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Au cœur des réseaux «anti-impérialistes» français: qui couvre le Hamas?

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Toute une partie de l’extrême gauche française ne veut pas voir du terrorisme dans les actions du Hamas, mais un groupe armé résistant à une occupation.


Les langues se délient. Interrogée par Jean-Jacques Bourdin sur l’antenne de Sud Radio, la députée France Insoumise Danièle Obono a dévoilé le fond de sa pensée. Elle a ainsi refusé de déclarer que le Hamas était un groupe terroriste, préférant le définir comme un « groupe politique islamiste » qui « résiste à une occupation » et qui œuvre à la « libération de la Palestine ».

Au-delà des réactions attendues des adversaires politiques de la France Insoumise, les propos de Madame Obono n’ont pas manqué de faire réagir dans les rangs même de son groupe parlementaire, la Nupes. Au bord de l’implosion, ce groupe de travail issu d’un consensus entre les principaux partis de gauche n’en finit plus de se déchirer, comme l’a encore démontré Benjamin Saint-Huile, député quant à lui appartenant au groupe LIOT : « Je crois que La France insoumise a décidé de faire du conflit israélo-palestinien le moment de la fragmentation dans la population. Je crois que ce n’est pas très responsable. […] Le Hamas est une organisation terroriste, nous le savons ».

La gauche française dépassée

Cette fragmentation était observable dans la manifestation de soutien au peuple palestinien qui s’est tenue jeudi 19 octobre à Paris. On a pu notamment entendre une foule scander le takbir, ce qui a fait dire à un internaute nommé Fouad Raoui : «  Mes parents musulmans quand ils prient murmurent « Allah Akhbar » chez eux car c’est dans leur cœur et un lien entre eux et Dieu. Jamais il ne leur viendrait à l’esprit de le scander dans l’espace public, a fortiori le jour des obsèques d’un professeur assassiné par un djihadiste ». C’est là toute la différence entre la foi du cœur et la foi politique d’une extrême-gauche devenue l’idiote utile d’un projet politique qui la dépasse, le Hamas étant d’ailleurs l’oppresseur du peuple palestinien.

Le sujet a été peu évoqué ces derniers jours, même après l’attaque terroriste du 7 octobre, mais le Hamas, au-delà de précipiter son propre peuple vers la guerre, n’hésite pas à brutalement le réprimer. En 2014, Amnesty International avait publié un rapport intitulé « Enlèvements, tortures et exécutions sommaires de Palestiniens par le Hamas durant le conflit israélo-gazaoui de 2014 », dans lequel était détaillée une série de violations, incluant notamment les exécutions extrajudiciaires de 23 Palestiniens. Certains d’entre eux étaient des membres du parti rival Fatah, le Hamas ayant profité du chaos pour éliminer des rivaux : « Dans le chaos du conflit, le gouvernement de facto du Hamas a donné carte blanche à ses forces de sécurité pour commettre de terribles abus, notamment contre des détenus se trouvant sous sa responsabilité. Ces agissements, dont certains constituent des crimes de guerre, avaient pour but d’obtenir vengeance et de répandre la peur à travers la bande de Gaza. »

Ces violences, comme toutes celles ayant cours entre musulmans ou par des musulmans sur les chrétiens, le petit monde « décolonialiste » n’en a à vrai dire pas vraiment cure. Il se fait beaucoup plus discret, passant sous silence ces actes pour privilégier ses axes de communication habituels. Il y a une nuance entre la défense des intérêts du peuple palestinien et l’aveuglement sur les dirigeants de la bande de Gaza, qui ont certes été parfois privilégiés comme « meilleurs ennemis » par certains gouvernants israéliens qui se sont autant fourvoyés que mis en danger, mais qui sont d’abord et avant tout des terroristes fanatiques qui plongent désormais dans le chaos tout le Proche et le Moyen-Orient.

À la recherche de l’islamo-gauchisme

Les dirigeants arabes responsables ne s’y trompent d’ailleurs pas, à l’image des Émiratis et des Saoudiens qui doivent jouer une complexe partition d’équilibristes, mais qui ne sont pas dupes des menées de l’Iran qui compte à la fois sur ses proxys chiites tels que le Hezbollah et les Houthis yéménites et sur ses proxys sunnites comme le Hamas, inspiré de l’idéologie des Frères musulmans. Est-ce à dire qu’il y aurait un lien direct entre l’extrême gauche française et le frérisme ? Un islamogauchisme chimiquement pur qui trouverait sa traduction chez nous dans une partie des rangs des Insoumis ou de sa périphérie, à l’image d’Houria Bouteldja ? Si l’expression reste problématique, l’islamisme n’ayant pas besoin du gauchisme pour exister, il n’en reste pas moins qu’elle recouvre une part de réalité.

On peut notamment citer dans cette nébuleuse, outre les premiers nommés, une personnalité comme celle de l’avocat lyonnais Gilles Devers, compagnon de route de nombre de ces activistes. Avocat notamment de l’imam Mohammed Tlaghi de la mosquée de Torcy, qui avait légitimé le djihad avant d’être expulsé vers le Maroc, ou encore de BDS France, Gilles Devers a déposé en compagnie de sept autres avocats internationaux en juin 2023 un dossier devant la Cour Internationale de Justice de La Haye contre l’État d’Israël pour le compte du Conseil législatif palestinien. Cette plainte a toutes les chances d’avoir été en réalité déposée au profit du Hamas, puisque le Conseil législatif palestinien n’existe plus depuis 2007, date de la séparation officielle du Fatah avec l’organisation terroriste.

On le voit, cette toile d’influence en France s’étend jusque dans notre champ politique et métapolitique. Dans un article daté du 7 octobre[1], Le Monde indique d’ailleurs qu’une plainte concernant la colonisation cisjordanienne et les transferts forcés de populations, qui devait être déposée le lundi 9 octobre, a été retirée, Gilles Devers ajoutant un commentaire qui en dit long : « La branche armée du mouvement a décidé que c’était le moment d’agir et on a donc décidé de reporter le dépôt de la plainte ». L’expression « branche armée », également utilisée par Mathilde Panot, est d’ailleurs au cœur de sa rhétorique, puisqu’il appelle les sympathisants de la cause palestinienne à ne plus laisser dire que « la résistance armée c’est le terrorisme »


Nonobstant ce qu’on peut penser des politiques menées par l’État d’Israël ces dernières années, largement critiquables, et du sort des Palestiniens, variable d’ajustement de tous les acteurs régionaux, à commencer par leurs propres représentants, il est inquiétant de voir que nous importons ce conflit chez nous sans aucun recul ni connaissance profonde du dossier. Les infaux se multiplient d’ailleurs, notamment à propos des votes français à l’ONU.

Un autre avocat plus médiatique, le célèbre Juan Branco, a notamment déclaré que la France se moquait du sort des civils gazaouis et avait rejeté le cynique vote russe proposant un « cessez-le-feu humanitaire ». Le vote russe ne proposait pas un « cessez-le-feu humanitaire », mais un cessez-le-feu tout court exonérant le Hamas et empêchant toute riposte. La France a en revanche voté favorablement la résolution brésilienne qui, elle, proposait en même temps une condamnation du Hamas et un véritable cessez-le-feu humanitaire face au véto américain et à l’abstention russe.

Comme d’habitude, personne n’a corrigé cette intox qui pourtant place la France dans l’œil du cyclone des foules protestataires du monde arabe, avec des conséquences directes pour nos ambassades, alors même que nous tentons de trouver une position juste et équilibrée, permettant à Israël de faire usage de la force pour éliminer cette menace terroriste mais d’y allier la volonté de protéger les civils en coordination avec les membres de la Ligue Arabe. Rappelons d’ailleurs que l’un des chefs du Hamas interrogé à la télévision américaine dressait un parallèle entre le mouvement Black Lives Matter et le sien… Il y a bien là un faisceau anti-occidental radical. Prenons-en la mesure. Il ne faut pas jouer avec le feu.


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/07/l-attaque-du-hamas-contre-israel-un-seisme-politico-securitaire_6193023_3210.html

Guerre au Moyen-Orient: le dangereux amateurisme de «Libération»

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Après avoir publié involontairement une illustration trompeuse sur le conflit entre le Hamas et Israël, Libération a cru pouvoir s’en tirer avec des semi-excuses en catimini, qui trahissent un inquiétant rapport avec la vérité.


Ainsi donc cet enfant n’a jamais existé. Jeudi 19 octobre, Libération consacrait sa couverture à une manifestation anti-israélienne ayant eu lieu la veille au Caire. L’illustration choisie, une photo prise par un reporter de l’agence AP, est doublement impressionnante. On y voit un homme dans une rue de la capitale égyptienne, ivre de colère, qui brandit la photo d’un bébé, l’air épouvanté et en pleurs. Tout laisse penser que cet enfant est un petit Gazaoui effrayé par les bombes, puisque Libération indique : « Après une explosion meurtrière dans un hôpital de Gaza, des manifestations se sont multipliées dans plusieurs pays de la région. »

Problème: cet enfant n’existe pas. Il s’agit en fait d’une image de synthèse ultra-réaliste, obtenue grâce à un logiciel d’intelligence artificielle. Autrement dit, ce bébé est un pur matériel de propagande déguisé en information. Évidemment, quand le journaliste d’AP a immortalisé la scène, il ignorait cette escroquerie. De même, on ne saurait soupçonner Libération d’avoir décidé de publier l’image en sachant qu’elle recelait un leurre et en le cachant à ses lecteurs. Tout comme il serait absurde d’accuser le quotidien préféré des bobos d’avoir, au cours des jours précédant ladite publication, relayé en connaissance de cause un autre mensonge, fabriqué par le Hamas celui-là, sur la responsabilité de Tsahal dans l’explosion à l’hôpital de Gaza. Espérons seulement qu’à l’avenir le journal comprenne enfin combien il est anti-professionnel de donner foi aux sources islamistes avec si peu de précautions.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Hôpital Al-Ahli Arabi à Gaza: une bavure médiatique

Dès le jour de la parution de la photo du manifestant en colère et de l’enfant en pleurs mis en abîme, plusieurs internautes ont montré, grâce à une simple recherche sur Google, que ce dernier était en réalité une créature virtuelle. Libération a rapidement reconnu les faits… mais ne s’en est pas exactement amendé. « C’est regrettable » a juste concédé Dov Alfon, le directeur de la publication, au détour de la rubrique “Checknews”, en précisant : « Beaucoup des pancartes brandies dans les manifestations du 17 octobre étaient en effet générées par IA, qui devient ces derniers mois le socle artistique de protestations, comme auparavant l’étaient des pantins, poupées ou squelettes. » Étrange raisonnement ! Avancer qu’une photo truquée s’apparente à un pantin de carnaval, c’est prétendre qu’il serait tout aussi facile de déceler, d’un simple regard, l’inauthenticité de l’une que de l’autre. Qui peut gober une chose pareille ? Comment Dov Alfon s’imagine-t-il faire accepter un tel sophisme à son public ?

Un jour peut-être, cette couverture de Libération sera étudiée en classe par des collégiens ou des lycéens, à qui le professeur essaiera d’apprendre le décryptage de l’actualité. Celui-ci leur demandera sans doute de dire ce qu’ils voient sur la page: le bandeau, la manchette, la titraille, l’illustration. Seulement, faute d’une légende mentionnant la présence d’une fake news dans le champ, les élèves auront la même interprétation que les lecteurs de Libération en 2023 : ils croiront que l’image du bébé est vraie. On peut supposer que l’enseignant leur rétorquera qu’il faut se méfier des apparences, et qu’il leur racontera l’histoire du « socle artistique de protestation généré par IA », dont Dov Alfon aura jugé qu’il ne méritait pas un correctif en lieu et place. Qui empêchera alors un élève de lever le doigt et de dire : « Mais qu’est-ce qui nous dit que l’Egyptien en colère n’est pas non plus une image truquée ? »

Nul comme un Vert

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Deux Verts sortis du Diable Vauvert, interrompent l’émission politique de Marion Maréchal sur BFM. Après les musées, les studios. On suffoque sous le plastique, ce n’est pas le problème à Yannick. Il y a du gaz dans l’air, du plomb dans l’eau, mais où est Rousseau ? Sur une autre planète, les écolos français se défoncent aux idéologies les plus fumeuses. Du wokisme au transhumanisme, qui c’est les plus forts ? Évidemment c’est les Verts.


521 days. C’est ce que les deux ostrogoths arboraient sur leur tee-shirt en se vautrant sur la table du débat de “C’est pas tous les jours dimanche” sur BFM, animé par mon neveu Benjamin. Marion Maréchal l’invitée du jour du saigneur, qui avait du mal à développer sans être coupée par une journaliste qui voulait absolument être la blonde de l’étape, a eu la surprise d’être en plus coupée par deux sécateurs du dimanche. D’interminables pages de pub, retour plateau sans que mon neveu Ben, prenne la peine de nous expliquer ce qui se passait. Pour une chaîne info…

521 days before. Si c’est un compte à rebours pour ce qui nous reste à vivre, en réalité ou à crédit, vous je ne sais pas, mais moi je me casse. Je me fais une Jacques Brel sur une ile du Pacifique, où les Marion sont en paréo une fleur d’hibiscus à l’oreille (droite de préférence), où les Benjamin jouent de l’ukulélé après avoir pêché le poisson que l’on s’envoie cru au lait coco citron vert. Nos Verts à nous, c’est pas le style à nous lâcher la grappe. Rivés au bitume, au ridicule, comme la moule faisandée à son rocher, ils font de la géopolitique au Proche-Orient, oups pardon Place de la République. De la cuisine, des bolognaises à balancer sur un Da Vinci, un Monet. Des champions, qui s’ils se perdraient en forêt, ne sauraient pas faire la différence entre un chêne et un platane, un cèpe et une girolle, la décence et l’indécence.

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521 days, so what ? René Dumont, le père de l’écologie contemporaine, doit découper le caveau de famille à la tronçonneuse en contemplant les derniers Verts de la portée, chercher un trèfle à quatre feuilles à genoux entre Nation et République. Lui l’ingénieur agronome, fils de paysans, ne concevait sa mission qu’en étroite collaboration avec les agriculteurs, les chasseurs, les sentinelles de la ruralité aux premières loges pour observer le chamboulement climatique. Avec cet équipage de surdoués, on consomme des tomates de Chine qui poussent hors sol. Pas grave, ces bouffons ne mangent que des graines. Les pêcheurs remontent des filets sans provision, pourquoi se prendre la tête, il y a Sushi-Shop. Heureusement, avec leurs salades, ils se prennent un râteau aux élections. Mesdames messieurs les électeurs, encore un effort pour les renvoyer définitivement à l’entretien des géraniums de leur terrasse. La Nature se trouvera vite de meilleures défenses immunitaires.

L’immigration, ce 11e commandement de l’INED

Au prétexte de lutter contre les « pétainistes » et autres « racistes » qui gangrèneraient la démographie, les tenants de la ligne immigrationniste règnent en maître à l’Institut national d’études démographiques. Michèle Tribalat retrace les principales étapes de ce putsch idéologique.


L’enrôlement idéologique d’institutions à vocation scientifique dans les grandes causes du moment est un poison pour la recherche scientifique, la connaissance et l’information du citoyen, donc un mauvais coup pour la démocratie. Les sciences sociales, où la légèreté et la mauvaise foi ont plus d’espace que dans les sciences dures, sont les plus vulnérables à l’emprise idéologique. La démographie, qui possède un corps de méthodes quantitatives, était mieux armée que la sociologie pour résister à la tentation de réformer l’opinion publique au lieu de l’instruire. Pourtant, l’Institut national d’études démographiques (INED), temple de la discipline, a sombré corps et biens dans l’esprit du temps. C’est particulièrement vrai sur la question migratoire. Un petit retour en arrière permet de mieux comprendre la vulnérabilité de l’institution et sa propension à soigner non pas tant sa réputation scientifique, qui lui semble acquise, que son message censé l’éloigner de perceptions communes jugées moralement inacceptables.

La vengeance d’Hervé Le Bras

C’est par l’ordonnance du 24 octobre 1945, laquelle dissout la Fondation Alexis-Carrel créée par Vichy en 1941, qu’est fondé l’INED, à l’initiative de Robert Debré. Ce dernier propose ainsi de recycler une partie des membres de la Fondation dans un institut chargé de l’étude de la population, sujet majeur à la sortie de la guerre. Alfred Sauvy en sera le premier directeur. À ses débuts, l’INED assume son intérêt politique pour l’évolution de la population française, et c’est encore vrai en 1972, lorsque Gérard Calot, polytechnicien et responsable du recensement de 1968 à l’Insee, en devient le directeur. Ce dernier est très investi dans l’étude de la fécondité et de la politique familiale. Ilpromeut l’analyse quantitative des phénomènes démographiques et la constitution de bases de données démographiques qui seront très utiles au Conseil de l’Europe et à Eurostat.Mais, dans les années 1990, l’INED sera mis sous pression à l’occasion de deux polémiques visant à l’accoquiner avec le pétainisme (un peu facile, compte tenu de la filiation avec la Fondation Alexis-Carrel) et l’extrême droite, déclenchées par la même personne : Hervé Le Bras.

La première salve, tirée en mai 1990, occupe beaucoup la presse. Hervé Le Bras, démis de ses fonctions de rédacteur en chef de la revue Population, cherche à se venger. Il nourrit des médias complaisants, même si ces derniers ne comprennent rien au fond. Hervé Le Bras reproche à Gérard Calot d’avoir privilégié un indicateur de fécondité plutôt qu’un autre. Le Bras publie Marianne et les lapins, un livre incendiaireoù il se décrit en héros luttant contre un courant d’inspiration pétainiste. La République des Lettres est en ébullition. Même Élisabeth Badinter a un avis sur les indicateurs de fécondité qu’elle expose dans Le Nouvel Observateur. Elledéclare que l’INEDa été infiltré par le Front national. En 1992, Gérard Calot ne sera pas candidat à sa propre succession.

A lire aussi: Bruno Tertrais: «L’immigration est une question culturelle plus qu’économique»

Ayant réussi avec brio son premier coup, Hervé Le Bras récidive après la nomination en 1996de son éternel rival– Henri Leridon – à la tête de la revue Population. Là encore apparaît un livre – Le Démon des origines (1998) – dans lequel je suis présentée comme un relais de la pensée frontiste. Il serait trop long d’expliquer ici l’étendue de la provocation, mais il tire les mêmes ficelles avec, là encore, un gros succès médiatique. Il va même plus loin. La démographie, comme discipline, constitue selon lui en France, et en France seulement, « un terrain favorable aux idéologies de l’extrême droite », en raison d’un contrôle de l’INED par des forces réactionnaires : « Tel un bernard-l’ermite, le racisme se loge dans une nouvelle coquille à sa taille. La démographie correspondait à cette demande. » C’est donc l’institution tout entière qu’il faut déconstruire, pour en extirper ces forces réactionnaires, et la discipline démographique, contaminée par ces forces, qu’il faut tenir à distance. C’est François Héran qui endosse l’habit et la mission sera scrupuleusement poursuivie par les directrices qui lui succéderont.

François Héran, directeur de l’INED entre 1999 et 2009 et professeur titulaire de la chaire « migrations et sociétés » au Collège de France. D.R.

En conséquence, les démographes de formation et d’intérêt sont désormais très minoritaires et soumis, comme à l’université, à l’esprit du temps.Parmi les unités et pôles de l’INED, aucun ne traite explicitement de la conjoncture démographique. Elle n’est plus qu’un« axe de recherche » parmi d’autres. Il ne faut pas compter en apprendre beaucoup sur le sujetsur le site de l’INED dont le contenu est manifestement erroné[1]. Elle ne mobilise que trois chercheurs de l’INED et deux chercheurs extérieurs (universités de Strasbourg et de Paris-1). Pourtant, depuis sa création, l’INED a l’obligation statutaire d’informer tous les ans le gouvernement sur la conjoncture démographique.

Hervé Le Bras reviendra sur les liens entre l’analyse démographique et l’extrême droite dans Le Cours de l’histoire sur France Culture le 15 novembre 2022. Louis Henri, père de la démographie historique française entré à l’INED en 1946, aurait été un maurassien repenti, à l’insu de tous ceux qui l’ont connu, à l’exception d’Hervé Le Bras[2] !

En conséquence, l’INED recrute de moins en moins de démographes. D’après un bilan réalisé en octobre 2019 pour la revue Cités[3], si on met à part les chercheurs âgés de 65 ansou plus, sur 63 chercheurs, six seulement avaient une thèse en démographie. Les docteurs en sociologie (22) et en économie (11) étaient majoritaires. Dans les postes de doctorants et post-doctorants, c’est aussi la sociologie qui dominait.

Les publications de l’INED, notammentPopulation &Sociétés, témoignent d’une déculturation technique, d’un désintérêt marqué et d’une certaine désinvolture à l’égard de la mesure démographique. L’ascendant idéologique l’emporte souvent sur les préoccupations scientifiques. Si l’objectif est d’invalider les perceptions communes dans l’opinion publique, des analyses approximatives, recevant les applaudissements des collègues et le feu vert de comités de rédaction font l’affaire.

Fécondité des nouvelles venues

Ainsi, le numéro 568 de Population & Sociétés, publié en 2019, s’emploie-t-il à combattre l’idée reçue selon laquelle la présence d’immigrées expliquerait la fécondité plus forte de la France en Europe, tout en commettant des erreurs magistrales, dont est d’ailleurs coutumier un des auteurs, François Héran. On se demande comment un texte pareil a pu échapper à la vigilance des sept membres du comité de rédaction. Ce n’est probablement pas le lieu d’expliquer ces erreurs en détail (voir mon livre Immigration, idéologie et souci de la vérité), mais j’en profite quand même pour rappeler que ce que l’homme ordinaire, les journalistes et ces éminents spécialistes signataires dePopulation & Sociétés appellent un taux de fécondité n’est pas un taux, mais la somme des taux de fécondité par âge qui donne un nombre moyen d’enfantspar femme. Cela ne peut pas s’exprimer en pourcentage comme l’ont fait Éric Zemmour et Laurent Joffrin. Remarquons que si l’un des coupables de cette confusion, François Héran, s’est moqué d’Éric Zemmour, il a épargné Laurent Joffrin.

Ce fascicule de quatre pages, censé vulgariser des résultats bien établis par ailleurs, sert désormais à faire paraître des scoopssupposés sur la base d’analyses souvent bâclées. Le texte paru dans le numéro 565 d’avril 2019 sur les prénoms des enfants d’immigrésa ainsienchantéles médias. Les auteurs prétendaient que Nicolas était le deuxième prénom le plus fréquemment donné aux petits-enfants d’immigrés du Maghreb. Indépendamment des erreurs relevées par Jean-François Mignot, chercheur au CNRS, qui a tenté de vérifier la chose malgré des signataires taiseux sur ce qu’ils avaient fait, il faut souligner que ces derniers ne disposaient pas d’un échantillon suffisant pour établir un palmarès des prénoms. Il n’y figurait que 11 Nicolas. Le comité de rédaction a pourtant accepté la publication alors qu’il n’avait pas, de son propre aveu, les moyens d’apprécier sa valeur scientifique et qu’il avait tout simplement fait confiance aux auteurs ! Probablement parce que les résultats avaient plu à ses membres, comme à la presse.

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Il est même arrivé que Population & Sociétés concoure à une campagne de dénigrement contre un auteur ayant reçu un accueil trop favorable au goût de l’INED. Ce fut le cas du numéro 558 de septembre 2018 qui entreprit de dénigrer l’ouvrage de Stephen Smith – La Ruée vers l’Europe – paru quelques mois auparavant et accueilli favorablement par la presse. Même le président de la République s’y référait dans un entretien avec Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel le 15 avril 2018. Dans ce Population &Sociétés, François Héran prétendait démontrer la fausseté des « prophéties » de Stephen Smith. Qualification injurieuse s’il en est puisque Stephen Smith se serait livré ainsi à la divination et non à un travail scientifique. Or, l’erreur de Population & Sociétés, et donc de l’INED, tenait à son hypothèse de départ selon laquelle le nombre d’immigrés subsahariens augmenterait en France au même rythme que la population d’Afrique subsaharienne d’ici 2050, sans prendre la précaution basique de vérifier si cela avait bien été le cas jusque-là. Sur la période 1982-2015, c’est tout simplement faux. La croissance du nombre d’immigrés venus d’Afrique hors Maghreb a été deux fois plus rapide que celle de la population dans cette région du monde, avec une nette accélération dans les années 2000[4].

La démographie est une discipline scientifique rigoureuse

L’INED a donc négligé un raisonnement basique en démographie pour le plaisir de démolir un livre dont le succès le contrariait. Et la presse a suivi, au point que la sortie de la version allemande de La Ruée vers l’Europe a été gâchée par une recension particulièrement méprisante du Spiegel. On est allé jusqu’à dénier sa qualité d’universitaire à Stephen Smith. Après une démonstration fallacieuse, mais qui a beaucoup plu, François Héran reprocha à Stephen Smith ses propres turpitudes : il manquait de méthode ! Même Le Monde, qui avait commencé par diredu bien du livre de Stephen Smith, crut bon de changer d’avis. Il interpréta la publication de l’INED comme « la réponse des démographes » et on ne peut guère lui en faire grief, l’INED étant censé être le temple de la technicité démographique française.

Cette désinvolture et même une certaine malhonnêteté se retrouvent dans d’autres publications de l’INED, notamment celles qui analysent les résultats des enquêtes « Trajectoires et origines »dans un sens permettantd’embellir l’intégration et d’en reporter les difficultés sur la société d’accueil. Ce parti pris, assumé par l’INED, mais aussi par l’Insee, coresponsable des enquêteset des publications communes, figurait dans l’introduction du gros livre de résultats, publié en 2016 : « La mise sur l’agenda de la lutte contre les discriminations est venue renouveler l’approche en l’orientant vers la société et ses institutions » (Trajectoires et origines : enquête sur la diversité des populations en France, INED).

Réformer les perceptions communes n’est pas une mission scientifique digne de la recherche en général, et de celle en démographie en particulier. Sa mission est de garantir « le caractère honnête et scientifiquement rigoureux[5] » de ses travaux afin de mériter la confiance de la société. L’engagement idéologique de l’INED, associé à une certaine déculturation technique, ne permet pas à cet établissement public d’accomplir sa mission principale : fournir les meilleures informations possibles dans le domaine de la démographie et des études des populations, pour instruire les politiques publiques, les évaluer et les critiquer.


[1] « Conjoncture démographique et statistiques d’IVG », ined.fr, 15 sept. 2023.

[2] Michèle Tribalat, « Curieux éloge de Louis Henry, père de la démographie historique française », micheletribalat.fr.

[3].Michèle Tribalat,« La démographie : une discipline en voie d’auto-liquidation », in Cités, n° 82, 2020/2.

[4]. Michèle Tribalat, « On ne débat plus, on exécute », oct. 2018, micheletribalat.fr.

[5]. Définition de l’intégrité scientifique par l’ANR.

Didier a le bourdon

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On peuplu rien dire


Son petit ventre, qui l’a rendu si crédible dans des rôles de bourgeois du milieu du XIXème siècle pour quelques téléfilms de France 3, est resté intact. Sur TF1, dans l’émission 50’Inside, face à Isabelle Ithurburu, Didier Bourdon a sorti l’artillerie lourde. À la question : peut-on imaginer le retour des « Inconnus », avec le ton d’avant, il répond : « Ce serait compliqué aujourd’hui. Là, on aurait pas mal de soucis. On nous le dirait poliment : “On adore le sketch, mais… Il ne vaut mieux pas…” ».

Un âge d’or de l’humour français

Il faut revenir trente ans en arrière. Entre la fin des années 80 et le début des années 90, peu de catégories sociales ont échappé au jeu de massacre des « Inconnus », campés par Didier Bourdon et ses compères Pascal Légitimus et Bernard Campan. Du Juif du Sentier qui négocie dans des chiffres et des lettres comme on négocie un blouson en jean’s, aux Bretons qui grattent de poussives complaintes dans le JT local, tout le monde a eu droit à son quart d’heure de moquerie cathodique. Pendant que les Nuls, dans un esprit plus snob et plus british, donnaient naissance à l’esprit Canal et s’en prenaient aux mouches qui pètent, les « Inconnus » croquaient sketch après sketch la société française. Surtout, ils ont ponctué une grosse décennie d’humour français, les années 80, marquée par Pierre Desproges, Thierry Le Luron et Coluche, et qui aurait pu durer un peu plus sans le cancer du premier, le Sida du deuxième et le camion du troisième.

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Depuis, cette période est restée comme un âge d’or, après lequel les possibilités comiques n’auraient jamais cessé de se réduire. Didier Bourdon chantait déjà cette évolution dans « on peuplu rien dire », chansonnette sortie en 2005 et qui pourrait être l’hymne officiel de CNews. Il avançait alors : « Si j’veux parler d’Allah/On va me dire : « Là, vaut mieux pas »/ Si j’prononce le mot kippa/ T’es gentil tu la gardes pour toi/ Si je vous dis : « Jésus »/ Désolé ça n’intéresse plus ». On peut bien sûr se demander si tout cela n’est pas un peu exagéré et puis on repense au triste sort d’un canard français, début 2015, dont les membres ont été abattus comme des chiens pour trois ou quatre dessins moquant le prophète. Tout le monde, à l’époque, a été Charlie ; mais quel journal français sortirait aujourd’hui en Une les dessins du scandale ? Et combien de sketches, de dessins ont été depuis autocensurés, tués dans l’œuf, de peur de choquer des âmes sensibles – ou d’y laisser sa peau ? En dehors de la menace islamique, d’autres ligues de vertus apparaissent, moins lourdement armées mais toujours prêtes à dégainer la menace pénale : les féministes, les régionalistes, et tout un tas de vedettes et de politiques qui se sont sentis injuriés. Qui oserait imiter l’accent africain de nos jours comme au temps béni de Michel Leeb, ou jouer la folle comme Michel Serrault grimé en Zaza ? Même les Asiatiques se sont plaints, en 2018, d’un sketch de Gad Elmaleh et Kev Adams. Il ne manquerait plus que les Portugais, et ça y est, ça serait la totale.

Les Inconnus censurés sur TF1… en 2022

Évolution heureuse, selon certains. Le « on ne peut plus rien dire » serait « une affirmation non seulement fausse, mais aussi catastrophiste, qui repose sur le vieil argument éculé de la pente glissante, figure typique du discours réactionnaire consistant à disqualifier l’ensemble d’un mouvement de dénonciation par les excès, finalement rares mais montés en épingle, auxquels ils donnent lieu. Et sans jamais s’inquiéter, en revanche, du caractère excessif des propos dénoncés… », selon le chercheur en sciences politiques Denis Ramond. Le genre de mec avec qui on doit bien se fendre la gueule.

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Comment mesurer vraiment le déclin de la liberté humoristique ? C’est peut-être TF1 qui nous en a donné la meilleure illustration. En novembre 2022, la chaîne du groupe Bouygues décide de consacrer une soirée aux Inconnus. Passent alors à la trappe de nombreux sketches : celui du personnel hospitalier antillais, celui des Envahisseurs maghrébins…

Alors, on ne peut vraiment plus rien dire ? À bien y regarder, le phénomène le plus remarquable : c’est qu’en France l’humour s’est segmenté en plusieurs chapelles et tribus qui ne sont presque plus en contact les unes avec les autres. A l’époque des « Inconnus », il y avait trois ou quatre chaines, et personne n’a vraiment pu échapper à leurs sketches. Depuis, le paysage s’est fragmenté. Certains trouvent leur bonheur avec l’humour Jamel Comedy Club et les sketches qui commencent par « je ne sais pas si vous avez remarqué » et qui se termine par une anecdote vécue chez Ikea. A côté de ça, il y a l’humour pour les profs de gauche, sur France Inter, avec Guillaume Meurice qui part tous les jours à la recherche d’un chasseur favorable à la peine de mort. Et puis, il y a Gaspard Proust, qui peut quand même se lâcher sur Europe 1, grâce à un fin mélange de grand style et de saillies vulgaires, et grâce à une excellence syntaxique qui lui permet d’échapper (à peu près) aux radars des algorithmes et des redresseurs de tort. En fait, pourrait-on encore tout dire, à la condition de le dire avec style et dans un excellent français – meilleur moyen de rester discret ?

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Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, l’histoire se répète. Avec la mort de Dominique Bernard se repose la question des recompositions de la société française et des réponses que l’institution scolaire peut apporter.


Il y a de tristes anniversaires. Celui de l’assassinat de Samuel Paty. Et aujourd’hui, Dominique Bernard, professeur fauché lui aussi par un terroriste islamiste dans un lycée du Nord de la France, à Arras. L’école a été tuée deux fois. Deux passants du mauvais endroit au mauvais moment, passeurs de Français et d’Histoire. Ce double assassinat, perpétré dans le fragile sanctuaire de l’école républicaine, pose la question non seulement du statut de ces deux disciplines au sein de l’institution scolaire, mais aussi de leur valeur et du sens qu’on veut bien leur donner.

Plus qu’un facteur, la langue française a été un catalyseur d’union nationale dans un pays historiquement fragmenté sur le plan linguistique comme sur le plan politique. Le monolinguisme institutionnel repose d’ailleurs en France sur un consensus profond pour ne pas dire ancestral, dont les limites sont apparues à la faveur de deux événements. Les émeutes consécutives à la mort de Nahel d’abord, les évolutions inhérentes à la composition de la population, voire des populations française(s) ensuite.

Les événements qui se sont ourdis à Nanterre avant de se répandre ailleurs ont été l’occasion d’une prise de conscience certes temporaire, mais violente. Des milliers de nos concitoyens français ignorent la réalité de certains « quartiers ». Des pans entiers de notre territoire abandonnés à des modes de vie quasi alternatifs, autonomes, assujettis à des formes de pouvoir locaux dont l’existence-même échappe au pouvoir politique national. Il existe aujourd’hui des familles entières, arrivées en France parfois depuis plusieurs décennies, qui ne parlent pas le français, qui ne veulent pas l’apprendre et qui ne souhaitent pas qu’on le leur apprenne. Ces mêmes familles récusent parfois l’ordre républicain et obéissent à des logiques et des modes d’organisation sur lesquelles plus personne n’a de prise au sein-même de l’État. Le français est donc concurrencé sur son propre territoire, et la lettre de la Constitution n’y peut rien.

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Les recompositions de la société française s’inscrivent quant à elles dans le temps long. L’évolution de la langue, ses inflexions, ses concessions n’en sont que l’une des conséquences. Mais force est de constater que les effets de la partition entre la langue parlée à la maison par les nouvelles générations de Français issus de l’immigration, et la langue parlée à l’école n’ont pas fait l’objet des réflexions nécessaires. La France s’est en effet entêtée dans une logique volontariste et assimilationniste de principe, sans se préoccuper des effets concrets d’une telle politique. Laquelle a conduit au rejet de la langue de la République, sous l’effet de la marginalisation d’une partie des populations issues de l’immigration par l’échec scolaire. Au lieu de penser, puis d’instaurer des pédagogies permettant de penser le rapport entre les langues de l’intime et de l’école, quintessence et lieu d’expérimentation de l’espace public, l’école a marginalisé la famille et sa langue. Elle a, ce faisant, contribué à la marginalisation et à l’échec scolaire de populations qui, aujourd’hui, récusent le rôle d’assimilation de notre langue.

L’école privée échappe à la désintégration publique

Il est symptomatique aujourd’hui, que les familles qui en ont les moyens intellectuels et pécuniaires fassent le constat de l’impuissance de l’école publique à enseigner correctement le français. Seuls les « grands » établissements des grandes villes et des villes moyennes sont réputées dispenser des cours aptes à former les jeunes Français à l’usage correct de la langue, de sa grammaire, de son vocabulaire. Conséquence ? L’État, jusqu’à l’arrivée de l’actuel ministre de l’Éducation nationale, s’est enfermé dans une condamnation stérile de l’école privée. Condamnation sans véritables effets, ni au regard du pseudo-protocole de mixité sociale des établissements sous contrat d’association, ni au regard de la cohérence. La plupart des hautes personnalités de notre pays continuent en effet de scolariser leurs enfants dans le privé pour échapper à la désintégration publique.

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Les deux assassinats auxquels l’école vient d’être confrontée en l’espace de seulement trois ans posent aussi la question de l’histoire, au moment-même où le président de la République souligne l’importance de son enseignement chronologique. La transmission des repères spatio-temporels est en effet la condition sine qua non pour se penser en tant que société, c’est-à-dire comme héritiers d’une séquence d’événements qui font ce que nous sommes collectivement. Cette conception n’a pas vocation, faut-il le rappeler, à s’enfermer dans des déterminismes ethniques ou religieux, mais au contraire, à s’ouvrir au monde à l’appui d’une ambition universaliste essentiellement française. La laïcité, la langue, l’école sont les leviers de cette grande transformation des êtres en citoyens. Encore faudra-t-il s’en (re)donner les moyens.

Suisse: les raisons taboues de la poussée de l’UDC et de l’échec des Verts

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La droite populiste est arrivée largement en tête aux élections législatives, hier. N’en déplaise aux éditorialistes helvètes, les Suisses entendent bien résister à l’immigration de masse et au wokisme. L’analyse de Jonas Follonier, rédacteur en chef du magazine Le Regard Libre, qui vient de publier son centième numéro.


La victoire, dimanche, du premier parti du pays au détriment des écologistes a bien eu lieu comme prévu. Mais ce n’était pas encore assez pour que certains commentateurs reconnaissent que l’immigration et le wokisme suscitent des critiques au sein de la population.

Ras-le-bol

Il suffit d’avoir des conversations de tous les jours avec des gens de différents milieux pour être au courant que les dizaines de milliers de nouveaux arrivants en Suisse (plus de 80 000 personnes en 2022, soit un bon pourcent de la population) sont un motif de préoccupation et, disons-le, de ras-le-bol, auprès d’une partie des citoyens. Dire cela, ce n’est pas encore affirmer que cette préoccupation est justifiée. Mais juste qu’elle existe. Pourtant, on trouve encore des éditorialistes pour rappeler que l’UDC a imposé cette thématique durant la campagne et qu’au fond, c’est par ce travail de rabâchage que l’immigration est devenue l’un des trois principaux soucis des habitants de ce pays.

Tant de conditionnels dans les analyses, de citations derrière lesquelles se cacher, pour ne pas assumer cette évidence: la Suisse connaît la croissance démographique parmi les plus galopantes d’Europe et l’immigration qui en est la cause n’est de loin pas ressentie comme un bienfait par tous les habitants. Pas étonnant que l’UDC ait opéré une forte progression (+3,3% des voix) aux élections fédérales de ce dimanche, récupérant deux tiers de ses sièges perdus lors du scrutin de 2019 et atteignant les 28,6%, loin devant le Parti socialiste (18%).

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Alors oui, l’UDC est la formation à disposer du plus grand budget, oui, elle communique des chiffres pas toujours exacts et sans le sérieux que le sujet exige, oui, le contexte international du terrorisme islamiste peut favoriser une demande de sécurité, mais ce qui suit est vrai également: les statistiques de criminalité de l’année passée montrent que 62% des meurtres, 65% des viols et 75% des vols sont le fait d’étrangers. Et certains résidents de ce pays, de nationalité suisse ou non, d’origine helvétique ou non, constatent simplement que les transports publics sont bondés, que la proportion d’élèves à ne pas maîtriser le français augmente, que le deal est largement pratiqué par une certaine population et qu’il est très visible dans certaines villes…

Sur le wokisme, un même aveuglement

Encore une fois, rien ne dit que l’UDC apportera une solution à ces problèmes. Ceux-ci sont néanmoins réels. Il appartient à tous les partis d’en prendre acte. Et cela vaut aussi pour les observateurs, qui ont été trop nombreux sur les plateaux et dans les colonnes de journaux à tourner autour du pot. On devrait pouvoir parler d’intégration, de sécurité, de dépenses sociales, d’asile ou de contingents au même titre que le pouvoir d’achat, un autre thème majeur de l’année. Par peur du réel, on préfère dénoncer son traitement par l’adversaire plutôt que de le regarder tel qu’il est.

C’est au fond ce même aveuglement qui pousse à ne pas prendre au sérieux le « sociétalisme » des Verts comme l’une des raisons, voire la principale, de leur échec national (-4%). Le wokisme parsème le petit monde académique dont cette formation écologiste est devenue le satellite, ne serait-ce que par le profil de ses élus. Cette tendance impopulaire à la dictature des ressentis et à la moralisation de tout a également bien fait son nid dans le domaine des médias. D’où la tendance à ne pas nommer ce grand éléphant dans la pièce, objet d’empoignades à la table familiale, et à résumer les événements à l’inflation et à ce qui se passe au Proche-Orient. Ainsi se renforcent les tabous. Et les partis qui en profitent peuvent jubiler : un bel avenir leur est assuré.

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Orgie italienne au Louvre

L’exposition des chefs-d’oeuvre du musée de Capodimonte (Naples) parmi les collections de la Grande Galerie du Louvre témoigne de l’amour du corps propre à l’art européen. Que sa représentation soit religieuse ou profane, tout est bon pour en révéler sa sensualité.


Le Louvre lève le voile

Si le vêtement islamique, sous ses différentes formes couvrantes, s’impose de plus en plus dans l’espace public, c’est aussi parce qu’il s’invite régulièrement dans le débat. Les polémiques cauteleuses autour de la longueur de ces sinistres pans de tissu empaquetant femmes et jeunes filles font le jeu d’un combat linguistique, cheval de Troie d’ambitions politico-religieuses conquérantes. Réussir à polémiquer, c’est déjà imposer les mots de la controverse, quand bien même l’issue de la polémique serait défavorable aux revendications vestimentaires en question. Conséquence absurde de ces querelles de chiffonniers en lieu et place de décisions politiques verticales : un surplus d’existence –grâce aux mots qui les désignent et courent sur toutes les lèvres– pour des vêtements qui font des femmes une masse informe, socialement invisible et existentiellement nulle.

À ce triste vestiaire importé de pays qui condamnent les usages du corps et du vêtement en Occident, mais que d’inclusifs dictionnaires de langue française tels que le Larousse Collège croient bon de faire figurer dans leur sélection de noms communs au même titre que le paletot idéal d’Arthur Rimbaud, préférons d’autres mots en langue étrangère, d’autres noms de vêtements, une vision du corps plus proche de nos usages ; en somme, une invitation au dialogue plus plaisante.

Vénus, Satyre et Cupidon, Antonio Allegri, dit Le Corrège, vers 1528. Museo e Real Bosco di Capodimonte

Ces mots sont italiens et ne figurent pas dans le dictionnaire Larousse Collège : sottana, baragoni, zinale.Les vêtements qu’ils désignent : une robe légère, dont le décolleté prononcé laisse apparaître l’arrondi de la poitrine, les larges épaulettes d’une robe de satin jaune qui la recouvre et un tablier de lin blanc brodé, le tout porté par Antea, l’élégante jeune femme peinte vers 1535 par Francesco Mazzola dit Parmigianino, « le Parmesan » (1503-1540). Consciente de sa beauté par-delà les usages sociaux, Antea nous invite à l’observation minutieuse de sa tenue, de ses cheveux tressés en diadème, de son visage. Elle ne se dérobe pas à notre propre regard pris dans les détails de la peinture comme les doigts de la jeune femme dans les mailles de son collier.

Cette invitation à venir admirer Antea émane du Musée du Louvre: jusqu’au 8 janvier, les 460 mètres de la Grande Galerie accueillent sur leurs cimaises une trentaine de chefs-d’œuvre de Masaccio, Bellini, Parmesan, Titien, Caravage, Carrache, etc., du Musée Capodimonte de Naples, le temps que l’ancien palais italien se refasse une beauté. Temps que l’on prendra, de notre côté, pour aller rendre visite à Antea, Danaé, Marie, Madeleine, Atalante, Judith, Agathe, Lucrèce et bien d’autres, saisies par la peinture dans des jeux de peau et de « draperies envolées »(André Malraux) ou complices de la beauté de leurs formes, traçant ainsi les contours d’une Renaissance italienne éclatante dont nous sommes toujours les heureux héritiers.

Caïn et Abel, Leonello Spada, 1612-1614. RMN-Grand Palais (musee du Louvre) Franck Raux

La beauté du corps est sans doute le point commun à tous ces chefs-d’œuvre de la peinture italienne issus de l’impressionnante collection du musée napolitain, constituée au fil des dynasties des Farnèse, des Bourbon et des Bonaparte-Murat. Venus dialoguer avec nos Mantegna, Ghirlandaio, Léonard de Vinci, Raphaël, Caravage et Guido Reni de la Grande Galerie, ils nous parlent de chair, d’amour, de désir, de force, de peau frémissante ou comblée, de douce impudeur, de souffrance physique et d’extase érotique, d’abandon des sens et de tension des muscles, de beautés parfaites, nues, vêtues, ou nues sous leur vêtement… La Renaissance italienne, nourrie de spiritualité franciscaine, de goût pour les plaisirs du quotidien cultivés par des mentalités marchandes en plein essor, ainsi que d’un néoplatonisme réjoui de voir dans la beauté le reflet d’un absolu, a accordé au monde sensible et à la consistance des choses une place sans précédent. Le corps véritable, né avec Giotto au Trecento, mais confirmé dans son épaisseur et ses teintes charnelles par Masaccio autour de 1420(Adam et Ève chassés du Paradis) s’exhibe désormais dans des nus discrètement sensuels, marque de fabrique du Quattrocento et du Cinquecento.

La Danaé de Titien (vers 1544-1545) est, à ce titre, un prêt inestimable du Musée Capodimonte. Destinée aux appartements privés de Son Éminence Alexandre Farnèse, dont elle est une commande personnelle réalisée à partir d’un croquis d’Angela, la maîtresse du commanditaire (visiblement conciliant sur la question de l’incontinence –ecclésiastique – de la chair), l’œuvre est, comme le dit si bien Paul Veyne,« la sensualité sans voile » entrée en peinture. Si l’écrivain napolitain Erri de Luca y voit avant tout « le bout de ciel » à droite de la toile, vous y verrez peut-être davantage Danaé, étendue sur un lit de plaisir, le regard noyé dans la contemplation lascive d’un Jupiter métamorphosé en pluie (de pièces) d’or. Le creux ombré d’une aisselle, la pliure suggestive des genoux disjoints, la tendresse d’un ventre légèrement rebondi, le sourire plissé de l’aine : le corps nu de la belle a des mollesses d’oreiller, un drapé de couche nuptiale et des couleurs d’abandon. Le drap qui chevauche sa cuisse droite est d’ailleurs tout ce qu’il reste d’une pudeur évanouie dans la plénitude du toucher fantasmé : caresse du tissu, caresse de la peau, caresse du regard. On est en pleine morbidezza : la douceur des teintes sur l’onctuosité des chairs.

Le petit pan de drap blanc enroulé autour de la cuisse gourmande de Danaé nous rappelle d’ailleurs que le drapé, en peinture, révèle toujours un peu plus qu’il ne cache. Héritier de la sculpture antique, il effleure le nu et prend des airs de seconde peau à la Renaissance. Le De Pictura d’Alberti (1435) avertit les peintres : inutile de s’essayer au drapé sans maîtriser préalablement le nu, car c’est le corps qui donne sa forme à la draperie. Et c’est bien le corps sous toutes ses formes que les tuniques, voiles et robes longues mettent en évidence dans les deux collections italiennes réunies au Louvre (celle du Louvre et celle de Naples). La robe de la Sainte Marguerite de Raphaël (1518) lui colle à la peau et souligne les doux volumes de son ventre, de ses cuisses et de ses jambes. Le bleu marial de la robe de la Vierge ondule au plus près de sa poitrine de mère éplorée dans la Pietà d’Annibal Carrache (1599-1600). Le Christ du Noli me tangere de Bronzino (1560-1561) se dérobe autant au visage sensuel de Madeleine qu’aux seins et à la jambe droite de cette femme aimante qui s’avance vers lui dans des drapés suggestifs.

Tout est là, dans les prémices du « couvrez ce sein que je ne saurais voir ». Notre culture commune repose sur l’ambivalence héritée d’un christianisme latent qui fonde encore notre usage du corps et du vêtement, et dont l’accrochage du Louvre est une belle synthèse. L’érotisation du regard qui naît à la Renaissance et brouille pour longtemps, y compris dans la peinture religieuse, la frontière entre le charnel et le spirituel, le sacré et le profane, a partie liée avec ce que le christianisme a posé comme étant au cœur du mystère chrétien : la double nature du Christ, charnelle et spirituelle. Charnelle par la Passion et la Résurrection, spirituelle par la Transfiguration. La Flagellation du Caravage, la Crucifixion de Masaccio, Le Christ en jardinier de Bronzino d’un côté, et la Transfiguration de Bellini de l’autre. Et, tout près, comme Hercule à la croisée des chemins d’Annibal Carrache (1596), la Danaé de Titien.

Tout près aussi, des visiteurs passionnés de peinture italienne venus adopter la pose assez inconfortable du Christ de Bronzino pour réussir un selfie en crop-top devant le nombril du Saint Sébastien de Mantegna (1478-1480), ou une photo-souvenir en bermudas, sneakers et tee-shirt floqué devant une vénusté du xvie siècle. Vérifions, pour terminer, que le dictionnaire Larousse Collège a bien retenu « crop-top » comme mot digne de figurer dans son lexique choisi. La relève de notre culture commune n’en sera que mieux assurée.

À voir

« Naples à Paris : le Louvre invite le Musée de Capodimonte »

Musée du Louvre, jusqu’au 8 janvier 2024.

Simenon, ce drôle d’ostrogoth

En cahier, en album, en récit ou en chromo, l’écrivain belge (1903-1989) n’en finit pas d’agrandir son cercle des laudateurs…


Inépuisable. Intarissable. Indéchiffrable. La source Simenon ne connaît pas de dérèglement climatique en cette 120ème année de sa naissance. Elle abonde et coule des jours heureux, à l’ombre des librairies. On y revient toujours, un peu penaud, un peu agacé aussi. Il y a de l’alchimiste chez ce Liégeois porté sur la bagatelle. Pourtant, aucune graisse. Aucun débord. Aucune vantardise de sa part. Une sécheresse presque suspecte, la phrase trop faible pour être complètement innocente, un style amorphe, quelque chose de lent et pénétrant, d’insidieux dans sa simplicité grammaticale, même pas une flamboyance d’auteur pour relever le menton, un de ces petits orgueils d’écrivain qui claquent et éblouissent, pour faire les malins en société. Simenon se refuse à ces gamineries-là. Il laisse les écorchés et les trublions à leur littérature déclamatoire. Il se méfie des mots trop longs et compliqués ; des formules alambiquées et des émotions bruyantes, elles réduisent l’atmosphère, elles nuisent à la profondeur des personnages, elles sont contre-productives dans l’art de narrer. Il écrit à bas bruit. Il burine sans brio, ni emphase. Il limite volontairement l’ouverture de son spectromètre à un vocabulaire compréhensible au tout-venant, à la masse, c’est pour mieux vous cerner, mes chers lecteurs. Là, réside le génie du grand Georges. Une banalité, une médiocrité, une humanité enfin révélée dans sa nudité, le malheur n’a pas besoin d’exhausteur de goût, de strapontin pour imprégner les peaux, il suinte naturellement. Dois-je le confesser ? dans le match qui oppose le commissaire Maigret au détective Nestor Burma, j’ai choisi depuis l’adolescence mon camp, celui de Léo Malet, dont l’écriture plus fouillée et fouillis rassérène mon mal de mots. L’anar-surréaliste, rétameur de bitume, ce gouailleur vindicatif en marge des écrivains officiels donc étudiés, correspond plus à mon tempérament brouillon et insatisfait. Mais, car il y a un mais, l’œuvre de Malet, aussi foutraque qu’elle soit, carnavalesque dans la mouise, pleine de jus et d’amertume, désabusée et un brin folklorique, ne résiste pas au naturalisme caverneux de Simenon. Chez le marin d’eau douce, contrairement à la prédiction d’Audiard, nul besoin de faire des phrases pour exister. Il est comme ces charmeurs de serpent, on croit connaître leur truc et on se fait quand même avoir. La source Simenon est comparable à celle d’Hergé, elle infuse longtemps dans les têtes, sans vous pointer un revolver sur la tempe, sans vous alerter par de grandes déclarations, elle ne peut cependant se dégager de votre mémoire. Derrière l’apparente innocuité de la ligne claire ou la métronomie des romans durs, la vie prend forme, elle y déploie son venin ou son suc, ce qui revient au même. Pour s’approcher de la « bête », les exégètes ne manquent pas. L’homme à la pipe fait vendre, les éditeurs ont parfois la main lourde. En cette période de la Toussaint, je vous conseille deux ouvrages légers par leur poids et orignaux par leur angle de vue.

Dargaud

D’abord Radio Simenon de José-Louis Bocquet à la Table Ronde ; le scénariste, romancier et biographe primé raconte dans un très court texte, savoureux et sincère, ce qui ne va pas de soi, son immersion dans l’œuvre-fleuve du Belge. A l’occasion d’une émission de radio qui sera diffusée sur les ondes de France Culture en 1988, Bocquet est entré en religion, il a approché le mythe par la voix. L’écoute intensive des heures et des jours durant, en apnée dans les archives de la Maison ronde, a agi comme un détonateur dans son propre processus créatif. « Ce n’est pas tant sa réussite littéraire et commerciale qui me trouble, mais le paradoxal équilibre entre l’humilité et l’orgueil présidant à sa longue marche vers le roman pur », écrit-il.Bocquet analyse finement que ce refus absolu de « faire littéraire » et ce long apprentissage vers le roman-roman tiennent autant d’un travail acharné que d’une recherche de vérité.

On retrouve également Bocquet à la manœuvre dans Simenon, l’ostrogoth, paru en trois cahiers à tirage limité ces dernières semaines et aujourd’hui en album complet, mis en images par Jacques de Loustal. Sur un scénario donc de Bocquet et de Jean-Luc Fromental avec John Simenon, on suit Simenon et Tigy dans leur pacte artistique au fil des méandres fluviaux. Le premier des deux qui réussit, en littérature ou en peinture, aidera l’autre. Loustal raconte que « c’est sur le canal de la Marne au Rhin, où (il) naviguait à bord d’une péniche pour les besoins de son diplôme d’architecture consacré aux canaux » qu’il a rencontré Simenon. « Je cherchais, pour des citations, des textes un peu atmosphériques sur ce genre de paysage et je me suis délecté in situ de La Maison du canal, de L’Écluse n°1, du Charretier de la Providence… ». Depuis, lui comme nous tous, sommes des Simenoniens d’adoption.

Radio Simenon de José-Louis Bocquet – La Table Ronde

Simenon, l’ostrogoth – Loustal, Bocquet, Fromental, Simenon – Dargaud

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Ravissement: nom masculin, deux définitions

On sort ravi du « Ravissement » d’Iris Kaltenbäck. Notamment grâce à l’interprétation de la remarquable Hafsia Herzi. Et c’est le moins qu’on pouvait attendre d’un film avec un titre semblable…


Généalogie d’un projet

Ce premier long-métrage de fiction d’Iris Kaltenbäck est une très belle surprise. La jeune cinéaste a choisi, après des études de droit et de philosophie, de passer le concours de la FEMIS, section scénariste. Lorsqu’elle travaille sur son projet de court-métrage, Le Vol des cigognes, elle découvre un fait divers passionnant : une jeune femme emprunte l’enfant de sa meilleure amie et décide de faire croire à un homme qu’elle en est la mère. Dès lors, Iris Kaltenbäck travaille à l’élaboration d’une fiction qui raconterait le bouleversement provoqué par cet événement sur l’amitié liant ces deux femmes.

Un double ravissement

La cinéaste nous conte donc une histoire de ravissement dans les deux sens du terme. Le personnage principal, Lydia (remarquable et splendide Hafsia Herzi), est maïeuticienne (sage-femme). Le film commence par une rupture dure, sèche, abrasive. Alors qu’étincelante dans sa robe écarlate, elle s’apprête à se rendre à l’anniversaire de sa meilleure amie, Salomé (Nina Meurisse), sans laquelle elle n’imagine pas vivre, son compagnon lui avoue une infidélité. Sans appel, elle le met dehors. Lydia se rend donc seule à la fête. Là-bas, Salomé lui apprend qu’elle est enceinte et lui demande de suivre sa grossesse. De son côté, Lydia avoue une histoire naissante avec Milos (Alexis Manenti), conquête d’un soir. Lorsqu’elle recroisera cet homme plus tard, elle tiendra le bébé de son amie dans ses bras, et lui proférera un tissu de mensonges qui la mèneront à sa perte.

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De la naissance filmée avec grâce…

En attendant, Lydia continue de faire son métier avec beaucoup d’attention et une infinie douceur pour les femmes qui accouchent et les enfants qui naissent. Et la cinéaste filme de même. Son regard sur les femmes, les hommes et les bébés qui naissent, les couples éprouvant simultanément et souffrances et joies, est de toute beauté. Quant à Lydia, elle s’occupera, le moment venu, de l’accouchement de Salomé avec amour et vigilance. Et avec une douceur et une tendresse qui se reporteront sur ce bébé qu’elle fait venir au monde. Le ravissement maternel sera alors à son comble.

jusqu’au basculement final 

Mais ce ravissement cache une fêlure, un mal qui couve et fragilise notre personnage principal. Car elle vit difficilement sa solitude et le souvenir du beau garçon, le fameux Milos, rencontré lors de ses errances diurnes et nocturnes, ne s’efface pas. Commencera alors une histoire de couple aussi effarante que belle, et qui la conduira au rapt de l’enfant de son amie…

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Ode à l’amitié et à la beauté de donner la vie, fascinant portrait d’une jeune femme perdue, Le Ravissement est un beau film où Iris Kaltenbäck, par sa mise en scène subtile, âpre et inventive, son art de la suggestion, la beauté formelle de la lumière de sa chef-opératrice Marine Atlan, le talent de ses trois interprètes principaux, donne à son l’histoire une rare intensité qui nous bouleverse profondément.


France – 2023 – 1h37 Interprétation : Hafsia Herzi, Alexis Manenti, Nina Meurisse, Younès Boucif… Image : Marine Atlan  – Musique : Alexandre de la Baume. Sortie sur les écrans de cinéma de France le mercredi 11 octobre 2023

Au cœur des réseaux «anti-impérialistes» français: qui couvre le Hamas?

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Paris, 22 octobre 2023 © ISA HARSIN/SIPA

Toute une partie de l’extrême gauche française ne veut pas voir du terrorisme dans les actions du Hamas, mais un groupe armé résistant à une occupation.


Les langues se délient. Interrogée par Jean-Jacques Bourdin sur l’antenne de Sud Radio, la députée France Insoumise Danièle Obono a dévoilé le fond de sa pensée. Elle a ainsi refusé de déclarer que le Hamas était un groupe terroriste, préférant le définir comme un « groupe politique islamiste » qui « résiste à une occupation » et qui œuvre à la « libération de la Palestine ».

Au-delà des réactions attendues des adversaires politiques de la France Insoumise, les propos de Madame Obono n’ont pas manqué de faire réagir dans les rangs même de son groupe parlementaire, la Nupes. Au bord de l’implosion, ce groupe de travail issu d’un consensus entre les principaux partis de gauche n’en finit plus de se déchirer, comme l’a encore démontré Benjamin Saint-Huile, député quant à lui appartenant au groupe LIOT : « Je crois que La France insoumise a décidé de faire du conflit israélo-palestinien le moment de la fragmentation dans la population. Je crois que ce n’est pas très responsable. […] Le Hamas est une organisation terroriste, nous le savons ».

La gauche française dépassée

Cette fragmentation était observable dans la manifestation de soutien au peuple palestinien qui s’est tenue jeudi 19 octobre à Paris. On a pu notamment entendre une foule scander le takbir, ce qui a fait dire à un internaute nommé Fouad Raoui : «  Mes parents musulmans quand ils prient murmurent « Allah Akhbar » chez eux car c’est dans leur cœur et un lien entre eux et Dieu. Jamais il ne leur viendrait à l’esprit de le scander dans l’espace public, a fortiori le jour des obsèques d’un professeur assassiné par un djihadiste ». C’est là toute la différence entre la foi du cœur et la foi politique d’une extrême-gauche devenue l’idiote utile d’un projet politique qui la dépasse, le Hamas étant d’ailleurs l’oppresseur du peuple palestinien.

Le sujet a été peu évoqué ces derniers jours, même après l’attaque terroriste du 7 octobre, mais le Hamas, au-delà de précipiter son propre peuple vers la guerre, n’hésite pas à brutalement le réprimer. En 2014, Amnesty International avait publié un rapport intitulé « Enlèvements, tortures et exécutions sommaires de Palestiniens par le Hamas durant le conflit israélo-gazaoui de 2014 », dans lequel était détaillée une série de violations, incluant notamment les exécutions extrajudiciaires de 23 Palestiniens. Certains d’entre eux étaient des membres du parti rival Fatah, le Hamas ayant profité du chaos pour éliminer des rivaux : « Dans le chaos du conflit, le gouvernement de facto du Hamas a donné carte blanche à ses forces de sécurité pour commettre de terribles abus, notamment contre des détenus se trouvant sous sa responsabilité. Ces agissements, dont certains constituent des crimes de guerre, avaient pour but d’obtenir vengeance et de répandre la peur à travers la bande de Gaza. »

Ces violences, comme toutes celles ayant cours entre musulmans ou par des musulmans sur les chrétiens, le petit monde « décolonialiste » n’en a à vrai dire pas vraiment cure. Il se fait beaucoup plus discret, passant sous silence ces actes pour privilégier ses axes de communication habituels. Il y a une nuance entre la défense des intérêts du peuple palestinien et l’aveuglement sur les dirigeants de la bande de Gaza, qui ont certes été parfois privilégiés comme « meilleurs ennemis » par certains gouvernants israéliens qui se sont autant fourvoyés que mis en danger, mais qui sont d’abord et avant tout des terroristes fanatiques qui plongent désormais dans le chaos tout le Proche et le Moyen-Orient.

À la recherche de l’islamo-gauchisme

Les dirigeants arabes responsables ne s’y trompent d’ailleurs pas, à l’image des Émiratis et des Saoudiens qui doivent jouer une complexe partition d’équilibristes, mais qui ne sont pas dupes des menées de l’Iran qui compte à la fois sur ses proxys chiites tels que le Hezbollah et les Houthis yéménites et sur ses proxys sunnites comme le Hamas, inspiré de l’idéologie des Frères musulmans. Est-ce à dire qu’il y aurait un lien direct entre l’extrême gauche française et le frérisme ? Un islamogauchisme chimiquement pur qui trouverait sa traduction chez nous dans une partie des rangs des Insoumis ou de sa périphérie, à l’image d’Houria Bouteldja ? Si l’expression reste problématique, l’islamisme n’ayant pas besoin du gauchisme pour exister, il n’en reste pas moins qu’elle recouvre une part de réalité.

On peut notamment citer dans cette nébuleuse, outre les premiers nommés, une personnalité comme celle de l’avocat lyonnais Gilles Devers, compagnon de route de nombre de ces activistes. Avocat notamment de l’imam Mohammed Tlaghi de la mosquée de Torcy, qui avait légitimé le djihad avant d’être expulsé vers le Maroc, ou encore de BDS France, Gilles Devers a déposé en compagnie de sept autres avocats internationaux en juin 2023 un dossier devant la Cour Internationale de Justice de La Haye contre l’État d’Israël pour le compte du Conseil législatif palestinien. Cette plainte a toutes les chances d’avoir été en réalité déposée au profit du Hamas, puisque le Conseil législatif palestinien n’existe plus depuis 2007, date de la séparation officielle du Fatah avec l’organisation terroriste.

On le voit, cette toile d’influence en France s’étend jusque dans notre champ politique et métapolitique. Dans un article daté du 7 octobre[1], Le Monde indique d’ailleurs qu’une plainte concernant la colonisation cisjordanienne et les transferts forcés de populations, qui devait être déposée le lundi 9 octobre, a été retirée, Gilles Devers ajoutant un commentaire qui en dit long : « La branche armée du mouvement a décidé que c’était le moment d’agir et on a donc décidé de reporter le dépôt de la plainte ». L’expression « branche armée », également utilisée par Mathilde Panot, est d’ailleurs au cœur de sa rhétorique, puisqu’il appelle les sympathisants de la cause palestinienne à ne plus laisser dire que « la résistance armée c’est le terrorisme »


Nonobstant ce qu’on peut penser des politiques menées par l’État d’Israël ces dernières années, largement critiquables, et du sort des Palestiniens, variable d’ajustement de tous les acteurs régionaux, à commencer par leurs propres représentants, il est inquiétant de voir que nous importons ce conflit chez nous sans aucun recul ni connaissance profonde du dossier. Les infaux se multiplient d’ailleurs, notamment à propos des votes français à l’ONU.

Un autre avocat plus médiatique, le célèbre Juan Branco, a notamment déclaré que la France se moquait du sort des civils gazaouis et avait rejeté le cynique vote russe proposant un « cessez-le-feu humanitaire ». Le vote russe ne proposait pas un « cessez-le-feu humanitaire », mais un cessez-le-feu tout court exonérant le Hamas et empêchant toute riposte. La France a en revanche voté favorablement la résolution brésilienne qui, elle, proposait en même temps une condamnation du Hamas et un véritable cessez-le-feu humanitaire face au véto américain et à l’abstention russe.

Comme d’habitude, personne n’a corrigé cette intox qui pourtant place la France dans l’œil du cyclone des foules protestataires du monde arabe, avec des conséquences directes pour nos ambassades, alors même que nous tentons de trouver une position juste et équilibrée, permettant à Israël de faire usage de la force pour éliminer cette menace terroriste mais d’y allier la volonté de protéger les civils en coordination avec les membres de la Ligue Arabe. Rappelons d’ailleurs que l’un des chefs du Hamas interrogé à la télévision américaine dressait un parallèle entre le mouvement Black Lives Matter et le sien… Il y a bien là un faisceau anti-occidental radical. Prenons-en la mesure. Il ne faut pas jouer avec le feu.


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/07/l-attaque-du-hamas-contre-israel-un-seisme-politico-securitaire_6193023_3210.html

Guerre au Moyen-Orient: le dangereux amateurisme de «Libération»

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La Une du quotidien français "Libération" du 19 octobre est accusée de colporter une "fake news". DR.

Après avoir publié involontairement une illustration trompeuse sur le conflit entre le Hamas et Israël, Libération a cru pouvoir s’en tirer avec des semi-excuses en catimini, qui trahissent un inquiétant rapport avec la vérité.


Ainsi donc cet enfant n’a jamais existé. Jeudi 19 octobre, Libération consacrait sa couverture à une manifestation anti-israélienne ayant eu lieu la veille au Caire. L’illustration choisie, une photo prise par un reporter de l’agence AP, est doublement impressionnante. On y voit un homme dans une rue de la capitale égyptienne, ivre de colère, qui brandit la photo d’un bébé, l’air épouvanté et en pleurs. Tout laisse penser que cet enfant est un petit Gazaoui effrayé par les bombes, puisque Libération indique : « Après une explosion meurtrière dans un hôpital de Gaza, des manifestations se sont multipliées dans plusieurs pays de la région. »

Problème: cet enfant n’existe pas. Il s’agit en fait d’une image de synthèse ultra-réaliste, obtenue grâce à un logiciel d’intelligence artificielle. Autrement dit, ce bébé est un pur matériel de propagande déguisé en information. Évidemment, quand le journaliste d’AP a immortalisé la scène, il ignorait cette escroquerie. De même, on ne saurait soupçonner Libération d’avoir décidé de publier l’image en sachant qu’elle recelait un leurre et en le cachant à ses lecteurs. Tout comme il serait absurde d’accuser le quotidien préféré des bobos d’avoir, au cours des jours précédant ladite publication, relayé en connaissance de cause un autre mensonge, fabriqué par le Hamas celui-là, sur la responsabilité de Tsahal dans l’explosion à l’hôpital de Gaza. Espérons seulement qu’à l’avenir le journal comprenne enfin combien il est anti-professionnel de donner foi aux sources islamistes avec si peu de précautions.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Hôpital Al-Ahli Arabi à Gaza: une bavure médiatique

Dès le jour de la parution de la photo du manifestant en colère et de l’enfant en pleurs mis en abîme, plusieurs internautes ont montré, grâce à une simple recherche sur Google, que ce dernier était en réalité une créature virtuelle. Libération a rapidement reconnu les faits… mais ne s’en est pas exactement amendé. « C’est regrettable » a juste concédé Dov Alfon, le directeur de la publication, au détour de la rubrique “Checknews”, en précisant : « Beaucoup des pancartes brandies dans les manifestations du 17 octobre étaient en effet générées par IA, qui devient ces derniers mois le socle artistique de protestations, comme auparavant l’étaient des pantins, poupées ou squelettes. » Étrange raisonnement ! Avancer qu’une photo truquée s’apparente à un pantin de carnaval, c’est prétendre qu’il serait tout aussi facile de déceler, d’un simple regard, l’inauthenticité de l’une que de l’autre. Qui peut gober une chose pareille ? Comment Dov Alfon s’imagine-t-il faire accepter un tel sophisme à son public ?

Un jour peut-être, cette couverture de Libération sera étudiée en classe par des collégiens ou des lycéens, à qui le professeur essaiera d’apprendre le décryptage de l’actualité. Celui-ci leur demandera sans doute de dire ce qu’ils voient sur la page: le bandeau, la manchette, la titraille, l’illustration. Seulement, faute d’une légende mentionnant la présence d’une fake news dans le champ, les élèves auront la même interprétation que les lecteurs de Libération en 2023 : ils croiront que l’image du bébé est vraie. On peut supposer que l’enseignant leur rétorquera qu’il faut se méfier des apparences, et qu’il leur racontera l’histoire du « socle artistique de protestation généré par IA », dont Dov Alfon aura jugé qu’il ne méritait pas un correctif en lieu et place. Qui empêchera alors un élève de lever le doigt et de dire : « Mais qu’est-ce qui nous dit que l’Egyptien en colère n’est pas non plus une image truquée ? »

Nul comme un Vert

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Marion Maréchal ("Reconquête"), un militant écologiste radical et Benjamin Duhamel, BFMTV, 22 octobre 2023. Image : Twitter

Deux Verts sortis du Diable Vauvert, interrompent l’émission politique de Marion Maréchal sur BFM. Après les musées, les studios. On suffoque sous le plastique, ce n’est pas le problème à Yannick. Il y a du gaz dans l’air, du plomb dans l’eau, mais où est Rousseau ? Sur une autre planète, les écolos français se défoncent aux idéologies les plus fumeuses. Du wokisme au transhumanisme, qui c’est les plus forts ? Évidemment c’est les Verts.


521 days. C’est ce que les deux ostrogoths arboraient sur leur tee-shirt en se vautrant sur la table du débat de “C’est pas tous les jours dimanche” sur BFM, animé par mon neveu Benjamin. Marion Maréchal l’invitée du jour du saigneur, qui avait du mal à développer sans être coupée par une journaliste qui voulait absolument être la blonde de l’étape, a eu la surprise d’être en plus coupée par deux sécateurs du dimanche. D’interminables pages de pub, retour plateau sans que mon neveu Ben, prenne la peine de nous expliquer ce qui se passait. Pour une chaîne info…

521 days before. Si c’est un compte à rebours pour ce qui nous reste à vivre, en réalité ou à crédit, vous je ne sais pas, mais moi je me casse. Je me fais une Jacques Brel sur une ile du Pacifique, où les Marion sont en paréo une fleur d’hibiscus à l’oreille (droite de préférence), où les Benjamin jouent de l’ukulélé après avoir pêché le poisson que l’on s’envoie cru au lait coco citron vert. Nos Verts à nous, c’est pas le style à nous lâcher la grappe. Rivés au bitume, au ridicule, comme la moule faisandée à son rocher, ils font de la géopolitique au Proche-Orient, oups pardon Place de la République. De la cuisine, des bolognaises à balancer sur un Da Vinci, un Monet. Des champions, qui s’ils se perdraient en forêt, ne sauraient pas faire la différence entre un chêne et un platane, un cèpe et une girolle, la décence et l’indécence.

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521 days, so what ? René Dumont, le père de l’écologie contemporaine, doit découper le caveau de famille à la tronçonneuse en contemplant les derniers Verts de la portée, chercher un trèfle à quatre feuilles à genoux entre Nation et République. Lui l’ingénieur agronome, fils de paysans, ne concevait sa mission qu’en étroite collaboration avec les agriculteurs, les chasseurs, les sentinelles de la ruralité aux premières loges pour observer le chamboulement climatique. Avec cet équipage de surdoués, on consomme des tomates de Chine qui poussent hors sol. Pas grave, ces bouffons ne mangent que des graines. Les pêcheurs remontent des filets sans provision, pourquoi se prendre la tête, il y a Sushi-Shop. Heureusement, avec leurs salades, ils se prennent un râteau aux élections. Mesdames messieurs les électeurs, encore un effort pour les renvoyer définitivement à l’entretien des géraniums de leur terrasse. La Nature se trouvera vite de meilleures défenses immunitaires.

L’immigration, ce 11e commandement de l’INED

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Le démographe Hervé Le Bras, chercheur à l’Institut national d’études démographiques (INED) et ancien rédacteur en chef de la revue "Population" © IBO/SIPA PRESS

Au prétexte de lutter contre les « pétainistes » et autres « racistes » qui gangrèneraient la démographie, les tenants de la ligne immigrationniste règnent en maître à l’Institut national d’études démographiques. Michèle Tribalat retrace les principales étapes de ce putsch idéologique.


L’enrôlement idéologique d’institutions à vocation scientifique dans les grandes causes du moment est un poison pour la recherche scientifique, la connaissance et l’information du citoyen, donc un mauvais coup pour la démocratie. Les sciences sociales, où la légèreté et la mauvaise foi ont plus d’espace que dans les sciences dures, sont les plus vulnérables à l’emprise idéologique. La démographie, qui possède un corps de méthodes quantitatives, était mieux armée que la sociologie pour résister à la tentation de réformer l’opinion publique au lieu de l’instruire. Pourtant, l’Institut national d’études démographiques (INED), temple de la discipline, a sombré corps et biens dans l’esprit du temps. C’est particulièrement vrai sur la question migratoire. Un petit retour en arrière permet de mieux comprendre la vulnérabilité de l’institution et sa propension à soigner non pas tant sa réputation scientifique, qui lui semble acquise, que son message censé l’éloigner de perceptions communes jugées moralement inacceptables.

La vengeance d’Hervé Le Bras

C’est par l’ordonnance du 24 octobre 1945, laquelle dissout la Fondation Alexis-Carrel créée par Vichy en 1941, qu’est fondé l’INED, à l’initiative de Robert Debré. Ce dernier propose ainsi de recycler une partie des membres de la Fondation dans un institut chargé de l’étude de la population, sujet majeur à la sortie de la guerre. Alfred Sauvy en sera le premier directeur. À ses débuts, l’INED assume son intérêt politique pour l’évolution de la population française, et c’est encore vrai en 1972, lorsque Gérard Calot, polytechnicien et responsable du recensement de 1968 à l’Insee, en devient le directeur. Ce dernier est très investi dans l’étude de la fécondité et de la politique familiale. Ilpromeut l’analyse quantitative des phénomènes démographiques et la constitution de bases de données démographiques qui seront très utiles au Conseil de l’Europe et à Eurostat.Mais, dans les années 1990, l’INED sera mis sous pression à l’occasion de deux polémiques visant à l’accoquiner avec le pétainisme (un peu facile, compte tenu de la filiation avec la Fondation Alexis-Carrel) et l’extrême droite, déclenchées par la même personne : Hervé Le Bras.

La première salve, tirée en mai 1990, occupe beaucoup la presse. Hervé Le Bras, démis de ses fonctions de rédacteur en chef de la revue Population, cherche à se venger. Il nourrit des médias complaisants, même si ces derniers ne comprennent rien au fond. Hervé Le Bras reproche à Gérard Calot d’avoir privilégié un indicateur de fécondité plutôt qu’un autre. Le Bras publie Marianne et les lapins, un livre incendiaireoù il se décrit en héros luttant contre un courant d’inspiration pétainiste. La République des Lettres est en ébullition. Même Élisabeth Badinter a un avis sur les indicateurs de fécondité qu’elle expose dans Le Nouvel Observateur. Elledéclare que l’INEDa été infiltré par le Front national. En 1992, Gérard Calot ne sera pas candidat à sa propre succession.

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Ayant réussi avec brio son premier coup, Hervé Le Bras récidive après la nomination en 1996de son éternel rival– Henri Leridon – à la tête de la revue Population. Là encore apparaît un livre – Le Démon des origines (1998) – dans lequel je suis présentée comme un relais de la pensée frontiste. Il serait trop long d’expliquer ici l’étendue de la provocation, mais il tire les mêmes ficelles avec, là encore, un gros succès médiatique. Il va même plus loin. La démographie, comme discipline, constitue selon lui en France, et en France seulement, « un terrain favorable aux idéologies de l’extrême droite », en raison d’un contrôle de l’INED par des forces réactionnaires : « Tel un bernard-l’ermite, le racisme se loge dans une nouvelle coquille à sa taille. La démographie correspondait à cette demande. » C’est donc l’institution tout entière qu’il faut déconstruire, pour en extirper ces forces réactionnaires, et la discipline démographique, contaminée par ces forces, qu’il faut tenir à distance. C’est François Héran qui endosse l’habit et la mission sera scrupuleusement poursuivie par les directrices qui lui succéderont.

François Héran, directeur de l’INED entre 1999 et 2009 et professeur titulaire de la chaire « migrations et sociétés » au Collège de France. D.R.

En conséquence, les démographes de formation et d’intérêt sont désormais très minoritaires et soumis, comme à l’université, à l’esprit du temps.Parmi les unités et pôles de l’INED, aucun ne traite explicitement de la conjoncture démographique. Elle n’est plus qu’un« axe de recherche » parmi d’autres. Il ne faut pas compter en apprendre beaucoup sur le sujetsur le site de l’INED dont le contenu est manifestement erroné[1]. Elle ne mobilise que trois chercheurs de l’INED et deux chercheurs extérieurs (universités de Strasbourg et de Paris-1). Pourtant, depuis sa création, l’INED a l’obligation statutaire d’informer tous les ans le gouvernement sur la conjoncture démographique.

Hervé Le Bras reviendra sur les liens entre l’analyse démographique et l’extrême droite dans Le Cours de l’histoire sur France Culture le 15 novembre 2022. Louis Henri, père de la démographie historique française entré à l’INED en 1946, aurait été un maurassien repenti, à l’insu de tous ceux qui l’ont connu, à l’exception d’Hervé Le Bras[2] !

En conséquence, l’INED recrute de moins en moins de démographes. D’après un bilan réalisé en octobre 2019 pour la revue Cités[3], si on met à part les chercheurs âgés de 65 ansou plus, sur 63 chercheurs, six seulement avaient une thèse en démographie. Les docteurs en sociologie (22) et en économie (11) étaient majoritaires. Dans les postes de doctorants et post-doctorants, c’est aussi la sociologie qui dominait.

Les publications de l’INED, notammentPopulation &Sociétés, témoignent d’une déculturation technique, d’un désintérêt marqué et d’une certaine désinvolture à l’égard de la mesure démographique. L’ascendant idéologique l’emporte souvent sur les préoccupations scientifiques. Si l’objectif est d’invalider les perceptions communes dans l’opinion publique, des analyses approximatives, recevant les applaudissements des collègues et le feu vert de comités de rédaction font l’affaire.

Fécondité des nouvelles venues

Ainsi, le numéro 568 de Population & Sociétés, publié en 2019, s’emploie-t-il à combattre l’idée reçue selon laquelle la présence d’immigrées expliquerait la fécondité plus forte de la France en Europe, tout en commettant des erreurs magistrales, dont est d’ailleurs coutumier un des auteurs, François Héran. On se demande comment un texte pareil a pu échapper à la vigilance des sept membres du comité de rédaction. Ce n’est probablement pas le lieu d’expliquer ces erreurs en détail (voir mon livre Immigration, idéologie et souci de la vérité), mais j’en profite quand même pour rappeler que ce que l’homme ordinaire, les journalistes et ces éminents spécialistes signataires dePopulation & Sociétés appellent un taux de fécondité n’est pas un taux, mais la somme des taux de fécondité par âge qui donne un nombre moyen d’enfantspar femme. Cela ne peut pas s’exprimer en pourcentage comme l’ont fait Éric Zemmour et Laurent Joffrin. Remarquons que si l’un des coupables de cette confusion, François Héran, s’est moqué d’Éric Zemmour, il a épargné Laurent Joffrin.

Ce fascicule de quatre pages, censé vulgariser des résultats bien établis par ailleurs, sert désormais à faire paraître des scoopssupposés sur la base d’analyses souvent bâclées. Le texte paru dans le numéro 565 d’avril 2019 sur les prénoms des enfants d’immigrésa ainsienchantéles médias. Les auteurs prétendaient que Nicolas était le deuxième prénom le plus fréquemment donné aux petits-enfants d’immigrés du Maghreb. Indépendamment des erreurs relevées par Jean-François Mignot, chercheur au CNRS, qui a tenté de vérifier la chose malgré des signataires taiseux sur ce qu’ils avaient fait, il faut souligner que ces derniers ne disposaient pas d’un échantillon suffisant pour établir un palmarès des prénoms. Il n’y figurait que 11 Nicolas. Le comité de rédaction a pourtant accepté la publication alors qu’il n’avait pas, de son propre aveu, les moyens d’apprécier sa valeur scientifique et qu’il avait tout simplement fait confiance aux auteurs ! Probablement parce que les résultats avaient plu à ses membres, comme à la presse.

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Il est même arrivé que Population & Sociétés concoure à une campagne de dénigrement contre un auteur ayant reçu un accueil trop favorable au goût de l’INED. Ce fut le cas du numéro 558 de septembre 2018 qui entreprit de dénigrer l’ouvrage de Stephen Smith – La Ruée vers l’Europe – paru quelques mois auparavant et accueilli favorablement par la presse. Même le président de la République s’y référait dans un entretien avec Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel le 15 avril 2018. Dans ce Population &Sociétés, François Héran prétendait démontrer la fausseté des « prophéties » de Stephen Smith. Qualification injurieuse s’il en est puisque Stephen Smith se serait livré ainsi à la divination et non à un travail scientifique. Or, l’erreur de Population & Sociétés, et donc de l’INED, tenait à son hypothèse de départ selon laquelle le nombre d’immigrés subsahariens augmenterait en France au même rythme que la population d’Afrique subsaharienne d’ici 2050, sans prendre la précaution basique de vérifier si cela avait bien été le cas jusque-là. Sur la période 1982-2015, c’est tout simplement faux. La croissance du nombre d’immigrés venus d’Afrique hors Maghreb a été deux fois plus rapide que celle de la population dans cette région du monde, avec une nette accélération dans les années 2000[4].

La démographie est une discipline scientifique rigoureuse

L’INED a donc négligé un raisonnement basique en démographie pour le plaisir de démolir un livre dont le succès le contrariait. Et la presse a suivi, au point que la sortie de la version allemande de La Ruée vers l’Europe a été gâchée par une recension particulièrement méprisante du Spiegel. On est allé jusqu’à dénier sa qualité d’universitaire à Stephen Smith. Après une démonstration fallacieuse, mais qui a beaucoup plu, François Héran reprocha à Stephen Smith ses propres turpitudes : il manquait de méthode ! Même Le Monde, qui avait commencé par diredu bien du livre de Stephen Smith, crut bon de changer d’avis. Il interpréta la publication de l’INED comme « la réponse des démographes » et on ne peut guère lui en faire grief, l’INED étant censé être le temple de la technicité démographique française.

Cette désinvolture et même une certaine malhonnêteté se retrouvent dans d’autres publications de l’INED, notamment celles qui analysent les résultats des enquêtes « Trajectoires et origines »dans un sens permettantd’embellir l’intégration et d’en reporter les difficultés sur la société d’accueil. Ce parti pris, assumé par l’INED, mais aussi par l’Insee, coresponsable des enquêteset des publications communes, figurait dans l’introduction du gros livre de résultats, publié en 2016 : « La mise sur l’agenda de la lutte contre les discriminations est venue renouveler l’approche en l’orientant vers la société et ses institutions » (Trajectoires et origines : enquête sur la diversité des populations en France, INED).

Réformer les perceptions communes n’est pas une mission scientifique digne de la recherche en général, et de celle en démographie en particulier. Sa mission est de garantir « le caractère honnête et scientifiquement rigoureux[5] » de ses travaux afin de mériter la confiance de la société. L’engagement idéologique de l’INED, associé à une certaine déculturation technique, ne permet pas à cet établissement public d’accomplir sa mission principale : fournir les meilleures informations possibles dans le domaine de la démographie et des études des populations, pour instruire les politiques publiques, les évaluer et les critiquer.


[1] « Conjoncture démographique et statistiques d’IVG », ined.fr, 15 sept. 2023.

[2] Michèle Tribalat, « Curieux éloge de Louis Henry, père de la démographie historique française », micheletribalat.fr.

[3].Michèle Tribalat,« La démographie : une discipline en voie d’auto-liquidation », in Cités, n° 82, 2020/2.

[4]. Michèle Tribalat, « On ne débat plus, on exécute », oct. 2018, micheletribalat.fr.

[5]. Définition de l’intégrité scientifique par l’ANR.

Didier a le bourdon

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Didier Bourdon et Isabelle Ithurburu. Capture TF1.

On peuplu rien dire


Son petit ventre, qui l’a rendu si crédible dans des rôles de bourgeois du milieu du XIXème siècle pour quelques téléfilms de France 3, est resté intact. Sur TF1, dans l’émission 50’Inside, face à Isabelle Ithurburu, Didier Bourdon a sorti l’artillerie lourde. À la question : peut-on imaginer le retour des « Inconnus », avec le ton d’avant, il répond : « Ce serait compliqué aujourd’hui. Là, on aurait pas mal de soucis. On nous le dirait poliment : “On adore le sketch, mais… Il ne vaut mieux pas…” ».

Un âge d’or de l’humour français

Il faut revenir trente ans en arrière. Entre la fin des années 80 et le début des années 90, peu de catégories sociales ont échappé au jeu de massacre des « Inconnus », campés par Didier Bourdon et ses compères Pascal Légitimus et Bernard Campan. Du Juif du Sentier qui négocie dans des chiffres et des lettres comme on négocie un blouson en jean’s, aux Bretons qui grattent de poussives complaintes dans le JT local, tout le monde a eu droit à son quart d’heure de moquerie cathodique. Pendant que les Nuls, dans un esprit plus snob et plus british, donnaient naissance à l’esprit Canal et s’en prenaient aux mouches qui pètent, les « Inconnus » croquaient sketch après sketch la société française. Surtout, ils ont ponctué une grosse décennie d’humour français, les années 80, marquée par Pierre Desproges, Thierry Le Luron et Coluche, et qui aurait pu durer un peu plus sans le cancer du premier, le Sida du deuxième et le camion du troisième.

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Depuis, cette période est restée comme un âge d’or, après lequel les possibilités comiques n’auraient jamais cessé de se réduire. Didier Bourdon chantait déjà cette évolution dans « on peuplu rien dire », chansonnette sortie en 2005 et qui pourrait être l’hymne officiel de CNews. Il avançait alors : « Si j’veux parler d’Allah/On va me dire : « Là, vaut mieux pas »/ Si j’prononce le mot kippa/ T’es gentil tu la gardes pour toi/ Si je vous dis : « Jésus »/ Désolé ça n’intéresse plus ». On peut bien sûr se demander si tout cela n’est pas un peu exagéré et puis on repense au triste sort d’un canard français, début 2015, dont les membres ont été abattus comme des chiens pour trois ou quatre dessins moquant le prophète. Tout le monde, à l’époque, a été Charlie ; mais quel journal français sortirait aujourd’hui en Une les dessins du scandale ? Et combien de sketches, de dessins ont été depuis autocensurés, tués dans l’œuf, de peur de choquer des âmes sensibles – ou d’y laisser sa peau ? En dehors de la menace islamique, d’autres ligues de vertus apparaissent, moins lourdement armées mais toujours prêtes à dégainer la menace pénale : les féministes, les régionalistes, et tout un tas de vedettes et de politiques qui se sont sentis injuriés. Qui oserait imiter l’accent africain de nos jours comme au temps béni de Michel Leeb, ou jouer la folle comme Michel Serrault grimé en Zaza ? Même les Asiatiques se sont plaints, en 2018, d’un sketch de Gad Elmaleh et Kev Adams. Il ne manquerait plus que les Portugais, et ça y est, ça serait la totale.

Les Inconnus censurés sur TF1… en 2022

Évolution heureuse, selon certains. Le « on ne peut plus rien dire » serait « une affirmation non seulement fausse, mais aussi catastrophiste, qui repose sur le vieil argument éculé de la pente glissante, figure typique du discours réactionnaire consistant à disqualifier l’ensemble d’un mouvement de dénonciation par les excès, finalement rares mais montés en épingle, auxquels ils donnent lieu. Et sans jamais s’inquiéter, en revanche, du caractère excessif des propos dénoncés… », selon le chercheur en sciences politiques Denis Ramond. Le genre de mec avec qui on doit bien se fendre la gueule.

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Comment mesurer vraiment le déclin de la liberté humoristique ? C’est peut-être TF1 qui nous en a donné la meilleure illustration. En novembre 2022, la chaîne du groupe Bouygues décide de consacrer une soirée aux Inconnus. Passent alors à la trappe de nombreux sketches : celui du personnel hospitalier antillais, celui des Envahisseurs maghrébins…

Alors, on ne peut vraiment plus rien dire ? À bien y regarder, le phénomène le plus remarquable : c’est qu’en France l’humour s’est segmenté en plusieurs chapelles et tribus qui ne sont presque plus en contact les unes avec les autres. A l’époque des « Inconnus », il y avait trois ou quatre chaines, et personne n’a vraiment pu échapper à leurs sketches. Depuis, le paysage s’est fragmenté. Certains trouvent leur bonheur avec l’humour Jamel Comedy Club et les sketches qui commencent par « je ne sais pas si vous avez remarqué » et qui se termine par une anecdote vécue chez Ikea. A côté de ça, il y a l’humour pour les profs de gauche, sur France Inter, avec Guillaume Meurice qui part tous les jours à la recherche d’un chasseur favorable à la peine de mort. Et puis, il y a Gaspard Proust, qui peut quand même se lâcher sur Europe 1, grâce à un fin mélange de grand style et de saillies vulgaires, et grâce à une excellence syntaxique qui lui permet d’échapper (à peu près) aux radars des algorithmes et des redresseurs de tort. En fait, pourrait-on encore tout dire, à la condition de le dire avec style et dans un excellent français – meilleur moyen de rester discret ?

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Affiche en Hommage Aux "professeurs de la République" à Montpellier. ©Alain ROBERT/SIPA

Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, l’histoire se répète. Avec la mort de Dominique Bernard se repose la question des recompositions de la société française et des réponses que l’institution scolaire peut apporter.


Il y a de tristes anniversaires. Celui de l’assassinat de Samuel Paty. Et aujourd’hui, Dominique Bernard, professeur fauché lui aussi par un terroriste islamiste dans un lycée du Nord de la France, à Arras. L’école a été tuée deux fois. Deux passants du mauvais endroit au mauvais moment, passeurs de Français et d’Histoire. Ce double assassinat, perpétré dans le fragile sanctuaire de l’école républicaine, pose la question non seulement du statut de ces deux disciplines au sein de l’institution scolaire, mais aussi de leur valeur et du sens qu’on veut bien leur donner.

Plus qu’un facteur, la langue française a été un catalyseur d’union nationale dans un pays historiquement fragmenté sur le plan linguistique comme sur le plan politique. Le monolinguisme institutionnel repose d’ailleurs en France sur un consensus profond pour ne pas dire ancestral, dont les limites sont apparues à la faveur de deux événements. Les émeutes consécutives à la mort de Nahel d’abord, les évolutions inhérentes à la composition de la population, voire des populations française(s) ensuite.

Les événements qui se sont ourdis à Nanterre avant de se répandre ailleurs ont été l’occasion d’une prise de conscience certes temporaire, mais violente. Des milliers de nos concitoyens français ignorent la réalité de certains « quartiers ». Des pans entiers de notre territoire abandonnés à des modes de vie quasi alternatifs, autonomes, assujettis à des formes de pouvoir locaux dont l’existence-même échappe au pouvoir politique national. Il existe aujourd’hui des familles entières, arrivées en France parfois depuis plusieurs décennies, qui ne parlent pas le français, qui ne veulent pas l’apprendre et qui ne souhaitent pas qu’on le leur apprenne. Ces mêmes familles récusent parfois l’ordre républicain et obéissent à des logiques et des modes d’organisation sur lesquelles plus personne n’a de prise au sein-même de l’État. Le français est donc concurrencé sur son propre territoire, et la lettre de la Constitution n’y peut rien.

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Les recompositions de la société française s’inscrivent quant à elles dans le temps long. L’évolution de la langue, ses inflexions, ses concessions n’en sont que l’une des conséquences. Mais force est de constater que les effets de la partition entre la langue parlée à la maison par les nouvelles générations de Français issus de l’immigration, et la langue parlée à l’école n’ont pas fait l’objet des réflexions nécessaires. La France s’est en effet entêtée dans une logique volontariste et assimilationniste de principe, sans se préoccuper des effets concrets d’une telle politique. Laquelle a conduit au rejet de la langue de la République, sous l’effet de la marginalisation d’une partie des populations issues de l’immigration par l’échec scolaire. Au lieu de penser, puis d’instaurer des pédagogies permettant de penser le rapport entre les langues de l’intime et de l’école, quintessence et lieu d’expérimentation de l’espace public, l’école a marginalisé la famille et sa langue. Elle a, ce faisant, contribué à la marginalisation et à l’échec scolaire de populations qui, aujourd’hui, récusent le rôle d’assimilation de notre langue.

L’école privée échappe à la désintégration publique

Il est symptomatique aujourd’hui, que les familles qui en ont les moyens intellectuels et pécuniaires fassent le constat de l’impuissance de l’école publique à enseigner correctement le français. Seuls les « grands » établissements des grandes villes et des villes moyennes sont réputées dispenser des cours aptes à former les jeunes Français à l’usage correct de la langue, de sa grammaire, de son vocabulaire. Conséquence ? L’État, jusqu’à l’arrivée de l’actuel ministre de l’Éducation nationale, s’est enfermé dans une condamnation stérile de l’école privée. Condamnation sans véritables effets, ni au regard du pseudo-protocole de mixité sociale des établissements sous contrat d’association, ni au regard de la cohérence. La plupart des hautes personnalités de notre pays continuent en effet de scolariser leurs enfants dans le privé pour échapper à la désintégration publique.

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Les deux assassinats auxquels l’école vient d’être confrontée en l’espace de seulement trois ans posent aussi la question de l’histoire, au moment-même où le président de la République souligne l’importance de son enseignement chronologique. La transmission des repères spatio-temporels est en effet la condition sine qua non pour se penser en tant que société, c’est-à-dire comme héritiers d’une séquence d’événements qui font ce que nous sommes collectivement. Cette conception n’a pas vocation, faut-il le rappeler, à s’enfermer dans des déterminismes ethniques ou religieux, mais au contraire, à s’ouvrir au monde à l’appui d’une ambition universaliste essentiellement française. La laïcité, la langue, l’école sont les leviers de cette grande transformation des êtres en citoyens. Encore faudra-t-il s’en (re)donner les moyens.

Suisse: les raisons taboues de la poussée de l’UDC et de l’échec des Verts

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Le Palais fédéral, Berne, Suisse DR.

La droite populiste est arrivée largement en tête aux élections législatives, hier. N’en déplaise aux éditorialistes helvètes, les Suisses entendent bien résister à l’immigration de masse et au wokisme. L’analyse de Jonas Follonier, rédacteur en chef du magazine Le Regard Libre, qui vient de publier son centième numéro.


La victoire, dimanche, du premier parti du pays au détriment des écologistes a bien eu lieu comme prévu. Mais ce n’était pas encore assez pour que certains commentateurs reconnaissent que l’immigration et le wokisme suscitent des critiques au sein de la population.

Ras-le-bol

Il suffit d’avoir des conversations de tous les jours avec des gens de différents milieux pour être au courant que les dizaines de milliers de nouveaux arrivants en Suisse (plus de 80 000 personnes en 2022, soit un bon pourcent de la population) sont un motif de préoccupation et, disons-le, de ras-le-bol, auprès d’une partie des citoyens. Dire cela, ce n’est pas encore affirmer que cette préoccupation est justifiée. Mais juste qu’elle existe. Pourtant, on trouve encore des éditorialistes pour rappeler que l’UDC a imposé cette thématique durant la campagne et qu’au fond, c’est par ce travail de rabâchage que l’immigration est devenue l’un des trois principaux soucis des habitants de ce pays.

Tant de conditionnels dans les analyses, de citations derrière lesquelles se cacher, pour ne pas assumer cette évidence: la Suisse connaît la croissance démographique parmi les plus galopantes d’Europe et l’immigration qui en est la cause n’est de loin pas ressentie comme un bienfait par tous les habitants. Pas étonnant que l’UDC ait opéré une forte progression (+3,3% des voix) aux élections fédérales de ce dimanche, récupérant deux tiers de ses sièges perdus lors du scrutin de 2019 et atteignant les 28,6%, loin devant le Parti socialiste (18%).

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Alors oui, l’UDC est la formation à disposer du plus grand budget, oui, elle communique des chiffres pas toujours exacts et sans le sérieux que le sujet exige, oui, le contexte international du terrorisme islamiste peut favoriser une demande de sécurité, mais ce qui suit est vrai également: les statistiques de criminalité de l’année passée montrent que 62% des meurtres, 65% des viols et 75% des vols sont le fait d’étrangers. Et certains résidents de ce pays, de nationalité suisse ou non, d’origine helvétique ou non, constatent simplement que les transports publics sont bondés, que la proportion d’élèves à ne pas maîtriser le français augmente, que le deal est largement pratiqué par une certaine population et qu’il est très visible dans certaines villes…

Sur le wokisme, un même aveuglement

Encore une fois, rien ne dit que l’UDC apportera une solution à ces problèmes. Ceux-ci sont néanmoins réels. Il appartient à tous les partis d’en prendre acte. Et cela vaut aussi pour les observateurs, qui ont été trop nombreux sur les plateaux et dans les colonnes de journaux à tourner autour du pot. On devrait pouvoir parler d’intégration, de sécurité, de dépenses sociales, d’asile ou de contingents au même titre que le pouvoir d’achat, un autre thème majeur de l’année. Par peur du réel, on préfère dénoncer son traitement par l’adversaire plutôt que de le regarder tel qu’il est.

C’est au fond ce même aveuglement qui pousse à ne pas prendre au sérieux le « sociétalisme » des Verts comme l’une des raisons, voire la principale, de leur échec national (-4%). Le wokisme parsème le petit monde académique dont cette formation écologiste est devenue le satellite, ne serait-ce que par le profil de ses élus. Cette tendance impopulaire à la dictature des ressentis et à la moralisation de tout a également bien fait son nid dans le domaine des médias. D’où la tendance à ne pas nommer ce grand éléphant dans la pièce, objet d’empoignades à la table familiale, et à résumer les événements à l’inflation et à ce qui se passe au Proche-Orient. Ainsi se renforcent les tabous. Et les partis qui en profitent peuvent jubiler : un bel avenir leur est assuré.

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Orgie italienne au Louvre

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Danaé, Titien, 1554 © Museo e Real Bosco di Capodimonte

L’exposition des chefs-d’oeuvre du musée de Capodimonte (Naples) parmi les collections de la Grande Galerie du Louvre témoigne de l’amour du corps propre à l’art européen. Que sa représentation soit religieuse ou profane, tout est bon pour en révéler sa sensualité.


Le Louvre lève le voile

Si le vêtement islamique, sous ses différentes formes couvrantes, s’impose de plus en plus dans l’espace public, c’est aussi parce qu’il s’invite régulièrement dans le débat. Les polémiques cauteleuses autour de la longueur de ces sinistres pans de tissu empaquetant femmes et jeunes filles font le jeu d’un combat linguistique, cheval de Troie d’ambitions politico-religieuses conquérantes. Réussir à polémiquer, c’est déjà imposer les mots de la controverse, quand bien même l’issue de la polémique serait défavorable aux revendications vestimentaires en question. Conséquence absurde de ces querelles de chiffonniers en lieu et place de décisions politiques verticales : un surplus d’existence –grâce aux mots qui les désignent et courent sur toutes les lèvres– pour des vêtements qui font des femmes une masse informe, socialement invisible et existentiellement nulle.

À ce triste vestiaire importé de pays qui condamnent les usages du corps et du vêtement en Occident, mais que d’inclusifs dictionnaires de langue française tels que le Larousse Collège croient bon de faire figurer dans leur sélection de noms communs au même titre que le paletot idéal d’Arthur Rimbaud, préférons d’autres mots en langue étrangère, d’autres noms de vêtements, une vision du corps plus proche de nos usages ; en somme, une invitation au dialogue plus plaisante.

Vénus, Satyre et Cupidon, Antonio Allegri, dit Le Corrège, vers 1528. Museo e Real Bosco di Capodimonte

Ces mots sont italiens et ne figurent pas dans le dictionnaire Larousse Collège : sottana, baragoni, zinale.Les vêtements qu’ils désignent : une robe légère, dont le décolleté prononcé laisse apparaître l’arrondi de la poitrine, les larges épaulettes d’une robe de satin jaune qui la recouvre et un tablier de lin blanc brodé, le tout porté par Antea, l’élégante jeune femme peinte vers 1535 par Francesco Mazzola dit Parmigianino, « le Parmesan » (1503-1540). Consciente de sa beauté par-delà les usages sociaux, Antea nous invite à l’observation minutieuse de sa tenue, de ses cheveux tressés en diadème, de son visage. Elle ne se dérobe pas à notre propre regard pris dans les détails de la peinture comme les doigts de la jeune femme dans les mailles de son collier.

Cette invitation à venir admirer Antea émane du Musée du Louvre: jusqu’au 8 janvier, les 460 mètres de la Grande Galerie accueillent sur leurs cimaises une trentaine de chefs-d’œuvre de Masaccio, Bellini, Parmesan, Titien, Caravage, Carrache, etc., du Musée Capodimonte de Naples, le temps que l’ancien palais italien se refasse une beauté. Temps que l’on prendra, de notre côté, pour aller rendre visite à Antea, Danaé, Marie, Madeleine, Atalante, Judith, Agathe, Lucrèce et bien d’autres, saisies par la peinture dans des jeux de peau et de « draperies envolées »(André Malraux) ou complices de la beauté de leurs formes, traçant ainsi les contours d’une Renaissance italienne éclatante dont nous sommes toujours les heureux héritiers.

Caïn et Abel, Leonello Spada, 1612-1614. RMN-Grand Palais (musee du Louvre) Franck Raux

La beauté du corps est sans doute le point commun à tous ces chefs-d’œuvre de la peinture italienne issus de l’impressionnante collection du musée napolitain, constituée au fil des dynasties des Farnèse, des Bourbon et des Bonaparte-Murat. Venus dialoguer avec nos Mantegna, Ghirlandaio, Léonard de Vinci, Raphaël, Caravage et Guido Reni de la Grande Galerie, ils nous parlent de chair, d’amour, de désir, de force, de peau frémissante ou comblée, de douce impudeur, de souffrance physique et d’extase érotique, d’abandon des sens et de tension des muscles, de beautés parfaites, nues, vêtues, ou nues sous leur vêtement… La Renaissance italienne, nourrie de spiritualité franciscaine, de goût pour les plaisirs du quotidien cultivés par des mentalités marchandes en plein essor, ainsi que d’un néoplatonisme réjoui de voir dans la beauté le reflet d’un absolu, a accordé au monde sensible et à la consistance des choses une place sans précédent. Le corps véritable, né avec Giotto au Trecento, mais confirmé dans son épaisseur et ses teintes charnelles par Masaccio autour de 1420(Adam et Ève chassés du Paradis) s’exhibe désormais dans des nus discrètement sensuels, marque de fabrique du Quattrocento et du Cinquecento.

La Danaé de Titien (vers 1544-1545) est, à ce titre, un prêt inestimable du Musée Capodimonte. Destinée aux appartements privés de Son Éminence Alexandre Farnèse, dont elle est une commande personnelle réalisée à partir d’un croquis d’Angela, la maîtresse du commanditaire (visiblement conciliant sur la question de l’incontinence –ecclésiastique – de la chair), l’œuvre est, comme le dit si bien Paul Veyne,« la sensualité sans voile » entrée en peinture. Si l’écrivain napolitain Erri de Luca y voit avant tout « le bout de ciel » à droite de la toile, vous y verrez peut-être davantage Danaé, étendue sur un lit de plaisir, le regard noyé dans la contemplation lascive d’un Jupiter métamorphosé en pluie (de pièces) d’or. Le creux ombré d’une aisselle, la pliure suggestive des genoux disjoints, la tendresse d’un ventre légèrement rebondi, le sourire plissé de l’aine : le corps nu de la belle a des mollesses d’oreiller, un drapé de couche nuptiale et des couleurs d’abandon. Le drap qui chevauche sa cuisse droite est d’ailleurs tout ce qu’il reste d’une pudeur évanouie dans la plénitude du toucher fantasmé : caresse du tissu, caresse de la peau, caresse du regard. On est en pleine morbidezza : la douceur des teintes sur l’onctuosité des chairs.

Le petit pan de drap blanc enroulé autour de la cuisse gourmande de Danaé nous rappelle d’ailleurs que le drapé, en peinture, révèle toujours un peu plus qu’il ne cache. Héritier de la sculpture antique, il effleure le nu et prend des airs de seconde peau à la Renaissance. Le De Pictura d’Alberti (1435) avertit les peintres : inutile de s’essayer au drapé sans maîtriser préalablement le nu, car c’est le corps qui donne sa forme à la draperie. Et c’est bien le corps sous toutes ses formes que les tuniques, voiles et robes longues mettent en évidence dans les deux collections italiennes réunies au Louvre (celle du Louvre et celle de Naples). La robe de la Sainte Marguerite de Raphaël (1518) lui colle à la peau et souligne les doux volumes de son ventre, de ses cuisses et de ses jambes. Le bleu marial de la robe de la Vierge ondule au plus près de sa poitrine de mère éplorée dans la Pietà d’Annibal Carrache (1599-1600). Le Christ du Noli me tangere de Bronzino (1560-1561) se dérobe autant au visage sensuel de Madeleine qu’aux seins et à la jambe droite de cette femme aimante qui s’avance vers lui dans des drapés suggestifs.

Tout est là, dans les prémices du « couvrez ce sein que je ne saurais voir ». Notre culture commune repose sur l’ambivalence héritée d’un christianisme latent qui fonde encore notre usage du corps et du vêtement, et dont l’accrochage du Louvre est une belle synthèse. L’érotisation du regard qui naît à la Renaissance et brouille pour longtemps, y compris dans la peinture religieuse, la frontière entre le charnel et le spirituel, le sacré et le profane, a partie liée avec ce que le christianisme a posé comme étant au cœur du mystère chrétien : la double nature du Christ, charnelle et spirituelle. Charnelle par la Passion et la Résurrection, spirituelle par la Transfiguration. La Flagellation du Caravage, la Crucifixion de Masaccio, Le Christ en jardinier de Bronzino d’un côté, et la Transfiguration de Bellini de l’autre. Et, tout près, comme Hercule à la croisée des chemins d’Annibal Carrache (1596), la Danaé de Titien.

Tout près aussi, des visiteurs passionnés de peinture italienne venus adopter la pose assez inconfortable du Christ de Bronzino pour réussir un selfie en crop-top devant le nombril du Saint Sébastien de Mantegna (1478-1480), ou une photo-souvenir en bermudas, sneakers et tee-shirt floqué devant une vénusté du xvie siècle. Vérifions, pour terminer, que le dictionnaire Larousse Collège a bien retenu « crop-top » comme mot digne de figurer dans son lexique choisi. La relève de notre culture commune n’en sera que mieux assurée.

À voir

« Naples à Paris : le Louvre invite le Musée de Capodimonte »

Musée du Louvre, jusqu’au 8 janvier 2024.

Simenon, ce drôle d’ostrogoth

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Georges Simenon a Paris en mars 1969 © LE CAMPION/SIPA

En cahier, en album, en récit ou en chromo, l’écrivain belge (1903-1989) n’en finit pas d’agrandir son cercle des laudateurs…


Inépuisable. Intarissable. Indéchiffrable. La source Simenon ne connaît pas de dérèglement climatique en cette 120ème année de sa naissance. Elle abonde et coule des jours heureux, à l’ombre des librairies. On y revient toujours, un peu penaud, un peu agacé aussi. Il y a de l’alchimiste chez ce Liégeois porté sur la bagatelle. Pourtant, aucune graisse. Aucun débord. Aucune vantardise de sa part. Une sécheresse presque suspecte, la phrase trop faible pour être complètement innocente, un style amorphe, quelque chose de lent et pénétrant, d’insidieux dans sa simplicité grammaticale, même pas une flamboyance d’auteur pour relever le menton, un de ces petits orgueils d’écrivain qui claquent et éblouissent, pour faire les malins en société. Simenon se refuse à ces gamineries-là. Il laisse les écorchés et les trublions à leur littérature déclamatoire. Il se méfie des mots trop longs et compliqués ; des formules alambiquées et des émotions bruyantes, elles réduisent l’atmosphère, elles nuisent à la profondeur des personnages, elles sont contre-productives dans l’art de narrer. Il écrit à bas bruit. Il burine sans brio, ni emphase. Il limite volontairement l’ouverture de son spectromètre à un vocabulaire compréhensible au tout-venant, à la masse, c’est pour mieux vous cerner, mes chers lecteurs. Là, réside le génie du grand Georges. Une banalité, une médiocrité, une humanité enfin révélée dans sa nudité, le malheur n’a pas besoin d’exhausteur de goût, de strapontin pour imprégner les peaux, il suinte naturellement. Dois-je le confesser ? dans le match qui oppose le commissaire Maigret au détective Nestor Burma, j’ai choisi depuis l’adolescence mon camp, celui de Léo Malet, dont l’écriture plus fouillée et fouillis rassérène mon mal de mots. L’anar-surréaliste, rétameur de bitume, ce gouailleur vindicatif en marge des écrivains officiels donc étudiés, correspond plus à mon tempérament brouillon et insatisfait. Mais, car il y a un mais, l’œuvre de Malet, aussi foutraque qu’elle soit, carnavalesque dans la mouise, pleine de jus et d’amertume, désabusée et un brin folklorique, ne résiste pas au naturalisme caverneux de Simenon. Chez le marin d’eau douce, contrairement à la prédiction d’Audiard, nul besoin de faire des phrases pour exister. Il est comme ces charmeurs de serpent, on croit connaître leur truc et on se fait quand même avoir. La source Simenon est comparable à celle d’Hergé, elle infuse longtemps dans les têtes, sans vous pointer un revolver sur la tempe, sans vous alerter par de grandes déclarations, elle ne peut cependant se dégager de votre mémoire. Derrière l’apparente innocuité de la ligne claire ou la métronomie des romans durs, la vie prend forme, elle y déploie son venin ou son suc, ce qui revient au même. Pour s’approcher de la « bête », les exégètes ne manquent pas. L’homme à la pipe fait vendre, les éditeurs ont parfois la main lourde. En cette période de la Toussaint, je vous conseille deux ouvrages légers par leur poids et orignaux par leur angle de vue.

Dargaud

D’abord Radio Simenon de José-Louis Bocquet à la Table Ronde ; le scénariste, romancier et biographe primé raconte dans un très court texte, savoureux et sincère, ce qui ne va pas de soi, son immersion dans l’œuvre-fleuve du Belge. A l’occasion d’une émission de radio qui sera diffusée sur les ondes de France Culture en 1988, Bocquet est entré en religion, il a approché le mythe par la voix. L’écoute intensive des heures et des jours durant, en apnée dans les archives de la Maison ronde, a agi comme un détonateur dans son propre processus créatif. « Ce n’est pas tant sa réussite littéraire et commerciale qui me trouble, mais le paradoxal équilibre entre l’humilité et l’orgueil présidant à sa longue marche vers le roman pur », écrit-il.Bocquet analyse finement que ce refus absolu de « faire littéraire » et ce long apprentissage vers le roman-roman tiennent autant d’un travail acharné que d’une recherche de vérité.

On retrouve également Bocquet à la manœuvre dans Simenon, l’ostrogoth, paru en trois cahiers à tirage limité ces dernières semaines et aujourd’hui en album complet, mis en images par Jacques de Loustal. Sur un scénario donc de Bocquet et de Jean-Luc Fromental avec John Simenon, on suit Simenon et Tigy dans leur pacte artistique au fil des méandres fluviaux. Le premier des deux qui réussit, en littérature ou en peinture, aidera l’autre. Loustal raconte que « c’est sur le canal de la Marne au Rhin, où (il) naviguait à bord d’une péniche pour les besoins de son diplôme d’architecture consacré aux canaux » qu’il a rencontré Simenon. « Je cherchais, pour des citations, des textes un peu atmosphériques sur ce genre de paysage et je me suis délecté in situ de La Maison du canal, de L’Écluse n°1, du Charretier de la Providence… ». Depuis, lui comme nous tous, sommes des Simenoniens d’adoption.

Radio Simenon de José-Louis Bocquet – La Table Ronde

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Simenon, l’ostrogoth – Loustal, Bocquet, Fromental, Simenon – Dargaud

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Ravissement: nom masculin, deux définitions

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© Mact Productions - Marianne Productions - JPG Films - BNP Paribas Pictures

On sort ravi du « Ravissement » d’Iris Kaltenbäck. Notamment grâce à l’interprétation de la remarquable Hafsia Herzi. Et c’est le moins qu’on pouvait attendre d’un film avec un titre semblable…


Généalogie d’un projet

Ce premier long-métrage de fiction d’Iris Kaltenbäck est une très belle surprise. La jeune cinéaste a choisi, après des études de droit et de philosophie, de passer le concours de la FEMIS, section scénariste. Lorsqu’elle travaille sur son projet de court-métrage, Le Vol des cigognes, elle découvre un fait divers passionnant : une jeune femme emprunte l’enfant de sa meilleure amie et décide de faire croire à un homme qu’elle en est la mère. Dès lors, Iris Kaltenbäck travaille à l’élaboration d’une fiction qui raconterait le bouleversement provoqué par cet événement sur l’amitié liant ces deux femmes.

Un double ravissement

La cinéaste nous conte donc une histoire de ravissement dans les deux sens du terme. Le personnage principal, Lydia (remarquable et splendide Hafsia Herzi), est maïeuticienne (sage-femme). Le film commence par une rupture dure, sèche, abrasive. Alors qu’étincelante dans sa robe écarlate, elle s’apprête à se rendre à l’anniversaire de sa meilleure amie, Salomé (Nina Meurisse), sans laquelle elle n’imagine pas vivre, son compagnon lui avoue une infidélité. Sans appel, elle le met dehors. Lydia se rend donc seule à la fête. Là-bas, Salomé lui apprend qu’elle est enceinte et lui demande de suivre sa grossesse. De son côté, Lydia avoue une histoire naissante avec Milos (Alexis Manenti), conquête d’un soir. Lorsqu’elle recroisera cet homme plus tard, elle tiendra le bébé de son amie dans ses bras, et lui proférera un tissu de mensonges qui la mèneront à sa perte.

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De la naissance filmée avec grâce…

En attendant, Lydia continue de faire son métier avec beaucoup d’attention et une infinie douceur pour les femmes qui accouchent et les enfants qui naissent. Et la cinéaste filme de même. Son regard sur les femmes, les hommes et les bébés qui naissent, les couples éprouvant simultanément et souffrances et joies, est de toute beauté. Quant à Lydia, elle s’occupera, le moment venu, de l’accouchement de Salomé avec amour et vigilance. Et avec une douceur et une tendresse qui se reporteront sur ce bébé qu’elle fait venir au monde. Le ravissement maternel sera alors à son comble.

jusqu’au basculement final 

Mais ce ravissement cache une fêlure, un mal qui couve et fragilise notre personnage principal. Car elle vit difficilement sa solitude et le souvenir du beau garçon, le fameux Milos, rencontré lors de ses errances diurnes et nocturnes, ne s’efface pas. Commencera alors une histoire de couple aussi effarante que belle, et qui la conduira au rapt de l’enfant de son amie…

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Ode à l’amitié et à la beauté de donner la vie, fascinant portrait d’une jeune femme perdue, Le Ravissement est un beau film où Iris Kaltenbäck, par sa mise en scène subtile, âpre et inventive, son art de la suggestion, la beauté formelle de la lumière de sa chef-opératrice Marine Atlan, le talent de ses trois interprètes principaux, donne à son l’histoire une rare intensité qui nous bouleverse profondément.


France – 2023 – 1h37 Interprétation : Hafsia Herzi, Alexis Manenti, Nina Meurisse, Younès Boucif… Image : Marine Atlan  – Musique : Alexandre de la Baume. Sortie sur les écrans de cinéma de France le mercredi 11 octobre 2023