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Notre démocratie ou les Précieux ridicules…


Les mêmes qui dénonçaient la politisation du rassemblement à venir, dimanche 12 novembre, « pour la République et contre l’antisémitisme », ont tout fait pour l’aggraver. Au point que ce qui aurait dû apparaître comme une lutte commune et consensuelle contre un poison universel s’est fortement réduit. Par le refus de LFI d’y participer (elle y aurait été très mal accueillie !) mais surtout par l’expression de pudeurs démocratiques visant à créer « un cordon sanitaire symbolique » pour préserver les purs, les intègres, les authentiques Républicains de la moindre promiscuité avec le RN qui sera présent en masse, j’en suis persuadé, comme Marine Le Pen l’a demandé. Depuis quelques jours, en effet, il s’agit moins de relever le caractère positif et salubre d’une telle manifestation, voulue par la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, que de montrer à quel point nos politiques sont délicats et sauront tenir leurs distances à l’égard d’un parti dont on a sans cesse besoin de rappeler les origines passées et lointaines pour exorciser un présent et peut-être un futur où beaucoup le voient victorieux (ce qui n’est pas mon cas, je le répète). Notre démocratie ou les Précieux ridicules, c’est vraiment cela. Il y a heureusement des voix qui, dans l’indignation, l’approbation ou la dérision, savent faire preuve de lucidité et de bon sens en mettant en évidence ce qui devra inspirer seulement la multitude probable du 12 novembre : la dénonciation forte, éclatante et massive de l’antisémitisme et de la quotidienneté de plus en plus menacée et angoissée de nos concitoyens juifs à l’égard desquels propos et actes agressifs se multiplient à une cadence vertigineuse. Et non pas l’approbation obligatoire de la politique d’Israël et de son dirigeant Netanyahou. Gilles-William Goldnadel, toujours singulier et ferme dans ses résolutions, ne participera pas au « défilé » du 12 novembre – si j’ose dire, le distinguo entre « marche civique » et « rassemblement politique » me semble byzantin ! – parce qu’il reproche, à juste titre, au ministre Olivier Véran et au Crif d’en avoir fait « un enjeu politicard ». Quand il s’agissait de s’opposer au projet de loi sur les retraites, apparemment personne, où que ce soit sur l’échiquier politique, n’a fait la fine bouche devant la solidarité de fait unissant, dans la rue, le RN et les autres forces sur la même ligne que lui.

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Olivier Marleix, le président du groupe parlementaire LR à l’Assemblée nationale, a moqué avec esprit le fait qu’on voulait bien, « assis », être aux côtés du RN comme lors des Rencontres de Saint-Denis mais qu’on refusait, « debout », de côtoyer le RN le 12 novembre dans un combat contre l’antisémitisme. Quelle absurdité ! Quand on tient des postures et que les postures nous tiennent !

Le malaise de ces personnalités de gauche (Boris Vallaud par exemple chez Jean-Jacques Bourdin sur Sud Radio) ou de ces ministres macronistes (Bérangère Couillard notamment le 10 novembre chez le même) pour justifier la légitimité de l’exclusion d’un parti – démocratique jusqu’à nouvel ordre – d’une lutte nécessaire contre l’antisémitisme ! À cause, précisément, de l’absence totale de fondement d’un ostracisme qui vise à prolonger la facilité et le confort de l’opprobre éthique à la place de la contradiction politique. Faut-il minimiser la position sans équivoque de Serge Klarsfeld – qui oserait discuter la portée fondamentale de son avis, lui qui a été en première ligne pour la défense des Juifs et le respect de leur mémoire ? – soulignant dans le Figaro qu’il se « réjouissait » de la participation du RN à la marche du 12 novembre et qu’il était « soulagé de voir le RN abandonner l’antisémitisme et se poser en défenseur des Juifs mais (…) triste de voir l’extrême gauche abandonner sa ligne d’action contre l’antisémitisme ».

Je n’ai pas envie non plus de négliger l’opinion doublement majoritaire des Français qui à la fois approuvent la manifestation du 12 novembre mais désapprouvent la volonté de mise à l’écart du RN. Il y a dans cet équilibre une leçon qui devrait faire réfléchir nos politiques. Merveilleuse surprise pour les adversaires du RN : la déclaration de Jordan Bardella affirmant que malgré ses condamnations Jean-Marie Le Pen n’était pas « antisémite ». On devine, derrière ce qu’il a reconnu être une « maladresse » vite corrigée, le désir de ne pas essentialiser une personnalité mais il n’empêche que cela a jeté le trouble dans une dédiabolisation dont la réussite est consacrée par l’entêtement acharné d’adversaires nostalgiques à continuer à prendre la fille pour le père. Alors, oui, je persiste : nos démocrates patentés, autoproclamés exemplaires, justiciers du bon grain et de l’ivraie, sont en réalité « des Précieux ridicules ». Leur souci n’est pas de vaincre le Mal mais d’être les seuls à avoir le droit de le faire.

Le Ajar et la nécessité

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Delphine Horvilleur, dans Il n’y a pas de Ajar et ailleurs également, pourfend l’idée d’identité avec mordant, et autant on peut et on doit même entendre son éloge du multiple, autant renvoyer l’idée d’identité nationale à une nostalgie fantasmée d’un âge d’or fermé à tout étranger et toute étrangeté en nous – plénitude perdue où l’on voudrait retourner comme dans le giron maternel – relève de la caricature et s’avère terriblement inactuel.


Il me semble que la question de l’identité nationale ou française, si elle a connu, par le passé, des précurseurs très discutables, s’est posée il n’y a pas si longtemps à notre pays en réaction à trois mises en cause de plus en plus agressives : les institutions européennes qui désavouent les décisions nationales, le mouvement de la déconstruction qui n’en finit pas de culpabiliser son monde, et la réislamisation d’une certaine population immigrée ou de ses descendants.

Ce retour de l’identité a une histoire, et à en parler sans l’y situer, on l’essentialise et on peut dès lors s’autoriser légitimement à faire la grimace. Mais dans ce cas, on risque aussi de faire dans l’angélisme. Dans l’angélisme subtil, drôle, intelligent et virevoltant comme une valse, mais dans l’angélisme tout de même.

Car il y a finalement un paradoxe, et c’est le sentiment que j’ai eu en lisant Delphine Horvilleur (et en lisant Rachel Kahn, aussi) : à savoir que la possibilité de l’identité mobile, du multiple en nous, ne peut se pratiquer que dans certaines contrées et dans certaines cultures… qu’il nous faut bien défendre si l’on veut pouvoir ne pas se shooter à l’identité comme d’autres à la coke. Et que ces contrées et ces cultures sont bien des identités, et des identités menacées. Je pense à la laïcité à la française, à la République une et indivisible – à moins de tomber dans l’agrégat de communautés juxtaposées -, à l’idée de frontière, à celle de nation, de citoyenneté, à l’héritage politique et littéraire, aux paysages, aux mœurs et coutumes etc.

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Entre les institutions européennes qui nous vouent à l’ectoplasme, à l’interchangeabilité des uns et des autres dans l’optique économiste qui est la sienne, les narcisses imbus d’identité sexuelle choisie, les revendicateurs racialistes revendiquant cela même qu’ils dénoncent, les fanatiques de l’Autre qui font que quand il n’y a plus que l’Autre, il n’y a plus d’Autre du tout, l’immigration extra-européenne encouragée par cette même Europe des technocrates pour les raisons que l’on sait, et qui, de son côté, remet en cause des fondements capitaux (appelons cela des racines aussi) et, enfin, l’islamisme radical qui s’étend et fait des ravages, il y a malaise dans la civilisation, et je dirais même plus, il y a cauchemar.

Quand le tragique pointe le bout de son nez (et je ne sais quand et où il oublierait de le faire) il y a bien quelque chose à défendre qui ne fait pas de nous des « fachos » ou des obsédés de l’identité une et une seule, et qui s’appelle une certaine idée de la France, pour laquelle Gary-Ajar s’est battu dès les premières heures… et dans laquelle, précisément, nous pouvons mettre en cause ce qui nous figerait dans des postures mortifères ; je suis ceci, cela, et pas autre chose. Mais il faut impérativement se rappeler qu’il n’y a qu’ici, ou dans très peu d’endroits sur terre, et dans un cadre politique précis qu’on peut le faire. Dès lors, c’est bien au nom de la possibilité d’une identité non figée défendue dans le livre… qu’il nous faut défendre ce qui la permet, et qui a bel et bien à voir avec l’histoire et l’identité d’un pays.

Il n’y a pas de Ajar de Delphine Horvilleur, Grasset 2022

Il n'y a pas de Ajar: Monologue contre l'Identité

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Le Débat

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Pour vivre heureux, vivons cachés Jean-Pierre Claris de Florian, Le Grillon.


« Regardez-moi dans les yeux ! »

Un classique. Tiré du catalogue des injonctions censées déstabiliser l’adversaire. Voilà bientôt une heure et demie qu’ils débattent. Avec un acharnement, une pugnacité, une conviction qui ne sont pas feints, sans doute, mais doivent beaucoup aux conseillers en communication. Lesquels n’ont rien laissé au hasard, comme il sied lorsque des millions de télévoyeurs sont rivés devant leur poste. L’un et l’autre jettent furtivement, à la dérobée, un regard sur les notes, les statistiques, les phrases qu’il faudra ab-so-lu-ment prononcer et qui devront faire mouche.

Car l’enjeu, ce soir, est important. Rien de moins que l’accès à la présidence de la République. Avec ce que cela signifie, désir de servir son pays, de faire prévaloir ses idées, mais aussi ambition personnelle. Rêve de gloire ou, au moins, de notoriété. Voire envie de jouir des prébendes attachées à la fonction, ce que chacun des deux, même sous la torture, se garderait de reconnaître.

Pour l’heure ils sont là, assis face à face, devant une table. À bonne distance l’un de l’autre. Assez proches cependant pour que rien, sous la lumière crue des sunlights, ne puisse échapper de leurs mimiques, de leurs gestes, volontaires ou non, et qu’ils ont appris tant bien que mal à maîtriser. L’impassibilité, la faculté de rester impavide sous les assauts de l’adversaire, voilà qui se cultive. Avec plus ou moins de bonheur et de réussite.

« Regardez-moi donc dans les yeux ! »

Elle réitère. Avec une véhémence dont la gradation a fait l’objet de maintes répétitions préalables (un dada de son chargé de communication).

Comment se dérober sans donner l’impression de capituler, devant les caméras qui les scrutent l’un et l’autre ? Il plonge son regard dans celui de son adversaire. Elle a des yeux verts, d’un vert transparent dont la profondeur, la limpidité évoquent celles d’un lac de montagne. Du moins est-ce l’impression qu’il ressent, tandis qu’un trouble inattendu s’empare de lui.

Jamais, jusqu’ici, il n’avait remarqué le magnétisme qui émane d’elle. Il est vrai qu’il n’a jamais eu l’occasion de l’observer d’aussi près. La beauté radieuse de son visage. Son teint d’albâtre, sous la chevelure d’un blond cendré qui descend en torsades sur ses épaules. Ses formes de jeune femme dans la force de l’âge. Ses mains fines, posées à plat sur la table – sans doute un moyen de dissimuler la nervosité qu’elles pourraient trahir. Son parfum, enfin, léger et enivrant, qui lui parvient par intermittence. Légèrement opiacé. A la fois discret et provocant.

Elle aussi le regarde sans ciller. Avec intensité. Surtout, ne pas baisser les yeux. Ne manifester aucun signe qui puisse être interprété en sa défaveur. Pourtant, est-ce vraiment la chaleur des projecteurs qui lui met soudain le rouge aux joues ? L’ardeur de la joute verbale qui la fait intérieurement flageoler ?  

Elle l’observe, elle aussi, pour la première fois. Découvre la régularité de ses traits. La séduction qui sourd de toute sa personne, de ses gestes, de sa voix. Quel âge a-t-il ? Trois ans de plus qu’elle. Elle a potassé sa biographie, comme il a épluché, sans doute, la sienne. Elle n’ignore rien de lui, sinon ce que lui dévoile la proximité soudaine qui les réunit autour de la même table. Elle en est si désarçonnée qu’elle ne trouve plus aucun argument pour répondre à la réplique qu’il vient de lui opposer.

Il est vrai que, lui d’ordinaire si sûr, n’a pu que bredouiller cette réponse. Au point de la rendre inintelligible. Fait plus étrange encore, il l’a terminée par un sourire, au lieu de pulvériser, en une de ces formules définitives qu’il affectionne, les arguments de son contradicteur. Son contradicteur… A-t-elle vraiment encore envie d’endosser ce rôle? Elle le regarde, une expression de béatitude peinte sur son visage. Elle se surprend même à répondre au sourire charmeur qui, pour inattendu qu’il soit, ne saurait lui échapper. Que lui arrive-t-il donc ? L’introspection n’est guère de saison. Le chronomètre indique qu’il n’est que temps de conclure, comme le leur signifie le modérateur chargé de veiller à l’équité du débat. C’est l’heure de vérité. Celle où les boxeurs rassemblent leurs dernières forces pour terrasser définitivement l’adversaire. C’est elle que le sort a désignée pour prendre d’abord la parole.

« Je voudrais, dit-elle d’une voix douce dont le léger tremblement trahit l’émotion, remercier du fond du cœur mon interlocuteur. Ses arguments m’ont convaincue. Il est digne, sans doute plus que je ne le serais moi-même, d’exercer la fonction suprême que nous briguions l’un et l’autre, mais pour laquelle, j’en ai conscience, il est bien mieux qualifié que moi.

« Ses compétences en matière d’économie comme de géopolitique, sa prestance et son talent d’orateur qui lui permettront de s’imposer dans les instances internationales, son sens profond de la justice, son humanité qui l’incite à prendre en compte le sort des plus faibles de nos compatriotes, tout cela fait qu’il sera, à coup sûr, le meilleur président qu’aura jamais connu notre République. C’est pourquoi je vous demande de lui apporter vos suffrages. »

Un murmure parmi les quelques privilégiés conviés au débat. Il enfle comme une rumeur trahissant l’incompréhension, voire le désarroi qui gagne la salle et que fait taire, d’un geste, le challenger ainsi adoubé.

« Qu’il me soit permis, chère Madame – je ne saurais vous nommer autrement, même si ce qualificatif est trop faible pour exprimer l’intensité de mes sentiments – qu’il me soit permis, donc, de vous remercier sincèrement pour les paroles que vous venez de prononcer et qui, croyez-le, me vont droit au cœur.

« Je ne puis néanmoins les accepter sans objections. Car les vertus et les compétences que vous me prêtez devraient vous être attribuées à bon droit. Vous y joignez, en outre, ce dont je n’aurais l’outrecuidance de me prévaloir : la grâce, la beauté, le charme, une féminité irrésistible. Toutes qualités que vous possédez au plus haut degré et que nulle autre que vous ne mettrait avec un tel éclat au service du rayonnement de notre cher pays. Voilà pourquoi je ne saurais trop inciter nos concitoyennes et nos concitoyens à vous porter, par leur vote massif, à la magistrature suprême que vous exercerez pour le plus grand bénéfice et le plus grand bonheur de notre belle patrie. Permettez, très chère Madame, que je vous baise la main. »

Il s’est levé, a contourné la table, s’apprêtait à un baisemain protocolaire, mais elle l’a devancé. A-t-elle glissé, sous le coup de l’émotion, sur le parquet trop bien ciré ? Toujours est-il qu’elle se retrouve dans ses bras.

La photo officielle fut celle d’un couple énamouré, en pleine étreinte. La dernière image, du reste. L’un et l’autre ont tourné le dos à la politique. Modernes Cincinnatus, ils ont acheté un domaine blotti au fin fond de l’Ariège, loin de toute agglomération. Ils y vivent heureux. Ce qui, somme toute, vaut tous les ors des palais officiels.

Thomas Jolly, de Shakespeare aux JO. Ou la culture à l’heure de la déconstruction

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Portrait de l’effrayant metteur en scène des cérémonies des Jeux olympiques 2024 à Paris.


Il est en ce moment le chouchou des médias, de Télérama à France Inter en passant par Le Monde. Il faut dire que le « prodige du théâtre public » Thomas Jolly coche, bien qu’il s’en défende, toutes les cases du culturellement correct. Il croit, dit-il par exemple dans un entretien donné à L’Express, « à une forme de déhiérarchisation des objets culturels » et à « l’inclusivité ». Au demeurant, l’homme n’est pas antipathique. Il est seulement risible. Cet amusant personnage arbore un perpétuel et imperturbable sourire juvénile traduisant une totale insouciance, une véritable incapacité à comprendre ce qu’il est réellement, à savoir un animateur de la grande braderie culturelle en cours. Philippe Muray a décrit en son temps la transformation de la culture et des arts en cette gigantesque et universelle Foire du Trône culturelle aux multiples attractions – ses théâtres de rue participatifs, ses Nuits Blanches stupéfiantes, ses Techno Parades tolérantes, ses théâtres subventionnés à messages progressistes, ses Fêtes de la musique citoyennes, ses musées et ses festivals en pagaille. Thomas Jolly rêve d’un « Festival d’Avignon permanent » – c’est-à-dire, pour le dire comme Muray, d’une incessante mécanique de disparition de ce que le metteur en scène prétend mettre au pinacle, à savoir l’art théâtral.

L’écrivain Philippe Muray (1945-2006) et notre directrice de la rédaction Elisabeth Lévy © Hannah Assouline

« Rockeur dégénéré », « solaire » …

En 2014, Chloé Aeberhardt, alors journaliste à Libération, rencontrait l’acteur et metteur en scène. Subjuguée, captivée, envoûtée, elle rapportait une phrase de l’artiste parlant de lui : « Je suis phosphorique ». « Soit, en homéopathie, écrivait la journaliste avec des étoiles plein la tête et l’Encyclopédie des thérapies alternatives sous le coude, l’un des trois profils de base désignant à raison, en ce qui le concerne, les sujets longilignes, sensibles et créatifs. » Elle comparait alors l’artiste aux chétifs vers luisants qui ont « cette faculté tellement géniale de rayonner la nuit », et rappelait que le mentor de Thomas Jolly, Stanislas Nordey, directeur du Théâtre National de Strasbourg, l’avait toujours trouvé « extrêmement solaire ». Qu’avait donc fait ce jeune metteur en scène, 32 ans à l’époque, pour mériter ces éloges incandescents ? Nous sortions du Festival d’Avignon – dirigé à l’époque par Olivier Py, représentant éminent du wokisme culturel – où Thomas Jolly avait dirigé un spectacle marathon de 18 heures tiré de l’œuvre shakespearienne, Henry VI. La critique, unanime, avait apprécié cet « univers qui se joue des repères historiques » (dixit la plaquette de présentation du spectacle) et salué la performance.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Le crépuscule des jeux

Ainsi, après avoir vu ledit spectacle, le critique théâtral René Solis écrivait dans Libération : « Ni un sommet, ni une révolution esthétique, pas le Ring de Chéreau, ni le Soulier de satin de Vitez, juste tout un jour et toute une nuit de théâtre qui revigorent. » Ça, pour revigorer, ça revigora. 15 actes, 150 personnages ; entre chaque partie, une comédienne s’adressant aux spectateurs : « Non contents d’avoir déjà enduré quatre heures de notre épopée, vous êtes revenus. Pour en reprendre treize !!! C’est gentil » ; Thomas Jolly interprétant lui-même Richard III « en rockeur dégénéré » ; des chevaliers galopant sur des chaises « qui serviront ensuite au bûcher de Jeanne d’Arc, perruque bleue et seins à l’air », s’esbaudit René Solis qui raffola également des « lumières rouges, éclairs aveuglants, lancers de cotillons et giclées électro-rock » et de « l’usage des faisceaux, entre DCA et boîte de nuit ». Le marketing publicitaire s’appliquant de nos jours indifféremment au commerce et à l’art, la direction du théâtre offrit un pin’s aux courageux spectateurs qui restèrent jusqu’au bout du spectacle : « J’ai vu Henry VI en entier. »

Plus c’est long…

Toujours plus loin, toujours plus fort. En 2022, Thomas Jolly montera, au Centre Dramatique National d’Angers, Henry VI + Richard III, c’est-à-dire la tétralogie de Shakespeare en intégralité. La performance durera cette fois 24 heures, avec les mêmes ingrédients que pour celle d’Avignon. Par exemple, une batucada (musique rythmée brésilienne) résonnera lors de la première scène de bataille et sera suivie de la bande sonore du Space Mountain de Disneyland : « Ce mélange d’influences et de références, c’est avant tout une profonde marque de respect du public, à tous les publics de théâtre », affirmera sans rire, sur le site de France Inter, Julien Baldacchino qui appréciera également l’entrée du rebelle John Cade sur une « chanson aux accents punk », l’ambiance « opéra rock macabre » et les facéties de Bruno Bayeux, le comédien tenant le rôle du maire de Londres, entrant en scène en prévenant le public : « Je suis Bruno, je joue le maire, mais je ne suis pas Bruno Le Maire ! » Les spectateurs repartiront là encore avec une preuve de leur assiduité, un pin’s sur lequel il est écrit cette fois : « J’ai vu Henry VI + Richard III en entier. »

A lire aussi, du même auteur: Le “monde de la culture”, “L’Humanité” et “Rivarol” sont dans un bateau…

Le relativisme généralisé – qui alimente le wokisme déconstructionniste – ne pouvait pas ne pas atteindre ce que certains appellent encore la culture par commodité et en voulant profiter du prestige d’un mot dont ils détournent le sens à leur guise. Thomas Jolly fait partie de cette génération d’artistes qui ne veulent plus hiérarchiser les œuvres. Benjamin Britten ou les Spice Girls, Mozart ou les Daft Punk, Shakespeare ou Britney Spears, pour lui tout est égal, équivalent, tout se vaut et peut se parer d’adjectifs interchangeables et progressistes : populaire, citoyen, ouvert, égalitaire, inclusif ou festif.

Audacieuses et audacieux

Dans La défaite de la pensée (Gallimard), Alain Finkielkraut soulignait cette (im)posture post-moderne et dévastatrice consistant à mettre sur le même plan l’auteur du Roi Lear et un acteur célèbre, un slogan publicitaire et un poème d’Apollinaire, un grand couturier et Michel-Ange, et, « à condition qu’elle porte la signature d’un grand styliste », une paire de bottes et Shakespeare. Dans ce bouleversement des valeurs, le metteur en scène n’est plus au service de Shakespeare – c’est Shakespeare qui devient le faire-valoir du génial metteur en scène. Dans le cas de certaines œuvres anciennes, le texte littéraire – malencontreusement encombré de références historiques incompréhensibles, de mots désuets, de sentiments surannés – peut être un obstacle à la révélation de ce génie, surtout s’il est décidé de faire entrer la performance théâtrale dans le Livre Guinness des records, rubrique « le spectacle le plus long ». Par-delà le texte, des « giclées électro-rock » sortiront alors le spectateur de sa torpeur ; une quincaillerie pyrotechnique et une mise en scène épileptique le tiendront éveillé. Thomas Jolly excellant apparemment dans ce domaine, il n’est pas étonnant qu’il ait été sollicité pour mettre en scène les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux Olympiques de 2024 et tenir en haleine les presque deux milliards de téléspectateurs attendus. « J’aime les grands enjeux, les grands défis ! J’ai cette audace-là ! » dit-il hardiment sur France Inter, face à une Léa Salamé sous le charme. Comme ses congénères du théâtre subventionné – David Bobée, directeur du Théâtre national de Lille, membre fondateur du collectif  “Décoloniser les arts”, ou Olivier Py, antifasciste de théâtre qui envisagea de délocaliser le festival d’Avignon en cas de victoire du RN aux élections municipales – Thomas Jolly chante l’inclusivité sur tous les tons permis par la novlangue du politiquement correct : il espère que « les autrices et les auteurs » qui l’accompagneront sur ce projet et que « celles et ceux » qui y participeront seront aussi enthousiastes que lui pour « délivrer des choses importantes » – au moins aussi importantes que celles issues de Starmania, la comédie musicale qu’il a relancée et qui est, selon lui, « une œuvre qui s’adresse à nous tous et à nous toutes, parce qu’elle est justement le reflet, au-delà de l’actualité, même si elle est très, très fortement impactée par notre actualité – c’est d’ailleurs aussi le côté visionnaire de l’œuvre − c’est quand même au fond une question qui se pose, de qu’est-ce qu’on fait là, à quoi on sert et qu’est-ce qu’on fait dans ce monde qui ne nous ressemble pas ? » Léa Salamé, impressionnée par cette interrogation existentielle et cette syntaxe acrobatique, ouvre des yeux grands comme ça et ajoute son gros grain de sel à cette conversation quasi-métaphysique : « Le texte (de Starmania) est furieusement moderne et il était très avant-gardiste. Il y a beaucoup de résonance avec aujourd’hui. Comment ne pas voir dans le personnage de Zéro Janvier, le magnat de la presse multimillionnaire qui va devenir président de l’Occident, grâce à un programme ultra-sécuritaire, nationaliste et anti-écologique, la figure de Trump par exemple. » Shakespeare peut aller se rhabiller.

A lire aussi, Marie-Hélène Verdier: La Fontaine en fables et en notes

« Je suis frappé par la médiocrité artistique de cette époque », disait récemment Michel Fau dans ces colonnes1 en pointant du doigt le théâtre subventionné et l’hégémonie culturelle de la gauche. Usant des mêmes discours affectés sur l’égalité, l’anti-élitisme et un « théâtre engagé et inclusif », Thomas Jolly peut diriger indifféremment Shakespeare, Starmania ou les Cérémonies des Jeux Olympiques, et déclarer dans L’Express, en massacrant, en plus du reste, la langue française : « Quand on fait du service public, on sert qui, on sert à quoi, on sert quoi ? Moi, j’essaie de servir à cet endroit-là de la société, c’est-à-dire l’inclusivité, réguler l’égalité parce qu’elle n’est pas là sur beaucoup de sujets. » De ce charabia, nous sommes censés retenir essentiellement les syntagmes service public, inclusivité, égalité – c’est-à-dire les nouveaux mantras de la caste culturelle à l’heure du wokisme, mantras qui sont l’antithèse absolue de ce qu’on appelait justement, du temps où elle se prévalait d’un certain élitisme sans se refuser à quiconque faisait un effort pour l’appréhender, l’admirer et en jouir, la culture.

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  1. https://www.causeur.fr/michel-fau-un-grand-artiste-nest-ni-de-droite-ni-de-gauche-265092 ↩︎

Quand les Soulèvements de la Terre disent «cheh» à Gérald Darmanin

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Le Conseil d’État a annulé la dissolution des Soulèvements de la Terre décidée par notre ministre de l’Intérieur. Un désaveu juridique qui est surtout une victoire pour tous les groupes violents et les partisans de la « désobéissance civile », déplore Elisabeth Lévy.


Gérald Darmanin sait prendre des risques. Il a joué et il a perdu. Le décret de dissolution pris le 21 juin, qui était déjà suspendu en référé, a été finalement annulé jeudi avec un de ces raisonnements bizarres dont la haute juridiction a le secret.

Extraits choisis. Le groupe ne se serait rendu coupable d’« aucune provocation à la violence contre les personnes ». Donc, quand les « Soulèvements de la Terre » diffusent, avec gourmandise, « des images d’affrontements de manifestants avec les forces de l’ordre, ce n’est pas une revendication, une valorisation ou une justification de tels agissements ». Oh non, pas du tout ! C’est pour les dénoncer, peut-être ? On se moque de nous. Traduction : les « Soulèvements de la Terre » ne sont nullement responsables des violences commises dans leurs manifestations, même s’ils les relaient ensuite avec complaisance. Les forces de l’ordre blessées à Sainte-Soline ou ailleurs apprécieront certainement.

Par ailleurs, le Conseil d’État reconnait que les membres de l’association sont bien coupables de provocations à des violences contre les biens. Mais on ne va pas faire une histoire pour ça non plus. Après tout, qu’est-ce que ça peut bien faire ? Tant pis pour les agriculteurs, qu’ils se débrouillent.

A lire ensuite, Martin Pimentel: Une « loi Gayssot » contre les climatosceptiques? Vivement demain!

On n’interdit qu’avec la main qui tremble : on pourrait admettre ce raisonnement libéral s’il n’était pas aussi sélectif. Je ne vois pas en quoi les happenings de Génération Identitaire, groupe dissous qui ne s’était pas non plus rendu coupable de violences, par exemple, menaçaient l’ordre public. Il est donc difficile de ne pas penser que le Conseil d’État fait des choix idéologiques. D’ailleurs, il a récemment découvert les dangers de l’islamisme – ce qui était appréciable – mais il fait preuve d’une curieuse indulgence pour les écolos-dingos.

Gérald Darmanin avait-il pour autant raison de vouloir interdire les « Soulèvements de la Terre » ? Non ! Une cuillère pour papa, une cuillère pour maman, j’interdis à gauche un jour, j’interdis à droite le lendemain ; cela ne fait pas une politique. Et même validées, ces interdictions sont de toute façon assez inutiles, car il s’agit de groupes fluides, numériques, très difficilement contrôlables voire sans existence juridique et qui se reconstituent facilement. En revanche, il serait plus efficace de poursuivre chaque délit et de frapper individuellement et collectivement au portefeuille. Je vous assure qu’ainsi cela les enquiquinerait nettement plus !

À ne pas manquer, l’éditorial d’Elisabeth Lévy: Le crépuscule des jeux

Reste que cet arrêt est une victoire de taille pour les groupes violents, quand ils agissent pour la bonne cause. J’en veux pour preuve le Libération du jour qui écrit : « En rejetant le décret de dissolution, le Conseil d’État acte la légitimité de la désobéissance civile en matière d’environnement »1. Le pire, c’est que c’est vrai : les « Soulèvements de la Terre » triomphent. Curieusement, en arabe. Cheh ! (« bien fait ! ») lancent-ils, sur les réseaux sociaux à Gérald Darmanin. « Cette décision prend acte du rapport de forces que nous avons instauré », affirme leur communiqué. Cette jurisprudence pourra désormais être invoquée par tous les illuminés qui pensent que la fin justifie n’importe quel moyen.

Si Gérald Darmanin veut montrer ses muscles, il devrait peut-être commencer par dissoudre le Conseil d’État – je blague !! N’empêche, il est curieux que nos prétendus Sages choisissent les fauteurs de troubles et les casseurs de flics contre les défenseurs de l’ordre public. Tout de même : ils sont censés être les conseillers du pouvoir. Ils sont surtout les grands artisans de son impuissance.

  1. https://www.liberation.fr/societe/police-justice/soulevements-de-la-terre-le-conseil-detat-annule-le-decret-de-dissolution-20231109_ZOYSNOKE25D5FPWE4Q2SFMNIOU/ ↩︎

La réunion ministérielle de Séville, ou comment repeindre le sabordage de la politique spatiale européenne aux couleurs du succès…

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À l’issue de la réunion de Séville des 6 et 7 novembre, la France renonce à son monopole et accepte qu’il y ait des concurrents à Ariane Espace


La réunion ministérielle organisée à Séville les 6 et 7 novembre pour décider du sort de la politique spatiale européenne portait bien mal son nom ! Ni Bruno Le Maire ni Sylvie Retailleau n’ont daigné y assister, ayant délégué pour cette tâche qui nécessitait un engagement majeur de la France le seul président du CNES. Cette absence de l’échelon politique au moment de vérité illustre, mieux que tous les discours, le délitement d’une grande ambition.  

Ariane, 50 ans de succès

Qu’on s’en souvienne : issu d’un accord intergouvernemental qui ne doit rien à l’Union européenne, le programme européen Ariane, lancé en 1973 par Georges Pompidou, avait une feuille de route des plus claire. Il s’agissait de donner à la France et à l’Europe les moyens de mettre en orbite ses satellites sans dépendre des autres puissances spatiales. Le 24 décembre 1979, la fusée Ariane 1 effectuait ainsi son vol inaugural depuis le Centre de Kourou dont la localisation privilégiée à proximité de l’équateur assure une plus grande vitesse au lancement et offre à l’Europe un avantage comparatif considérable.  

Le chemin du succès était tracé. De 1986 à 1996, quatre versions d’Ariane ont été développées par ArianeGroup pour aboutir à la version Ariane 5 qui a conquis la moitié du marché mondial du lancement des satellites de télécommunications en orbite géostationnaire. Pendant cinquante ans, Ariane a été une formidable vitrine du savoir-faire français et européen. Grâce à elle, la France, les Européens et leurs clients du monde entier ont pu contourner « l’amicale pression » de Washington et procéder librement à la mise en orbite de satellites sans devoir s’adresser pour autant à Moscou ou à Pékin. Vecteur fondamental d’indépendance stratégique et politique, Ariane est devenue aussi un outil de construction d’un monde multipolaire.

Ces dix dernières années, la situation a considérablement évolué : après que François Hollande a fait le choix en 2014 de ne pas investir dans le réutilisable et l’amélioration d’Ariane 5, l’Europe a pris du retard, au point de se retrouver aujourd’hui sans Ariane 6 capable de lancer les satellites de la constellation Galileo. Or, c’est à Galileo que revient la mission d’assurer l’indépendance française et européenne vis-à-vis du système américain GPS dont le signal peut être dégradé, voire désactivé à tout moment par décision unilatérale des Etats-Unis. Sur ce sujet central, on attendait de la réunion ministérielle de Séville qu’elle tranche entre deux options : soit s’en remettre à l’américain Space X d’Elon Musk pour lancer quatre satellites sécurisés indispensables aux télécommunications des armées européennes, soit retarder durablement la mise en œuvre de Galileo jusqu’à ce qu’Ariane 6 soit prête, possiblement à partir du printemps 2024. Par un curieux retournement de l’histoire, c’est Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, qui a officialisé le choix de recourir pour 180 millions d’euros aux services d’Elon Musk et de Space X pour le lancement de quatre satellites du système Galileo. À ce stade de l’échec européen, une ambiguïté, et non des moindres, demeure encore à lever : le choix américain étant fait et assumé, son caractère transitoire jusqu’à l’opérationnalisation d’Ariane 6 a-t-il au moins été entériné ?

Un accord de dupes au détriment des Français ?

Derrière les rideaux de fumée de l’autosatisfaction, les résultats de Séville ne manquent pas en réalité d’interroger. Qu’en est-il de la pérennité de la préférence européenne incarnée depuis 1973 par Ariane et plus largement de la pérennité de l’aventure spatiale européenne en tant que telle ? L’accord du 7 novembre confirme bien le principe d’une nouvelle tranche de financement public pour Ariane 6, jusqu’à 340 millions d’euros annuels et ce jusqu’au 42ème tir prévu en 2029. Cependant, la moitié de ce coût sera supportée par la France, alors même que les incertitudes techniques continuent de planer sur l’opérationnalisation du porteur. En contrepartie de cette « victoire française », l’ouverture à la concurrence dès 2025 pour les petits lanceurs et à partir de 2028 pour le marché des gros lanceurs amène à poser clairement l’hypothèse, hélas vraisemblable, d’un accord de dupes. La France a donc été autorisée à s’acquitter de 125 millions d’euros par an pour un projet dont nul ne sait s’il parviendra à assurer dans les temps la feuille de route qui lui est assignée, obérant au passage ses capacités de financement sur le segment prometteur des petits lanceurs comme Maïa. Si ArianeGroup est sauvé à court terme, il se retrouve avec un horizon de quelques courtes années, incapable de se passer de financement public et sans perspective quant à sa sortie du tunnel. L’ouverture à la concurrence rendra automatiquement caduque la direction des lanceurs du CNES et son équivalent de l’ESA, au bénéfice des intérêts allemands et italiens. Quant à la possibilité d’accroître le niveau pourtant fort limité de retombées économiques et industrielles du spatial pour la Guyane, région ultrapériphérique de l’Union européenne, cette question n’a pas fait l’objet de la moindre décision. Le reste, comme le chantait Dalida, n’est que paroles… Ainsi, la mise sous les projecteurs d’un projet de vaisseau de transport spatial nécessite des moyens qui font aujourd’hui défaut et qui renvoient cette conclusion de Séville à un Happy End irénique permettant au vaincu d’arborer un sourire de commande.  

En vérité, payant le prix fort de ses choix erronés d’une décennie avec une dépendance cruelle à l’égard de l’Amérique en matière de lanceurs lourds, aveuglée par l’incantation d’un « couple franco-allemand » qui n’existe que dans ses rêves, comme la rupture brutale par Angela Merkel de l’accord spatial de Schwerin en a administré la preuve en 2017, aimantée par la conviction que le marché constitue la planche de salut de la politique spatiale et la voie naturelle de consolidation de la Startup nation, la France d’Emmanuel Macron aura signé sous le soleil andalou l’acte de décès programmé d’une ambition nationale et continentale. « Rien n’est plus vivant qu’un souvenir » écrivait déjà Federico Garcia Lorca…

Ce qu’a vraiment dit Nasrallah: les Israéliens ont massacré les Israéliens!

Faire le tri dans les propos de Hassan Nasrallah est une manière de lui donner un vernis d’intelligence supérieure, sans remarquer que les contre-vérités qu’il assène polluent encore davantage et efficacement les esprits arabophones. Alors, oui : voyons tout ce qu’a vraiment dit le chef du Hezbollah.


Son Éminence, comme l’appellent ses partisans, est une figure absolutiste qui n’a son pareil qu’en Iran en la personne du Guide Suprême. Secrétaire général du Hezbollah, « Seigneur de guerre » et chef de fait d’un groupe parlementaire libanais, il a acquis un ample auditoire dans le monde musulman, chiite comme sunnite, vers lequel il distille des messages de mort envers les Juifs. Le 3 novembre, il a livré au monde son explication de l’opération « Déluge d’Al Aqsa » du 7 octobre, durant une heure et 20 minutes[1]. Le Moyen-Orient était pendu à ses lèvres. Les Occidentaux ont également écouté, non sans inquiétude.

Certains aspects de son discours, restés généralement sans commentaire dans la presse, nous éclairent sur sa pensée. Ils témoignent de la notion d’« ambiguïté stratégique », où l’on n’annonce jamais clairement l’ensemble de ses plans. Cette guerre contre l’entité sioniste se gagnerait en marquant suffisamment de points, donc nul besoin de faire face à toute la puissance de l’ennemi en un seul coup, dit-il. La marine américaine ne lui fait pas peur non plus, car il a les moyens de la détruire – un bluff assez creux. Enfin, il se surpasse lorsqu’il estime que les Juifs sont des colonisateurs venus des diasporas, mais dont AUCUN ne mourrait jamais pour sa patrie.

Ainsi ses inanités sur les Israéliens montrent si besoin était que Nasrallah dirige une vaste secte dont les analyses perdent en pertinence et en efficacité à mesure que l’idéologie théocratique domine. Il ne sait visiblement pas comment pensent les Israéliens ni les Américains, mais prétend crânement les décrypter avec aisance.

Une faille dans l’analyse occidentale

Il s’est surpassé cependant, ce 3 novembre, lorsqu’il a proclamé que les actes barbares commis contre les Israéliens autour de Gaza étaient commis par nul autre que l’armée israélienne elle-même ! Traduisons mot à mot, depuis l’anglais, vers la 27e minute de son discours, selon la traduction directe de la chaîne Al Jazeera:

« Comment l’ennemi a-t-il réagi à l’Opération Déluge d’Al Aqsa ? Dès les premières minutes, l’ennemi était visiblement perdu, égaré. Vous savez, c’est le jour du sabbath et donc le moment idéal choisi par les commandants d’Al-Kassam (la force armée du Hamas). Il paraît qu’ils (les Israéliens) ont passé une longue nuit de beuveries, non seulement dans l’enveloppe de Gaza mais également à Tel Aviv et Jérusalem. Il leur a fallu des heures pour émerger, et ils sont sortis dans un état d’hystérie, de rage, de façon folle. C’est ainsi que lorsqu’ils ont repris la colonie dans l’enveloppe de Gaza, c’est eux qui ont commis des massacres dans les colonies israéliennes, et non le Hamas. Et maintenant nous parviennent des rapports et enquêtes qui permettent de prouver que ce sont les Israéliens qui ont commis les tueries parmi les colons. Dans un futur proche, lorsque le brouillard se sera dissipé, le monde entier apprendra que toutes les personnes tuées dans l’enveloppe de Gaza ont trouvé la mort aux mains de l’armée israélienne agissant de manière insensée. »

A ne pas manquer, notre numéro spécial: Causeur: Octobre noir. Du Hamas à Arras, l’internationale de la barbarie

Dans la quasi-totalité de la presse internationale, et des agences de presse, nulle part ce passage n’est relevé. Ni d’ailleurs l’autre passage sur les Juifs, qui « jamais ne se sacrifient pour leur pays – en connaissez-vous un seul ? Non, aucun, pas un seul. »

Et voici une faille dans l’analyse occidentale. Les chercheurs et commentateurs ignorent généralement ces phrases idéologiques prononcées par des chefs de parti et de milices meurtrières. Ces mots seraient trop insignifiants pour des analystes sérieux, estime-t-on dédaigneusement. Toujours selon les analystes occidentaux, ce genre de déclaration n’est pas le vrai message, ce n’est pas ce qui nous intéresse, c’est du bla-bla servant à impressionner les sympathisants fanatisés. Voilà comment l’on se dispense de soupeser ces paroles. Or l’on oublierait que ces leaders d’opinion influencent des millions de gens. Peut-on prétendre que Hassan Nasrallah est un fin stratège et brillant analyste, tout en le dédouanant du poids de ces contre-vérités flagrantes et crues ? Je rencontre souvent  des personnes de bonne volonté, Arabes pour une grande part mais sans exclusive, qui pensent que les militaires israéliens ont tué leurs compatriotes, ne serait-ce qu’accidentellement, et que l’accident vient de la négligence quasi délibérée de l’establishment israélien.

Les plans fous du « Seigneur de guerre »

Si l’on considère que Nasrallah est brillant, alors notons TOUT ce qu’il a dit. Il ne veut pas charger frontalement contre Israël, car il agit dans une guerre qui se joue aux points, dit-il. En accréditant la thèse des militaires israéliens ivres de sang et d’humiliation, venus déverser leur rage sur les habitants qui ne se seraient pas assez défendus, Nasrallah marque des points dans les esprits arabes, du moins doit-on le supposer.  Pour les Occidentaux, il y a toujours la possibilité de marquer des points en sens inverse, mais l’envie n’est pas très forte à l’Ouest. Nasrallah s’ingénie à la destruction de la notion même de terrorisme, en estimant que c’est uniquement l’État néocolonial israélien ou américain qui font cela et par conséquent aucun groupe révolutionnaire ne saurait être accusé de barbarie, c’est l’orgueilleuse mais lâche armée israélienne qui tue de manière indiscriminée, Palestiniens comme Juifs d’Israël. Ces propos méritent aussi d’être jetés dans la balance. Car son Éminence esquisse le portrait de Juifs comme êtres quasi-cannibales et lâches, actionnés par les États-Unis.

Les absurdités de son raisonnement sont claires : les États-Unis contrôlent Israël, mais le Hamas militaire (terroriste) agit à l’insu du Hamas politique, du Hezbollah, du régime iranien… Le Hamas ne tue aucun bébé et ne commet aucun acte barbare, Israël tue à Gaza mais supplicie également les Juifs autour de Gaza…

Songeons à ce qu’affirment de nombreux analystes spécialisés dans le totalitarisme ou les dictateurs : ces autocrates disent ce qu’ils vont faire et ils le font. Admirable ! devrait-on dire. Mais alors Nasrallah a plusieurs fois espéré tuer tous les Juifs en Israël, tous les Juifs dans le monde, et souhaité que tous les Juifs puissent faire leur alya afin qu’ils puissent être tués en un seul endroit. Pour ceux qui admirent la clarté des dictateurs, le discours du 3 novembre signifiait bien davantage qu’un simple report de l’intervention du Hezbollah dans la guerre actuelle. C’est un plan d’extermination, livré en épisodes. Nasrallah parlera le 11 novembre, la journée des martyrs, mais sauf surprise, l’essentiel a déjà été dit dans cette phase de la guerre.


[1] https://www.causeur.fr/aux-palestiniens-de-bons-baisers-de-beyrouth-269102

Marche contre l’antisémitisme: ira, ira pas?

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Et à quand une « grande marche civique » contre l’islamisme ? se demande notre chroniqueur


Debout la France

Le monde politique assoupi a-t-il enfin mesuré le danger représenté par l’islam conquérant ? Un manque de courage empêche encore de désigner clairement l’ennemi. Certes, il faut saluer l’initiative de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et du président du Sénat, Gérard Larcher, d’une « grande marche civique », dimanche, « contre l’antisémitisme ». Les deux représentants du parlement expliquent leur démarche ce mercredi dans Le Figaro[1] : ils évoquent « la République en danger » depuis « l’attaque terroriste » du Hamas contre Israël le 7 octobre, qui a suscité en France une multiplication d’actes anti-juifs (plus d’un millier en un mois, soit deux fois plus que durant l’année 2022). Il faut cependant attendre le quatrième paragraphe du texte commun pour lire : « Notre laïcité doit être protégée, elle est un rempart contre l’islamisme ». Est-il si compliqué de parler plus directement de « terrorisme islamiste » ? Est-il si dangereux d’appeler à une marche des citoyens en nommant explicitement « les porteurs de haine »? Cela fait quarante ans que la République bonne fille est tétanisée à l’idée d’être accusée d’islamophobie ou de racisme dans la dénonciation des dérives totalitaires de l’islam politique.

A lire aussi: De Faurisson à Mélenchon, la vérité si je mens!

Les présidents de l’Assemblée et du Sénat assurent que les parlementaires « ne peuvent se taire » et « doivent résister » : se réjouir de cet engagement. Reste que ce monde politique, qui s’affole des désastres créés par son endormissement, se garde de reconnaître ses graves responsabilités dans l’incrustation d’une judéophobie portée par une immigration musulmane sacralisée par la droite et la gauche.

Jean-Marie Le Pen avait son « détail », Mélenchon a son « prétexte » 

La participation annoncée du Rassemblement national à cette marche citoyenne – « une première », comme l’a rappelé Louis Aliot (RN) mercredi sur Europe 1 – est une autre manière de faire comprendre qui sont les amis d’Israël et des Juifs et qui sont, par leur absence déjà revendiquée, les collaborateurs de la cause islamiste. La nouvelle photographie politique se lira au vide laissé par ceux qui auront choisi, par électoralisme diversitaire, de soutenir fanatiquement la cause palestinienne déshonorée par l’indicible barbarie djihadiste du Hamas. Jean-Luc Mélenchon, non content d’avoir fait sanctionner pour insoumission la députée (LFI) Raquel Garrido[2] comme aux plus belles heures du stalinisme, a ainsi justifié par tweet sa rupture : « Dimanche, manif de « l’arc républicain » du RN à la macronie de Braun-Pivet. Et sous prétexte d’antisémitisme, ramène Israël-Palestine sans demande de cessez-le-feu. Les amis du soutien inconditionnel au massacre ont leur rendez-vous ». Jean-Marie Le Pen avait son « détail », Mélenchon a son « prétexte » : de mêmes signaux qui entretiennent l’antisémitisme d’atmosphère constitué désormais, presque exclusivement, par la haine anti-juive de la culture islamique. Ceux du chœur des effarés qui ont  accusé les « populistes » d’antisémitisme ont en réalité craché sur des lanceurs d’alerte. Honte à eux.


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/politique/l-appel-de-gerard-larcher-et-yael-braun-pivet-pour-la-republique-et-contre-l-antisemitisme-marchons-20231107

[2] https://www.causeur.fr/raquel-garrido-sanction-lfi-jean-luc-melenchon-269321

Face au retour de l’obscurantisme et de la soumission des hommes, refuser l’arbitraire

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Le livre d’Aurélien Marq nous apporte des clés philosophiques pour penser le choc de civilisations que beaucoup redoutent.


Quand j’ai reçu les épreuves du livre d’Aurélien Marq pour en écrire la préface, je visitais les plages du débarquement de Normandie avec mes enfants. Aujourd’hui que je dois en faire la recension, nous sommes après une tragédie atroce, celle du 7 octobre, où des islamistes ont montré très concrètement que les nazis avaient des héritiers et successeurs et que les horreurs antisémites recommençaient.

Dans les allées du cimetière de Colleville-sur-Mer, j’ai expliqué à mes enfants que l’on voyait bien, dans la jeunesse de ces vies fauchées, dans leur nombre, le prix que coûtent la lâcheté et le déshonneur. Mais cet été encore, je pensais qu’eux n’auraient pas à payer de prix. La faiblesse face à l’Allemagne nazie a détruit des vies par dizaine de millions. Mais cet été encore, je pouvais encore dire que ces morts n’avaient pas été vaines et qu’elles nous avaient légué une conscience humaniste plus forte, que face à l’horreur des camps, s’était élevé un « plus jamais ça » qu’il nous appartenait de rendre réel.

Nouvelle menace

Aujourd’hui je sais que nous avons échoué. L’antisémitisme est de retour. Et si la plupart d’entre nous rejettent le terme de guerre de civilisation face au chaos qui semble gagner ce monde, c’est parce que l’on pense être du côté des perdants. Aurélien Marq, lui, assume le fait que nous assistions à la montée des lignes de fractures qui montrent que deux visions du monde et de l’homme s’affrontent. Celle, universaliste et humaniste, qui a donné naissance à la démocratie et qui mise sur le libre arbitre, la raison et le logos et celle autoritariste qui vise à soumettre l’homme et à le dépouiller de toute autonomie pour en faire la simple partie interchangeable d’un Tout. C’est exactement ce que refuse Aurélien Marq. À travers Refuser l’arbitraire, c’est une voie vers l’avenir qu’il propose, une voie qui parle de la noblesse du courage et de la nécessité de la lutte, une voie qui rappelle que nous avons dans notre culture des ressources qui nous arment contre le retour de l’obscurantisme et de la soumission des hommes.

A lire aussi, du même auteur: Le Hamas, fossoyeur de la Nupes?

Il nous dit aussi autre chose : combattre, comme l’ont fait ces soldats, ces héros de la seconde guerre mondiale, c’est être prêt à mourir certes, mais c’est aussi être prêt à tuer. Le sacrifice est une dimension du combat, mais on ne se bat pas pour se sacrifier. Il reste une question lancinante : pour quoi serais-je prête à me battre mais aussi pour quoi serais-je prête à ce que mes enfants risquent leur vie ? Pour quoi serais-je prête à ce que mes enfants tuent ? Que penserais-je, que ressentirais-je, si aujourd’hui mes enfants portaient l’uniforme de Tsahal et partaient combattre, c’est-à-dire tuer et peut-être mourir, pour empêcher que se reproduise le déchaînement de sadisme auquel s’est livré le Hamas le 7 octobre ? Je déteste devoir me poser ces questions. Je les fuis. Je vomis le monde qui m’oblige à me les poser et les politiques qui nous ont mis dans cette situation. Il n’en reste pas moins que ces questions sont là. Tenaces, insistantes, réelles. Que derrière ces questions encore abstraites, il y a à Israël et à Gaza des morts, elles, bien réelles. Dans ce livre, Aurélien Marq montre que l’évolution de nos sociétés rend ces questions urgentes. Et l’actualité ne lui donne par tort, hélas. Il propose donc des pistes pour y répondre, pour regarder en face les réalités les plus dures sans perdre ni courage ni espoir.

Un appel à défendre notre civilisation

Et pour y arriver, le livre passe par une forme de méditation philosophique qui convoque Socrate, Mencius en passant par Arnaud Beltrame. Des premiers chants d’Homère au wokisme, les références sont multiples, à la fois classiques et actuelles. Réflexion sur la dignité humaine face au consumérisme, sur la beauté face aux évolutions de l’art post-moderne, sur la vérité et le débat intellectuel face à la tentation de la censure, sur la cohésion nationale face à une délinquance de plus en plus violente, le livre ne pose pas le simple constat de notre décadence, c’est surtout un recueil de propositions concrètes pour réformer l’Etat et pour agir en tant que citoyens.

Déclaration d’amour à la civilisation européenne et à sa décence commune, aux hommes et aux femmes qui l’ont faite, des plus célèbres aux plus humbles, ce livre est un appel à défendre cette civilisation. Pas seulement parce qu’elle est la nôtre, mais parce qu’elle a apporté au monde des choses uniques et précieuses, au premier rang desquelles la liberté de conscience, l’abolition de l’esclavage, le raisonnement scientifique, l’égalité en droit… Parce que malgré ses erreurs et ses fautes, cette civilisation à la fois gréco-romaine et judéo-chrétienne cherche à trouver un moyen de faire grandir les hommes, de les gouverner et de forger le lien citoyen à travers la quête du Juste, du Vrai, du Beau et du Bien. Elle a encore beaucoup à offrir au monde, aux hommes et à chacun d’entre nous.

Le 7 octobre nous a fait basculer dans un monde nouveau. La barbarie est là, elle s’est déchainée en Israël. Elle monte en Europe et se traduit par l’explosion des crimes antisémites et les menaces qui pèsent sur notre quotidien. Dans ce clair-obscur où naissent les monstres et où se fabriquent les narratifs qui les revêtent de peaux de moutons, le livre d’Aurélien Marq m’apparaît encore plus pertinent que lorsque je l’ai découvert. Refuser l’arbitraire nous oblige à nous poser des questions essentielles et appuie là où cela fait mal – tout en nous rappelant qu’il n’y a pas de fatalité au déclin, et que nous sommes riches d’une immense tradition dans laquelle nous pouvons puiser de quoi nous réarmer moralement et intellectuellement.

« Refuser l’arbitraire: Qu’avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ? », Aurélien Marq, FYP éditions, 348 pages.

Allocations pour les étrangers: cet amendement voté passé inaperçu

Les temps changent et le diable a changé de camp. Mardi soir, lors de l’examen du projet de loi immigration, le Sénat a fait passer un amendement visant à conditionner les allocations familiales à cinq ans de résidence sur le territoire – contre six mois actuellement. La sénatrice socialiste, Laurence Rossignol, a accusé la majorité sénatoriale d’organiser « la pauvreté des enfants ».


Les allocations pour les étrangers : voilà un sujet qui divise depuis fort longtemps.

Mardi soir, au Sénat, entre la poire de l’AME et le fromage de l’article 3 – dont tout le monde a abondamment parlé – un amendement des LR est finalement passé assez inaperçu. Pendant que les chefs de LR négociaient la suppression du nouveau titre de séjour pour les métiers en tension, la sénatrice du Val-d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio défendait de son côté un amendement très restrictif.

Il concerne les prestations non contributives, c’est-à-dire les allocations ne correspondant pas à une cotisation : allocations familiales, APL etc.

Pour les percevoir, un étranger en situation régulière devra justifier de cinq ans de résidence – ce qu’on appelle un « délai de franchise » pour bénéficier de la solidarité nationale…

Darmanin d’accord

En mission-séduction des LR pour éviter le 49-3 sur sa loi, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin délivre alors un « avis de sagesse », ce qui signifie qu’il ne s’y oppose pas – sauf pour l’allocation handicapé. Bel exercice de « en même temps » pour le ministre. Au Sénat, j’embrasse ma droite, à l’Assemblée nationale, je courtise ma gauche…

A lire aussi, Aurélien Marq: Un ministre de l’Intérieur bien vantard…

L’amendement est finalement adopté. Et sur X, on observe beaucoup de commentaires approbateurs des citoyens, même si les internautes savent bien que la mesure ne passera pas le barrage de la gauche macroniste à l’Assemblée. Les sénateurs LR et le ministre le savent aussi, il y a donc dans cette affaire beaucoup de Comedia dell Arte.

Sur le fond, est-ce une bonne mesure ?

Si maîtriser nos frontières semble de plus en plus chimérique dans le cadre des traités européens, rendre la France moins attractive reste la seule solution pour endiguer concrètement les flux. La France peut jouer sur les pompes aspirantes, ces dispositifs qui poussent des gens à venir dans notre pays.

D’ailleurs, la preuve que c’est une bonne mesure, c’est que le braillomètre des immigrationnistes s’emballe ! On organise la pauvreté des enfants, on s’en prend à des malheureuses familles, a-t-on entendu. Autrement dit, pour tout ce petit monde, il serait bien légitime de faire venir en France des familles dont la survie dépend de l’argent public ! Sauf que la majorité des électeurs, même à gauche, ne veut désormais plus accueillir des gens qui ne travaillent pas ou peu, et qui, de plus, parfois, détestent la France.

Si cet amendement ne sera pas retenu dans la future loi, cet épisode est révélateur : les temps changent. Il y a 30 ans, quand le Front national proposait ce genre de mesures, rappelez-vous le haut-le-cœur général. À l’époque, Laurent Fabius avançait que le FN posait de bonnes questions auxquelles il apportait de mauvaises réponses. Et dans la foulée, la gauche morale avait interdit toute question sur l’immigration. En 2007 encore, l’affaire des tests ADN pour contrôler l’identité des migrants enflammait Saint-Germain-des-Prés, et Sarkozy reculait. Aujourd’hui, il y a un grand changement et un consensus sur l’objectif : tout le monde souhaite une réduction drastique de l’immigration et la maîtrise des flux. Même Guillaume Meurice n’oserait plus parler de « chances-pour-la-France », enfin, peut-être.

Bien sûr, une grande partie de la classe politique continue à se signer sur l’extrême droite. Y compris Madame Borne. N’empêche. L’amendement qui aurait autrefois été qualifié de scélérat n’a pas fait la une des médias. Et malgré le concours de mines outragées sur le thème « défiler avec Le Pen jamais », Marine Le Pen marchera vraisemblablement dimanche contre l’antisémitisme. Les électeurs ont tranché. Comme le dit mon camarade de Causeur Jean-Baptiste Roques: le RN fait partie du camp républicain. Le diable a changé de camp. Désormais, il s’habille en rouge.

Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio.

Retrouvrez Elisabeth Lévy du lundi au jeudi dans la matinale

Notre démocratie ou les Précieux ridicules…

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© Alain ROBERT/SIPA

Les mêmes qui dénonçaient la politisation du rassemblement à venir, dimanche 12 novembre, « pour la République et contre l’antisémitisme », ont tout fait pour l’aggraver. Au point que ce qui aurait dû apparaître comme une lutte commune et consensuelle contre un poison universel s’est fortement réduit. Par le refus de LFI d’y participer (elle y aurait été très mal accueillie !) mais surtout par l’expression de pudeurs démocratiques visant à créer « un cordon sanitaire symbolique » pour préserver les purs, les intègres, les authentiques Républicains de la moindre promiscuité avec le RN qui sera présent en masse, j’en suis persuadé, comme Marine Le Pen l’a demandé. Depuis quelques jours, en effet, il s’agit moins de relever le caractère positif et salubre d’une telle manifestation, voulue par la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, que de montrer à quel point nos politiques sont délicats et sauront tenir leurs distances à l’égard d’un parti dont on a sans cesse besoin de rappeler les origines passées et lointaines pour exorciser un présent et peut-être un futur où beaucoup le voient victorieux (ce qui n’est pas mon cas, je le répète). Notre démocratie ou les Précieux ridicules, c’est vraiment cela. Il y a heureusement des voix qui, dans l’indignation, l’approbation ou la dérision, savent faire preuve de lucidité et de bon sens en mettant en évidence ce qui devra inspirer seulement la multitude probable du 12 novembre : la dénonciation forte, éclatante et massive de l’antisémitisme et de la quotidienneté de plus en plus menacée et angoissée de nos concitoyens juifs à l’égard desquels propos et actes agressifs se multiplient à une cadence vertigineuse. Et non pas l’approbation obligatoire de la politique d’Israël et de son dirigeant Netanyahou. Gilles-William Goldnadel, toujours singulier et ferme dans ses résolutions, ne participera pas au « défilé » du 12 novembre – si j’ose dire, le distinguo entre « marche civique » et « rassemblement politique » me semble byzantin ! – parce qu’il reproche, à juste titre, au ministre Olivier Véran et au Crif d’en avoir fait « un enjeu politicard ». Quand il s’agissait de s’opposer au projet de loi sur les retraites, apparemment personne, où que ce soit sur l’échiquier politique, n’a fait la fine bouche devant la solidarité de fait unissant, dans la rue, le RN et les autres forces sur la même ligne que lui.

A lire aussi, Ivan Rioufol: Marche contre l’antisémitisme: ira, ira pas?

Olivier Marleix, le président du groupe parlementaire LR à l’Assemblée nationale, a moqué avec esprit le fait qu’on voulait bien, « assis », être aux côtés du RN comme lors des Rencontres de Saint-Denis mais qu’on refusait, « debout », de côtoyer le RN le 12 novembre dans un combat contre l’antisémitisme. Quelle absurdité ! Quand on tient des postures et que les postures nous tiennent !

Le malaise de ces personnalités de gauche (Boris Vallaud par exemple chez Jean-Jacques Bourdin sur Sud Radio) ou de ces ministres macronistes (Bérangère Couillard notamment le 10 novembre chez le même) pour justifier la légitimité de l’exclusion d’un parti – démocratique jusqu’à nouvel ordre – d’une lutte nécessaire contre l’antisémitisme ! À cause, précisément, de l’absence totale de fondement d’un ostracisme qui vise à prolonger la facilité et le confort de l’opprobre éthique à la place de la contradiction politique. Faut-il minimiser la position sans équivoque de Serge Klarsfeld – qui oserait discuter la portée fondamentale de son avis, lui qui a été en première ligne pour la défense des Juifs et le respect de leur mémoire ? – soulignant dans le Figaro qu’il se « réjouissait » de la participation du RN à la marche du 12 novembre et qu’il était « soulagé de voir le RN abandonner l’antisémitisme et se poser en défenseur des Juifs mais (…) triste de voir l’extrême gauche abandonner sa ligne d’action contre l’antisémitisme ».

Je n’ai pas envie non plus de négliger l’opinion doublement majoritaire des Français qui à la fois approuvent la manifestation du 12 novembre mais désapprouvent la volonté de mise à l’écart du RN. Il y a dans cet équilibre une leçon qui devrait faire réfléchir nos politiques. Merveilleuse surprise pour les adversaires du RN : la déclaration de Jordan Bardella affirmant que malgré ses condamnations Jean-Marie Le Pen n’était pas « antisémite ». On devine, derrière ce qu’il a reconnu être une « maladresse » vite corrigée, le désir de ne pas essentialiser une personnalité mais il n’empêche que cela a jeté le trouble dans une dédiabolisation dont la réussite est consacrée par l’entêtement acharné d’adversaires nostalgiques à continuer à prendre la fille pour le père. Alors, oui, je persiste : nos démocrates patentés, autoproclamés exemplaires, justiciers du bon grain et de l’ivraie, sont en réalité « des Précieux ridicules ». Leur souci n’est pas de vaincre le Mal mais d’être les seuls à avoir le droit de le faire.

Le Ajar et la nécessité

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romain gary deserable piekielny
Romain Gary. Sipa.

Delphine Horvilleur, dans Il n’y a pas de Ajar et ailleurs également, pourfend l’idée d’identité avec mordant, et autant on peut et on doit même entendre son éloge du multiple, autant renvoyer l’idée d’identité nationale à une nostalgie fantasmée d’un âge d’or fermé à tout étranger et toute étrangeté en nous – plénitude perdue où l’on voudrait retourner comme dans le giron maternel – relève de la caricature et s’avère terriblement inactuel.


Il me semble que la question de l’identité nationale ou française, si elle a connu, par le passé, des précurseurs très discutables, s’est posée il n’y a pas si longtemps à notre pays en réaction à trois mises en cause de plus en plus agressives : les institutions européennes qui désavouent les décisions nationales, le mouvement de la déconstruction qui n’en finit pas de culpabiliser son monde, et la réislamisation d’une certaine population immigrée ou de ses descendants.

Ce retour de l’identité a une histoire, et à en parler sans l’y situer, on l’essentialise et on peut dès lors s’autoriser légitimement à faire la grimace. Mais dans ce cas, on risque aussi de faire dans l’angélisme. Dans l’angélisme subtil, drôle, intelligent et virevoltant comme une valse, mais dans l’angélisme tout de même.

Car il y a finalement un paradoxe, et c’est le sentiment que j’ai eu en lisant Delphine Horvilleur (et en lisant Rachel Kahn, aussi) : à savoir que la possibilité de l’identité mobile, du multiple en nous, ne peut se pratiquer que dans certaines contrées et dans certaines cultures… qu’il nous faut bien défendre si l’on veut pouvoir ne pas se shooter à l’identité comme d’autres à la coke. Et que ces contrées et ces cultures sont bien des identités, et des identités menacées. Je pense à la laïcité à la française, à la République une et indivisible – à moins de tomber dans l’agrégat de communautés juxtaposées -, à l’idée de frontière, à celle de nation, de citoyenneté, à l’héritage politique et littéraire, aux paysages, aux mœurs et coutumes etc.

A lire aussi: «Le procès Goldman»: les limites du huis-clos

Entre les institutions européennes qui nous vouent à l’ectoplasme, à l’interchangeabilité des uns et des autres dans l’optique économiste qui est la sienne, les narcisses imbus d’identité sexuelle choisie, les revendicateurs racialistes revendiquant cela même qu’ils dénoncent, les fanatiques de l’Autre qui font que quand il n’y a plus que l’Autre, il n’y a plus d’Autre du tout, l’immigration extra-européenne encouragée par cette même Europe des technocrates pour les raisons que l’on sait, et qui, de son côté, remet en cause des fondements capitaux (appelons cela des racines aussi) et, enfin, l’islamisme radical qui s’étend et fait des ravages, il y a malaise dans la civilisation, et je dirais même plus, il y a cauchemar.

Quand le tragique pointe le bout de son nez (et je ne sais quand et où il oublierait de le faire) il y a bien quelque chose à défendre qui ne fait pas de nous des « fachos » ou des obsédés de l’identité une et une seule, et qui s’appelle une certaine idée de la France, pour laquelle Gary-Ajar s’est battu dès les premières heures… et dans laquelle, précisément, nous pouvons mettre en cause ce qui nous figerait dans des postures mortifères ; je suis ceci, cela, et pas autre chose. Mais il faut impérativement se rappeler qu’il n’y a qu’ici, ou dans très peu d’endroits sur terre, et dans un cadre politique précis qu’on peut le faire. Dès lors, c’est bien au nom de la possibilité d’une identité non figée défendue dans le livre… qu’il nous faut défendre ce qui la permet, et qui a bel et bien à voir avec l’histoire et l’identité d’un pays.

Il n’y a pas de Ajar de Delphine Horvilleur, Grasset 2022

Il n'y a pas de Ajar: Monologue contre l'Identité

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Le Débat

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Marine Le Pen sert la main de Jean-Luc Mélenchon lors du premier débat de la présidentielle sur TF1, mars 2017. SIPA.

Pour vivre heureux, vivons cachés Jean-Pierre Claris de Florian, Le Grillon.


« Regardez-moi dans les yeux ! »

Un classique. Tiré du catalogue des injonctions censées déstabiliser l’adversaire. Voilà bientôt une heure et demie qu’ils débattent. Avec un acharnement, une pugnacité, une conviction qui ne sont pas feints, sans doute, mais doivent beaucoup aux conseillers en communication. Lesquels n’ont rien laissé au hasard, comme il sied lorsque des millions de télévoyeurs sont rivés devant leur poste. L’un et l’autre jettent furtivement, à la dérobée, un regard sur les notes, les statistiques, les phrases qu’il faudra ab-so-lu-ment prononcer et qui devront faire mouche.

Car l’enjeu, ce soir, est important. Rien de moins que l’accès à la présidence de la République. Avec ce que cela signifie, désir de servir son pays, de faire prévaloir ses idées, mais aussi ambition personnelle. Rêve de gloire ou, au moins, de notoriété. Voire envie de jouir des prébendes attachées à la fonction, ce que chacun des deux, même sous la torture, se garderait de reconnaître.

Pour l’heure ils sont là, assis face à face, devant une table. À bonne distance l’un de l’autre. Assez proches cependant pour que rien, sous la lumière crue des sunlights, ne puisse échapper de leurs mimiques, de leurs gestes, volontaires ou non, et qu’ils ont appris tant bien que mal à maîtriser. L’impassibilité, la faculté de rester impavide sous les assauts de l’adversaire, voilà qui se cultive. Avec plus ou moins de bonheur et de réussite.

« Regardez-moi donc dans les yeux ! »

Elle réitère. Avec une véhémence dont la gradation a fait l’objet de maintes répétitions préalables (un dada de son chargé de communication).

Comment se dérober sans donner l’impression de capituler, devant les caméras qui les scrutent l’un et l’autre ? Il plonge son regard dans celui de son adversaire. Elle a des yeux verts, d’un vert transparent dont la profondeur, la limpidité évoquent celles d’un lac de montagne. Du moins est-ce l’impression qu’il ressent, tandis qu’un trouble inattendu s’empare de lui.

Jamais, jusqu’ici, il n’avait remarqué le magnétisme qui émane d’elle. Il est vrai qu’il n’a jamais eu l’occasion de l’observer d’aussi près. La beauté radieuse de son visage. Son teint d’albâtre, sous la chevelure d’un blond cendré qui descend en torsades sur ses épaules. Ses formes de jeune femme dans la force de l’âge. Ses mains fines, posées à plat sur la table – sans doute un moyen de dissimuler la nervosité qu’elles pourraient trahir. Son parfum, enfin, léger et enivrant, qui lui parvient par intermittence. Légèrement opiacé. A la fois discret et provocant.

Elle aussi le regarde sans ciller. Avec intensité. Surtout, ne pas baisser les yeux. Ne manifester aucun signe qui puisse être interprété en sa défaveur. Pourtant, est-ce vraiment la chaleur des projecteurs qui lui met soudain le rouge aux joues ? L’ardeur de la joute verbale qui la fait intérieurement flageoler ?  

Elle l’observe, elle aussi, pour la première fois. Découvre la régularité de ses traits. La séduction qui sourd de toute sa personne, de ses gestes, de sa voix. Quel âge a-t-il ? Trois ans de plus qu’elle. Elle a potassé sa biographie, comme il a épluché, sans doute, la sienne. Elle n’ignore rien de lui, sinon ce que lui dévoile la proximité soudaine qui les réunit autour de la même table. Elle en est si désarçonnée qu’elle ne trouve plus aucun argument pour répondre à la réplique qu’il vient de lui opposer.

Il est vrai que, lui d’ordinaire si sûr, n’a pu que bredouiller cette réponse. Au point de la rendre inintelligible. Fait plus étrange encore, il l’a terminée par un sourire, au lieu de pulvériser, en une de ces formules définitives qu’il affectionne, les arguments de son contradicteur. Son contradicteur… A-t-elle vraiment encore envie d’endosser ce rôle? Elle le regarde, une expression de béatitude peinte sur son visage. Elle se surprend même à répondre au sourire charmeur qui, pour inattendu qu’il soit, ne saurait lui échapper. Que lui arrive-t-il donc ? L’introspection n’est guère de saison. Le chronomètre indique qu’il n’est que temps de conclure, comme le leur signifie le modérateur chargé de veiller à l’équité du débat. C’est l’heure de vérité. Celle où les boxeurs rassemblent leurs dernières forces pour terrasser définitivement l’adversaire. C’est elle que le sort a désignée pour prendre d’abord la parole.

« Je voudrais, dit-elle d’une voix douce dont le léger tremblement trahit l’émotion, remercier du fond du cœur mon interlocuteur. Ses arguments m’ont convaincue. Il est digne, sans doute plus que je ne le serais moi-même, d’exercer la fonction suprême que nous briguions l’un et l’autre, mais pour laquelle, j’en ai conscience, il est bien mieux qualifié que moi.

« Ses compétences en matière d’économie comme de géopolitique, sa prestance et son talent d’orateur qui lui permettront de s’imposer dans les instances internationales, son sens profond de la justice, son humanité qui l’incite à prendre en compte le sort des plus faibles de nos compatriotes, tout cela fait qu’il sera, à coup sûr, le meilleur président qu’aura jamais connu notre République. C’est pourquoi je vous demande de lui apporter vos suffrages. »

Un murmure parmi les quelques privilégiés conviés au débat. Il enfle comme une rumeur trahissant l’incompréhension, voire le désarroi qui gagne la salle et que fait taire, d’un geste, le challenger ainsi adoubé.

« Qu’il me soit permis, chère Madame – je ne saurais vous nommer autrement, même si ce qualificatif est trop faible pour exprimer l’intensité de mes sentiments – qu’il me soit permis, donc, de vous remercier sincèrement pour les paroles que vous venez de prononcer et qui, croyez-le, me vont droit au cœur.

« Je ne puis néanmoins les accepter sans objections. Car les vertus et les compétences que vous me prêtez devraient vous être attribuées à bon droit. Vous y joignez, en outre, ce dont je n’aurais l’outrecuidance de me prévaloir : la grâce, la beauté, le charme, une féminité irrésistible. Toutes qualités que vous possédez au plus haut degré et que nulle autre que vous ne mettrait avec un tel éclat au service du rayonnement de notre cher pays. Voilà pourquoi je ne saurais trop inciter nos concitoyennes et nos concitoyens à vous porter, par leur vote massif, à la magistrature suprême que vous exercerez pour le plus grand bénéfice et le plus grand bonheur de notre belle patrie. Permettez, très chère Madame, que je vous baise la main. »

Il s’est levé, a contourné la table, s’apprêtait à un baisemain protocolaire, mais elle l’a devancé. A-t-elle glissé, sous le coup de l’émotion, sur le parquet trop bien ciré ? Toujours est-il qu’elle se retrouve dans ses bras.

La photo officielle fut celle d’un couple énamouré, en pleine étreinte. La dernière image, du reste. L’un et l’autre ont tourné le dos à la politique. Modernes Cincinnatus, ils ont acheté un domaine blotti au fin fond de l’Ariège, loin de toute agglomération. Ils y vivent heureux. Ce qui, somme toute, vaut tous les ors des palais officiels.

Thomas Jolly, de Shakespeare aux JO. Ou la culture à l’heure de la déconstruction

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Thomas Jolly faisant ses facéties à la nuit des Molières, Paris, 25 avril 2023 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Portrait de l’effrayant metteur en scène des cérémonies des Jeux olympiques 2024 à Paris.


Il est en ce moment le chouchou des médias, de Télérama à France Inter en passant par Le Monde. Il faut dire que le « prodige du théâtre public » Thomas Jolly coche, bien qu’il s’en défende, toutes les cases du culturellement correct. Il croit, dit-il par exemple dans un entretien donné à L’Express, « à une forme de déhiérarchisation des objets culturels » et à « l’inclusivité ». Au demeurant, l’homme n’est pas antipathique. Il est seulement risible. Cet amusant personnage arbore un perpétuel et imperturbable sourire juvénile traduisant une totale insouciance, une véritable incapacité à comprendre ce qu’il est réellement, à savoir un animateur de la grande braderie culturelle en cours. Philippe Muray a décrit en son temps la transformation de la culture et des arts en cette gigantesque et universelle Foire du Trône culturelle aux multiples attractions – ses théâtres de rue participatifs, ses Nuits Blanches stupéfiantes, ses Techno Parades tolérantes, ses théâtres subventionnés à messages progressistes, ses Fêtes de la musique citoyennes, ses musées et ses festivals en pagaille. Thomas Jolly rêve d’un « Festival d’Avignon permanent » – c’est-à-dire, pour le dire comme Muray, d’une incessante mécanique de disparition de ce que le metteur en scène prétend mettre au pinacle, à savoir l’art théâtral.

L’écrivain Philippe Muray (1945-2006) et notre directrice de la rédaction Elisabeth Lévy © Hannah Assouline

« Rockeur dégénéré », « solaire » …

En 2014, Chloé Aeberhardt, alors journaliste à Libération, rencontrait l’acteur et metteur en scène. Subjuguée, captivée, envoûtée, elle rapportait une phrase de l’artiste parlant de lui : « Je suis phosphorique ». « Soit, en homéopathie, écrivait la journaliste avec des étoiles plein la tête et l’Encyclopédie des thérapies alternatives sous le coude, l’un des trois profils de base désignant à raison, en ce qui le concerne, les sujets longilignes, sensibles et créatifs. » Elle comparait alors l’artiste aux chétifs vers luisants qui ont « cette faculté tellement géniale de rayonner la nuit », et rappelait que le mentor de Thomas Jolly, Stanislas Nordey, directeur du Théâtre National de Strasbourg, l’avait toujours trouvé « extrêmement solaire ». Qu’avait donc fait ce jeune metteur en scène, 32 ans à l’époque, pour mériter ces éloges incandescents ? Nous sortions du Festival d’Avignon – dirigé à l’époque par Olivier Py, représentant éminent du wokisme culturel – où Thomas Jolly avait dirigé un spectacle marathon de 18 heures tiré de l’œuvre shakespearienne, Henry VI. La critique, unanime, avait apprécié cet « univers qui se joue des repères historiques » (dixit la plaquette de présentation du spectacle) et salué la performance.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Le crépuscule des jeux

Ainsi, après avoir vu ledit spectacle, le critique théâtral René Solis écrivait dans Libération : « Ni un sommet, ni une révolution esthétique, pas le Ring de Chéreau, ni le Soulier de satin de Vitez, juste tout un jour et toute une nuit de théâtre qui revigorent. » Ça, pour revigorer, ça revigora. 15 actes, 150 personnages ; entre chaque partie, une comédienne s’adressant aux spectateurs : « Non contents d’avoir déjà enduré quatre heures de notre épopée, vous êtes revenus. Pour en reprendre treize !!! C’est gentil » ; Thomas Jolly interprétant lui-même Richard III « en rockeur dégénéré » ; des chevaliers galopant sur des chaises « qui serviront ensuite au bûcher de Jeanne d’Arc, perruque bleue et seins à l’air », s’esbaudit René Solis qui raffola également des « lumières rouges, éclairs aveuglants, lancers de cotillons et giclées électro-rock » et de « l’usage des faisceaux, entre DCA et boîte de nuit ». Le marketing publicitaire s’appliquant de nos jours indifféremment au commerce et à l’art, la direction du théâtre offrit un pin’s aux courageux spectateurs qui restèrent jusqu’au bout du spectacle : « J’ai vu Henry VI en entier. »

Plus c’est long…

Toujours plus loin, toujours plus fort. En 2022, Thomas Jolly montera, au Centre Dramatique National d’Angers, Henry VI + Richard III, c’est-à-dire la tétralogie de Shakespeare en intégralité. La performance durera cette fois 24 heures, avec les mêmes ingrédients que pour celle d’Avignon. Par exemple, une batucada (musique rythmée brésilienne) résonnera lors de la première scène de bataille et sera suivie de la bande sonore du Space Mountain de Disneyland : « Ce mélange d’influences et de références, c’est avant tout une profonde marque de respect du public, à tous les publics de théâtre », affirmera sans rire, sur le site de France Inter, Julien Baldacchino qui appréciera également l’entrée du rebelle John Cade sur une « chanson aux accents punk », l’ambiance « opéra rock macabre » et les facéties de Bruno Bayeux, le comédien tenant le rôle du maire de Londres, entrant en scène en prévenant le public : « Je suis Bruno, je joue le maire, mais je ne suis pas Bruno Le Maire ! » Les spectateurs repartiront là encore avec une preuve de leur assiduité, un pin’s sur lequel il est écrit cette fois : « J’ai vu Henry VI + Richard III en entier. »

A lire aussi, du même auteur: Le “monde de la culture”, “L’Humanité” et “Rivarol” sont dans un bateau…

Le relativisme généralisé – qui alimente le wokisme déconstructionniste – ne pouvait pas ne pas atteindre ce que certains appellent encore la culture par commodité et en voulant profiter du prestige d’un mot dont ils détournent le sens à leur guise. Thomas Jolly fait partie de cette génération d’artistes qui ne veulent plus hiérarchiser les œuvres. Benjamin Britten ou les Spice Girls, Mozart ou les Daft Punk, Shakespeare ou Britney Spears, pour lui tout est égal, équivalent, tout se vaut et peut se parer d’adjectifs interchangeables et progressistes : populaire, citoyen, ouvert, égalitaire, inclusif ou festif.

Audacieuses et audacieux

Dans La défaite de la pensée (Gallimard), Alain Finkielkraut soulignait cette (im)posture post-moderne et dévastatrice consistant à mettre sur le même plan l’auteur du Roi Lear et un acteur célèbre, un slogan publicitaire et un poème d’Apollinaire, un grand couturier et Michel-Ange, et, « à condition qu’elle porte la signature d’un grand styliste », une paire de bottes et Shakespeare. Dans ce bouleversement des valeurs, le metteur en scène n’est plus au service de Shakespeare – c’est Shakespeare qui devient le faire-valoir du génial metteur en scène. Dans le cas de certaines œuvres anciennes, le texte littéraire – malencontreusement encombré de références historiques incompréhensibles, de mots désuets, de sentiments surannés – peut être un obstacle à la révélation de ce génie, surtout s’il est décidé de faire entrer la performance théâtrale dans le Livre Guinness des records, rubrique « le spectacle le plus long ». Par-delà le texte, des « giclées électro-rock » sortiront alors le spectateur de sa torpeur ; une quincaillerie pyrotechnique et une mise en scène épileptique le tiendront éveillé. Thomas Jolly excellant apparemment dans ce domaine, il n’est pas étonnant qu’il ait été sollicité pour mettre en scène les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux Olympiques de 2024 et tenir en haleine les presque deux milliards de téléspectateurs attendus. « J’aime les grands enjeux, les grands défis ! J’ai cette audace-là ! » dit-il hardiment sur France Inter, face à une Léa Salamé sous le charme. Comme ses congénères du théâtre subventionné – David Bobée, directeur du Théâtre national de Lille, membre fondateur du collectif  “Décoloniser les arts”, ou Olivier Py, antifasciste de théâtre qui envisagea de délocaliser le festival d’Avignon en cas de victoire du RN aux élections municipales – Thomas Jolly chante l’inclusivité sur tous les tons permis par la novlangue du politiquement correct : il espère que « les autrices et les auteurs » qui l’accompagneront sur ce projet et que « celles et ceux » qui y participeront seront aussi enthousiastes que lui pour « délivrer des choses importantes » – au moins aussi importantes que celles issues de Starmania, la comédie musicale qu’il a relancée et qui est, selon lui, « une œuvre qui s’adresse à nous tous et à nous toutes, parce qu’elle est justement le reflet, au-delà de l’actualité, même si elle est très, très fortement impactée par notre actualité – c’est d’ailleurs aussi le côté visionnaire de l’œuvre − c’est quand même au fond une question qui se pose, de qu’est-ce qu’on fait là, à quoi on sert et qu’est-ce qu’on fait dans ce monde qui ne nous ressemble pas ? » Léa Salamé, impressionnée par cette interrogation existentielle et cette syntaxe acrobatique, ouvre des yeux grands comme ça et ajoute son gros grain de sel à cette conversation quasi-métaphysique : « Le texte (de Starmania) est furieusement moderne et il était très avant-gardiste. Il y a beaucoup de résonance avec aujourd’hui. Comment ne pas voir dans le personnage de Zéro Janvier, le magnat de la presse multimillionnaire qui va devenir président de l’Occident, grâce à un programme ultra-sécuritaire, nationaliste et anti-écologique, la figure de Trump par exemple. » Shakespeare peut aller se rhabiller.

A lire aussi, Marie-Hélène Verdier: La Fontaine en fables et en notes

« Je suis frappé par la médiocrité artistique de cette époque », disait récemment Michel Fau dans ces colonnes1 en pointant du doigt le théâtre subventionné et l’hégémonie culturelle de la gauche. Usant des mêmes discours affectés sur l’égalité, l’anti-élitisme et un « théâtre engagé et inclusif », Thomas Jolly peut diriger indifféremment Shakespeare, Starmania ou les Cérémonies des Jeux Olympiques, et déclarer dans L’Express, en massacrant, en plus du reste, la langue française : « Quand on fait du service public, on sert qui, on sert à quoi, on sert quoi ? Moi, j’essaie de servir à cet endroit-là de la société, c’est-à-dire l’inclusivité, réguler l’égalité parce qu’elle n’est pas là sur beaucoup de sujets. » De ce charabia, nous sommes censés retenir essentiellement les syntagmes service public, inclusivité, égalité – c’est-à-dire les nouveaux mantras de la caste culturelle à l’heure du wokisme, mantras qui sont l’antithèse absolue de ce qu’on appelait justement, du temps où elle se prévalait d’un certain élitisme sans se refuser à quiconque faisait un effort pour l’appréhender, l’admirer et en jouir, la culture.

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  1. https://www.causeur.fr/michel-fau-un-grand-artiste-nest-ni-de-droite-ni-de-gauche-265092 ↩︎

Quand les Soulèvements de la Terre disent «cheh» à Gérald Darmanin

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Une militante d'extrème gauche opposée à la dissolution des "Soulèvements de la Terre" et son intelligente pancarte à Paris, 22 juin 2023 © Laurent CARON/ZEPPELIN/SIPA

Le Conseil d’État a annulé la dissolution des Soulèvements de la Terre décidée par notre ministre de l’Intérieur. Un désaveu juridique qui est surtout une victoire pour tous les groupes violents et les partisans de la « désobéissance civile », déplore Elisabeth Lévy.


Gérald Darmanin sait prendre des risques. Il a joué et il a perdu. Le décret de dissolution pris le 21 juin, qui était déjà suspendu en référé, a été finalement annulé jeudi avec un de ces raisonnements bizarres dont la haute juridiction a le secret.

Extraits choisis. Le groupe ne se serait rendu coupable d’« aucune provocation à la violence contre les personnes ». Donc, quand les « Soulèvements de la Terre » diffusent, avec gourmandise, « des images d’affrontements de manifestants avec les forces de l’ordre, ce n’est pas une revendication, une valorisation ou une justification de tels agissements ». Oh non, pas du tout ! C’est pour les dénoncer, peut-être ? On se moque de nous. Traduction : les « Soulèvements de la Terre » ne sont nullement responsables des violences commises dans leurs manifestations, même s’ils les relaient ensuite avec complaisance. Les forces de l’ordre blessées à Sainte-Soline ou ailleurs apprécieront certainement.

Par ailleurs, le Conseil d’État reconnait que les membres de l’association sont bien coupables de provocations à des violences contre les biens. Mais on ne va pas faire une histoire pour ça non plus. Après tout, qu’est-ce que ça peut bien faire ? Tant pis pour les agriculteurs, qu’ils se débrouillent.

A lire ensuite, Martin Pimentel: Une « loi Gayssot » contre les climatosceptiques? Vivement demain!

On n’interdit qu’avec la main qui tremble : on pourrait admettre ce raisonnement libéral s’il n’était pas aussi sélectif. Je ne vois pas en quoi les happenings de Génération Identitaire, groupe dissous qui ne s’était pas non plus rendu coupable de violences, par exemple, menaçaient l’ordre public. Il est donc difficile de ne pas penser que le Conseil d’État fait des choix idéologiques. D’ailleurs, il a récemment découvert les dangers de l’islamisme – ce qui était appréciable – mais il fait preuve d’une curieuse indulgence pour les écolos-dingos.

Gérald Darmanin avait-il pour autant raison de vouloir interdire les « Soulèvements de la Terre » ? Non ! Une cuillère pour papa, une cuillère pour maman, j’interdis à gauche un jour, j’interdis à droite le lendemain ; cela ne fait pas une politique. Et même validées, ces interdictions sont de toute façon assez inutiles, car il s’agit de groupes fluides, numériques, très difficilement contrôlables voire sans existence juridique et qui se reconstituent facilement. En revanche, il serait plus efficace de poursuivre chaque délit et de frapper individuellement et collectivement au portefeuille. Je vous assure qu’ainsi cela les enquiquinerait nettement plus !

À ne pas manquer, l’éditorial d’Elisabeth Lévy: Le crépuscule des jeux

Reste que cet arrêt est une victoire de taille pour les groupes violents, quand ils agissent pour la bonne cause. J’en veux pour preuve le Libération du jour qui écrit : « En rejetant le décret de dissolution, le Conseil d’État acte la légitimité de la désobéissance civile en matière d’environnement »1. Le pire, c’est que c’est vrai : les « Soulèvements de la Terre » triomphent. Curieusement, en arabe. Cheh ! (« bien fait ! ») lancent-ils, sur les réseaux sociaux à Gérald Darmanin. « Cette décision prend acte du rapport de forces que nous avons instauré », affirme leur communiqué. Cette jurisprudence pourra désormais être invoquée par tous les illuminés qui pensent que la fin justifie n’importe quel moyen.

Si Gérald Darmanin veut montrer ses muscles, il devrait peut-être commencer par dissoudre le Conseil d’État – je blague !! N’empêche, il est curieux que nos prétendus Sages choisissent les fauteurs de troubles et les casseurs de flics contre les défenseurs de l’ordre public. Tout de même : ils sont censés être les conseillers du pouvoir. Ils sont surtout les grands artisans de son impuissance.

  1. https://www.liberation.fr/societe/police-justice/soulevements-de-la-terre-le-conseil-detat-annule-le-decret-de-dissolution-20231109_ZOYSNOKE25D5FPWE4Q2SFMNIOU/ ↩︎

La réunion ministérielle de Séville, ou comment repeindre le sabordage de la politique spatiale européenne aux couleurs du succès…

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Ariane 5, Kourou, Guyane française 2016 © Stephane Corvaja/ESA/SIPA

À l’issue de la réunion de Séville des 6 et 7 novembre, la France renonce à son monopole et accepte qu’il y ait des concurrents à Ariane Espace


La réunion ministérielle organisée à Séville les 6 et 7 novembre pour décider du sort de la politique spatiale européenne portait bien mal son nom ! Ni Bruno Le Maire ni Sylvie Retailleau n’ont daigné y assister, ayant délégué pour cette tâche qui nécessitait un engagement majeur de la France le seul président du CNES. Cette absence de l’échelon politique au moment de vérité illustre, mieux que tous les discours, le délitement d’une grande ambition.  

Ariane, 50 ans de succès

Qu’on s’en souvienne : issu d’un accord intergouvernemental qui ne doit rien à l’Union européenne, le programme européen Ariane, lancé en 1973 par Georges Pompidou, avait une feuille de route des plus claire. Il s’agissait de donner à la France et à l’Europe les moyens de mettre en orbite ses satellites sans dépendre des autres puissances spatiales. Le 24 décembre 1979, la fusée Ariane 1 effectuait ainsi son vol inaugural depuis le Centre de Kourou dont la localisation privilégiée à proximité de l’équateur assure une plus grande vitesse au lancement et offre à l’Europe un avantage comparatif considérable.  

Le chemin du succès était tracé. De 1986 à 1996, quatre versions d’Ariane ont été développées par ArianeGroup pour aboutir à la version Ariane 5 qui a conquis la moitié du marché mondial du lancement des satellites de télécommunications en orbite géostationnaire. Pendant cinquante ans, Ariane a été une formidable vitrine du savoir-faire français et européen. Grâce à elle, la France, les Européens et leurs clients du monde entier ont pu contourner « l’amicale pression » de Washington et procéder librement à la mise en orbite de satellites sans devoir s’adresser pour autant à Moscou ou à Pékin. Vecteur fondamental d’indépendance stratégique et politique, Ariane est devenue aussi un outil de construction d’un monde multipolaire.

Ces dix dernières années, la situation a considérablement évolué : après que François Hollande a fait le choix en 2014 de ne pas investir dans le réutilisable et l’amélioration d’Ariane 5, l’Europe a pris du retard, au point de se retrouver aujourd’hui sans Ariane 6 capable de lancer les satellites de la constellation Galileo. Or, c’est à Galileo que revient la mission d’assurer l’indépendance française et européenne vis-à-vis du système américain GPS dont le signal peut être dégradé, voire désactivé à tout moment par décision unilatérale des Etats-Unis. Sur ce sujet central, on attendait de la réunion ministérielle de Séville qu’elle tranche entre deux options : soit s’en remettre à l’américain Space X d’Elon Musk pour lancer quatre satellites sécurisés indispensables aux télécommunications des armées européennes, soit retarder durablement la mise en œuvre de Galileo jusqu’à ce qu’Ariane 6 soit prête, possiblement à partir du printemps 2024. Par un curieux retournement de l’histoire, c’est Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, qui a officialisé le choix de recourir pour 180 millions d’euros aux services d’Elon Musk et de Space X pour le lancement de quatre satellites du système Galileo. À ce stade de l’échec européen, une ambiguïté, et non des moindres, demeure encore à lever : le choix américain étant fait et assumé, son caractère transitoire jusqu’à l’opérationnalisation d’Ariane 6 a-t-il au moins été entériné ?

Un accord de dupes au détriment des Français ?

Derrière les rideaux de fumée de l’autosatisfaction, les résultats de Séville ne manquent pas en réalité d’interroger. Qu’en est-il de la pérennité de la préférence européenne incarnée depuis 1973 par Ariane et plus largement de la pérennité de l’aventure spatiale européenne en tant que telle ? L’accord du 7 novembre confirme bien le principe d’une nouvelle tranche de financement public pour Ariane 6, jusqu’à 340 millions d’euros annuels et ce jusqu’au 42ème tir prévu en 2029. Cependant, la moitié de ce coût sera supportée par la France, alors même que les incertitudes techniques continuent de planer sur l’opérationnalisation du porteur. En contrepartie de cette « victoire française », l’ouverture à la concurrence dès 2025 pour les petits lanceurs et à partir de 2028 pour le marché des gros lanceurs amène à poser clairement l’hypothèse, hélas vraisemblable, d’un accord de dupes. La France a donc été autorisée à s’acquitter de 125 millions d’euros par an pour un projet dont nul ne sait s’il parviendra à assurer dans les temps la feuille de route qui lui est assignée, obérant au passage ses capacités de financement sur le segment prometteur des petits lanceurs comme Maïa. Si ArianeGroup est sauvé à court terme, il se retrouve avec un horizon de quelques courtes années, incapable de se passer de financement public et sans perspective quant à sa sortie du tunnel. L’ouverture à la concurrence rendra automatiquement caduque la direction des lanceurs du CNES et son équivalent de l’ESA, au bénéfice des intérêts allemands et italiens. Quant à la possibilité d’accroître le niveau pourtant fort limité de retombées économiques et industrielles du spatial pour la Guyane, région ultrapériphérique de l’Union européenne, cette question n’a pas fait l’objet de la moindre décision. Le reste, comme le chantait Dalida, n’est que paroles… Ainsi, la mise sous les projecteurs d’un projet de vaisseau de transport spatial nécessite des moyens qui font aujourd’hui défaut et qui renvoient cette conclusion de Séville à un Happy End irénique permettant au vaincu d’arborer un sourire de commande.  

En vérité, payant le prix fort de ses choix erronés d’une décennie avec une dépendance cruelle à l’égard de l’Amérique en matière de lanceurs lourds, aveuglée par l’incantation d’un « couple franco-allemand » qui n’existe que dans ses rêves, comme la rupture brutale par Angela Merkel de l’accord spatial de Schwerin en a administré la preuve en 2017, aimantée par la conviction que le marché constitue la planche de salut de la politique spatiale et la voie naturelle de consolidation de la Startup nation, la France d’Emmanuel Macron aura signé sous le soleil andalou l’acte de décès programmé d’une ambition nationale et continentale. « Rien n’est plus vivant qu’un souvenir » écrivait déjà Federico Garcia Lorca…

Ce qu’a vraiment dit Nasrallah: les Israéliens ont massacré les Israéliens!

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Des Irakiens suivent une retransmission du discours de Hassan Nasrallah, 3 novembre 2023, Basra © Nabil al-Jurani/AP/SIPA

Faire le tri dans les propos de Hassan Nasrallah est une manière de lui donner un vernis d’intelligence supérieure, sans remarquer que les contre-vérités qu’il assène polluent encore davantage et efficacement les esprits arabophones. Alors, oui : voyons tout ce qu’a vraiment dit le chef du Hezbollah.


Son Éminence, comme l’appellent ses partisans, est une figure absolutiste qui n’a son pareil qu’en Iran en la personne du Guide Suprême. Secrétaire général du Hezbollah, « Seigneur de guerre » et chef de fait d’un groupe parlementaire libanais, il a acquis un ample auditoire dans le monde musulman, chiite comme sunnite, vers lequel il distille des messages de mort envers les Juifs. Le 3 novembre, il a livré au monde son explication de l’opération « Déluge d’Al Aqsa » du 7 octobre, durant une heure et 20 minutes[1]. Le Moyen-Orient était pendu à ses lèvres. Les Occidentaux ont également écouté, non sans inquiétude.

Certains aspects de son discours, restés généralement sans commentaire dans la presse, nous éclairent sur sa pensée. Ils témoignent de la notion d’« ambiguïté stratégique », où l’on n’annonce jamais clairement l’ensemble de ses plans. Cette guerre contre l’entité sioniste se gagnerait en marquant suffisamment de points, donc nul besoin de faire face à toute la puissance de l’ennemi en un seul coup, dit-il. La marine américaine ne lui fait pas peur non plus, car il a les moyens de la détruire – un bluff assez creux. Enfin, il se surpasse lorsqu’il estime que les Juifs sont des colonisateurs venus des diasporas, mais dont AUCUN ne mourrait jamais pour sa patrie.

Ainsi ses inanités sur les Israéliens montrent si besoin était que Nasrallah dirige une vaste secte dont les analyses perdent en pertinence et en efficacité à mesure que l’idéologie théocratique domine. Il ne sait visiblement pas comment pensent les Israéliens ni les Américains, mais prétend crânement les décrypter avec aisance.

Une faille dans l’analyse occidentale

Il s’est surpassé cependant, ce 3 novembre, lorsqu’il a proclamé que les actes barbares commis contre les Israéliens autour de Gaza étaient commis par nul autre que l’armée israélienne elle-même ! Traduisons mot à mot, depuis l’anglais, vers la 27e minute de son discours, selon la traduction directe de la chaîne Al Jazeera:

« Comment l’ennemi a-t-il réagi à l’Opération Déluge d’Al Aqsa ? Dès les premières minutes, l’ennemi était visiblement perdu, égaré. Vous savez, c’est le jour du sabbath et donc le moment idéal choisi par les commandants d’Al-Kassam (la force armée du Hamas). Il paraît qu’ils (les Israéliens) ont passé une longue nuit de beuveries, non seulement dans l’enveloppe de Gaza mais également à Tel Aviv et Jérusalem. Il leur a fallu des heures pour émerger, et ils sont sortis dans un état d’hystérie, de rage, de façon folle. C’est ainsi que lorsqu’ils ont repris la colonie dans l’enveloppe de Gaza, c’est eux qui ont commis des massacres dans les colonies israéliennes, et non le Hamas. Et maintenant nous parviennent des rapports et enquêtes qui permettent de prouver que ce sont les Israéliens qui ont commis les tueries parmi les colons. Dans un futur proche, lorsque le brouillard se sera dissipé, le monde entier apprendra que toutes les personnes tuées dans l’enveloppe de Gaza ont trouvé la mort aux mains de l’armée israélienne agissant de manière insensée. »

A ne pas manquer, notre numéro spécial: Causeur: Octobre noir. Du Hamas à Arras, l’internationale de la barbarie

Dans la quasi-totalité de la presse internationale, et des agences de presse, nulle part ce passage n’est relevé. Ni d’ailleurs l’autre passage sur les Juifs, qui « jamais ne se sacrifient pour leur pays – en connaissez-vous un seul ? Non, aucun, pas un seul. »

Et voici une faille dans l’analyse occidentale. Les chercheurs et commentateurs ignorent généralement ces phrases idéologiques prononcées par des chefs de parti et de milices meurtrières. Ces mots seraient trop insignifiants pour des analystes sérieux, estime-t-on dédaigneusement. Toujours selon les analystes occidentaux, ce genre de déclaration n’est pas le vrai message, ce n’est pas ce qui nous intéresse, c’est du bla-bla servant à impressionner les sympathisants fanatisés. Voilà comment l’on se dispense de soupeser ces paroles. Or l’on oublierait que ces leaders d’opinion influencent des millions de gens. Peut-on prétendre que Hassan Nasrallah est un fin stratège et brillant analyste, tout en le dédouanant du poids de ces contre-vérités flagrantes et crues ? Je rencontre souvent  des personnes de bonne volonté, Arabes pour une grande part mais sans exclusive, qui pensent que les militaires israéliens ont tué leurs compatriotes, ne serait-ce qu’accidentellement, et que l’accident vient de la négligence quasi délibérée de l’establishment israélien.

Les plans fous du « Seigneur de guerre »

Si l’on considère que Nasrallah est brillant, alors notons TOUT ce qu’il a dit. Il ne veut pas charger frontalement contre Israël, car il agit dans une guerre qui se joue aux points, dit-il. En accréditant la thèse des militaires israéliens ivres de sang et d’humiliation, venus déverser leur rage sur les habitants qui ne se seraient pas assez défendus, Nasrallah marque des points dans les esprits arabes, du moins doit-on le supposer.  Pour les Occidentaux, il y a toujours la possibilité de marquer des points en sens inverse, mais l’envie n’est pas très forte à l’Ouest. Nasrallah s’ingénie à la destruction de la notion même de terrorisme, en estimant que c’est uniquement l’État néocolonial israélien ou américain qui font cela et par conséquent aucun groupe révolutionnaire ne saurait être accusé de barbarie, c’est l’orgueilleuse mais lâche armée israélienne qui tue de manière indiscriminée, Palestiniens comme Juifs d’Israël. Ces propos méritent aussi d’être jetés dans la balance. Car son Éminence esquisse le portrait de Juifs comme êtres quasi-cannibales et lâches, actionnés par les États-Unis.

Les absurdités de son raisonnement sont claires : les États-Unis contrôlent Israël, mais le Hamas militaire (terroriste) agit à l’insu du Hamas politique, du Hezbollah, du régime iranien… Le Hamas ne tue aucun bébé et ne commet aucun acte barbare, Israël tue à Gaza mais supplicie également les Juifs autour de Gaza…

Songeons à ce qu’affirment de nombreux analystes spécialisés dans le totalitarisme ou les dictateurs : ces autocrates disent ce qu’ils vont faire et ils le font. Admirable ! devrait-on dire. Mais alors Nasrallah a plusieurs fois espéré tuer tous les Juifs en Israël, tous les Juifs dans le monde, et souhaité que tous les Juifs puissent faire leur alya afin qu’ils puissent être tués en un seul endroit. Pour ceux qui admirent la clarté des dictateurs, le discours du 3 novembre signifiait bien davantage qu’un simple report de l’intervention du Hezbollah dans la guerre actuelle. C’est un plan d’extermination, livré en épisodes. Nasrallah parlera le 11 novembre, la journée des martyrs, mais sauf surprise, l’essentiel a déjà été dit dans cette phase de la guerre.


[1] https://www.causeur.fr/aux-palestiniens-de-bons-baisers-de-beyrouth-269102

Marche contre l’antisémitisme: ira, ira pas?

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© Lafargue/POOL/SIPA

Et à quand une « grande marche civique » contre l’islamisme ? se demande notre chroniqueur


Debout la France

Le monde politique assoupi a-t-il enfin mesuré le danger représenté par l’islam conquérant ? Un manque de courage empêche encore de désigner clairement l’ennemi. Certes, il faut saluer l’initiative de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et du président du Sénat, Gérard Larcher, d’une « grande marche civique », dimanche, « contre l’antisémitisme ». Les deux représentants du parlement expliquent leur démarche ce mercredi dans Le Figaro[1] : ils évoquent « la République en danger » depuis « l’attaque terroriste » du Hamas contre Israël le 7 octobre, qui a suscité en France une multiplication d’actes anti-juifs (plus d’un millier en un mois, soit deux fois plus que durant l’année 2022). Il faut cependant attendre le quatrième paragraphe du texte commun pour lire : « Notre laïcité doit être protégée, elle est un rempart contre l’islamisme ». Est-il si compliqué de parler plus directement de « terrorisme islamiste » ? Est-il si dangereux d’appeler à une marche des citoyens en nommant explicitement « les porteurs de haine »? Cela fait quarante ans que la République bonne fille est tétanisée à l’idée d’être accusée d’islamophobie ou de racisme dans la dénonciation des dérives totalitaires de l’islam politique.

A lire aussi: De Faurisson à Mélenchon, la vérité si je mens!

Les présidents de l’Assemblée et du Sénat assurent que les parlementaires « ne peuvent se taire » et « doivent résister » : se réjouir de cet engagement. Reste que ce monde politique, qui s’affole des désastres créés par son endormissement, se garde de reconnaître ses graves responsabilités dans l’incrustation d’une judéophobie portée par une immigration musulmane sacralisée par la droite et la gauche.

Jean-Marie Le Pen avait son « détail », Mélenchon a son « prétexte » 

La participation annoncée du Rassemblement national à cette marche citoyenne – « une première », comme l’a rappelé Louis Aliot (RN) mercredi sur Europe 1 – est une autre manière de faire comprendre qui sont les amis d’Israël et des Juifs et qui sont, par leur absence déjà revendiquée, les collaborateurs de la cause islamiste. La nouvelle photographie politique se lira au vide laissé par ceux qui auront choisi, par électoralisme diversitaire, de soutenir fanatiquement la cause palestinienne déshonorée par l’indicible barbarie djihadiste du Hamas. Jean-Luc Mélenchon, non content d’avoir fait sanctionner pour insoumission la députée (LFI) Raquel Garrido[2] comme aux plus belles heures du stalinisme, a ainsi justifié par tweet sa rupture : « Dimanche, manif de « l’arc républicain » du RN à la macronie de Braun-Pivet. Et sous prétexte d’antisémitisme, ramène Israël-Palestine sans demande de cessez-le-feu. Les amis du soutien inconditionnel au massacre ont leur rendez-vous ». Jean-Marie Le Pen avait son « détail », Mélenchon a son « prétexte » : de mêmes signaux qui entretiennent l’antisémitisme d’atmosphère constitué désormais, presque exclusivement, par la haine anti-juive de la culture islamique. Ceux du chœur des effarés qui ont  accusé les « populistes » d’antisémitisme ont en réalité craché sur des lanceurs d’alerte. Honte à eux.


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/politique/l-appel-de-gerard-larcher-et-yael-braun-pivet-pour-la-republique-et-contre-l-antisemitisme-marchons-20231107

[2] https://www.causeur.fr/raquel-garrido-sanction-lfi-jean-luc-melenchon-269321

Face au retour de l’obscurantisme et de la soumission des hommes, refuser l’arbitraire

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La journaliste Céline Pina © Bernard Martinez

Le livre d’Aurélien Marq nous apporte des clés philosophiques pour penser le choc de civilisations que beaucoup redoutent.


Quand j’ai reçu les épreuves du livre d’Aurélien Marq pour en écrire la préface, je visitais les plages du débarquement de Normandie avec mes enfants. Aujourd’hui que je dois en faire la recension, nous sommes après une tragédie atroce, celle du 7 octobre, où des islamistes ont montré très concrètement que les nazis avaient des héritiers et successeurs et que les horreurs antisémites recommençaient.

Dans les allées du cimetière de Colleville-sur-Mer, j’ai expliqué à mes enfants que l’on voyait bien, dans la jeunesse de ces vies fauchées, dans leur nombre, le prix que coûtent la lâcheté et le déshonneur. Mais cet été encore, je pensais qu’eux n’auraient pas à payer de prix. La faiblesse face à l’Allemagne nazie a détruit des vies par dizaine de millions. Mais cet été encore, je pouvais encore dire que ces morts n’avaient pas été vaines et qu’elles nous avaient légué une conscience humaniste plus forte, que face à l’horreur des camps, s’était élevé un « plus jamais ça » qu’il nous appartenait de rendre réel.

Nouvelle menace

Aujourd’hui je sais que nous avons échoué. L’antisémitisme est de retour. Et si la plupart d’entre nous rejettent le terme de guerre de civilisation face au chaos qui semble gagner ce monde, c’est parce que l’on pense être du côté des perdants. Aurélien Marq, lui, assume le fait que nous assistions à la montée des lignes de fractures qui montrent que deux visions du monde et de l’homme s’affrontent. Celle, universaliste et humaniste, qui a donné naissance à la démocratie et qui mise sur le libre arbitre, la raison et le logos et celle autoritariste qui vise à soumettre l’homme et à le dépouiller de toute autonomie pour en faire la simple partie interchangeable d’un Tout. C’est exactement ce que refuse Aurélien Marq. À travers Refuser l’arbitraire, c’est une voie vers l’avenir qu’il propose, une voie qui parle de la noblesse du courage et de la nécessité de la lutte, une voie qui rappelle que nous avons dans notre culture des ressources qui nous arment contre le retour de l’obscurantisme et de la soumission des hommes.

A lire aussi, du même auteur: Le Hamas, fossoyeur de la Nupes?

Il nous dit aussi autre chose : combattre, comme l’ont fait ces soldats, ces héros de la seconde guerre mondiale, c’est être prêt à mourir certes, mais c’est aussi être prêt à tuer. Le sacrifice est une dimension du combat, mais on ne se bat pas pour se sacrifier. Il reste une question lancinante : pour quoi serais-je prête à me battre mais aussi pour quoi serais-je prête à ce que mes enfants risquent leur vie ? Pour quoi serais-je prête à ce que mes enfants tuent ? Que penserais-je, que ressentirais-je, si aujourd’hui mes enfants portaient l’uniforme de Tsahal et partaient combattre, c’est-à-dire tuer et peut-être mourir, pour empêcher que se reproduise le déchaînement de sadisme auquel s’est livré le Hamas le 7 octobre ? Je déteste devoir me poser ces questions. Je les fuis. Je vomis le monde qui m’oblige à me les poser et les politiques qui nous ont mis dans cette situation. Il n’en reste pas moins que ces questions sont là. Tenaces, insistantes, réelles. Que derrière ces questions encore abstraites, il y a à Israël et à Gaza des morts, elles, bien réelles. Dans ce livre, Aurélien Marq montre que l’évolution de nos sociétés rend ces questions urgentes. Et l’actualité ne lui donne par tort, hélas. Il propose donc des pistes pour y répondre, pour regarder en face les réalités les plus dures sans perdre ni courage ni espoir.

Un appel à défendre notre civilisation

Et pour y arriver, le livre passe par une forme de méditation philosophique qui convoque Socrate, Mencius en passant par Arnaud Beltrame. Des premiers chants d’Homère au wokisme, les références sont multiples, à la fois classiques et actuelles. Réflexion sur la dignité humaine face au consumérisme, sur la beauté face aux évolutions de l’art post-moderne, sur la vérité et le débat intellectuel face à la tentation de la censure, sur la cohésion nationale face à une délinquance de plus en plus violente, le livre ne pose pas le simple constat de notre décadence, c’est surtout un recueil de propositions concrètes pour réformer l’Etat et pour agir en tant que citoyens.

Déclaration d’amour à la civilisation européenne et à sa décence commune, aux hommes et aux femmes qui l’ont faite, des plus célèbres aux plus humbles, ce livre est un appel à défendre cette civilisation. Pas seulement parce qu’elle est la nôtre, mais parce qu’elle a apporté au monde des choses uniques et précieuses, au premier rang desquelles la liberté de conscience, l’abolition de l’esclavage, le raisonnement scientifique, l’égalité en droit… Parce que malgré ses erreurs et ses fautes, cette civilisation à la fois gréco-romaine et judéo-chrétienne cherche à trouver un moyen de faire grandir les hommes, de les gouverner et de forger le lien citoyen à travers la quête du Juste, du Vrai, du Beau et du Bien. Elle a encore beaucoup à offrir au monde, aux hommes et à chacun d’entre nous.

Le 7 octobre nous a fait basculer dans un monde nouveau. La barbarie est là, elle s’est déchainée en Israël. Elle monte en Europe et se traduit par l’explosion des crimes antisémites et les menaces qui pèsent sur notre quotidien. Dans ce clair-obscur où naissent les monstres et où se fabriquent les narratifs qui les revêtent de peaux de moutons, le livre d’Aurélien Marq m’apparaît encore plus pertinent que lorsque je l’ai découvert. Refuser l’arbitraire nous oblige à nous poser des questions essentielles et appuie là où cela fait mal – tout en nous rappelant qu’il n’y a pas de fatalité au déclin, et que nous sommes riches d’une immense tradition dans laquelle nous pouvons puiser de quoi nous réarmer moralement et intellectuellement.

« Refuser l’arbitraire: Qu’avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ? », Aurélien Marq, FYP éditions, 348 pages.

Allocations pour les étrangers: cet amendement voté passé inaperçu

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Bruno Retailleau (LR) au Sénat lors des débats sur la loi immigration, Paris, 6 novembre 2023 © Jacques Witt/SIPA

Les temps changent et le diable a changé de camp. Mardi soir, lors de l’examen du projet de loi immigration, le Sénat a fait passer un amendement visant à conditionner les allocations familiales à cinq ans de résidence sur le territoire – contre six mois actuellement. La sénatrice socialiste, Laurence Rossignol, a accusé la majorité sénatoriale d’organiser « la pauvreté des enfants ».


Les allocations pour les étrangers : voilà un sujet qui divise depuis fort longtemps.

Mardi soir, au Sénat, entre la poire de l’AME et le fromage de l’article 3 – dont tout le monde a abondamment parlé – un amendement des LR est finalement passé assez inaperçu. Pendant que les chefs de LR négociaient la suppression du nouveau titre de séjour pour les métiers en tension, la sénatrice du Val-d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio défendait de son côté un amendement très restrictif.

Il concerne les prestations non contributives, c’est-à-dire les allocations ne correspondant pas à une cotisation : allocations familiales, APL etc.

Pour les percevoir, un étranger en situation régulière devra justifier de cinq ans de résidence – ce qu’on appelle un « délai de franchise » pour bénéficier de la solidarité nationale…

Darmanin d’accord

En mission-séduction des LR pour éviter le 49-3 sur sa loi, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin délivre alors un « avis de sagesse », ce qui signifie qu’il ne s’y oppose pas – sauf pour l’allocation handicapé. Bel exercice de « en même temps » pour le ministre. Au Sénat, j’embrasse ma droite, à l’Assemblée nationale, je courtise ma gauche…

A lire aussi, Aurélien Marq: Un ministre de l’Intérieur bien vantard…

L’amendement est finalement adopté. Et sur X, on observe beaucoup de commentaires approbateurs des citoyens, même si les internautes savent bien que la mesure ne passera pas le barrage de la gauche macroniste à l’Assemblée. Les sénateurs LR et le ministre le savent aussi, il y a donc dans cette affaire beaucoup de Comedia dell Arte.

Sur le fond, est-ce une bonne mesure ?

Si maîtriser nos frontières semble de plus en plus chimérique dans le cadre des traités européens, rendre la France moins attractive reste la seule solution pour endiguer concrètement les flux. La France peut jouer sur les pompes aspirantes, ces dispositifs qui poussent des gens à venir dans notre pays.

D’ailleurs, la preuve que c’est une bonne mesure, c’est que le braillomètre des immigrationnistes s’emballe ! On organise la pauvreté des enfants, on s’en prend à des malheureuses familles, a-t-on entendu. Autrement dit, pour tout ce petit monde, il serait bien légitime de faire venir en France des familles dont la survie dépend de l’argent public ! Sauf que la majorité des électeurs, même à gauche, ne veut désormais plus accueillir des gens qui ne travaillent pas ou peu, et qui, de plus, parfois, détestent la France.

Si cet amendement ne sera pas retenu dans la future loi, cet épisode est révélateur : les temps changent. Il y a 30 ans, quand le Front national proposait ce genre de mesures, rappelez-vous le haut-le-cœur général. À l’époque, Laurent Fabius avançait que le FN posait de bonnes questions auxquelles il apportait de mauvaises réponses. Et dans la foulée, la gauche morale avait interdit toute question sur l’immigration. En 2007 encore, l’affaire des tests ADN pour contrôler l’identité des migrants enflammait Saint-Germain-des-Prés, et Sarkozy reculait. Aujourd’hui, il y a un grand changement et un consensus sur l’objectif : tout le monde souhaite une réduction drastique de l’immigration et la maîtrise des flux. Même Guillaume Meurice n’oserait plus parler de « chances-pour-la-France », enfin, peut-être.

Bien sûr, une grande partie de la classe politique continue à se signer sur l’extrême droite. Y compris Madame Borne. N’empêche. L’amendement qui aurait autrefois été qualifié de scélérat n’a pas fait la une des médias. Et malgré le concours de mines outragées sur le thème « défiler avec Le Pen jamais », Marine Le Pen marchera vraisemblablement dimanche contre l’antisémitisme. Les électeurs ont tranché. Comme le dit mon camarade de Causeur Jean-Baptiste Roques: le RN fait partie du camp républicain. Le diable a changé de camp. Désormais, il s’habille en rouge.

Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio.

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