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Médine à l’Armada : un drôle de moussaillon attendu sur les quais de Rouen

Médine, le rappeur qui veut «crucifier les laïcards» à l’Armada? Des étudiants protestent.


Dans quelques jours, à Rouen (76), à l’occasion de la 8e édition de l’Armada, les quais de Seine vont revêtir leurs habits de fête. Si l’amarrage des navires civils et militaires du pont Guillaume-le-Conquérant au Musoir promet une grande liesse populaire, la programmation d’un concert risque de venir rompre l’harmonie du moment.


S’il n’existe nul arbitre des élégances et qu’il n’appartient à personne de juger des opinions des artistes conviés par la Région Normandie, la présence de l’un d’eux, Médine, interpelle néanmoins. En effet, concernant les valeurs de la République, le rappeur havrais présente de nombreuses contre-indications. Le diagnostic est clair.

Mauvaises fréquentations

Outre l’affirmation de sa religion musulmane et la promotion du voile islamique, Médine appelle dans un album intitulé “Jihad” à crucifier les laïcards (“Crucifions les laïcards comme à Golgotha !”) et “scier l’arbre de la laïcité”. Lorsqu’il affirme se “suffir à Allah” et ne pas avoir besoin qu’on le “laïcise”, le rappeur exprime on ne peut plus clairement son désamour pour la laïcité. Ainsi, ce dernier n’hésite pas à qualifier le président d’honneur et recteur honoraire de la Grande mosquée de Paris de “collabeur”, lui reprochant de prôner un islam « du juste milieu », tolérant et respectueux des règles de la société française. Pire, dans une métaphore qui n’échappe à personne, celui qui se qualifie lui-même “d’islamo-racaille” minimise les attentats islamistes et rejette la faute sur la France: “Quand t’allumes un feu, ne dis pas c’est la faute aux allumettes’”.

A lire aussi, Jean-Loup Bonnamy: L’islamo-gauchisme, vieux comme les soviets!

D’ailleurs, Médine ne cache pas ses liens avec l’association proche des Frères musulmans, Havre de savoir, qui participait, en 2012, à la diffusion d’une tribune défendant la présomption d’innocence pour Mohamed Merah. Au contraire, il participe aux conférences du prédicateur Tariq Ramadan et d’Hassan Iquioussen, l’imam fiché S, expulsé pour “propos incitant à la haine et à la discrimination” en août 2022.

Menaces

D’autre part, Médine est connu pour ses appels à la violence contre des élus de la République. Fin mars, à Albi, il se filme en lançant des fléchettes sur un portrait de Bernard Carayon, l’ancien député du Tarn et maire de Lavaur. Un mois plus tard, à Agen, il refait parler de lui en offrant à son public des piñatas à l’effigie de la députée d’Edwige Diaz et de la conseillère régionale Julie Rechagneux. Il y a quelques jours encore, au Havre, il récidive avec le portrait de Marine Le Pen. Dans une période où des maires démissionnent, les élus de la République sont menacés et les permanences saccagées, ces incitations à la haine et à la violence doivent nous interpeller.

Au regard de toutes ces considérations, il convient de s’interroger sur le sens de la présence de Médine aux concerts de l’Armada. Les amateurs de rap qui vantent la hargne et la pugnacité du personnage, ont-ils conscience de son pedigree ? Devons-nous laisser se produire devant plusieurs dizaines de milliers de personnes et aux frais du contribuable, un rappeur au discours prosélyte porteur d’une vision de l’islam contraire aux valeurs de la République ?

À supposer que la Région Normandie s’attache à défendre la laïcité, la liberté des femmes et l’intégrité physique de nos élus, son président devrait, en responsabilité, annuler la venue du rappeur havrais.

Idéologie trans et effondrement de l’école: Pap Ndiaye, premier de la classe


Dans un article récent, nous nous demandions si, suite à la réunion propagandiste animée par l’association OUTrans dans l’enceinte de l’École alsacienne, Pap Ndiaye allait laisser ses enfants dans cet établissement d’élite. Nous avons maintenant la réponse : non seulement ses enfants vont poursuivre leurs études dans cette école socialement très favorisée (la « mixité sociale », c’est pour les autres) mais ils vont sans doute devoir continuer de subir le racolage organisé par des associations agréées par le ministère de l’Éducation nationale. Sous le prétexte de « lutter contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie », leur ministre de père lance en effet une nouvelle campagne d’ampleur s’adressant « à la fois aux élèves LGBT+ et à tous ceux qui pourraient, pour quelque raison que ce soit, être empêchés de vivre pleinement leur identité ». 


Un observatoire de lutte contre les LGBTphobies dans chaque académie

Aveuglé par l’idéologie wokisto-progressiste, Pap Ndiaye continue le travail de destruction de l’école avec zèle. Plutôt que de lancer une campagne contre l’illettrisme qui frappe les élèves incapables de lire ou de comprendre un texte simple à l’entrée en classe de 6e, le ministre promeut l’idéologie du genre et soutient le prosélytisme trans. Ses priorités ne sont pas de tout mettre en œuvre pour que le pédagogisme recule et que l’instruction publique retrouve son lustre mais, après avoir mis en avant « l’éducation à la sexualité et à la vie affective (sic) », de créer « un observatoire de lutte contre les LGBTphobies dans chaque académie » et de permettre « l’intervention auprès des élèves de représentants des associations agréées œuvrant dans le champ de la prévention des discriminations ». Grâce à quelques parents de la prestigieuse École alsacienne, chacun sait maintenant ce que cela veut dire. La même propagande se répand dans de nombreux autres établissements mais les parents d’élèves de ceux-là, moins instruits, plus confiants ou complètement dépassés, ne sont généralement pas au courant – jusqu’au jour où Léa, la petite dernière, leur apprend qu’elle est non binaire ou pansexuelle et qu’elle veut changer de genre, de prénom, de pronom, etc.

A relire: Idéologie trans: même l’École alsacienne n’est pas épargnée!

Ndiaye institutionnalise les dingueries de Paul B. Preciado

Sur son compte Twitter, Marguerite Stern, ex-femen aujourd’hui insultée et menacée par les activistes trans, a sèchement recadré le ministre de l’Éducation nationale après avoir lu son communiqué de presse. Au contraire de ce que fantasme Pap Ndiaye, écrit-elle en substance, ce n’est pas la transphobie qui règne dans les écoles mais plutôt son contraire, une adhésion contagieuse au transgenrisme pouvant conduire à l’exclusion de tout individu se disant simplement hétéro et « bien dans sa peau » : « Tout coming out trans est célébré, et fait de vous une personne populaire ; c’est la course aux oppressions (mieux vaut être une “fille trans non-binaire, xénogenre, pansexuelle, racisée, musulmane et handi” qu’un “garçon blanc hétérosexuel”) ». L’emprise sectaire via les réseaux sociaux n’est plus à démontrer ; il faut maintenant lui ajouter le travail prosélyte et fanatique des associations autorisées à distiller l’idéologie du genre dans les écoles. Afin de ne pas être exclus du groupe, de plus en plus d’adolescents et, surtout, d’adolescentes, se laissent embrigader et choisissent de croire en la religion trans. Involontairement, Pap Ndiaye a opté pour un slogan – « Ici on peut être soi » – reflétant idéalement la propagande idéologique du genre : derrière l’affirmation narcissique et le désir « d’auto-réalisation ou de construction de soi », il est sous-entendu que le genre de chaque individu « assigné » à tel sexe à sa naissance n’est que le produit d’une « construction sociale », d’un discours normatif recouvrant son « véritable moi » – et que l’institution scolaire devient un des hauts lieux de la remise en cause du « régime binaire nécropolitique et hétéro-patriarcal », pour parler comme le transactiviste le plus en vogue dans les médias et les milieux culturels wokes, j’ai nommé Paul B. Preciado. Ce dernier peut jubiler : les moyens déployés par le ministère pour lutter contre « l’homophobie, la transphobie et la biphobie » véhiculent, via les associations LGBT, son programme en faveur du transgenrisme radical, c’est-à-dire le refus de la binarité sexuelle et de « l’assignation de genre » (étayant, selon lui, une « fiction politique »), en même temps qu’une adhésion totale à la transformation expérimentale et illimitée des corps, prémices du transhumanisme, cette « mutation planétaire » que Preciado appelle de ses vœux. « Ici on peut être soi » est un commencement. Suivra « le paradis de l’indifférenciation omnilatérale, où n’importe qui pourra être n’importe quoi, un rossignol, une pomme de douche, un boulon, une rose jaune faisant l’amour avec une feuille morte, etc. Et où, bien sûr, chacun s’exprimera dans une langue de feuille morte, de boulon, de rose jaune ou de pomme de douche » (Philippe Muray).

“Buzzons contre le sexisme”

Si le ministère de l’Éducation nationale semble manquer de moyens quand il s’agit de transmettre des savoirs et de lutter en premier lieu contre l’illettrisme, il n’en manque en revanche pas quand il décide de « lutter contre les LGBTphobies » : lettre à la « communauté éducative », affiches, sites dédiés, outils de communication via Éduscol, guide d’accompagnement offrant, dans la novlangue officielle, des messages lénifiants ainsi que des fiches, des sous-fiches, des supports pédagogiques et autres « ressources d’accompagnement » pour soutenir, entre autres, les délégués de classe qui seront « prioritairement sensibilisés aux enjeux de la lutte contre les LGBT+phobies ». Que pèse l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, des mathématiques, de la littérature ou de l’histoire face aux nouveaux « savoirs fondamentaux » – « respecter autrui », « acquérir et partager les valeurs de la République », « construire une culture civique » – et à l’enseignement du « respect des autres dans leur diversité » ? Pour finir d’abrutir les élèves, le programme intègre une “Éducation aux médias et à l’information” censée permettre de « travailler sur les représentations de genre véhiculés dans les médias et sur internet » à partir d’un « kit pédagogique » élaboré par l’Arcom. Enfin, après avoir déjà appliqué la notion d’éducation transversale (ou interdisciplinaire) à l’écologie et au « développement durable », le ministère stipule que « les sujets relatifs à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, aux stéréotypes de genre et aux discriminations peuvent être abordés dans l’ensemble des disciplines tout au long de la scolarité des élèves ». Plus important que l’obtention d’un baccalauréat qui de toute manière ne vaut plus rien, de nouveaux concours scolaires voient le jour : le prix “Non au harcèlement”, le concours vidéo “Buzzons (sic) contre le sexisme”, le concours “Ton podcast pour l’égalité !”, etc., deviennent des billets d’honneur pouvant favoriser l’inscription à telle ou telle filière via Parcoursup. Répétons-le, l’Éducation nationale est aujourd’hui une garderie sociale dans laquelle la transmission des connaissances est devenue secondaire. Les outils nécessaires au développement d’une véritable réflexion et d’un esprit critique sont remplacés par le marteau-pilon des idéologies sociétalement progressistes et wokes. Lionel Jospin, Vincent Peillon, Najat Vallaud-Belkacem et Pap Ndiaye, pour ne citer que les plus catastrophiques de nos ministres de l’Éducation nationale, ont délibérément fait de nos élèves les pires cancres de l’Europe – parmi ceux-là, certains seront, demain, professeurs : mal formés, mal payés, en sachant à peine plus que leurs élèves, ils se verront attribuer des tâches administratives, éducatives ou pédagogiques conformes au cahier des charges d’une école inclusive, diversitaire, non-discriminante, LGBTcompatible, dégenrée, écologique, etc., et formeront à leur tour, au lieu d’esprits libres, des militants dogmatiques et peu cultivés qui poursuivront leurs parcours dans des universités vérolées par les mêmes idéologies wokistes – ce futur est d’ores et déjà notre présent. 

A lire aussi: Uniforme à l’école? Osons un référendum!

Mobilités apprenantes: ça bouge enfin

M. Pap Ndiaye, tout occupé qu’il est à ne rien faire pour redresser la situation, ose prétendre que « les résultats de la France s’améliorent ». Il s’appuie pour cela sur les récents résultats de l’enquête internationale Pirls mesurant tous les cinq ans le niveau de lecture des élèves de niveau CM1 dans 57 pays : cette enquête démontre que la France, en 2021, se stabilise… à un niveau catastrophiquement bas, derrière les 17 pays de l’UE participant à cette enquête hormis Chypre et la Belgique. La France ne s’en sort pas si mal, se console donc le ministre, puisque des pays comme l’Espagne ou la Slovénie ont vu « leurs résultats baisser significativement » – bref, ça aurait pu être pire si cela n’allait déjà pas si mal. Sur son compte Twitter, en direct du Parlement européen, M. Ndiaye nous apprend en charabia qu’il travaille de concert avec ses homologues européens à l’amélioration des… « mobilités apprenantes » – en clair, les échanges entre établissements européens et internationaux. À cette décision supposément primordiale et à la campagne tout aussi supposément prioritaire contre les LGBTphobies, ajoutez le plan de « mixité sociale et scolaire » concocté par notre ministre – vous obtenez ainsi la certitude que notre système scolaire subclaquant n’est pas prêt de se relever. Pap Ndiaye aura sûrement prochainement une nouvelle et étrange raison de se réjouir : le niveau ne baissera plus puisque nous aurons définitivement atteint le fond. Cela ne devrait plus tarder.

Ma nuit chez Helmut Berger

L’acteur autrichien, révélé par Luchino Visconti (Ludwig ou le Crépuscule des dieux, Les Damnés) est décédé à Salzbourg à l’âge de 78 ans.


J’ai toujours pensé, à l’instar de la plupart des cinéphiles, que le cinéma – qualifié volontiers de « 7ème Art » – était avant tout, y compris pour les films les plus réalistes, l’art par excellence de l’illusion, de l’apparence ou de la chimère et, pour tout dire, de l’artifice. En cela, il illustre au plus haut point ce qu’Oscar Wilde, le dandy le plus tragiquement flamboyant (l’oxymore est de mise) de son temps, affirmait dans ses subversives Formules et maximes à l’usage des jeunes gens : « Le premier devoir dans l’existence, c’est d’être aussi artificiel que possible. » Charles Baudelaire, autre maître en matière de dandysme littéraire et philosophique, l’avait, du reste, déjà dit dans une de ses meilleures « Critiques d’art », Le Peintre de la vie moderne, et, plus précisément encore, dans son chapitre XI,  consacré, comme son titre l’indique, à l’ Eloge du maquillage. Il y oppose magnifiquement bien, dans le sillage de ce libertinage érudit inhérent à quelques-uns de ses plus illustres prédécesseurs, la culture, et donc l’artifice, à la nature, qu’il juge « primitive », sinon, par son côté sauvage, aux antipodes de ce qu’est censée être la « civilisation ». De fait, écrit-il, y assimilant le « beau » (l’esthétique) au « bien » (l’éthique) et, dans la foulée, faisant donc là de l’art, sorte de rédemption esthétisante, le moteur de la morale : « Tout ce qui est beau et noble est le résultat de la raison et du calcul. Le crime (…) est originellement naturel. La vertu, au contraire, est artificielle, surnaturelle (…) Le mal se fait sans effort, naturellement, par fatalité ; le bien est toujours le produit d’un art. »

Luchino Visconti: une esthétique somptueusement décadente

C’est donc fort de cette philosophie du dandysme que, transposée au XXe siècle, j’ai toujours considéré Luchino Visconti, l’un des maitres du cinéma italien, comme l’un des plus grands esthètes de notre temps. Sa mort même, qui n’est pas sans évoquer celle du dramatique héros de sa très mahlérienne Mort à Venise (adaptation cinématographique du roman éponyme de Thomas Mann), fut une œuvre d’art puisque ce mélomane averti s’en alla paisiblement, le 17 mars 1976, à l’âge de 69 ans, en écoutant une dernière fois, recueilli et les yeux clos pour en savourer l’ineffable profondeur, la troisième et très lyrique symphonie de Brahms : « frei aber froh » (« libre mais heureux ») en est, tel un mélodieux leitmotiv, sa romantique devise.

Luchino Visconti prononça d’ailleurs lui aussi, au seuil de son trépas, cette phrase éminemment dandy, tragique s’il en est : « Être face à la beauté, c’est être confronté à la mort ! » Ce fut justement là, ce côté essentiellement fragile, ce caractère inévitablement éphémère de toute beauté, l’un des thèmes majeurs de ses films les plus emblématiques, esthétisants au possible malgré leur veine indubitablement décadente, au premier rang desquels émergent, par-delà même sa bien nommée Mort à Venise (1971), des œuvres aussi incorruptibles, paradoxalement au vu de cette douloureuse fugacité du temps, que Les Damnés (1969), Ludwig, le crépuscule des dieux (1973) ou Violence et Passion (1974) : trois films magistralement interprétés, dans le rôle principal, par son acteur fétiche et, tout à la fois, jeune amant en qui il disait voir « l’image incarnée de la perversion » : Helmut Berger, qui vient précisément de nous quitter lui aussi, ce 18 mai 2023, à l’âge de 78 ans !

Mon hommage à Helmut Berger

C’est dire si, au vu de ces éléments (mon intérêt pour l’esthétique dandy tout autant que pour le génie viscontien), je fus littéralement enchanté lorsque, à ma grande surprise, l’une de mes amies italiennes – une attachante mais excentrique actrice de théâtre – me proposa d’aller rendre visite, dans son appartement des « Parioli », l’un des quartiers les plus chics de Rome, au fascinant mais, insistait-elle, solitaire et insomniaque Helmut Berger !

Je me souviens. Cela se passa, en novembre 1990, lors de l’une de ces belles et douces nuits romaines d’un automne encore clément en cette antique ville méditerranéenne. Il était déjà minuit, à peu près : une heure certes inconvenante, pensais-je en mon for intérieur, pour aller sonner de manière aussi impromptue à la porte de quelqu’un, en le réveillant probablement et en le dérangeant dès lors certainement, que je ne connaissais pas, sinon à travers quelques-uns des films les plus mythiques de ma jeunesse.

A lire aussi, Thomas Morales: Pourquoi, toujours revenir dans la «ville éternelle»?

Mais non, au contraire : le légendaire et séduisant Helmut Berger, longtemps réputé être l’homme « le plus beau du monde » à en croire les journaux à la mode, nous ouvrit très aimablement la porte, le sourire aux lèvres, la voix calme, presque blasée, et les cheveux certes quelque peu ébouriffés, mais manifestement encore bien éveillé malgré l’heure tardive. Vêtu d’un simple et sobre pyjama, sans même de robe de chambre pour nous recevoir, il nous conduisit alors nonchalamment, un verre de vin rouge à la main, mais titubant légèrement tout de même, dans son salon : un banal salon aux murs blancs, presque entièrement dégarnis, et de dimension relativement modeste, plutôt moderne et même fonctionnel, comme on en voit d’habitude, sans luxe ni apparat, dans les immeubles soucieux du seul confort de ses résidents certes aisés, mais néanmoins dépourvus de tout sens artistique. De fait, pensais-je alors en silence, quelque peu déçu par cette atmosphère froide et visiblement sans âme : on était loin là, chez celui qui demeurait pourtant une icône pour ses admirateurs, de l’esthétique viscontienne, sommet inégalé de bon goût, d’élégance et de raffinement, délicatement décadente malgré l’opulence de ses décorums théâtraux, où, sous les ors de lambris admirablement sculptés, drapés dans de somptueux velours rouge et embaumés de savants bouquets de fleurs, émergent de fastueux palais aristocratiques, comme issus des canons architecturaux de la haute Renaissance plus encore que du meilleur Baroque !

Ainsi parlait-il de Romy Schneider et Alain Delon

Helmut Berger, dont le visage plongeait de temps à autre dans la petite coupe de poudre blanche qui, tel l’antre crayeux de ses paradis artificiels, ornait la table basse de son salon, n’aurait-il donc été, me demandai-je alors secrètement, que la superbe construction ou, mieux encore, la création fantasmée, comme le veut effectivement l’art cinématographique en sa plus noble expression, du génie viscontien ? A renforcer ce sentiment fut d’ailleurs aussi le fait qu’il ne me parla au fond que très peu, à mon grand désarroi et malgré l’évident intérêt que je lui manifestais à cet égard, de Luchino Visconti, son pygmalionesque mentor (à l’instar d’Oscar Wilde face à son diabolique Bosie, ou, dans Le Portrait de Dorian Gray, lord Henry devant son jeune et beau disciple) bien plus que lui-même n’en fut, à l’inverse, l’idéale muse.

Il me parla cependant beaucoup, en revanche, de l’émouvante Romy Schneider, qui, sous les airs faussement ingénus de Sissi, duchesse de Bavière et future impératrice d’Autriche, lui donna d’ambigües mais charmantes répliques dans l’inoubliable et très wagnérien (quoique mâtiné ici d’une « hybris » à la (dé)mesure du Zarathoustra nietzschéen) Ludwig, tandis qu’il vitupéra, le regard injecté d’une rage folle, la bouche pâteuse et l’haleine imbibée d’alcool, sur celui qu’il pensait être à tort son éternel rival aux yeux de Visconti : Alain Delon, dont l’éminent jeu d’acteur, plus que de comédien, demeure un modèle du genre dans l’ancien mais bouleversant Rocco et ses frères (1960, « lion d’or » à la Mostra de Venise) aussi bien que dans l’immortel Guépard (1963, d’après le chef-d’œuvre romanesque de Giuseppe Tomasi Di Lampedusa).

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La sécession viennoise: Klimt et Schiele

Ainsi, les heures s’égrenant au fil de cette conversation, vint le moment (il était alors trois heures du matin) de nous quitter. Je pris cependant encore le temps de lui dire, le sachant Autrichien de surcroît, ma passion pour les artistes de la « Sécession Viennoise », de Gustav Klimt à Oskar Kokoschka, en passant par Alfred Kubin et surtout Egon Schiele. C’est alors qu’il me proposa de le suivre dans sa chambre, où, me confia-t-il d’un air entendu, l’œil malicieux et le regard complice malgré moi, il avait « quelque chose d’intéressant à (me) montrer ». Et de fait, sur le mur s’étendant longitudinalement au-dessus de son lit (un lit, bizarrement, d’une place), étaient accrochés horizontalement, sur deux rangées parallèles et soigneusement encadrés, une douzaine de dessins, au fusain, de quelques-uns, précisément, de ces grands peintres viennois, dont – mon préféré – un Egon Schiele : dessin érotique, mais un pastel celui-là, que lui avait offert, me chuchota-t-il au creux de l’oreille, Luchino Visconti en personne !

Splendeur et misère d’un dandy: l’enfer du décor!

Je ne m’attarderai cependant pas ici, par discrétion envers sa personne tout autant que par respect envers sa mémoire, sur ce qui se trama, par la suite, dans l’intimité de cette alcôve aux réminiscences mitteleuropéennes. Qu’il me soit toutefois permis de dire que, quelques jours après seulement, je pus lire dans la chronique mondaine de la presse italienne, que, s’étant un soir endormi, un verre de whisky à la main et une cigarette allumée aux lèvres, l’imprudent Helmut Berger avait malencontreusement mis le feu à son appartement, faisant ainsi partir en fumée, ravagés par les flammes, ces précieux, subtils et rares dessins d’une époque pour lui révolue. L’enfer du décor !

Le symbole, on en conviendra, est éloquent, particulièrement révélateur, telle une parabole bouclant ainsi la boucle, de sa propre existence, riche, singulière, tourmentée, scandaleuse et pathétique à la fois : ces sublimes œuvres d’art, dont l’admirable quoique sulfureux Schiele, flambèrent comme Berger, parvenu au faîte d’une aussi tentante et pourtant vaine gloire, brûla sa vie par les deux tragiques bouts d’une identique, parfois funeste mais toujours lumineuse, chandelle humaine.

Splendeur et misère d’un dandy : repose donc désormais en paix, cher Helmut, clair-obscur encore vivifiant, n’en déplaise à la mortifère faucheuse, parmi les ombres d’outre-tombe !

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Immigration: la droite découvre la lune!

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Le parti d’Eric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau dégaine une proposition de loi constitutionnelle pour tenter de mettre fin à l’immigration de masse. Dans un entretien paru dans le JDD, les trois hommes détaillent leurs mesures (retour de la double peine, délit de séjour irrégulier, possibilité de déroger aux directives supranationales, réforme de la procédure d’asile et du droit du sol, référendum). Un réveil fort tarif, regrette Ivan Rioufol…


Bonne nouvelle: les Républicains découvrent la lune. Ils admettent, sans fard, la réalité du « chaos migratoire » et ses liens avec l’insécurité et la partition de la nation. Dans le JDD, hier, Eric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau ont fait connaître leurs propositions « pour mettre un coup d’arrêt à l’immigration de masse ». 

A relire: Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

Lundi dernier, dans Le Figaro, l’ancien premier ministre Manuel Valls déclarait: « Nous devons appuyer sur le bouton « stop » pour remettre à plat et arrêter l’immigration sans but ». Tous reconnaissent l’urgence de revenir au principe de l’assimilation. Si les LR se gardent de supprimer totalement le droit du sol et le regroupement familial – ces machines à produire des Français de papier -, ils assument néanmoins leur volonté de rétablir la souveraineté du législateur français face à la prépondérance du droit européen. Mais reste la question: pourquoi ces politiques ont-ils mis quarante ans à admettre la gravité des conséquences d’une immigration de peuplement impensée ? Pourquoi la droite a-t-elle accepté de réciter, derrière Jacques Chirac: « L’immigration est une chance pour la France » ? Pourquoi a-t-elle cautionné Nicolas Sarkozy dans ses odes à la diversité et au métissage obligé ? Depuis les années 90, votre serviteur n’a cessé d’alerter sur la lâcheté des décideurs, en essuyant les infamies des « antiracistes ». Valls le reconnaît d’ailleurs: « Le camp républicain est tétanisé par l’extrême droite depuis des décennies ». Les LR seraient-ils devenus audacieux ? À voir…

À lire aussi: Manuel Valls: «J’ai connu le pouvoir, le succès, la chute et le rejet»

Ce n’est pas tant l’ampleur de l’immigration qui affole la droite que l’envolée du RN et la bonne tenue de Reconquête, qui posent sur ce sujet un regard sans tabous. Demeure, chez LR, une réticence à tenir un langage « populiste », qui réponde à la vulnérabilité identitaire d’une partie majoritaire de la société. Le Grand remplacement, cette perspective démographique et civilisationnelle qui s’observe déjà en certains lieux, est une constatation que les LR récusent. Ils réclament des quotas, qui seraient d’autres entrées. En réalité, une réticence idéologique les empêche de stopper une immigration devenue faiseuse de troubles.

La droite n’a évidemment pas protesté contre l’annulation par Gérald Darmanin, dimanche, d’un hommage qui devait être rendu pas l’association Iliade à l’historien Dominique Venner, suicidé il y a dix ans au cœur de Notre Dame de Paris, à la manière de Caton. Voici ce qu’écrivait l’indésirable (1)« Je m’insurge contre ce qui me nie. Je m’insurge contre l’invasion programmée de nos villes et de nos pays, je m’insurge contre la négation de la mémoire française et européenne. Je dois à celle-ci des exemples de tenue, de vaillance et de raffinement venus du plus lointain passé, celui d’Hector et d’Andromaque, d’Ulysse et de PénélopeMenacé comme tous mes frères européens de périr spirituellement et historiquement, cette mémoire est mon bien le plus précieux. Celui sur lequel s’appuyer pour renaître ». Ce courage de vieux Romain, qui le partage aujourd’hui ?


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Un soir à Montparnasse avec Mirbeau

Lisa Martino interprète magistralement «Le journal d’une femme de chambre» au Théâtre de Poche du mardi au samedi à 19h00


La salle du bas s’en remet à peine. Elle se déplie lentement. Elle a été saisie par toutes les émotions, tous les spasmes que la scène est en mesure de procurer avant d’aller souper. Du rire au fracas, de l’irrévérence au malaise, de la cruauté à l’humanité friable, de l’érotisme poisseux à l’indigence ménagère ; une heure et dix minutes à bord de ce grand huit, il y eut des pics vertigineux et des abysses amoraux. La salle se vide calmement, sans brouhahas. Quelques chuchotements à peine.

Lisa Martino possédée par le texte de Mirbeau

Ce soir, le silence vaut approbation et hommage car c’est le dernier spectacle personnellement programmé par Philippe Tesson (1928-2023) dans son théâtre de Montparnasse. Un classique lu, enseigné et disséqué dans tous les collèges de France. Les spectateurs remontent péniblement les marches, groggys et heureux, sous l’effet d’Octave Mirbeau (1848-1917), son venin libertaire et sa drôlerie assassine bousculent toujours les idées reçues et chahutent notre douillet confort intellectuel. Aucune bousculade dans l’escalier, la pièce infuse dans toutes les têtes, elle fait patiemment son travail de sape, elle mine, une à une, toutes nos certitudes. On repart avec elle, dans son veston ou son sac à main, elle nous accompagnera durant toute la nuit. Elle terrifie autant qu’elle amuse, elle racle l’existence comme ces pelleteuses qui rappent parfois le lit des rivières et en soulèvent tout le limon, elle est sans répit, sans rédemption, diabolique et addictive. Mirbeau autopsie avec un scalpel, il ausculte toutes les parcelles de chair, dévoile tous les faux-semblants et traque le monstre derrière chaque Homme. Chez Mirbeau, la domesticité rend compte de l’abjection en mouvement. D’une chute inexorable des valeurs. Tout est pourri au royaume de l’indifférence.

À relire, du même auteur: Profession: chroniqueur d’opinion

La misère sociale, l’appât, la décomposition des sentiments, la rapacité des rapports, les plaisirs artificiels, cette brutalité sourde d’être mal née, cet esclavage moderne sont les ferments d’une immoralité qui gangrène l’âme. Comment incarner cette radicalité et cet abandon nocif sans trahir le propos de l’écrivain, sans le réduire à une dénonciation puérile ?


Il fallait une actrice possédée par son texte, capable de déstabiliser le public, par un jeu ample et abrasif, ne se contentant pas d’effleurer le vice et l’opprobre, mais de s’y lover avec déraison. Lisa Martino est une grande comédienne qui ne s’économise pas, ne s’appuie pas sur quelques trucs du métier, ne s’épargne pas dans l’effroi, elle prend ce rôle de femme de chambre dans l’entièreté de sa dimension dramatique. Elle ne vacille pas devant une telle gageure. Mais, quelle rigueur, quel écho, quelle puissance scénique ! Elle tient jusqu’au bout. Drôle et désespérée. Faible et réfléchie. Empruntée et libre. Dépouillée et merveilleuse dans les décors signés Bastien Forestier. Horrible et immense à la fois. Instable au bord du gouffre, ne pouvant résister à l’étreinte du mâle. Sur une mise en scène de Nicolas Briançon, Lisa Martino nous cloue sur notre banquette en velours rouge, en offrant une interprétation d’une pureté et d’une intensité sans filet. Elle ne minaude pas, elle encaisse, elle ne cherche pas à plaire, elle joue simplement juste, aussi bien dans la verdeur que dans l’aigreur de la pièce, acceptant l’ignominie d’une vie sans horizon. Emancipée, elle chantonne avec des accents poulbots en faubourienne des buanderies ; terrassée par ses origines, elle est tout en désordre intérieur surtout quand elle raconte les affres de son enfance ; et pourtant, elle ne tombe jamais dans la confession démagogique, puis elle se fait aguicheuse par nécessité et pulsion ; toute l’écume de Mirbeau passe dans sa voix et ce corps délié. Lisa Martino est tout à la fois, incandescente victime, irrépressible bourreau, empêchée et forte, tentant d’avancer dans le cloaque des destins confinés. Elle apparaît dans son bain, elle s’éponge d’abord, puis elle va se confesser avec une forme de lucidité grandiose et désobligeante, outrageante et chaotique, où la réalité vécue est soigneusement malaxée, triturée, macérée. Tant que la pièce est encore à l’affiche, ne passez pas à côté de cette splendide opération de dénudement psychologique avec une actrice de premier plan.  

Le journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau – Mise en scène Nicolas Briançon avec Lisa Martino – Théâtre de Poche

Interdiction de manifester et obligations de faire aux footballeurs: la liberté d’opinion définie par l’exécutif

Le centrisme se fait de plus en plus autoritaire. Alors que les footballeurs sont sommés de revêtir un maillot arc-en-ciel aux couleurs du mouvement LGBT, «l’extrême droite» est désormais ciblée par Gérald Darmanin à chacun de ses raouts. Pourtant, la liberté d’opinion est un droit chèrement gagné et il ne s’agit pas de la liberté de penser comme tous les autres, rappelle notre chroniqueur.


Un pouvoir politique peut contraindre un peuple ou une minorité de deux manières: par l’interdiction ou par l’obligation de faire. Les 613 mitzvot de la tradition rabbinique contenus dans le Pentateuque sont ainsi composés de 248 commandements positifs obligeant à l’accomplissement d’actes et de 365 commandements dits « négatifs » prohibant aux juifs certains actes au quotidien. C’est précisément cette dimension quasi religieuse qu’installe en ce moment le gouvernement d’Elisabeth Borne par l’intermédiaire de Gérald Darmanin qui instrumentalise le droit et singulièrement nos libertés publiques fondamentales, ensemble essentiel de droits dans une démocratie mature. Interdictions et obligations sont les mamelles de cette tentation tyrannique.

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Un hommage à Dominique Venner interdit

Pour répondre aux attaques de l’extrême-gauche qui a fait de la manifestation de rue le socle de son militantisme politique, Gérald Darmanin s’en prend depuis quelques semaines à l’extrême droite honnie. Victime expiatoire du duel à distance que se livrent le centrisme autoritaire d’Emmanuel Macron et la  gauche insurrectionnelle qui pense être en mesure de prendre le pouvoir par l’intermédiaire d’un soulèvement populaire, « l’extrême droite » est désormais ciblée à chacun de ses raouts, quel que soit le mouvement. L’Action Française a vu sa centenaire Fête de la Jeanne menacée, de même que son colloque. Ce week-end, l’Illiade formé en hommage à Dominique Venner a été interdite de se rassembler pour le dixième anniversaire du suicide sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris de cet intellectuel identitaire radical qui se voulait « sacrificiel ».

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Pris par le président Albert Lebrun avant d’être codifié en 2012 dans le Code de la sécurité intérieure, le décret-loi du 28 octobre 1935 a soumis à l’obligation de déclaration préalable  les cortèges, défilés, rassemblements de personnes, et plus généralement toutes les manifestations sur la voie publique. Ce sont les préfets qui ont le pouvoir d’interdire ou d’autoriser lesdits rassemblements, ces derniers étant bien sûr fortement soumis à la pression du ministère de l’Intérieur. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dit que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

La dérive a commencé avec Dieudonné

On constate pourtant depuis de nombreuses années, notamment depuis le quinquennat Hollande, que la notion de « trouble à l’ordre public » est désormais très extensive. Un cas a fait l’objet de nombreux commentaires au cours de la décennie écoulée : l’interdiction préventive du spectacle Le Mur de Dieudonné. En dépit des réserves légitimes qu’on peut formuler envers le contenu des spectacles de cet humoriste, il est d’usage d’utiliser la procédure judiciaire pénale de droit commun pour sanctionner les éventuels propos délictueux qui pourraient être prononcés au cours d’un spectacle, et non de faire interdire un spectacle par arrêté préfectoral avant même que sa première n’ait été donnée en invoquant le motif de possibles troubles à l’ordre public. Un arrêté qui était peu de temps après annulé par le Tribunal Administratif de Nantes.

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Se produisit ensuite l’invraisemblable avec la convocation du Conseil d’État à peine deux heures après l’annulation, chose inédite depuis 1962, ledit Conseil d’État s’étant en ce temps réuni pour suspendre une… condamnation à mort ! Le 9 janvier 2014, l’institution publique rendait donc une ordonnance politique pour suspendre et annuler le spectacle de Nantes, émouvant au passage la plupart des spécialistes en droit public français et revenant sur une jurisprudence de 1933, l’arrêt Benjamin. Était finalement annulé a priori une représentation publique sur un motif d’ordre public et, au conditionnel du conditionnel, sur le fait que les propos qui « pourraient être tenus à cette occasion pourraient constituer une “atteinte à la dignité de l’être humain” ».

De la même manière que Manuel Valls, à qui il semble emprunter jusqu’aux mimiques, Gérald Darmanin a forcé le droit en poussant Laurent Nunez, préfet de police de Paris, à prononcer des arrêtés interdisant les rassemblements du mouvement royaliste Action Française. Evidemment, le tribunal administratif a finalement suspendu l’arrêté, puisqu’une telle décision ne peut être qu’exceptionnelle et motivée par des précédents d’affrontements et non parce que l’hommage rendu à Sébastien Deyzieu par le Comité du 9 Mai la semaine précédente avait suscité l’ire de l’extrême-gauche décidément uniquement libertaire avec ses propres idées. Une démocratie libérale ne fait pas de morale, elle ne censure pas les idées qui ne lui conviennent pas. Et même les idées anti-républicaines… 

Il n’est pas interdit d’être favorable à un autre régime que la République

Gérald Darmanin a pourtant fait part de son émotion après avoir entendu des slogans appelant à abattre la République lors de la Fête de la Jeanne. Il en a le droit. Mais il n’est toutefois théoriquement pas prohibé d’être favorable à l’instauration d’un autre régime en France, comme il est autorisé d’être virulemment républicain en Grande-Bretagne. Il est à parier que Gérald Darmanin ne s’arrêtera pas en si bon chemin, jouant la partition du petit caporal en multipliant les vexations et interdictions en dernière minute de différents rassemblements qui n’auront pas l’heur de lui plaire, quitte à demander à ses préfets de prononcer les arrêtés tout juste avant la tenue des évènements de manière à ce que le tribunal administratif ne puisse pas les casser. C’est précisément ce qu’il a fait à l’Illiade.

Marseille reçoit Angers lors de la 35e journée de Ligue 1 de football. Les joueurs étaient invités à soutenir le message « Homos ou hétéros, on porte tous le même maillot » lors de cette journée du champhionnat © ADIL BENAYACHE/SIPA

Alors qu’il est interdit à certains d’exercer leur liberté de rassemblement, il semble qu’il faille en forcer d’autres à afficher des symboles politiques qu’ils refusent. Citons par exemple le cas des footballeurs de la Ligue 1 qui ont dû revêtir un maillot arc-en-ciel aux couleurs du mouvement LGBT lors de la 37ème journée. Certains joueurs, majoritairement mais pas exclusivement de confession musulmane, ont refusé d’arborer ce symbole. Ils en avaient le droit le plus absolu s’agissant d’une demande extra-contractuelle non comprise dans leurs obligations professionnelles à l’égard des clubs qui les emploient.

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Il semblerait que notre pays ait oublié que la liberté d’opinion est un droit chèrement gagné et qu’il ne s’agit pas de la liberté de penser comme tous les autres dans un cadre autorisé, mais bien d’une liberté maximale tant qu’il n’y a pas d’apologie de crimes contre l’humanité ou d’appels à la violence. La France est-elle encore une démocratie ou bien une démocrature ?

Les désillusions d’un Brexiter

Bouillonnant défenseur du Brexit pendant des années, Nigel Farage admet aujourd’hui que la sortie de l’UE « a échoué ». Analyse.


Dire qu’il a été le chantre le plus éclatant de l’euroscepticisme! Député européen pendant 20 ans, président de la formation UKIP, Nigel Farage a bataillé pendant près de trois décennies contre la présence du Royaume Uni au sein de l’Union Européenne. Il avait juré qu’une fois son objectif politique atteint, il se retirerait et reprendrait son activité de courtier en métaux. Un jour de 2010, à Strasbourg, il compara le charisme du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, à celui d’une «  serpillière humide ».

Le Royaume-Uni est aujourd’hui le seul pays du G7 à ne pas avoir retrouvé son PIB d’avant la pandémie

Aussi, au lendemain du référendum de 2016 qui a vu la courte victoire du Brexit (51,89 % des suffrages se prononçant pour le retrait), Farage pouvait annoncer, triomphant : « J’ai accompli ma mission ».

«Le Brexit a échoué»

Depuis, c’est la désillusion. C’est en tout cas ce que l’on peut comprendre de l’interview donnée par cet homme politique chevronné, le 16 mai, dans l’émission Newsnight, sur la BBC. «  Le Brexit a échoué » a admis Nigel Farage. La manie réglementaire de l’Etat britannique aurait pris le relais de celle de l’UE, en pire, selon ce libéral convaincu: « On peut dire que maintenant que nous avons repris le contrôle, nous réglementons nos propres entreprises encore plus qu’elles ne l’étaient en tant que membres de l’UE ! » Il a ajouté: « Avec l’impôt sur les sociétés, nous éloignons les entreprises de notre pays ».  Sans aller jusqu’à dire que le Royaume Uni s’en sortirait mieux économiquement s’il était resté dans l’Union Européenne, Farage place la faute sur les conservateurs au pouvoir, qui auraient mal négocié le virage après 2020… « Ce que le Brexit a prouvé, j’en ai peur, c’est que nos politiciens sont à peu près aussi inutiles que l’étaient les commissaires à Bruxelles » a-t-il analysé.

Un demi-million d’immigrés en un an

Bizarrement, l’aveu d’échec du leader souverainiste contraste avec le relatif déni du gouvernement britannique actuel. Le Premier ministre, Rishi Sunak, refuse de reconnaître l’échec économique de la sortie du Royaume de l’Union. Le chancelier de l’Echiquier, Jeremy Hunt, qui avait fait campagne pour le Bremain, a reconnu quelques dommages mais souligne aussi les opportunités créées, notamment grâce au nouvel accord commercial conclu avec l’Australie.

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Mais, les chiffres font état d’un constat peu reluisant. L’organisme de surveillance économique du gouvernement, l’Office for Budget Responsibility (OBR), estime que les importations et les exportations sont de 15% inférieures à ce qu’elles auraient été si le Royaume-Uni était resté dans l’Union Européenne, et que la productivité sera à terme de 4% moins bonne que ce qu’elle aurait été si le Bremain l’avait emporté. Le Royaume-Uni est aujourd’hui le seul pays du G7 à ne pas avoir retrouvé son PIB d’avant la pandémie.

Enfin, l’immigration, au cœur de la campagne de 2016, ne s’est guère tarie, bien au contraire. Un demi-million d’immigrés sont entrés au Royaume-Uni entre juin 2021 et juin 2022 (chiffre toutefois sans doute soutenu par la guerre en Ukraine, et l’afflux de personnes fuyant Hong-Kong) et les bateaux de fortune continuent de traverser la Manche. Pour l’instant, ni en termes de lutte anti-migratoire, ni sur le plan macro-économique, le Brexit ne semble tenir ses promesses.

La guerre en Ukraine démontre les limites de l’interdépendance alimentaire

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Dès 2021, sous la conjonction des conséquences de la crise sanitaire et l’inflation des coûts de l’énergie, la situation alimentaire mondiale paraissait préoccupante. L’invasion russe de l’Ukraine, principal pays agricole européen et communément considéré comme le «grenier à blé» de l’Europe, a aggravé ce phénomène. Ce contexte crisogène appelle à ajouter aux mesures de court-terme une vision prospective de long-terme pour éviter la catastrophe, alors que s’adjoint l’enjeu climatique à une situation déjà dégradée. Avec pour seul prisme: produire mieux, plus et en diversifiant les zones de production. 


Un catalyseur de famine dans un environnement international déjà dégradé 

Un bref regard aux statistiques suffit à donner un aperçu précis du rôle hautement stratégique de l’Ukraine dans l’environnement alimentaire international: 30 millions d’hectares cultivés dans de la grande culture constitutive de l’alimentation de base d’une grande partie des populations, notamment africaines et du Proche-Orient, ainsi du blé, du maïs, du colza, de l’orge ou encore du seigle. Pour le blé, le pays en produisait d’ailleurs 106 Mt au total en 2021 — deux fois plus qu’en 2010 — et en exportait 80 Mt, soit 5 % des exportations mondiales. L’Ukraine est ainsi le quatrième producteur mondial de blé, le cinquième producteur de maïs, le premier producteur de tournesol et assure 15 à 20% des exportations internationales d’orge et de colza. Le montant de ses exportations a été multiplié par 12 en 20 ans grâce à un processus volontariste de modernisation du secteur primaire, mené au plus haut niveau de l’État. Côté russe, la guerre a entre autres fortement resserré les exportations d’engrais azotés, dont les coûts ont été multipliés par trois environ, la Russie représentant 15% du marché mondial. 

Le cours du blé est passé de 263 euros le 16 février 2022 à 438 euros à la mi-mai 2022. Certes redescendue depuis à son niveau d’avant-guerre et oscillant entre 280 et 285 euros en janvier 2023, cette hausse brutale du coût des denrées de première nécessité a conduit de nombreux pays, comme l’Égypte, le Liban ou la Somalie, à réduire leurs achats et à puiser dans leurs stocks déjà limités. Les crises alimentaires sont ainsi des révélateurs des mécanismes de domination qui régissent l’ordre international: les pays les plus pauvres, qui disposent de réserves ordinairement basses et de faibles marges de manœuvre budgétaires dans leur politique de soutien aux populations, n’ont pas les moyens de s’aligner sur les prix fixés par les plus riches sur les marchés. 

Craintes persistantes à moyen et long-terme

Le cas soudanais est particulièrement révélateur des conséquences, en bout de chaîne, d’une multiplicité de causes aux effets délétères: fin juin 2022, le prix moyen du panier alimentaire a bondi de 700%, par rapport à la moyenne des cinq dernières années précédentes. L’inquiétude face à la situation alimentaire internationale est d’ailleurs également partagée, autant par les organisations supranationales que les grands acteurs du secteur: « Nous sommes au bord d’une crise alimentaire mondiale », affirme ainsi Erik Frywald, grand patron du géant Syngenta, qui s’est positionné à hauteur de 400 millions d’euros d’investissement dans les nouvelles technologies agricoles dans le pays.  

En effet, à moyen-terme, les exercices de prospective interdisent toute vision trop optimiste. Le conflit a ainsi fortement resserré la production ukrainienne, dans une proportion estimée à 40%. Le pays n’a ainsi récolté que 65 millions de tonnes de céréales en 2022, contre près de 100 habituellement. Pour un panel de raisons évidentes, dont l’engagement d’agriculteurs au front, la dégradation des terres par les combats, l’occupation russe d’une partie du territoire ou encore les interruptions d’approvisionnement depuis la centrale de Zaporijjia, qui fournit 20% de l’électricité de l’Ukraine.  

La Black Sea Grain Initiative (BSGI) demeure aussi salutaire que fragile

La guerre a fait grimper le nombre de personnes en situation de faim chronique de 10,7 millions, portant le total à 820 millions d’individus. 20 millions de personnes se sont aussi ajoutées aux individus en situation d’insécurité alimentaire, portant le total à 3,1 milliards d’individus. Les difficultés qu’a eu le Programme alimentaire mondial, qui offre une assistance opérationnelle à 150 millions d’individus, pour se fournir sur les marchés internationaux, démontrent qu’aucun acteur international n’est épargné par les tensions. 

Dans ce contexte, l’accord céréalier entre la Russie et l’Ukraine, signé le 22 juillet 2022, est rapidement apparu comme un texte aussi salutaire que fragile. S’il permet la mise en place de corridors d’exportation protégés depuis Odessa et deux autres ports de la mer Noire — il a tout de même permis l’exportation de 21 millions de tonnes de céréales en sept mois —, il reste conditionné à la bonne volonté de la Russie, qui pourrait en faire un levier de pression politique destiné à accomplir certains objectifs militaires stratégiques dans le cadre d’une géopolitique de la faim aux conséquences potentiellement dévastatrices. 

Produire mieux, produire plus 

Dans cet environnement international dégradé, une batterie de mesures de court-terme a été rapidement déployée: soutien aux agriculteurs ukrainiens, dont les exportations entrent sans droit de douane dans les pays de l’Union européenne, pression politique pour maintenir la BSGI, déploiement d’un soutien financier sous l’égide de la FAO…. Nécessaires, ces mesures ne peuvent représenter qu’un palliatif insuffisant au regard des enjeux. N’oublions pas qu’à la guerre en Ukraine s’adjoignent une hausse toujours constante de la population mondiale, la dégradation d’une partie des terres et le besoin d’adapter l’agriculture aux impératifs climatiques. Dans la perspective d’une planète peuplée de 8,6 milliards d’humains en 2030, la productivité agricole devra augmenter de 28% au cours de l’actuelle décennie, selon les conclusions d’une étude de la FAO et de l’OCDE. Le double impératif du « produire mieux » et « produire plus » s’impose donc comme une évidence. 

Produire mieux repose sur la préservation des sols et l’utilisation de leur capacité de stockage du carbone, afin d’adapter l’agriculture aux enjeux climatiques. Le déploiement à grande échelle de certaines stratégies agronomiques, comme l’agriculture régénératrice, peut représenter un atout certain. Cette approche a l’avantage de bénéficier du soutien des géants de l’agroalimentaire qui de Bonduelle à Nestlé, en passant par Syngenta, se sont positionnés sur ce segment de marché, permettant ainsi de capitaliser sur la force de frappe financière du secteur privé pour en soutenir le développement. D’autres concepts, comme l’agriculture intégrée ou l’agriculture raisonnable méritent de l’attention de la part de la communauté agricole. Gardons-nous, en effet, d’utiliser la guerre en Ukraine comme un outil rhétorique de défense acharnée du modèle industriel intensif, dont les limites sont aujourd’hui connues. Dans le même temps, la restauration d’un milliard d’hectares de terres, tel que préconisé par l’ONU ou encore le développement de l’agroforesterie pourrait permettre d’améliorer la sécurité alimentaire de 1,3 milliard de personnes, comme la restauration des zones humides peut devenir le vecteur d’une amélioration de la qualité de l’eau et de la stabilisation des écosystèmes. 

Produire plus doit se penser dans une stratégie agronomique fondée sur un recours accru aux techniques modernes dans une approche fondamentalement fondée sur la science, appelant à sortir des carcans idéologiques sur un panel de sujets, notamment les pesticides. Les États doivent aussi entamer, autant que possible, des stratégies de diversification agricole afin de sortir de la situation de dépendance à une poignée de grands producteurs internationaux. La Côte d’Ivoire a par exemple annoncé se positionner sur la production de blé et la production domestique d’intrants, comme les engrais, urées ou NPK pour faire face aux difficultés d’approvisionnement auprès de ses fournisseurs ukrainiens. 

C’est à la communauté agricole et scientifique de se saisir de ces enjeux pour promouvoir les meilleures alternatives au modèle traditionnel, dont les limites sont aujourd’hui largement connues: situation d’interdépendance délétère en cas de crise majeure touchant l’une des zones de production, dégradation des sols et inadéquation des pratiques agricoles aux enjeux climatiques demeurent les problématiques principales auxquelles des réponses fermes et volontaristes doivent être déployées.

Ukraine février 2023

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Ceux qui soutiennent Nicolas Sarkozy deviennent caricaturaux

Condamné en appel à un an de prison ferme, l’ancien président crie à l’injustice. Il semble pourtant que la décision des juges soit conforme au droit, soutient notre chroniqueur Philippe Bilger.


Depuis l’arrêt de condamnation de Nicolas Sarkozy, de Thierry Herzog et de Gilbert Azibert qui ont formé un pourvoi en cassation, la dispute devient à ce point caricaturale qu’on ne peut la traiter qu’avec ironie. En gros, ceux qui savent sont qualifiés de malveillants et ceux qui ne connaissent pas la réalité judiciaire se parent du sceau de l’objectivité.

Avis péremptoires

À supposer que je sois inspiré par une hostilité systématique à l’encontre de Nicolas Sarkozy – ce qui est absurde quand on se penche sur mon parcours et beaucoup de mes prises de position – et qu’elle altérerait la lucidité de mon appréciation sur lui, je ne vois pas en quoi elle serait plus nuisible que l’inconditionnalité obligatoire dont certains le font bénéficier.

J’ajoute que sans tomber dans le dogmatisme ni me pousser du col, il me semble que je suis peut-être un peu plus à même d’appréhender un arrêt, les infractions qui sont concernées et les processus de décision et d’élaboration des sanctions que la multitude des citoyens, journalistes, politiques ou autres qui n’hésitent pas à formuler des avis péremptoires dans une matière qu’au mieux ils maîtrisent mal, au pire ils méconnaissent totalement. Par exemple, il paraît qu’Alain Duhamel considère que la sanction est disproportionnée. Mais d’où tient-il cette conviction, cette intuition, sinon de sa subjectivité qui ne fait pas le poids face aux collégialités et longues délibérations ?

Ce qui permet d’emblée d’exclure des controverses qui ont suivi cet arrêt de condamnation – comme n’étant pas légitimes ni fiables – les catégories de gens qui pour l’une détestent tellement Nicolas Sarkozy que l’arrêt est perçu comme pas assez sévère et pour l’autre sont si enthousiastes de lui et de sa cause que la relaxe leur serait apparue évidente. On comprend bien qu’il y a là deux approches antagonistes, absolument contrastées, qui devraient interdire, par une sorte de sagesse personnelle, aux uns et aux autres de se poser comme des juges des juges, du jugement de première instance et de l’arrêt d’appel.

La tarte à la crème de « l’acharnement » des juges…

Si on admet ce constat, on est renvoyé naturellement, dans notre démocratie et si on éprouve encore un respect au moins minimal pour nos institutions, à faire confiance à la Justice qui, quoi qu’on en dise et malgré les humeurs et les aigreurs citoyennes de telle ou telle personnalité, est en l’occurrence le seul service public, dans son registre pénal, qui connaît le dossier, n’est pas suspect de partialité, bénéficie d’une collégialité et de multiples recours. Sauf à valider cette absurdité non seulement offensante mais fausse judiciairement que tous les magistrats auraient été animés par une haine unique et solidaire à l’encontre de l’ancien président et qu’ils auraient ainsi voulu sa perte, alors que par ailleurs il n’est plus une cible sur quelque plan que ce soit.

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On peut se gausser mais la multitude des regards posés sur cette affaire – elle n’est pas dérisoire, tout ce qui est transgressif commis par un président de la République ou un ancien président est important – légitime le point de vue de ceux qui ne critiquent ni n’approuvent mais prennent acte. Ce qui est mon cas.

La différence sensible, pour me faire bien comprendre, que j’ai avec mon ami Pascal Praud (CNews) est que demain, si Nicolas Sarkozy est relaxé dans d’autres procédures qui le concernent, j’en prendrai acte de la même manière tandis que lui, j’en suis sûr, exultera. Et je n’irai pas le lui reprocher à condition qu’il ne fasse pas passer sa bienveillance systématique pour une lucidité dans l’analyse judiciaire.

Au risque de continuer à choquer, puisque j’ai l’impression que plus Nicolas Sarkozy a été impliqué dans des procédures, plus il a été loué, pour ma part j’estime un peu déplacée, au regard de ce passé et peut-être de ce futur, l’image virginale qu’on ne cesse pas de dresser du parcours politique et judiciaire de Nicolas Sarkozy. Il n’est pas indifférent qu’il y ait à son encontre tant d’enquêtes, tant d’instructions. Qui, pour certaines ayant abouti à des condamnations, suscitent de la part de l’ancien président toujours la même lassante dénonciation : présomption d’innocence, acharnement des juges, violation de l’état de droit. Au fil du temps, forcément elle s’émousse pour ne pas dire qu’elle ne convainc plus personne.

… et du désastre de la justice française

J’ajoute, pour répondre à un argument ressassé qui ne vaut rien, qu’on n’invoquera pas avec succès un acharnement obsessionnel de la Justice à l’encontre de Nicolas Sarkozy puisque ce n’est pas elle qui invente par malfaisance les procédures, elles naissent du réel, des pratiques présidentielles ou ministérielles, parfois elles aboutissent à des renvois, parfois non. Ce qui est normal et relève de l’Etat de droit. Comment ose-t-on quand on a été quelques mois magistrat pour devenir ensuite avocat et être un auteur loué, soutenir que cette affaire Sarkozy est un désastre pour la Justice française ? Comme l’a fait Hervé Lehman dans Le Figaro.

À considérer l’ensemble des réactions qui ont suivi cet arrêt de condamnation, pas encore définitif, je constate comme un devoir d’ignorance pour défendre judiciairement Nicolas Sarkozy et le triste privilège d’avoir à se justifier quand on a la faiblesse de connaître un peu ce dont on parle. L’ignorance engagée a droit à la parole mais elle ne doit pas en abuser.

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Prenez le bus à impériale avec Claude Rich!

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Une comédie poétique de Jacques Baratier (1918 – 2009) qui réunit la fine fleur du cinéma français des années 1960 en DVD


Il n’y a pas que King Charles qui circule en bus à impériale à London, Claude Rich conduit le sien à Paris dans « L’or du duc », un film inédit en noir et blanc de 1965 qui ressort en DVD grâce aux soins prodigués par « Les Films du Paradoxe ». Une version restaurée, trouvaille exhumée, résurrection tant attendue, miracle du patrimoine comme le cinéma d’alors pouvait en produire. 


Troubadour existentiel

Entre la comédie musicale et le divertissement lunaire, Claude Rich, toujours aussi altier et funambule, incarne un duc désargenté, pourvu d’une famille nombreuse, dix enfants exactement, qui ne consent pas à travailler pour subvenir aux besoins de ce ménage aristo-bohème. Dans le détachement primesautier, Rich est indépassable d’insolence gamine, il vole sur l’écran, se moque des contingences matérielles, vit sa vie en apesanteur et sourit béatement, confiant dans sa destinée. Ce troubadour de l’existence hérite d’un bus à impériale, autrement appelé bus double decker, de couleur rouge comme il se doit, aussi haut que Big Ben et assez peu maniable dans les rues étroites de Montmartre. Le duc ignore cependant que le bus est en or massif, ce qui suscite la convoitise de certains et tend le ressort comique de ce film parfois chanté, parfois trop écrit, délicieusement rétro et bringuebalant aux accents surréalistes. Paris a revêtu sa blouse grise, le décor urbain et les péripéties de ce voyage intérieur sont propices aux gags visuels, nous sommes au cirque et au music-hall ; le dialogue oscille entre un populisme élégant et une abstraction revendiquée. « L’or du duc » n’entre dans aucune case, c’est pourquoi il doit être vu pour dépoussiérer nos esprits de tant de lourdeurs. Il aurait certainement charmé Jacques Audiberti (1899 – 1965), compagnon de route du réalisateur qui avait adapté son roman La Poupée en 1962. À la mort de l’écrivain, son autre ami Claude Nougaro avait écrit ce quatrain qui résume assez finement la dinguerie qui se dégage de ce long-métrage inconnu des radars télévisuels :

Ensuite, tout le monde débloquait comme lui
c’était le type même qui vous désengage
La vérité du jour explosait dans la nuit
comme un tuyau d’arrosage    

Entre Tati et la nouvelle vague

Le charme de ce film insolite réside dans le choix des acteurs. Un casting fou, populaire et spirituel, virevoltant et émouvant, où chaque vedette vient proposer un mini-sketch et montrer toute l’étendue de son talent. Ça démarre par un Pierre Brasseur déguisé en radja, il joue ici l’oncle fortuné de Claude Rich, sa tête est surmontée d’un turban diamanté, il est libidineux à souhait et férocement drôle lorsqu’il crie « Déshéritons ! Déshéritons ! » à son majordome vénal interprété par un Jacques Dufilho à la mécanique comique aussi huilé que les Bugatti de son garage personnel. Et puis, c’est un défilé permanent d’acteurs pendant 94 minutes, j’ai même cru apercevoir Geneviève Page, non créditée, me semble-t-il. Était-ce un mirage ? « L’or du duc » baguenaude entre le cinéma burlesque de Tati et les soubresauts de la nouvelle vague, on y perd le nord facilement. Claude Rich est accompagné dans cette cavalcade par une mère de famille tout à fait respectable et innocente, aimante et le cœur sur la main. 

L’immense Monique Tarbès, née en 1934, déploie ici une sensibilité mélancolique et un joli brin de voix. Nous pensons souvent à elle depuis qu’elle a tenu le rôle de dame pipi dans « Tendre poulet » de Philippe de Broca, son aplomb parigot et son timbre éclatant sont divins. Font également une apparition fugace : Danielle Darrieux en bourgeoise faussement distante, Christian Marin en gendarme bucolique, Jean Richard en notaire à vélo, Pierre Repp en vendeur de tissus, Annie Cordy en concierge, Noël Roquevert en général à la retraite ruiné, Jean Tissier en liftier ou encore le magnifique Jacques Jouanneau en chiffonnier des faubourgs. Et il y a même Elsa Martinelli aussi désirable qu’un songe d’été. 

L’or du duc de Jacques Baratier – DVD Les Films du Paradoxe

Médine à l’Armada : un drôle de moussaillon attendu sur les quais de Rouen

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Le rappeur Médine. Sipa.

Médine, le rappeur qui veut «crucifier les laïcards» à l’Armada? Des étudiants protestent.


Dans quelques jours, à Rouen (76), à l’occasion de la 8e édition de l’Armada, les quais de Seine vont revêtir leurs habits de fête. Si l’amarrage des navires civils et militaires du pont Guillaume-le-Conquérant au Musoir promet une grande liesse populaire, la programmation d’un concert risque de venir rompre l’harmonie du moment.


S’il n’existe nul arbitre des élégances et qu’il n’appartient à personne de juger des opinions des artistes conviés par la Région Normandie, la présence de l’un d’eux, Médine, interpelle néanmoins. En effet, concernant les valeurs de la République, le rappeur havrais présente de nombreuses contre-indications. Le diagnostic est clair.

Mauvaises fréquentations

Outre l’affirmation de sa religion musulmane et la promotion du voile islamique, Médine appelle dans un album intitulé “Jihad” à crucifier les laïcards (“Crucifions les laïcards comme à Golgotha !”) et “scier l’arbre de la laïcité”. Lorsqu’il affirme se “suffir à Allah” et ne pas avoir besoin qu’on le “laïcise”, le rappeur exprime on ne peut plus clairement son désamour pour la laïcité. Ainsi, ce dernier n’hésite pas à qualifier le président d’honneur et recteur honoraire de la Grande mosquée de Paris de “collabeur”, lui reprochant de prôner un islam « du juste milieu », tolérant et respectueux des règles de la société française. Pire, dans une métaphore qui n’échappe à personne, celui qui se qualifie lui-même “d’islamo-racaille” minimise les attentats islamistes et rejette la faute sur la France: “Quand t’allumes un feu, ne dis pas c’est la faute aux allumettes’”.

A lire aussi, Jean-Loup Bonnamy: L’islamo-gauchisme, vieux comme les soviets!

D’ailleurs, Médine ne cache pas ses liens avec l’association proche des Frères musulmans, Havre de savoir, qui participait, en 2012, à la diffusion d’une tribune défendant la présomption d’innocence pour Mohamed Merah. Au contraire, il participe aux conférences du prédicateur Tariq Ramadan et d’Hassan Iquioussen, l’imam fiché S, expulsé pour “propos incitant à la haine et à la discrimination” en août 2022.

Menaces

D’autre part, Médine est connu pour ses appels à la violence contre des élus de la République. Fin mars, à Albi, il se filme en lançant des fléchettes sur un portrait de Bernard Carayon, l’ancien député du Tarn et maire de Lavaur. Un mois plus tard, à Agen, il refait parler de lui en offrant à son public des piñatas à l’effigie de la députée d’Edwige Diaz et de la conseillère régionale Julie Rechagneux. Il y a quelques jours encore, au Havre, il récidive avec le portrait de Marine Le Pen. Dans une période où des maires démissionnent, les élus de la République sont menacés et les permanences saccagées, ces incitations à la haine et à la violence doivent nous interpeller.

Au regard de toutes ces considérations, il convient de s’interroger sur le sens de la présence de Médine aux concerts de l’Armada. Les amateurs de rap qui vantent la hargne et la pugnacité du personnage, ont-ils conscience de son pedigree ? Devons-nous laisser se produire devant plusieurs dizaines de milliers de personnes et aux frais du contribuable, un rappeur au discours prosélyte porteur d’une vision de l’islam contraire aux valeurs de la République ?

À supposer que la Région Normandie s’attache à défendre la laïcité, la liberté des femmes et l’intégrité physique de nos élus, son président devrait, en responsabilité, annuler la venue du rappeur havrais.

Idéologie trans et effondrement de l’école: Pap Ndiaye, premier de la classe

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La star du gouvernement, le ministre de l'Education nationale Pap Ndiaye, prix César des lycéens, Paris, 7 avril 2023 JP PARIENTE/SIPA

Dans un article récent, nous nous demandions si, suite à la réunion propagandiste animée par l’association OUTrans dans l’enceinte de l’École alsacienne, Pap Ndiaye allait laisser ses enfants dans cet établissement d’élite. Nous avons maintenant la réponse : non seulement ses enfants vont poursuivre leurs études dans cette école socialement très favorisée (la « mixité sociale », c’est pour les autres) mais ils vont sans doute devoir continuer de subir le racolage organisé par des associations agréées par le ministère de l’Éducation nationale. Sous le prétexte de « lutter contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie », leur ministre de père lance en effet une nouvelle campagne d’ampleur s’adressant « à la fois aux élèves LGBT+ et à tous ceux qui pourraient, pour quelque raison que ce soit, être empêchés de vivre pleinement leur identité ». 


Un observatoire de lutte contre les LGBTphobies dans chaque académie

Aveuglé par l’idéologie wokisto-progressiste, Pap Ndiaye continue le travail de destruction de l’école avec zèle. Plutôt que de lancer une campagne contre l’illettrisme qui frappe les élèves incapables de lire ou de comprendre un texte simple à l’entrée en classe de 6e, le ministre promeut l’idéologie du genre et soutient le prosélytisme trans. Ses priorités ne sont pas de tout mettre en œuvre pour que le pédagogisme recule et que l’instruction publique retrouve son lustre mais, après avoir mis en avant « l’éducation à la sexualité et à la vie affective (sic) », de créer « un observatoire de lutte contre les LGBTphobies dans chaque académie » et de permettre « l’intervention auprès des élèves de représentants des associations agréées œuvrant dans le champ de la prévention des discriminations ». Grâce à quelques parents de la prestigieuse École alsacienne, chacun sait maintenant ce que cela veut dire. La même propagande se répand dans de nombreux autres établissements mais les parents d’élèves de ceux-là, moins instruits, plus confiants ou complètement dépassés, ne sont généralement pas au courant – jusqu’au jour où Léa, la petite dernière, leur apprend qu’elle est non binaire ou pansexuelle et qu’elle veut changer de genre, de prénom, de pronom, etc.

A relire: Idéologie trans: même l’École alsacienne n’est pas épargnée!

Ndiaye institutionnalise les dingueries de Paul B. Preciado

Sur son compte Twitter, Marguerite Stern, ex-femen aujourd’hui insultée et menacée par les activistes trans, a sèchement recadré le ministre de l’Éducation nationale après avoir lu son communiqué de presse. Au contraire de ce que fantasme Pap Ndiaye, écrit-elle en substance, ce n’est pas la transphobie qui règne dans les écoles mais plutôt son contraire, une adhésion contagieuse au transgenrisme pouvant conduire à l’exclusion de tout individu se disant simplement hétéro et « bien dans sa peau » : « Tout coming out trans est célébré, et fait de vous une personne populaire ; c’est la course aux oppressions (mieux vaut être une “fille trans non-binaire, xénogenre, pansexuelle, racisée, musulmane et handi” qu’un “garçon blanc hétérosexuel”) ». L’emprise sectaire via les réseaux sociaux n’est plus à démontrer ; il faut maintenant lui ajouter le travail prosélyte et fanatique des associations autorisées à distiller l’idéologie du genre dans les écoles. Afin de ne pas être exclus du groupe, de plus en plus d’adolescents et, surtout, d’adolescentes, se laissent embrigader et choisissent de croire en la religion trans. Involontairement, Pap Ndiaye a opté pour un slogan – « Ici on peut être soi » – reflétant idéalement la propagande idéologique du genre : derrière l’affirmation narcissique et le désir « d’auto-réalisation ou de construction de soi », il est sous-entendu que le genre de chaque individu « assigné » à tel sexe à sa naissance n’est que le produit d’une « construction sociale », d’un discours normatif recouvrant son « véritable moi » – et que l’institution scolaire devient un des hauts lieux de la remise en cause du « régime binaire nécropolitique et hétéro-patriarcal », pour parler comme le transactiviste le plus en vogue dans les médias et les milieux culturels wokes, j’ai nommé Paul B. Preciado. Ce dernier peut jubiler : les moyens déployés par le ministère pour lutter contre « l’homophobie, la transphobie et la biphobie » véhiculent, via les associations LGBT, son programme en faveur du transgenrisme radical, c’est-à-dire le refus de la binarité sexuelle et de « l’assignation de genre » (étayant, selon lui, une « fiction politique »), en même temps qu’une adhésion totale à la transformation expérimentale et illimitée des corps, prémices du transhumanisme, cette « mutation planétaire » que Preciado appelle de ses vœux. « Ici on peut être soi » est un commencement. Suivra « le paradis de l’indifférenciation omnilatérale, où n’importe qui pourra être n’importe quoi, un rossignol, une pomme de douche, un boulon, une rose jaune faisant l’amour avec une feuille morte, etc. Et où, bien sûr, chacun s’exprimera dans une langue de feuille morte, de boulon, de rose jaune ou de pomme de douche » (Philippe Muray).

“Buzzons contre le sexisme”

Si le ministère de l’Éducation nationale semble manquer de moyens quand il s’agit de transmettre des savoirs et de lutter en premier lieu contre l’illettrisme, il n’en manque en revanche pas quand il décide de « lutter contre les LGBTphobies » : lettre à la « communauté éducative », affiches, sites dédiés, outils de communication via Éduscol, guide d’accompagnement offrant, dans la novlangue officielle, des messages lénifiants ainsi que des fiches, des sous-fiches, des supports pédagogiques et autres « ressources d’accompagnement » pour soutenir, entre autres, les délégués de classe qui seront « prioritairement sensibilisés aux enjeux de la lutte contre les LGBT+phobies ». Que pèse l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, des mathématiques, de la littérature ou de l’histoire face aux nouveaux « savoirs fondamentaux » – « respecter autrui », « acquérir et partager les valeurs de la République », « construire une culture civique » – et à l’enseignement du « respect des autres dans leur diversité » ? Pour finir d’abrutir les élèves, le programme intègre une “Éducation aux médias et à l’information” censée permettre de « travailler sur les représentations de genre véhiculés dans les médias et sur internet » à partir d’un « kit pédagogique » élaboré par l’Arcom. Enfin, après avoir déjà appliqué la notion d’éducation transversale (ou interdisciplinaire) à l’écologie et au « développement durable », le ministère stipule que « les sujets relatifs à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, aux stéréotypes de genre et aux discriminations peuvent être abordés dans l’ensemble des disciplines tout au long de la scolarité des élèves ». Plus important que l’obtention d’un baccalauréat qui de toute manière ne vaut plus rien, de nouveaux concours scolaires voient le jour : le prix “Non au harcèlement”, le concours vidéo “Buzzons (sic) contre le sexisme”, le concours “Ton podcast pour l’égalité !”, etc., deviennent des billets d’honneur pouvant favoriser l’inscription à telle ou telle filière via Parcoursup. Répétons-le, l’Éducation nationale est aujourd’hui une garderie sociale dans laquelle la transmission des connaissances est devenue secondaire. Les outils nécessaires au développement d’une véritable réflexion et d’un esprit critique sont remplacés par le marteau-pilon des idéologies sociétalement progressistes et wokes. Lionel Jospin, Vincent Peillon, Najat Vallaud-Belkacem et Pap Ndiaye, pour ne citer que les plus catastrophiques de nos ministres de l’Éducation nationale, ont délibérément fait de nos élèves les pires cancres de l’Europe – parmi ceux-là, certains seront, demain, professeurs : mal formés, mal payés, en sachant à peine plus que leurs élèves, ils se verront attribuer des tâches administratives, éducatives ou pédagogiques conformes au cahier des charges d’une école inclusive, diversitaire, non-discriminante, LGBTcompatible, dégenrée, écologique, etc., et formeront à leur tour, au lieu d’esprits libres, des militants dogmatiques et peu cultivés qui poursuivront leurs parcours dans des universités vérolées par les mêmes idéologies wokistes – ce futur est d’ores et déjà notre présent. 

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Mobilités apprenantes: ça bouge enfin

M. Pap Ndiaye, tout occupé qu’il est à ne rien faire pour redresser la situation, ose prétendre que « les résultats de la France s’améliorent ». Il s’appuie pour cela sur les récents résultats de l’enquête internationale Pirls mesurant tous les cinq ans le niveau de lecture des élèves de niveau CM1 dans 57 pays : cette enquête démontre que la France, en 2021, se stabilise… à un niveau catastrophiquement bas, derrière les 17 pays de l’UE participant à cette enquête hormis Chypre et la Belgique. La France ne s’en sort pas si mal, se console donc le ministre, puisque des pays comme l’Espagne ou la Slovénie ont vu « leurs résultats baisser significativement » – bref, ça aurait pu être pire si cela n’allait déjà pas si mal. Sur son compte Twitter, en direct du Parlement européen, M. Ndiaye nous apprend en charabia qu’il travaille de concert avec ses homologues européens à l’amélioration des… « mobilités apprenantes » – en clair, les échanges entre établissements européens et internationaux. À cette décision supposément primordiale et à la campagne tout aussi supposément prioritaire contre les LGBTphobies, ajoutez le plan de « mixité sociale et scolaire » concocté par notre ministre – vous obtenez ainsi la certitude que notre système scolaire subclaquant n’est pas prêt de se relever. Pap Ndiaye aura sûrement prochainement une nouvelle et étrange raison de se réjouir : le niveau ne baissera plus puisque nous aurons définitivement atteint le fond. Cela ne devrait plus tarder.

Ma nuit chez Helmut Berger

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Helmut Berger, 1974, © RONALDGRANT/MARY EVANS/SIPA

L’acteur autrichien, révélé par Luchino Visconti (Ludwig ou le Crépuscule des dieux, Les Damnés) est décédé à Salzbourg à l’âge de 78 ans.


J’ai toujours pensé, à l’instar de la plupart des cinéphiles, que le cinéma – qualifié volontiers de « 7ème Art » – était avant tout, y compris pour les films les plus réalistes, l’art par excellence de l’illusion, de l’apparence ou de la chimère et, pour tout dire, de l’artifice. En cela, il illustre au plus haut point ce qu’Oscar Wilde, le dandy le plus tragiquement flamboyant (l’oxymore est de mise) de son temps, affirmait dans ses subversives Formules et maximes à l’usage des jeunes gens : « Le premier devoir dans l’existence, c’est d’être aussi artificiel que possible. » Charles Baudelaire, autre maître en matière de dandysme littéraire et philosophique, l’avait, du reste, déjà dit dans une de ses meilleures « Critiques d’art », Le Peintre de la vie moderne, et, plus précisément encore, dans son chapitre XI,  consacré, comme son titre l’indique, à l’ Eloge du maquillage. Il y oppose magnifiquement bien, dans le sillage de ce libertinage érudit inhérent à quelques-uns de ses plus illustres prédécesseurs, la culture, et donc l’artifice, à la nature, qu’il juge « primitive », sinon, par son côté sauvage, aux antipodes de ce qu’est censée être la « civilisation ». De fait, écrit-il, y assimilant le « beau » (l’esthétique) au « bien » (l’éthique) et, dans la foulée, faisant donc là de l’art, sorte de rédemption esthétisante, le moteur de la morale : « Tout ce qui est beau et noble est le résultat de la raison et du calcul. Le crime (…) est originellement naturel. La vertu, au contraire, est artificielle, surnaturelle (…) Le mal se fait sans effort, naturellement, par fatalité ; le bien est toujours le produit d’un art. »

Luchino Visconti: une esthétique somptueusement décadente

C’est donc fort de cette philosophie du dandysme que, transposée au XXe siècle, j’ai toujours considéré Luchino Visconti, l’un des maitres du cinéma italien, comme l’un des plus grands esthètes de notre temps. Sa mort même, qui n’est pas sans évoquer celle du dramatique héros de sa très mahlérienne Mort à Venise (adaptation cinématographique du roman éponyme de Thomas Mann), fut une œuvre d’art puisque ce mélomane averti s’en alla paisiblement, le 17 mars 1976, à l’âge de 69 ans, en écoutant une dernière fois, recueilli et les yeux clos pour en savourer l’ineffable profondeur, la troisième et très lyrique symphonie de Brahms : « frei aber froh » (« libre mais heureux ») en est, tel un mélodieux leitmotiv, sa romantique devise.

Luchino Visconti prononça d’ailleurs lui aussi, au seuil de son trépas, cette phrase éminemment dandy, tragique s’il en est : « Être face à la beauté, c’est être confronté à la mort ! » Ce fut justement là, ce côté essentiellement fragile, ce caractère inévitablement éphémère de toute beauté, l’un des thèmes majeurs de ses films les plus emblématiques, esthétisants au possible malgré leur veine indubitablement décadente, au premier rang desquels émergent, par-delà même sa bien nommée Mort à Venise (1971), des œuvres aussi incorruptibles, paradoxalement au vu de cette douloureuse fugacité du temps, que Les Damnés (1969), Ludwig, le crépuscule des dieux (1973) ou Violence et Passion (1974) : trois films magistralement interprétés, dans le rôle principal, par son acteur fétiche et, tout à la fois, jeune amant en qui il disait voir « l’image incarnée de la perversion » : Helmut Berger, qui vient précisément de nous quitter lui aussi, ce 18 mai 2023, à l’âge de 78 ans !

Mon hommage à Helmut Berger

C’est dire si, au vu de ces éléments (mon intérêt pour l’esthétique dandy tout autant que pour le génie viscontien), je fus littéralement enchanté lorsque, à ma grande surprise, l’une de mes amies italiennes – une attachante mais excentrique actrice de théâtre – me proposa d’aller rendre visite, dans son appartement des « Parioli », l’un des quartiers les plus chics de Rome, au fascinant mais, insistait-elle, solitaire et insomniaque Helmut Berger !

Je me souviens. Cela se passa, en novembre 1990, lors de l’une de ces belles et douces nuits romaines d’un automne encore clément en cette antique ville méditerranéenne. Il était déjà minuit, à peu près : une heure certes inconvenante, pensais-je en mon for intérieur, pour aller sonner de manière aussi impromptue à la porte de quelqu’un, en le réveillant probablement et en le dérangeant dès lors certainement, que je ne connaissais pas, sinon à travers quelques-uns des films les plus mythiques de ma jeunesse.

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Mais non, au contraire : le légendaire et séduisant Helmut Berger, longtemps réputé être l’homme « le plus beau du monde » à en croire les journaux à la mode, nous ouvrit très aimablement la porte, le sourire aux lèvres, la voix calme, presque blasée, et les cheveux certes quelque peu ébouriffés, mais manifestement encore bien éveillé malgré l’heure tardive. Vêtu d’un simple et sobre pyjama, sans même de robe de chambre pour nous recevoir, il nous conduisit alors nonchalamment, un verre de vin rouge à la main, mais titubant légèrement tout de même, dans son salon : un banal salon aux murs blancs, presque entièrement dégarnis, et de dimension relativement modeste, plutôt moderne et même fonctionnel, comme on en voit d’habitude, sans luxe ni apparat, dans les immeubles soucieux du seul confort de ses résidents certes aisés, mais néanmoins dépourvus de tout sens artistique. De fait, pensais-je alors en silence, quelque peu déçu par cette atmosphère froide et visiblement sans âme : on était loin là, chez celui qui demeurait pourtant une icône pour ses admirateurs, de l’esthétique viscontienne, sommet inégalé de bon goût, d’élégance et de raffinement, délicatement décadente malgré l’opulence de ses décorums théâtraux, où, sous les ors de lambris admirablement sculptés, drapés dans de somptueux velours rouge et embaumés de savants bouquets de fleurs, émergent de fastueux palais aristocratiques, comme issus des canons architecturaux de la haute Renaissance plus encore que du meilleur Baroque !

Ainsi parlait-il de Romy Schneider et Alain Delon

Helmut Berger, dont le visage plongeait de temps à autre dans la petite coupe de poudre blanche qui, tel l’antre crayeux de ses paradis artificiels, ornait la table basse de son salon, n’aurait-il donc été, me demandai-je alors secrètement, que la superbe construction ou, mieux encore, la création fantasmée, comme le veut effectivement l’art cinématographique en sa plus noble expression, du génie viscontien ? A renforcer ce sentiment fut d’ailleurs aussi le fait qu’il ne me parla au fond que très peu, à mon grand désarroi et malgré l’évident intérêt que je lui manifestais à cet égard, de Luchino Visconti, son pygmalionesque mentor (à l’instar d’Oscar Wilde face à son diabolique Bosie, ou, dans Le Portrait de Dorian Gray, lord Henry devant son jeune et beau disciple) bien plus que lui-même n’en fut, à l’inverse, l’idéale muse.

Il me parla cependant beaucoup, en revanche, de l’émouvante Romy Schneider, qui, sous les airs faussement ingénus de Sissi, duchesse de Bavière et future impératrice d’Autriche, lui donna d’ambigües mais charmantes répliques dans l’inoubliable et très wagnérien (quoique mâtiné ici d’une « hybris » à la (dé)mesure du Zarathoustra nietzschéen) Ludwig, tandis qu’il vitupéra, le regard injecté d’une rage folle, la bouche pâteuse et l’haleine imbibée d’alcool, sur celui qu’il pensait être à tort son éternel rival aux yeux de Visconti : Alain Delon, dont l’éminent jeu d’acteur, plus que de comédien, demeure un modèle du genre dans l’ancien mais bouleversant Rocco et ses frères (1960, « lion d’or » à la Mostra de Venise) aussi bien que dans l’immortel Guépard (1963, d’après le chef-d’œuvre romanesque de Giuseppe Tomasi Di Lampedusa).

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La sécession viennoise: Klimt et Schiele

Ainsi, les heures s’égrenant au fil de cette conversation, vint le moment (il était alors trois heures du matin) de nous quitter. Je pris cependant encore le temps de lui dire, le sachant Autrichien de surcroît, ma passion pour les artistes de la « Sécession Viennoise », de Gustav Klimt à Oskar Kokoschka, en passant par Alfred Kubin et surtout Egon Schiele. C’est alors qu’il me proposa de le suivre dans sa chambre, où, me confia-t-il d’un air entendu, l’œil malicieux et le regard complice malgré moi, il avait « quelque chose d’intéressant à (me) montrer ». Et de fait, sur le mur s’étendant longitudinalement au-dessus de son lit (un lit, bizarrement, d’une place), étaient accrochés horizontalement, sur deux rangées parallèles et soigneusement encadrés, une douzaine de dessins, au fusain, de quelques-uns, précisément, de ces grands peintres viennois, dont – mon préféré – un Egon Schiele : dessin érotique, mais un pastel celui-là, que lui avait offert, me chuchota-t-il au creux de l’oreille, Luchino Visconti en personne !

Splendeur et misère d’un dandy: l’enfer du décor!

Je ne m’attarderai cependant pas ici, par discrétion envers sa personne tout autant que par respect envers sa mémoire, sur ce qui se trama, par la suite, dans l’intimité de cette alcôve aux réminiscences mitteleuropéennes. Qu’il me soit toutefois permis de dire que, quelques jours après seulement, je pus lire dans la chronique mondaine de la presse italienne, que, s’étant un soir endormi, un verre de whisky à la main et une cigarette allumée aux lèvres, l’imprudent Helmut Berger avait malencontreusement mis le feu à son appartement, faisant ainsi partir en fumée, ravagés par les flammes, ces précieux, subtils et rares dessins d’une époque pour lui révolue. L’enfer du décor !

Le symbole, on en conviendra, est éloquent, particulièrement révélateur, telle une parabole bouclant ainsi la boucle, de sa propre existence, riche, singulière, tourmentée, scandaleuse et pathétique à la fois : ces sublimes œuvres d’art, dont l’admirable quoique sulfureux Schiele, flambèrent comme Berger, parvenu au faîte d’une aussi tentante et pourtant vaine gloire, brûla sa vie par les deux tragiques bouts d’une identique, parfois funeste mais toujours lumineuse, chandelle humaine.

Splendeur et misère d’un dandy : repose donc désormais en paix, cher Helmut, clair-obscur encore vivifiant, n’en déplaise à la mortifère faucheuse, parmi les ombres d’outre-tombe !

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Immigration: la droite découvre la lune!

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Olivier Marleix (à gauche), Eric Ciotti (au milieu) et Bruno Retailleau (à droite), Angers, 4 septembre 2022 © Jacques Witt/SIPA

Le parti d’Eric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau dégaine une proposition de loi constitutionnelle pour tenter de mettre fin à l’immigration de masse. Dans un entretien paru dans le JDD, les trois hommes détaillent leurs mesures (retour de la double peine, délit de séjour irrégulier, possibilité de déroger aux directives supranationales, réforme de la procédure d’asile et du droit du sol, référendum). Un réveil fort tarif, regrette Ivan Rioufol…


Bonne nouvelle: les Républicains découvrent la lune. Ils admettent, sans fard, la réalité du « chaos migratoire » et ses liens avec l’insécurité et la partition de la nation. Dans le JDD, hier, Eric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau ont fait connaître leurs propositions « pour mettre un coup d’arrêt à l’immigration de masse ». 

A relire: Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

Lundi dernier, dans Le Figaro, l’ancien premier ministre Manuel Valls déclarait: « Nous devons appuyer sur le bouton « stop » pour remettre à plat et arrêter l’immigration sans but ». Tous reconnaissent l’urgence de revenir au principe de l’assimilation. Si les LR se gardent de supprimer totalement le droit du sol et le regroupement familial – ces machines à produire des Français de papier -, ils assument néanmoins leur volonté de rétablir la souveraineté du législateur français face à la prépondérance du droit européen. Mais reste la question: pourquoi ces politiques ont-ils mis quarante ans à admettre la gravité des conséquences d’une immigration de peuplement impensée ? Pourquoi la droite a-t-elle accepté de réciter, derrière Jacques Chirac: « L’immigration est une chance pour la France » ? Pourquoi a-t-elle cautionné Nicolas Sarkozy dans ses odes à la diversité et au métissage obligé ? Depuis les années 90, votre serviteur n’a cessé d’alerter sur la lâcheté des décideurs, en essuyant les infamies des « antiracistes ». Valls le reconnaît d’ailleurs: « Le camp républicain est tétanisé par l’extrême droite depuis des décennies ». Les LR seraient-ils devenus audacieux ? À voir…

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Ce n’est pas tant l’ampleur de l’immigration qui affole la droite que l’envolée du RN et la bonne tenue de Reconquête, qui posent sur ce sujet un regard sans tabous. Demeure, chez LR, une réticence à tenir un langage « populiste », qui réponde à la vulnérabilité identitaire d’une partie majoritaire de la société. Le Grand remplacement, cette perspective démographique et civilisationnelle qui s’observe déjà en certains lieux, est une constatation que les LR récusent. Ils réclament des quotas, qui seraient d’autres entrées. En réalité, une réticence idéologique les empêche de stopper une immigration devenue faiseuse de troubles.

La droite n’a évidemment pas protesté contre l’annulation par Gérald Darmanin, dimanche, d’un hommage qui devait être rendu pas l’association Iliade à l’historien Dominique Venner, suicidé il y a dix ans au cœur de Notre Dame de Paris, à la manière de Caton. Voici ce qu’écrivait l’indésirable (1)« Je m’insurge contre ce qui me nie. Je m’insurge contre l’invasion programmée de nos villes et de nos pays, je m’insurge contre la négation de la mémoire française et européenne. Je dois à celle-ci des exemples de tenue, de vaillance et de raffinement venus du plus lointain passé, celui d’Hector et d’Andromaque, d’Ulysse et de PénélopeMenacé comme tous mes frères européens de périr spirituellement et historiquement, cette mémoire est mon bien le plus précieux. Celui sur lequel s’appuyer pour renaître ». Ce courage de vieux Romain, qui le partage aujourd’hui ?


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Un soir à Montparnasse avec Mirbeau

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L'actrice française Lisa Martino © Fabienne RAPPENEAU

Lisa Martino interprète magistralement «Le journal d’une femme de chambre» au Théâtre de Poche du mardi au samedi à 19h00


La salle du bas s’en remet à peine. Elle se déplie lentement. Elle a été saisie par toutes les émotions, tous les spasmes que la scène est en mesure de procurer avant d’aller souper. Du rire au fracas, de l’irrévérence au malaise, de la cruauté à l’humanité friable, de l’érotisme poisseux à l’indigence ménagère ; une heure et dix minutes à bord de ce grand huit, il y eut des pics vertigineux et des abysses amoraux. La salle se vide calmement, sans brouhahas. Quelques chuchotements à peine.

Lisa Martino possédée par le texte de Mirbeau

Ce soir, le silence vaut approbation et hommage car c’est le dernier spectacle personnellement programmé par Philippe Tesson (1928-2023) dans son théâtre de Montparnasse. Un classique lu, enseigné et disséqué dans tous les collèges de France. Les spectateurs remontent péniblement les marches, groggys et heureux, sous l’effet d’Octave Mirbeau (1848-1917), son venin libertaire et sa drôlerie assassine bousculent toujours les idées reçues et chahutent notre douillet confort intellectuel. Aucune bousculade dans l’escalier, la pièce infuse dans toutes les têtes, elle fait patiemment son travail de sape, elle mine, une à une, toutes nos certitudes. On repart avec elle, dans son veston ou son sac à main, elle nous accompagnera durant toute la nuit. Elle terrifie autant qu’elle amuse, elle racle l’existence comme ces pelleteuses qui rappent parfois le lit des rivières et en soulèvent tout le limon, elle est sans répit, sans rédemption, diabolique et addictive. Mirbeau autopsie avec un scalpel, il ausculte toutes les parcelles de chair, dévoile tous les faux-semblants et traque le monstre derrière chaque Homme. Chez Mirbeau, la domesticité rend compte de l’abjection en mouvement. D’une chute inexorable des valeurs. Tout est pourri au royaume de l’indifférence.

À relire, du même auteur: Profession: chroniqueur d’opinion

La misère sociale, l’appât, la décomposition des sentiments, la rapacité des rapports, les plaisirs artificiels, cette brutalité sourde d’être mal née, cet esclavage moderne sont les ferments d’une immoralité qui gangrène l’âme. Comment incarner cette radicalité et cet abandon nocif sans trahir le propos de l’écrivain, sans le réduire à une dénonciation puérile ?


Il fallait une actrice possédée par son texte, capable de déstabiliser le public, par un jeu ample et abrasif, ne se contentant pas d’effleurer le vice et l’opprobre, mais de s’y lover avec déraison. Lisa Martino est une grande comédienne qui ne s’économise pas, ne s’appuie pas sur quelques trucs du métier, ne s’épargne pas dans l’effroi, elle prend ce rôle de femme de chambre dans l’entièreté de sa dimension dramatique. Elle ne vacille pas devant une telle gageure. Mais, quelle rigueur, quel écho, quelle puissance scénique ! Elle tient jusqu’au bout. Drôle et désespérée. Faible et réfléchie. Empruntée et libre. Dépouillée et merveilleuse dans les décors signés Bastien Forestier. Horrible et immense à la fois. Instable au bord du gouffre, ne pouvant résister à l’étreinte du mâle. Sur une mise en scène de Nicolas Briançon, Lisa Martino nous cloue sur notre banquette en velours rouge, en offrant une interprétation d’une pureté et d’une intensité sans filet. Elle ne minaude pas, elle encaisse, elle ne cherche pas à plaire, elle joue simplement juste, aussi bien dans la verdeur que dans l’aigreur de la pièce, acceptant l’ignominie d’une vie sans horizon. Emancipée, elle chantonne avec des accents poulbots en faubourienne des buanderies ; terrassée par ses origines, elle est tout en désordre intérieur surtout quand elle raconte les affres de son enfance ; et pourtant, elle ne tombe jamais dans la confession démagogique, puis elle se fait aguicheuse par nécessité et pulsion ; toute l’écume de Mirbeau passe dans sa voix et ce corps délié. Lisa Martino est tout à la fois, incandescente victime, irrépressible bourreau, empêchée et forte, tentant d’avancer dans le cloaque des destins confinés. Elle apparaît dans son bain, elle s’éponge d’abord, puis elle va se confesser avec une forme de lucidité grandiose et désobligeante, outrageante et chaotique, où la réalité vécue est soigneusement malaxée, triturée, macérée. Tant que la pièce est encore à l’affiche, ne passez pas à côté de cette splendide opération de dénudement psychologique avec une actrice de premier plan.  

Le journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau – Mise en scène Nicolas Briançon avec Lisa Martino – Théâtre de Poche

Interdiction de manifester et obligations de faire aux footballeurs: la liberté d’opinion définie par l’exécutif

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Laurent Nuñez et Gérald Darmanin, Paris, 21 juillet 2022 © Arnaud Andrieu/SIPA

Le centrisme se fait de plus en plus autoritaire. Alors que les footballeurs sont sommés de revêtir un maillot arc-en-ciel aux couleurs du mouvement LGBT, «l’extrême droite» est désormais ciblée par Gérald Darmanin à chacun de ses raouts. Pourtant, la liberté d’opinion est un droit chèrement gagné et il ne s’agit pas de la liberté de penser comme tous les autres, rappelle notre chroniqueur.


Un pouvoir politique peut contraindre un peuple ou une minorité de deux manières: par l’interdiction ou par l’obligation de faire. Les 613 mitzvot de la tradition rabbinique contenus dans le Pentateuque sont ainsi composés de 248 commandements positifs obligeant à l’accomplissement d’actes et de 365 commandements dits « négatifs » prohibant aux juifs certains actes au quotidien. C’est précisément cette dimension quasi religieuse qu’installe en ce moment le gouvernement d’Elisabeth Borne par l’intermédiaire de Gérald Darmanin qui instrumentalise le droit et singulièrement nos libertés publiques fondamentales, ensemble essentiel de droits dans une démocratie mature. Interdictions et obligations sont les mamelles de cette tentation tyrannique.

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Un hommage à Dominique Venner interdit

Pour répondre aux attaques de l’extrême-gauche qui a fait de la manifestation de rue le socle de son militantisme politique, Gérald Darmanin s’en prend depuis quelques semaines à l’extrême droite honnie. Victime expiatoire du duel à distance que se livrent le centrisme autoritaire d’Emmanuel Macron et la  gauche insurrectionnelle qui pense être en mesure de prendre le pouvoir par l’intermédiaire d’un soulèvement populaire, « l’extrême droite » est désormais ciblée à chacun de ses raouts, quel que soit le mouvement. L’Action Française a vu sa centenaire Fête de la Jeanne menacée, de même que son colloque. Ce week-end, l’Illiade formé en hommage à Dominique Venner a été interdite de se rassembler pour le dixième anniversaire du suicide sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris de cet intellectuel identitaire radical qui se voulait « sacrificiel ».

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Pris par le président Albert Lebrun avant d’être codifié en 2012 dans le Code de la sécurité intérieure, le décret-loi du 28 octobre 1935 a soumis à l’obligation de déclaration préalable  les cortèges, défilés, rassemblements de personnes, et plus généralement toutes les manifestations sur la voie publique. Ce sont les préfets qui ont le pouvoir d’interdire ou d’autoriser lesdits rassemblements, ces derniers étant bien sûr fortement soumis à la pression du ministère de l’Intérieur. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dit que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

La dérive a commencé avec Dieudonné

On constate pourtant depuis de nombreuses années, notamment depuis le quinquennat Hollande, que la notion de « trouble à l’ordre public » est désormais très extensive. Un cas a fait l’objet de nombreux commentaires au cours de la décennie écoulée : l’interdiction préventive du spectacle Le Mur de Dieudonné. En dépit des réserves légitimes qu’on peut formuler envers le contenu des spectacles de cet humoriste, il est d’usage d’utiliser la procédure judiciaire pénale de droit commun pour sanctionner les éventuels propos délictueux qui pourraient être prononcés au cours d’un spectacle, et non de faire interdire un spectacle par arrêté préfectoral avant même que sa première n’ait été donnée en invoquant le motif de possibles troubles à l’ordre public. Un arrêté qui était peu de temps après annulé par le Tribunal Administratif de Nantes.

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Se produisit ensuite l’invraisemblable avec la convocation du Conseil d’État à peine deux heures après l’annulation, chose inédite depuis 1962, ledit Conseil d’État s’étant en ce temps réuni pour suspendre une… condamnation à mort ! Le 9 janvier 2014, l’institution publique rendait donc une ordonnance politique pour suspendre et annuler le spectacle de Nantes, émouvant au passage la plupart des spécialistes en droit public français et revenant sur une jurisprudence de 1933, l’arrêt Benjamin. Était finalement annulé a priori une représentation publique sur un motif d’ordre public et, au conditionnel du conditionnel, sur le fait que les propos qui « pourraient être tenus à cette occasion pourraient constituer une “atteinte à la dignité de l’être humain” ».

De la même manière que Manuel Valls, à qui il semble emprunter jusqu’aux mimiques, Gérald Darmanin a forcé le droit en poussant Laurent Nunez, préfet de police de Paris, à prononcer des arrêtés interdisant les rassemblements du mouvement royaliste Action Française. Evidemment, le tribunal administratif a finalement suspendu l’arrêté, puisqu’une telle décision ne peut être qu’exceptionnelle et motivée par des précédents d’affrontements et non parce que l’hommage rendu à Sébastien Deyzieu par le Comité du 9 Mai la semaine précédente avait suscité l’ire de l’extrême-gauche décidément uniquement libertaire avec ses propres idées. Une démocratie libérale ne fait pas de morale, elle ne censure pas les idées qui ne lui conviennent pas. Et même les idées anti-républicaines… 

Il n’est pas interdit d’être favorable à un autre régime que la République

Gérald Darmanin a pourtant fait part de son émotion après avoir entendu des slogans appelant à abattre la République lors de la Fête de la Jeanne. Il en a le droit. Mais il n’est toutefois théoriquement pas prohibé d’être favorable à l’instauration d’un autre régime en France, comme il est autorisé d’être virulemment républicain en Grande-Bretagne. Il est à parier que Gérald Darmanin ne s’arrêtera pas en si bon chemin, jouant la partition du petit caporal en multipliant les vexations et interdictions en dernière minute de différents rassemblements qui n’auront pas l’heur de lui plaire, quitte à demander à ses préfets de prononcer les arrêtés tout juste avant la tenue des évènements de manière à ce que le tribunal administratif ne puisse pas les casser. C’est précisément ce qu’il a fait à l’Illiade.

Marseille reçoit Angers lors de la 35e journée de Ligue 1 de football. Les joueurs étaient invités à soutenir le message « Homos ou hétéros, on porte tous le même maillot » lors de cette journée du champhionnat © ADIL BENAYACHE/SIPA

Alors qu’il est interdit à certains d’exercer leur liberté de rassemblement, il semble qu’il faille en forcer d’autres à afficher des symboles politiques qu’ils refusent. Citons par exemple le cas des footballeurs de la Ligue 1 qui ont dû revêtir un maillot arc-en-ciel aux couleurs du mouvement LGBT lors de la 37ème journée. Certains joueurs, majoritairement mais pas exclusivement de confession musulmane, ont refusé d’arborer ce symbole. Ils en avaient le droit le plus absolu s’agissant d’une demande extra-contractuelle non comprise dans leurs obligations professionnelles à l’égard des clubs qui les emploient.

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Il semblerait que notre pays ait oublié que la liberté d’opinion est un droit chèrement gagné et qu’il ne s’agit pas de la liberté de penser comme tous les autres dans un cadre autorisé, mais bien d’une liberté maximale tant qu’il n’y a pas d’apologie de crimes contre l’humanité ou d’appels à la violence. La France est-elle encore une démocratie ou bien une démocrature ?

Les désillusions d’un Brexiter

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Nigel Farage sur le plateau de "Newsnight", 16 mai 2023. D.R.

Bouillonnant défenseur du Brexit pendant des années, Nigel Farage admet aujourd’hui que la sortie de l’UE « a échoué ». Analyse.


Dire qu’il a été le chantre le plus éclatant de l’euroscepticisme! Député européen pendant 20 ans, président de la formation UKIP, Nigel Farage a bataillé pendant près de trois décennies contre la présence du Royaume Uni au sein de l’Union Européenne. Il avait juré qu’une fois son objectif politique atteint, il se retirerait et reprendrait son activité de courtier en métaux. Un jour de 2010, à Strasbourg, il compara le charisme du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, à celui d’une «  serpillière humide ».

Le Royaume-Uni est aujourd’hui le seul pays du G7 à ne pas avoir retrouvé son PIB d’avant la pandémie

Aussi, au lendemain du référendum de 2016 qui a vu la courte victoire du Brexit (51,89 % des suffrages se prononçant pour le retrait), Farage pouvait annoncer, triomphant : « J’ai accompli ma mission ».

«Le Brexit a échoué»

Depuis, c’est la désillusion. C’est en tout cas ce que l’on peut comprendre de l’interview donnée par cet homme politique chevronné, le 16 mai, dans l’émission Newsnight, sur la BBC. «  Le Brexit a échoué » a admis Nigel Farage. La manie réglementaire de l’Etat britannique aurait pris le relais de celle de l’UE, en pire, selon ce libéral convaincu: « On peut dire que maintenant que nous avons repris le contrôle, nous réglementons nos propres entreprises encore plus qu’elles ne l’étaient en tant que membres de l’UE ! » Il a ajouté: « Avec l’impôt sur les sociétés, nous éloignons les entreprises de notre pays ».  Sans aller jusqu’à dire que le Royaume Uni s’en sortirait mieux économiquement s’il était resté dans l’Union Européenne, Farage place la faute sur les conservateurs au pouvoir, qui auraient mal négocié le virage après 2020… « Ce que le Brexit a prouvé, j’en ai peur, c’est que nos politiciens sont à peu près aussi inutiles que l’étaient les commissaires à Bruxelles » a-t-il analysé.

Un demi-million d’immigrés en un an

Bizarrement, l’aveu d’échec du leader souverainiste contraste avec le relatif déni du gouvernement britannique actuel. Le Premier ministre, Rishi Sunak, refuse de reconnaître l’échec économique de la sortie du Royaume de l’Union. Le chancelier de l’Echiquier, Jeremy Hunt, qui avait fait campagne pour le Bremain, a reconnu quelques dommages mais souligne aussi les opportunités créées, notamment grâce au nouvel accord commercial conclu avec l’Australie.

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Mais, les chiffres font état d’un constat peu reluisant. L’organisme de surveillance économique du gouvernement, l’Office for Budget Responsibility (OBR), estime que les importations et les exportations sont de 15% inférieures à ce qu’elles auraient été si le Royaume-Uni était resté dans l’Union Européenne, et que la productivité sera à terme de 4% moins bonne que ce qu’elle aurait été si le Bremain l’avait emporté. Le Royaume-Uni est aujourd’hui le seul pays du G7 à ne pas avoir retrouvé son PIB d’avant la pandémie.

Enfin, l’immigration, au cœur de la campagne de 2016, ne s’est guère tarie, bien au contraire. Un demi-million d’immigrés sont entrés au Royaume-Uni entre juin 2021 et juin 2022 (chiffre toutefois sans doute soutenu par la guerre en Ukraine, et l’afflux de personnes fuyant Hong-Kong) et les bateaux de fortune continuent de traverser la Manche. Pour l’instant, ni en termes de lutte anti-migratoire, ni sur le plan macro-économique, le Brexit ne semble tenir ses promesses.

La guerre en Ukraine démontre les limites de l’interdépendance alimentaire

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Le diplomate russe Sergei Vershinin quittant une réunion de pourparlers sur le blé ukrainien, sous l'égide de l'ONU, à Genève, 13 mars 2023 © Salvatore Di Nolfi/AP/SIPA

Dès 2021, sous la conjonction des conséquences de la crise sanitaire et l’inflation des coûts de l’énergie, la situation alimentaire mondiale paraissait préoccupante. L’invasion russe de l’Ukraine, principal pays agricole européen et communément considéré comme le «grenier à blé» de l’Europe, a aggravé ce phénomène. Ce contexte crisogène appelle à ajouter aux mesures de court-terme une vision prospective de long-terme pour éviter la catastrophe, alors que s’adjoint l’enjeu climatique à une situation déjà dégradée. Avec pour seul prisme: produire mieux, plus et en diversifiant les zones de production. 


Un catalyseur de famine dans un environnement international déjà dégradé 

Un bref regard aux statistiques suffit à donner un aperçu précis du rôle hautement stratégique de l’Ukraine dans l’environnement alimentaire international: 30 millions d’hectares cultivés dans de la grande culture constitutive de l’alimentation de base d’une grande partie des populations, notamment africaines et du Proche-Orient, ainsi du blé, du maïs, du colza, de l’orge ou encore du seigle. Pour le blé, le pays en produisait d’ailleurs 106 Mt au total en 2021 — deux fois plus qu’en 2010 — et en exportait 80 Mt, soit 5 % des exportations mondiales. L’Ukraine est ainsi le quatrième producteur mondial de blé, le cinquième producteur de maïs, le premier producteur de tournesol et assure 15 à 20% des exportations internationales d’orge et de colza. Le montant de ses exportations a été multiplié par 12 en 20 ans grâce à un processus volontariste de modernisation du secteur primaire, mené au plus haut niveau de l’État. Côté russe, la guerre a entre autres fortement resserré les exportations d’engrais azotés, dont les coûts ont été multipliés par trois environ, la Russie représentant 15% du marché mondial. 

Le cours du blé est passé de 263 euros le 16 février 2022 à 438 euros à la mi-mai 2022. Certes redescendue depuis à son niveau d’avant-guerre et oscillant entre 280 et 285 euros en janvier 2023, cette hausse brutale du coût des denrées de première nécessité a conduit de nombreux pays, comme l’Égypte, le Liban ou la Somalie, à réduire leurs achats et à puiser dans leurs stocks déjà limités. Les crises alimentaires sont ainsi des révélateurs des mécanismes de domination qui régissent l’ordre international: les pays les plus pauvres, qui disposent de réserves ordinairement basses et de faibles marges de manœuvre budgétaires dans leur politique de soutien aux populations, n’ont pas les moyens de s’aligner sur les prix fixés par les plus riches sur les marchés. 

Craintes persistantes à moyen et long-terme

Le cas soudanais est particulièrement révélateur des conséquences, en bout de chaîne, d’une multiplicité de causes aux effets délétères: fin juin 2022, le prix moyen du panier alimentaire a bondi de 700%, par rapport à la moyenne des cinq dernières années précédentes. L’inquiétude face à la situation alimentaire internationale est d’ailleurs également partagée, autant par les organisations supranationales que les grands acteurs du secteur: « Nous sommes au bord d’une crise alimentaire mondiale », affirme ainsi Erik Frywald, grand patron du géant Syngenta, qui s’est positionné à hauteur de 400 millions d’euros d’investissement dans les nouvelles technologies agricoles dans le pays.  

En effet, à moyen-terme, les exercices de prospective interdisent toute vision trop optimiste. Le conflit a ainsi fortement resserré la production ukrainienne, dans une proportion estimée à 40%. Le pays n’a ainsi récolté que 65 millions de tonnes de céréales en 2022, contre près de 100 habituellement. Pour un panel de raisons évidentes, dont l’engagement d’agriculteurs au front, la dégradation des terres par les combats, l’occupation russe d’une partie du territoire ou encore les interruptions d’approvisionnement depuis la centrale de Zaporijjia, qui fournit 20% de l’électricité de l’Ukraine.  

La Black Sea Grain Initiative (BSGI) demeure aussi salutaire que fragile

La guerre a fait grimper le nombre de personnes en situation de faim chronique de 10,7 millions, portant le total à 820 millions d’individus. 20 millions de personnes se sont aussi ajoutées aux individus en situation d’insécurité alimentaire, portant le total à 3,1 milliards d’individus. Les difficultés qu’a eu le Programme alimentaire mondial, qui offre une assistance opérationnelle à 150 millions d’individus, pour se fournir sur les marchés internationaux, démontrent qu’aucun acteur international n’est épargné par les tensions. 

Dans ce contexte, l’accord céréalier entre la Russie et l’Ukraine, signé le 22 juillet 2022, est rapidement apparu comme un texte aussi salutaire que fragile. S’il permet la mise en place de corridors d’exportation protégés depuis Odessa et deux autres ports de la mer Noire — il a tout de même permis l’exportation de 21 millions de tonnes de céréales en sept mois —, il reste conditionné à la bonne volonté de la Russie, qui pourrait en faire un levier de pression politique destiné à accomplir certains objectifs militaires stratégiques dans le cadre d’une géopolitique de la faim aux conséquences potentiellement dévastatrices. 

Produire mieux, produire plus 

Dans cet environnement international dégradé, une batterie de mesures de court-terme a été rapidement déployée: soutien aux agriculteurs ukrainiens, dont les exportations entrent sans droit de douane dans les pays de l’Union européenne, pression politique pour maintenir la BSGI, déploiement d’un soutien financier sous l’égide de la FAO…. Nécessaires, ces mesures ne peuvent représenter qu’un palliatif insuffisant au regard des enjeux. N’oublions pas qu’à la guerre en Ukraine s’adjoignent une hausse toujours constante de la population mondiale, la dégradation d’une partie des terres et le besoin d’adapter l’agriculture aux impératifs climatiques. Dans la perspective d’une planète peuplée de 8,6 milliards d’humains en 2030, la productivité agricole devra augmenter de 28% au cours de l’actuelle décennie, selon les conclusions d’une étude de la FAO et de l’OCDE. Le double impératif du « produire mieux » et « produire plus » s’impose donc comme une évidence. 

Produire mieux repose sur la préservation des sols et l’utilisation de leur capacité de stockage du carbone, afin d’adapter l’agriculture aux enjeux climatiques. Le déploiement à grande échelle de certaines stratégies agronomiques, comme l’agriculture régénératrice, peut représenter un atout certain. Cette approche a l’avantage de bénéficier du soutien des géants de l’agroalimentaire qui de Bonduelle à Nestlé, en passant par Syngenta, se sont positionnés sur ce segment de marché, permettant ainsi de capitaliser sur la force de frappe financière du secteur privé pour en soutenir le développement. D’autres concepts, comme l’agriculture intégrée ou l’agriculture raisonnable méritent de l’attention de la part de la communauté agricole. Gardons-nous, en effet, d’utiliser la guerre en Ukraine comme un outil rhétorique de défense acharnée du modèle industriel intensif, dont les limites sont aujourd’hui connues. Dans le même temps, la restauration d’un milliard d’hectares de terres, tel que préconisé par l’ONU ou encore le développement de l’agroforesterie pourrait permettre d’améliorer la sécurité alimentaire de 1,3 milliard de personnes, comme la restauration des zones humides peut devenir le vecteur d’une amélioration de la qualité de l’eau et de la stabilisation des écosystèmes. 

Produire plus doit se penser dans une stratégie agronomique fondée sur un recours accru aux techniques modernes dans une approche fondamentalement fondée sur la science, appelant à sortir des carcans idéologiques sur un panel de sujets, notamment les pesticides. Les États doivent aussi entamer, autant que possible, des stratégies de diversification agricole afin de sortir de la situation de dépendance à une poignée de grands producteurs internationaux. La Côte d’Ivoire a par exemple annoncé se positionner sur la production de blé et la production domestique d’intrants, comme les engrais, urées ou NPK pour faire face aux difficultés d’approvisionnement auprès de ses fournisseurs ukrainiens. 

C’est à la communauté agricole et scientifique de se saisir de ces enjeux pour promouvoir les meilleures alternatives au modèle traditionnel, dont les limites sont aujourd’hui largement connues: situation d’interdépendance délétère en cas de crise majeure touchant l’une des zones de production, dégradation des sols et inadéquation des pratiques agricoles aux enjeux climatiques demeurent les problématiques principales auxquelles des réponses fermes et volontaristes doivent être déployées.

Ukraine février 2023

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Ceux qui soutiennent Nicolas Sarkozy deviennent caricaturaux

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Le magistrat et essayiste français Philippe Bilger © Pierre Olivier

Condamné en appel à un an de prison ferme, l’ancien président crie à l’injustice. Il semble pourtant que la décision des juges soit conforme au droit, soutient notre chroniqueur Philippe Bilger.


Depuis l’arrêt de condamnation de Nicolas Sarkozy, de Thierry Herzog et de Gilbert Azibert qui ont formé un pourvoi en cassation, la dispute devient à ce point caricaturale qu’on ne peut la traiter qu’avec ironie. En gros, ceux qui savent sont qualifiés de malveillants et ceux qui ne connaissent pas la réalité judiciaire se parent du sceau de l’objectivité.

Avis péremptoires

À supposer que je sois inspiré par une hostilité systématique à l’encontre de Nicolas Sarkozy – ce qui est absurde quand on se penche sur mon parcours et beaucoup de mes prises de position – et qu’elle altérerait la lucidité de mon appréciation sur lui, je ne vois pas en quoi elle serait plus nuisible que l’inconditionnalité obligatoire dont certains le font bénéficier.

J’ajoute que sans tomber dans le dogmatisme ni me pousser du col, il me semble que je suis peut-être un peu plus à même d’appréhender un arrêt, les infractions qui sont concernées et les processus de décision et d’élaboration des sanctions que la multitude des citoyens, journalistes, politiques ou autres qui n’hésitent pas à formuler des avis péremptoires dans une matière qu’au mieux ils maîtrisent mal, au pire ils méconnaissent totalement. Par exemple, il paraît qu’Alain Duhamel considère que la sanction est disproportionnée. Mais d’où tient-il cette conviction, cette intuition, sinon de sa subjectivité qui ne fait pas le poids face aux collégialités et longues délibérations ?

Ce qui permet d’emblée d’exclure des controverses qui ont suivi cet arrêt de condamnation – comme n’étant pas légitimes ni fiables – les catégories de gens qui pour l’une détestent tellement Nicolas Sarkozy que l’arrêt est perçu comme pas assez sévère et pour l’autre sont si enthousiastes de lui et de sa cause que la relaxe leur serait apparue évidente. On comprend bien qu’il y a là deux approches antagonistes, absolument contrastées, qui devraient interdire, par une sorte de sagesse personnelle, aux uns et aux autres de se poser comme des juges des juges, du jugement de première instance et de l’arrêt d’appel.

La tarte à la crème de « l’acharnement » des juges…

Si on admet ce constat, on est renvoyé naturellement, dans notre démocratie et si on éprouve encore un respect au moins minimal pour nos institutions, à faire confiance à la Justice qui, quoi qu’on en dise et malgré les humeurs et les aigreurs citoyennes de telle ou telle personnalité, est en l’occurrence le seul service public, dans son registre pénal, qui connaît le dossier, n’est pas suspect de partialité, bénéficie d’une collégialité et de multiples recours. Sauf à valider cette absurdité non seulement offensante mais fausse judiciairement que tous les magistrats auraient été animés par une haine unique et solidaire à l’encontre de l’ancien président et qu’ils auraient ainsi voulu sa perte, alors que par ailleurs il n’est plus une cible sur quelque plan que ce soit.

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On peut se gausser mais la multitude des regards posés sur cette affaire – elle n’est pas dérisoire, tout ce qui est transgressif commis par un président de la République ou un ancien président est important – légitime le point de vue de ceux qui ne critiquent ni n’approuvent mais prennent acte. Ce qui est mon cas.

La différence sensible, pour me faire bien comprendre, que j’ai avec mon ami Pascal Praud (CNews) est que demain, si Nicolas Sarkozy est relaxé dans d’autres procédures qui le concernent, j’en prendrai acte de la même manière tandis que lui, j’en suis sûr, exultera. Et je n’irai pas le lui reprocher à condition qu’il ne fasse pas passer sa bienveillance systématique pour une lucidité dans l’analyse judiciaire.

Au risque de continuer à choquer, puisque j’ai l’impression que plus Nicolas Sarkozy a été impliqué dans des procédures, plus il a été loué, pour ma part j’estime un peu déplacée, au regard de ce passé et peut-être de ce futur, l’image virginale qu’on ne cesse pas de dresser du parcours politique et judiciaire de Nicolas Sarkozy. Il n’est pas indifférent qu’il y ait à son encontre tant d’enquêtes, tant d’instructions. Qui, pour certaines ayant abouti à des condamnations, suscitent de la part de l’ancien président toujours la même lassante dénonciation : présomption d’innocence, acharnement des juges, violation de l’état de droit. Au fil du temps, forcément elle s’émousse pour ne pas dire qu’elle ne convainc plus personne.

… et du désastre de la justice française

J’ajoute, pour répondre à un argument ressassé qui ne vaut rien, qu’on n’invoquera pas avec succès un acharnement obsessionnel de la Justice à l’encontre de Nicolas Sarkozy puisque ce n’est pas elle qui invente par malfaisance les procédures, elles naissent du réel, des pratiques présidentielles ou ministérielles, parfois elles aboutissent à des renvois, parfois non. Ce qui est normal et relève de l’Etat de droit. Comment ose-t-on quand on a été quelques mois magistrat pour devenir ensuite avocat et être un auteur loué, soutenir que cette affaire Sarkozy est un désastre pour la Justice française ? Comme l’a fait Hervé Lehman dans Le Figaro.

À considérer l’ensemble des réactions qui ont suivi cet arrêt de condamnation, pas encore définitif, je constate comme un devoir d’ignorance pour défendre judiciairement Nicolas Sarkozy et le triste privilège d’avoir à se justifier quand on a la faiblesse de connaître un peu ce dont on parle. L’ignorance engagée a droit à la parole mais elle ne doit pas en abuser.

Libres propos d'un inclassable

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Prenez le bus à impériale avec Claude Rich!

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D.R.

Une comédie poétique de Jacques Baratier (1918 – 2009) qui réunit la fine fleur du cinéma français des années 1960 en DVD


Il n’y a pas que King Charles qui circule en bus à impériale à London, Claude Rich conduit le sien à Paris dans « L’or du duc », un film inédit en noir et blanc de 1965 qui ressort en DVD grâce aux soins prodigués par « Les Films du Paradoxe ». Une version restaurée, trouvaille exhumée, résurrection tant attendue, miracle du patrimoine comme le cinéma d’alors pouvait en produire. 


Troubadour existentiel

Entre la comédie musicale et le divertissement lunaire, Claude Rich, toujours aussi altier et funambule, incarne un duc désargenté, pourvu d’une famille nombreuse, dix enfants exactement, qui ne consent pas à travailler pour subvenir aux besoins de ce ménage aristo-bohème. Dans le détachement primesautier, Rich est indépassable d’insolence gamine, il vole sur l’écran, se moque des contingences matérielles, vit sa vie en apesanteur et sourit béatement, confiant dans sa destinée. Ce troubadour de l’existence hérite d’un bus à impériale, autrement appelé bus double decker, de couleur rouge comme il se doit, aussi haut que Big Ben et assez peu maniable dans les rues étroites de Montmartre. Le duc ignore cependant que le bus est en or massif, ce qui suscite la convoitise de certains et tend le ressort comique de ce film parfois chanté, parfois trop écrit, délicieusement rétro et bringuebalant aux accents surréalistes. Paris a revêtu sa blouse grise, le décor urbain et les péripéties de ce voyage intérieur sont propices aux gags visuels, nous sommes au cirque et au music-hall ; le dialogue oscille entre un populisme élégant et une abstraction revendiquée. « L’or du duc » n’entre dans aucune case, c’est pourquoi il doit être vu pour dépoussiérer nos esprits de tant de lourdeurs. Il aurait certainement charmé Jacques Audiberti (1899 – 1965), compagnon de route du réalisateur qui avait adapté son roman La Poupée en 1962. À la mort de l’écrivain, son autre ami Claude Nougaro avait écrit ce quatrain qui résume assez finement la dinguerie qui se dégage de ce long-métrage inconnu des radars télévisuels :

Ensuite, tout le monde débloquait comme lui
c’était le type même qui vous désengage
La vérité du jour explosait dans la nuit
comme un tuyau d’arrosage    

Entre Tati et la nouvelle vague

Le charme de ce film insolite réside dans le choix des acteurs. Un casting fou, populaire et spirituel, virevoltant et émouvant, où chaque vedette vient proposer un mini-sketch et montrer toute l’étendue de son talent. Ça démarre par un Pierre Brasseur déguisé en radja, il joue ici l’oncle fortuné de Claude Rich, sa tête est surmontée d’un turban diamanté, il est libidineux à souhait et férocement drôle lorsqu’il crie « Déshéritons ! Déshéritons ! » à son majordome vénal interprété par un Jacques Dufilho à la mécanique comique aussi huilé que les Bugatti de son garage personnel. Et puis, c’est un défilé permanent d’acteurs pendant 94 minutes, j’ai même cru apercevoir Geneviève Page, non créditée, me semble-t-il. Était-ce un mirage ? « L’or du duc » baguenaude entre le cinéma burlesque de Tati et les soubresauts de la nouvelle vague, on y perd le nord facilement. Claude Rich est accompagné dans cette cavalcade par une mère de famille tout à fait respectable et innocente, aimante et le cœur sur la main. 

L’immense Monique Tarbès, née en 1934, déploie ici une sensibilité mélancolique et un joli brin de voix. Nous pensons souvent à elle depuis qu’elle a tenu le rôle de dame pipi dans « Tendre poulet » de Philippe de Broca, son aplomb parigot et son timbre éclatant sont divins. Font également une apparition fugace : Danielle Darrieux en bourgeoise faussement distante, Christian Marin en gendarme bucolique, Jean Richard en notaire à vélo, Pierre Repp en vendeur de tissus, Annie Cordy en concierge, Noël Roquevert en général à la retraite ruiné, Jean Tissier en liftier ou encore le magnifique Jacques Jouanneau en chiffonnier des faubourgs. Et il y a même Elsa Martinelli aussi désirable qu’un songe d’été. 

L’or du duc de Jacques Baratier – DVD Les Films du Paradoxe