Et si ne pas avoir maintenu Attal à l’Education se révélait une erreur historique dont le président Macron allait se mordre les doigts?
Pour un chef d’État, les opportunités d’entrer pour de bon dans l’Histoire ne sont pas forcément très fréquentes. Aussi, lorsqu’il s’en présente une convient-il de ne pas rater la marche. La marche qui ouvre la voie vers les sommets, vers la vraie grandeur que les peuples sont tout disposés à reconnaître à ceux qui, à tel moment fatidique, ont su saisir la gravité des enjeux et s’affirmer en véritable homme d’État. C’est-à-dire en chef capable d’oublier l’instant pour penser Histoire, capable d’oublier la politique, la politicaillerie, pour penser destin, penser nation et voir loin, bien au-delà en tout cas des échéances électorales et des plans de carrière des uns et des autres.
Cette marche-là, le président de la République vient de la rater magistralement. Obsédé par une chasse au Bardella qui risque fort de se muer en chasse au dahu, et donc de ne rien donner (surtout si, comme cela se colporte, on bombarde en tête de liste le héros au masque de Super-Menteur des joyeusetés Covid), il a promu le bon élève Attal général-en-chef de cette traque avec mission d’y aller sabre au clair et panache au vent.
Dont acte. Sauf que le promu chef des armées occupait depuis l’été un poste également stratégique et surtout d’une tout autre importance. Il avait en main le ministère de l’Éducation nationale, là où se décide et s’oriente la formation de la jeunesse, là où se joue le niveau d’instruction des générations à venir. Non seulement le niveau d’instruction, mais, conséquemment, le niveau d’intégration, ce qui n’est pas rien. Le lieu de « la mère de toutes les batailles » de l’aveu même des premiers intéressés, président et gouvernement.
S’il y a consensus dans le pays, c’est bien là qu’il se niche : dans la prise de conscience que tout est à refaire dans ce domaine, que ce chantier-là est essentiel, vital, les choses s’étant à ce point dégradées depuis quatre ou cinq décennies qu’on peut craindre de voir sous peu le mammouth sombrer dans un coma dépassé. Il y aurait donc urgence.
Or, M. Attal avait plutôt bien réussi sa rentrée scolaire. Il disait les choses, nommait les problèmes, annonçait des décisions, cela avec une autorité de ton rassurante. Le milieu semblait l’accepter. Point de menace de grève massive à l’horizon, une rareté qui probablement vaut en soi adoubement. Bref, il pouvait paraître être l’homme de la situation. Les sondages, les enquêtes d’opinion, les baromètres de popularité – toutes évaluations qui ne valent ce qu’elles valent, bien sûr, mais tout de même…- ne traduisaient pas autre chose.
Et c’est bien là que le président aurait pu – aurait dû – voir s’ouvrir devant lui l’opportunité de s’imposer dans l’histoire, sentir qu’il tenait l’occasion d’inscrire dans le marbre de la postérité la trace de ses années jupitériennes.
Puisque, lors du premier conseil des ministres, qui s’est tenu autour d’une table en réduction – obsession du symbole à deux balles quand tu nous tiens ! – il jugea opportun d’inviter son équipe à se montrer révolutionnaire, que ne s’y est-il invité lui-même ?
Se montrer révolutionnaire en l’occurrence, c’était affirmer dans les actes, et pas seulement dans le verbe, l’absolue suprématie du chantier Éducation nationale. C’était venir devant le pays et déclarer solennellement que, pour le reste de son quinquennat, il prenait la décision proprement « révolutionnaire » de sanctuariser – oui, sanctuariser ! – le ministère de l’Éducation, cela en commençant par y maintenir à sa tête, pour ce (relatif) long temps, l’homme de débuts si prometteurs. Le rendre intouchable, lui offrir la sérénité et la sécurité indispensables pour conduire une si noble et si difficile tâche. C’était en quelque sorte faire le choix de « laisser le temps au temps », comme il est dit dans Don Quichotte.
Le nouveau cap – ou plutôt le cap après quoi le président court depuis le premier jour – se trouvait ainsi clairement tracé, affirmé. Enfin ! Jules Ferry, Charles Péguy et tant d’autres y auraient applaudi de grand cœur, c’est certain. Le pays aussi, ce n’est pas douteux. Enfin une vision ! Enfin quelque chose de grand ! Enfin quelque chose pour demain, enfin quelque chose pour le pays, la nation ! Quand Colbert faisait planter des forêts de chênes destinés aux charpentes et à la marine, il voyait à cent ans. On n’en demande pas tant. On se serait contenté que l’on regarde un peu plus loin qu’un certain dimanche de juin et le printemps 2027. Raté.
Notre chroniqueur, qui part du principe qu’il faut donner leur chance même aux plus bêtes, avait écrit un article mi-chèvre mi-chou sur Amélie Oudéa-Castéra, sa double casquette et ses déclarations sur les raisons qui lui ont fait placer ses enfants à Stanislas. Mais les révélations qui ont suivi l’ont amené à reconsidérer son point de vue.
On parle toujours trop. Quelle mouche a piqué Amélie Oudéa-Castéra pour qu’en sortie avec Gabriel Attal, elle se lance dans des explications tordues afin de justifier le fait qu’après avoir inscrit ses enfants dans une école publique du VIe arrondissement, elle les avait déplacés à Stanislas, école catholique privée à morale stricte. D’après elle, l’absentéisme des enseignants, jamais remplacés, était la cause première de ce changement.
Il ne faut jamais rien avancer qui puisse être démenti dans l’heure qui suit, ça fait mauvais effet. Elle aurait pu s’en tenir à des questions de commodité — elle habitait rue Stanislas, à deux pas de la cité scolaire homonyme. Ça suffisait. En rajouter sur les carences du management de l’école, c’était risqué, parce que ça ne correspondait pas à la réalité, comme l’a fait remarquer un article de Libé dimanche soir. L’ancienne institutrice du petit Vincent — le seul des trois rejetons à avoir fait un stage d’un semestre à Littré — est sortie de ses gonds : « Je me sens personnellement attaquée. Je n’ai pas été absente et quand bien même cela aurait été le cas, on était toujours remplacé. Il n’y a jamais eu de problème deremplacement à Littré qui est une petite école très cotée. » Affirmation corroborée par les parents d’autres enfants de la même école.
En fait, monsieur et madame Oudéa-Castéra voulaient faire sauter une classe à leur bambin, l’école s’y est opposée pour des raisons pédagogiques, ils ont trouvé un établissement — « Stan » — qui l’acceptait en moyenne section de Maternelle. Fin de l’épisode.
Il est un peu rude, lorsqu’on entre en fonction rue de Grenelle, de pointer les défaillances d’une administration qui depuis sept ans est gérée par la majorité qui vient de vous mettre là. D’autant que Paris est assez bien géré, au niveau Education. Le reproche fait à madame Oudéa-Castéra d’avoir à porter deux casquettes n’était pas très cohérent. Un ministre a des petites mains pour assurer les affaires courantes, et elle s’était assez bien débrouillée au ministère des Sports — un domaine qu’elle connaît mieux que l’Ecole. Elle nous a débarrassé de Noël Le Graet, ce qui n’était pas un mince exploit.
Mais arriver rue de Grenelle et commencer par balancer des propos immédiatement démentis, après quelques mois où Gabriel Attal avait largement fait la preuve de ses talents de Grand Communicant, ce n’est pas bien adroit. Peut-être devrait-elle se renseigner, s’appuyer sur des collaborateurs informés, prendre le temps d’écouter, et considérer comme de la mousse les propos de Médiapart, qui n’avait au départ rien à se mettre sous la dent, sinon la vendetta que l’agence entretient avec Stanislas, établissement traditionnaliste s’il en fut jamais. Madame Oudéa-Castéra ignore-t-elle la grande règle ? Don’t feed the troll.
La nouvelle ministre n’a jamais enseigné, et ça se voit. Être une ex-bonne élève ne prépare pas à ce métier. En particulier, il ne faut pas rater la première heure. Pour avoir négligé ce principe, cette outre gonflée de vent qu’était Claude Allègre, en 1997, s’est mis la profession entière à dos.
Les salles de profs déjà bruissent de vents contraires à la ministre. Les enseignants sont déjà prêts à faire toutes les grèves que, leur suggèreront des syndicats qui, par définition, testent dès leur arrivée les nouveaux titulaires du poste.
À Rachida Dati on n’a pas grand-chose à reprocher, sinon son amour de la haute couture. Qu’elle soit une femme de droite ne témoigne que d’une chose : il n’y a plus de culture de gauche dans ce pays. Tant pis pour ceux qui croient que Geoffroy de Lagasnerie pense. Depuis Malraux, qui a fait des étincelles rue de Valois ? Pas Lang, quand même…
Madame Oudéa-Castéra tient-elle vraiment à ce qu’on la prenne pour une erreur de casting ? Ou pour une grande bourgeoise intouchable — comme les aristocrates en 1788 ? Elle a fort bien réussi dans le privé. Le public, et l’Education en particulier, c’est tout autre chose. Soit elle l’admet, fait amende honorable et consent à se taire pendant un certain temps, soit la presse, qui n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent en ce moment, depuis que Depardieu et Delon ont été suicidés en place publique, fera ses choux gras de ses faux-pas.
Elle reçoit, ce lundi, les syndicats de l’Education. J’imagine les déclarations préalables que les uns et les autres sont à cette heure en train de peaufiner. Ça va faire mal, et ça va faire du bruit — l’écho des déclarations intempestives de la ministre. Diriger, c’est aussi apprendre à écouter, et se taire quand on n’a rien à dire.
Éblouissante ingénue à la Comédie-Française et visage bien connu du cinéma populaire, Nicole Calfan a travaillé avec les plus grands comédiens et réalisateurs. Pour Causeur, elle revient sur quelques-unes de ses rencontres les plus marquantes.
Nicole Calfan, c’est cinquante-six ans d’une carrière bien remplie. Comédie-Française, cinéma, théâtre de boulevard, elle va où la passion la mène. Henri Verneuil, Raymond Rouleau, Jean Le Poulain, Jean-Pierre Miquel, Jacques Deray l’ont dirigée, et elle a partagé l’affiche avec Jean Poiret, Olivier Reed, Faye Dunaway, Delon, Belmondo, Depardieu ou encore Ava Gardner !
Nous avons soumis à la comédienne neuf noms qui font partie de la longue liste de ses monstres sacrés. Nicole Calfan aime les souvenirs et la nostalgie. Ça tombe bien !
Causeur. Marie Bell ?
Nicole Calfan. Mes parents la connaissaient. La grande tragédienne de l’époque ! J’avais terminé mes deux années de conservatoire, et le concours de sortie – qui permettait d’entrer à la Comédie-Française si on décrochait un premier prix – n’avait exceptionnellement pas lieu : c’était le printemps 1968 ! Marie Bell rapporta à mes parents que Jacques Charon (sociétaire du Français) cherchait pour la maison de Molière une nouvelle ingénue à faire entrer dans la troupe, et qu’il allait faire passer des auditions. Je suis alléela voir pour qu’elle me donne le numéro de Charon. J’étais très impressionnée. C’était une grande star. Une diva. Un monstre sacré.
J’avais rendez-vous dans sa loge du Théâtre Marie-Bell (aujourd’hui Théâtre du Gymnase). La loge était magnifique, tamisée, sombre même. Partout du velours rouge. Plein de bouquets de fleurs séchées sur les meubles, sur les tables. J’étais fascinée. J’avais l’impression d’être dans la roulotted’une voyante. Les yeux noirs de kohl, fumant une cigarette, elle me dit de sa voix rauque : « Vous êtes très mignonne mon petit. Bon, je ne vais pas vous demander de me réciter quoi que ce soit. Vous avez un physique très harmonieux. Si ça marche, vous serez une ingénue. Vous irez voir Jacques Charon de ma part. » J’ai passé l’audition sur la scène de la Comédie-Française dans le rôle de Rosine, du Barbier de Séville, et j’ai été engagée. Je me suis retrouvée dans le grand bain. Je jouais sept pièces différentes par semaine. Toutes les ingénues du répertoire. Marie Bell a fait mon bonheur, mais je ne l’ai jamais revue…
Fernand Ledoux ?
Quel maître ! Il avait tourné avec les plus grands : Renoir, Decoin, Grémillon, Carné, Duvivier, Guitry… Il a été mon premier professeur au conservatoire. Quand on entrait dans la salle, on disait : « Bonjour maître », et lui répondait systématiquement :« Bonjour kilomètre ». C’était ainsi tous les matins. On adorait ça. Il ne nous apprenait pas grand-chose techniquement, mais on l’écoutait parler, il nous nourrissait. Je l’aimais beaucoup. Plus tard, j’ai demandé à Jean Yanne – avec qui je vivais alors –d’engager Ledoux. C’est comme ça qu’il s’est retrouvé dans Les Chinois à Paris.
Robert Hirsch et Jacques Charon ?
Duo comique extraordinaire ! À cette époque, l’esprit de la Comédie-Française, c’était eux. J’étais leur petite protégée. C’est grâce à eux que j’ai été si heureuse dans cette maison. Après les représentations, ils m’emmenaient dîner au restaurant, puis en boîte de nuit. Je partais assez tôt, mais eux restaient jusqu’à l’aube.Hirsch – qui était homosexuel – me disait :« Je n’ai aimé que deux femmes : toi et Jeanne Moreau ! » Ils avaient instauréune atmosphère très festive, très joyeuse au sein de la troupe. C’était des années folles. Ils étaient heureux de faire du théâtre, heureux de jouer et ne boudaient pas leur plaisir. J’ai découvert leur incroyable fantaisie en débutant avec eux dans Le Tartuffe. Hirsch jouait Tartuffe et Charon jouait Orgon. Hirsch était un grand clown. Un grand burlesque.
Jeanne Moreau ?
J’ai passé ma jeunesse avec des petits classiques Larousse sur ma table de nuit. Mon préféré, c’était Le Tartuffe, car il y avait les photos de Jeanne Moreau dans le rôle de Marianne. Elle était un modèle pour moi. La première fois que j’ai joué sur la scène de la Comédie-Française, c’était Angélique dans Le Malade imaginaire. Lorsqu’on m’a mis le costume, il y avait écrit sur une étiquette, à l’intérieur, « Mademoiselle Moreau ». C’était le costume qu’elle-même avait porté ! J’étais bouleversée. Le soir de la première, Frédéric Castet (de la maison Dior) a organisé une grande soirée pour fêter mes débuts. Et qui était là ? Jeanne Moreau ! Mon idole. Je cours vers elle, tout émue, et lui dis :« Mademoiselle, mademoiselle ! Je vous admire beaucoup et je viens de débuter ce soir avec l’une de vos robes. » Elle me répond alors sèchement : « Ça me fait une belle jambe ! » et elle part sans un sourire. Terrible déception.
Isabelle Adjani ?
J’ai décidé de quitter la Comédie-Française pour tourner Les Trois Mousquetaires (film de Richard Lester avec Oliver Reed, Faye Dunaway, Christopher Lee et Richard Chamberlain), alors que j’avais encore un projet qui me tenait à cœur. Raymond Rouleau avait proposé de me mettre en scène dans Ondine de Giraudoux. J’avais même choisi mon partenaire : Jean-Luc Boutté. Mais je suis quand même partie et n’ai pas honoré ce merveilleux projet. C’est Adjani qui a hérité du rôle. Et ce fut un énorme triomphe ! Avec Ondine, Adjani estdevenue Adjani. Une révélation. Je garde le souvenir d’une très grande actrice. Une grande puissance émotionnelle. Nous étions très complices et partagions la même loge. Je me souviens que le sol était jonché de scénarios, car bien que pensionnaires au Français, nous avions déjà toutes deux commencé à tourner au cinéma. En quittant définitivement cette loge, j’aiécrit un mot sur le miroir, au rouge à lèvres : « Je vous laisse Ondine, prenez-en soin… »
Avec Alain Delon, dans Le Gang de Jacques Deray (1977). DR.
Alain Delon ?
Delon, c’est mon Delon. C’est tout ! J’étais allée passer des essais pour Borsalino. Deray, Delon et Belmondo étaient assis chacun dans un fauteuil. C’était impressionnant. J’ai fait quelques essais très furtifs et ils m’ont engagée. Lorsque j’ai vu que le tournage se déroulerait à Marseille, j’ai tout de suite appelé Delon pour lui dire qu’il me serait malheureusement impossible de faire le film, car je jouais L’Avaretous les soirs au Français. « Mademoiselle, vous avez ma parole d’homme que vous serez tous les soirs à l’heure à la Comédie-Française », me répondit-il. Je l’ai fait. Je jouais le soir à Paris, je prenais ensuite le premier avion pour Marseille vers six heures du matin, on venait me chercher à l’aéroport, on m’emmenait à Cassis, je tournais et, vers 17heures le chauffeur de Delon me ramenait à l’aéroport. Çaa duré comme ça pendant trois semaines. Quand j’arrivais à Paris, je me dépêchais pour être à l’heure au théâtre. Ce qui m’a sauvée, c’est que Marianne n’entre qu’au troisième acte ! Je courais dans les couloirs, j’enfilais vite ma robe, je me précipitais en scène et disais ma première réplique : « Ah ! que je suis, Frosine, dans un étrange état… »
Sur le tournage, Delon et Belmondo étaient adorables avec moi. J’avais de nouveau sous la protection de deux stars, comme au Français, avec Hirsch et Charon. J’aime tellement Delon que j’ai écrit un livre sur lui, Lettre entrouverte à Alain Delon. C’est un grand amour. Il a dit un jour au Parisien :« J’ai eu deux amours platoniques dans ma vie. Un avec Bardot, et un avec Calfan.» J’ai ensuite tourné avec lui Le Gang et Franck Riva. On a souvent essayé de ternir son image, il a toujours suscité beaucoup de jalousie. Bien sûr que c’est un homme sombre, avec un passé douloureux, avec de la délinquance même. Delon, c’est beaucoup de souffrance, mais c’est un homme droit, respectueux, fidèle. Et puis, surtout, c’est un immense acteur. Et un passionné de cinéma. Il s’est beaucoup investi, financièrement même, il a aidé et produit de grands réalisateurs comme Joseph Losey. On disait qu’il était dur. C’est vrai qu’il était dur avec les réalisateurs, il intervenait beaucoup… « Non ! Il ne faut pas mettre la caméra comme ça ! Il faut la mettre comme ça ! » Mais souvent… il avait raison ! Alain Delon est le dernier monstre sacré du cinéma. Le dernier grand mythe vivant.
Jean Poiret ?
Tyran sanguinaire et acteur de génie ! J’ai joué pendant trois ans Joyeuses Pâques avec Jean Poiret et Maria Pacôme, pièce dont il était l’auteur. Je venais de quitter la Comédie-Française, mais c’est à ses côtés que j’ai tout appris. Mais quelle souffrance ! Quelle douleur ! Il n’était jamais content de ce que vous faisiez. Il me cassait sur scène en me disant à voix basse : « C’est nul ! Allez ! Du rythme, du rythme, du rythme ! » Il faisait sans cesse des remarques. C’était épuisant, déstabilisant. Heureusement que j’avais de très bonnes critiques. Mais je n’en pouvais plus. Un jour, au bout de trois ans, sans prévenir personne, j’ai décidé de ne pas aller jouer. Je me suis dit : ça suffit de souffrir comme ça ! Ce n’est pas normal. Ils m’ont attendue en vain et la représentation a dûêtre annulée. Voilà comment ça s’est terminé.
Dix ans après, Poiret m’a proposé une pièce dont il était l’adaptateur. Il ne m’en voulait pas. Et moi non plus, je ne lui en voulais pas. Il était comme ça, car il était angoissé, perfectionniste. Il se faisait du mal à lui-même, mais c’était un génie d’une puissance comique incroyable. Un rythme d’une précision mécanique. Un virtuose. Et j’insiste pour dire que Poiret était aussi un grand auteur !
Avec Dirk Bogarde, dans La Trahison de Cyril Frankel (1975).
Dirk Bogarde ?
Rencontre incroyable pour un navet ! Le film que nous avons tourné ensemble était très mauvais. La Trahison, avec Ava Gardner également, et Timothy Dalton (avant James Bond !). Ava Gardner était encore très belle, mais elle buvait beaucoup. Elle ne pouvait tourner que le matin. Durant le tournage en Autriche, Dirk et moi sommes tombés amoureux. Il était homosexuel, mais nous avons eu un grand amour platonique jusqu’à sa mort. À la fin du tournage, il m’a dit : « J’ai aimé deux femmes.Charlotte Rampling pour un chef-d’œuvre, et vous pour un navet. »
Michel Fau ?
J’ai retrouvé avec Michel Fau ce que j’ai connu avec Hirsch et Charon. Avec lui, c’est le respect des acteurs, l’exigence, la fermeté, le travail. Michel Fau, c’est ce que le théâtre peut faire de meilleur. Lorsqu’en 2019 j’ai joué Le Tartuffesous sa direction, j’ai eu l’impression de me retrouver à la Comédie-Française de ma jeunesse. Il avait constitué une troupe digne des grandes heures du Français. Il y avait notamment Michel Bouquet et Christine Murillo, et les magnifiques costumes de Christian Lacroix. J’ai aussi joué cet été Le Vison voyageur, à ses côtés et sous sa direction. Avec lui, c’est le théâtre que j’aime, celui qui me fait rêver. Grâce à Michel, j’ai retrouvé ma famille de théâtre. C’est un grand homme de spectacle. Un vrai.
Nicole Calfan campe Elmire dans Le Tartuffe de Michel Fau, octobre 2017. Photo: Marcel Hartmann
Pour finir, une question qui n’a rien à voir avec le reste. Vous vous êtes toujours déclarée féministe. Vous avez été l’une des plus belles femmes du cinéma de votre génération. Avez-vous eu, dans votre carrière, peur des hommes ? Sentiez-vous être une proie ? Et que pensez-vous de l’époque #MeToo ?
Je n’ai jamais été agressée, ni harcelée. Non, je n’ai jamais été terrorisée par les hommes. Le seul à m’avoir serrée de trop près, c’est Pierre Grimblat. J’avais 16 ans. Je lui ai filé une bonne baffe et ça a été terminé. Je n’ai pas fait le film qu’il me proposait, et ça m’a fermé quelques portes. Mais c’était mon choix ! Je pense que dans la majorité des cas, si une femme ose dire non, c’est non. Et ça s’arrête là. Moi, je ne serais jamais montée dans la chambre d’un producteur. Je défends les femmes battues ou violées. Mais on est obligé de constater aussi que la plainte pour agression sexuelle devient un outil de chantage et de vengeance. Avec cela, même sans aucune preuve, on peut détruire une réputation et mettre au ban de la société n’importe qui. C’est terrifiant.
Notre chroniqueuse salue l’arrivée de Rachida Dati, son amie, au ministère de la Culture, avec laquelle elle venait de découper la galette des rois de son organisation patronale, sans que les deux connaissent encore la nouvelle destination de l’ancienne garde des Sceaux et porte-parole de Sarkozy…
L’univers de la culture est un monde qui a totalement changé, et, en ce sens, nommer Rachida Dati ministre de la Culture en est une forme de prise de conscience. La culture aujourd’hui ne se résume pas à l’Académie française même si Jean-Marie Rouart se réjouit de l’apparition de cette nouvelle ministre lumineuse à la forte personnalité, multi-facettes, énergique, n’ayant peur de rien ni de personne, ni des auteurs classiques ni des rappeurs ! Faire bouger la culture c’est essentiel. C’est le signe qu’elle se développe quelles que soient ses formes.
Et la culture d’entreprise ? Elle n’est jamais évoquée et c’est pourtant un des socles contributifs à la fois d’une éducation, d’un apprentissage, d’une curiosité et de la reconnaissance de la valeur des hommes et du travail. Rachida Dati a été une des premières à soutenir la « Fête des Entreprises », un fervent soutien. À cette occasion, à la Mairie du 7ème se rencontraient les grands auteurs du moment dans un salon du livre… précédé traditionnellement d’un cours de yoga pour les salariés du quartier !
Alors il y a déjà les ronchons, les tradis, les aigris qui radotent sur le quiz qu’ils pourraient lui faire passer comme ils l’avaient déjà fait pour Fleur Pellerin, une de ses prédécesseurs. On aime bien, en France, faire passer des examens (sauf aux élèves !) et à l’époque on avait espionné en ricanant les titres des livres qui figuraient dans les étagères de son bureau, et même la musique qu’elle écoutait. On parie que les pièges vont fleurir pour dire qu’elle est inculte comme on en avait fait courir le bruit pour Nicolas Sarkozy…
Mais surtout, Paris devrait y gagner car la ministre de la Culture a son mot à dire sur nos monuments et ce qui contribue à l’embellissement de la capitale, ouf ! et puis si elle n’a pas son mot à dire, personne ne pourra l’empêcher de le dire ! Le président de la République a annoncé qu’il voulait des révolutionnaires, c’est une très bonne chose car nous en avons une qui a été nommée. Il faut que les révolutionnaires changent de camp et fassent la bonne révolution, pas celle des grèves permanentes, des intermittents du spectacle la revendication bave aux lèvres à la moindre occasion, pas celle des personnels qui nous font assister à l’opéra sans décors, des fonctionnaires de l’art… Rachida Dati est probablement une chance pour dépoussiérer beaucoup de choses même si elle n’a pas fait son discours de passation de pouvoir en alexandrins comme celle à laquelle elle succède.
Mesdames de Menthon et Dati. DR.
Mais est-ce une chance pour elle ? Soyons conscients que c’est un terrible défi, qu’elle va essuyer les protestations, les manifestations, la résistance au changement, la fonctionnarisation de la culture, qu’on va attendre qu’elle fasse ses preuves à chaque instant… On veut Mauriac ? mais que diraient les jeunes d’une Mauriac aujourd’hui pour les entrainer et les comprendre ? Rachida Dati a accepté le portefeuille avec la plus grande prise de risque et que des coups à prendre…un défi beaucoup plus profond qu’on ne l’imagine. Chapeau déjà pour cela !
En janvier 1982 sortait sur les écrans français « Tout feu, tout flamme », une comédie bondissante de Jean-Paul Rappeneau avec Yves Montand et Isabelle Adjani, en père et fille.
C’est quoi un bon film ? Une œuvre d’art, un témoignage coup de poing, de l’action, des rires, du sexe, un rêve éveillé, la découverte d’un monde parallèle, des cris, des pleurs, une dénonciation, une lumière, une atmosphère, des dialogues, des silences, des gueules, des ombres, etc… A cette question, il y a autant de réponses que de sensibilité et d’aveuglément différents. Selon les goûts de chacun, le cinéma nourrit et fausse la représentation du réel.
La comédie de divertissement soignée, élégante, pleine d’entrain
Contrairement à certains de mes confrères qui plébiscitent la veine noire et défaitiste, la comédie sociale culpabilisante et maniérée, ou pis, le huis clos accusateur, ridiculement obséquieux, je préfère le rigodon, un tempo vif et entraînant, la légèreté des sentiments qui vient fouetter l’apathie d’un dimanche après-midi, le cadre léché, la ligne claire, des silhouettes bien dessinées, un certain confort bourgeois de visionnage en somme, le tangage m’indispose, le procès me rebute. Je déteste être la marionnette d’un réalisateur sournois qui va déverser sur moi, ses haines et ses rancunes, ses problèmes et ses lacunes. Qu’il conserve ses tourments intérieurs pour son cercle familial ou les professionnels de santé. Je ne suis pas son cobaye.
C’est pourquoi le divertissement m’a toujours séduit, d’où mon admiration pour l’œuvre de Philippe de Broca. Bien peu de réalisateurs ont le courage, l’honnêteté, l’intelligence, le tact, le savoir-faire pour s’engager dans cette voie-là. Revendiquer le divertissement, c’est s’exclure des cénacles autorisés et se parjurer dans le comique. Car, pour les cinéphiles, la frontière est ténue entre le divertissement et la daube, entre le film sans prétention artistique et le produit commercial insane, entre le rire et le proxénétisme. Ces gens-là ne savent pas voir, ni entendre, tellement ils sont bunkerisés dans leurs certitudes. Je regrette le temps où la comédie de divertissement soignée, élégante, pleine de petits miracles et d’entrain, de ce charme indéfinissable que l’on pouvait tout de même résumer en un seul mot : le respect, réunissait deux millions de spectateurs. Respect du public. On ne voulait pas le décevoir et étonnamment, on ne le draguait pas à tout prix. On lui offrait un spectacle complet de qualité, c’est-à-dire une histoire et ce mot devenu aujourd’hui honteux, une intrigue, des caractères, des situations, des variations, une fluidité narrative, une bonne humeur teintée de mélancolie, une capsule où les emmerdes du quotidien et la vacuité des existences s’évanouissaient. Un refuge. Prenons « Tout feu, tout flamme » de Jean-Paul Rappeneau, sorti en janvier 1982, comme exemple de ce noble divertissement. Il a tout pour contrarier les rances de la pellicule, une grosse production, deux vedettes au sommet de leur art déclamatoire, la présence d’un mannequin international, une partition signée Michel Berger, des décors conçus par Hilton McConnico, un tournage « riche », un casino en ruine, des méchants en Cadillac, un acteur suisse fascinant de roublardise et ce plaisir non feint de s’amuser, de s’évader, de se laisser emporter par les relations tumultueuses d’un père et d’une fille. Je défie quiconque de résister à cet élan-là. Il est salutaire.
Quand la beauté n’était pas un crime
« Tout feu, tout flamme » balaye les aigreurs de janvier, par sa fantaisie et sa tendre décrépitude, il déconsidère les gesticulations de l’actualité. Après avoir vu Montand et Adjani, les intrigants aperçus sur les perrons ou les plateaux de télévision vous paraissent minuscules et dérisoires. Sans éclat. Sans fond. Sans aspérité. Des mécaniques inutiles. Parce que je ne connais rien de plus émouvant qu’Isabelle dans ce rôle de polytechnicienne au visage de madone, la beauté n’était pas un crime au début des années 1980, c’était encore un don du ciel. Dans sa rigueur érotique de conseillère ministérielle, Isabelle court, s’époumone, tombe de vélo, conduit une Alfa Romeo dans un trou d’eau, prend un hélico, calcule à la vitesse de l’éclair, fait office de mère pour ses sœurs et demeure cette éternelle ambitieuse triste. Jamais bicorne n’aura été mieux porté que par Adjani. Moi, d’habitude si critique avec le jeu exagérément personnel de Montand, je le trouve ici presque dans la retenue, sur la réserve, dans un bel équilibre, loin de sa caricature agaçante. Jean-Luc Bideau affiche une veulerie jubilatoire, en souffre-douleur, il est insatiable. Souchon qui ne s’aime pas trop en acteur, avait tort. Il a un air moins ahuri et son esprit moqueur se déploie avec aisance. Lauren Hutton, tout juste auréolée du succès d’« American Gigolo » est la caution californienne du moment alors qu’elle est née en Caroline du Sud. Sur le bord du Lac Léman, ses dents du bonheur sont aussi sensuelles qu’en couverture de Vogue. La force de ce divertissement-là est sa permanence mémorielle. Il est loin d’être éphémère. Il instille en nous une nostalgie non revancharde et non victimaire. Peut-être, une attirance lucide pour une forme de bonheur perdu.
On aurait pu croire que le mois de décembre verrait l’esprit de Noël descendre sur l’Assemblée nationale… Mais pour cela, il faudrait que les députés croient à l’esprit de Noël !
49-3.
Bon, pour tout vous avouer, j’ai perdu le fil… 19, 20, 21, 22e 49-3 d’Élisabeth Borne depuis sa nomination à Matignon. Et, je l’ai déjà dit, dans une indifférence quasi générale. Même les députés du Rassemblement national ont abandonné l’idée de déposer des motions de censure et ne prennent plus la peine de voter celles de La France insoumise qui, elle, continue de s’époumoner sans que plus personne ne l’écoute… Avec pour seule conséquence – mais c’est peut-être leur seul objectif ? – d’agacer considérablement notre Première ministre. Selon des propos rapportés par La Tribune dimanche, elle aurait dit : « Ça me bouffe du temps. Dans leurs discours, ils ne savent même plus quoi raconter. Cela n’a d’intérêt pour personne, ça devient lunaire. » « Lunaire » ? Tout serait tellement plus facile si le Parlement n’existait pas…
Minute de silence
Lors de la séance de questions au gouvernement du 28 novembre, une minute de silence a été observée pour le jeune Thomas Perotto, tué à Crépol d’un coup de couteau en plein cœur. Enfin ! Ces derniers mois, on s’est (trop !) souvent levé dans l’Hémicycle. Mais cette minute-là est lourde, épaisse. Et vraiment silencieuse. Quand nous nous rasseyons, Élisabeth Borne parle. Elle évoque « un devoir d’unité, un devoir de dignité ». Et puis, elle condamne la « récupération politique » et les « démonstrations et actes de violence de l’ultradroite ». L’art de tout gâcher… Il y a des jours où on aimerait vraiment qu’elle se taise…
Le mardi 28 novembre, en commission des lois, les députés passent plus de trente minutes pour savoir si les candidats au regroupement familial doivent apprendre ou non le français… Ces gens m’épuisent !
« Mamie vapote »
Alors qu’elle s’exprimait à la tribune le jeudi 30 novembre, la députée Caroline Fiat – vice-présidente de l’Assemblée nationale – a dû s’interrompre parce que la Première ministre vapotait dans l’Hémicycle durant sa prise de parole. Assez justement, la députée a rappelé à Élisabeth Borne que son ministre de la Santé venait de présenter un plan antitabac qui prévoit l’interdiction de fumer ou vapoter sur les plages, les parcs ou devant les établissements scolaires. Mais pas dans l’Hémicycle, c’est vrai… Et la députée de pointer du doigt « un mépris total et un manque de respect ». Ce n’est pas la première fois que la chef de gouvernement est prise en flagrant délit de vapoter, à l’Assemblée comme au Sénat. L’article L.3513-6 du Code de la santé publique précise d’ailleurs que « le fait de vapoter dans un lieu à usage collectif est puni d’une amende pouvant aller jusqu’à 150 euros ».Chiche !
Pétaudière
Le 30 novembre dernier, Ugo Bernalicis, député de La France insoumise, arrive comme une furie en commission des lois. Il reproche au président de la commission des lois, Sacha Houlié, d’organiser l’examen du projet de loi immigration en même temps que la niche parlementaire de son groupe, qui se déroule au moment même dans l’Hémicycle. Le ton monte et certains craignent qu’on en vienne aux mains. Gérald Darmanin, présent, ironise en expliquant que « Ugo n’est visiblement pas prêt à entrer à Beauvau ». Référence à un clip de campagne du député que je ne connaissais pas, modèle de narcissisme et d’indécence sur le thème de « la police tue »… Pour les curieux, vous pouvez taper « Ugo à Beauvau » dans votre barre de recherche. C’est sur YouTube…
Hanouka à l’Élysée
Au risque d’offusquer les adorateurs de la secte de la laïcité, je n’ai pas été choquée quand Emmanuel Macron a allumé la première bougie de Hanouka à l’Élysée. Après avoir refusé de manifester contre l’antisémitisme, après avoir si peu fait pour les 40 Français tués par le Hamas le 7 octobre, c’était bien le moins…
Ce lundi 11 décembre, c’est la déflagration. Le projet de loi de Gérald Darmanin sur l’immigration vient d’être rejeté par l’Assemblée nationale sans même avoir été examiné par les députés… À qui la faute ? À Gérald Darmanin d’abord, qui a tout fait pour humilier les députés LR dans les jours précédant le vote. À « l’aile gauche de la majorité » ensuite, qui n’a cessé de savonner la planche du ministre. Quinze minutes avant d’entrer dans l’Hémicycle, je m’aperçois en effet que le président de la commission des lois vient de déclarer irrecevables presque un tiers des amendements que j’avais déposés. Prise de curiosité, je regarde le sort réservé aux députés Républicains : même chose, même proportion. Avouez que pour une majorité qui se prétendait « ouverte aux propositions » et « la main tendue », on pouvait attendre mieux… Troisième responsable, la droite de l’Hémicycle, qui n’a aucun scrupule à voter avec les pires immigrationnistes. Cette droite que cela ne dérange pas de rejeter le texte avant même qu’il soit discuté et donc, de ne pas accomplir la mission pour lequel elle a été élue. J’ai même entendu quelques « Vive les vacances ! » à l’issue du vote… Pour moi qui me suis abstenue (pas question de s’associer à la Nupes et à ses positions pro-immigration ; pas question de croire à la bonne foi d’une majorité qui refuse d’emblée de discuter sur ce qui constitue pour moi une véritable une ligne rouge…), je me sens dépossédée. Tout ce travail pour finir en déconfiture. Décidément, c’est le règne du billard à trois bandes et des politiciens à deux balles.
Amateurisme
Avant la motion de rejet, les tractations battent leur plein. Le cabinet du ministre de l’Intérieur chouchoute les élus LR pour les convaincre de voter contre la motion de rejet. Et tous les moyens sont bons pour parvenir à leurs fins. Les voilà qui appellent le député Fabrice Brun pour lui annoncer la création d’une nouvelle brigade de gendarmerie à Rosières. Manque de chance, ce n’est pas Fabrice qu’ils contactent, mais Philippe Brun, député PS, qui est appelé. Rappelez-vous,il y a quelques mois, Emmanuel Macron enjoignait ses députés d’être fiers d’être des « amateurs ». Certains l’ont pris au mot.
C’est une histoire à coucher dehors. À la belle étoile, au milieu des bêtes. Dans un livre sorti en 2018, publié en français l’été dernier chez Le temps des cerises, Pablo Santiago Chiquero nous entraîne en Andalousie, en 1930. On sait, grâce à un reportage de Michel Polac, qu’on pouvait trouver dans les Hautes-Pyrénées dans les années 60 des bergers poètes, lecteurs de Rimbaud, de Jean Giono et de René Char.Ici, c’est l’histoire d’un berger qui fait la lecture de Cervantès à ses chèvres et de Marx à ses brebis. Au départ, c’est un village qui ne paye pas de mine. Abra, hameau de cinq mille âmes, n’a pas donné un maître ou un avocat depuis des lustres. « En revanche, en sortirent quantité d’éleveurs de porcs, de travailleurs journaliers, de bouchers et autres professionnels illettrés ». Il faut dire que l’instituteur sur place, don Alvino, a davantage multiplié les taloches qu’il n’a enseigné l’alphabet durant les quinze années de son magistère. Un jour, sans doute confondu avec un chevreuil, il meurt d’une balle perdue. C’est un professeur excentrique, « gentillet et aimable », don Lazaro, vieux gars entouré de livres, qui le remplace. Alors, quand le patelin illettré rencontre l’énergumène, les villageois commencent à former des files d’attente pour aller jeter un œil dans son salon. Pas de risque, toutefois, qu’ils empruntent un livre. Ces gens-là sont plutôt « réalistes et les pieds sur terre ».
Mateo, vingt-quatre ans, alité
Dans le même temps, un jeune homme se morfond dans son lit. Mateo, vingt-quatre ans, berger, a des vagues à l’âme. Enfant, il avait été la coqueluche du village, à cause de ses exceptionnelles capacités de calcul mental. Son père Antonio avait voulu que son fils domine la lecture, l’écriture et le calcul : « A ne pas savoir lire et écrire, disait-il, on est condamné à avoir faim ; seuls les riches […] peuvent s’offrir le luxe de de l’ignorance ». On va pouvoir le faire entrer au séminaire ou l’université, à Cordoue ou à Grenade : « Avec un tel esprit agile avec les chiffres et une tête capable de tout mémoriser et de tout recracher comme un perroquet, en quatre soirées on eût pu faire de lui un bon maître d’école, en quatre ou cinq années un bon médecin, un professeur d’économie ou un avocat ». Hélas, le père Antonio meurt, abattu par la foudre. Pas question de laisser la pauvre mère seule avec les caprins et les ovins ; le petit garçon quitte l’école à dix ans et devient berger. Au milieu des bêlements, le jeune homme finit par tomber en dépression, s’enferme dans son lit crasseux et n’en bouge pas, pendant des mois entiers. Mateo n’est même pas un athlète de la dormition à la manière des frangins décrits par Albert Cossery dans Les fainéants dans la vallée fertile, capables de partir dans des marathons de sommeil de sept années. Il n’a pas non plus l’apathie d’un Oblomov affalé sur son divan. Mateo a seulement perdu l’envie d’avoir envie. Certes, sa fiancée, la belle Conchita, va lui redonner le goût de la vie quelque temps avec des caresses bien spéciales – mais dans l’Espagne cléricale des années 30, c’est un jeu bien dangereux. « Elle redoutait le moment de se retrouver dans le confessionnal de Don Jacinto, le prêtre d’Abra qui était un véritable aspirateur à pêchés ». Conchita cesse son manège qui ferait capoter le mariage. Le moral de Mateo se ramollit de nouveau. « Dieu sait que j’aurais tout essayé », se lamente la fiancée auprès de la mère du jeune homme. La réponse de la mère est savoureuse : « Je le sais, ma fille, je le sais. Ces choses-là laissent une odeur très particulière dans les maisons ».
Heureusement, Mateo va faire la rencontre de Lazaro. Enfin, c’est Lazaro qui va être amené à se rendre au chevet de l’alité. L’instit a un remède : la lecture. On commence avec le grand chef-d’œuvre de la littérature espagnole : Don Quichotte. En déposant le livre, Lazaro envie la chance du jeune homme : « Quelle chance et quelle longue nuit celle de l’homme perspicace et subtil qui pour la première fois se confronte au Quichotte ! ». Le miracle se produit : le berger commence à tourner les pages puis sort enfin de sa chambre. Il fait des lectures en public, au marché devant des villageois conquis. Puis il reprend la tête de son troupeau. Il remarque que ses bêtes tendent l’oreille et s’arrêtent un bon quart d’heure pour l’écouter. Plus tard, il se met à lire du Marx. Cette fois, il remarque que les chèvres sont plus attentives à la lecture de Cervantès, tandis que les brebis ne cachent pas de vrais penchants marxistes.
Cervantès pour les chèvres, Marx pour les brebis est un livre drôle, qui ne tombe pas dans le roman à thèse mais reste toujours sur le ton de la fable. Si les personnages sont atteints d’une folie paisible comparée à celle du chevalier de Cervantès, on retrouve un peu l’humour et le ton des aventures de Don Quichotte. L’auteur sait dépeindre de vraies scènes tragiques. Le parcours du jeune Mateo le rapproche un peu de La famille Tenenbaum (Wes Anderson), autres enfants prodiges qui découvrent les désillusions de l’âge adulte. Le narrateur dissémine, aussi, des vérités caustiques sur l’écriture. Comme celle-ci : « Plus tard, on oublia l’article ; c’est ce qui se passe avec la plupart des articles, ceux qu’écrivait Lazaro comme ceux de tout le monde d’ailleurs ».
Ils — ou plutôt, « elles » — étaient à peine nommées que les critiques ont fusé, particulièrement dans le milieu enseignant. Florilège de choses entendues par notre chroniqueur ou ses satellites.
« C’est du mépris pour les sportifs et du mépris pour les enseignants ! On n’a pas droit à un ministre à part entière ! Sophie Vénétitay [la secrétaire générale du SNES-FSU, très critique sur la nomination d’AOC, comme on l’appelle] a raison, on aura un ministre à mi-temps ! »
« Tu as vu ? Elle a scolarisé ses gosses dans le privé catho anti-homos, avec des classes non mixtes — c’est Mediapart qui le dit, ça doit être vrai ! »
« À Mediapart, sûr qu’ils inscrivent leurs enfants dans des écoles prolétariennes et socialement mixées… À Paris, ce n’est pas ce qui manque… »
« Ouais… Remarque, les enfants de Vallaud-Belkacem aussi ils étaient dans le privé… »
« Oui, mais elle, c’était pas pareil ! »
« Mais dis-moi, les tiens… »
« Oui, mais moi, c’est pas pareil ! »
🗣️"On en a eu marre, comme des centaines de milliers de familles", s'est défendue Amélie Oudéa-Castéra après les révélations de Mediapart. Le site d'investigation affirme aussi que les enfants de la ministre étudient dans "un établissement privé ultra réac".#franceinfo#canal27pic.twitter.com/5vVlDJ8SFL
« Tout ça sous prétexte que « Stan » était juste à côté de chez elle ! »
« Sous prétexte qu’ils font travailler leurs élèves ! pauvres gosses ! Obligés d’apprendre l’accord du participe passé… »
« Et sous prétexte que dans l’école publique où ils étaient inscrits précédemment, les enseignants étaient régulièrement absents ! »
« Sûr qu’elle est contre le droit de grève ! Eh bien, tiens, je vais faire toutes les grèves que lancera le syndicat ! »
« Sous prétexte qu’ils ne leur apprenaient rien ! Ça n’existe pas, des profs absents et pédagos ! »
« L’enseignement de l’ignorance », qu’il dit, l’autre ! »
« Ouais… La fabrique des crétins ! J’ai une tête à fabriquer des crétins ? Bon allez, j’y vais, il faut que je fasse ranger les tables en îlots pour que les élèves construisent leurs savoirs tout seuls… »
« Deux ministères ! Les Sports et l’Educ-Nat ! Tu sais ce que je crois ? Attal a chargé la barque pour qu’Amélie Oudéa-Castéra se plante. Pour qu’on dise : « Tu vois, les femmes, il ne faut pas trop leur en demander… » »
« Et puis… Deux ministères ! Moi, je n’arrive pas à gérer à la fois les Sixièmes et les Quatrièmes — et mes gosses… »
« Et Rachida Dati ! Ils n’auraient pas pu trouver quelqu’un qui appuie la culture de gauche ? J’sais pas, moi, Geoffroy de Lagasnerie, par exemple… Ou Edouard Louis… »
« Sa culture, c’est Louboutin ! Si encore elle portait des Doc Martens… »
« Dis-moi comment tu te chausses, je te dirai pour qui tu votes ! »
À ceci près qu’il n’y a plus depuis lurette de « culture de gauche ». Des cultureux, oui, des comédiens d’occasion qui se drapent dans des concepts wokistes pour faire croire qu’ils pensent, faute de savoir jouer. Depuis Malraux, qui a fait des étincelles à la Culture ? Quel homme de gauche, surtout ?
Je garantis l’exactitude des propos cités plus haut. La nouvelle titulaire de l’Educ-Nat devrait se mettre au courant : tout ce qui dérange certains profs dans leur petit train-train ordinaire — ne pas faire grand-chose, sinon grève — est d’emblée rejeté par une profession qui se sent dégradée, humiliée, méprisée — à qui la faute ?
Il y a bien peu d’établissements socialement mixtes, à Paris. Le prix du m2 et des loyers a depuis lurette dissuadé les pauvres de rester dans la capitale. Serait-ce moins scandaleux si AOC avait inscrit ses enfants à Henri-IV ou Louis-le-Grand ? Ou dans une école Montessori — c’est privé et super cher, mais ça a une réputation pédagogique de gauche…
Ou au Lycée autogérée de Paris, qui dans le dernier indicateur publié de la valeur ajoutée des établissements arrive en toute dernière position, avec un indice de -39… Oui, mais ça, c’est de gauche ! Il est sidérant qu’un ministre se fasse flinguer avant même d’avoir mis un pied dans son ministère. Très probablement parce que c’est une femme, une ex-bonne élève qui a réussi de vrais concours, qui a travaillé avec succès dans le privé (l’horreur, pour certains profs !), et qui aux Sports a réussi en quelques mois à se débarrasser de dirigeants sportifs (Noël Le Graet, par exemple) qui ne faisant guère honneur à la discipline qu’ils représentaient. On tire à vue Rachida Dati parce qu’elle est bien habillée, on canarde Amélie Oudéa-Castéra parce qu’elle a fréquenté des établissements d’élite et veut le mieux pour ses enfants. J’espère que peu lui chaut : la bave des crapauds n’atteint pas la colombe.
Le roman d’Astrid Monet, dont le titre est emprunté à un hémistiche de Baudelaire, Loin du noir océan, nous ramène au début des années 90 lorsqu’éclata l’affaire du sang contaminé. Le pouvoir politique fut frappé de plein fouet par ce scandale sanitaire et financier, qui fit des milliers de victimes. Laurent Fabius, Premier ministre, et Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales, en firent les frais, mais sauvèrent « leur peau », puisqu’ils furent relaxés, après une longue procédure judiciaire aux multiples rebondissements. Dufoix eut même cette formule restée célèbre : « Responsable mais pas coupable ».
Astrid Monet raconte l’histoire de Sullyvan, qui décide de partir en Espagne, à Barcelone, après la mort de son frère, Malone, en 1998. Ce dernier, hémophile, a été contaminé par ses innombrables transfusions sanguines. Pourquoi Barcelone ? Parce que Malone voulait visiter la capitale de la Catalogne. Sullyvan en profite pour échapper à l’atmosphère familiale délétère. D’un côté, la mère qui se sent coupable d’avoir elle-même fait les injections de ce sang impur, contaminé par la cupidité et la lâcheté des médecins et des responsables politiques ; de l’autre, le père, homme faible qui sombre dans l’alcoolisme. Alors il lui faut prendre la route pour tenter de comprendre pourquoi Malone désirait tant voir Barcelone. Avec le blouson de cuir de son frère, trop lourd à porter, Sullyvan déambule dans les rues bigarrées, sur la longue plage, dans la chaleur moite. En le suivant pas à pas, on éprouve la même oppression que lui. L’atmosphère est particulièrement bien rendue grâce à la sensibilité d’Astrid Monet. On ne pense plus au sida, à la bassesse des hommes de pouvoir, à ce scandale mondial qui aurait pu être évité, mais aux rencontres que fait le frère de Malone, à la musique qui l’envoûte, aux mystères d’un pays couleur pourpre. Extrait : « Nous vivions la nuit, visages livides comme des vampires, aspirant la fraîcheur des jeunes femmes, étudiantes ou touristes, ivres de joie, de rencontres. Je me perdais dans le tourbillon de la musique, du bruit. » Au bout de la noirceur, il y a, peut-être, la lumière, l’amour, la vie. Ce beau roman est une invitation au voyage. Ne le refusez pas.
Archibald rêvait. C’était même, si on s’en tient au temps qu’il y consacrait, sa principale activité. Ses rêves s’étiraient tout au long de ses nuits. Pas exactement des rêves récurrents, en ce sens que la plupart demeuraient flous, sans trame bien précise. Dépourvus d’intrigue, celle-ci fût-elle, comme il arrive souvent, un défi à la logique. Pas des cauchemars non plus, de ces rêves qui vous laissent au réveil à la fois terrorisé et soulagé que l’horreur vécue relève de la seule fiction. Plutôt des rêveries. Une succession d’atmosphères, de climats, plus ou moins agréables, plus ou moins prégnants, par lesquels il se laissait envahir sans chercher à leur échapper.
En avait-il, du reste, le pouvoir ? C’est peu probable. D’autant que l’engourdissement qui en résultait, cette mise en sommeil de tous les sens, n’avait en soi rien de désagréable. Tout au plus provoquait-il, dans les moments de plongée profonde, des soubresauts inconscients, des mouvements convulsifs des membres, comparables à ceux de la grenouille de laboratoire excitée par des décharges galvaniques, avant qu’il ne retrouve, couché sur le dos ou sur le flanc, une immobilité de gisant.
Le jour aussi, il l’occupait souvent à sommeiller, ou à somnoler, bercé par le ronronnement régulier du moteur. Même les cahots du véhicule, les brusques ralentissements, ne parvenaient à troubler cette sorte de langueur à laquelle il s’abandonnait. Une léthargie propice à la rêverie, que venaient alimenter des odeurs – celle du foin coupé lorsque le convoi traversait la campagne, celle de l’asphalte surchauffée de l’autoroute, celle, composite, des villes traversées, chacune porteuse de réminiscences confuses. Au début, le moindre bruit, crissement de frein, coup de klaxon ou même rumeur urbaine, suffisait à le faire sursauter. Maintenant, il ne percevait même plus ces agressions sonores, sachant, par expérience, qu’elles ne mettaient en péril ni sa vie, ni même son repos.
Parfois, il entrouvrait un œil, contemplait tel ou tel détail du paysage sans que son intérêt en soit, le plus souvent, éveillé. A vrai dire, il observait tout avec une indifférence souveraine. Plus lui importait son univers intérieur. Celui où il lui était loisible de se réfugier pour y flâner interminablement.
Cet univers, il le reconstituait sans en avoir conscience à partir de sensations enfouies depuis l’enfance au tréfonds de lui-même. Des couleurs violentes, contrastées, celles du pays où il était né. Le vent chaud qui dessèche, le soleil brûlant. Les vastes étendues où poussait une végétation étique. Des paysages apparaissaient sous ses paupières closes, s’enfantaient l’un l’autre, se mêlaient sans qu’il soit possible de discerner, dans ces visions, la part du souvenir et celle du songe.
Ces derniers temps, ce sont des images de la prime enfance qui surgissaient volontiers. Ses parents, ses frères. Le lent apprentissage de l’autonomie et de la liberté. Tout un passé révolu. Il y puisait, plus qu’une nostalgie stérile, un sentiment paradoxal de réconfort. Comme si tout cela, qu’il avait vécu, ne pouvait, quoi qu’il arrivât, lui être enlevé.
Un soudain ralentissement lui fit comprendre que le convoi avait atteint sa destination. Il apercevait, à travers les planches à claire-voie de la plateforme, la file de camions se rangeant en cercle sur une vaste prairie. Déjà les hommes s’affairaient. Une scène souvent vécue. Bientôt, lorsque tout serait prêt, on viendrait le chercher.
Il se leva, émit un long bâillement. Un frisson le parcourut à la pensée de ce qu’il allait devoir endurer. Un rituel réglé dans ses moindres détails. La tête puant l’alcool, le vieux tabac et l’après-rasage bon marché allait, une fois encore, prendre place dans sa gueule grande ouverte. Une fois de plus, il résisterait à la tentation de planter ses crocs dans la nuque offerte. Moins pour se venger d’années de servitude et d’avilissement que pour le seul plaisir d’entendre craquer les os.
Archibald s’ébroua, secoua sa longue crinière. Passa sa langue sur ses babines. Puis il bâilla à nouveau, savourant par avance le quartier de bœuf sanguinolent qui serait, comme toujours, la récompense de sa docilité.
Et si ne pas avoir maintenu Attal à l’Education se révélait une erreur historique dont le président Macron allait se mordre les doigts?
Pour un chef d’État, les opportunités d’entrer pour de bon dans l’Histoire ne sont pas forcément très fréquentes. Aussi, lorsqu’il s’en présente une convient-il de ne pas rater la marche. La marche qui ouvre la voie vers les sommets, vers la vraie grandeur que les peuples sont tout disposés à reconnaître à ceux qui, à tel moment fatidique, ont su saisir la gravité des enjeux et s’affirmer en véritable homme d’État. C’est-à-dire en chef capable d’oublier l’instant pour penser Histoire, capable d’oublier la politique, la politicaillerie, pour penser destin, penser nation et voir loin, bien au-delà en tout cas des échéances électorales et des plans de carrière des uns et des autres.
Cette marche-là, le président de la République vient de la rater magistralement. Obsédé par une chasse au Bardella qui risque fort de se muer en chasse au dahu, et donc de ne rien donner (surtout si, comme cela se colporte, on bombarde en tête de liste le héros au masque de Super-Menteur des joyeusetés Covid), il a promu le bon élève Attal général-en-chef de cette traque avec mission d’y aller sabre au clair et panache au vent.
Dont acte. Sauf que le promu chef des armées occupait depuis l’été un poste également stratégique et surtout d’une tout autre importance. Il avait en main le ministère de l’Éducation nationale, là où se décide et s’oriente la formation de la jeunesse, là où se joue le niveau d’instruction des générations à venir. Non seulement le niveau d’instruction, mais, conséquemment, le niveau d’intégration, ce qui n’est pas rien. Le lieu de « la mère de toutes les batailles » de l’aveu même des premiers intéressés, président et gouvernement.
S’il y a consensus dans le pays, c’est bien là qu’il se niche : dans la prise de conscience que tout est à refaire dans ce domaine, que ce chantier-là est essentiel, vital, les choses s’étant à ce point dégradées depuis quatre ou cinq décennies qu’on peut craindre de voir sous peu le mammouth sombrer dans un coma dépassé. Il y aurait donc urgence.
Or, M. Attal avait plutôt bien réussi sa rentrée scolaire. Il disait les choses, nommait les problèmes, annonçait des décisions, cela avec une autorité de ton rassurante. Le milieu semblait l’accepter. Point de menace de grève massive à l’horizon, une rareté qui probablement vaut en soi adoubement. Bref, il pouvait paraître être l’homme de la situation. Les sondages, les enquêtes d’opinion, les baromètres de popularité – toutes évaluations qui ne valent ce qu’elles valent, bien sûr, mais tout de même…- ne traduisaient pas autre chose.
Et c’est bien là que le président aurait pu – aurait dû – voir s’ouvrir devant lui l’opportunité de s’imposer dans l’histoire, sentir qu’il tenait l’occasion d’inscrire dans le marbre de la postérité la trace de ses années jupitériennes.
Puisque, lors du premier conseil des ministres, qui s’est tenu autour d’une table en réduction – obsession du symbole à deux balles quand tu nous tiens ! – il jugea opportun d’inviter son équipe à se montrer révolutionnaire, que ne s’y est-il invité lui-même ?
Se montrer révolutionnaire en l’occurrence, c’était affirmer dans les actes, et pas seulement dans le verbe, l’absolue suprématie du chantier Éducation nationale. C’était venir devant le pays et déclarer solennellement que, pour le reste de son quinquennat, il prenait la décision proprement « révolutionnaire » de sanctuariser – oui, sanctuariser ! – le ministère de l’Éducation, cela en commençant par y maintenir à sa tête, pour ce (relatif) long temps, l’homme de débuts si prometteurs. Le rendre intouchable, lui offrir la sérénité et la sécurité indispensables pour conduire une si noble et si difficile tâche. C’était en quelque sorte faire le choix de « laisser le temps au temps », comme il est dit dans Don Quichotte.
Le nouveau cap – ou plutôt le cap après quoi le président court depuis le premier jour – se trouvait ainsi clairement tracé, affirmé. Enfin ! Jules Ferry, Charles Péguy et tant d’autres y auraient applaudi de grand cœur, c’est certain. Le pays aussi, ce n’est pas douteux. Enfin une vision ! Enfin quelque chose de grand ! Enfin quelque chose pour demain, enfin quelque chose pour le pays, la nation ! Quand Colbert faisait planter des forêts de chênes destinés aux charpentes et à la marine, il voyait à cent ans. On n’en demande pas tant. On se serait contenté que l’on regarde un peu plus loin qu’un certain dimanche de juin et le printemps 2027. Raté.
Notre chroniqueur, qui part du principe qu’il faut donner leur chance même aux plus bêtes, avait écrit un article mi-chèvre mi-chou sur Amélie Oudéa-Castéra, sa double casquette et ses déclarations sur les raisons qui lui ont fait placer ses enfants à Stanislas. Mais les révélations qui ont suivi l’ont amené à reconsidérer son point de vue.
On parle toujours trop. Quelle mouche a piqué Amélie Oudéa-Castéra pour qu’en sortie avec Gabriel Attal, elle se lance dans des explications tordues afin de justifier le fait qu’après avoir inscrit ses enfants dans une école publique du VIe arrondissement, elle les avait déplacés à Stanislas, école catholique privée à morale stricte. D’après elle, l’absentéisme des enseignants, jamais remplacés, était la cause première de ce changement.
Il ne faut jamais rien avancer qui puisse être démenti dans l’heure qui suit, ça fait mauvais effet. Elle aurait pu s’en tenir à des questions de commodité — elle habitait rue Stanislas, à deux pas de la cité scolaire homonyme. Ça suffisait. En rajouter sur les carences du management de l’école, c’était risqué, parce que ça ne correspondait pas à la réalité, comme l’a fait remarquer un article de Libé dimanche soir. L’ancienne institutrice du petit Vincent — le seul des trois rejetons à avoir fait un stage d’un semestre à Littré — est sortie de ses gonds : « Je me sens personnellement attaquée. Je n’ai pas été absente et quand bien même cela aurait été le cas, on était toujours remplacé. Il n’y a jamais eu de problème deremplacement à Littré qui est une petite école très cotée. » Affirmation corroborée par les parents d’autres enfants de la même école.
En fait, monsieur et madame Oudéa-Castéra voulaient faire sauter une classe à leur bambin, l’école s’y est opposée pour des raisons pédagogiques, ils ont trouvé un établissement — « Stan » — qui l’acceptait en moyenne section de Maternelle. Fin de l’épisode.
Il est un peu rude, lorsqu’on entre en fonction rue de Grenelle, de pointer les défaillances d’une administration qui depuis sept ans est gérée par la majorité qui vient de vous mettre là. D’autant que Paris est assez bien géré, au niveau Education. Le reproche fait à madame Oudéa-Castéra d’avoir à porter deux casquettes n’était pas très cohérent. Un ministre a des petites mains pour assurer les affaires courantes, et elle s’était assez bien débrouillée au ministère des Sports — un domaine qu’elle connaît mieux que l’Ecole. Elle nous a débarrassé de Noël Le Graet, ce qui n’était pas un mince exploit.
Mais arriver rue de Grenelle et commencer par balancer des propos immédiatement démentis, après quelques mois où Gabriel Attal avait largement fait la preuve de ses talents de Grand Communicant, ce n’est pas bien adroit. Peut-être devrait-elle se renseigner, s’appuyer sur des collaborateurs informés, prendre le temps d’écouter, et considérer comme de la mousse les propos de Médiapart, qui n’avait au départ rien à se mettre sous la dent, sinon la vendetta que l’agence entretient avec Stanislas, établissement traditionnaliste s’il en fut jamais. Madame Oudéa-Castéra ignore-t-elle la grande règle ? Don’t feed the troll.
La nouvelle ministre n’a jamais enseigné, et ça se voit. Être une ex-bonne élève ne prépare pas à ce métier. En particulier, il ne faut pas rater la première heure. Pour avoir négligé ce principe, cette outre gonflée de vent qu’était Claude Allègre, en 1997, s’est mis la profession entière à dos.
Les salles de profs déjà bruissent de vents contraires à la ministre. Les enseignants sont déjà prêts à faire toutes les grèves que, leur suggèreront des syndicats qui, par définition, testent dès leur arrivée les nouveaux titulaires du poste.
À Rachida Dati on n’a pas grand-chose à reprocher, sinon son amour de la haute couture. Qu’elle soit une femme de droite ne témoigne que d’une chose : il n’y a plus de culture de gauche dans ce pays. Tant pis pour ceux qui croient que Geoffroy de Lagasnerie pense. Depuis Malraux, qui a fait des étincelles rue de Valois ? Pas Lang, quand même…
Madame Oudéa-Castéra tient-elle vraiment à ce qu’on la prenne pour une erreur de casting ? Ou pour une grande bourgeoise intouchable — comme les aristocrates en 1788 ? Elle a fort bien réussi dans le privé. Le public, et l’Education en particulier, c’est tout autre chose. Soit elle l’admet, fait amende honorable et consent à se taire pendant un certain temps, soit la presse, qui n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent en ce moment, depuis que Depardieu et Delon ont été suicidés en place publique, fera ses choux gras de ses faux-pas.
Elle reçoit, ce lundi, les syndicats de l’Education. J’imagine les déclarations préalables que les uns et les autres sont à cette heure en train de peaufiner. Ça va faire mal, et ça va faire du bruit — l’écho des déclarations intempestives de la ministre. Diriger, c’est aussi apprendre à écouter, et se taire quand on n’a rien à dire.
Éblouissante ingénue à la Comédie-Française et visage bien connu du cinéma populaire, Nicole Calfan a travaillé avec les plus grands comédiens et réalisateurs. Pour Causeur, elle revient sur quelques-unes de ses rencontres les plus marquantes.
Nicole Calfan, c’est cinquante-six ans d’une carrière bien remplie. Comédie-Française, cinéma, théâtre de boulevard, elle va où la passion la mène. Henri Verneuil, Raymond Rouleau, Jean Le Poulain, Jean-Pierre Miquel, Jacques Deray l’ont dirigée, et elle a partagé l’affiche avec Jean Poiret, Olivier Reed, Faye Dunaway, Delon, Belmondo, Depardieu ou encore Ava Gardner !
Nous avons soumis à la comédienne neuf noms qui font partie de la longue liste de ses monstres sacrés. Nicole Calfan aime les souvenirs et la nostalgie. Ça tombe bien !
Causeur. Marie Bell ?
Nicole Calfan. Mes parents la connaissaient. La grande tragédienne de l’époque ! J’avais terminé mes deux années de conservatoire, et le concours de sortie – qui permettait d’entrer à la Comédie-Française si on décrochait un premier prix – n’avait exceptionnellement pas lieu : c’était le printemps 1968 ! Marie Bell rapporta à mes parents que Jacques Charon (sociétaire du Français) cherchait pour la maison de Molière une nouvelle ingénue à faire entrer dans la troupe, et qu’il allait faire passer des auditions. Je suis alléela voir pour qu’elle me donne le numéro de Charon. J’étais très impressionnée. C’était une grande star. Une diva. Un monstre sacré.
J’avais rendez-vous dans sa loge du Théâtre Marie-Bell (aujourd’hui Théâtre du Gymnase). La loge était magnifique, tamisée, sombre même. Partout du velours rouge. Plein de bouquets de fleurs séchées sur les meubles, sur les tables. J’étais fascinée. J’avais l’impression d’être dans la roulotted’une voyante. Les yeux noirs de kohl, fumant une cigarette, elle me dit de sa voix rauque : « Vous êtes très mignonne mon petit. Bon, je ne vais pas vous demander de me réciter quoi que ce soit. Vous avez un physique très harmonieux. Si ça marche, vous serez une ingénue. Vous irez voir Jacques Charon de ma part. » J’ai passé l’audition sur la scène de la Comédie-Française dans le rôle de Rosine, du Barbier de Séville, et j’ai été engagée. Je me suis retrouvée dans le grand bain. Je jouais sept pièces différentes par semaine. Toutes les ingénues du répertoire. Marie Bell a fait mon bonheur, mais je ne l’ai jamais revue…
Fernand Ledoux ?
Quel maître ! Il avait tourné avec les plus grands : Renoir, Decoin, Grémillon, Carné, Duvivier, Guitry… Il a été mon premier professeur au conservatoire. Quand on entrait dans la salle, on disait : « Bonjour maître », et lui répondait systématiquement :« Bonjour kilomètre ». C’était ainsi tous les matins. On adorait ça. Il ne nous apprenait pas grand-chose techniquement, mais on l’écoutait parler, il nous nourrissait. Je l’aimais beaucoup. Plus tard, j’ai demandé à Jean Yanne – avec qui je vivais alors –d’engager Ledoux. C’est comme ça qu’il s’est retrouvé dans Les Chinois à Paris.
Robert Hirsch et Jacques Charon ?
Duo comique extraordinaire ! À cette époque, l’esprit de la Comédie-Française, c’était eux. J’étais leur petite protégée. C’est grâce à eux que j’ai été si heureuse dans cette maison. Après les représentations, ils m’emmenaient dîner au restaurant, puis en boîte de nuit. Je partais assez tôt, mais eux restaient jusqu’à l’aube.Hirsch – qui était homosexuel – me disait :« Je n’ai aimé que deux femmes : toi et Jeanne Moreau ! » Ils avaient instauréune atmosphère très festive, très joyeuse au sein de la troupe. C’était des années folles. Ils étaient heureux de faire du théâtre, heureux de jouer et ne boudaient pas leur plaisir. J’ai découvert leur incroyable fantaisie en débutant avec eux dans Le Tartuffe. Hirsch jouait Tartuffe et Charon jouait Orgon. Hirsch était un grand clown. Un grand burlesque.
Jeanne Moreau ?
J’ai passé ma jeunesse avec des petits classiques Larousse sur ma table de nuit. Mon préféré, c’était Le Tartuffe, car il y avait les photos de Jeanne Moreau dans le rôle de Marianne. Elle était un modèle pour moi. La première fois que j’ai joué sur la scène de la Comédie-Française, c’était Angélique dans Le Malade imaginaire. Lorsqu’on m’a mis le costume, il y avait écrit sur une étiquette, à l’intérieur, « Mademoiselle Moreau ». C’était le costume qu’elle-même avait porté ! J’étais bouleversée. Le soir de la première, Frédéric Castet (de la maison Dior) a organisé une grande soirée pour fêter mes débuts. Et qui était là ? Jeanne Moreau ! Mon idole. Je cours vers elle, tout émue, et lui dis :« Mademoiselle, mademoiselle ! Je vous admire beaucoup et je viens de débuter ce soir avec l’une de vos robes. » Elle me répond alors sèchement : « Ça me fait une belle jambe ! » et elle part sans un sourire. Terrible déception.
Isabelle Adjani ?
J’ai décidé de quitter la Comédie-Française pour tourner Les Trois Mousquetaires (film de Richard Lester avec Oliver Reed, Faye Dunaway, Christopher Lee et Richard Chamberlain), alors que j’avais encore un projet qui me tenait à cœur. Raymond Rouleau avait proposé de me mettre en scène dans Ondine de Giraudoux. J’avais même choisi mon partenaire : Jean-Luc Boutté. Mais je suis quand même partie et n’ai pas honoré ce merveilleux projet. C’est Adjani qui a hérité du rôle. Et ce fut un énorme triomphe ! Avec Ondine, Adjani estdevenue Adjani. Une révélation. Je garde le souvenir d’une très grande actrice. Une grande puissance émotionnelle. Nous étions très complices et partagions la même loge. Je me souviens que le sol était jonché de scénarios, car bien que pensionnaires au Français, nous avions déjà toutes deux commencé à tourner au cinéma. En quittant définitivement cette loge, j’aiécrit un mot sur le miroir, au rouge à lèvres : « Je vous laisse Ondine, prenez-en soin… »
Avec Alain Delon, dans Le Gang de Jacques Deray (1977). DR.
Alain Delon ?
Delon, c’est mon Delon. C’est tout ! J’étais allée passer des essais pour Borsalino. Deray, Delon et Belmondo étaient assis chacun dans un fauteuil. C’était impressionnant. J’ai fait quelques essais très furtifs et ils m’ont engagée. Lorsque j’ai vu que le tournage se déroulerait à Marseille, j’ai tout de suite appelé Delon pour lui dire qu’il me serait malheureusement impossible de faire le film, car je jouais L’Avaretous les soirs au Français. « Mademoiselle, vous avez ma parole d’homme que vous serez tous les soirs à l’heure à la Comédie-Française », me répondit-il. Je l’ai fait. Je jouais le soir à Paris, je prenais ensuite le premier avion pour Marseille vers six heures du matin, on venait me chercher à l’aéroport, on m’emmenait à Cassis, je tournais et, vers 17heures le chauffeur de Delon me ramenait à l’aéroport. Çaa duré comme ça pendant trois semaines. Quand j’arrivais à Paris, je me dépêchais pour être à l’heure au théâtre. Ce qui m’a sauvée, c’est que Marianne n’entre qu’au troisième acte ! Je courais dans les couloirs, j’enfilais vite ma robe, je me précipitais en scène et disais ma première réplique : « Ah ! que je suis, Frosine, dans un étrange état… »
Sur le tournage, Delon et Belmondo étaient adorables avec moi. J’avais de nouveau sous la protection de deux stars, comme au Français, avec Hirsch et Charon. J’aime tellement Delon que j’ai écrit un livre sur lui, Lettre entrouverte à Alain Delon. C’est un grand amour. Il a dit un jour au Parisien :« J’ai eu deux amours platoniques dans ma vie. Un avec Bardot, et un avec Calfan.» J’ai ensuite tourné avec lui Le Gang et Franck Riva. On a souvent essayé de ternir son image, il a toujours suscité beaucoup de jalousie. Bien sûr que c’est un homme sombre, avec un passé douloureux, avec de la délinquance même. Delon, c’est beaucoup de souffrance, mais c’est un homme droit, respectueux, fidèle. Et puis, surtout, c’est un immense acteur. Et un passionné de cinéma. Il s’est beaucoup investi, financièrement même, il a aidé et produit de grands réalisateurs comme Joseph Losey. On disait qu’il était dur. C’est vrai qu’il était dur avec les réalisateurs, il intervenait beaucoup… « Non ! Il ne faut pas mettre la caméra comme ça ! Il faut la mettre comme ça ! » Mais souvent… il avait raison ! Alain Delon est le dernier monstre sacré du cinéma. Le dernier grand mythe vivant.
Jean Poiret ?
Tyran sanguinaire et acteur de génie ! J’ai joué pendant trois ans Joyeuses Pâques avec Jean Poiret et Maria Pacôme, pièce dont il était l’auteur. Je venais de quitter la Comédie-Française, mais c’est à ses côtés que j’ai tout appris. Mais quelle souffrance ! Quelle douleur ! Il n’était jamais content de ce que vous faisiez. Il me cassait sur scène en me disant à voix basse : « C’est nul ! Allez ! Du rythme, du rythme, du rythme ! » Il faisait sans cesse des remarques. C’était épuisant, déstabilisant. Heureusement que j’avais de très bonnes critiques. Mais je n’en pouvais plus. Un jour, au bout de trois ans, sans prévenir personne, j’ai décidé de ne pas aller jouer. Je me suis dit : ça suffit de souffrir comme ça ! Ce n’est pas normal. Ils m’ont attendue en vain et la représentation a dûêtre annulée. Voilà comment ça s’est terminé.
Dix ans après, Poiret m’a proposé une pièce dont il était l’adaptateur. Il ne m’en voulait pas. Et moi non plus, je ne lui en voulais pas. Il était comme ça, car il était angoissé, perfectionniste. Il se faisait du mal à lui-même, mais c’était un génie d’une puissance comique incroyable. Un rythme d’une précision mécanique. Un virtuose. Et j’insiste pour dire que Poiret était aussi un grand auteur !
Avec Dirk Bogarde, dans La Trahison de Cyril Frankel (1975).
Dirk Bogarde ?
Rencontre incroyable pour un navet ! Le film que nous avons tourné ensemble était très mauvais. La Trahison, avec Ava Gardner également, et Timothy Dalton (avant James Bond !). Ava Gardner était encore très belle, mais elle buvait beaucoup. Elle ne pouvait tourner que le matin. Durant le tournage en Autriche, Dirk et moi sommes tombés amoureux. Il était homosexuel, mais nous avons eu un grand amour platonique jusqu’à sa mort. À la fin du tournage, il m’a dit : « J’ai aimé deux femmes.Charlotte Rampling pour un chef-d’œuvre, et vous pour un navet. »
Michel Fau ?
J’ai retrouvé avec Michel Fau ce que j’ai connu avec Hirsch et Charon. Avec lui, c’est le respect des acteurs, l’exigence, la fermeté, le travail. Michel Fau, c’est ce que le théâtre peut faire de meilleur. Lorsqu’en 2019 j’ai joué Le Tartuffesous sa direction, j’ai eu l’impression de me retrouver à la Comédie-Française de ma jeunesse. Il avait constitué une troupe digne des grandes heures du Français. Il y avait notamment Michel Bouquet et Christine Murillo, et les magnifiques costumes de Christian Lacroix. J’ai aussi joué cet été Le Vison voyageur, à ses côtés et sous sa direction. Avec lui, c’est le théâtre que j’aime, celui qui me fait rêver. Grâce à Michel, j’ai retrouvé ma famille de théâtre. C’est un grand homme de spectacle. Un vrai.
Nicole Calfan campe Elmire dans Le Tartuffe de Michel Fau, octobre 2017. Photo: Marcel Hartmann
Pour finir, une question qui n’a rien à voir avec le reste. Vous vous êtes toujours déclarée féministe. Vous avez été l’une des plus belles femmes du cinéma de votre génération. Avez-vous eu, dans votre carrière, peur des hommes ? Sentiez-vous être une proie ? Et que pensez-vous de l’époque #MeToo ?
Je n’ai jamais été agressée, ni harcelée. Non, je n’ai jamais été terrorisée par les hommes. Le seul à m’avoir serrée de trop près, c’est Pierre Grimblat. J’avais 16 ans. Je lui ai filé une bonne baffe et ça a été terminé. Je n’ai pas fait le film qu’il me proposait, et ça m’a fermé quelques portes. Mais c’était mon choix ! Je pense que dans la majorité des cas, si une femme ose dire non, c’est non. Et ça s’arrête là. Moi, je ne serais jamais montée dans la chambre d’un producteur. Je défends les femmes battues ou violées. Mais on est obligé de constater aussi que la plainte pour agression sexuelle devient un outil de chantage et de vengeance. Avec cela, même sans aucune preuve, on peut détruire une réputation et mettre au ban de la société n’importe qui. C’est terrifiant.
Galette des rois de l'organisation de petits patrons Ethic, Paris, 5 janvier 2023. DR.
Notre chroniqueuse salue l’arrivée de Rachida Dati, son amie, au ministère de la Culture, avec laquelle elle venait de découper la galette des rois de son organisation patronale, sans que les deux connaissent encore la nouvelle destination de l’ancienne garde des Sceaux et porte-parole de Sarkozy…
L’univers de la culture est un monde qui a totalement changé, et, en ce sens, nommer Rachida Dati ministre de la Culture en est une forme de prise de conscience. La culture aujourd’hui ne se résume pas à l’Académie française même si Jean-Marie Rouart se réjouit de l’apparition de cette nouvelle ministre lumineuse à la forte personnalité, multi-facettes, énergique, n’ayant peur de rien ni de personne, ni des auteurs classiques ni des rappeurs ! Faire bouger la culture c’est essentiel. C’est le signe qu’elle se développe quelles que soient ses formes.
Et la culture d’entreprise ? Elle n’est jamais évoquée et c’est pourtant un des socles contributifs à la fois d’une éducation, d’un apprentissage, d’une curiosité et de la reconnaissance de la valeur des hommes et du travail. Rachida Dati a été une des premières à soutenir la « Fête des Entreprises », un fervent soutien. À cette occasion, à la Mairie du 7ème se rencontraient les grands auteurs du moment dans un salon du livre… précédé traditionnellement d’un cours de yoga pour les salariés du quartier !
Alors il y a déjà les ronchons, les tradis, les aigris qui radotent sur le quiz qu’ils pourraient lui faire passer comme ils l’avaient déjà fait pour Fleur Pellerin, une de ses prédécesseurs. On aime bien, en France, faire passer des examens (sauf aux élèves !) et à l’époque on avait espionné en ricanant les titres des livres qui figuraient dans les étagères de son bureau, et même la musique qu’elle écoutait. On parie que les pièges vont fleurir pour dire qu’elle est inculte comme on en avait fait courir le bruit pour Nicolas Sarkozy…
Mais surtout, Paris devrait y gagner car la ministre de la Culture a son mot à dire sur nos monuments et ce qui contribue à l’embellissement de la capitale, ouf ! et puis si elle n’a pas son mot à dire, personne ne pourra l’empêcher de le dire ! Le président de la République a annoncé qu’il voulait des révolutionnaires, c’est une très bonne chose car nous en avons une qui a été nommée. Il faut que les révolutionnaires changent de camp et fassent la bonne révolution, pas celle des grèves permanentes, des intermittents du spectacle la revendication bave aux lèvres à la moindre occasion, pas celle des personnels qui nous font assister à l’opéra sans décors, des fonctionnaires de l’art… Rachida Dati est probablement une chance pour dépoussiérer beaucoup de choses même si elle n’a pas fait son discours de passation de pouvoir en alexandrins comme celle à laquelle elle succède.
Mesdames de Menthon et Dati. DR.
Mais est-ce une chance pour elle ? Soyons conscients que c’est un terrible défi, qu’elle va essuyer les protestations, les manifestations, la résistance au changement, la fonctionnarisation de la culture, qu’on va attendre qu’elle fasse ses preuves à chaque instant… On veut Mauriac ? mais que diraient les jeunes d’une Mauriac aujourd’hui pour les entrainer et les comprendre ? Rachida Dati a accepté le portefeuille avec la plus grande prise de risque et que des coups à prendre…un défi beaucoup plus profond qu’on ne l’imagine. Chapeau déjà pour cela !
En janvier 1982 sortait sur les écrans français « Tout feu, tout flamme », une comédie bondissante de Jean-Paul Rappeneau avec Yves Montand et Isabelle Adjani, en père et fille.
C’est quoi un bon film ? Une œuvre d’art, un témoignage coup de poing, de l’action, des rires, du sexe, un rêve éveillé, la découverte d’un monde parallèle, des cris, des pleurs, une dénonciation, une lumière, une atmosphère, des dialogues, des silences, des gueules, des ombres, etc… A cette question, il y a autant de réponses que de sensibilité et d’aveuglément différents. Selon les goûts de chacun, le cinéma nourrit et fausse la représentation du réel.
La comédie de divertissement soignée, élégante, pleine d’entrain
Contrairement à certains de mes confrères qui plébiscitent la veine noire et défaitiste, la comédie sociale culpabilisante et maniérée, ou pis, le huis clos accusateur, ridiculement obséquieux, je préfère le rigodon, un tempo vif et entraînant, la légèreté des sentiments qui vient fouetter l’apathie d’un dimanche après-midi, le cadre léché, la ligne claire, des silhouettes bien dessinées, un certain confort bourgeois de visionnage en somme, le tangage m’indispose, le procès me rebute. Je déteste être la marionnette d’un réalisateur sournois qui va déverser sur moi, ses haines et ses rancunes, ses problèmes et ses lacunes. Qu’il conserve ses tourments intérieurs pour son cercle familial ou les professionnels de santé. Je ne suis pas son cobaye.
C’est pourquoi le divertissement m’a toujours séduit, d’où mon admiration pour l’œuvre de Philippe de Broca. Bien peu de réalisateurs ont le courage, l’honnêteté, l’intelligence, le tact, le savoir-faire pour s’engager dans cette voie-là. Revendiquer le divertissement, c’est s’exclure des cénacles autorisés et se parjurer dans le comique. Car, pour les cinéphiles, la frontière est ténue entre le divertissement et la daube, entre le film sans prétention artistique et le produit commercial insane, entre le rire et le proxénétisme. Ces gens-là ne savent pas voir, ni entendre, tellement ils sont bunkerisés dans leurs certitudes. Je regrette le temps où la comédie de divertissement soignée, élégante, pleine de petits miracles et d’entrain, de ce charme indéfinissable que l’on pouvait tout de même résumer en un seul mot : le respect, réunissait deux millions de spectateurs. Respect du public. On ne voulait pas le décevoir et étonnamment, on ne le draguait pas à tout prix. On lui offrait un spectacle complet de qualité, c’est-à-dire une histoire et ce mot devenu aujourd’hui honteux, une intrigue, des caractères, des situations, des variations, une fluidité narrative, une bonne humeur teintée de mélancolie, une capsule où les emmerdes du quotidien et la vacuité des existences s’évanouissaient. Un refuge. Prenons « Tout feu, tout flamme » de Jean-Paul Rappeneau, sorti en janvier 1982, comme exemple de ce noble divertissement. Il a tout pour contrarier les rances de la pellicule, une grosse production, deux vedettes au sommet de leur art déclamatoire, la présence d’un mannequin international, une partition signée Michel Berger, des décors conçus par Hilton McConnico, un tournage « riche », un casino en ruine, des méchants en Cadillac, un acteur suisse fascinant de roublardise et ce plaisir non feint de s’amuser, de s’évader, de se laisser emporter par les relations tumultueuses d’un père et d’une fille. Je défie quiconque de résister à cet élan-là. Il est salutaire.
Quand la beauté n’était pas un crime
« Tout feu, tout flamme » balaye les aigreurs de janvier, par sa fantaisie et sa tendre décrépitude, il déconsidère les gesticulations de l’actualité. Après avoir vu Montand et Adjani, les intrigants aperçus sur les perrons ou les plateaux de télévision vous paraissent minuscules et dérisoires. Sans éclat. Sans fond. Sans aspérité. Des mécaniques inutiles. Parce que je ne connais rien de plus émouvant qu’Isabelle dans ce rôle de polytechnicienne au visage de madone, la beauté n’était pas un crime au début des années 1980, c’était encore un don du ciel. Dans sa rigueur érotique de conseillère ministérielle, Isabelle court, s’époumone, tombe de vélo, conduit une Alfa Romeo dans un trou d’eau, prend un hélico, calcule à la vitesse de l’éclair, fait office de mère pour ses sœurs et demeure cette éternelle ambitieuse triste. Jamais bicorne n’aura été mieux porté que par Adjani. Moi, d’habitude si critique avec le jeu exagérément personnel de Montand, je le trouve ici presque dans la retenue, sur la réserve, dans un bel équilibre, loin de sa caricature agaçante. Jean-Luc Bideau affiche une veulerie jubilatoire, en souffre-douleur, il est insatiable. Souchon qui ne s’aime pas trop en acteur, avait tort. Il a un air moins ahuri et son esprit moqueur se déploie avec aisance. Lauren Hutton, tout juste auréolée du succès d’« American Gigolo » est la caution californienne du moment alors qu’elle est née en Caroline du Sud. Sur le bord du Lac Léman, ses dents du bonheur sont aussi sensuelles qu’en couverture de Vogue. La force de ce divertissement-là est sa permanence mémorielle. Il est loin d’être éphémère. Il instille en nous une nostalgie non revancharde et non victimaire. Peut-être, une attirance lucide pour une forme de bonheur perdu.
On aurait pu croire que le mois de décembre verrait l’esprit de Noël descendre sur l’Assemblée nationale… Mais pour cela, il faudrait que les députés croient à l’esprit de Noël !
49-3.
Bon, pour tout vous avouer, j’ai perdu le fil… 19, 20, 21, 22e 49-3 d’Élisabeth Borne depuis sa nomination à Matignon. Et, je l’ai déjà dit, dans une indifférence quasi générale. Même les députés du Rassemblement national ont abandonné l’idée de déposer des motions de censure et ne prennent plus la peine de voter celles de La France insoumise qui, elle, continue de s’époumoner sans que plus personne ne l’écoute… Avec pour seule conséquence – mais c’est peut-être leur seul objectif ? – d’agacer considérablement notre Première ministre. Selon des propos rapportés par La Tribune dimanche, elle aurait dit : « Ça me bouffe du temps. Dans leurs discours, ils ne savent même plus quoi raconter. Cela n’a d’intérêt pour personne, ça devient lunaire. » « Lunaire » ? Tout serait tellement plus facile si le Parlement n’existait pas…
Minute de silence
Lors de la séance de questions au gouvernement du 28 novembre, une minute de silence a été observée pour le jeune Thomas Perotto, tué à Crépol d’un coup de couteau en plein cœur. Enfin ! Ces derniers mois, on s’est (trop !) souvent levé dans l’Hémicycle. Mais cette minute-là est lourde, épaisse. Et vraiment silencieuse. Quand nous nous rasseyons, Élisabeth Borne parle. Elle évoque « un devoir d’unité, un devoir de dignité ». Et puis, elle condamne la « récupération politique » et les « démonstrations et actes de violence de l’ultradroite ». L’art de tout gâcher… Il y a des jours où on aimerait vraiment qu’elle se taise…
Le mardi 28 novembre, en commission des lois, les députés passent plus de trente minutes pour savoir si les candidats au regroupement familial doivent apprendre ou non le français… Ces gens m’épuisent !
« Mamie vapote »
Alors qu’elle s’exprimait à la tribune le jeudi 30 novembre, la députée Caroline Fiat – vice-présidente de l’Assemblée nationale – a dû s’interrompre parce que la Première ministre vapotait dans l’Hémicycle durant sa prise de parole. Assez justement, la députée a rappelé à Élisabeth Borne que son ministre de la Santé venait de présenter un plan antitabac qui prévoit l’interdiction de fumer ou vapoter sur les plages, les parcs ou devant les établissements scolaires. Mais pas dans l’Hémicycle, c’est vrai… Et la députée de pointer du doigt « un mépris total et un manque de respect ». Ce n’est pas la première fois que la chef de gouvernement est prise en flagrant délit de vapoter, à l’Assemblée comme au Sénat. L’article L.3513-6 du Code de la santé publique précise d’ailleurs que « le fait de vapoter dans un lieu à usage collectif est puni d’une amende pouvant aller jusqu’à 150 euros ».Chiche !
Pétaudière
Le 30 novembre dernier, Ugo Bernalicis, député de La France insoumise, arrive comme une furie en commission des lois. Il reproche au président de la commission des lois, Sacha Houlié, d’organiser l’examen du projet de loi immigration en même temps que la niche parlementaire de son groupe, qui se déroule au moment même dans l’Hémicycle. Le ton monte et certains craignent qu’on en vienne aux mains. Gérald Darmanin, présent, ironise en expliquant que « Ugo n’est visiblement pas prêt à entrer à Beauvau ». Référence à un clip de campagne du député que je ne connaissais pas, modèle de narcissisme et d’indécence sur le thème de « la police tue »… Pour les curieux, vous pouvez taper « Ugo à Beauvau » dans votre barre de recherche. C’est sur YouTube…
Hanouka à l’Élysée
Au risque d’offusquer les adorateurs de la secte de la laïcité, je n’ai pas été choquée quand Emmanuel Macron a allumé la première bougie de Hanouka à l’Élysée. Après avoir refusé de manifester contre l’antisémitisme, après avoir si peu fait pour les 40 Français tués par le Hamas le 7 octobre, c’était bien le moins…
Ce lundi 11 décembre, c’est la déflagration. Le projet de loi de Gérald Darmanin sur l’immigration vient d’être rejeté par l’Assemblée nationale sans même avoir été examiné par les députés… À qui la faute ? À Gérald Darmanin d’abord, qui a tout fait pour humilier les députés LR dans les jours précédant le vote. À « l’aile gauche de la majorité » ensuite, qui n’a cessé de savonner la planche du ministre. Quinze minutes avant d’entrer dans l’Hémicycle, je m’aperçois en effet que le président de la commission des lois vient de déclarer irrecevables presque un tiers des amendements que j’avais déposés. Prise de curiosité, je regarde le sort réservé aux députés Républicains : même chose, même proportion. Avouez que pour une majorité qui se prétendait « ouverte aux propositions » et « la main tendue », on pouvait attendre mieux… Troisième responsable, la droite de l’Hémicycle, qui n’a aucun scrupule à voter avec les pires immigrationnistes. Cette droite que cela ne dérange pas de rejeter le texte avant même qu’il soit discuté et donc, de ne pas accomplir la mission pour lequel elle a été élue. J’ai même entendu quelques « Vive les vacances ! » à l’issue du vote… Pour moi qui me suis abstenue (pas question de s’associer à la Nupes et à ses positions pro-immigration ; pas question de croire à la bonne foi d’une majorité qui refuse d’emblée de discuter sur ce qui constitue pour moi une véritable une ligne rouge…), je me sens dépossédée. Tout ce travail pour finir en déconfiture. Décidément, c’est le règne du billard à trois bandes et des politiciens à deux balles.
Amateurisme
Avant la motion de rejet, les tractations battent leur plein. Le cabinet du ministre de l’Intérieur chouchoute les élus LR pour les convaincre de voter contre la motion de rejet. Et tous les moyens sont bons pour parvenir à leurs fins. Les voilà qui appellent le député Fabrice Brun pour lui annoncer la création d’une nouvelle brigade de gendarmerie à Rosières. Manque de chance, ce n’est pas Fabrice qu’ils contactent, mais Philippe Brun, député PS, qui est appelé. Rappelez-vous,il y a quelques mois, Emmanuel Macron enjoignait ses députés d’être fiers d’être des « amateurs ». Certains l’ont pris au mot.
C’est une histoire à coucher dehors. À la belle étoile, au milieu des bêtes. Dans un livre sorti en 2018, publié en français l’été dernier chez Le temps des cerises, Pablo Santiago Chiquero nous entraîne en Andalousie, en 1930. On sait, grâce à un reportage de Michel Polac, qu’on pouvait trouver dans les Hautes-Pyrénées dans les années 60 des bergers poètes, lecteurs de Rimbaud, de Jean Giono et de René Char.Ici, c’est l’histoire d’un berger qui fait la lecture de Cervantès à ses chèvres et de Marx à ses brebis. Au départ, c’est un village qui ne paye pas de mine. Abra, hameau de cinq mille âmes, n’a pas donné un maître ou un avocat depuis des lustres. « En revanche, en sortirent quantité d’éleveurs de porcs, de travailleurs journaliers, de bouchers et autres professionnels illettrés ». Il faut dire que l’instituteur sur place, don Alvino, a davantage multiplié les taloches qu’il n’a enseigné l’alphabet durant les quinze années de son magistère. Un jour, sans doute confondu avec un chevreuil, il meurt d’une balle perdue. C’est un professeur excentrique, « gentillet et aimable », don Lazaro, vieux gars entouré de livres, qui le remplace. Alors, quand le patelin illettré rencontre l’énergumène, les villageois commencent à former des files d’attente pour aller jeter un œil dans son salon. Pas de risque, toutefois, qu’ils empruntent un livre. Ces gens-là sont plutôt « réalistes et les pieds sur terre ».
Mateo, vingt-quatre ans, alité
Dans le même temps, un jeune homme se morfond dans son lit. Mateo, vingt-quatre ans, berger, a des vagues à l’âme. Enfant, il avait été la coqueluche du village, à cause de ses exceptionnelles capacités de calcul mental. Son père Antonio avait voulu que son fils domine la lecture, l’écriture et le calcul : « A ne pas savoir lire et écrire, disait-il, on est condamné à avoir faim ; seuls les riches […] peuvent s’offrir le luxe de de l’ignorance ». On va pouvoir le faire entrer au séminaire ou l’université, à Cordoue ou à Grenade : « Avec un tel esprit agile avec les chiffres et une tête capable de tout mémoriser et de tout recracher comme un perroquet, en quatre soirées on eût pu faire de lui un bon maître d’école, en quatre ou cinq années un bon médecin, un professeur d’économie ou un avocat ». Hélas, le père Antonio meurt, abattu par la foudre. Pas question de laisser la pauvre mère seule avec les caprins et les ovins ; le petit garçon quitte l’école à dix ans et devient berger. Au milieu des bêlements, le jeune homme finit par tomber en dépression, s’enferme dans son lit crasseux et n’en bouge pas, pendant des mois entiers. Mateo n’est même pas un athlète de la dormition à la manière des frangins décrits par Albert Cossery dans Les fainéants dans la vallée fertile, capables de partir dans des marathons de sommeil de sept années. Il n’a pas non plus l’apathie d’un Oblomov affalé sur son divan. Mateo a seulement perdu l’envie d’avoir envie. Certes, sa fiancée, la belle Conchita, va lui redonner le goût de la vie quelque temps avec des caresses bien spéciales – mais dans l’Espagne cléricale des années 30, c’est un jeu bien dangereux. « Elle redoutait le moment de se retrouver dans le confessionnal de Don Jacinto, le prêtre d’Abra qui était un véritable aspirateur à pêchés ». Conchita cesse son manège qui ferait capoter le mariage. Le moral de Mateo se ramollit de nouveau. « Dieu sait que j’aurais tout essayé », se lamente la fiancée auprès de la mère du jeune homme. La réponse de la mère est savoureuse : « Je le sais, ma fille, je le sais. Ces choses-là laissent une odeur très particulière dans les maisons ».
Heureusement, Mateo va faire la rencontre de Lazaro. Enfin, c’est Lazaro qui va être amené à se rendre au chevet de l’alité. L’instit a un remède : la lecture. On commence avec le grand chef-d’œuvre de la littérature espagnole : Don Quichotte. En déposant le livre, Lazaro envie la chance du jeune homme : « Quelle chance et quelle longue nuit celle de l’homme perspicace et subtil qui pour la première fois se confronte au Quichotte ! ». Le miracle se produit : le berger commence à tourner les pages puis sort enfin de sa chambre. Il fait des lectures en public, au marché devant des villageois conquis. Puis il reprend la tête de son troupeau. Il remarque que ses bêtes tendent l’oreille et s’arrêtent un bon quart d’heure pour l’écouter. Plus tard, il se met à lire du Marx. Cette fois, il remarque que les chèvres sont plus attentives à la lecture de Cervantès, tandis que les brebis ne cachent pas de vrais penchants marxistes.
Cervantès pour les chèvres, Marx pour les brebis est un livre drôle, qui ne tombe pas dans le roman à thèse mais reste toujours sur le ton de la fable. Si les personnages sont atteints d’une folie paisible comparée à celle du chevalier de Cervantès, on retrouve un peu l’humour et le ton des aventures de Don Quichotte. L’auteur sait dépeindre de vraies scènes tragiques. Le parcours du jeune Mateo le rapproche un peu de La famille Tenenbaum (Wes Anderson), autres enfants prodiges qui découvrent les désillusions de l’âge adulte. Le narrateur dissémine, aussi, des vérités caustiques sur l’écriture. Comme celle-ci : « Plus tard, on oublia l’article ; c’est ce qui se passe avec la plupart des articles, ceux qu’écrivait Lazaro comme ceux de tout le monde d’ailleurs ».
À gauche du Premier ministre, la ministre de l'Education, Amélie Oudéa-Castéra, accuse le journaliste de Mediapart qui lui fait face de faire un "procès d'intention", 12 janvier 2024. Capture France TV.
Ils — ou plutôt, « elles » — étaient à peine nommées que les critiques ont fusé, particulièrement dans le milieu enseignant. Florilège de choses entendues par notre chroniqueur ou ses satellites.
« C’est du mépris pour les sportifs et du mépris pour les enseignants ! On n’a pas droit à un ministre à part entière ! Sophie Vénétitay [la secrétaire générale du SNES-FSU, très critique sur la nomination d’AOC, comme on l’appelle] a raison, on aura un ministre à mi-temps ! »
« Tu as vu ? Elle a scolarisé ses gosses dans le privé catho anti-homos, avec des classes non mixtes — c’est Mediapart qui le dit, ça doit être vrai ! »
« À Mediapart, sûr qu’ils inscrivent leurs enfants dans des écoles prolétariennes et socialement mixées… À Paris, ce n’est pas ce qui manque… »
« Ouais… Remarque, les enfants de Vallaud-Belkacem aussi ils étaient dans le privé… »
« Oui, mais elle, c’était pas pareil ! »
« Mais dis-moi, les tiens… »
« Oui, mais moi, c’est pas pareil ! »
🗣️"On en a eu marre, comme des centaines de milliers de familles", s'est défendue Amélie Oudéa-Castéra après les révélations de Mediapart. Le site d'investigation affirme aussi que les enfants de la ministre étudient dans "un établissement privé ultra réac".#franceinfo#canal27pic.twitter.com/5vVlDJ8SFL
« Tout ça sous prétexte que « Stan » était juste à côté de chez elle ! »
« Sous prétexte qu’ils font travailler leurs élèves ! pauvres gosses ! Obligés d’apprendre l’accord du participe passé… »
« Et sous prétexte que dans l’école publique où ils étaient inscrits précédemment, les enseignants étaient régulièrement absents ! »
« Sûr qu’elle est contre le droit de grève ! Eh bien, tiens, je vais faire toutes les grèves que lancera le syndicat ! »
« Sous prétexte qu’ils ne leur apprenaient rien ! Ça n’existe pas, des profs absents et pédagos ! »
« L’enseignement de l’ignorance », qu’il dit, l’autre ! »
« Ouais… La fabrique des crétins ! J’ai une tête à fabriquer des crétins ? Bon allez, j’y vais, il faut que je fasse ranger les tables en îlots pour que les élèves construisent leurs savoirs tout seuls… »
« Deux ministères ! Les Sports et l’Educ-Nat ! Tu sais ce que je crois ? Attal a chargé la barque pour qu’Amélie Oudéa-Castéra se plante. Pour qu’on dise : « Tu vois, les femmes, il ne faut pas trop leur en demander… » »
« Et puis… Deux ministères ! Moi, je n’arrive pas à gérer à la fois les Sixièmes et les Quatrièmes — et mes gosses… »
« Et Rachida Dati ! Ils n’auraient pas pu trouver quelqu’un qui appuie la culture de gauche ? J’sais pas, moi, Geoffroy de Lagasnerie, par exemple… Ou Edouard Louis… »
« Sa culture, c’est Louboutin ! Si encore elle portait des Doc Martens… »
« Dis-moi comment tu te chausses, je te dirai pour qui tu votes ! »
À ceci près qu’il n’y a plus depuis lurette de « culture de gauche ». Des cultureux, oui, des comédiens d’occasion qui se drapent dans des concepts wokistes pour faire croire qu’ils pensent, faute de savoir jouer. Depuis Malraux, qui a fait des étincelles à la Culture ? Quel homme de gauche, surtout ?
Je garantis l’exactitude des propos cités plus haut. La nouvelle titulaire de l’Educ-Nat devrait se mettre au courant : tout ce qui dérange certains profs dans leur petit train-train ordinaire — ne pas faire grand-chose, sinon grève — est d’emblée rejeté par une profession qui se sent dégradée, humiliée, méprisée — à qui la faute ?
Il y a bien peu d’établissements socialement mixtes, à Paris. Le prix du m2 et des loyers a depuis lurette dissuadé les pauvres de rester dans la capitale. Serait-ce moins scandaleux si AOC avait inscrit ses enfants à Henri-IV ou Louis-le-Grand ? Ou dans une école Montessori — c’est privé et super cher, mais ça a une réputation pédagogique de gauche…
Ou au Lycée autogérée de Paris, qui dans le dernier indicateur publié de la valeur ajoutée des établissements arrive en toute dernière position, avec un indice de -39… Oui, mais ça, c’est de gauche ! Il est sidérant qu’un ministre se fasse flinguer avant même d’avoir mis un pied dans son ministère. Très probablement parce que c’est une femme, une ex-bonne élève qui a réussi de vrais concours, qui a travaillé avec succès dans le privé (l’horreur, pour certains profs !), et qui aux Sports a réussi en quelques mois à se débarrasser de dirigeants sportifs (Noël Le Graet, par exemple) qui ne faisant guère honneur à la discipline qu’ils représentaient. On tire à vue Rachida Dati parce qu’elle est bien habillée, on canarde Amélie Oudéa-Castéra parce qu’elle a fréquenté des établissements d’élite et veut le mieux pour ses enfants. J’espère que peu lui chaut : la bave des crapauds n’atteint pas la colombe.
Le roman d’Astrid Monet, dont le titre est emprunté à un hémistiche de Baudelaire, Loin du noir océan, nous ramène au début des années 90 lorsqu’éclata l’affaire du sang contaminé. Le pouvoir politique fut frappé de plein fouet par ce scandale sanitaire et financier, qui fit des milliers de victimes. Laurent Fabius, Premier ministre, et Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales, en firent les frais, mais sauvèrent « leur peau », puisqu’ils furent relaxés, après une longue procédure judiciaire aux multiples rebondissements. Dufoix eut même cette formule restée célèbre : « Responsable mais pas coupable ».
Astrid Monet raconte l’histoire de Sullyvan, qui décide de partir en Espagne, à Barcelone, après la mort de son frère, Malone, en 1998. Ce dernier, hémophile, a été contaminé par ses innombrables transfusions sanguines. Pourquoi Barcelone ? Parce que Malone voulait visiter la capitale de la Catalogne. Sullyvan en profite pour échapper à l’atmosphère familiale délétère. D’un côté, la mère qui se sent coupable d’avoir elle-même fait les injections de ce sang impur, contaminé par la cupidité et la lâcheté des médecins et des responsables politiques ; de l’autre, le père, homme faible qui sombre dans l’alcoolisme. Alors il lui faut prendre la route pour tenter de comprendre pourquoi Malone désirait tant voir Barcelone. Avec le blouson de cuir de son frère, trop lourd à porter, Sullyvan déambule dans les rues bigarrées, sur la longue plage, dans la chaleur moite. En le suivant pas à pas, on éprouve la même oppression que lui. L’atmosphère est particulièrement bien rendue grâce à la sensibilité d’Astrid Monet. On ne pense plus au sida, à la bassesse des hommes de pouvoir, à ce scandale mondial qui aurait pu être évité, mais aux rencontres que fait le frère de Malone, à la musique qui l’envoûte, aux mystères d’un pays couleur pourpre. Extrait : « Nous vivions la nuit, visages livides comme des vampires, aspirant la fraîcheur des jeunes femmes, étudiantes ou touristes, ivres de joie, de rencontres. Je me perdais dans le tourbillon de la musique, du bruit. » Au bout de la noirceur, il y a, peut-être, la lumière, l’amour, la vie. Ce beau roman est une invitation au voyage. Ne le refusez pas.
Archibald rêvait. C’était même, si on s’en tient au temps qu’il y consacrait, sa principale activité. Ses rêves s’étiraient tout au long de ses nuits. Pas exactement des rêves récurrents, en ce sens que la plupart demeuraient flous, sans trame bien précise. Dépourvus d’intrigue, celle-ci fût-elle, comme il arrive souvent, un défi à la logique. Pas des cauchemars non plus, de ces rêves qui vous laissent au réveil à la fois terrorisé et soulagé que l’horreur vécue relève de la seule fiction. Plutôt des rêveries. Une succession d’atmosphères, de climats, plus ou moins agréables, plus ou moins prégnants, par lesquels il se laissait envahir sans chercher à leur échapper.
En avait-il, du reste, le pouvoir ? C’est peu probable. D’autant que l’engourdissement qui en résultait, cette mise en sommeil de tous les sens, n’avait en soi rien de désagréable. Tout au plus provoquait-il, dans les moments de plongée profonde, des soubresauts inconscients, des mouvements convulsifs des membres, comparables à ceux de la grenouille de laboratoire excitée par des décharges galvaniques, avant qu’il ne retrouve, couché sur le dos ou sur le flanc, une immobilité de gisant.
Le jour aussi, il l’occupait souvent à sommeiller, ou à somnoler, bercé par le ronronnement régulier du moteur. Même les cahots du véhicule, les brusques ralentissements, ne parvenaient à troubler cette sorte de langueur à laquelle il s’abandonnait. Une léthargie propice à la rêverie, que venaient alimenter des odeurs – celle du foin coupé lorsque le convoi traversait la campagne, celle de l’asphalte surchauffée de l’autoroute, celle, composite, des villes traversées, chacune porteuse de réminiscences confuses. Au début, le moindre bruit, crissement de frein, coup de klaxon ou même rumeur urbaine, suffisait à le faire sursauter. Maintenant, il ne percevait même plus ces agressions sonores, sachant, par expérience, qu’elles ne mettaient en péril ni sa vie, ni même son repos.
Parfois, il entrouvrait un œil, contemplait tel ou tel détail du paysage sans que son intérêt en soit, le plus souvent, éveillé. A vrai dire, il observait tout avec une indifférence souveraine. Plus lui importait son univers intérieur. Celui où il lui était loisible de se réfugier pour y flâner interminablement.
Cet univers, il le reconstituait sans en avoir conscience à partir de sensations enfouies depuis l’enfance au tréfonds de lui-même. Des couleurs violentes, contrastées, celles du pays où il était né. Le vent chaud qui dessèche, le soleil brûlant. Les vastes étendues où poussait une végétation étique. Des paysages apparaissaient sous ses paupières closes, s’enfantaient l’un l’autre, se mêlaient sans qu’il soit possible de discerner, dans ces visions, la part du souvenir et celle du songe.
Ces derniers temps, ce sont des images de la prime enfance qui surgissaient volontiers. Ses parents, ses frères. Le lent apprentissage de l’autonomie et de la liberté. Tout un passé révolu. Il y puisait, plus qu’une nostalgie stérile, un sentiment paradoxal de réconfort. Comme si tout cela, qu’il avait vécu, ne pouvait, quoi qu’il arrivât, lui être enlevé.
Un soudain ralentissement lui fit comprendre que le convoi avait atteint sa destination. Il apercevait, à travers les planches à claire-voie de la plateforme, la file de camions se rangeant en cercle sur une vaste prairie. Déjà les hommes s’affairaient. Une scène souvent vécue. Bientôt, lorsque tout serait prêt, on viendrait le chercher.
Il se leva, émit un long bâillement. Un frisson le parcourut à la pensée de ce qu’il allait devoir endurer. Un rituel réglé dans ses moindres détails. La tête puant l’alcool, le vieux tabac et l’après-rasage bon marché allait, une fois encore, prendre place dans sa gueule grande ouverte. Une fois de plus, il résisterait à la tentation de planter ses crocs dans la nuque offerte. Moins pour se venger d’années de servitude et d’avilissement que pour le seul plaisir d’entendre craquer les os.
Archibald s’ébroua, secoua sa longue crinière. Passa sa langue sur ses babines. Puis il bâilla à nouveau, savourant par avance le quartier de bœuf sanguinolent qui serait, comme toujours, la récompense de sa docilité.