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Immigration: bienvenue en France-Afrique

La France est le pays européen qui accueille le plus d’immigrés africains. Le taux de fécondité élevé de ces populations dessine un bouleversement démographique rapide. Et les nombreux défis d’intégration imposés par cette situation ne se résolvent pas d’une génération à l’autre.


Disons-le tout net : il est désormais exagéré d’affirmer qu’on « ne peut pas parler de l’immigration » en France. La marée montante du réel a fini par rendre intenable le réflexe d’enfouissement qui avait prévalu sans conteste, durant trois décennies au moins, lorsqu’il s’agissait d’aborder cette question dans la majeure partie du champ médiatique ou politique. Depuis plusieurs années, le débat public cesse progressivement d’esquiver un certain nombre de questions centrales sur ce thème – à commencer par celle des nouveaux flux migratoires accueillis dans notre pays.

Augmentation spectaculaire des naissances issues d’au moins un parent né hors UE

En cette matière, le constat global du quart de siècle écoulé pourrait être résumé sous la forme d’un « triplement général ». Le nombre de premiers titres de séjour accordés chaque année à des ressortissants extra-européens a été multiplié par trois depuis la fin des années 1990. Le nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État (qui sert à approcher la dynamique de l’immigration clandestine) a été multiplié par trois depuis le début des années 2000. Le nombre de bénéficiaires du droit d’asile en France a été multiplié par trois en dix ans.

Cependant, le sujet demeure aujourd’hui peu traité sous l’angle des transformations « endogènes » induites par l’immigration au sein de la population de la France. Il faut entendre par ce terme : non seulement l’impact direct des flux migratoires, mais aussi leurs effets démographiques à retardement.

La France connaît, depuis le tournant des années 2010, une rétractation rapide de son « solde naturel », c’est-à-dire de la différence entre les naissances et les décès enregistrés sur son territoire. La diminution du nombre global de nouveau-nés (qui a baissé de 20 % en quinze ans) a fait basculer ce solde dans le rouge : en 2024 et durant les premiers mois de l’année 2025, la France métropolitaine a enregistré plus de décès que de naissances. La hausse de la population générale, qui se poursuit en France malgré ce déficit, est désormais essentiellement portée par l’immigration.

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Ce portage se fait de deux façons : d’une part, par l’accélération rapide des flux entrants que nous avons décrite ; d’autre part, par l’augmentation spectaculaire de la part des naissances issues de l’immigration – spécialement extra-européenne.

Pour la première fois, en 2023, plus de 30 % des naissances enregistrées en France ont été issues d’au moins un parent né hors de l’Union européenne. Depuis l’an 2000, le nombre annuel d’enfants nés sur le territoire et issus de deux parents eux-mêmes nés en France a diminué de 28 % ; mais dans le même temps, les naissances issues d’au moins un parent né hors UE ont augmenté de 36 % et celles issues de deux parents nés hors UE ont augmenté de 73 %.

Du fait de la diffusion géographique toujours plus large des réalités migratoires, cette part significative de l’immigration dans les naissances est désormais une réalité visible sur l’ensemble du territoire – avec des écarts qui persistent néanmoins. En 2023, 67 % des naissances en Seine-Saint-Denis ont été issues d’au moins un parent né à l’étranger, tout comme 57 % dans le Val-d’Oise et 54 % en Essonne, contre 11 % en Vendée, 10 % en Haute-Loire ou 9 % dans le Pas-de-Calais. Parmi ces naissances dont un ou deux parents sont nés à l’étranger, neuf sur dix concernent un parent né hors UE.

Surfécondité des femmes immigrées

L’accroissement rapide de cette proportion a évidemment partie liée avec celui de la population immigrée. Mais un autre facteur entre aussi en ligne de compte, souvent considéré comme un tabou : il s’agit de ce qu’on pourrait appeler la fécondité différenciée des populations immigrées. L’analyse des chiffres de l’Insee démontre que l’indice de fécondité (exprimé en nombre moyen d’enfants) des femmes nées à l’étranger est significativement plus élevé que celui des femmes nées en France : en 2021 – dernière année pour laquelle ces données sont disponibles –, il était de 2,3 enfants par femme en moyenne pour les premières, contre 1,7 enfant parmi les secondes. En particulier, il est plus élevé de moitié chez les femmes nées au Maghreb (2,5 enfants par femme) et deux fois supérieur parmi les femmes nées en Afrique hors Maghreb (3,3 enfants) par rapport aux « natives ».

D’où vient donc cette surfécondité des femmes immigrées ? Pour une large part : des mœurs et habitudes issues de leurs pays d’origine. La France présente en effet la particularité d’accueillir, de loin, l’immigration la plus « africaine » de l’ensemble du continent européen. La part des immigrés originaires d’Afrique parmi l’ensemble de la population immigrée est, dans notre pays, trois fois supérieure à la moyenne de l’Union européenne. Parmi ces immigrés africains, six sur dix sont originaires du Maghreb, mais la plus forte poussée récente concerne la zone subsaharienne : le nombre d’immigrés venus d’Afrique sahélienne, guinéenne ou centrale a doublé en France depuis 2006.

Or, l’Afrique est aujourd’hui le continent le plus fécond du monde – avec un indice moyen de fécondité qui s’élève à quatre enfants par femme. Cinq des six pays du monde qui ont le plus grand nombre d’enfants par femme sont des États africains francophones. Résultat de cette structure géographique particulière de notre immigration : l’indice de fécondité des femmes nées hors de l’Union européenne est, en France, le plus élevé de toute l’Europe occidentale. Il s’élevait à 3,27 enfants par femme en 2019, soit le double des natives cette année-là.

Les études démographiques indiquent que les niveaux de fécondité des personnes d’origine immigrée ont tendance à diminuer à la génération suivante et à converger – progressivement – vers la moyenne des natifs. Toutefois, cette convergence n’est pas immédiate et ses effets sont fortement mitigés par l’accélération des nouveaux flux entrants. Cela est d’autant plus vrai que la migration en France produit des effets l’apparentant à un véritable « déclencheur de naissances ».

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L’analyse des données recueillies par le ministère de l’Intérieur sur « la fécondité des femmes primo-arrivantes », c’est-à-dire installées récemment sur le sol français, est particulièrement frappante : le pic des naissances issues des femmes immigrées se situe dès la première année après leur arrivée sur le territoire. La part de ces naissances qui ont lieu un an après leur installation est trois fois plus élevée que celle enregistrée un an avant la migration. Cet effet est particulièrement notable pour certaines origines migratoires : toutes choses égales par ailleurs, les primo-arrivantes maghrébines ont entre 20 % et 50 % plus de chances de faire un enfant dans les quatre années après leur installation que les autres primo-arrivantes – et cela vaut pour les femmes originaires de Tunisie, où l’indice local de fécondité est pourtant descendu sous les 2 enfants par femme.

D’ores et déjà, la population de la France compte plus de descendants d’immigrés de « deuxième génération » que d’immigrés au sens strict (nés étrangers à l’étranger) – lesquels sont pourtant plus nombreux que jamais, tant en volume absolu qu’en pourcentage. Huit millions de personnes qui vivent aujourd’hui en France y sont nées d’un ou deux parents immigrés, majoritairement originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, de Turquie ou du Moyen-Orient. Leur structure d’âge est beaucoup plus jeune que le reste de la population : 37 % d’entre eux ont moins de 18 ans, contre 21 % pour la population sans ascendance migratoire (selon les plus récentes données Insee pour l’année 2020, qui tendent à sous-estimer ce que peut être la situation cinq ans plus tard). En particulier, 72 % des descendants d’immigrés d’Afrique guinéenne ou centrale ont moins de 18 ans, tout comme 50 % des individus nés de parents immigrés marocains ou tunisiens.

Cette situation emporte évidemment des implications extrêmement fortes pour l’avenir démographique du pays. Celles-ci sont d’autant plus importantes que les défis de l’intégration ne se résolvent pas spontanément d’une génération à l’autre. La part des jeunes nés de parents immigrés qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation est, en France, la deuxième plus élevée du monde occidental – « dépassée » par la seule Belgique.

Intégration économique désastreuse et archipellisation

Sur certains indicateurs d’intégration économique et sociale, la deuxième génération issue de certaines immigrations rencontre même des difficultés plus marquées que la première. 57 % des immigrés d’Afrique sahélienne vivent en logement social ; c’est le cas de 63 % de leurs descendants. Le taux de chômage des descendants d’immigrés algériens est plus élevé que celui des immigrés eux-mêmes, tout comme dans les populations originaires d’Afrique subsaharienne. L’effet du plus jeune âge des descendants est un facteur explicatif à prendre en compte, mais qui ne se suffit pas à lui seul. Comme l’a résumé le ministère de l’Intérieur dans sa récente réponse à une question parlementaire : « pour les descendants d’immigrés, la moitié de l’écart de chômage reste inexpliquée, et plus des deux tiers pour les immigrés originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou de Turquie ».

De tels constats dessinent un bouleversement démographique rapide et déjà très engagé, qu’une simple réduction (même drastique) de l’immigration nouvelle ne saurait effacer. Cependant, et à rebours d’un certain fatalisme qui règne parfois dans le débat public : les politiques mises en œuvre aujourd’hui et dans les années à venir auront un impact décisif sur le paysage de la population française à la fin de ce siècle. Leur pilotage raisonné commande une reprise en main politique des flux migratoires, à laquelle l’opinion publique aspire désormais de façon très majoritaire ; mais aussi la mise en œuvre d’une politique familiale renouvelée et intelligente, en mesure de rétablir les équilibres démographiques nécessaires à la cohésion de notre société – à rebours de l’archipélisation en cours.

Pourquoi le peuple leur fait-il si peur?

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Régime des partis. Quand tout le monde veut sauver sa place plutôt que la France, la démocratie devient un sport d’endurance plus qu’un idéal, déplore notre chroniqueur.


Rares sont les moments où, dans une démocratie, les extrémismes ont raison.

La France Insoumise et le Rassemblement national ne réclament que la dissolution et, dans un registre différent, le départ anticipé du président de la République.

Des personnalités politiques plus modérées, notamment Jean-François Copé et Édouard Philippe, sont sur cette dernière ligne, laquelle serait programmée par le président lui-même.

Sans solution

Le président, uniquement préoccupé par la fin de son quinquennat et ne parvenant plus à maîtriser les orages qu’il a engendrés et libérés, s’obstine à refuser au peuple le droit de trancher une crise inextricable qui, sans le recours à celui-ci, pourtant, demeurera sans solution.

Ce qui est amusant, si j’ose dire, c’est la manière dont chacun recouvre d’un voile noble des intérêts et des lâchetés tout ce qu’il y a de plus ordinaires.

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Les députés Les Républicains désirent participer au gouvernement en voie de composition – pour la seconde fois – par le Premier ministre qui, bouclier d’Emmanuel Macron une fois encore, commence sans doute à se lasser de n’être plus qu’un homme de devoir. Et ils refusent la dissolution : ils sont tellement angoissés à l’idée de ne pas retrouver leur siège !

Dominique de Villepin continue à dénoncer, à fulminer, à enjoindre avec flamme et talent, mais il ne nous donne jamais le mode d’emploi; pour un responsable politique, c’est toujours le plus difficile.

Chimérique union des droites

On parle beaucoup de l’union des droites. Même si un récent propos de Jordan Bardella a fait apparaître une main tendue aux Républicains, sur le plan parlementaire, au cas où le RN n’aurait pas la majorité absolue aux prochaines élections législatives, cette perspective peut séduire, mais elle est loin de pouvoir être réalisée – et je ne m’en réjouis pas. Il nous manque un François Mitterrand de droite, un génie politique, pour l’imposer. Il nous manque un Bruno Retailleau audacieux qui, malgré une déconvenue récente que ses ennemis exploiteront, devrait être davantage persuadé qu’il est le chef de la droite, que sa victoire éclatante à la présidence lui a donné une totale légitimité, et que, faute d’un parti fort, l’union des droites ne favoriserait que le RN dominant.

Il manque à la droite extrême – Marine Le Pen et Éric Ciotti -, plutôt que de pourfendre la famille conservatrice classique, la volonté de faire des efforts et de tenter de favoriser des similitudes sur l’essentiel. Toutes les différences ne sont pas graves, mais il ne faut pas en abuser !

Il manque à la droite républicaine le courage de se libérer de l’emprise de la gauche. Celle-ci, qui n’a aucune leçon à donner, se croit autorisée à en dispenser parce que le camp adverse l’écoute et lui obéit tout en feignant de ruer dans les brancards…

Et si, face à ces péripéties extraordinaires, au lieu de prétendre leur appliquer des remèdes ordinaires, on tentait l’inouï : solliciter les citoyens, assumer la démocratie, ne pas avoir peur de ses risques et périls, mais considérer qu’elle est toujours la solution ?

Demain, celui qui sera exemplaire et peu anxieux de perdre son pouvoir en amplifiant celui du peuple, sera en bonne voie d’être élu.

Gaza: le Hamas et l’arme démographique

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Malgré les accusations récurrentes de « génocide », la population de Gaza continue de croître à un rythme soutenu. Cette dynamique, autrefois encouragée par les régimes nationalistes arabes, de Nasser à Boumediene, a depuis été reprise et amplifiée par le Hamas. Le mouvement islamiste terroriste en a fait un instrument stratégique et un rempart: en contrôlant étroitement la société, notamment les femmes, il a transformé la démographie en atout politique et militaire capital face à l’État juif. Analyse.


Deux ans après l’attaque du 7 octobre 2023, le monde reste marqué par la violence des massacres du Hamas et le traumatisme. La relance du plan Trump pour Gaza fait renaître l’espoir d’une paix fondée sur la démilitarisation et la reconstruction, mais cet horizon demeure fragile.

En deux ans de guerre, une rhétorique inversée s’est imposée : l’agresseur se présente en victime et toute riposte est qualifiée de « génocide ». Cette manipulation du langage offre implicitement au Hamas une bouée de sauvetage, lui permettant de justifier l’usage des civils comme boucliers humains, une pratique prohibée par le droit international humanitaire.

La démographie de Gaza constitue enfin un instrument politique et organisationnel. En contraignant les femmes à une natalité élevée, sans droit à l’avortement légal, le Hamas élargit sa base de recrutement et renforce sa domination sociale. Tant qu’il ne sera pas désarmé et que la vie civile restera sous sa tutelle idéologique, cela afflige toute perspective de règlement pacifique d’une complicité structurelle.

La manipulation des chiffres de victimes, notamment des femmes et des enfants, alimente une guerre de perception où la donnée se fait propagande. Or les indicateurs démographiques montrent qu’à Gaza, malgré la guerre, la population croît toujours, même depuis le 7 octobre 2023. Ce paradoxe révèle l’ambiguïté d’un récit qui confond tragédie et stratégie : Gaza demeure un champ de bataille médiatique autant qu’humain, où la vie elle-même devient instrument de guerre.

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La bande de Gaza compte aujourd’hui entre 2,1 et 2,2 millions d’habitants, dont près de 1,7 -1.8 million sont enregistrés comme réfugiés auprès de l’UNRWA, et environ 400 000 habitants originaires de Gaza même. Lors de la guerre de 1948, Gaza abritait environ 250 000 personnes, dont 200 000 réfugiés venus d’autres régions de la Palestine mandataire, et seulement 50 000 habitants originaires de Gaza même.

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Pendant sept décennies, la population de Gaza a été multipliée par plus de huit, la croissance étant encore plus marquée chez les réfugiés que chez les habitants originaires de Gaza. À l’échelle régionale, le nombre total de réfugiés palestiniens est passé d’environ un million en 1948 à près de 5,9 millions aujourd’hui, soit une augmentation nettement supérieure à celle observée chez d’autres populations réfugiées dans le monde. Ce paradoxe démographique, caractérisé par une population dite réfugiée en expansion continue malgré les guerres successives de 1967, 1973, 2008, 2014, 2021 et 2023, met en lumière le mystère d’une croissance à la fois singulière et persistante.

Le statut de réfugié accordé à environ 200 000 Palestiniens installés à Gaza en 1948 soulève une question demeurée largement ignorée. En 1947, l’Égypte, la Jordanie, la Syrie, l’Irak, le Liban et le Yémen ont rejeté le plan de partage de la Palestine adopté par l’ONU et choisi la voie militaire contre la création d’Israël. Leur défaite en 1948 marqua un tournant, mais les gouvernements arabes n’en tirèrent pas les conséquences politiques, notamment sur la question des populations déplacées. Dans d’autres contextes conflictuels, les États concernés ont assumé leurs responsabilités et intégré certaines populations, comme les métis aux Pays-Bas après l’indépendance de l’Indonésie ou les Indiens par le Royaume-Uni après leur expulsion d’Ouganda.

À l’inverse, l’Égypte, l’Irak, le Liban, la Syrie et le Yémen n’ont pas intégré les réfugiés à la suite de la guerre de 1948. Seule la Jordanie accorda la nationalité à une partie d’entre eux, tandis que l’Égypte, sous le règne du roi Farouk, administra la bande de Gaza sans naturaliser les quelque 200 000 réfugiés qui s’y étaient installés.

En 1952, le roi Farouk fut renversé par un coup d’État militaire mené par Nasser. Sous Nasser, Gaza devint un instrument d’influence et de contrôle. Comme l’a écrit Hannah Arendt, « dans le totalitarisme, tout devient possible » : la logique du régime nassérien associa politique et surveillance. Des enseignants et fonctionnaires égyptiens furent envoyés sur place, officiellement pour y travailler, mais en réalité dans le cadre d’un exil déguisé destiné à éloigner les opposants au régime.

L’UNRWA, censée être une agence internationale indépendante, dut néanmoins composer avec les autorités locales et, de fait, se conformer à leurs exigences. Elle enregistra comme réfugiés les populations présentes. Aujourd’hui encore, de nombreux « Gazaouis », y compris plusieurs dirigeants du Hamas, se revendiquent Egyptiens. Yasser Arafat lui-même, né au Caire sous le nom de Mohammed Abdel Raouf al-Qudwa, n’apprit jamais véritablement l’arabe levantin et conserva, jusqu’à la fin de sa vie, l’accent et les tournures propres à l’arabe égyptien.

Par conséquent, le régime nassérien fut le premier à structurer, de manière indirecte, une dynamique démographique à Gaza en y stabilisant une population sous administration égyptienne. Cependant, il ne fut pas le seul à exercer une influence durable sur cette évolution. Dès les années 1960, plusieurs États arabes pétroliers, parmi lesquels l’Arabie saoudite, le Koweït, le Qatar, les Émirats arabes unis et la Libye, recrutèrent massivement des enseignants, techniciens et cadres issus principalement de Syrie, du Liban, de Jordanie et des territoires palestiniens, sans accorder une attention particulière aux Gazaouis. Par ailleurs, la politique de Nasser consistant à envoyer du personnel égyptien vers Gaza engendra un chômage élevé, notamment parmi les diplômés, poussant les Gazaouis à chercher du travail à l’étranger.

Quand Boumediene organisait la fuite des cerveaux gazaouis

En revanche, le régime algérien de Houari Boumediene, connu pour son slogan « avec la Palestine, juste ou injuste », fit de l’accueil de réfugiés palestiniens, notamment de Gaza, un instrument de sa politique dite « d’arabisation », c’est-à-dire de défrancisation culturelle. Il aurait sollicité la direction de l’Organisation de libération de la Palestine, sous Ahmad Chouqairi puis sous Yasser Arafat, afin d’obtenir des listes de diplômés, principalement originaires de Gaza, pour les recruter comme enseignants en Algérie.

Boumediene, qui en Algérie encourageait la natalité pour des motifs chauvinistes, créa un climat où le recrutement des Gazaouis fut discrètement favorisé. Ces derniers furent incités à adopter le modèle nataliste, à la fois par la culture ambiante et par les avantages matériels. Mieux rémunérés que dans leur territoire d’origine et vivant dans un pays au coût de la vie bien inférieur, ils furent poussés, souvent de manière implicite, à fonder des familles nombreuses. Cette politique associa la fécondité arabe à une revanche symbolique sur Israël, dans une Algérie marquée par l’expulsion de sa population juive et un climat d’antisémitisme et de racisme anti-français dont le régime ne s’est jamais entièrement affranchi.

Quant au Hamas, bien avant même sa prise de contrôle de Gaza et dans les zones A et B, la législation locale suivait les cadres juridiques hérités de l’Égypte et de la Jordanie : le code pénal égyptien appliqué à Gaza et le code pénal jordanien en vigueur dans les zones A et B. Ces deux régimes interdisent strictement l’avortement, sauf en cas de danger grave pour la vie de la mère.

Depuis 2007, le Hamas applique une interprétation particulièrement rigoureuse de ces lois. Il exerce une surveillance étroite sur les femmes et poursuit les médecins soupçonnés de pratiquer des avortements. Plusieurs organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch et Al-Mezan, ont signalé les effets de cette politique sur la santé et la dignité des femmes, souvent contraintes de recourir à des pratiques clandestines dans des conditions précaires. Cette situation fait peser un danger sur toute femme qui cherche à s’émanciper du discours théologique du Hamas, lequel appelle à la natalité même au prix de la création de familles très nombreuses.

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Cette politique s’inscrit également dans une logique de contrôle démographique : le Hamas cherche à maintenir un taux de natalité élevé, perçu comme un levier stratégique face à Israël. Ce contrôle du corps féminin, exercé sous la contrainte et la menace, révèle une instrumentalisation politique de la maternité au service des objectifs du mouvement et du renforcement de ses brigades armées.

Des prédicateurs religieux, des figures du nationalisme arabe et même certaines personnalités qualifiées de libérales ou modérées ont présenté la croissance démographique comme une arme stratégique du conflit. L’image de la « bombe démographique » s’est progressivement imposée dans les médias arabes. Dans un entretien diffusé le 11 mars 2009 sur Al Jazeera, Boutros Boutros-Ghali, ancien ministre égyptien des Affaires étrangères et ancien secrétaire général de l’ONU, théorise la fin de « l’État juif » dans un délai de vingt à trente ans sous l’effet de la dynamique démographique.

Cette rhétorique a fait de la natalité un enjeu idéologique majeur, partagé par les nationalistes et les islamistes. Les acteurs internationaux devraient inclure la dimension démographique dans les négociations, afin de protéger les droits des femmes, notamment à Gaza, de garantir le droit à l’avortement, de freiner l’instrumentalisation politique de la croissance démographique et de réformer les politiques familiales de manière adaptée pour répondre aux objectifs d’une paix durable et équilibrée.

Emmanuel Macron, chef d’État et figure influente au sein du Conseil de sécurité et de l’Union européenne, a plaidé pour la reconnaissance d’un État de Palestine, estimant qu’un État unique serait majoritairement arabe, sans voir que cette évolution démographique a été en partie fabriquée. Une approche plus prudente est nécessaire pour l’avenir du Moyen-Orient.

Utopie et tragédie

Un prix très élevé. Plus de 1 900 prisonniers palestiniens devront être relâchés par Israël, en échange de la libération des otages israéliens encore en vie retenus par le Hamas. Huguette Chomski Magnis dénonce l’inaction de la «communauté internationale» face aux crimes du 7 octobre 2023 commis contre Israël, accusant l’ONU et une partie du monde d’avoir inversé les rôles entre victimes et bourreaux pour légitimer le terrorisme islamiste. La Secrétaire générale du Mouvement pour la Paix et contre le Terrorisme en appelle à une mobilisation morale et universelle contre cette dérive.


La veille, le pire s’était produit : invasion, massacres, assassinats de familles entières, viols accompagnés de tortures, outrages aux vivants et aux morts, enlèvement massif et déportation de civils – enfants, femmes et hommes de tous âges.
Beaucoup de ces crimes avaient été filmés par leurs auteurs.
Le 8 octobre 2023 le Conseil de Sécurité se réunit en urgence sous le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies pour condamner l’agression subie par Israël et réclamer la libération immédiate, inconditionnelle, de tous les otages.
Les ONG présentes à Gaza, Croix-Rouge en tête, exigèrent de rendre immédiatement visite à ces otages, menaçant de cesser toute intervention si on n’accédait pas à leur demande.
Dans le monde entier les manifestations massives se succédaient pour condamner le Hamas et exiger la libération des otages.
Les rues de Paris ne désemplissaient pas, on alla dénoncer les complices du terrorisme en manifestant devant les ambassades du Qatar et de la République Islamique d’Iran, devant la Mission de Palestine.
La Cour Pénale Internationale fut saisie en urgence par le Conseil de Sécurité pour crime d’agression et soupçon de crimes contre l’humanité.
Elle se réunit promptement et après enquête accélérée, des mandats d’arrêt internationaux furent émis contre les dirigeants du Hamas et des autres organisations terroristes ayant participé aux atrocités du 7 octobre, où qu’ils se trouvent.
La mobilisation en solidarité avec les victimes du 7 octobre ne faiblissait pas.

Le Conseil de Sécurité de l’ONU lança enfin un ultimatum au Hamas, au Djihad Islamique, au Fatah et au FPLP : tous les otages devaient être libérés sous 48 heures.
L’ONU se préparait déjà à l’envoi de Casques Bleus pour libérer les otages, détruire l’arsenal accumulé par les organisations terroristes et les tunnels dont Gaza était truffé.

Non, bien sûr, rien de tout ceci ne s’est produit.

Il faut passer par l’utopie pour énoncer ce qui aurait se produire dans un monde normal et essayer de faire prendre conscience de l’ampleur de la faute commise par la « communauté internationale. »

Rétablir la vérité c’est d’abord bien établir les responsabilités. Celle de l’ONU, non seulement impuissante face au terrorisme islamiste mais complice de celui-ci, est écrasante.

L’inversion victimaire et accusatoire sous-tend le narratif dominant.

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Pour mieux effacer les crimes contre l’humanité, à visée génocidaire, du 7 octobre, on a eu recours au plus pervers et au plus efficace des stratagèmes : transformer les victimes en coupables, accusées du plus grave des crimes, le génocide.

Au nom de cette calomnie, on attaque dans le monde entier des Juifs de tous âges – petit génocidaire, va !

La tragédie est à son comble quand au trauma de la victime, individu ou peuple, s’ajoute non seulement la souffrance de sa solitude dans l’indifférence du monde mais encore l’injustice qui la désigne comme bourreau !

Jamais le Hamas n’aurait pu y parvenir seul mais le Qatar et l’Iran ont su, diplomatie de l’arrosage du premier et de la prise d’otages du second aidant, l’ériger en dogme qui fonde le discours dominant et disculpe le terrorisme islamiste.

La prise d’otages est le piège absolu auquel il n’existe PAS de bonne réponse.

Comme les lycéennes nigérianes chrétiennes, les otages israéliens ont été abandonnés aux terroristes islamistes.

Mais s’il n’y a jamais eu de mobilisation pour Boko Haram, il y en a eu une, délirante, pour le Hamas !

Kfar Saba, Israël, 12 novembre 2023 © Ariel Schalit/AP/SIPA

Des méthodes fascistes sont employées pour intimider, exclure, faire la chasse aux Israéliens et aux sionistes, réels ou supposés.

L’étendard omniprésent est panarabe, il date de la révolte de 1916 contre l’empire ottoman, attisée par l’Angleterre. Recyclé en « drapeau de la Palestine » à la fin des années 60 quand la volonté contrariée du monde arabe de détruire Israël et les Juifs s’est astucieusement muée en « cause palestinienne. »

Ce qui se joue n’est pas que l’avenir de cette région de l’Orient compliqué, mais la légitimation universelle du terrorisme et de la prise d’otages.

Victorieuse, elle validerait la torture et la cruelle humiliation de civils kidnappés jusque dans leurs lits.

Elle validerait l’impunité des pires criminels, terroristes dûment condamnés, échangés contre des otages innocents.

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Offrant un boulevard à toutes les organisations terroristes, elle préparerait de nouvelles prises d’otages, dans le monde entier, clé de la libération d’assassins.

L’enjeu n’est pas, comme on l’entend souvent, la survie de l’Occident mais bien celle de l’humanité, celle des valeurs universelles contre lesquelles s’acharne l’islam politique.

Les personnalités qui osent aller à contre-courant en s’opposant à l’apologie du terrorisme et de l’antisémitisme, font preuve d’un très grand courage.

Exposant leurs carrières et même leurs vies, elles se comptent sur les doigts de quelques dizaines de mains.

Elles expriment pourtant la voix de la majorité silencieuse.

Soutenons-les, relayons leur parole, brisons le silence, rassemblons-nous autour d’elles et nous deviendrons une majorité active, cohérente dans la résistance au terrorisme.

Odieux visuel de sévices publics: ma guerre est déclarée

Exemples à l’appui, Gilles-William Goldnadel explique pourquoi il fustige les chaînes publiques françaises chaque jour que Dieu fait.


Je suis un obsédé assumé. J’ai confessé cette obsession depuis longtemps. Pire même : Je m’en vante. Ma guerre contre l’audiovisuel de service public, je ne sais même plus quand je l’ai débutée. Sur mon compte X, qui a déjà dix ans d’âge, je me présente comme « Décodeur patenté de France Inter ». Pourquoi ? À dire le vrai, je ne sais pas faire le départ entre mon indignation de principe de voir des médias, que je paye à travers la redevance, colonisés par l’extrême-gauche, et mon énervement personnel quotidien d’y entendre des idées que je combats et des désinformations manifestes sur des thématiques affinitaires qui me sont chères. Une chose est certaine, mais nul n’est obligé de me croire : si, par hypothèse hardie, la TV et la radio d’Etat étaient colonisées par mon camp, cela m’indignerait tout autant, et je me battrais pour que d’aucuns puissent y dire ce que je déteste entendre.

À ce stade théorique, passons à la partie pratique. Pour prendre mon lecteur à témoin de mon obsession et de ses bonnes raisons, je voudrais lui faire connaître, entre mille, ce que j’ai consigné pendant une semaine prise au hasard avec déraison sur X :

11 septembre 2025:  « L’affaire Cohen ne semble pas avoir complexé la radio gauchiste de sévices publics. La nouvelle préposée à la revue de presse Nora Hamadi, admiratrice de Tondelier, adore citer Mediapart, l’Huma ou Libé. Elle n’a pas trouvé un article contre le Hamas.»

12 septembre 2025 : « Ali Baddou recevait ce matin Jean-Noël Barrot. Il le presse de questions choisies d’auditeurs concernant des sanctions vs Israël. En revanche, il ne songe pas à l’interroger sur l’Algérie, qui a pris en otages Boualem Sansal et un journaliste. »

13 septembre 2025 : « France Inter 9h : reportage sur Tommy Robinson à charge. Qui omet d’indiquer que les immenses manifestations de Londres sont nées de la dissimulation médiatique de milliers de viols de jeunes filles blanches de la classe ouvrière par des gangs pakistanais. »

A ne pas manquer, Didier Desrimais: Chronique d’un scandale politico-médiatique dont France Inter se serait bien passé

14 septembre 2025 : « C’est France Inter qui a porté la pétition contre la loi Duplomb, annonçant chaque jour sa progression. Elle n’a pas dit un mot sur la pétition de Philippe de Villiers pour un référendum contre l’immigration invasive. »

15 septembre 2025 : « Structure d’une émission de sévices publics. Reportage à Gaza : Le Gazaoui critique Israël. Reportage en Israël : L’Israélien critique Israël. »

16 septembre 2025 : « A 8h22 sur France Inter, la journaliste du Monde Ivanne Trippenbach relaie ce fake infect que Charlie Kirk aurait déclaré que les femmes noires étaient moins intelligentes que les autres. »

17 septembre 2025 : « Ce matin Pierre Haski, chroniqueur de France Inter, vient de commettre son 8201 ème édito contre Israël. »

18 septembre 2025 : « Question à Delphine Ernotte : Si CNews est « d’extrême-droite », comment appeler la chaîne de sévices publics France 24, qui emploie toujours (sans protestations de France Inter) le journaliste Fady Hanouna, qui veut « brûler les juifs comme Hitler » ? Radio nazie ? »

Voilà, maintenant vous connaissez mon obsession. J’ai écouté pour vous gracieusement les signes disgracieux, non seulement d’une désinformation partisane mais, encore davantage dans ses émissions de distraction, d’une véritable décérébration intellectuelle. Je n’ai en réalité qu’un ennemi : la tentative sournoise de me voir financer malgré moi l’hégémonie d’une seule idéologie.

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La croisière des Indignés

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En ce jour d’espoir, alors que le cessez-le-feu s’installe à Gaza et qu’une poignée d’otages survivants vont, après deux années en enfer, retrouver enfin leurs familles, offrons-nous un petit retour sur la dernière bouffonnerie en date.


Ils sont partis d’Espagne ou d’Italie, keffieh autour du cou, drapés dans la ferveur mystique de Croisés sans Dieu.

Les voiles gonflées d’aise, la « flottille pour Gaza » voguait vers le Levant chargée d’une petite armée de militants – dont les inévitables Greta et Rima – persuadés de servir le Bien en se précipitant vers les nouveaux « damnés de la Terre ». Les seuls qui vaillent qu’on prenne son baluchon et ses RTT.

Ces militants repus de bonne conscience ne défendent pas la justice, ils s’enivrent de leur imposture morale. Que pèsent pour eux les hécatombes africaines, la stérilisation des femmes ouïghoures, les pendaisons d’opposants iraniens ou le sort des jeunes filles sous les Talibans ?

Ces pèlerins ne sont ni des martyrs ni des apôtres, mais les produits d’une indignation subventionnée. En quête d’une auréole médiatique, ils ont foncé vers Gaza comme d’autres vers Compostelle. Non pour une cause, exploitée jusqu’à la corde par les djihadistes du Hamas, mais pour se contempler eux-mêmes.

Et quand ils pleurent, ce ne sont pas les pauvres Palestiniens qu’ils pleurent – ceux-là pouvaient bien crever du jusqu’au-boutisme de leurs chefs planqués dans les tunnels ou les hôtels de Doha -, mais leur propre impuissance.

A lire aussi, Charles Rojzman: La culpabilité des enfants gâtés de la gauche et la fabrication de l’ennemi

L’indignation réflexe est devenue leur profession de foi. Ils ont troqué l’Évangile pour le catéchisme de l’anticolonialisme et s’imaginent lutter contre le Mal parce qu’ils ont besoin d’un Mal pour exister. D’où leurs complaintes sur les prétendues maltraitances subies dans les geôles israéliennes, ultime rite d’une liturgie victimaire.

À bien y regarder, ces braves gens qui ont osé se dire « otages » pour avoir été retenus durant quelques heures avant d’être expulsés, détestent Israël non pour ce qu’il fait – sa riposte sans merci aux massacres effroyables du 7 octobre -, mais pour ce qu’il est. Non pour les fautes qui lui sont reprochées, mais pour sa force.

François Furet l’avait bien vu avant tout le monde : « La gauche européenne a cessé d’aimer Israël le jour où elle a cessé d’aimer la liberté. » Et ceux qui la défendent contre les tyrannies orientales.

Israël les offense par son existence même, parce qu’il dément leur rêve d’un monde où les vaincus resteraient vaincus, et les Juifs d’éternels soumis. Sa vitalité leur est un scandale car, malgré ses tensions internes et ses débats brûlants – ceux d’une démocratie en guerre -, ce n’est pas Israël qui a changé, c’est l’Occident qui a renoncé à ce qu’il est.

Gageons que la fin annoncée de la guerre à Gaza ne leur permettra pas de sortir si facilement du schéma moral binaire dans lequel les gauches européennes – particulièrement la française, hélas inféodée aux propagandistes – se sont enfermées.

Message à «Papa poule»

Monsieur Nostalgie nous parle ce dimanche de Sady Rebbot. L’acteur disparaissait le 12 octobre 1994, il incarna « Papa poule » à la télévision. Et si l’enfance ressemblait à cette famille monoparentale échouée dans une maison délabrée de Montreuil…


Hier, j’écoutais François Mauriac, de sa voix asthmatique, presque éteinte, gravissant parfois les aigus à la fin de ses phrases pour leur donner une aspérité chantante ; l’écrivain dissertait sur l’enfance et les chemins de la création littéraire. Il répondait aux questions d’un journaliste dans le parc de Saint-Symphorien pour une émission pleine de componction et d’agenouillement datant de 1969. Le nobélisé 1952 se rappelait ses deux mois de vacances dans ce parc des Landes, pays de cocagne et de lectures intensives où murissait déjà une œuvre charnelle et empêchée, celle d’un catholique « mal pensant » comme il aimait à se définir. Les pins et les illustrations d’Hetzel saupoudraient sa conversation, il semblait heureux de les évoquer avec ce style contrit et fanfaron. Il y a du fanfaron chez Mauriac, une manière de briller en sourdine. J’ai moi-même essayé de retrouver dans ma mémoire, l’oscillation de cette enfance. D’aller puiser honnêtement à la source quelques reliquats de mes jeunes années sans les enjoliver, ni les embuer. J’entrevoyais bien quelques traces lointaines de mon étrange ruralité provinciale, des odeurs de chais et d’essence, des grands fûts apposés à des murs noirs, des publicités d’apéritifs viniques aux vertus médicinales tapissant le bureau de ma grand-mère, cheftaine blonde, une collection de guides Michelin dans une bibliothèque, il ne me reste plus que l’édition 1903, et des voitures de sport blanches au bruit infernal que mon père garait en travers avec l’insouciance yéyé. Tout ça était confus et à vrai dire peut-être recréé, reconstruit par mon imagination mêlée aux souvenirs de mes propres parents. Donc, pas tout à fait à moi. Je n’en étais même pas le dépositaire. Pourtant, je n’avais pas complètement rêvé. Il y avait dans ce garage immense au sol tamisé, des siphons par milliers avec leurs becs en étain, de toutes les couleurs, rose bonbon et bleu layette, entreposés dans des caisses en bois. J’en suis certain, les caisses montaient jusqu’au plafond. Mais si je pousse l’introspection plus loin, si je ne veux pas me laisser enfermer dans cette gravure d’époque, la sensation de l’enfance, la vraie, son amertume chaude, son brouillard heureux, ses tâtonnements tristes, je les dois à « Papa poule ». Aucun autre programme ne me plonge dans ce mirage cotonneux, ambigu car hésitant à choisir le camp de mes émotions. La joie de retrouver cette famille, ses gentilles frasques quotidiennes et ce pincement au cœur que je ressens dans ma chair avec déjà, en point de mire, les fracas de l’âge adulte à venir. Je regardais « Papa poule » avec une sorte d’envoûtement et d’incertitude, de légers tressaillements. Les larmes prêtes à couler comme si elles attendaient le générique pour déverser leur trop-plein, comme si elles annonçaient un passage vers l’adolescence. Cinq ans après, à onze ans, nous avions changé de monde et de lieu. On avait quitté Montreuil pour le Vésinet, Bernard Chalette et ses enfants pour le vaudeville bourgeois de « Maguy ». Nous sommes nombreux dans ma génération née dans les années 1970 à vénérer cette série d’Antenne 2 déclinée en deux saisons et comportant 12 feuilletons. Nous étions entre 1980 et 1982, Giono entrait dans la Pléiade et Renaud passait un mois de janvier entier à l’Olympia. C’est alors que Sady Rebbot, né à Casa au Maroc en 1935, nous est apparu, frisé, l’œil rond, aimant et dépassé par sa progéniture turbulente, sa bonté qui n’était pas suintante était plus que rassurante dans nos campagnes. Elle avait quelque chose de naturelle et de reposante. Il faisait face aux pires situations ménagères sans perdre ses nerfs. « Papa poule » est aujourd’hui étudié comme un phénomène de société, annonçant les brisures familiales et l’avènement du père célibataire chargé d’une marmaille sympathique. À sept ou huit ans, nous ne regardions pas cette saga avec des yeux de sociologue. Nous trouvions que « Nanard », dessinateur dans la publicité, élevait Éva, Claire, Paul et Julienne avec amour et discipline. Nous aimions retrouver Sady Rebbot au volant de son Estafette clownesque, rire à ce running gag du dogue allemand tirant sur la laisse de son maître, et puis nous étions captivés par cette maison à l’abandon, clos de mur, à l’herbe haute et au marronnier centenaire, elle avait des allures d’Ermitage célinien, on se serait cru à Meudon. « Papa poule » aura toujours l’odeur du chocolat en poudre et des îles flottantes de grand-mère et nous repensons souvent à Sady, ce père légitime de substitution.

Féminicides, le mot juste ?

L’écrivaine mauricienne Nathacha Appanah publie un livre choc sur les violences faites aux femmes. Incontournable.


Il est des livres dont on ressort profondément ébranlé. La nuit au cœur est de ceux-là. Il y est question de trois hommes qui ne seront jamais désignés que par leurs initiales. MB, maçon né en Algérie. RD, chauffeur dans un ministère. HC, journaliste et poète. Trois hommes apparemment au-dessus de tout soupçon. Et pourtant.

Il y est aussi question de trois femmes. Leurs compagnes. Trois femmes victimes de violences conjugales. Deux d’entre elles vont en mourir. La troisième va s’en sortir et raconter. C’est l’auteur de ce livre. Nathacha Appanah rencontre HC à l’âge de dix sept ans. Elle rêve alors d’écrire et vient de recevoir un prix littéraire. HC, de trente ans son aîné, vient l’interviewer chez ses parents. Rien ne permet alors d’imaginer ce qui va suivre. Il y aura le premier viol, puis les coups, les tentatives de strangulation, les humiliations. HC coupe l’écrivaine de sa famille, de ses amis. Elle qui ne vivait que pour l’écriture, n’écrit plus. Elle dont les proches louaient la gaieté, se sent glisser dans un trou, telle Alice dans le livre de Lewis Carroll. Elle vit la peur au ventre, le jour mais aussi la nuit. HC la surveille, constamment, y compris pendant son sommeil. Elle ne s’ouvre à personne de son calvaire. Jusqu’au jour où HC la poursuit en voiture. Elle sait alors sa dernière heure arrivée. Elle parvient pourtant à s’échapper. Les années passent. Elle tente d’oublier. De minimiser.

A lire aussi: L’ouïe fine d’Alexandre Postel

Mais voilà. L’histoire ne s’arrête pas là. En décembre 2000, sa cousine Emma, Mauricienne comme elle, meurt percutée puis écrasée par son mari au volant de sa voiture de fonction. L’affaire est vite étouffée. Puis en mai 2021, près de Bordeaux, Chahinez Daoud, une jeune femme d’origine algérienne est brulée vive par son mari. L’idée se fait jour peu à peu de réunir ces sœurs d’infortune dans un livre, de les « mettre côte à côte, bien au chaud à l’abri » entre ses pages. Nathacha Appanah se lance alors dans une enquête, rencontre les parents de Chahinez, puis ceux d’Emma. Avec une empathie qui ne s’explique que trop bien, elle raconte la vie de ces femmes brisées par la peur. Le scénario immuable. Les insultes, les agressions, l’isolement, le contrôle des sorties, des vêtements. « Attention la prochaine fois » l’avait menacé HC sans terminer sa phrase. Il n’en avait pas eu besoin elle savait que c’était : « je vais te tuer ».  L’écrivaine dans un souci permanent d’exactitude ne cache pas combien il est difficile de s’extraire de l’emprise. Ce fut le cas d’Emma qui a voulu quitter son mari par deux fois et a fini par revenir. Ce fut celui de Chahinez. Ce fut aussi le sien. Il a fallu près de trente ans à l’écrivaine avant de pouvoir envisager ce livre avec calme et sérénité. Trente ans pour trouver la bonne distance et faire de ces trois histoires un projet littéraire. Ce qui frappe, au-delà de la force saisissante du sujet, c’est la somptuosité de la langue. Nathacha Appanah traque sans relâche le mot juste. « Je voudrais écrire -confie t’elle-en ponçant (…) les mots, l’orthographe, la grammaire, gratter, gratter jusqu’à buter sur l’os même de l’acte et qu’il existe sur cette page comme tel : un geste inqualifiable, innommable, sans langue, sans mo,t sans orthographe, sans grammaire. » Elle y est plus que parvenue et signe un livre puissant, bouleversant, essentiel.

La nuit au cœur de Nathacha Appanah, Gallimard 282 pages

Le Roi et la Gen Z: le Maroc en pleine mise à jour

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Le Maroc face à la Génération Z: Mohammed VI engage un dialogue avec la jeunesse autour du développement économique et de la justice sociale


La meilleure preuve que le Maroc partage bien des traits avec ses voisins européens réside sans doute dans l’émergence de sa « Génération Z », un mouvement social qui rappelle, par certains aspects, celui des gilets jaunes, mais avec une dimension générationnelle plus marquée. Ce phénomène traduit avant tout un malaise profond, celui d’une jeunesse mondialisée, consciente de vivre dans une époque pleine d’incertitudes. Et pourtant, paradoxalement, le royaume chérifien connaît aujourd’hui une phase de croissance économique soutenue et un développement visible dans plusieurs secteurs.

Génération frustrée

Cette contradiction entre vitalité économique et inquiétude sociale illustre une fracture de plus en plus perceptible : celle qui oppose les indicateurs de prospérité aux réalités vécues par la jeunesse. Les jeunes Marocains, massivement connectés, utilisent les réseaux sociaux non seulement pour échanger mais aussi pour exprimer leur frustration face à des perspectives professionnelles jugées insuffisantes. Les plateformes numériques deviennent alors à la fois un exutoire, un espace d’organisation et un outil de mobilisation.

Cependant, ces mouvements en ligne, bien qu’énergiques, souffrent souvent d’un manque de structuration. L’absence de leadership clair empêche la formulation de revendications précises et rend difficile toute négociation concrète. Ce mode d’action horizontal, s’il favorise la spontanéité, laisse aussi la porte ouverte aux récupérations politiques ou à des débordements susceptibles d’altérer leur message initial.

A lire ensuite, Driss Ghali: Akhannouch, bouc émissaire idéal

Les préoccupations exprimées par cette génération marocaine ne se limitent pas au cadre national. Elles résonnent avec celles des jeunesses du monde entier : peur du déclassement, angoisse écologique, sentiment d’instabilité globale. L’emploi, l’éducation et la mobilité sociale demeurent au cœur des attentes, tandis que plane une question centrale : comment trouver sa place dans un monde en mutation permanente, où la réussite ne semble plus garantie par l’effort seul ? C’est à cette question que s’emploie à répondre Mohamed VI. Les premières réponses ont été esquissées dans un discours adressé par le monarque au Parlement marocain, intervenant une semaine après que les manifestants ont proposé un cahier de doléances lui demandant la démission du gouvernement.

La figure du roi n’est pas contestée au Maroc par le mouvement, contrairement à la classe politique qui subit les foudres populaires depuis quelques jours. Génération Z n’est d’ailleurs peut-être pas un mouvement uniquement spontané, des élections législatives se tenant dans un peu moins d’un an, suscitant les convoitises de certains mouvements d’opposition… Toute ressemblance avec la France ne serait pas fortuite. Mais de l’autre côté de la Méditerranée, la figure centrale de l’exécutif est bien plus écoutée que la nôtre. Les récentes manifestations menées par de jeunes Marocains ont mis en évidence un malaise que partagent bien des sociétés : l’incertitude face à l’avenir, la crainte du déclassement et le sentiment d’injustice sociale. Cette génération, très présente sur les réseaux sociaux, exprime moins une révolte qu’un appel à l’écoute et à la reconnaissance. C’est dans ce contexte que le discours royal du 10 octobre prend tout son sens.

Justice sociale et croissance : les orientations du Roi

À la différence des mouvements de 2011, le moment actuel ne traduit pas une rupture politique, mais une tension sociale à laquelle le souverain a choisi de répondre par des orientations concrètes. Le Roi Mohammed VI a rappelé que la vitalité économique du pays ne saurait suffire si elle ne se traduit pas par une amélioration réelle du quotidien. Il a ainsi placé au cœur de son discours la justice sociale et l’équilibre territorial, deux thèmes désormais indissociables de la politique nationale.

Le message est clair : les institutions doivent passer d’une logique de promesse à une logique de résultat. Le Roi a invité le gouvernement, le Parlement et les élus locaux à agir de manière coordonnée, afin que les politiques publiques produisent des effets mesurables sur le terrain. Cette exigence de responsabilité partagée marque une évolution dans la manière d’envisager l’action publique.

Le souverain a également insisté sur la nécessité d’une meilleure attention portée aux territoires oubliés. Les zones montagneuses, les oasis et les régions rurales doivent bénéficier de programmes spécifiques, capables de créer de l’emploi, d’améliorer les services essentiels et de valoriser les ressources locales. Ce rééquilibrage territorial vise à corriger les écarts qui persistent entre les grands centres urbains et les marges du pays.

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Hausser le ton et hisser les couleurs

Par ailleurs, le Roi a encouragé la poursuite du développement du littoral, non pas comme une course à la modernisation, mais comme un chantier structurant conciliant activité économique et protection des ressources. Dans la même logique, le renforcement des centres ruraux émergents devrait permettre de rapprocher les citoyens des services publics et d’offrir de nouvelles perspectives à ceux qui vivent loin des grandes villes.

Mohammed VI a par ailleurs lancé un très symbolique appel solennel au Parlement et au gouvernement, les invitant à travailler avec sérieux et à défendre les intérêts concrets des citoyens. La responsabilité du suivi des affaires publiques leur incombe pleinement, tout comme l’impératif d’atteindre les objectifs sociaux auxquels la population aspire. Le souverain a souligné la nécessité d’accélérer le rythme du développement et d’optimiser l’action de l’État, en veillant à éradiquer toute pratique susceptible de dilapider efforts, temps et ressources. Chacun, depuis sa position, est appelé à contribuer à ce renouvellement : faire évoluer les mentalités, renforcer le développement local et promouvoir l’emploi et la santé. Il a, au fond, exigé des résultats.

En filigrane, ce discours apparaît comme une réponse posée aux attentes d’une jeunesse parfois désenchantée, mais toujours attentive à l’évolution du pays. Plutôt que d’adopter une posture défensive, le pouvoir choisit d’écouter et d’ajuster. Il s’agit moins de rompre que de corriger, moins de promettre que de tenir. C’est peut-être là la marque la plus nette d’un Maroc qui cherche à concilier stabilité politique et sens du progrès.

La boîte à souvenirs (1)

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Pascal Lainé DR.

J’adore lire. Ma Sauvageonne aussi. Lorsque je l’entraîne dans les salons du livre où je signe mes ouvrages, elle ne s’ennuie jamais ; elle passe un temps considérable à baguenauder dans les allées, s’arrête à chaque stand, à chaque auteur, ouvre les opus, découvre, papote avec les auteurs. Un vrai bonheur. Le souci, c’est qu’elle a envie de tout acheter. La rémunération mensuelle de mes piges chez Causeur n’y suffirait pas. Il m’arrive d’être contraint de la stopper dans son élan. (Il n’y a pas que les livres qui la pousse à commettre des folies. L’autre jour, à la faveur d’une sortie entre copines à Lille, en compagnie de son amie Corine, elle a dépensé une sacrée somme en vêtements, sacs, chaussures. Bref : c’est une fille!) Oui, disais-je, j’adore lire. Lorsque je passe devant la boîte à livres de mon quartier, je ne peux m’empêcher de m’arrêter et de fouiller, farfouiller. C’est comme un vice. Il y a peu mon attention a été attirée par L’Ecume des jours, de Boris Vian, en collection de poche 10/18, avec en couverture, une photographie de l’auteur qui ressemble comme deux gouttes d’eau (des Vian) à notre tant aimé (lol!) président, l’Amiénois Emmanuel Macron. Je la contemple ; je souris. Puis, je m’égare dans des souvenirs forts lointains. C’était en 1971 ; j’arrivais en classe de seconde (pourquoi dire « seconde » et pas « deuxième » puisqu’il y a deux autres classes au-dessus : première et terminale ?) à mon cher lycée Henri-Martin, à Saint-Quentin. Notre professeur de français, une trentenaire très brune, au physique d’actrice italienne et au nom de famille italien lui aussi, venait de Paris. Elle était mystérieuse, portait des lunettes fumées ; elle nous fascinait. Était-ce parce qu’elle ressemblait à Albertine Sarrazin dont j’avais lu L’Astragale, opus que j’avais adoré ? Peut-être. À peine arrivée qu’elle nous avait vivement conseillé de lire L’Ecume des jours. Qu’est-elle devenue, cette enseignante ? Je me le demande encore. Un seul indice : quelques années plus tôt, je l’avais croisée au collège Joliot-Curie de Tergnier où j’étais élève de cinquième ou de quatrième. Je n’avais pas eu la chance de l’avoir comme professeur. En ce début des années soixante-dix, il est fort probable qu’elle eût côtoyé Pascal Lainé, alors jeune professeur de philosophie au lycée technique de Saint-Quentin qui, fort de cette expérience, avait écrit, la même année, le sublime L’Irrévolution (Gallimard-coll. Le Chemin ; prix Médicis 1971), puis, trois ans plus tard, La Dentellière (Gallimard, coll. Le Chemin, 1974). Deux ouvrages qui m’avaient bouleversé. Notre professeur au physique d’Albertine Sarrazin allait-elle boire des bières pression au Grand Café de l’Univers en compagnie de Pascal Lainé qui, lui, s’y rendait très souvent ? (Il l’avait écrit.) Lorsque qu’en 1979, je revins à Saint-Quentin comme journaliste localier à L’Aisne Nouvelle, j’entrepris une enquête sur le passage de Lainé dans la capitale du Vermandois. Je voulais savoir qui avait été Pomme, le personnage central de La Dentellière, dont le narrateur, professeur de philosophie dans un lycée technique dans « un département en forme de betterave » (comme par hasard ; ce sont les premières lignes du roman). Vivait-elle encore ? Où résidait-elle ? Je publiais mon enquête. Quelques jours plus tard, une dame m’appela en affirmant qu’elle était Pomme. Je tremblais d’émotion. Je lui demandais son identité et lui proposais que nous nous rencontrassions. Sa voix s’étrangla comme prise dans le siphon d’un sanglot. Et elle raccrocha. Je n’ai jamais su si cette voix anonyme était réellement celle de Pomme. Au début des années 2000, alors que je venais d’arriver comme reporter au service culture du Courrier picard, à Amiens, j’ai appris que Lainé revenait au lycée technique de Saint-Quentin pour y rencontrer des élèves et parler de ses livres d’inspiration axonaise. Ni une, ni deux : je pris rendez-vous avec lui pour  – enfin ! – l’interviewer. Il accepta. Nous nous retrouvâmes à la brasserie du Carillon sur la place de l’Hôtel-de-Ville de Saint-Quentin. L’entretien dura presque deux heures. Je buvais ses paroles et les souvenirs qu’il égrenait. A la fin de notre rencontre, je me lançais : « Et Pomme, qui était-elle ? Qu’est-elle devenue ? » Il me regarda droit dans les yeux, visiblement troublé, caressa sa barbe d’ancien professeur de philosophie et changea de conversation. Pomme, si vous me lisez, écrivez-moi à Causeur. Il n’est jamais trop tard pour se perdre dans la merveilleuse forêt de la littérature.


(1) La boîte à souvenir, premier volet. J’espère pouvoir écrire un deuxième (et pas un second) et peut-être un troisième volet de ce même type de chronique inspirée par ma sacrée boîte à livres. On verra bien…

Immigration: bienvenue en France-Afrique

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Salle de maternité dans un hôpital français © Facelly/SIPA

La France est le pays européen qui accueille le plus d’immigrés africains. Le taux de fécondité élevé de ces populations dessine un bouleversement démographique rapide. Et les nombreux défis d’intégration imposés par cette situation ne se résolvent pas d’une génération à l’autre.


Disons-le tout net : il est désormais exagéré d’affirmer qu’on « ne peut pas parler de l’immigration » en France. La marée montante du réel a fini par rendre intenable le réflexe d’enfouissement qui avait prévalu sans conteste, durant trois décennies au moins, lorsqu’il s’agissait d’aborder cette question dans la majeure partie du champ médiatique ou politique. Depuis plusieurs années, le débat public cesse progressivement d’esquiver un certain nombre de questions centrales sur ce thème – à commencer par celle des nouveaux flux migratoires accueillis dans notre pays.

Augmentation spectaculaire des naissances issues d’au moins un parent né hors UE

En cette matière, le constat global du quart de siècle écoulé pourrait être résumé sous la forme d’un « triplement général ». Le nombre de premiers titres de séjour accordés chaque année à des ressortissants extra-européens a été multiplié par trois depuis la fin des années 1990. Le nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État (qui sert à approcher la dynamique de l’immigration clandestine) a été multiplié par trois depuis le début des années 2000. Le nombre de bénéficiaires du droit d’asile en France a été multiplié par trois en dix ans.

Cependant, le sujet demeure aujourd’hui peu traité sous l’angle des transformations « endogènes » induites par l’immigration au sein de la population de la France. Il faut entendre par ce terme : non seulement l’impact direct des flux migratoires, mais aussi leurs effets démographiques à retardement.

La France connaît, depuis le tournant des années 2010, une rétractation rapide de son « solde naturel », c’est-à-dire de la différence entre les naissances et les décès enregistrés sur son territoire. La diminution du nombre global de nouveau-nés (qui a baissé de 20 % en quinze ans) a fait basculer ce solde dans le rouge : en 2024 et durant les premiers mois de l’année 2025, la France métropolitaine a enregistré plus de décès que de naissances. La hausse de la population générale, qui se poursuit en France malgré ce déficit, est désormais essentiellement portée par l’immigration.

A lire aussi: Alain Minc: « Il n’y a toujours pas d’alternative »

Ce portage se fait de deux façons : d’une part, par l’accélération rapide des flux entrants que nous avons décrite ; d’autre part, par l’augmentation spectaculaire de la part des naissances issues de l’immigration – spécialement extra-européenne.

Pour la première fois, en 2023, plus de 30 % des naissances enregistrées en France ont été issues d’au moins un parent né hors de l’Union européenne. Depuis l’an 2000, le nombre annuel d’enfants nés sur le territoire et issus de deux parents eux-mêmes nés en France a diminué de 28 % ; mais dans le même temps, les naissances issues d’au moins un parent né hors UE ont augmenté de 36 % et celles issues de deux parents nés hors UE ont augmenté de 73 %.

Du fait de la diffusion géographique toujours plus large des réalités migratoires, cette part significative de l’immigration dans les naissances est désormais une réalité visible sur l’ensemble du territoire – avec des écarts qui persistent néanmoins. En 2023, 67 % des naissances en Seine-Saint-Denis ont été issues d’au moins un parent né à l’étranger, tout comme 57 % dans le Val-d’Oise et 54 % en Essonne, contre 11 % en Vendée, 10 % en Haute-Loire ou 9 % dans le Pas-de-Calais. Parmi ces naissances dont un ou deux parents sont nés à l’étranger, neuf sur dix concernent un parent né hors UE.

Surfécondité des femmes immigrées

L’accroissement rapide de cette proportion a évidemment partie liée avec celui de la population immigrée. Mais un autre facteur entre aussi en ligne de compte, souvent considéré comme un tabou : il s’agit de ce qu’on pourrait appeler la fécondité différenciée des populations immigrées. L’analyse des chiffres de l’Insee démontre que l’indice de fécondité (exprimé en nombre moyen d’enfants) des femmes nées à l’étranger est significativement plus élevé que celui des femmes nées en France : en 2021 – dernière année pour laquelle ces données sont disponibles –, il était de 2,3 enfants par femme en moyenne pour les premières, contre 1,7 enfant parmi les secondes. En particulier, il est plus élevé de moitié chez les femmes nées au Maghreb (2,5 enfants par femme) et deux fois supérieur parmi les femmes nées en Afrique hors Maghreb (3,3 enfants) par rapport aux « natives ».

D’où vient donc cette surfécondité des femmes immigrées ? Pour une large part : des mœurs et habitudes issues de leurs pays d’origine. La France présente en effet la particularité d’accueillir, de loin, l’immigration la plus « africaine » de l’ensemble du continent européen. La part des immigrés originaires d’Afrique parmi l’ensemble de la population immigrée est, dans notre pays, trois fois supérieure à la moyenne de l’Union européenne. Parmi ces immigrés africains, six sur dix sont originaires du Maghreb, mais la plus forte poussée récente concerne la zone subsaharienne : le nombre d’immigrés venus d’Afrique sahélienne, guinéenne ou centrale a doublé en France depuis 2006.

Or, l’Afrique est aujourd’hui le continent le plus fécond du monde – avec un indice moyen de fécondité qui s’élève à quatre enfants par femme. Cinq des six pays du monde qui ont le plus grand nombre d’enfants par femme sont des États africains francophones. Résultat de cette structure géographique particulière de notre immigration : l’indice de fécondité des femmes nées hors de l’Union européenne est, en France, le plus élevé de toute l’Europe occidentale. Il s’élevait à 3,27 enfants par femme en 2019, soit le double des natives cette année-là.

Les études démographiques indiquent que les niveaux de fécondité des personnes d’origine immigrée ont tendance à diminuer à la génération suivante et à converger – progressivement – vers la moyenne des natifs. Toutefois, cette convergence n’est pas immédiate et ses effets sont fortement mitigés par l’accélération des nouveaux flux entrants. Cela est d’autant plus vrai que la migration en France produit des effets l’apparentant à un véritable « déclencheur de naissances ».

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L’analyse des données recueillies par le ministère de l’Intérieur sur « la fécondité des femmes primo-arrivantes », c’est-à-dire installées récemment sur le sol français, est particulièrement frappante : le pic des naissances issues des femmes immigrées se situe dès la première année après leur arrivée sur le territoire. La part de ces naissances qui ont lieu un an après leur installation est trois fois plus élevée que celle enregistrée un an avant la migration. Cet effet est particulièrement notable pour certaines origines migratoires : toutes choses égales par ailleurs, les primo-arrivantes maghrébines ont entre 20 % et 50 % plus de chances de faire un enfant dans les quatre années après leur installation que les autres primo-arrivantes – et cela vaut pour les femmes originaires de Tunisie, où l’indice local de fécondité est pourtant descendu sous les 2 enfants par femme.

D’ores et déjà, la population de la France compte plus de descendants d’immigrés de « deuxième génération » que d’immigrés au sens strict (nés étrangers à l’étranger) – lesquels sont pourtant plus nombreux que jamais, tant en volume absolu qu’en pourcentage. Huit millions de personnes qui vivent aujourd’hui en France y sont nées d’un ou deux parents immigrés, majoritairement originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, de Turquie ou du Moyen-Orient. Leur structure d’âge est beaucoup plus jeune que le reste de la population : 37 % d’entre eux ont moins de 18 ans, contre 21 % pour la population sans ascendance migratoire (selon les plus récentes données Insee pour l’année 2020, qui tendent à sous-estimer ce que peut être la situation cinq ans plus tard). En particulier, 72 % des descendants d’immigrés d’Afrique guinéenne ou centrale ont moins de 18 ans, tout comme 50 % des individus nés de parents immigrés marocains ou tunisiens.

Cette situation emporte évidemment des implications extrêmement fortes pour l’avenir démographique du pays. Celles-ci sont d’autant plus importantes que les défis de l’intégration ne se résolvent pas spontanément d’une génération à l’autre. La part des jeunes nés de parents immigrés qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation est, en France, la deuxième plus élevée du monde occidental – « dépassée » par la seule Belgique.

Intégration économique désastreuse et archipellisation

Sur certains indicateurs d’intégration économique et sociale, la deuxième génération issue de certaines immigrations rencontre même des difficultés plus marquées que la première. 57 % des immigrés d’Afrique sahélienne vivent en logement social ; c’est le cas de 63 % de leurs descendants. Le taux de chômage des descendants d’immigrés algériens est plus élevé que celui des immigrés eux-mêmes, tout comme dans les populations originaires d’Afrique subsaharienne. L’effet du plus jeune âge des descendants est un facteur explicatif à prendre en compte, mais qui ne se suffit pas à lui seul. Comme l’a résumé le ministère de l’Intérieur dans sa récente réponse à une question parlementaire : « pour les descendants d’immigrés, la moitié de l’écart de chômage reste inexpliquée, et plus des deux tiers pour les immigrés originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou de Turquie ».

De tels constats dessinent un bouleversement démographique rapide et déjà très engagé, qu’une simple réduction (même drastique) de l’immigration nouvelle ne saurait effacer. Cependant, et à rebours d’un certain fatalisme qui règne parfois dans le débat public : les politiques mises en œuvre aujourd’hui et dans les années à venir auront un impact décisif sur le paysage de la population française à la fin de ce siècle. Leur pilotage raisonné commande une reprise en main politique des flux migratoires, à laquelle l’opinion publique aspire désormais de façon très majoritaire ; mais aussi la mise en œuvre d’une politique familiale renouvelée et intelligente, en mesure de rétablir les équilibres démographiques nécessaires à la cohésion de notre société – à rebours de l’archipélisation en cours.

Pourquoi le peuple leur fait-il si peur?

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Le président Macron a invité les dirigeants et les chefs de groupes parlementaires au palais de l’Élysée le 10 octobre, à l’exception du Rassemblement National et de La France Insoumise, Paris © J.E.E/SIPA

Régime des partis. Quand tout le monde veut sauver sa place plutôt que la France, la démocratie devient un sport d’endurance plus qu’un idéal, déplore notre chroniqueur.


Rares sont les moments où, dans une démocratie, les extrémismes ont raison.

La France Insoumise et le Rassemblement national ne réclament que la dissolution et, dans un registre différent, le départ anticipé du président de la République.

Des personnalités politiques plus modérées, notamment Jean-François Copé et Édouard Philippe, sont sur cette dernière ligne, laquelle serait programmée par le président lui-même.

Sans solution

Le président, uniquement préoccupé par la fin de son quinquennat et ne parvenant plus à maîtriser les orages qu’il a engendrés et libérés, s’obstine à refuser au peuple le droit de trancher une crise inextricable qui, sans le recours à celui-ci, pourtant, demeurera sans solution.

Ce qui est amusant, si j’ose dire, c’est la manière dont chacun recouvre d’un voile noble des intérêts et des lâchetés tout ce qu’il y a de plus ordinaires.

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Les députés Les Républicains désirent participer au gouvernement en voie de composition – pour la seconde fois – par le Premier ministre qui, bouclier d’Emmanuel Macron une fois encore, commence sans doute à se lasser de n’être plus qu’un homme de devoir. Et ils refusent la dissolution : ils sont tellement angoissés à l’idée de ne pas retrouver leur siège !

Dominique de Villepin continue à dénoncer, à fulminer, à enjoindre avec flamme et talent, mais il ne nous donne jamais le mode d’emploi; pour un responsable politique, c’est toujours le plus difficile.

Chimérique union des droites

On parle beaucoup de l’union des droites. Même si un récent propos de Jordan Bardella a fait apparaître une main tendue aux Républicains, sur le plan parlementaire, au cas où le RN n’aurait pas la majorité absolue aux prochaines élections législatives, cette perspective peut séduire, mais elle est loin de pouvoir être réalisée – et je ne m’en réjouis pas. Il nous manque un François Mitterrand de droite, un génie politique, pour l’imposer. Il nous manque un Bruno Retailleau audacieux qui, malgré une déconvenue récente que ses ennemis exploiteront, devrait être davantage persuadé qu’il est le chef de la droite, que sa victoire éclatante à la présidence lui a donné une totale légitimité, et que, faute d’un parti fort, l’union des droites ne favoriserait que le RN dominant.

Il manque à la droite extrême – Marine Le Pen et Éric Ciotti -, plutôt que de pourfendre la famille conservatrice classique, la volonté de faire des efforts et de tenter de favoriser des similitudes sur l’essentiel. Toutes les différences ne sont pas graves, mais il ne faut pas en abuser !

Il manque à la droite républicaine le courage de se libérer de l’emprise de la gauche. Celle-ci, qui n’a aucune leçon à donner, se croit autorisée à en dispenser parce que le camp adverse l’écoute et lui obéit tout en feignant de ruer dans les brancards…

Et si, face à ces péripéties extraordinaires, au lieu de prétendre leur appliquer des remèdes ordinaires, on tentait l’inouï : solliciter les citoyens, assumer la démocratie, ne pas avoir peur de ses risques et périls, mais considérer qu’elle est toujours la solution ?

Demain, celui qui sera exemplaire et peu anxieux de perdre son pouvoir en amplifiant celui du peuple, sera en bonne voie d’être élu.

Gaza: le Hamas et l’arme démographique

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Des Palestiniens se dirigent vers la ville de Gaza par la route Al-Rashid depuis Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, 10 octobre 2025 © Omar Ashtawy / apaimages/SIPA

Malgré les accusations récurrentes de « génocide », la population de Gaza continue de croître à un rythme soutenu. Cette dynamique, autrefois encouragée par les régimes nationalistes arabes, de Nasser à Boumediene, a depuis été reprise et amplifiée par le Hamas. Le mouvement islamiste terroriste en a fait un instrument stratégique et un rempart: en contrôlant étroitement la société, notamment les femmes, il a transformé la démographie en atout politique et militaire capital face à l’État juif. Analyse.


Deux ans après l’attaque du 7 octobre 2023, le monde reste marqué par la violence des massacres du Hamas et le traumatisme. La relance du plan Trump pour Gaza fait renaître l’espoir d’une paix fondée sur la démilitarisation et la reconstruction, mais cet horizon demeure fragile.

En deux ans de guerre, une rhétorique inversée s’est imposée : l’agresseur se présente en victime et toute riposte est qualifiée de « génocide ». Cette manipulation du langage offre implicitement au Hamas une bouée de sauvetage, lui permettant de justifier l’usage des civils comme boucliers humains, une pratique prohibée par le droit international humanitaire.

La démographie de Gaza constitue enfin un instrument politique et organisationnel. En contraignant les femmes à une natalité élevée, sans droit à l’avortement légal, le Hamas élargit sa base de recrutement et renforce sa domination sociale. Tant qu’il ne sera pas désarmé et que la vie civile restera sous sa tutelle idéologique, cela afflige toute perspective de règlement pacifique d’une complicité structurelle.

La manipulation des chiffres de victimes, notamment des femmes et des enfants, alimente une guerre de perception où la donnée se fait propagande. Or les indicateurs démographiques montrent qu’à Gaza, malgré la guerre, la population croît toujours, même depuis le 7 octobre 2023. Ce paradoxe révèle l’ambiguïté d’un récit qui confond tragédie et stratégie : Gaza demeure un champ de bataille médiatique autant qu’humain, où la vie elle-même devient instrument de guerre.

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La bande de Gaza compte aujourd’hui entre 2,1 et 2,2 millions d’habitants, dont près de 1,7 -1.8 million sont enregistrés comme réfugiés auprès de l’UNRWA, et environ 400 000 habitants originaires de Gaza même. Lors de la guerre de 1948, Gaza abritait environ 250 000 personnes, dont 200 000 réfugiés venus d’autres régions de la Palestine mandataire, et seulement 50 000 habitants originaires de Gaza même.

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Pendant sept décennies, la population de Gaza a été multipliée par plus de huit, la croissance étant encore plus marquée chez les réfugiés que chez les habitants originaires de Gaza. À l’échelle régionale, le nombre total de réfugiés palestiniens est passé d’environ un million en 1948 à près de 5,9 millions aujourd’hui, soit une augmentation nettement supérieure à celle observée chez d’autres populations réfugiées dans le monde. Ce paradoxe démographique, caractérisé par une population dite réfugiée en expansion continue malgré les guerres successives de 1967, 1973, 2008, 2014, 2021 et 2023, met en lumière le mystère d’une croissance à la fois singulière et persistante.

Le statut de réfugié accordé à environ 200 000 Palestiniens installés à Gaza en 1948 soulève une question demeurée largement ignorée. En 1947, l’Égypte, la Jordanie, la Syrie, l’Irak, le Liban et le Yémen ont rejeté le plan de partage de la Palestine adopté par l’ONU et choisi la voie militaire contre la création d’Israël. Leur défaite en 1948 marqua un tournant, mais les gouvernements arabes n’en tirèrent pas les conséquences politiques, notamment sur la question des populations déplacées. Dans d’autres contextes conflictuels, les États concernés ont assumé leurs responsabilités et intégré certaines populations, comme les métis aux Pays-Bas après l’indépendance de l’Indonésie ou les Indiens par le Royaume-Uni après leur expulsion d’Ouganda.

À l’inverse, l’Égypte, l’Irak, le Liban, la Syrie et le Yémen n’ont pas intégré les réfugiés à la suite de la guerre de 1948. Seule la Jordanie accorda la nationalité à une partie d’entre eux, tandis que l’Égypte, sous le règne du roi Farouk, administra la bande de Gaza sans naturaliser les quelque 200 000 réfugiés qui s’y étaient installés.

En 1952, le roi Farouk fut renversé par un coup d’État militaire mené par Nasser. Sous Nasser, Gaza devint un instrument d’influence et de contrôle. Comme l’a écrit Hannah Arendt, « dans le totalitarisme, tout devient possible » : la logique du régime nassérien associa politique et surveillance. Des enseignants et fonctionnaires égyptiens furent envoyés sur place, officiellement pour y travailler, mais en réalité dans le cadre d’un exil déguisé destiné à éloigner les opposants au régime.

L’UNRWA, censée être une agence internationale indépendante, dut néanmoins composer avec les autorités locales et, de fait, se conformer à leurs exigences. Elle enregistra comme réfugiés les populations présentes. Aujourd’hui encore, de nombreux « Gazaouis », y compris plusieurs dirigeants du Hamas, se revendiquent Egyptiens. Yasser Arafat lui-même, né au Caire sous le nom de Mohammed Abdel Raouf al-Qudwa, n’apprit jamais véritablement l’arabe levantin et conserva, jusqu’à la fin de sa vie, l’accent et les tournures propres à l’arabe égyptien.

Par conséquent, le régime nassérien fut le premier à structurer, de manière indirecte, une dynamique démographique à Gaza en y stabilisant une population sous administration égyptienne. Cependant, il ne fut pas le seul à exercer une influence durable sur cette évolution. Dès les années 1960, plusieurs États arabes pétroliers, parmi lesquels l’Arabie saoudite, le Koweït, le Qatar, les Émirats arabes unis et la Libye, recrutèrent massivement des enseignants, techniciens et cadres issus principalement de Syrie, du Liban, de Jordanie et des territoires palestiniens, sans accorder une attention particulière aux Gazaouis. Par ailleurs, la politique de Nasser consistant à envoyer du personnel égyptien vers Gaza engendra un chômage élevé, notamment parmi les diplômés, poussant les Gazaouis à chercher du travail à l’étranger.

Quand Boumediene organisait la fuite des cerveaux gazaouis

En revanche, le régime algérien de Houari Boumediene, connu pour son slogan « avec la Palestine, juste ou injuste », fit de l’accueil de réfugiés palestiniens, notamment de Gaza, un instrument de sa politique dite « d’arabisation », c’est-à-dire de défrancisation culturelle. Il aurait sollicité la direction de l’Organisation de libération de la Palestine, sous Ahmad Chouqairi puis sous Yasser Arafat, afin d’obtenir des listes de diplômés, principalement originaires de Gaza, pour les recruter comme enseignants en Algérie.

Boumediene, qui en Algérie encourageait la natalité pour des motifs chauvinistes, créa un climat où le recrutement des Gazaouis fut discrètement favorisé. Ces derniers furent incités à adopter le modèle nataliste, à la fois par la culture ambiante et par les avantages matériels. Mieux rémunérés que dans leur territoire d’origine et vivant dans un pays au coût de la vie bien inférieur, ils furent poussés, souvent de manière implicite, à fonder des familles nombreuses. Cette politique associa la fécondité arabe à une revanche symbolique sur Israël, dans une Algérie marquée par l’expulsion de sa population juive et un climat d’antisémitisme et de racisme anti-français dont le régime ne s’est jamais entièrement affranchi.

Quant au Hamas, bien avant même sa prise de contrôle de Gaza et dans les zones A et B, la législation locale suivait les cadres juridiques hérités de l’Égypte et de la Jordanie : le code pénal égyptien appliqué à Gaza et le code pénal jordanien en vigueur dans les zones A et B. Ces deux régimes interdisent strictement l’avortement, sauf en cas de danger grave pour la vie de la mère.

Depuis 2007, le Hamas applique une interprétation particulièrement rigoureuse de ces lois. Il exerce une surveillance étroite sur les femmes et poursuit les médecins soupçonnés de pratiquer des avortements. Plusieurs organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch et Al-Mezan, ont signalé les effets de cette politique sur la santé et la dignité des femmes, souvent contraintes de recourir à des pratiques clandestines dans des conditions précaires. Cette situation fait peser un danger sur toute femme qui cherche à s’émanciper du discours théologique du Hamas, lequel appelle à la natalité même au prix de la création de familles très nombreuses.

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Cette politique s’inscrit également dans une logique de contrôle démographique : le Hamas cherche à maintenir un taux de natalité élevé, perçu comme un levier stratégique face à Israël. Ce contrôle du corps féminin, exercé sous la contrainte et la menace, révèle une instrumentalisation politique de la maternité au service des objectifs du mouvement et du renforcement de ses brigades armées.

Des prédicateurs religieux, des figures du nationalisme arabe et même certaines personnalités qualifiées de libérales ou modérées ont présenté la croissance démographique comme une arme stratégique du conflit. L’image de la « bombe démographique » s’est progressivement imposée dans les médias arabes. Dans un entretien diffusé le 11 mars 2009 sur Al Jazeera, Boutros Boutros-Ghali, ancien ministre égyptien des Affaires étrangères et ancien secrétaire général de l’ONU, théorise la fin de « l’État juif » dans un délai de vingt à trente ans sous l’effet de la dynamique démographique.

Cette rhétorique a fait de la natalité un enjeu idéologique majeur, partagé par les nationalistes et les islamistes. Les acteurs internationaux devraient inclure la dimension démographique dans les négociations, afin de protéger les droits des femmes, notamment à Gaza, de garantir le droit à l’avortement, de freiner l’instrumentalisation politique de la croissance démographique et de réformer les politiques familiales de manière adaptée pour répondre aux objectifs d’une paix durable et équilibrée.

Emmanuel Macron, chef d’État et figure influente au sein du Conseil de sécurité et de l’Union européenne, a plaidé pour la reconnaissance d’un État de Palestine, estimant qu’un État unique serait majoritairement arabe, sans voir que cette évolution démographique a été en partie fabriquée. Une approche plus prudente est nécessaire pour l’avenir du Moyen-Orient.

Utopie et tragédie

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La foule se rassemble pour accueillir des Palestiniens arrivant en bus dans la bande de Gaza après leur libération des prisons israéliennes, dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, devant l’hôpital Nasser à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le lundi 13 octobre 2025 © Jehad Alshrafi/AP/SIPA

Un prix très élevé. Plus de 1 900 prisonniers palestiniens devront être relâchés par Israël, en échange de la libération des otages israéliens encore en vie retenus par le Hamas. Huguette Chomski Magnis dénonce l’inaction de la «communauté internationale» face aux crimes du 7 octobre 2023 commis contre Israël, accusant l’ONU et une partie du monde d’avoir inversé les rôles entre victimes et bourreaux pour légitimer le terrorisme islamiste. La Secrétaire générale du Mouvement pour la Paix et contre le Terrorisme en appelle à une mobilisation morale et universelle contre cette dérive.


La veille, le pire s’était produit : invasion, massacres, assassinats de familles entières, viols accompagnés de tortures, outrages aux vivants et aux morts, enlèvement massif et déportation de civils – enfants, femmes et hommes de tous âges.
Beaucoup de ces crimes avaient été filmés par leurs auteurs.
Le 8 octobre 2023 le Conseil de Sécurité se réunit en urgence sous le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies pour condamner l’agression subie par Israël et réclamer la libération immédiate, inconditionnelle, de tous les otages.
Les ONG présentes à Gaza, Croix-Rouge en tête, exigèrent de rendre immédiatement visite à ces otages, menaçant de cesser toute intervention si on n’accédait pas à leur demande.
Dans le monde entier les manifestations massives se succédaient pour condamner le Hamas et exiger la libération des otages.
Les rues de Paris ne désemplissaient pas, on alla dénoncer les complices du terrorisme en manifestant devant les ambassades du Qatar et de la République Islamique d’Iran, devant la Mission de Palestine.
La Cour Pénale Internationale fut saisie en urgence par le Conseil de Sécurité pour crime d’agression et soupçon de crimes contre l’humanité.
Elle se réunit promptement et après enquête accélérée, des mandats d’arrêt internationaux furent émis contre les dirigeants du Hamas et des autres organisations terroristes ayant participé aux atrocités du 7 octobre, où qu’ils se trouvent.
La mobilisation en solidarité avec les victimes du 7 octobre ne faiblissait pas.

Le Conseil de Sécurité de l’ONU lança enfin un ultimatum au Hamas, au Djihad Islamique, au Fatah et au FPLP : tous les otages devaient être libérés sous 48 heures.
L’ONU se préparait déjà à l’envoi de Casques Bleus pour libérer les otages, détruire l’arsenal accumulé par les organisations terroristes et les tunnels dont Gaza était truffé.

Non, bien sûr, rien de tout ceci ne s’est produit.

Il faut passer par l’utopie pour énoncer ce qui aurait se produire dans un monde normal et essayer de faire prendre conscience de l’ampleur de la faute commise par la « communauté internationale. »

Rétablir la vérité c’est d’abord bien établir les responsabilités. Celle de l’ONU, non seulement impuissante face au terrorisme islamiste mais complice de celui-ci, est écrasante.

L’inversion victimaire et accusatoire sous-tend le narratif dominant.

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Pour mieux effacer les crimes contre l’humanité, à visée génocidaire, du 7 octobre, on a eu recours au plus pervers et au plus efficace des stratagèmes : transformer les victimes en coupables, accusées du plus grave des crimes, le génocide.

Au nom de cette calomnie, on attaque dans le monde entier des Juifs de tous âges – petit génocidaire, va !

La tragédie est à son comble quand au trauma de la victime, individu ou peuple, s’ajoute non seulement la souffrance de sa solitude dans l’indifférence du monde mais encore l’injustice qui la désigne comme bourreau !

Jamais le Hamas n’aurait pu y parvenir seul mais le Qatar et l’Iran ont su, diplomatie de l’arrosage du premier et de la prise d’otages du second aidant, l’ériger en dogme qui fonde le discours dominant et disculpe le terrorisme islamiste.

La prise d’otages est le piège absolu auquel il n’existe PAS de bonne réponse.

Comme les lycéennes nigérianes chrétiennes, les otages israéliens ont été abandonnés aux terroristes islamistes.

Mais s’il n’y a jamais eu de mobilisation pour Boko Haram, il y en a eu une, délirante, pour le Hamas !

Kfar Saba, Israël, 12 novembre 2023 © Ariel Schalit/AP/SIPA

Des méthodes fascistes sont employées pour intimider, exclure, faire la chasse aux Israéliens et aux sionistes, réels ou supposés.

L’étendard omniprésent est panarabe, il date de la révolte de 1916 contre l’empire ottoman, attisée par l’Angleterre. Recyclé en « drapeau de la Palestine » à la fin des années 60 quand la volonté contrariée du monde arabe de détruire Israël et les Juifs s’est astucieusement muée en « cause palestinienne. »

Ce qui se joue n’est pas que l’avenir de cette région de l’Orient compliqué, mais la légitimation universelle du terrorisme et de la prise d’otages.

Victorieuse, elle validerait la torture et la cruelle humiliation de civils kidnappés jusque dans leurs lits.

Elle validerait l’impunité des pires criminels, terroristes dûment condamnés, échangés contre des otages innocents.

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Offrant un boulevard à toutes les organisations terroristes, elle préparerait de nouvelles prises d’otages, dans le monde entier, clé de la libération d’assassins.

L’enjeu n’est pas, comme on l’entend souvent, la survie de l’Occident mais bien celle de l’humanité, celle des valeurs universelles contre lesquelles s’acharne l’islam politique.

Les personnalités qui osent aller à contre-courant en s’opposant à l’apologie du terrorisme et de l’antisémitisme, font preuve d’un très grand courage.

Exposant leurs carrières et même leurs vies, elles se comptent sur les doigts de quelques dizaines de mains.

Elles expriment pourtant la voix de la majorité silencieuse.

Soutenons-les, relayons leur parole, brisons le silence, rassemblons-nous autour d’elles et nous deviendrons une majorité active, cohérente dans la résistance au terrorisme.

Odieux visuel de sévices publics: ma guerre est déclarée

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D.R.

Exemples à l’appui, Gilles-William Goldnadel explique pourquoi il fustige les chaînes publiques françaises chaque jour que Dieu fait.


Je suis un obsédé assumé. J’ai confessé cette obsession depuis longtemps. Pire même : Je m’en vante. Ma guerre contre l’audiovisuel de service public, je ne sais même plus quand je l’ai débutée. Sur mon compte X, qui a déjà dix ans d’âge, je me présente comme « Décodeur patenté de France Inter ». Pourquoi ? À dire le vrai, je ne sais pas faire le départ entre mon indignation de principe de voir des médias, que je paye à travers la redevance, colonisés par l’extrême-gauche, et mon énervement personnel quotidien d’y entendre des idées que je combats et des désinformations manifestes sur des thématiques affinitaires qui me sont chères. Une chose est certaine, mais nul n’est obligé de me croire : si, par hypothèse hardie, la TV et la radio d’Etat étaient colonisées par mon camp, cela m’indignerait tout autant, et je me battrais pour que d’aucuns puissent y dire ce que je déteste entendre.

À ce stade théorique, passons à la partie pratique. Pour prendre mon lecteur à témoin de mon obsession et de ses bonnes raisons, je voudrais lui faire connaître, entre mille, ce que j’ai consigné pendant une semaine prise au hasard avec déraison sur X :

11 septembre 2025:  « L’affaire Cohen ne semble pas avoir complexé la radio gauchiste de sévices publics. La nouvelle préposée à la revue de presse Nora Hamadi, admiratrice de Tondelier, adore citer Mediapart, l’Huma ou Libé. Elle n’a pas trouvé un article contre le Hamas.»

12 septembre 2025 : « Ali Baddou recevait ce matin Jean-Noël Barrot. Il le presse de questions choisies d’auditeurs concernant des sanctions vs Israël. En revanche, il ne songe pas à l’interroger sur l’Algérie, qui a pris en otages Boualem Sansal et un journaliste. »

13 septembre 2025 : « France Inter 9h : reportage sur Tommy Robinson à charge. Qui omet d’indiquer que les immenses manifestations de Londres sont nées de la dissimulation médiatique de milliers de viols de jeunes filles blanches de la classe ouvrière par des gangs pakistanais. »

A ne pas manquer, Didier Desrimais: Chronique d’un scandale politico-médiatique dont France Inter se serait bien passé

14 septembre 2025 : « C’est France Inter qui a porté la pétition contre la loi Duplomb, annonçant chaque jour sa progression. Elle n’a pas dit un mot sur la pétition de Philippe de Villiers pour un référendum contre l’immigration invasive. »

15 septembre 2025 : « Structure d’une émission de sévices publics. Reportage à Gaza : Le Gazaoui critique Israël. Reportage en Israël : L’Israélien critique Israël. »

16 septembre 2025 : « A 8h22 sur France Inter, la journaliste du Monde Ivanne Trippenbach relaie ce fake infect que Charlie Kirk aurait déclaré que les femmes noires étaient moins intelligentes que les autres. »

17 septembre 2025 : « Ce matin Pierre Haski, chroniqueur de France Inter, vient de commettre son 8201 ème édito contre Israël. »

18 septembre 2025 : « Question à Delphine Ernotte : Si CNews est « d’extrême-droite », comment appeler la chaîne de sévices publics France 24, qui emploie toujours (sans protestations de France Inter) le journaliste Fady Hanouna, qui veut « brûler les juifs comme Hitler » ? Radio nazie ? »

Voilà, maintenant vous connaissez mon obsession. J’ai écouté pour vous gracieusement les signes disgracieux, non seulement d’une désinformation partisane mais, encore davantage dans ses émissions de distraction, d’une véritable décérébration intellectuelle. Je n’ai en réalité qu’un ennemi : la tentative sournoise de me voir financer malgré moi l’hégémonie d’une seule idéologie.

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La croisière des Indignés

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Orly, 8 octobre 2025 © Cesar VILETTE/SIPA

En ce jour d’espoir, alors que le cessez-le-feu s’installe à Gaza et qu’une poignée d’otages survivants vont, après deux années en enfer, retrouver enfin leurs familles, offrons-nous un petit retour sur la dernière bouffonnerie en date.


Ils sont partis d’Espagne ou d’Italie, keffieh autour du cou, drapés dans la ferveur mystique de Croisés sans Dieu.

Les voiles gonflées d’aise, la « flottille pour Gaza » voguait vers le Levant chargée d’une petite armée de militants – dont les inévitables Greta et Rima – persuadés de servir le Bien en se précipitant vers les nouveaux « damnés de la Terre ». Les seuls qui vaillent qu’on prenne son baluchon et ses RTT.

Ces militants repus de bonne conscience ne défendent pas la justice, ils s’enivrent de leur imposture morale. Que pèsent pour eux les hécatombes africaines, la stérilisation des femmes ouïghoures, les pendaisons d’opposants iraniens ou le sort des jeunes filles sous les Talibans ?

Ces pèlerins ne sont ni des martyrs ni des apôtres, mais les produits d’une indignation subventionnée. En quête d’une auréole médiatique, ils ont foncé vers Gaza comme d’autres vers Compostelle. Non pour une cause, exploitée jusqu’à la corde par les djihadistes du Hamas, mais pour se contempler eux-mêmes.

Et quand ils pleurent, ce ne sont pas les pauvres Palestiniens qu’ils pleurent – ceux-là pouvaient bien crever du jusqu’au-boutisme de leurs chefs planqués dans les tunnels ou les hôtels de Doha -, mais leur propre impuissance.

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L’indignation réflexe est devenue leur profession de foi. Ils ont troqué l’Évangile pour le catéchisme de l’anticolonialisme et s’imaginent lutter contre le Mal parce qu’ils ont besoin d’un Mal pour exister. D’où leurs complaintes sur les prétendues maltraitances subies dans les geôles israéliennes, ultime rite d’une liturgie victimaire.

À bien y regarder, ces braves gens qui ont osé se dire « otages » pour avoir été retenus durant quelques heures avant d’être expulsés, détestent Israël non pour ce qu’il fait – sa riposte sans merci aux massacres effroyables du 7 octobre -, mais pour ce qu’il est. Non pour les fautes qui lui sont reprochées, mais pour sa force.

François Furet l’avait bien vu avant tout le monde : « La gauche européenne a cessé d’aimer Israël le jour où elle a cessé d’aimer la liberté. » Et ceux qui la défendent contre les tyrannies orientales.

Israël les offense par son existence même, parce qu’il dément leur rêve d’un monde où les vaincus resteraient vaincus, et les Juifs d’éternels soumis. Sa vitalité leur est un scandale car, malgré ses tensions internes et ses débats brûlants – ceux d’une démocratie en guerre -, ce n’est pas Israël qui a changé, c’est l’Occident qui a renoncé à ce qu’il est.

Gageons que la fin annoncée de la guerre à Gaza ne leur permettra pas de sortir si facilement du schéma moral binaire dans lequel les gauches européennes – particulièrement la française, hélas inféodée aux propagandistes – se sont enfermées.

Message à «Papa poule»

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Feuilleton "Papa Poule", 1981 © BOCCON-GIBOD/SIPA

Monsieur Nostalgie nous parle ce dimanche de Sady Rebbot. L’acteur disparaissait le 12 octobre 1994, il incarna « Papa poule » à la télévision. Et si l’enfance ressemblait à cette famille monoparentale échouée dans une maison délabrée de Montreuil…


Hier, j’écoutais François Mauriac, de sa voix asthmatique, presque éteinte, gravissant parfois les aigus à la fin de ses phrases pour leur donner une aspérité chantante ; l’écrivain dissertait sur l’enfance et les chemins de la création littéraire. Il répondait aux questions d’un journaliste dans le parc de Saint-Symphorien pour une émission pleine de componction et d’agenouillement datant de 1969. Le nobélisé 1952 se rappelait ses deux mois de vacances dans ce parc des Landes, pays de cocagne et de lectures intensives où murissait déjà une œuvre charnelle et empêchée, celle d’un catholique « mal pensant » comme il aimait à se définir. Les pins et les illustrations d’Hetzel saupoudraient sa conversation, il semblait heureux de les évoquer avec ce style contrit et fanfaron. Il y a du fanfaron chez Mauriac, une manière de briller en sourdine. J’ai moi-même essayé de retrouver dans ma mémoire, l’oscillation de cette enfance. D’aller puiser honnêtement à la source quelques reliquats de mes jeunes années sans les enjoliver, ni les embuer. J’entrevoyais bien quelques traces lointaines de mon étrange ruralité provinciale, des odeurs de chais et d’essence, des grands fûts apposés à des murs noirs, des publicités d’apéritifs viniques aux vertus médicinales tapissant le bureau de ma grand-mère, cheftaine blonde, une collection de guides Michelin dans une bibliothèque, il ne me reste plus que l’édition 1903, et des voitures de sport blanches au bruit infernal que mon père garait en travers avec l’insouciance yéyé. Tout ça était confus et à vrai dire peut-être recréé, reconstruit par mon imagination mêlée aux souvenirs de mes propres parents. Donc, pas tout à fait à moi. Je n’en étais même pas le dépositaire. Pourtant, je n’avais pas complètement rêvé. Il y avait dans ce garage immense au sol tamisé, des siphons par milliers avec leurs becs en étain, de toutes les couleurs, rose bonbon et bleu layette, entreposés dans des caisses en bois. J’en suis certain, les caisses montaient jusqu’au plafond. Mais si je pousse l’introspection plus loin, si je ne veux pas me laisser enfermer dans cette gravure d’époque, la sensation de l’enfance, la vraie, son amertume chaude, son brouillard heureux, ses tâtonnements tristes, je les dois à « Papa poule ». Aucun autre programme ne me plonge dans ce mirage cotonneux, ambigu car hésitant à choisir le camp de mes émotions. La joie de retrouver cette famille, ses gentilles frasques quotidiennes et ce pincement au cœur que je ressens dans ma chair avec déjà, en point de mire, les fracas de l’âge adulte à venir. Je regardais « Papa poule » avec une sorte d’envoûtement et d’incertitude, de légers tressaillements. Les larmes prêtes à couler comme si elles attendaient le générique pour déverser leur trop-plein, comme si elles annonçaient un passage vers l’adolescence. Cinq ans après, à onze ans, nous avions changé de monde et de lieu. On avait quitté Montreuil pour le Vésinet, Bernard Chalette et ses enfants pour le vaudeville bourgeois de « Maguy ». Nous sommes nombreux dans ma génération née dans les années 1970 à vénérer cette série d’Antenne 2 déclinée en deux saisons et comportant 12 feuilletons. Nous étions entre 1980 et 1982, Giono entrait dans la Pléiade et Renaud passait un mois de janvier entier à l’Olympia. C’est alors que Sady Rebbot, né à Casa au Maroc en 1935, nous est apparu, frisé, l’œil rond, aimant et dépassé par sa progéniture turbulente, sa bonté qui n’était pas suintante était plus que rassurante dans nos campagnes. Elle avait quelque chose de naturelle et de reposante. Il faisait face aux pires situations ménagères sans perdre ses nerfs. « Papa poule » est aujourd’hui étudié comme un phénomène de société, annonçant les brisures familiales et l’avènement du père célibataire chargé d’une marmaille sympathique. À sept ou huit ans, nous ne regardions pas cette saga avec des yeux de sociologue. Nous trouvions que « Nanard », dessinateur dans la publicité, élevait Éva, Claire, Paul et Julienne avec amour et discipline. Nous aimions retrouver Sady Rebbot au volant de son Estafette clownesque, rire à ce running gag du dogue allemand tirant sur la laisse de son maître, et puis nous étions captivés par cette maison à l’abandon, clos de mur, à l’herbe haute et au marronnier centenaire, elle avait des allures d’Ermitage célinien, on se serait cru à Meudon. « Papa poule » aura toujours l’odeur du chocolat en poudre et des îles flottantes de grand-mère et nous repensons souvent à Sady, ce père légitime de substitution.

Féminicides, le mot juste ?

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Nathacha Appanah photographiée en 2025 © Francesca Mantovani / Gallimard

L’écrivaine mauricienne Nathacha Appanah publie un livre choc sur les violences faites aux femmes. Incontournable.


Il est des livres dont on ressort profondément ébranlé. La nuit au cœur est de ceux-là. Il y est question de trois hommes qui ne seront jamais désignés que par leurs initiales. MB, maçon né en Algérie. RD, chauffeur dans un ministère. HC, journaliste et poète. Trois hommes apparemment au-dessus de tout soupçon. Et pourtant.

Il y est aussi question de trois femmes. Leurs compagnes. Trois femmes victimes de violences conjugales. Deux d’entre elles vont en mourir. La troisième va s’en sortir et raconter. C’est l’auteur de ce livre. Nathacha Appanah rencontre HC à l’âge de dix sept ans. Elle rêve alors d’écrire et vient de recevoir un prix littéraire. HC, de trente ans son aîné, vient l’interviewer chez ses parents. Rien ne permet alors d’imaginer ce qui va suivre. Il y aura le premier viol, puis les coups, les tentatives de strangulation, les humiliations. HC coupe l’écrivaine de sa famille, de ses amis. Elle qui ne vivait que pour l’écriture, n’écrit plus. Elle dont les proches louaient la gaieté, se sent glisser dans un trou, telle Alice dans le livre de Lewis Carroll. Elle vit la peur au ventre, le jour mais aussi la nuit. HC la surveille, constamment, y compris pendant son sommeil. Elle ne s’ouvre à personne de son calvaire. Jusqu’au jour où HC la poursuit en voiture. Elle sait alors sa dernière heure arrivée. Elle parvient pourtant à s’échapper. Les années passent. Elle tente d’oublier. De minimiser.

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Mais voilà. L’histoire ne s’arrête pas là. En décembre 2000, sa cousine Emma, Mauricienne comme elle, meurt percutée puis écrasée par son mari au volant de sa voiture de fonction. L’affaire est vite étouffée. Puis en mai 2021, près de Bordeaux, Chahinez Daoud, une jeune femme d’origine algérienne est brulée vive par son mari. L’idée se fait jour peu à peu de réunir ces sœurs d’infortune dans un livre, de les « mettre côte à côte, bien au chaud à l’abri » entre ses pages. Nathacha Appanah se lance alors dans une enquête, rencontre les parents de Chahinez, puis ceux d’Emma. Avec une empathie qui ne s’explique que trop bien, elle raconte la vie de ces femmes brisées par la peur. Le scénario immuable. Les insultes, les agressions, l’isolement, le contrôle des sorties, des vêtements. « Attention la prochaine fois » l’avait menacé HC sans terminer sa phrase. Il n’en avait pas eu besoin elle savait que c’était : « je vais te tuer ».  L’écrivaine dans un souci permanent d’exactitude ne cache pas combien il est difficile de s’extraire de l’emprise. Ce fut le cas d’Emma qui a voulu quitter son mari par deux fois et a fini par revenir. Ce fut celui de Chahinez. Ce fut aussi le sien. Il a fallu près de trente ans à l’écrivaine avant de pouvoir envisager ce livre avec calme et sérénité. Trente ans pour trouver la bonne distance et faire de ces trois histoires un projet littéraire. Ce qui frappe, au-delà de la force saisissante du sujet, c’est la somptuosité de la langue. Nathacha Appanah traque sans relâche le mot juste. « Je voudrais écrire -confie t’elle-en ponçant (…) les mots, l’orthographe, la grammaire, gratter, gratter jusqu’à buter sur l’os même de l’acte et qu’il existe sur cette page comme tel : un geste inqualifiable, innommable, sans langue, sans mo,t sans orthographe, sans grammaire. » Elle y est plus que parvenue et signe un livre puissant, bouleversant, essentiel.

La nuit au cœur de Nathacha Appanah, Gallimard 282 pages

Le Roi et la Gen Z: le Maroc en pleine mise à jour

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Casablanca, 5 octobre 2025 © Mosa'ab Elshamy/AP/SIPA

Le Maroc face à la Génération Z: Mohammed VI engage un dialogue avec la jeunesse autour du développement économique et de la justice sociale


La meilleure preuve que le Maroc partage bien des traits avec ses voisins européens réside sans doute dans l’émergence de sa « Génération Z », un mouvement social qui rappelle, par certains aspects, celui des gilets jaunes, mais avec une dimension générationnelle plus marquée. Ce phénomène traduit avant tout un malaise profond, celui d’une jeunesse mondialisée, consciente de vivre dans une époque pleine d’incertitudes. Et pourtant, paradoxalement, le royaume chérifien connaît aujourd’hui une phase de croissance économique soutenue et un développement visible dans plusieurs secteurs.

Génération frustrée

Cette contradiction entre vitalité économique et inquiétude sociale illustre une fracture de plus en plus perceptible : celle qui oppose les indicateurs de prospérité aux réalités vécues par la jeunesse. Les jeunes Marocains, massivement connectés, utilisent les réseaux sociaux non seulement pour échanger mais aussi pour exprimer leur frustration face à des perspectives professionnelles jugées insuffisantes. Les plateformes numériques deviennent alors à la fois un exutoire, un espace d’organisation et un outil de mobilisation.

Cependant, ces mouvements en ligne, bien qu’énergiques, souffrent souvent d’un manque de structuration. L’absence de leadership clair empêche la formulation de revendications précises et rend difficile toute négociation concrète. Ce mode d’action horizontal, s’il favorise la spontanéité, laisse aussi la porte ouverte aux récupérations politiques ou à des débordements susceptibles d’altérer leur message initial.

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Les préoccupations exprimées par cette génération marocaine ne se limitent pas au cadre national. Elles résonnent avec celles des jeunesses du monde entier : peur du déclassement, angoisse écologique, sentiment d’instabilité globale. L’emploi, l’éducation et la mobilité sociale demeurent au cœur des attentes, tandis que plane une question centrale : comment trouver sa place dans un monde en mutation permanente, où la réussite ne semble plus garantie par l’effort seul ? C’est à cette question que s’emploie à répondre Mohamed VI. Les premières réponses ont été esquissées dans un discours adressé par le monarque au Parlement marocain, intervenant une semaine après que les manifestants ont proposé un cahier de doléances lui demandant la démission du gouvernement.

La figure du roi n’est pas contestée au Maroc par le mouvement, contrairement à la classe politique qui subit les foudres populaires depuis quelques jours. Génération Z n’est d’ailleurs peut-être pas un mouvement uniquement spontané, des élections législatives se tenant dans un peu moins d’un an, suscitant les convoitises de certains mouvements d’opposition… Toute ressemblance avec la France ne serait pas fortuite. Mais de l’autre côté de la Méditerranée, la figure centrale de l’exécutif est bien plus écoutée que la nôtre. Les récentes manifestations menées par de jeunes Marocains ont mis en évidence un malaise que partagent bien des sociétés : l’incertitude face à l’avenir, la crainte du déclassement et le sentiment d’injustice sociale. Cette génération, très présente sur les réseaux sociaux, exprime moins une révolte qu’un appel à l’écoute et à la reconnaissance. C’est dans ce contexte que le discours royal du 10 octobre prend tout son sens.

Justice sociale et croissance : les orientations du Roi

À la différence des mouvements de 2011, le moment actuel ne traduit pas une rupture politique, mais une tension sociale à laquelle le souverain a choisi de répondre par des orientations concrètes. Le Roi Mohammed VI a rappelé que la vitalité économique du pays ne saurait suffire si elle ne se traduit pas par une amélioration réelle du quotidien. Il a ainsi placé au cœur de son discours la justice sociale et l’équilibre territorial, deux thèmes désormais indissociables de la politique nationale.

Le message est clair : les institutions doivent passer d’une logique de promesse à une logique de résultat. Le Roi a invité le gouvernement, le Parlement et les élus locaux à agir de manière coordonnée, afin que les politiques publiques produisent des effets mesurables sur le terrain. Cette exigence de responsabilité partagée marque une évolution dans la manière d’envisager l’action publique.

Le souverain a également insisté sur la nécessité d’une meilleure attention portée aux territoires oubliés. Les zones montagneuses, les oasis et les régions rurales doivent bénéficier de programmes spécifiques, capables de créer de l’emploi, d’améliorer les services essentiels et de valoriser les ressources locales. Ce rééquilibrage territorial vise à corriger les écarts qui persistent entre les grands centres urbains et les marges du pays.

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Par ailleurs, le Roi a encouragé la poursuite du développement du littoral, non pas comme une course à la modernisation, mais comme un chantier structurant conciliant activité économique et protection des ressources. Dans la même logique, le renforcement des centres ruraux émergents devrait permettre de rapprocher les citoyens des services publics et d’offrir de nouvelles perspectives à ceux qui vivent loin des grandes villes.

Mohammed VI a par ailleurs lancé un très symbolique appel solennel au Parlement et au gouvernement, les invitant à travailler avec sérieux et à défendre les intérêts concrets des citoyens. La responsabilité du suivi des affaires publiques leur incombe pleinement, tout comme l’impératif d’atteindre les objectifs sociaux auxquels la population aspire. Le souverain a souligné la nécessité d’accélérer le rythme du développement et d’optimiser l’action de l’État, en veillant à éradiquer toute pratique susceptible de dilapider efforts, temps et ressources. Chacun, depuis sa position, est appelé à contribuer à ce renouvellement : faire évoluer les mentalités, renforcer le développement local et promouvoir l’emploi et la santé. Il a, au fond, exigé des résultats.

En filigrane, ce discours apparaît comme une réponse posée aux attentes d’une jeunesse parfois désenchantée, mais toujours attentive à l’évolution du pays. Plutôt que d’adopter une posture défensive, le pouvoir choisit d’écouter et d’ajuster. Il s’agit moins de rompre que de corriger, moins de promettre que de tenir. C’est peut-être là la marque la plus nette d’un Maroc qui cherche à concilier stabilité politique et sens du progrès.

La boîte à souvenirs (1)

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Pascal Lainé DR.

J’adore lire. Ma Sauvageonne aussi. Lorsque je l’entraîne dans les salons du livre où je signe mes ouvrages, elle ne s’ennuie jamais ; elle passe un temps considérable à baguenauder dans les allées, s’arrête à chaque stand, à chaque auteur, ouvre les opus, découvre, papote avec les auteurs. Un vrai bonheur. Le souci, c’est qu’elle a envie de tout acheter. La rémunération mensuelle de mes piges chez Causeur n’y suffirait pas. Il m’arrive d’être contraint de la stopper dans son élan. (Il n’y a pas que les livres qui la pousse à commettre des folies. L’autre jour, à la faveur d’une sortie entre copines à Lille, en compagnie de son amie Corine, elle a dépensé une sacrée somme en vêtements, sacs, chaussures. Bref : c’est une fille!) Oui, disais-je, j’adore lire. Lorsque je passe devant la boîte à livres de mon quartier, je ne peux m’empêcher de m’arrêter et de fouiller, farfouiller. C’est comme un vice. Il y a peu mon attention a été attirée par L’Ecume des jours, de Boris Vian, en collection de poche 10/18, avec en couverture, une photographie de l’auteur qui ressemble comme deux gouttes d’eau (des Vian) à notre tant aimé (lol!) président, l’Amiénois Emmanuel Macron. Je la contemple ; je souris. Puis, je m’égare dans des souvenirs forts lointains. C’était en 1971 ; j’arrivais en classe de seconde (pourquoi dire « seconde » et pas « deuxième » puisqu’il y a deux autres classes au-dessus : première et terminale ?) à mon cher lycée Henri-Martin, à Saint-Quentin. Notre professeur de français, une trentenaire très brune, au physique d’actrice italienne et au nom de famille italien lui aussi, venait de Paris. Elle était mystérieuse, portait des lunettes fumées ; elle nous fascinait. Était-ce parce qu’elle ressemblait à Albertine Sarrazin dont j’avais lu L’Astragale, opus que j’avais adoré ? Peut-être. À peine arrivée qu’elle nous avait vivement conseillé de lire L’Ecume des jours. Qu’est-elle devenue, cette enseignante ? Je me le demande encore. Un seul indice : quelques années plus tôt, je l’avais croisée au collège Joliot-Curie de Tergnier où j’étais élève de cinquième ou de quatrième. Je n’avais pas eu la chance de l’avoir comme professeur. En ce début des années soixante-dix, il est fort probable qu’elle eût côtoyé Pascal Lainé, alors jeune professeur de philosophie au lycée technique de Saint-Quentin qui, fort de cette expérience, avait écrit, la même année, le sublime L’Irrévolution (Gallimard-coll. Le Chemin ; prix Médicis 1971), puis, trois ans plus tard, La Dentellière (Gallimard, coll. Le Chemin, 1974). Deux ouvrages qui m’avaient bouleversé. Notre professeur au physique d’Albertine Sarrazin allait-elle boire des bières pression au Grand Café de l’Univers en compagnie de Pascal Lainé qui, lui, s’y rendait très souvent ? (Il l’avait écrit.) Lorsque qu’en 1979, je revins à Saint-Quentin comme journaliste localier à L’Aisne Nouvelle, j’entrepris une enquête sur le passage de Lainé dans la capitale du Vermandois. Je voulais savoir qui avait été Pomme, le personnage central de La Dentellière, dont le narrateur, professeur de philosophie dans un lycée technique dans « un département en forme de betterave » (comme par hasard ; ce sont les premières lignes du roman). Vivait-elle encore ? Où résidait-elle ? Je publiais mon enquête. Quelques jours plus tard, une dame m’appela en affirmant qu’elle était Pomme. Je tremblais d’émotion. Je lui demandais son identité et lui proposais que nous nous rencontrassions. Sa voix s’étrangla comme prise dans le siphon d’un sanglot. Et elle raccrocha. Je n’ai jamais su si cette voix anonyme était réellement celle de Pomme. Au début des années 2000, alors que je venais d’arriver comme reporter au service culture du Courrier picard, à Amiens, j’ai appris que Lainé revenait au lycée technique de Saint-Quentin pour y rencontrer des élèves et parler de ses livres d’inspiration axonaise. Ni une, ni deux : je pris rendez-vous avec lui pour  – enfin ! – l’interviewer. Il accepta. Nous nous retrouvâmes à la brasserie du Carillon sur la place de l’Hôtel-de-Ville de Saint-Quentin. L’entretien dura presque deux heures. Je buvais ses paroles et les souvenirs qu’il égrenait. A la fin de notre rencontre, je me lançais : « Et Pomme, qui était-elle ? Qu’est-elle devenue ? » Il me regarda droit dans les yeux, visiblement troublé, caressa sa barbe d’ancien professeur de philosophie et changea de conversation. Pomme, si vous me lisez, écrivez-moi à Causeur. Il n’est jamais trop tard pour se perdre dans la merveilleuse forêt de la littérature.


(1) La boîte à souvenir, premier volet. J’espère pouvoir écrire un deuxième (et pas un second) et peut-être un troisième volet de ce même type de chronique inspirée par ma sacrée boîte à livres. On verra bien…