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Nicole Calfan, ses monstres sacrés

Grand entretien avec Nicole Calfan. Propos recueillis par Yannis Ezziadi


Nicole Calfan, ses monstres sacrés
Nicole Calfan © Photo: Yannis Nicole

Éblouissante ingénue à la Comédie-Française et visage bien connu du cinéma populaire, Nicole Calfan a travaillé avec les plus grands comédiens et réalisateurs. Pour Causeur, elle revient sur quelques-unes de ses rencontres les plus marquantes.


Nicole Calfan, c’est cinquante-six ans d’une carrière bien remplie. Comédie-Française, cinéma, théâtre de boulevard, elle va où la passion la mène. Henri Verneuil, Raymond Rouleau, Jean Le Poulain, Jean-Pierre Miquel, Jacques Deray l’ont dirigée, et elle a partagé l’affiche avec Jean Poiret, Olivier Reed, Faye Dunaway, Delon, Belmondo, Depardieu ou encore Ava Gardner !

Nous avons soumis à la comédienne neuf noms qui font partie de la longue liste de ses monstres sacrés. Nicole Calfan aime les souvenirs et la nostalgie. Ça tombe bien !


Causeur. Marie Bell ?

Nicole Calfan. Mes parents la connaissaient. La grande tragédienne de l’époque ! J’avais terminé mes deux années de conservatoire, et le concours de sortie – qui permettait d’entrer à la Comédie-Française si on décrochait un premier prix – n’avait exceptionnellement pas lieu : c’était le printemps 1968 ! Marie Bell rapporta à mes parents que Jacques Charon (sociétaire du Français) cherchait pour la maison de Molière une nouvelle ingénue à faire entrer dans la troupe, et qu’il allait faire passer des auditions. Je suis alléela voir pour qu’elle me donne le numéro de Charon. J’étais très impressionnée. C’était une grande star. Une diva. Un monstre sacré.

J’avais rendez-vous dans sa loge du Théâtre Marie-Bell (aujourd’hui Théâtre du Gymnase). La loge était magnifique, tamisée, sombre même. Partout du velours rouge. Plein de bouquets de fleurs séchées sur les meubles, sur les tables. J’étais fascinée. J’avais l’impression d’être dans la roulotted’une voyante. Les yeux noirs de kohl, fumant une cigarette, elle me dit de sa voix rauque : « Vous êtes très mignonne mon petit. Bon, je ne vais pas vous demander de me réciter quoi que ce soit. Vous avez un physique très harmonieux. Si ça marche, vous serez une ingénue. Vous irez voir Jacques Charon de ma part. » J’ai passé l’audition sur la scène de la Comédie-Française dans le rôle de Rosine, du Barbier de Séville, et j’ai été engagée. Je me suis retrouvée dans le grand bain. Je jouais sept pièces différentes par semaine. Toutes les ingénues du répertoire. Marie Bell a fait mon bonheur, mais je ne l’ai jamais revue…

Fernand Ledoux ?

Quel maître ! Il avait tourné avec les plus grands : Renoir, Decoin, Grémillon, Carné, Duvivier, Guitry… Il a été mon premier professeur au conservatoire. Quand on entrait dans la salle, on disait : « Bonjour maître », et lui répondait systématiquement :« Bonjour kilomètre ». C’était ainsi tous les matins. On adorait ça. Il ne nous apprenait pas grand-chose techniquement, mais on l’écoutait parler, il nous nourrissait. Je l’aimais beaucoup. Plus tard, j’ai demandé à Jean Yanne – avec qui je vivais alors –d’engager Ledoux. C’est comme ça qu’il s’est retrouvé dans Les Chinois à Paris.

Robert Hirsch et Jacques Charon ?

Duo comique extraordinaire ! À cette époque, l’esprit de la Comédie-Française, c’était eux. J’étais leur petite protégée. C’est grâce à eux que j’ai été si heureuse dans cette maison. Après les représentations, ils m’emmenaient dîner au restaurant, puis en boîte de nuit. Je partais assez tôt, mais eux restaient jusqu’à l’aube.Hirsch – qui était homosexuel – me disait :« Je n’ai aimé que deux femmes : toi et Jeanne Moreau ! » Ils avaient instauréune atmosphère très festive, très joyeuse au sein de la troupe. C’était des années folles. Ils étaient heureux de faire du théâtre, heureux de jouer et ne boudaient pas leur plaisir. J’ai découvert leur incroyable fantaisie en débutant avec eux dans Le Tartuffe. Hirsch jouait Tartuffe et Charon jouait Orgon. Hirsch était un grand clown. Un grand burlesque.

Jeanne Moreau ?

J’ai passé ma jeunesse avec des petits classiques Larousse sur ma table de nuit. Mon préféré, c’était Le Tartuffe, car il y avait les photos de Jeanne Moreau dans le rôle de Marianne. Elle était un modèle pour moi. La première fois que j’ai joué sur la scène de la Comédie-Française, c’était Angélique dans Le Malade imaginaire. Lorsqu’on m’a mis le costume, il y avait écrit sur une étiquette, à l’intérieur, « Mademoiselle Moreau ». C’était le costume qu’elle-même avait porté ! J’étais bouleversée. Le soir de la première, Frédéric Castet (de la maison Dior) a organisé une grande soirée pour fêter mes débuts. Et qui était là ? Jeanne Moreau ! Mon idole. Je cours vers elle, tout émue, et lui dis :« Mademoiselle, mademoiselle ! Je vous admire beaucoup et je viens de débuter ce soir avec l’une de vos robes. » Elle me répond alors sèchement : « Ça me fait une belle jambe ! » et elle part sans un sourire. Terrible déception.

Isabelle Adjani ?

J’ai décidé de quitter la Comédie-Française pour tourner Les Trois Mousquetaires (film de Richard Lester avec Oliver Reed, Faye Dunaway, Christopher Lee et Richard Chamberlain), alors que j’avais encore un projet qui me tenait à cœur. Raymond Rouleau avait proposé de me mettre en scène dans Ondine de Giraudoux. J’avais même choisi mon partenaire : Jean-Luc Boutté. Mais je suis quand même partie et n’ai pas honoré ce merveilleux projet. C’est Adjani qui a hérité du rôle. Et ce fut un énorme triomphe ! Avec Ondine, Adjani estdevenue Adjani. Une révélation. Je garde le souvenir d’une très grande actrice. Une grande puissance émotionnelle. Nous étions très complices et partagions la même loge. Je me souviens que le sol était jonché de scénarios, car bien que pensionnaires au Français, nous avions déjà toutes deux commencé à tourner au cinéma. En quittant définitivement cette loge, j’aiécrit un mot sur le miroir, au rouge à lèvres : « Je vous laisse Ondine, prenez-en soin… »

Avec Alain Delon, dans Le Gang de Jacques Deray (1977). DR.

Alain Delon ?

Delon, c’est mon Delon. C’est tout ! J’étais allée passer des essais pour Borsalino. Deray, Delon et Belmondo étaient assis chacun dans un fauteuil. C’était impressionnant. J’ai fait quelques essais très furtifs et ils m’ont engagée. Lorsque j’ai vu que le tournage se déroulerait à Marseille, j’ai tout de suite appelé Delon pour lui dire qu’il me serait malheureusement impossible de faire le film, car je jouais L’Avaretous les soirs au Français. « Mademoiselle, vous avez ma parole d’homme que vous serez tous les soirs à l’heure à la Comédie-Française », me répondit-il. Je l’ai fait. Je jouais le soir à Paris, je prenais ensuite le premier avion pour Marseille vers six heures du matin, on venait me chercher à l’aéroport, on m’emmenait à Cassis, je tournais et, vers 17heures le chauffeur de Delon me ramenait à l’aéroport. Çaa duré comme ça pendant trois semaines. Quand j’arrivais à Paris, je me dépêchais pour être à l’heure au théâtre. Ce qui m’a sauvée, c’est que Marianne n’entre qu’au troisième acte ! Je courais dans les couloirs, j’enfilais vite ma robe, je me précipitais en scène et disais ma première réplique : « Ah ! que je suis, Frosine, dans un étrange état… »

Sur le tournage, Delon et Belmondo étaient adorables avec moi. J’avais de nouveau sous la protection de deux stars, comme au Français, avec Hirsch et Charon. J’aime tellement Delon que j’ai écrit un livre sur lui, Lettre entrouverte à Alain Delon. C’est un grand amour. Il a dit un jour au Parisien :« J’ai eu deux amours platoniques dans ma vie. Un avec Bardot, et un avec Calfan. » J’ai ensuite tourné avec lui Le Gang et Franck Riva. On a souvent essayé de ternir son image, il a toujours suscité beaucoup de jalousie. Bien sûr que c’est un homme sombre, avec un passé douloureux, avec de la délinquance même. Delon, c’est beaucoup de souffrance, mais c’est un homme droit, respectueux, fidèle. Et puis, surtout, c’est un immense acteur. Et un passionné de cinéma. Il s’est beaucoup investi, financièrement même, il a aidé et produit de grands réalisateurs comme Joseph Losey. On disait qu’il était dur. C’est vrai qu’il était dur avec les réalisateurs, il intervenait beaucoup… « Non ! Il ne faut pas mettre la caméra comme ça ! Il faut la mettre comme ça ! » Mais souvent… il avait raison ! Alain Delon est le dernier monstre sacré du cinéma. Le dernier grand mythe vivant.

Jean Poiret ?

Tyran sanguinaire et acteur de génie ! J’ai joué pendant trois ans Joyeuses Pâques avec Jean Poiret et Maria Pacôme, pièce dont il était l’auteur. Je venais de quitter la Comédie-Française, mais c’est à ses côtés que j’ai tout appris. Mais quelle souffrance ! Quelle douleur ! Il n’était jamais content de ce que vous faisiez. Il me cassait sur scène en me disant à voix basse : « C’est nul ! Allez ! Du rythme, du rythme, du rythme ! » Il faisait sans cesse des remarques. C’était épuisant, déstabilisant. Heureusement que j’avais de très bonnes critiques. Mais je n’en pouvais plus. Un jour, au bout de trois ans, sans prévenir personne, j’ai décidé de ne pas aller jouer. Je me suis dit : ça suffit de souffrir comme ça ! Ce n’est pas normal. Ils m’ont attendue en vain et la représentation a dûêtre annulée. Voilà comment ça s’est terminé.

Dix ans après, Poiret m’a proposé une pièce dont il était l’adaptateur. Il ne m’en voulait pas. Et moi non plus, je ne lui en voulais pas. Il était comme ça, car il était angoissé, perfectionniste. Il se faisait du mal à lui-même, mais c’était un génie d’une puissance comique incroyable. Un rythme d’une précision mécanique. Un virtuose. Et j’insiste pour dire que Poiret était aussi un grand auteur !

Avec Dirk Bogarde, dans La Trahison de Cyril Frankel (1975).

Dirk Bogarde ?

Rencontre incroyable pour un navet ! Le film que nous avons tourné ensemble était très mauvais. La Trahison, avec Ava Gardner également, et Timothy Dalton (avant James Bond !). Ava Gardner était encore très belle, mais elle buvait beaucoup. Elle ne pouvait tourner que le matin. Durant le tournage en Autriche, Dirk et moi sommes tombés amoureux. Il était homosexuel, mais nous avons eu un grand amour platonique jusqu’à sa mort. À la fin du tournage, il m’a dit : « J’ai aimé deux femmes.Charlotte Rampling pour un chef-d’œuvre, et vous pour un navet. »

Michel Fau ?

J’ai retrouvé avec Michel Fau ce que j’ai connu avec Hirsch et Charon. Avec lui, c’est le respect des acteurs, l’exigence, la fermeté, le travail. Michel Fau, c’est ce que le théâtre peut faire de meilleur. Lorsqu’en 2019 j’ai joué Le Tartuffesous sa direction, j’ai eu l’impression de me retrouver à la Comédie-Française de ma jeunesse. Il avait constitué une troupe digne des grandes heures du Français. Il y avait notamment Michel Bouquet et Christine Murillo, et les magnifiques costumes de Christian Lacroix. J’ai aussi joué cet été Le Vison voyageur, à ses côtés et sous sa direction. Avec lui, c’est le théâtre que j’aime, celui qui me fait rêver. Grâce à Michel, j’ai retrouvé ma famille de théâtre. C’est un grand homme de spectacle. Un vrai.

Nicole Calfan campe Elmire dans Le Tartuffe de Michel Fau, octobre 2017. Photo: Marcel Hartmann

Pour finir, une question qui n’a rien à voir avec le reste. Vous vous êtes toujours déclarée féministe. Vous avez été l’une des plus belles femmes du cinéma de votre génération. Avez-vous eu, dans votre carrière, peur des hommes ? Sentiez-vous être une proie ? Et que pensez-vous de l’époque #MeToo ?

Je n’ai jamais été agressée, ni harcelée. Non, je n’ai jamais été terrorisée par les hommes. Le seul à m’avoir serrée de trop près, c’est Pierre Grimblat. J’avais 16 ans. Je lui ai filé une bonne baffe et ça a été terminé. Je n’ai pas fait le film qu’il me proposait, et ça m’a fermé quelques portes. Mais c’était mon choix ! Je pense que dans la majorité des cas, si une femme ose dire non, c’est non. Et ça s’arrête là. Moi, je ne serais jamais montée dans la chambre d’un producteur. Je défends les femmes battues ou violées. Mais on est obligé de constater aussi que la plainte pour agression sexuelle devient un outil de chantage et de vengeance. Avec cela, même sans aucune preuve, on peut détruire une réputation et mettre au ban de la société n’importe qui. C’est terrifiant.

Janvier 2024 – Causeur #119

Article extrait du Magazine Causeur




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est comédien.

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