Accueil Édition Abonné Ce qu’a vraiment dit Nasrallah: les Israéliens ont massacré les Israéliens!

Ce qu’a vraiment dit Nasrallah: les Israéliens ont massacré les Israéliens!

L’analyse géopolitique de Harold Hyman


Ce qu’a vraiment dit Nasrallah: les Israéliens ont massacré les Israéliens!
Des Irakiens suivent une retransmission du discours de Hassan Nasrallah, 3 novembre 2023, Basra © Nabil al-Jurani/AP/SIPA

Faire le tri dans les propos de Hassan Nasrallah est une manière de lui donner un vernis d’intelligence supérieure, sans remarquer que les contre-vérités qu’il assène polluent encore davantage et efficacement les esprits arabophones. Alors, oui : voyons tout ce qu’a vraiment dit le chef du Hezbollah.


Son Éminence, comme l’appellent ses partisans, est une figure absolutiste qui n’a son pareil qu’en Iran en la personne du Guide Suprême. Secrétaire général du Hezbollah, « Seigneur de guerre » et chef de fait d’un groupe parlementaire libanais, il a acquis un ample auditoire dans le monde musulman, chiite comme sunnite, vers lequel il distille des messages de mort envers les Juifs. Le 3 novembre, il a livré au monde son explication de l’opération « Déluge d’Al Aqsa » du 7 octobre, durant une heure et 20 minutes[1]. Le Moyen-Orient était pendu à ses lèvres. Les Occidentaux ont également écouté, non sans inquiétude.

Certains aspects de son discours, restés généralement sans commentaire dans la presse, nous éclairent sur sa pensée. Ils témoignent de la notion d’« ambiguïté stratégique », où l’on n’annonce jamais clairement l’ensemble de ses plans. Cette guerre contre l’entité sioniste se gagnerait en marquant suffisamment de points, donc nul besoin de faire face à toute la puissance de l’ennemi en un seul coup, dit-il. La marine américaine ne lui fait pas peur non plus, car il a les moyens de la détruire – un bluff assez creux. Enfin, il se surpasse lorsqu’il estime que les Juifs sont des colonisateurs venus des diasporas, mais dont AUCUN ne mourrait jamais pour sa patrie.

Ainsi ses inanités sur les Israéliens montrent si besoin était que Nasrallah dirige une vaste secte dont les analyses perdent en pertinence et en efficacité à mesure que l’idéologie théocratique domine. Il ne sait visiblement pas comment pensent les Israéliens ni les Américains, mais prétend crânement les décrypter avec aisance.

Une faille dans l’analyse occidentale

Il s’est surpassé cependant, ce 3 novembre, lorsqu’il a proclamé que les actes barbares commis contre les Israéliens autour de Gaza étaient commis par nul autre que l’armée israélienne elle-même ! Traduisons mot à mot, depuis l’anglais, vers la 27e minute de son discours, selon la traduction directe de la chaîne Al Jazeera:

« Comment l’ennemi a-t-il réagi à l’Opération Déluge d’Al Aqsa ? Dès les premières minutes, l’ennemi était visiblement perdu, égaré. Vous savez, c’est le jour du sabbath et donc le moment idéal choisi par les commandants d’Al-Kassam (la force armée du Hamas). Il paraît qu’ils (les Israéliens) ont passé une longue nuit de beuveries, non seulement dans l’enveloppe de Gaza mais également à Tel Aviv et Jérusalem. Il leur a fallu des heures pour émerger, et ils sont sortis dans un état d’hystérie, de rage, de façon folle. C’est ainsi que lorsqu’ils ont repris la colonie dans l’enveloppe de Gaza, c’est eux qui ont commis des massacres dans les colonies israéliennes, et non le Hamas. Et maintenant nous parviennent des rapports et enquêtes qui permettent de prouver que ce sont les Israéliens qui ont commis les tueries parmi les colons. Dans un futur proche, lorsque le brouillard se sera dissipé, le monde entier apprendra que toutes les personnes tuées dans l’enveloppe de Gaza ont trouvé la mort aux mains de l’armée israélienne agissant de manière insensée. »

A ne pas manquer, notre numéro spécial: Causeur: Octobre noir. Du Hamas à Arras, l’internationale de la barbarie

Dans la quasi-totalité de la presse internationale, et des agences de presse, nulle part ce passage n’est relevé. Ni d’ailleurs l’autre passage sur les Juifs, qui « jamais ne se sacrifient pour leur pays – en connaissez-vous un seul ? Non, aucun, pas un seul. »

Et voici une faille dans l’analyse occidentale. Les chercheurs et commentateurs ignorent généralement ces phrases idéologiques prononcées par des chefs de parti et de milices meurtrières. Ces mots seraient trop insignifiants pour des analystes sérieux, estime-t-on dédaigneusement. Toujours selon les analystes occidentaux, ce genre de déclaration n’est pas le vrai message, ce n’est pas ce qui nous intéresse, c’est du bla-bla servant à impressionner les sympathisants fanatisés. Voilà comment l’on se dispense de soupeser ces paroles. Or l’on oublierait que ces leaders d’opinion influencent des millions de gens. Peut-on prétendre que Hassan Nasrallah est un fin stratège et brillant analyste, tout en le dédouanant du poids de ces contre-vérités flagrantes et crues ? Je rencontre souvent  des personnes de bonne volonté, Arabes pour une grande part mais sans exclusive, qui pensent que les militaires israéliens ont tué leurs compatriotes, ne serait-ce qu’accidentellement, et que l’accident vient de la négligence quasi délibérée de l’establishment israélien.

Les plans fous du « Seigneur de guerre »

Si l’on considère que Nasrallah est brillant, alors notons TOUT ce qu’il a dit. Il ne veut pas charger frontalement contre Israël, car il agit dans une guerre qui se joue aux points, dit-il. En accréditant la thèse des militaires israéliens ivres de sang et d’humiliation, venus déverser leur rage sur les habitants qui ne se seraient pas assez défendus, Nasrallah marque des points dans les esprits arabes, du moins doit-on le supposer.  Pour les Occidentaux, il y a toujours la possibilité de marquer des points en sens inverse, mais l’envie n’est pas très forte à l’Ouest. Nasrallah s’ingénie à la destruction de la notion même de terrorisme, en estimant que c’est uniquement l’État néocolonial israélien ou américain qui font cela et par conséquent aucun groupe révolutionnaire ne saurait être accusé de barbarie, c’est l’orgueilleuse mais lâche armée israélienne qui tue de manière indiscriminée, Palestiniens comme Juifs d’Israël. Ces propos méritent aussi d’être jetés dans la balance. Car son Éminence esquisse le portrait de Juifs comme êtres quasi-cannibales et lâches, actionnés par les États-Unis.

Les absurdités de son raisonnement sont claires : les États-Unis contrôlent Israël, mais le Hamas militaire (terroriste) agit à l’insu du Hamas politique, du Hezbollah, du régime iranien… Le Hamas ne tue aucun bébé et ne commet aucun acte barbare, Israël tue à Gaza mais supplicie également les Juifs autour de Gaza…

Songeons à ce qu’affirment de nombreux analystes spécialisés dans le totalitarisme ou les dictateurs : ces autocrates disent ce qu’ils vont faire et ils le font. Admirable ! devrait-on dire. Mais alors Nasrallah a plusieurs fois espéré tuer tous les Juifs en Israël, tous les Juifs dans le monde, et souhaité que tous les Juifs puissent faire leur alya afin qu’ils puissent être tués en un seul endroit. Pour ceux qui admirent la clarté des dictateurs, le discours du 3 novembre signifiait bien davantage qu’un simple report de l’intervention du Hezbollah dans la guerre actuelle. C’est un plan d’extermination, livré en épisodes. Nasrallah parlera le 11 novembre, la journée des martyrs, mais sauf surprise, l’essentiel a déjà été dit dans cette phase de la guerre.


[1] https://www.causeur.fr/aux-palestiniens-de-bons-baisers-de-beyrouth-269102




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Harold Hyman est franco-américain, élevé à New York, ancien du « Lycée » français de New York, diplômé de Columbia University et l’Université de Montréal. Il s’installe définitivement à Paris en 1988. Journaliste à Reader’s Digest, puis RFI, Radio Classique, BFMTV, actuellement CNEWS. Il a couvert l’Extrême-Orient, les États-Unis et le Moyen-Orient. Auteur de Géopolitiquement correct & incorrect (éditions Tallandier, 2014) puis de États-Unis: Tribus américaines (éditions Nevicata).

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