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La pétitionnite, une grave maladie

Affaire Depardieu: c’est grave docteur ?


La pétitionnite, une grave maladie
Gérard Depardieu, 2018 © Daina Le Lardic/Isopix/SIPA

Nous sommes confrontés à un petit monde qui ne sait plus où donner de la pétition et s’illusionne sur son importance, son influence, son aura.


Le remaniement se fait attendre. Arrivera-t-il enfin ? Sophie Coignard, dans le Point, évoquait « le caractère toxique du remaniement » en enjoignant au président de la République de se décider une fois pour toutes au lieu d’atermoyer. Qu’il se produise ou non[1], cette période pousse jusqu’à la caricature ce que j’ai dénoncé dans mon billet du 5 janvier 2024. Il préside, nous attendons… Je pourrais continuer sur ce registre en espérant la fin de ce sadisme présidentiel, pour le gouvernement et les citoyens. Il est tout de même surprenant que le dessein politique soit si peu consistant que toutes ces péripéties semblent désordonnées. Ou faut-il considérer que les calculs politiciens l’emportent sur l’intérêt du pays ? Maintenant que le pays, après les fêtes de fin d’année, va reprendre ses activités, il n’est pas interdit, juste avant les choses sérieuses qui ne vont pas manquer de nous solliciter, de s’accorder un petit moment de dérision. Non pas que dans le fond l’affaire Depardieu ne soulève pas des interrogations fondamentales mais force est de reconnaître que ces dernières, la plupart du temps, ont été noyées dans le ridicule d’une pétitionnite aiguë. Nous en sommes pour l’instant à quatre pétitions.

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Vite : un Oscar pour Jacques Weber !

La première dans Le Figaro, en faveur de l’acteur, et à l’initiative de Yannis Ezziadi. Il est avant tout reproché à ce comédien d’écrire occasionnellement dans Causeur, qui n’a rigoureusement rien de la publication d’« extrême droite » évoquée çà et là. Avec le pluralisme de pensée inspiré par la passion de la liberté d’expression de ce magazine, une telle qualification, en effet, est purement grotesque !

Cette pétition à force est devenue exsangue, tant de personnalités ayant retiré leur signature par peur, par lâcheté, par une réflexion tardive… Il ne va bientôt plus rester que celle de son inspirateur ! Ces retraits, repentances, contritions, ne donnent pas une belle image du milieu culturel et de son courage. Le record est indiscutablement pour Jacques Weber qui a osé affirmer que l’avoir fait signer était « un autre viol » ! Les trois autres pétitions, dans des registres à peine différents, sont hostiles à la cause de Gérard Depardieu. On ne comprend pas pourquoi il était nécessaire de les multiplier, sinon par un narcissisme qui n’a pas de limites et consiste à croire qu’apposer son nom à la fin d’un texte va le rendre forcément digne d’intérêt et convaincant. Sans rire, on est confronté à un monde qui ne sait plus où donner de la pétition et s’illusionne sur son importance, son influence, son aura. Ou alors, comme l’a souligné Pascal Praud dans le Journal du Dimanche, c’est pour certains un moyen de se faire connaître et de sortir d’une ombre artistique pour entrer dans une infime lumière médiatique. Il n’est pas impossible que dans les prochains jours nous en ayons une cinquième ! Tout de même, quelle étrange perversion que celle de cette tradition de pétitionnisme à la française ! Ses ressorts sont d’abord de narcissisme, de surestimation de soi, comme si singulièrement ou collectivement il y avait là des personnalités, des fonctions, des activités qui garantissaient comme par magie la lucidité de la pensée et la justesse du point de vue. Il y a aussi une forme de paresse intellectuelle qui incite un groupe à valider (souvent sans le lire) un texte écrit par un seul et à donner ainsi l’apparence d’un travail commun quand ces exercices pétitionnistes relèvent plus des moutons de Panurge que d’autre chose. Enfin, avec ces prises de position répétées sur tout et n’importe quoi, les artistes qui en ont fait une véritable industrie se parent d’un engagement qui les fait passer pour des guerriers de papier et démontre qu’ils ne sont pas médiocres puisqu’au moins ils viennent à tout bout de champ nous imposer leur signature alors qu’on ne leur a rien demandé.

Le ridicule ne tue pas, même Patrice Leconte !

Ils ne comprennent pas que leur omniprésence sur les libelles, les soutiens, les dénonciations, les pétitions enlève tout impact en réalité à leur ostentatoire implication. La rareté d’une Catherine Deneuve, par exemple, sera infiniment plus persuasive que la profusion de bien d’autres ! La pétitionnite est en effet une grave maladie qui constitue pour quelques-uns une activité à plein temps, d’autant plus qu’elle peut se diversifier.

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Les artistes de gauche, l’univers du progressisme culturel ne s’étaient pas encore assez ridiculisés avec l’interminable feuilleton Depardieu. Il convenait qu’ils en fissent davantage en appelant à une « marche citoyenne » contre la loi Immigration. Les motivations de ces démarches sont du même ordre que pour les pétitions. Principalement la certitude qu’on a besoin d’eux, qu’on les espère, qu’on les attend pour savoir, nous le commun des citoyens, ce qu’il faut penser, quoi stigmatiser, quoi célébrer, et qu’ils sont des phares irremplaçables. Alors que non seulement leur avis tellement prévisible glisse sur nous sans nous troubler le moins du monde mais qu’il emporte probablement chez beaucoup un effet contraire : se méfier de ce que ces engagés de simulacre et de pacotille nous incitent à choisir. Cela va devenir un critère capital pour nos goûts, nos répugnances, nos hostilités et nos admirations artistiques et culturelles : nous aurons un préjugé très favorable pour ceux qui ne signeront aucune pétition. Qui ne croiront pas pouvoir entraver notre liberté.


[1] Le 8 janvier à 18 heures 30 on a appris la démission de la Première ministre et de son gouvernement. Dans sa lettre, Elisabeth Borne a sans équivoque manifesté qu’elle partait à la demande du président de la République. Gabriel Attal a été nommé Premier ministre le 9 à midi.




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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