exemple sur Emmanuel Macron. Avec une bienveillance toute particulière pour Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy qu’il félicite d’avoir traité les magistrats de « petits pois », ce qui me rassure: j’ai au moins un point de désaccord avec un écrivain et un intellectuel que j’admire. Ce qui n’empêche pas Michel Houellebecq d’être infiniment percutant sur les magistrats, la répression et les prisons. Il faut citer: « Indulgente avec des petites ordures brutales et dangereuses, surtout lorsqu’il s’agit de mineurs, la justice se veut impitoyable avec les puissants… J’insiste également sur l’élection des juges… Il n’est pas acceptable que les juges se refusent à prononcer des peines de prison parce qu’il n’y a pas de places de prison; c’est la responsabilité d’une autre administration que d’en créer, pas la leur ».

Porno: il a la certitude d’avoir été floué

Il y a, dans l’ensemble des échanges médiatiques dont Michel Houellebecq a bénéficié, comme un climat tranquille, une atmosphère presque sereine, des touches de contrition et de repentance: il regrette les propos extrêmes qu’il a tenus sur l’islam – il a un contentieux avec Michel Onfray à cause de la polémique qui a suivi avec le recteur de la Grande Mosquée de Paris – et se pare de tolérance à l’égard des apparences qui pourraient trancher avec nos habitudes sociales et culturelles, par exemple le burkini.

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Sans doute y a-t-il dans l’apparition de ce Michel Houellebecq moins sulfureux qu’équilibré la conséquence aussi de cet épisode dont il a pâti, qu’il dénonce dans son prochain livre et qui, sur le plan de la pornographie, lui pose question. Il a la certitude d’avoir été floué. Un sentiment surgit également, rare chez lui: celui de ne plus pouvoir tout se permettre à cause de ce qu’il est devenu, de ce que la multitude de ses lecteurs attendent de lui. N’étant plus seulement comptable de lui-même, il se résout subtilement à limiter sa liberté d’être pleinement Michel Houellebecq. Comme une responsabilité qui lui est tombée sur les épaules, un devoir sur son destin.
Michel Houellebecq, avec ces divers entretiens, a suivi la ligne qui avait été définie par son épouse, toute d’ironie tendre à son égard, si fine dans l’appréhension de ce mari hors du commun et indignée comme lui par la manipulation du film pornographique.
À la lecture de cet impressionnant autoportrait de Michel Houellebecq, au travers de toutes les réponses qu’il a livrées, j’ai perçu chez lui l’expression d’une provocation consubstantielle à sa personnalité – Michel Houellebecq n’aura jamais l’esprit ordinaire – mais atténuée par la découverte d’une sagesse qui le conduit dorénavant à poser, sur tout et quasiment sur tous, un regard d’aménité, de bienveillance critique ou de solidarité amicale. Plus rien de délibérément conflictuel, une humeur parfois inquiète, pessimiste mais sans la moindre ostentation: le futur sera comme cela… Cette morale qu’il proclame – « La vie m’ennuie mais je m’ennuie pas dans la vie » résume bien ce qu’il a su faire surgir de lui-même. Il y a là comme un écho d’un illustre devancier littéraire et politique: « Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie » (André Malraux).

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Plenel/Maïwenn: ils ne passeront pas leurs vacances ensemble

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La réalisatrice française Maïween et le journaliste Edwy Plenel © LAURENT VU/PARIENTE JEAN-PHILIPPE/SIPA ; SIPA

Le journaliste d’extrême gauche reproche à la réalisatrice son agressivité anti-Metoo et au festival de Cannes d’être complice de ce sacrilège. Le fondateur de Mediapart a choisi Variety pour répondre à la réalisatrice effrontée Maïwenn. Malin, le journaliste l’accuse d’être une anti #MeToo forcenée, ce qui est bien sûr très mal vu à Hollywood… « Cannes a choisi un symbole complètement fou comme sélection de sa soirée d’ouverture » s’est notamment indigné ce grand défenseur de nos amies les femmes auprès des Ricains.


C’est en train de devenir le feuilleton de ce printemps 2023, dans la rubrique « en voilà deux qui ne passeront pas leurs vacances ensemble ». Depuis quelques jours, la réalisatrice Maïwenn et le journaliste Edwy Plenel occupent l’espace médiatique. Elle, à Cannes, pour la sortie de Madame du Barry[1]. Lui, moustache toujours fièrement arborée[2], sur le site de Variety, magazine de référence du showbiz hollywoodien subitement passionné par les querelles du microcosme parisien (peut-être aussi parce que Johnny Depp joue dans le dernier film de Maïwenn). Entre les deux, une sordide affaire de cheveux tirés et de crachat au visage…

Grâce au magazine américain et à l’interview que lui a accordé Edwy Plenel, on en sait enfin un peu plus. C’est la fâcheuse manie de ce dernier à aller tripoter les fiches de police qui semble être au cœur de la bisbille. Maïwenn n’aurait pas tellement apprécié de voir les termes de sa déposition faite à la police lors de sa séparation avec Luc Besson ressortie à l’occasion d’une « enquête explosive » publiée par Mediapart, fin 2018.

Cinq ans après, et alors que l’affaire Besson a été classée sans suite depuis longtemps, Maïwenn – qui n’aurait jamais passé un coup de fil ou un mail de protestation entretemps – a saisi l’occasion d’une rencontre inopinée dans un restaurant pour s’en prendre au cuir chevelu délicat de Plenel. Lequel, dans sa plainte déposée, s’est dit « traumatisé par l’agression » ! C’est malin.

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Madame du Barry au cinéma, Madame Sans-Gêne dans la vie

Plus grave encore, selon Plenel, le fait d’avoir été l’objet de cette froide vengeance, cache un problème bien plus large : Maïwenn serait une anti #MeToo forcenée et couvrirait tout ce petit monde de cinéastes. Le crachat serait un acte politique pour protester contre le travail d’enquête de Mediapart sur les agressions sexuelles et le harcèlement dans l’industrie cinématographique. Il est vrai qu’en 2020, elle avait osé dire à Paris Match : « Quand j’entends des femmes se plaindre que les hommes ne s’intéressent qu’à leurs fesses, je leur dis : « Profitez-en car ça ne durera pas ! » » Madame du Barry au cinéma, mais Madame Sans-Gêne dans la vie, elle a aussi eu le culot de prendre Johnny Depp dans son dernier film, malgré les accusations de violences conjugales portées contre lui à l’époque du tournage, et pour lequel il a été absous.

Collages féministes: et Nabilla ?

« Cannes a choisi un symbole complètement fou comme sélection de sa soirée d’ouverture : un film de Maïwenn qui raconte l’histoire d’une courtisane en quête de pouvoir. La mythologie qui est mise en avant dans le film, couplée au casting de Johnny Depp, ses commentaires anti-#MeToo et maintenant cette agressivité dont elle semble être fière et qui fait rire les gens à la télé, ça veut dire quelque chose ». A Cannes, les néo-féministes vont dans le sens de Plenel. Elles se sont adonnées à leur loisir favori, le collage de rue, pour dénoncer la mise en lumière de l’acteur américain. « Sous le tapis la violence », « J’accuse l’homme, j’emmerde l’artiste », « Pouvoir, violence, souffrance, Cannes complice ». On les a moins entendues (en fait on ne les a pas entendues du tout), quand Nabilla a à son tour fait son apparition sur le tapis rouge de Cannes le samedi 20 mai. On se souvient partout de l’émotion suscitée en France quand un matin de novembre 2014, on apprit que la starlette de la téléréalité avait planté un couteau dans le thorax de son compagnon Thomas, manquant de lui ôter la vie. Ce dernier, moins rancunier que Maïwenn, épousa sa belle un peu plus tard.

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Edwy Plenel, l’oncle d’Amérique

Mais alors, pourquoi répondre à une interview si loin, en Amérique, dans un article en anglais ? Plenel raconte à Variety qu’aucun journaliste français n’aurait pris la peine de le contacter pour en savoir plus sur cette affaire de cheveux tirés. Cela en dirait long, selon lui, sur l’ambiance médiatique qui règnerait en France. Le petit monde du cinéma, dans l’hexagone, verrait quant à lui d’un mauvais œil le travail de sape de Médiapart, entravant sa liberté de création. Sans reprendre la vieille antienne mitterrandiste selon laquelle Edwy Plenel serait un agent de la CIA, le patron de Médiapart a certainement voulu se chercher de l’autre côté de l’Atlantique quelques alliés. En France, quand les vagues #MeToo, Black livesmatter et autres  monstruosités woke ont déferlé, quelques voix se sont élevées contre l’air du temps, un peu plus qu’ailleurs. Dès janvier 2018, un collectif de cent femmes signait une tribune (Catherine Deneuve, Catherine Millet et Elisabeth Lévy en tête) dans le Monde, défendant une « indispensable liberté d’être importunée » et s’alarmait des dérives de #MeToo. Finalement, ça doit donc être ça, la fameuse exception culturelle française.


[1] Sophie Bachat l’a vu pour nous et a aimé.

[2] Un jour, Laurent Baffie lui avait demandé : « quand tu fais un 69, ça fait velcro ? »

Journée contre l’homophobie dans le foot: une fausse bonne idée

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Pour la 3e saison consécutive, la Ligue de football professionnelle a souhaité participer à la journée mondiale de lutte contre l’homophobie, le 17 mai, en imposant brassard ou flocage de maillots aux couleurs de l’arc-en-ciel. Si la démarche initiale part d’une louable intention, on a finalement assisté à une nouvelle manifestation du puritanisme woke, par la recherche obsessionnelle de la vertu et l’intimidation des opposants.


L’opération qui avait pour ambition de délivrer un « message de diversité, d’espoir et d’amour » a été accompagnée, comme attendu, d’innombrables polémiques de joueurs refusant, pour des considérations qui leur sont propres, de revêtir la tenue exigée.

L’initiative, aussi louable soit-elle, ne parvient donc pas à satisfaire les promesses de concorde et d’apaisement qu’elle est censée apporter. Bien au contraire, elle est intrinsèquement clivante car elle repose sur deux ambiguïtés. La première est celle d’un message qui se prétend universel mais qui se révèle militant. La seconde est celle d’une méthode qui relève non du droit mais de la posture morale.

Pédagogisme ou militantisme?

L’époque est à l’hétérogénéisation des sociétés, au dépassement historique de l’idée de nation, à la victoire du marché sur l’intérêt général et à la protection de chacun au détriment de tous. Quand plus grand-chose ne nous fédère, notre société ne sait plus quoi faire d’autre que célébrer des diversités.

De prime abord, par la simplicité de son énoncé, l’idée de lutter contre les discriminations est très séduisante. Par la réalité des souffrances vécues par certains footballeurs, elle apparaît fort utile. En revanche, par sa mise en œuvre, elle ne sert que des intérêts catégoriels et, sous couvert d’une entreprise qui se veut vertueuse, véhicule un message militant.

Une campagne parrainée par SOS Homophobie ne saurait être considérée comme étant dénuée de toute portée politique. Particulièrement avant-gardiste dans ses revendications (remplacer « sexe » par « genre » sur les documents officiels, principe d’autodétermination, y compris pour les mineurs, légalisation de la GPA, système de filiation déclaratif), l’association porte un message politique clair dont la désapprobation ne mérite pas nécessairement que soit jeté l’anathème sur toute pensée divergente. L’homosexualité n’est pas simplement considérée comme un état respectable, lié à l’intimité de chacun, mais bel et bien comme une lutte politique. En imposant des couleurs, des brassards et des slogans particulièrement identifiés, on favorise l’adhésion à un mode de pensée, celui qui consiste à envisager la société comme étant par nature patriarcale, oppressante, fondée sur une discrimination systémique où la personne homosexuelle est par essence une victime. Il en résulte une vision de la société qui amène à considérer que les homosexuels forment une communauté spécifique ayant légitimement droit à un statut particulier et à des revendications singulières.

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En République, cela pose question, car l’aspiration est à l’égalité et non à la différenciation. C’est pour cela, par exemple, que l’on préfère parler de « mariage pour tous » et non de « mariage gay ». À l’inverse, la tendance au communautarisme est de nature à porter atteinte à l’universalisme du droit. Pour Bertrand Lambert, président des Panam Boyz, club ouvert à la diversité et partenaire de l’opération, « beaucoup de joueurs ne comprennent pas pourquoi on les oblige à porter ce maillot parce qu’il y a un manque de pédagogie ». Le message d’ouverture censé être défendu n’est manifestement pas clair. Il mériterait d’être dépourvu de cette ambiguïté en passant par une démarche plus consensuelle.

Méthodes intimidantes

Ce genre de campagne s’inscrit dans ce que Régis Debray décrirait comme l’importation du modèle puritain de l’Europe protestante, par sa recherche obsessionnelle de la vertu et l’intimidation de ses opposants.

Marseille reçoit Angers lors de la 35e journée de Ligue 1 de football. Les joueurs étaient invités à soutenir le message « Homos ou hétéros, on porte tous le même maillot » lors de cette journée du championnat © ADIL BENAYACHE/SIPA

La prétention à faire régner le bien entraîne irrémédiablement le besoin de débusquer le mal et si possible publiquement. La quête de l’intégrité dérape facilement vers l’intégrisme. Pour régner, la vertu a besoin d’un instrument, la terreur. Elle appelle nécessairement l’intransigeance, favorise la loi des suspects et encourage la surenchère. Chacun en profite pour dénoncer plus haut et plus fort que son voisin, pour se donner bonne conscience et éprouver le sentiment du devoir accompli. La dénonciation des suspects s’accompagne de l’irrésistible tentation de succomber à l’attitude du paraître et à la pratique ostentatoire de l’indignation: porter un regard dénonciateur sur l’autre pour bien montrer que l’on est soi-même irréprochable.

Eric Roy, entraîneur de l’équipe de football de Brest, en a fait l’amère expérience après avoir critiqué non la campagne, mais le week-end choisi par la ligue de football pour l’organiser, en rappelant que « chacun est libre de ses opinions ». L’inconditionnalité des valeurs vertueuses n’appelant aucune nuance, il n’a pas pu lui être pardonné d’avoir eu la faiblesse de raisonner en entraîneur soucieux des considérations sportives. Le coupable est trouvé, la fuite en avant peut commencer. Peu importe qu’il ait rappelé être ambassadeur d’une association luttant contre les discriminations ou qu’il ait reconnu avoir « porté le brassard aux couleurs arc-en-ciel avec fierté et engagement », sa maladresse le rend moralement coupable et le dogme est répété en boucle: « l’homophobie n’est pas une opinion mais un délit ». Il ne suffit pas pour autant d’asséner 50 fois une affirmation pour qu’elle devienne une vérité.

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En démocratie, un délit correspond à une qualification et à une procédure. La qualification de l’homophobie renvoie à l’existence d’une volonté de discriminer sur l’orientation sexuelle et à la commission d’une infraction (meurtre, viol, torture, vol, injures, menaces, provocations à la haine, diffamation). La procédure, c’est celle du procès équitable, au terme duquel le juge prononce la sanction. Avant son procès, le prévenu est protégé par un principe simple: la présomption d’innocence. Que l’on puisse reprocher à des joueurs de football de ne pas participer à une campagne de sensibilisation contre l’homophobie est une chose, céder à la facilité de penser qu’ils sont homophobes de ce fait en est une autre. Être moralement condamnable ne signifie pas pénalement coupable.

La lutte contre les discriminations a trop souvent tendance à être accaparée par des gardiens du temple autoproclamés qui s’admirent dans le rôle de dénonciateurs, assouvissent des besoins narcissiques d’accusation et se complaisent dans des postures morales qui desservent la cause qu’ils croient servir; ils ne combattent pas les discriminations, ils font la chasse au traitre. S’ils estiment être en présence d’un délit, qu’ils tirent alors les conclusions de leurs constatations en saisissant le procureur de la République afin que des poursuites pénales soient engagées. Il est parfaitement contradictoire de rester dans le confort moral de l’invocation de principes juridiques tout en ayant la faiblesse de ne pas en tirer les conséquences. Au mieux, le procédé qui consiste à dénoncer une infraction inexistante pour s’octroyer généreusement le rôle du rempart de la menace qu’on vient artificiellement de créer révèle une parfaite hypocrisie. Au pire, il s’apparente à de la diffamation.

Causeur est victime de la censure woke!

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Elisabeth Lévy © Pierre Olivier

Chers lecteurs, chers abonnés,


Nous souhaitons vous alerter à propos d’un incident majeur qui touche Causeur.

Depuis quelques mois nous n’avons plus le « droit » de placer des publicités sur le site de causeur.fr car toutes les régies publicitaires ont décidé de nous blacklister et ainsi de nous priver d’une source de revenus essentielle à notre équilibre économique déjà précaire.

Il s’agit, ni plus ni moins, d’une guerre économique menée contre Causeur par des collectifs comme Sleeping Giants souhaitant nous faire taire en frappant au portefeuille. Ils font pression par des campagnes de « shaming » et d’intimidation sur les réseaux sociaux à l’encontre des entreprises « annonceurs » pour les dissuader de placer des publicités sur notre site causeur.fr.

Les régies gérant leurs budgets publicitaires ont ainsi décidé de ne plus travailler avec nous.

Ces collectifs de la censure ne nous reprochent pourtant pas des propos illégaux – qu’ils n’auraient pas hésité à signaler à la justice s’ils existaient –  mais tout simplement parce que le contenu de nos articles ne leur plaît pas… Les entreprises, surtout les grandes marques, déjà en plein « clientélisme woke », cèdent facilement à ce qu’on peut qualifier de chantage à la réputation.


Le Sleeping Giants, très efficaces sur les réseaux, organisent des campagnes d’intimidation envers les entreprises « annonceurs ». © Captures Twitter.


Tous nos efforts pour remplacer les régies ont échoué pour le moment et notre budget est désormais amputé de plusieurs milliers d’euros par an.    

Dans cette guerre économique et face à ceux qui essaient de nous asphyxier pour nous faire taire, nous avons besoin de votre aide. Nous nous battons et gérons au mieux nos moyens mais sans votre soutien et votre générosité nous n’y arriverons pas.   

Chaque abonnement et chaque don sont essentiels pour remplacer les recettes dont nous privent ces ennemis de la liberté et du débat d’idées.

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Vertu de la patience

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"L'odeur du vent", film de Hadi Mohaghegh © Bodega Films

Le film iranien « L’odeur du vent » de Hadi Mohaghegh est d’une sensibilité rare. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ça au cinéma!


À mille lieues des drames sociaux et conjugaux en milieu urbain dont le très fécond cinéma iranien actuel est coutumier, L’odeur du vent nous projette dans ces confins ruraux du monde perse, où ce qu’il est convenu d’appeler, sous nos latitudes, « l’aménagement du territoire » n’a pas encore atteint l’horizon de ces villages isolés. Le téléphone portable y reste une rareté, l’eau courante un mirage, le courant électrique une fourniture capricieuse. Fait exclusivement de plans fixes au chromatisme délicat, composés avec un soin tout pictorialiste, ce film à la lenteur hypnotique ne rebutera que les camés à la série TV, ontologiquement indifférents à la plastique formelle du Septième art –  soit probablement beaucoup de monde, hélas, par les temps qui courent. Mais, comme certains livres leurs lecteurs, les films auront toujours les spectateurs qu’ils méritent…

(c) Bodega Films

Le corps déformé par une paraplégie qui l’oblige à se traîner au sol pour se mouvoir, un homme élève seul son fils, probablement atteint de paralysie (décidément !), car alité dans une position immuable. Ce père « handicapé moteur » plutôt courageux fournit le voisinage en décoctions médicinales qu’il arrache à grand peine du roc de la montagne – le maigre pécule qu’il en tire est manifestement sa seule ressource. Adversité supplémentaire, soudain c’est la panne d’électricité. L’infirme se déplace péniblement jusqu’au hameau pour solliciter, via le portable d’un habitant mieux loti, l’intervention d’un électricien sur le transformateur proche de la masure qu’il occupe avec son enfant. Voilà pour l’entrée en matière. Se pointe, en voiture, le préposé du réseau électrique (joué par le cinéaste lui-même, Hadi Mohaghegh, mécanicien automobile de son état, avant que de devenir dans les années 1990 acteur et metteur en scène, puis assistant de plusieurs réalisateurs, et enfin cinéaste). Grimpant au mât du transformateur défaillant, le technicien tente de le réparer. Mais une pièce est manquante.

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Road movie d’un genre un peu particulier, on l’aura compris, L’odeur du vent (titre français moins approprié que Derb, le titre original, qui en langue régionale, signifie « sol dur ») accompagne les étapes d’un chemin de croix: celui de ce fonctionnaire diligent et secourable qui, doué d’une patience véritablement angélique, sacrifiera son temps sans compter, malgré les contrariétés qui s’accumulent (douille hors d’usage, adresse mal comprise, automobile ensablée dans une flaque d’eau, panne de moteur…) Son seul dessein: sortir le pauvre hère du pétrin.

Endossant avec simplicité cette figure de la sainteté, Hadi Mohaghegh fait moins œuvre pie qu’il ne célèbre, avec beaucoup de grâce et sans une once de mièvrerie, la pure bonté dans son expression banale. Générosité qui se décline dans les gestes les plus ordinaires, comme celui de cueillir un bouquet pour cet aveugle, au lieu même de son rendez-vous galant – une des belles scènes du film. L’intense sobriété de cette œuvre paysagiste n’est évidemment pas sans rappeler la plastique tout à la fois épurée, finement construite et hautement graphique du regretté Abbas Kiarostami, son compatriote.


L’odeur du vent (Derb). Film de Hadi Mohaghegh. Avec Mohammad Eghbali, Hadi Mohaghegh. Iran, 2022, couleur. Durée: 1h30. En salles le 24 mai 2023.

L’autre «transition» des écolos

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Les psychanalystes Caroline Eliacheff et Céline Masson ont publié un essai remarqué, 'La Fabrique de l’enfant transgenre" (L’Observatoire, 2022). Photo: Hannah Assouline.

Ma chère Augustine, je t’écris depuis Paris qui se trouve dans un grand ensemble qu’on appelle l’Europe, et je m’émerveille chaque jour que Dieu fait encore chez nous de ce qu’il défait en ces lieux


Figure-toi qu’il y a ici des gens qu’on appelle des « écologistes » et qui rappellent qu’il existe des lois naturelles élémentaires selon lesquelles on ne donne pas de farine animale aux vaches, ce en quoi nous ne pouvons que les approuver, n’est-ce pas ? Car qui dit vache dit herbe, dit pré et qu’elles gambadent bon sang !

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D’autre part, ils disent qu’on n’encage pas les poules les unes sur les autres, car à la fin on n’a même plus besoin de les déplumer, elles s’en sont chargées elles-mêmes ! Et ils affirment qu’on laisse un sol en jachère de sorte qu’il puisse se reconstituer, ce qui va de soi.
Te rends-tu compte, ma chère Augustine à quoi ce qu’ils appellent « le progrès » les avait menés ? Heureusement, ces gens qu’on appelle donc des « écologistes » veillent au grain si j’ose dire, et remettent à l’endroit ce qui avait été mis de travers.

Image d’illustration Unsplash.

Mais chose étrange, absolument étrange et que tu auras peine à croire, seuls les humains échappent à la règle. C’est on ne peut plus curieux; c’est un paradoxe que je ne m’explique pas. Mais que je te narre l’affaire: ici, on ne discute plus du sexe des anges; non, ça n’intéresse plus personne. En revanche, par une curieuse opération du Saint-Esprit, les êtres humains n’auraient plus de sexe à la naissance. Oui oui, comme je te le dis ! On ne naît plus garçon ou fille; on peut choisir son genre tout au long de sa vie; ils appellent cela « transitionner » et tu peux, ma bonne amie, transitionner autant de fois que tu veux. Enfin, jusqu’à un certain point, parce que sans rentrer dans des détails qui offenseraient notre mutuelle pudeur, on ne peut pas à l’infini, enlever, remettre, enlever, remettre etc. On ne peut d’ailleurs le faire, il me semble, qu’une seule fois; sans compter que l’on doit prendre moultes potions et qui sont bien amères pour la santé.
Mais enfin, que je te rassure, tout le monde n’est pas obligé de faire cela et la plupart s’en tiennent au « sexe à signer » à la naissance. Encore un mystère que cette chose-là, car normalement on ne sait ni lire ni écrire au sortir du ventre de sa mère, mais sans doute sont-ce les parents qui le font ?

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Ce qui m’échappe totalement dans les mœurs de ces gens là, c’est qu’ils puissent revenir à la raison pour tout ce qui les entoure et la perdre pour ce qui les concerne.
Par ailleurs, il n’y aurait donc plus deux sexes comme nous l’avons toujours connu, et pourtant, lorsqu’ils « transitionnent », c’est toujours pour prendre le sexe de l’autre. On ne voit personne demander à se transformer en chaise à porteur ou en métier à tisser. Ils restent donc dans les catégories qui nous sont familières tout en disant qu’elles n’existent pas; comprends-tu une chose pareille ?!
Décidément, ce voyage me laisse perplexe et me donne passablement la berlue. Je ne serai pas mécontente de retrouver notre XVIIIe siècle, nos verts pâturages et la différence sexuelle qui fait le bonheur que l’on sait…
Ta cousine Thérèse.

Mitterrand le mytho

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François Mitterrand en Jordanie, accompagné de son épouse Danielle et de Roland Dumas, 1992 © HALEY/SIPA

Avec son nouvel essai En bande organisée, le journaliste Sébastien Le Fol revient sur la jeunesse droitière de François Mitterrand. Encore?


Le thème n’est en effet plus tout à fait nouveau. Depuis Une jeunesse française de Pierre Péan jusqu’aux plus récentes Vies parallèles de Michel Onfray, plus grand-chose n’est ignoré des turpitudes du jeune Mitterrand – la francisque, l’amitié avec René Bousquet… Ce nouveau livre s’intéresse à l’épineuse question de la jeunesse du président français (1981-1995), sous l’angle de la petite bande d’ambitieux copains qui s’est constituée au 104 de la rue Vaugirard, chez les pères maristes.

Un quarteron de mousquetaires provinciaux

François Dalle, André Bettencourt (tous deux passés à la tête de L’Oréal, généreux sponsor des débuts politiques de Mitterrand) et Pierre de Bénouville (celui qui fut le plus proche de François Mitterrand parmi la bande puisqu’il l’a connu au collège d’Angoulême), tel était le quarteron de mousquetaires provinciaux, qui n’a cessé de se faire la courte échelle. La petite bande n’ignore rien de la seconde vie de Mitterrand et de l’existence de sa fille cachée, et en ricane allègrement…

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Président, Mitterrand hésite même un temps à nommer son vieux copain Bettencourt, ancien ministre de De Gaulle et Pompidou, à Matignon, en 1986, après la victoire de la droite aux législatives. Député RPR dans les années 80, Pierre de Bénouville monte au filet, de son côté, pour défendre son vieux camarade Mitterrand quand les jeunes loups de la droite de l’époque (François d’Aubert, Jacques Toubon ou Alain Madelin) s’en prennent au passé trouble du président. Passé trouble dont on ne savait pas encore grand-chose, hormis quelques entrefilets qui circulaient dans des feuilles de chou d’extrême droite suffisamment confidentielles et marginales pour rester inaperçues. Il n’y a que la menace de la nationalisation de Dassault – dont Bénouville est l’éminence grise – au moment du programme commun, qui a failli écorner l’indéfectible amitié. Pour le reste, Bénouville est reçu à l’Élysée tard le soir et donne son avis sur la composition du gouvernement. On finit presque par s’imaginer Bénouville en conseiller occulte du président… Mais il faut revenir au Paris des années 30. Le jeune Mitterrand commence par naviguer dans le turbulent Quartier Latin, manifestant tantôt contre « l’invasion métèque », signant tantôt des articles qui s’en prennent au « dehors », lequel aurait contaminé l’esprit national… Bref, François Mitterrand a politiquement une bonne droite, et cela ne va pas s’arranger après la débâcle de 1940. Attiré par les marges politiques, la canaille et l’esprit de bande, il y a dans l’entourage de Mitterrand des Cagoulards un peu partout, au point de se demander s’il n’a pas lui aussi plus ou moins appartenu à cette organisation qui avait projeté de renverser la République au prix d’un complot militaire. Jean Charbonnel, gaulliste de gauche que le journaliste a fréquenté peu avant sa mort et qui a étudié le dossier, approchait à la fin de sa vie de cette conclusion. Il faut bien dire que certaines archives ont mal résisté aux passages opportuns de Mitterrand à la tête des ministères de la Justice et de l’Intérieur durant les années 50…


Ouvriers de la vingt-troisième heure, voire de la vingt-cinquième…

Des écrits, la bande des quatre en a pourtant laissé. Pendant la guerre, dans La Terre française, revue agricole vichyste, André Bettencourt se lâche contre les Juifs, les francs-maçons. Sans basculer tout à fait dans le collaborationnisme, Bettencourt ne contient pas une certaine admiration pour ce qu’est en train de devenir l’Allemagne, à la suite d’un voyage outre-Rhin en 1939 auquel participe… un certain Mitterrand François. Quelques décennies plus tard, quand il évince Jean Frydman, administrateur israélien d’une filiale de L’Oréal, sous la pression de la Ligue arabe, et que les écrits de jeunesse refont surface, évidemment, ça ne fait pas très bonne impression.

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Heureusement, la bande avait fini par rejoindre la Résistance, plus ou moins tôt. Ouvriers de la vingt-troisième heure, voire de la vingt-cinquième pour Bettencourt, dont les premiers indices de participation à la Résistance ne remontent pas avant juillet 44, ils sont des figures « vichysto-résistantes », un temps séduits par la Révolution nationale, et ralliés à la France Libre ensuite, jouant parfois un double jeu.

Leurs parcours illustrent la complexité de l’époque, à mille lieux du schéma manichéen dessiné après-guerre entre bons et méchants – récit simplificateur que la gauche mitterrandienne n’a pas peu contribué à perpétuer.

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Immigration: les LR en ont-ils fini avec le terrorisme intellectuel de gauche?

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Campements de migrants à la Chapelle, décembre 2022 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Elisabeth Lévy se réjouit de l’offensive de LR sur l’immigration. Eric Ciotti aimerait que la France s’inspire du Danemark sur cette question. Le parti, hier divisé sur la réforme des retraites, joue ici sa survie politique et veut forcer la majorité macroniste à se positionner sur ses propositions.


Les propositions des Républicains sur l’immigration sont-elles crédibles ? On peut, comme Ivan Rioufol, ironiser sur cette droite qui découvre la lune. Mais, c’est finalement préférable au déni et à la soumission au terrorisme intellectuel de la gauche, laquelle empêche depuis 30 ans la droite de satisfaire ses électeurs sur ce sujet. Comme nous le savons, il ne fallait pas « faire le jeu du FN ». Oui, bien sûr, cette droite a ânonné que l’immigration était une chance-pour-la-France. Mais alors que la macronie patauge, écartelée entre les électeurs et les bons sentiments, on ne va pas se plaindre de cette prise de conscience, aussi tardive soit-elle.

Vers l’immigration presque-zéro

On peut aussi, comme Éric Zemmour, trouver que cette droite manque d’ambition, puisqu’elle continue à expliquer que l’immigration zéro est un fantasme et qu’il faut une immigration « choisie ».

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Avec les millions d’immigrés clandestins déjà présents sur notre territoire et les descendants d’immigrés qui ne s’intègrent pas et s’assimilent encore moins (la conséquence de 40 ans d’errements), relancer la machine à fabriquer des Français est déjà un défi considérable. Les Français veulent qu’on arrête les flux. On n’arrivera peut-être pas à l’immigration presque-zéro. Mais cela devrait être l’objectif.

Ces projets sont-ils de la poudre aux yeux ?

Non! Peut-être Eric Ciotti (le président de LR), Bruno Retailleau (le chef des sénateurs LR), et Olivier Marleix (le chef des députés LR), ne vont-ils pas assez loin, mais ils proposent tout de même l’essentiel: permettre à la France de recouvrer sa souveraineté en donnant au parlement la possibilité de contrer une législation européenne ou internationale contraire à nos intérêts nationaux. Traduction: que cela plaise ou pas à M. Scholz, nous avons le droit de décider qui nous accueillons ! Je concède que l’idée d’inscrire l’assimilation dans la Constitution ressemble à une proclamation d’intention pour se faire plaisir.

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En revanche, plusieurs mesures de bon sens figurent dans ces deux textes de loi proposés par LR. 1) Le rétablissement du délit de séjour irrégulier. Une loi que l’on peut transgresser sans conséquences, on ne voit pas très bien à quoi cela sert ! 2) Il n’y aura plus une seule prestation sociale pour les clandestins, plus de « pompe aspirante ». Cette seule mesure devrait dissuader pas mal de candidats… 3) L’examen des demandes d’asile à l’étranger. 4) Quant au rétablissement de la double-peine et l’expulsion des clandestins avec mesures de rétorsions: attendons de voir.

En supposant qu’on parvienne effectivement à stopper ou à réduire drastiquement les arrivées, il n’est cependant pas sûr que cela suffise à enrayer le changement démographique et le glissement de la France vers le multiculturalisme.

Mais, alors qu’on nous serine depuis des décennies qu’en matière migratoire la France ne peut rien seule et que les migrants viendront de toute façon, les dirigeants de LR, qui jouent sur ce dossier leur survie, nous disent : oui, c’est possible, nous pouvons contrôler nos frontières. Et ça, c’est une révolution copernicienne.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale, du lundi au jeudi après le journal de 8 heures.