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Guerre au Moyen-Orient: le dangereux amateurisme de «Libération»

Faute avouée n’est qu’à moitié pardonnée


Guerre au Moyen-Orient: le dangereux amateurisme de «Libération»
La Une du quotidien français "Libération" du 19 octobre est accusée de colporter une "fake news". DR.

Après avoir publié involontairement une illustration trompeuse sur le conflit entre le Hamas et Israël, Libération a cru pouvoir s’en tirer avec des semi-excuses en catimini, qui trahissent un inquiétant rapport avec la vérité.


Ainsi donc cet enfant n’a jamais existé. Jeudi 19 octobre, Libération consacrait sa couverture à une manifestation anti-israélienne ayant eu lieu la veille au Caire. L’illustration choisie, une photo prise par un reporter de l’agence AP, est doublement impressionnante. On y voit un homme dans une rue de la capitale égyptienne, ivre de colère, qui brandit la photo d’un bébé, l’air épouvanté et en pleurs. Tout laisse penser que cet enfant est un petit Gazaoui effrayé par les bombes, puisque Libération indique : « Après une explosion meurtrière dans un hôpital de Gaza, des manifestations se sont multipliées dans plusieurs pays de la région. »

Problème: cet enfant n’existe pas. Il s’agit en fait d’une image de synthèse ultra-réaliste, obtenue grâce à un logiciel d’intelligence artificielle. Autrement dit, ce bébé est un pur matériel de propagande déguisé en information. Évidemment, quand le journaliste d’AP a immortalisé la scène, il ignorait cette escroquerie. De même, on ne saurait soupçonner Libération d’avoir décidé de publier l’image en sachant qu’elle recelait un leurre et en le cachant à ses lecteurs. Tout comme il serait absurde d’accuser le quotidien préféré des bobos d’avoir, au cours des jours précédant ladite publication, relayé en connaissance de cause un autre mensonge, fabriqué par le Hamas celui-là, sur la responsabilité de Tsahal dans l’explosion à l’hôpital de Gaza. Espérons seulement qu’à l’avenir le journal comprenne enfin combien il est anti-professionnel de donner foi aux sources islamistes avec si peu de précautions.

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Dès le jour de la parution de la photo du manifestant en colère et de l’enfant en pleurs mis en abîme, plusieurs internautes ont montré, grâce à une simple recherche sur Google, que ce dernier était en réalité une créature virtuelle. Libération a rapidement reconnu les faits… mais ne s’en est pas exactement amendé. « C’est regrettable » a juste concédé Dov Alfon, le directeur de la publication, au détour de la rubrique “Checknews”, en précisant : « Beaucoup des pancartes brandies dans les manifestations du 17 octobre étaient en effet générées par IA, qui devient ces derniers mois le socle artistique de protestations, comme auparavant l’étaient des pantins, poupées ou squelettes. » Étrange raisonnement ! Avancer qu’une photo truquée s’apparente à un pantin de carnaval, c’est prétendre qu’il serait tout aussi facile de déceler, d’un simple regard, l’inauthenticité de l’une que de l’autre. Qui peut gober une chose pareille ? Comment Dov Alfon s’imagine-t-il faire accepter un tel sophisme à son public ?

Un jour peut-être, cette couverture de Libération sera étudiée en classe par des collégiens ou des lycéens, à qui le professeur essaiera d’apprendre le décryptage de l’actualité. Celui-ci leur demandera sans doute de dire ce qu’ils voient sur la page: le bandeau, la manchette, la titraille, l’illustration. Seulement, faute d’une légende mentionnant la présence d’une fake news dans le champ, les élèves auront la même interprétation que les lecteurs de Libération en 2023 : ils croiront que l’image du bébé est vraie. On peut supposer que l’enseignant leur rétorquera qu’il faut se méfier des apparences, et qu’il leur racontera l’histoire du « socle artistique de protestation généré par IA », dont Dov Alfon aura jugé qu’il ne méritait pas un correctif en lieu et place. Qui empêchera alors un élève de lever le doigt et de dire : « Mais qu’est-ce qui nous dit que l’Egyptien en colère n’est pas non plus une image truquée ? »



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est journaliste.

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