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Sahel: la Mauritanie, pôle de stabilité?

Le pouvoir en place conforté dans les urnes


Sahel: la Mauritanie, pôle de stabilité?
Le président mauritanien saluant le président Macron, 6e Sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine, Bruxelles, 17 février 2022 © Olivier Hoslet/AP/SIPA

La Mauritanie est une exception au Sahel. Le pays n’a pas connu d’attentat islamiste depuis 2011. A un an de l’élection présidentielle, le président Mohamed Ould Ghazouani sort renforcé des élections législatives du dimanche 28 mai. Analyse.


La Mauritanie ne fait pas les gros titres de la presse française. Nous avons pourtant tort de négliger ce pays présentant une géographie qui en fait un État pivot de l’Afrique de l’ouest au sens où l’entend le politologue et ancien conseiller en sécurité national de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski. Les dernières élections législatives, dont le second tour avait lieu le samedi 27 mai, sont l’occasion de nous pencher plus attentivement sur cet Etat divisé entre le groupe des Beidanes ou « Maures blancs » d’origine berbère, celui des « Maures noirs » ou Haratins et des Africains noirs issus de multiples ethnies (Peuls, soninkés, Wolofs, etc).  

Ces élections ont renforcé le président Mohamed Ould Ghazouani, dont le parti el-Insaf a remporté 80 sièges de députés sur 176. Une dizaine de formations membres de la mouvance présidentielle en ont obtenu de leur côté 36. Créé en 1975 sous inspiration du mouvement internationaliste islamiste des Frères musulmans, le principal parti d’opposition Tewassoul (Rassemblement National pour la Réforme et le Développement) en a gagné neuf. Cette continuité politique est une nouvelle plutôt rassurante pour la France, tant le rôle de la Mauritanie est important au Sahel pour contenir le djihadisme en Afrique sahélienne.

Luis Martinez, directeur de recherche à Sciences-Po CERI et consultant pour l’Union européenne en Afrique subsaharienne, a récemment sorti L’Afrique, le prochain califat ? La Spectaculaire expansion du djihadisme aux éditions Taillandier. Dans un entretien[1] accordé au Monde en mars dernier, il affirmait que certains États du Sahel pourraient « suivre le chemin de l’Afghanistan » et se transformer en califats: 

« (…) l’hypothèse me semble aujourd’hui tout à fait envisageable. Pas sous la forme d’une prise du pouvoir par la force d’un groupe djihadiste, mais par une usure des forces de défense de ces pays, qui conduirait à des compromis pour un retour à la paix en contrepartie d’une exigence d’application d’un certain nombre de règles, notamment issues de la charia (…) Leur vrai défi aujourd’hui est de trouver des partenaires politiques, religieux et militaires capables d’accepter que l’une des issues à la guerre serait dans ce type de configuration »

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Autrefois plus paisible, cette région du monde est sous la menace constante des conflits ethniques et de l’islam de combat depuis le mitan des années 2000 ; moment symbolique où le traditionnel Paris-Dakar de notre enfance fut d’ailleurs déplacé en Amérique du Sud du fait de l’impossibilité de l’organiser de manière sécurisée. Depuis 15 ans, la Mauritanie a pourtant décidé de lutter pied à pied contre le terrorisme, faisant office de frontière difficile à franchir pour les différents groupes terroristes qui opèrent dans la région. Dans ce contexte tendu, la solidité de l’appareil militaire est essentielle pour garantir la résilience des institutions étatiques.

Son armée, forte de ses unités traditionnelles de soldats méharistes, qu’on reconnait notamment à leurs chameaux, ainsi que des unités légères des Groupements spéciaux d’intervention, assure des missions que ni le Mali ni le Niger n’ont pu ou su remplir. En off, les officiers français expriment régulièrement leur soulagement de pouvoir compter sur ce partenaire dans la région. Alors que les actes terroristes endeuillent absolument toute cette zone, du Tchad au Mali et jusqu’à la frontière nord de la Côte d’Ivoire, la Mauritanie n’a plus été le siège d’une action djihadiste depuis… 2011.

Elle doit cela à des institutions stables qui garantissent une continuité politique et une certaine concorde sociale. Il est d’ailleurs notable que le site France Diplomatie n’évoque pour les voyageurs que les risque d’infiltration de groupes terroristes aux frontières mauritaniennes : « La situation au Sahel et en particulier au Mali voisin expose la Mauritanie à des risques d’infiltration de groupes terroristes, susceptibles de mener des actions (enlèvement, attentat) contre les intérêts et les ressortissants français ». Cela signifie donc que le contexte mauritanien n’est pas systémiquement soumis au terrorisme islamiste.

Ancien général et chef d’Etat-major des armées, Mohammed Ould Ghazouani n’estime toutefois pas que le danger soit derrière lui. Fin novembre 2019, il rappelait après son élection que Nouakchott conservait une vigilance de tous les instants : « Nous, Mauritaniens, étions dans la même situation [que nos voisins] il n’y a pas si longtemps. Face à ce genre de menaces, il faut être suffisamment préparé ». Entre 2005 et 2008, l’exécutif civil mené par Sidi Ould Cheickh Abdallahi a ainsi été sous la pression constante du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, montrant son incapacité à pacifier la situation.

Alors que le Mali s’est retiré du Sahel G5 qui devait être la base de notre architecture de sécurité commune sur place, tant pour lutter contre le djihadisme que contre l’immigration clandestine vers l’Europe, la Mauritanie apparait comme un pilier sur lequel la défense française peut encore compter pour quelques années… Il ne sera pas de trop dans un contexte international particulièrement troublé où l’Afrique est devenue malgré elle le terrain de jeu de puissances hostiles et d’intérêts privés étrangers, à l’image du groupe Wagner.

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[1] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/03/15/luis-martinez-les-djihadistes-saheliens-ont-tire-une-grande-lecon-de-ce-qui-s-est-passe-en-libye_6165619_3212.html



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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