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Bonnes nouvelles !

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise !» pourrait être sa devise.


Je les piste avec un instinct de chasseur. Je cherche d’abord leurs traces laissées sur le papier, les ondes ou les écrans. Je m’approche très doucement pour ne pas les effrayer. Elles pourraient s’envoler et ne plus réapparaître. De l’aube au crépuscule, et même la nuit dans les périodes où la récolte est des plus maigres, j’ai appris à les attraper. Les capturer et les déguster comme on savoure des ortolans.

« Mais de quoi parle-t-il ? »

Des bonnes nouvelles ! Les infos positives. Celles qui surgissent et qui déchirent soudainement la chronique permanente de tout ce qui ne va pas, de tout ce qui ne va plus. Parfois, il m’arrive même de m’enthousiasmer avec peu de chose. Le soir de la réélection de Vladimir Poutine, avec 87 % des voix, la « bonne nouvelle » est venue des élections municipales partielles complémentaires dans le village de Thiron-Gardais (Eure-et-Loir), où Stéphane Bern a obtenu 97,3 % des suffrages exprimés. Un score supérieur de dix points à celui du Russe ! Et sans tricher. 

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Alors que le président Rocky-Macron veut boxer les dépenses pour réduire dette et déficit, en allant faire les poches des plus pauvres car ils sont les plus nombreux, la présidente de l’Assemblée nationale et le président du groupe Modem posent la question d’une mise à contribution des entreprises et des plus fortunés. Bonne nouvelle ! C’est quand même insupportable, ce dogme selon lequel on ne pourrait pas contester une partie des 170 milliards d’aides aux entreprises, ou regarder du côté des dividendes (le seuil des 70 milliards va être dépassé en 2024) et du rachat d’actions (32 milliards en 2023).

Autre actualité positive des derniers jours : le rejet sénatorial du traité de libre-échange avec le Canada (CETA) qui s’applique depuis 2017 sans avoir été ratifié. Dix pays de l’Union européenne connaissent une situation comparable. Depuis 2005 et la victoire du « non » au référendum sur le traité constitutionnel européen, Sarkozy, Hollande et Macron n’ont plus jamais consulté directement le peuple français en redoutant une « mauvaise nouvelle » au moment de l’annonce du résultat.

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Quoi d’autre ? En 1857, la foudre du procureur Pinard, au tribunal correctionnel de Paris, tombe sur Flaubert qui n’a pas fait « baisser la tête » à Madame Bovary. Un mois plus tard, Baudelaire est convoqué. Les Fleurs du mal serait un « outrage à la morale publique et religieuse aux bonnes mœurs ». Aujourd’hui, il me semble que les Pinard sont à la peine. En commission d’enquête à l’Assemblée nationale d’un côté, ou pour déverser des tombereaux d’insultes racistes sur Aya Nakamura de l’autre, ils n’ont pas atteint leur objectif.

Et puis, enfin, une bonne nouvelle peut être la sortie d’un film, d’un livre, une rencontre, un simple sourire dans la rue, une tasse de café au soleil. Ou cette phrase qui tourne dans ma tête, dite par une responsable d’unité de soins palliatifs, proposant « d’ajouter de la vie aux jours, à défaut d’ajouter des jours à la vie. » Quand Emmanuel Macron, lui, n’arrive toujours pas à nommer les choses. Retrouvons les mots, voilà un beau projet.

Quand Cioran répondait à son courrier

Gallimard publie des lettres choisies du mystérieux écrivain disparu en 1995.


C’est presque une apparition lorsque l’escalator de Gibert Joseph vous met nez-à-nez avec la correspondance choisie d’Emil Cioran, publiée chez Gallimard et établie par Nicolas Cavaillès. Pour le lecteur fanatique de l’écrivain roumain exilé à Paris, Manie épistolaire est une nouvelle occasion de découvrir un aphorisme définitif, de rencontrer de nouveaux paradoxes amers. Les lettres sont pour la plupart inédites.

Conversations avec des absents

L’ouvrage concentre des lettres écrites entre 1930 et 1991. Il y a eu trois pays dans la vie d’Emil Cioran : la Roumanie, « ce cul-de-sac du monde », l’Allemagne, la France et surtout le Quartier latin et « ses déracinements oisifs ». La correspondance s’en ressent : un bon nombre de Roumains, à commencer par son ami Mircea Eliade, des Allemands, des Français, dont le regretté Roland Jaccard, qui a fait les grandes heures de Causeur. Pour Cioran lui-même, fouiller dans la correspondance est un bon moyen d’accéder à tout auteur. Dans un texte de 1984, il écrivait : « La lettre, conversation avec un absent, représente un événement majeur de la solitude. Cherchez la vérité sur un auteur plutôt dans sa correspondance que dans son œuvre. L’œuvre est le plus souvent un masque. Un Nietzsche, dans ses livres, joue un rôle, s’érige en juge et en prophète, attaque amis et ennemis, et se place, superbement, au centre de l’avenir. Dans ses lettres, en revanche, il se plaint, il est misérable, abandonné, malade, pauvre type, le contraire de ce qu’il était dans ses impitoyables diagnostics et vaticinations, véritable somme de diatribes ».

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Dans la correspondance, surtout dans les années roumaines, on retrouve le style qui fera de Cioran le grand continuateur des moralistes français, de La Rochefoucauld à Valéry. Au détour de formules désespérées, il y a quand même de la drôlerie : « Je pensais t’écrire beaucoup de choses. Si je ne peux pas le faire, c’est qu’en ce moment je ne suis ni mélancolique, ni révolté, ni désespéré, ni content  – conditions indispensables pour écrire quelque chose à quelqu’un qu’on respecte. J’ai l’impression d’être un homme… marié. Ce qui est beaucoup plus qu’une déchéance ». On ne fera pas ici le détail des turpitudes du grand Emil. Les discours enflammés à Corneliu Codreanu, meneur de la Garde de fer fasciste roumaine, les inclinaisons politiques dans la période allemande… « Parfois, il m’arrive de me demander si c’est vraiment moi qui ai écrit toutes ces divagations qu’on cite […]. L’enthousiasme est une forme de délire », écrivait-il dans une lettre à son frère, non publiée dans le présent recueil. Il est vrai que dans Transfiguration de la Roumanie, l’auteur appelait à une sorte de national-bolchévisme martial. Pourtant, lors de ses obligations militaires, il semble se détacher de son enthousiasme cocardier : « Mon nationalisme et mon militarisme venaient du désir de faire quelque chose pour ce pays peccamineux, dont je ne voulais pas, et dont je ne veux pas la perte », écrit-il en 1936. Un peu de service militaire ramène à la patrie ; beaucoup de service militaire en éloigne…

Pas tendre avec les journalistes et les bonnes femmes

La correspondance sur un si grand nombre de décennies traduit chez le « Valaque décadent » son progressif « éloignement de l’esprit d’excès » (formule utilisée dans une lettre à Roland Jaccard, 4 août 1978). Cioran ne ricane pas pour autant devant le tragique de l’histoire ; face au « cauchemar vietnamien », en 1968, devant « pareil spectacle (!) », il semble par exemple las des discussions littéraires. On découvre aussi un Cioran intime, éternel fauché, ou adepte du vélo avec Simone Boué en Provence, loin quand même de l’écrivain insomniaque enfermé sous les combles de Paris. En 1958, il se vante d’être revenu à sa « timidité primitive » et de reculer « devant la perspective de toute relation, de quelque nature que ce soit, avec le monde des lettres et de la philosophie ». L’examen des destinataires de ses courriers permet toutefois d’avoir des doutes : Jean Paulhan, Ernst Jünger, Wolfgang Kraus…

Avec l’âge, l’écrivain devient plus pépère, se plaint de ses rhumatismes, et en politique, maudit les révolutions française et russe. A Fernando Savater, il écrit : « On prête à Talleyrand ce mot souvent cité : « Qui n’a pas vécu sous l’Ancien Régime n’a pas connu la douceur de vivre ». Je vous suggère de changer cette « pensée » de façon suivante : « Celui qui n’a pas vécu avant la révolution de 1789, n’a pas connu la douceur de vivre ».

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Il n’est pas tendre avec les journalistes : « Si je n’étais pas si vieux, je retournerais à la philosophie. Elle a du moins l’excuse de ne pas être accessible aux journalistes et aux bonnes femmes ». A Wolfgang Kraus, en 1973, qui lui avait envoyé le manuscrit de Culture et pouvoir. Les métamorphoses du désir, il écrit : « A la page 8 (du premier chapitre), je supprimerais le nom de Cohn-Bendit. C’est un personnage secondaire qui ne mérite pas, du moins à mes yeux, d’être cité ». Malgré le coup de vieux (« Plus je vais, plus je sens les tares de mes ancêtres s’accuser en moi. Et quels ancêtres ! Des sous-hommes qui n’ont rien foutu »), à soixante-dix ans, il échange avec une jeune lectrice de trente-cinq ans, Friedgard Thomas. On retrouve sur quelques lignes les exaltations du jeune Cioran : « Mais pourquoi ne suis-je pas dilettante à votre égard ? Vos yeux ont fait de moi un fanatique » ; « Depuis que j’ai été chassé du paradis, je pense à vous à chaque seconde et je ne peux penser à rien d’autre. Baden-Baden est belle, mais je ne peux m’intéresser à « la beauté du monde ». Je voudrais maintenant m’envoler pour la Patagonie, loin, très loin de vous, au pôle opposé ».

Manie épistolaire: Lettres choisies,1930-1991 Cioran, Gallimard 2024, 320 pages.

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Cap sur le RPR !

La guerre en Ukraine n’a pas fait basculer la campagne des européennes en faveur de la Macronie. L’invocation des heures sombres face à la progression du RN, non plus. La frontière artificielle entre droite dite républicaine et droite prétendue extrême est tombée, car le RN, LR et Reconquête parlent à la même France. La guerre fratricide des droites promet cependant d’être sanglante.


Panique au quartier général. À moins de trois mois d’élections européennes – qui sont surtout le dernier vote avant la présidentielle –, le cauchemar d’Emmanuel Macron devient chaque jour plus réel. Il avait promis de terrasser le dragon, il fait la course loin devant. Les macronistes en arrivent à crier victoire quand l’écart dans les sondages entre la liste de leur championne Valérie Hayer et celle de Jordan Bardella passe de 11 à 10 points.

Difficile de faire un procès en heures sombres à Bardella

Le camp présidentiel n’est pas très créatif, se contentant de rejouer la même pièce archi-usée : le combat entre la lumière et l’ombre, le bien et le mal, les résistants et les collabos – dans la variante européenne, il est aussi question d’ouverture et de fermeture. L’Europe, c’est la paix, la santé, la prospérité. Les valeurs – plus l’électricité, ose Valérie Hayer qui prétend que c’est grâce à l’Europe qu’on a évité les coupures, oubliant de préciser que c’était aussi grâce à l’Europe (et au sabotage d’EDF mené pour complaire aux Allemands) qu’on avait risqué ces coupures. On voit mal comment des anathèmes qui ont cessé d’opérer au sujet de Marine Le Pen auraient le moindre effet sur la popularité de Jordan Bardella. Les chasseurs de nazis imaginaires ont bien essayé de lui coller l’image de « petit-fils Le Pen », au prétexte qu’il s’était refusé à cracher sur un homme dont beaucoup de militants pensent qu’en dépit de ses égarements, il a vu venir pas mal de choses. Seulement, Jordan Bardella est né en septembre 1995, soit huit ans après la sortie de Le Pen sur le point de détail. Le 12 novembre 2023, il défilait à Paris contre l’antisémitisme. Difficile de lui coller un procès en heures sombres. Quand la bête immonde se cache sous les traits d’un jeune homme propre sur lui, il faut trouver autre chose pour dessiller l’électeur.

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Pour certains esprits soupçonneux, l’Ukraine devait être cette autre chose. C’est faire injure au président. Que des considérations narcissiques et politiques puissent influencer son verbe, c’est probable. Qu’elles déterminent des choix existentiels pour le pays, on n’ose le croire. Quoiqu’il en soit, les mauvaises nouvelles du front ukrainien assorties du gel de l’aide américaine ont promu le dossier ukrainien au rang d’urgence européenne. Pourtant, il n’y a pas eu de réédition de l’« effet drapeau », comme disent désormais les journalistes, à l’instar de ce qui s’était passé en 2022, quand l’invasion de l’Ukraine avait resserré les rangs autour du père présidentiel. Peut-être Emmanuel Macron n’est-il pas très crédible en figure paternelle. Peut-être certains pressentent-ils que, derrière son envie d’en découdre avec Poutine, il n’y a pas de stratégie – et encore moins les moyens qui vont avec. Les invectives hors d’âge n’ont pas aidé. En traitant de Munichois et de lâches tous ceux qui émettaient des doutes sur le revirement du président, plutôt porté jusque-là à ne pas couper les ponts avec Moscou, la Macronie s’est dispensée de l’essentiel : expliquer en quoi les intérêts vitaux de la France étaient en jeu. Il est vrai aussi qu’à l’exception notable des socialistes, les oppositions, toutes couleurs confondues, ont fait des gammes sur le thème du va-t-en-guerre et de l’irresponsable, comme si la Légion était en train de sauter sur Odessa. Toutes ces criailleries politiciennes ont interdit le débat argumenté auquel nous avions droit.

Droite des garagistes

Qu’on le déplore ou pas, la question ukrainienne n’a pas fait basculer la campagne. En revanche, elle a vaguement ressuscité le bloc central ancienne mouture : l’axe PS/Renaissance a un petit parfum d’UMPS (que les jeunes interrogent leurs parents). Pour compléter notre entretien avec Jordan Bardella, nous avons adressé des questionnaires sur l’Ukraine à Marion Maréchal et François-Xavier Bellamy. Les différentes droites, terminologie qu’on emploie faute de mieux, brodent sur la même ligne « gaullo-réaliste » : d’une part, on ne joue pas à « Même pas peur ! » avec un ours nucléaire et, d’autre part, la France doit avoir une voix singulière – argument d’ailleurs brandi par les deux camps qui en oublient de se demander si cette voix est écoutée. Que l’héritage gaulliste permette ou pas de penser notre situation, c’est une autre histoire.

Dans le brouhaha permanent autour de l’extrême droite et ses dangers supposés, on n’a pas prêté attention à la tectonique des plaques idéologiques qui a bouleversé les rapports de force sur la planète conservatrice. Sans faire injure à quiconque, force est de constater que l’ensemble se présente aujourd’hui comme un vaisseau amiral escorté par deux zodiacs ou, si on préfère, comme une baleine poursuivie par deux dauphins, dont l’un est dans l’enfance et l’autre, sur le retour. Ce qui excite les papilles du gros (le RN) et du jeune (Reconquête !), pressés de dépecer le cadavre du malade (LR).

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Macronistes et gauche ont beau s’évertuer à le rapiécer, le cordon sanitaire est tombé en poussière. Le RN est un parti comme les autres. En dehors de quelques bonnes maisons où on se rêve encore en Jean Moulin, dire qu’on vote Bardella ne suffit plus à effrayer le bourgeois.

La frontière artificielle entre droite dite républicaine et droite prétendue extrême étant tombée, reste un ensemble qui, avec des nuances, et quelques vraies différences, dessine les contours d’une famille politique. S’ils ne proposent pas exactement le même cocktail idéologique (le dosage bonapartisme/libéralisme/conservatisme pouvant varier), LR, le RN et Reconquête ! s’adressent à la même France : sociologiquement diverse, elle a en partage une aspiration à la continuité historique. Leurs électeurs veulent que la France continue à exister, et ils ne veulent pas qu’on chamboule les cadres anthropologiques de leur existence en expliquant à leurs mômes qu’être un homme ou une femme relève d’une pure construction sociale. Ce n’est pas un hasard si tous lorgnent le même espace politique, celui du RPR de la grande époque, quand feu William Abitbol, proche de Pasqua, parlait de la droite des garagistes.

Or, en vertu d’une loi immuable de la politique (et d’ailleurs de l’humanité), plus des rivaux sont semblables, plus leur affrontement est violent. Rien n’est plus dévastateur que les querelles de famille. La guerre des droites promet d’être sanglante. À la base, l’union des droites a commencé.

UE: le Pacte sur la migration, un pacte avec le diable?

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Après des années d’interminables négociations, les eurodéputés sont enfin parvenus à voter le Pacte sur la migration et l’asile mercredi – un ensemble très complexe de 10 textes durcissant et harmonisant les politiques d’accueil des migrants sur le Vieux continent. Cette adoption sera un argument en faveur des centristes, lesquels craignent une déconfiture électorale lors du scrutin européen de juin.


Mercredi, le Parlement européen a adopté le nouveau Pacte sur la migration et l’asile, un ensemble très complexe de 10 textes censé révolutionner la manière dont l’UE gère l’explosion de la migration de masse et le nombre toujours grandissant des demandeurs d’asile qui arrivent majoritairement du Moyen-Orient et de l’Afrique. Le fruit d’un processus de réflexion lancé à la suite de la crise migratoire de 2015, le pacte est, sous sa forme actuelle, le résultat d’une suite de négociations entre les différentes institutions européennes à partir d’une série de propositions faites par la Commission en 2020.

Pour que les nouvelles règles formulées par le pacte puissent entrer en vigueur, il ne manque maintenant que l’approbation des 27 États-membres de l’UE. Certains d’entre eux ont déjà émis des critiques sévères à l’égard surtout de ce qu’on appelle – de manière assez sinistre – des mécanismes de « solidarité ».

Une approche « équilibrée »…

Le vote de mercredi a été largement salué par les partis et les politiques du centre comme une grande victoire, tandis que ceux de la droite et de la gauche radicales dénoncent le résultat comme une trahison. Pour les premiers, c’est une trahison des peuples européens ; pour les derniers, une trahison des valeurs européennes.

Un migrant se reposant sur le sol, après avoir traversé la frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Ceuta devant les blindés et les troupes espagnoles, le 18 mai 2021, Ceuta © Javier Fergo/AP/SIPA

Car le pacte est une expression authentique de l’idéologie du « en même temps » : il y a quelque chose pour plaire (ou essayer de plaire) à tout le monde et, par conséquent, quelque chose pour déplaire à tout le monde. Seuls les partis centristes, de centre gauche ou de centre droite ont tiré leur épingle du jeu. Selon la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le Pacte est « équilibré ». Pour la présidente du Parlement, la Maltaise, Roberta Metsola, il représente « un équilibre entre solidarité et responsabilité ». « Solidarité » est un mot de code destiné à inspirer le centre et la gauche, tandis que « responsabilité » est censé résumer tout ce que la droite radicale ou populiste appelle de ses vœux.

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Pour la droite, le Pacte propose un tri accéléré des migrants dès leur arrivée aux frontières de l’espace européen. Ceux dont la demande d’asile ne semble pas avoir des chances de réussir seront détenus sur place dans des centres de rétention. Si leur demande est rejetée, ils seront rapidement renvoyés vers un pays sûr qui ne sera pas nécessairement le pays d’où ils sont venus. Les demandes des autres candidats au statut de réfugié pourront être examinées ailleurs.

Ce premier tri engagera un processus de vérifications de sécurité et de contrôles d’identité comprenant la collecte de données biométriques. Toutes les informations seront centralisées dans une base de données, Eurodac. Ce processus, ainsi que les centres de rétention qu’il faudra construire, ont été dénoncés comme « inhumains » par plus de 160 ONG. Sans surprise.

Le renvoi de migrants dont la demande d’asile est jugée irrecevable sera facilité par des accords avec des pays tiers, surtout sur le littoral africain. Les accords déjà réalisés avec la Turquie en 2016, la Libye en 2017 et la Tunisie en 2023 en constituent le modèle. Un nouvel accord avec la Mauritanie en février de cette année et un autre avec l’Égypte en mars vont dans le même sens. D’autres partenariats avec le Maroc et même l’Algérie sont proposés. Il s’agit essentiellement de payer ces pays pour empêcher, dans la mesure du possible, le départ de migrants vers l’Europe et pour accepter le retour de ceux qui ont réussi – en vain – à traverser la Méditerranée.

Pour le centre, les réfugiés et les demandeurs d’asile seront répartis entre les États-membres pour soulager la pression sur les principaux pays d’accueil, notamment l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Mais les autres pays – comme la Hongrie ou la Pologne – qui sont rétifs à l’accueil de migrants, auront la possibilité de refuser d’en accepter si, en contrepartie, ils versent de l’argent (20 000 € par migrant) à un fonds commun ou fournissent une aide matérielle pour la gestion des flux.

Pour la gauche, il y aura une harmonisation entre les 27 concernant les critères permettant l’obtention de statut de réfugié. Une fois qu’ils auront obtenu officiellement la protection internationale, les migrants auront un accès plus facile au droit de travail et à une couverture sociale.

… pour un résultat indigeste ?

Il y aura aussi des dispositions spéciales pour la gestion des migrants dans des situations de crise. Le mot sinistre de « solidarité » revient ici et c’est ce qu’il représente, à savoir la répartition des migrants entre les États-membres, qui braque les leaders de la Hongrie, de la Slovaquie, de la République tchèque et même de la Pologne du très centriste et européiste Donald Tusk. La Pologne a déjà accueilli un million de réfugiés ukrainiens. Victor Orban est allé jusqu’à appeler le Pacte « encore un clou dans le cercueil de l’Union européenne ».

Si les différents dispositifs du Pacte peuvent sembler « équilibrés » d’un certain point de vue, tout dépendra de la manière dont les différents mécanismes seront appliqués dans la pratique. La Commission proposera un plan d’application en juin. S’il y a des diables, ils seront certainement dans les détails de ce document. Le Pacte est destiné à entrer en vigueur au plus tard en 2026.

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L’eurodéputé Reconquête !, Nicolas Bay, a expliqué pourquoi il a voté pour les mesures qu’on peut appeler ici « de droite », mais contre toutes les mesures « de gauche » qu’il qualifie de « suicidaires pour notre civilisation ».

Ce qui est sûr, c’est que la situation est urgente : l’année 2023 a vu un peu plus de 1,14 million de demandes d’asile enregistrées dans les 27 États-membres et en Norvège et en Suisse. Il s’agit d’une augmentation de 18% par rapport à 2022. Également en 2023, Frontex, l’agence européenne chargée de surveiller les frontières extérieures de l’UE, a enregistré 380 000 entrées irrégulières sur le sol européen, une augmentation de 17% par rapport à 2022. A présent, seul un cinquième des migrants arrivant sur le sol européen dont la demande d’asile est refusée sont renvoyés dans des pays tiers.

Les électeurs qui ressentent de l’inquiétude face à l’incapacité de l’Europe à gérer les flux migratoires auront plus de sources d’inquiétude si jamais, lors des élections européennes en juin, l’adoption du Pacte joue en la faveur des partis centristes qui, à l’heure actuelle, craignent une victoire écrasante de la droite populiste. Ce sera encore pire, si cette adoption renforce la possibilité qu’Ursula von der Leyen soit re-nominée à la tête de la Commission pour un deuxième mandat. Pour ceux que cela plonge dans une dépression profonde, il y a un coup de grâce. Le chef de Frontext lui-même, Hans Leitjens, ne croit pas qu’il soit possible de protéger les frontières de l’Europe[1] !


[1] https://www.welt.de/politik/ausland/plus249632894/Hans-Leijtens-Der-Frontex-Chef-der-nicht-an-den-Grenzschutz-glaubt.html

Quand Machiavel s’en mêle…


L’inquiétude de Bénédicte allait croissant. Depuis quelque temps, son président de mari, pourtant rompu aux exigences et incertitudes propres à sa fonction, donnait de plus en plus de signes de nervosité. D’inquiétude, voire de désarroi, devant les situations imprévues, fussent-elles anodines. Sans doute, lors des interventions télévisées dont il raffolait, faisait-il montre de l’assurance, du contentement de soi, voire de la morgue auxquels étaient accoutumés les Français.  Son second mandat était largement entamé et rien, en apparence, ne laissait présager un effondrement qu’il parvenait à dissimuler en public. En privé, toutefois, il était de plus en plus en proie à des accès de mélancolie qui se traduisaient par de longs mutismes et des soupirs à fendre l’âme. De quoi angoisser Bénédicte dont les sentiments à l’égard de son époux offraient un curieux mélange d’amour maternel et d’affection conjugale. Elle était, il est vrai, de quelque vingt ans son aînée. Peu d’exemples dans l’Histoire, sinon les rapports entre Henri II et Diane de Poitiers, à ceci près que le palais de l’Élysée avait succédé au château d’Anet.

N’y tenant plus, Bénédicte se décida à rompre le silence. C’était un matin de printemps. De la fenêtre donnant sur le parc du palais, parvenaient, mêlés aux effluves de lilas, les dialogues énamourés des oiseaux nichés dans les arbres séculaires. Le couple prenait son petit déjeuner. Ou, plutôt, la Première dame, car le président, repoussant brioche et tartine beurrée, était plongé dans une profonde méditation.

« Que se passe-t-il, mon Minouchet ? Tu es de plus en plus étrange. Dis-moi tout. À défaut de tartines, mange le morceau. J’ai besoin de savoir ».

Long soupir. Minouchet émerge de l’abîme.

« Plus rien ne va, Bibiche. Le projet de loi sur la lutte contre l’invasion clandestine des frelons asiatiques arrive demain à l’Assemblée où, tu le sais, nous ne disposons que d’une majorité des plus relatives. Le Sénat en a durci les dispositions, les oppositions affûtent leurs armes. Indignation chez les écolos, au nom du bien-être animal. Childéric Charon brandit ses arguments coutumiers : s’en prendre à des mères de familles en gestation, porteuses de centaines d’œufs et en quête légitime de nourriture ? Établir des quotas et utiliser des pesticides pour freiner l’invasion qui terrorise tout le monde, jusqu’aux abeilles cloîtrées au fond de leurs ruches ? Quelle ignominie !

Bien entendu, Toute la coalition bien-pensante, pétrie de bons sentiments, fait chorus. À l’inverse, les extrémistes de l’autre bord et une bonne partie des habituels indécis nous reprochent de n’en point faire assez. De refuser les mesures drastiques qui, seules, pourraient nous débarrasser du fléau. De plus, la Communauté européenne, qui nous somme de respecter ses directives, vient aviver les passions. Bref, je sens venir la catastrophe. Le gouvernement mis en minorité sans pouvoir utiliser, une fois de plus, le fameux quarante-neuf trois… Voilà où nous en sommes. Dans l’impasse. »

Il étouffe un sanglot. Bibiche lui tapote la joue, comme elle le faisait lorsqu’il sortait du lycée sans avoir obtenu la meilleure note en composition française.

« Ne te désole pas, mon Minouchet chéri. Il n’est de problème qui ne trouve sa solution. Je vais y réfléchir. »

Elle quitte la table, saisit son téléphone portable, regagne le bureau qui lui a été alloué il y a maintenant plus de sept ans.

« Allô, Élisabeth ? J’ai besoin de toi. Un besoin urgent. Toi qui es un medium réputé, tu conserves, je présume, de nombreux contacts avec l’au-delà. Si tu les mets au service du président de ton pays, tu œuvreras dans le sens d’un patriotisme qui mériteras récompense. Pourquoi pas la légion d’honneur pour service éminent rendu à la France ?… »

Une heure plus tard, un huissier introduisait en catimini Élisabeth dans la pièce où l’attendaient le président et la Première dame.

« Il a fallu que j’insiste, car il était occupé. Mais enfin, Machiavel est là. Je servirai d’intermédiaire. Dites-lui de quoi il s’agit. »

Le président exposa la situation et sollicita, avec une humilité dont il n’était guère coutumier, l’aide du meilleur stratège politique de son temps. Celui-ci, par la bouche d’Élisabeth, lui tint à peu près ce langage : « Ce qui t’arrive, gamin, n’a rien de surprenant : tu as provoqué toi-même le piège dans lequel tu es tombé. Per Bacco ! Tu as longtemps pensé que les paroles suffisaient à remplacer les actes. Que les belles déclarations justifiaient la totale inaction. Tu étais tellement sûr de toi et de ta supériorité que pas une seconde tu n’as envisagé que ton fameux « en même temps » pouvait susciter des mécontentements dans tous les camps. Dio mio ! Quelle naïveté et quelle fatuité ! Sache, petit fier-à-bras, que la politique est un art qui ne s’improvise pas. Que la ruse y joue un rôle éminent. Qu’il faut savoir reprendre d’une main ce que l’on a concédé de l’autre. Ainsi, laisse passer l’orage. Courbe l’échine pour mieux te redresser. Accepte que la loi que tu désapprouves soit votée contre l’avis de ta majorité. Il ne te restera plus qu’à vider ensuite ladite loi de sa substance pour la rendre aussi inoffensive qu’inefficace. Pour cela, il te faut des alliés hors du Parlement. Des alliés occultes, bien entendu, qui voleront à ton secours sans en avoir l’air et en conservant le masque de la respectabilité. Ainsi rien ne sera changé, mais les apparences seront sauves. Le Conseil constitutionnel pourrait, en l’occurrence, voler à ton secours. Il ne te restera plus qu’à amuser la galerie avec des projets aussi farfelus que ton comportement et dans trois mois, tout sera oublié. Tricherie ? Malhonnêteté ?  Qu’importe ! Ciao, bambino. Je retourne à la partie d’échecs que j’étais en train de disputer et, cois-moi, Nostradamus est un rude adversaire ! ».

Conseils judicieux, on en conviendra : la susdite loi fut détricotée au nez et à la barbe de ceux qui l’avaient votée et plus personne n’en entendit parler. La leçon fut-elle entendue pour autant ? Pas si sûr, tant il est vrai que Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre.

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Guerre de Sécession, le retour

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Voilà que la Metropolitan nous rejoue la Guerre de Sécession ! Attention gore !


En quels temps troublés sommes-nous plongés, au cœur de cette dystopie illusoirement contemporaine ? Comme, par sa platitude littérale, son titre le laisse augurer, la guerre civile fait rage, en effet : les États-Unis d’Amérique sont à feu et à sang ; New-York est détruite, les incendies se propagent un peu partout ; l’armée fédérale, sur les dents, tente de contenir l’avancée des dites « Forces de l’Ouest » (pourquoi pas ?), en rébellion contre le gouvernement central tandis que, dans Washington en état de siège, un président cumulard (il en est à son troisième mandat, apprend-on incidemment) semble s’accrocher à son poste vacillant : cerné, mais protégé par sa garde rapprochée.

Dystopie « à l’ancienne », car pas d’Iphones ni d’écrans tactiles qui s’allument, pas de drones qui vibrionnent dans le ciel, mais des légions de chars, des hélicos à foison, des fantassins en tenue de camouflage qui s’égaillent sous la mitraille, les explosions et les fumerolles, façon Apocalypse Now au Viet-US.

Lee (Kirsten Dunst), vieille gloire de l’agence Magma et photographe de guerre en fin de carrière, a la carapace de qui en a vu d’autres. Jessie (Cailee Spaeny) toute jeune groupie en mal d’expérience, se débrouille pour intégrer, sous la protection de son mentor, la petite équipe intergénérationnelle de courageux journalistes des deux sexes (mais sans parité). Laquelle équipe, à bord d’un van dûment estampillé « PRESSE », s’engage dans un périple de plusieurs milliers de km à travers le chaos ambiant, direction Washington D.C. Dans quel but ? Interviewer le président-satrape aux abois.

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Voilà donc le pitch d’un road movie qui dispensera le spectateur de la moindre information quant aux tenants et aboutissants de ce conflit intestin, des motifs de la situation, des arrière-plans politiques qui la sous-tendent. Par contre, une pyrotechnie spectaculaire est mise au service de l’action, dans un carnage qui conjugue débâcle autoroutière, métropoles en flammes, bleds paumés trompeusement en paix…

Mais surtout, selon une gradation orchestrée complaisamment jusqu’au gore le plus scabreux, Civil War ne nous épargne aucune horreur : exécutions à bout portant, pendaisons, corps brûlés vifs ou calcinés, torches vivantes, fosses communes à ciel ouvert où les rescapés pataugent parmi les cadavres, viscères répandus sur l’asphalte, macchabées écrabouillés sous les roues. Le climax ? Le siège du Capitole, et l’attaque à la mitraillette d’une Maison blanche reconstituée avec soin.

Nos journalistes, ultime avatar de la sainteté martyre baignée dans l’épouvante, ne doivent leur salut qu’au miracle : leur seule arme, ces clichés que shootent opiniâtrement, inlassablement leurs objectifs.  Film « à l’ancienne », disais-je : la petite Jessie ne travaille-t-elle pas en péloche noir et blanc, avec le Nikon vintage hérité de daddy ? Au reste, le métier n’est-il pas en voie d’extinction ?

Après le film d’horreur Men (2022), le romancier, scénariste (le script de La plage, c’était lui) et réalisateur britannique Alex Garland, sous couleur de sanctifier les idéaux sacrificiels de ces belles âmes – trois générations confondues de reporters-photographes pris sous la mitraille comme sous le feu du Ciel – se noie décidément dans le sordide et l’abjection.          


Civil War. Film d’Alex Garland. Avec Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny, Stephen Mckinley Henderson, Sonaya Mizuno, Nick Offerman. Etats-Unis, couleur, 2023.

Durée: 1h49
En salles le 17 avril

Et maintenant, le djihad scolaire

Notre chroniqueur n’en revient pas que les médias, les politiques et la France entière s’émeuvent aujourd’hui, parce que des jeunes filles sont à moitié massacrées et que de jeunes garçons sont tabassés à mort, et s’indignent soudain de la pression exercée sur les consciences par les islamistes. On s’en prend aux vecteurs du message, dit-il, pas à son origine: la tentative d’imposer la charia dans l’espace français.


Les Frères musulmans, chassés d’Égypte, leur foyer initial, par la politique intelligente du maréchal Abdel Fattah al-Sissi, se sont repliés vers l’Europe, dont ils ont senti que les convictions faiblissaient.
Ils sont loin d’être idiots, et ont très bien analysé la société française, dont le « multiculturalisme » fait éclater l’intégrité originelle. Ils ont déterminé que l’Ecole était aujourd’hui son point faible : la déperdition de matière grise, la collaboration d’enseignants islamo-gauchistes — ou simplement collaborateurs, la dhimmitude étant une tendance innée chez les partisans du « pas de vague » — et le relativisme culturel ont causé un effondrement des défenses immunitaires de ce qui fut jadis le principal levier de la laïcité, et d’intégration dans la nation française.
Ils ont alors lancé un jihad scolaire[1] qui porta d’abord sur les matières enseignées, acculant nombre d’enseignants à l’auto-censure : pas de discours scientifique sérieux sur la fabrique du vivant et l’origine des espèces, pas de références aux événements historiques qui fâchent, et épurement du vocabulaire. Exactement comme les Nazis dans l’Allemagne des années 1930. Ou comme Big Brother dans le roman d’Orwell.

L’obscurantisme musulman à l’œuvre

Prétendre que Darwin (et ceux qui depuis la publication de L’Origine des espèces ont affiné les intuitions du génial biologiste anglais) ne peut être évoqué entre dans la logique d’un fanatisme qui méconnaît le Temps et la succession des ères. Un dieu incréé ne peut autoriser une évolution linéaire. Pour l’islam, hier, c’est aujourd’hui, c’est demain.

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La shoah est également le point aveugle de l’impensé islamique. Passons sur ceux qui se lancent carrément dans l’apologie d’Hitler, et justifient l’appui du grand mufti de Jérusalem au petit moustachu autrichien. Il est à noter que si un « Gaulois » soutenait en classe de telles idées, il se ferait immédiatement tancer sous l’accusation justifiée de négationnisme. Mais si c’est un musulman, nombre d’enseignants s’efforceront de le convaincre gentiment qu’il a tort, au lieu de le signaler immédiatement à l’administration. De même la conviction que les camps de concentration sont une invention, qu’Israël appartient aux Palestiniens —qui n’en ont jamais rien fait, sinon céder la terre aux Turcs qui les oppressaient —, que les guerres de 1948 / 1967 / 1973 ne furent gagnées par l’État juif qu’avec la complicité de tous les pays « colonisateurs », bref, que les Palestiniens en particulier et les Arabes en général appartiennent au bloc florissant des victimes des colons et des esclavagistes, tout cela fermente dans les crânes vides.
À noter que la loi Taubira sur la traite atlantique, qui impose de méconnaître la traite saharienne, bien plus longue, plus dense et plus meurtrière, a joué un rôle dans cette culpabilisation aberrante. Que cette même Christiane Taubira, qui est la responsable, en 2002, avec ses 2,32%, de l’échec de Lionel Jospin, soit toujours l’idole de la gauche la plus masochiste du monde donne une idée de la réécriture permanente de l’Histoire par les bobos parisiens et quelques autres.

La liste des mots interdits s’allonge

Quant au vocabulaire… On se souvient que Depardieu (in Le Plus beau métier du monde, 1994) parlait déjà à ses élèves de « chiffres rebeu » pour ne pas dire « arabes » et risquer de choquer sa classe d’ignorants. Tout récemment, une enseignante des quartiers nord de Marseille s’est fait traiter de raciste parce qu’elle opposait, justement, chiffres romains et chiffres arabes. Telle autre a été stigmatisée comme islamophobe parce qu’elle reprochait à un élève musulman d’avoir une écriture de cochon — une métaphore usuelle depuis des siècles. Il est désormais des mots interdits, exactement comme sous le nazisme. Victor Klemperer a longuement analysé cette mainmise hitlérienne sur la langue allemande dans Lingua Tertii Imperii (1947).

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Mais cela, c’étaient juste les préludes du jihad scolaire lancé par les Frères musulmans. C’est maintenant une vraie police des mœurs qui s’est instituée dans les lycées et collèges. La récente affaire Samara, à Montpellier, a été le révélateur de ce fascisme ordinaire : rappelons que la gamine a été massacrée par une coreligionnaire qui trouvait ses tenues trop occidentales. L’islamisme, comme tous les fascismes, est d’abord un terrorisme de l’esprit. C’est la raison pour laquelle 90% des musulmans français, qui honnêtement aspirent à vivre en paix en France et à se démarquer le moins possible, obéissent à des diktats imposés par une poignée d’apprentis-terroristes qui utilisent la peur comme levier essentiel.

Des collégiens passent devant le collège des Sablons à Viry Chatillon, le 5 avril 2024. L’adolescent de 15 ans Shemseddine, battu à mort, y était scolarisé © Miguel MEDINA / AFP

Le levier de la culpabilité

D’où le fait que le voile, comme l’ensemble des tenues « islamiques » (qui n’ont en général aucun fondement religieux, et sont des imitations de coutumes médiévales conservées à l’époque moderne en Arabie Saoudite ou en Afghanistan) doit être interdit dans tout l’espace public. Moins on en verra, moins il y en aura — parce que plus on en voit, et plus il y en a : l’aberration vestimentaire devient la norme, sous la pression des fondamentalistes.
J’ai eu des élèves de culture musulmane dont je peux affirmer qu’elles étaient parfaitement agnostiques, et qui se voilaient en sortant du lycée, pour éviter d’être agressées — verbalement d’abord, et physiquement ensuite — par les « grands frères » lorsqu’elles regagnaient leurs cités. La construction de grands ghettos à travailleurs immigrés, dans les années 1960-1970, a favorisé ce phénomène clanique, cette communautarisation qui fait éclater la France.
La loi de 2004 n’a fait qu’une petite partie du boulot. Interdire les « signes religieux ostentatoires » dans les collèges et lycées (donc à des élèves généralement mineurs) est très insuffisant. Les fondamentalistes envoient aujourd’hui des cohortes de filles voilées dans les universités, imposent dans les hôpitaux la présence d’un mari ou d’un frère pendant les consultations pour escorter leurs filles, leurs sœurs, ou leurs épouses, et profitent du moindre interstice pour forcer la France laïque à s’ouvrir — et c’est bien d’un viol qu’il s’agit — à une culture qui veut la mort de toute culture autre qu’elle-même.

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Il ne leur suffit pas de faire pression sur leurs coreligionnaires. En usant intelligemment du levier de la culpabilité, ils imposent leur point de vue à des Occidentaux que l’on persuade qu’ils sont responsables de la stagnation de l’Afrique en général, du Maghreb en particulier et de l’Algérie précisément. C’est là que joue à plein l’articulation islamisme / wokisme. Voir la dernière loi — le Hate Crime and Public Order Act — passée tout récemment en Ecosse, à l’instigation du nouveau Premier ministre de la région, le musulman Humza Youssaf, vise à réprimer tout discours de haine et de transphobie[2]. On feint de s’allier avec les plus extrémistes des LGBT, et on les éliminera lorsque la charia sera officielle. Sans doute alors, comme dans le joli roman à peine dystopique de Houellebecq, Soumission, les islamo-gauchistes les plus convaincus se convertiront prestement : ça leur permettra de disposer de quatre épouses, et les féministes s’apercevront trop tard qu’elles ont donné des armes à leur pire ennemi.

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[1] J’emprunte cette formule, parce que je la trouve totalement appropriée, à Marc Hellebroeck, qui l’utilise dans un texte paru sur Front populaire début avril.

[2] https://www.causeur.fr/humza-yousaf-ecosse-du-nationalisme-a-l-islamo-gauchisme-280231

Démocra… ture!

Les citoyens réclament toujours davantage d’autorité de la part de leurs hommes politiques, à mesure que la société française semble se déliter. Coup de gueule.


On a beau tourner les problèmes dans tous les sens, qu’il s’agisse de dette abyssale, d’agressions scolaires, de réformes annoncées d’autant plus convaincantes qu’elles ne sont jamais appliquées, de jeunes dépressifs, de chômeurs qui attendent la retraite alors qu’on n’arrive pas à recruter, de tenues soit débraillées soit voilées, d’un niveau d’inculture qui bat des records… il faut que cela s’arrête, la France décline !

Trop de démocratie tue-t-elle la démocratie ? La démocratie, ce n’est pas : « Moi d’abord, et j’ai le droit de penser ce que je veux », la démocratie ce n’est pas le tout-à-l’égout de la liberté !

Nous sommes (presque) tous d’accord et personne, à quelque niveau que ce soit ne semble savoir comment s’y prendre pour agir. La Police est insuffisante et mal aimée, les gendarmes au bout du rouleau, les militaires aux abris en attendant la guerre, la fraude contribue à nous ruiner (en plus de ce que l’État nous prélève généreusement pour nous le redistribuer ensuite)… Alors comment faire ? On ne peut plus se contenter de commenter médiatiquement avec émotion les faits divers, en les amplifiant si possible. La sanction n’est jamais au rendez-vous, elle est dilatoire. Le temps de la justice, de la répression, le temps de l’enquête, le temps de l’exécution d’un ordre, c’est toujours pour demain. L’autorité doit maintenant se montrer sur-le-champ en ne laissant rien passer, en renvoyant immédiatement l’étudiant de Sciences-Po antisémite ou le harceleur du lycée, et sans appel. « Où les mettre ? » se demande alors la classe politique avec obstination et sans proposer de solution. Depuis le temps que la violence sévit, on le sait ! Il est plus que temps de créer des établissements spécifiques de courte durée à forte discipline (le terme de « maison de redressement » a trop mauvaise presse). Sachant le manque d’autorité face aux jeunes, les parents en sont les premiers responsables. Ils demandent à l’Etat tout ce qu’ils n’osent faire, ni même dire eux-mêmes. À quatre ans, on confie l’éducation sexuelle des petits de maternelle qui tètent encore leur mère à des spécialistes ! Plus tard, ils partent en classe vêtus comme ils le souhaitent, troués, percés, ventre nu ou visage voilé (quand ce n’est pas l’un le soir et l’autre en journée). Les réseaux sociaux sont leur encyclopédie, avec des parents qui les laissent dormir le portable sous l’oreiller, doudou 2.0 (là l’État n’y peut rien, sauf en Chine !).

A lire aussi: Ce que nos entrepreneurs ont à dire à l’Union européenne

Nos dirigeants ne savent-ils pas quoi faire ? Par incompétence, par électoralisme ou encore par cynisme ? De fait, grâce à quelques flashbacks, la comparaison est vite établie entre les personnels politiques et les Giscard, Pompidou, Chaban Delmas, Jobert, Delors, Malraux, Mauriac, Léotard, Seguin, Bérégovoy, Balladur… qui étaient quand même quelques coudées au-dessus de nos nominés, sans vouloir les offenser ; est-ce la médiocrité ambiante qui déteint sur eux ou le contraire ? Qui de l’œuf ou de la poule ?

Parallèlement, la demande d’autorité est croissante pendant que nous détruisons peu à peu notre ambition républicaine ; ce déclin ronge ce qui fait la fierté d’une démocratie. Pour tenter de lutter contre ces dérives générales, l’Etat tente de se renforcer ou croit qu’il le faut : en fait il ne sévit pas, il prend de l’embonpoint ; sévir c’est trop difficile, alors on fait des lois. Et puis, les Français eux-mêmes ? Il faut arrêter de tout attendre des autres. C’est chaque foyer qui doit remettre en place un code disciplinaire dans ses propres murs. Les parents qui doivent soutenir les professeurs… Ne pourrait-on pas prendre un peu exemple sur la forme d’autorité émanant de l’entreprise ? C’est le seul lieu où l’on se sente en sécurité. Et les chefs d’entreprise en savent plus sur leur entreprise que les ministres sur leur ministère ! Charité bien ordonnée commence par soi-même, alors contribuons à faire régner la discipline tout autour de nous, dans le métro, dans la rue, à l’école, en l’exigeant de nos enfants. Un peu de courage ! car si tout le monde abdique c’est la dictature qui nous guette…

La démocratie, c’est aussi et surtout la responsabilité individuelle que l’on n’évoque même plus. Ceux qui sortent gagnants du désordre général sont les partis politiques qu’on a cherchés à éliminer pendant des années, justement parce qu’ils étaient autoritaires. Devinez la suite… rendez-vous aux prochaines élections européennes.

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Nabokov, le choc Lolita

Un Cahier de l’Herne est consacré à Vladimir Nabokov


C’est toujours avec un grand plaisir qu’on revient à Nabokov, ce magicien des lettres. On lit et relit chacun de ses romans avec une délectation inoubliable. Il incarne à lui seul une idée à peu près complète de la littérature. Son œuvre est protéiforme, écrite dans plusieurs langues, mais chacun de ses livres porte la signature du grand maître ès romans qu’il fut. Ce numéro des Cahiers de l’Herne propose une rétrospective très informée de la vie de Vladimir Nabokov, en en abordant les différents aspects, comme l’inévitable chasse aux papillons, mais toutefois sans perdre jamais de vue le génie esthétique particulier d’un écrivain qui ramenait l’univers aux couleurs éclatantes d’une petite bille sphérique.

Le succès de Lolita

Ce Cahier fait évidemment la part belle à Lolita (1955), impérissable succès planétaire. Qui n’a pas lu cette œuvre parfaite, écrite dans un anglais d’exception ? Je ne résiste pas au plaisir de vous en citer un passage en anglais, au tout début, pour vous mettre (littérairement) l’eau à la bouche : « She was Lo, plain Lo, in the morning, standing four feet ten in one sock. She was Lola in slacks. She was Dolly at school. She was Dolores on the dotted line. But in my arms she was always Lolita. »[1]

A lire aussi, du même auteur: Inédit de García Márquez: bref et somptueux

Plusieurs articles de ce Cahier de l’Herne sont consacrés à ce roman culte, et notamment à sa réception à l’époque. Je mentionnerai l’article très caractéristique de Robbe-Grillet, intitulé « La notion d’itinéraire dans Lolita » dans lequel l’auteur des Gommes reconnaît presque s’identifier au personnage de Humbert Humbert. Il y a aussi la réaction étonnante de Dorothy Parker, en 1958, qui décrit ainsi le caractère de Lolita : « C’est une atroce petite créature, égoïste, dure, vulgaire, pénible. » Le personnage maléfique, pour Dorothy Parker, c’était Lolita et non son coupable beau-père. Pourtant, Nabokov lui-même avait mis en garde contre cette interprétation, indiquant que Lolita était plutôt une victime. C’est l’avis de Vanessa Springora, précoce lectrice de Lolita, qui nous offre ici une interprétation attentive du roman, en rendant justice à l’ambition de Nabokov (c’est aussi ma lecture de Lolita, désormais) : « L’écho de cette voix sacrifiée, écrit Springora en parlant de la nymphette, n’en finit pas de nous hanter. » Dans sa contribution, Agnès Edel-Roy défend le même point de vue, qui correspond à une perspective spécifiquement contemporaine, rendue possible selon elle par « la libération de la parole ».

Un choc émotionnel

Lolita n’est pas la seule œuvre de Nabokov au programme de ce Cahier. L’excellent Deny Podalydès, délaissant pour un temps Shakespeare, nous parle par exemple de Mademoiselle O (1939), ce récit de Nabokov écrit en français. On avait demandé à l’acteur de venir en faire une lecture à Beaubourg : « Ce fut un choc émotionnel, confie-t-il, de ces lectures qui m’ont sans doute plus marqué, moi, que les auditeurs. » Podalydès raconte qu’il est également un fervent admirateur de Feu pâle (1962). Chacun d’entre nous a ses romans préférés de Nabokov, et d’autres peut-être qu’il aime moins. J’avoue, pour ma part, avoir eu du mal avec Ada (traduit en 1975). Mais parmi ceux qui m’ont fasciné le plus, je peux citer La Méprise (1934) que Fassbinder porta à l’écran sous le titre anglais Despair, ainsi que l’autobiographie de Nabokov Autres rivages (1961) que le même Podalydès apprécie tant, par ailleurs : « Qui n’aurait envie, écrit-il, d’accéder à une pareille faculté de mémoire et de consignation de cette mémoire ? »

Nabokov, lecteur redoutable

Je vous conseille de lire ce Cahier de l’Herne consacré à Nabokov en le feuilletant au hasard ou au gré de votre intuition. Vous tomberez toujours sur un passage spécialement écrit pour vous, et auquel vous ne vous attendiez pas. Il en ira ainsi peut-être du texte assez amusant de Brice Matthieussent sur les détestations littéraires de Nabokov. Le professeur d’esthétique et traducteur de Nabokov propose une liste des auteurs classiques que l’écrivain, pourtant admirable lecteur, ne supportait pas : « le panthéon poussiéreux des prétendus génies littéraires, ainsi que les qualifie pour l’occasion Mattthieussent, qui sont en fait des escrocs à la réputation usurpée ». Parmi eux, on le sait, Sade et Freud. Mais aussi Balzac et Faulkner, et même Dostoïevski. On n’est pas obligé d’approuver…

A lire aussi: Affaire Matzneff: fallait-il hurler avec les agneaux?

Après avoir parcouru, plus ou moins en détail, comme je l’ai dit, ce très remarquable Cahier de l’Herne, qui comprend bien d’autres contributions encore dont je n’ai pas pu parler, faute de place, tout amoureux en puissance ou adepte confirmé de Nabokov sera incité à reprendre tel ou tel de ses romans ou à en choisir un qu’il n’a pas encore lu. Le plaisir littéraire s’éprouve aussi dans l’intertexte, on le sait depuis longtemps, d’où l’utilité de ces Cahiers de l’Herne qui sont toujours un propice excitant intellectuel.

Les Cahiers de l’Herne, Vladimir Nabokov. Éditions de L’Herne, 2023.

Chez le même éditeur, Véra Nabokov, L’Ouragan Lolita, Journal 1958-1959. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent.


[1] Traduction française : « Elle était Lo le matin, Lo tout court, un mètre quarante-huit en chaussettes, debout sur un seul pied. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l’école. Elle était Dolorès sur le pointillé des formulaires. Mais dans mes bras, c’était toujours Lolita. »

Shemseddine tué devant son collège: de la culture de la honte

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Autour des faits divers sanglants de la semaine survenus en France flotte un inquiétant parfum de culture tribale, voire de charia.


L’information fonctionne par épidémies. Nous avons eu la série des attaques aux couteaux, celle des agressions sexuelles ou bien encore la série de faits divers autour du harcèlement scolaire. Un phénomène morbide chasse l’autre, révélant une société en décomposition avancée, sorte de civilisation zombie qui marche inlassablement vers sa propre ruine. Présentement, ce sont donc les bastonnades mortelles de collégiens et les polices des mœurs improvisées armées de couteaux qui attirent l’attention des caméras. Comme à l’accoutumée, diverses explications sociologiques et atténuations sont proposées pour « expliquer » ces gestes, sans que quiconque ou presque n’ose s’aventurer vers le seul domaine qui puisse nous permettre de comprendre la phase que nous traversons : l’anthropologie.

Gueule de bois

Dans un article de l’année 1929, Stefan Zweig écrivait que « quelles que soient nos divergences d’opinions, il est un fait sur lequel nous sommes à ce jour tous d’accord, d’un bout à l’autre de la planète : notre monde se trouve aujourd’hui dans un état anormal, il traverse une grave crise morale (et éthique) », puis il ajoutait que « les individus, mais aussi les races, les classes et les États semblent davantage enclins à se haïr les uns les autres qu’à se comprendre. Ni les individus ni les nations ne croient en une évolution paisible et productive ». Un constat qui était alors d’une grande lucidité. Un constat que l’on peut décalquer au mot près sur l’Europe contemporaine, spécifiquement la France qui en est le carrefour et la synthèse ethnoculturelle. Le continent et notre pays ont la gueule de bois depuis 1945. Ils sont oikophobes et encore trop iréniques. Notre fièvre est, comme en 1929, due au « bacille tenace » de la guerre, mais aussi à des névroses idéologiques qui nous empêchent même de formuler ce que nous vivons, de l’envisager dans son entière réalité.

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Le jeune Shemseddinne a été tué parce qu’il a échangé avec une adolescente d’une cité voisine. Il en est mort, battu par un Männerbund mené par les frères de la jeune fille devant son collège. Les frères et leurs amis ne voulaient pas que la honte engendrée par l’image de « fille facile » que pouvait avoir leur sœur ne rejaillisse sur l’ensemble de leur communauté. Il leur fallait faire un exemple. Face à cette vendetta primitive qui rappellera les totems et les tabous freudiens, de la plus haute préhistoire, le maire de Viry-Chatillon a semblé coi. Emu et pleurant devant les caméras, Jean-Marie Vilain a dénoncé un « drame absolu » dont la raison ne saurait être que « futile ». Dans un même ordre d’idées, la préfète de l’Essonne s’est montrée décontenancée, ne comprenant pas qu’une telle tragédie ait pu se produire dans un département et un collège qu’elle jugeait « tranquilles ».

Des crimes d’honneur ?

Il y a ici les signes d’une inaptitude à cerner son propre voisinage. Ce que l’esprit de Monsieur Vilain ne peut admettre, c’est que les raisons de ces jeunes étaient de leur point de vue tout sauf « futiles ». Elles étaient essentielles, sinon vitales à la cohésion du groupe, à leur honneur. Dans un excellent article de la Revue Française de psychanalyse, intitulé La rage, la honte et la culpabilité (aux origines du malaise dans la culture), François Duparc affirme que « si trop d’émotion tue la pensée, pas assez provoque sa sclérose » et tente de problématiser cette question déterminante :  « Existe-t-il vraiment une hiérarchie entre la honte et la culpabilité qui ferait des civilisations de la honte une variante pathologique ou culturellement plus proche de la barbarie, que les civilisations de la culpabilité ? »

A lire ensuite, Ivan Rioufol: Shamseddine, Samara, Mila: non, le problème ce n’est pas «Internet»

L’Occident contemporain, par ses savantes constructions théoriques et juridiques, mais aussi son substrat religieux, est sûrement arrivé au dernier degré de la culture de la culpabilité. Mais il héberge désormais en son sein des micro-sociétés en propre qui n’ont absolument pas intégré cette norme et vivent avec la « culture de la honte ». Est coupable non pas celui qui a intériorisé ses mauvais comportements mais celui qui fait honte au groupe et est donc désigné par l’ensemble de ses membres comme ayant adopté un comportement inapproprié. De la même manière, le migrant algérien qui a poignardé à Bordeaux des gens originaires d’Afrique du Nord, comme lui, parce qu’ils buvaient durant l’Aïd, devait-il sûrement se vivre en justicier réparant la honte qui était faite à sa religion bien plus qu’en criminel aveugle.

Tyrannie communautaire

Notre difficulté est donc d’ordre purement anthropologique. Si tous ces gens gagnaient 20 000 euros par mois, ils ne changeraient nullement de mentalité, de culture. Quant à ceux qui le souhaiteraient, ils sont aussi sous la menace permanente de la tyrannie communautaire. L’agression de Samara par d’autres adolescentes devant son collège de Montpellier, qui s’habillait comme elle l’entendait, répond à cette même logique. De fait, sa mère a d’ailleurs dû affirmer son attachement à sa culture et dénoncer « la récupération de l’extrême droite », en l’occurrence inexistante, pour protéger toute sa famille d’une nouvelle réplique intraethnique.

Deux excès se font face. Le nôtre, qui tue l’instinct et toutes les inclinations naturelles, qui nous domestique et au fond nous soumet à un esclavage moral, nous ôtant toutes nos défenses immunitaires collectives. C’est la famille nucléaire héritée du christianisme. Le leur, qui supprime toute intériorité aux individus et les empêche de penser, les livrant à l’expression immédiate de leurs humeurs. C’est la logique tribale. Cela ne peut que très mal se finir.

Bonnes nouvelles !

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Stéphane Bern a été élu le 17 mars 2024 conseiller municipal en Eure-et-Loir © SICCOLI PATRICK/SIPA

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise !» pourrait être sa devise.


Je les piste avec un instinct de chasseur. Je cherche d’abord leurs traces laissées sur le papier, les ondes ou les écrans. Je m’approche très doucement pour ne pas les effrayer. Elles pourraient s’envoler et ne plus réapparaître. De l’aube au crépuscule, et même la nuit dans les périodes où la récolte est des plus maigres, j’ai appris à les attraper. Les capturer et les déguster comme on savoure des ortolans.

« Mais de quoi parle-t-il ? »

Des bonnes nouvelles ! Les infos positives. Celles qui surgissent et qui déchirent soudainement la chronique permanente de tout ce qui ne va pas, de tout ce qui ne va plus. Parfois, il m’arrive même de m’enthousiasmer avec peu de chose. Le soir de la réélection de Vladimir Poutine, avec 87 % des voix, la « bonne nouvelle » est venue des élections municipales partielles complémentaires dans le village de Thiron-Gardais (Eure-et-Loir), où Stéphane Bern a obtenu 97,3 % des suffrages exprimés. Un score supérieur de dix points à celui du Russe ! Et sans tricher. 

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Alors que le président Rocky-Macron veut boxer les dépenses pour réduire dette et déficit, en allant faire les poches des plus pauvres car ils sont les plus nombreux, la présidente de l’Assemblée nationale et le président du groupe Modem posent la question d’une mise à contribution des entreprises et des plus fortunés. Bonne nouvelle ! C’est quand même insupportable, ce dogme selon lequel on ne pourrait pas contester une partie des 170 milliards d’aides aux entreprises, ou regarder du côté des dividendes (le seuil des 70 milliards va être dépassé en 2024) et du rachat d’actions (32 milliards en 2023).

Autre actualité positive des derniers jours : le rejet sénatorial du traité de libre-échange avec le Canada (CETA) qui s’applique depuis 2017 sans avoir été ratifié. Dix pays de l’Union européenne connaissent une situation comparable. Depuis 2005 et la victoire du « non » au référendum sur le traité constitutionnel européen, Sarkozy, Hollande et Macron n’ont plus jamais consulté directement le peuple français en redoutant une « mauvaise nouvelle » au moment de l’annonce du résultat.

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Quoi d’autre ? En 1857, la foudre du procureur Pinard, au tribunal correctionnel de Paris, tombe sur Flaubert qui n’a pas fait « baisser la tête » à Madame Bovary. Un mois plus tard, Baudelaire est convoqué. Les Fleurs du mal serait un « outrage à la morale publique et religieuse aux bonnes mœurs ». Aujourd’hui, il me semble que les Pinard sont à la peine. En commission d’enquête à l’Assemblée nationale d’un côté, ou pour déverser des tombereaux d’insultes racistes sur Aya Nakamura de l’autre, ils n’ont pas atteint leur objectif.

Et puis, enfin, une bonne nouvelle peut être la sortie d’un film, d’un livre, une rencontre, un simple sourire dans la rue, une tasse de café au soleil. Ou cette phrase qui tourne dans ma tête, dite par une responsable d’unité de soins palliatifs, proposant « d’ajouter de la vie aux jours, à défaut d’ajouter des jours à la vie. » Quand Emmanuel Macron, lui, n’arrive toujours pas à nommer les choses. Retrouvons les mots, voilà un beau projet.

Quand Cioran répondait à son courrier

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L'écrivain Emil Cioran. © /SIPA

Gallimard publie des lettres choisies du mystérieux écrivain disparu en 1995.


C’est presque une apparition lorsque l’escalator de Gibert Joseph vous met nez-à-nez avec la correspondance choisie d’Emil Cioran, publiée chez Gallimard et établie par Nicolas Cavaillès. Pour le lecteur fanatique de l’écrivain roumain exilé à Paris, Manie épistolaire est une nouvelle occasion de découvrir un aphorisme définitif, de rencontrer de nouveaux paradoxes amers. Les lettres sont pour la plupart inédites.

Conversations avec des absents

L’ouvrage concentre des lettres écrites entre 1930 et 1991. Il y a eu trois pays dans la vie d’Emil Cioran : la Roumanie, « ce cul-de-sac du monde », l’Allemagne, la France et surtout le Quartier latin et « ses déracinements oisifs ». La correspondance s’en ressent : un bon nombre de Roumains, à commencer par son ami Mircea Eliade, des Allemands, des Français, dont le regretté Roland Jaccard, qui a fait les grandes heures de Causeur. Pour Cioran lui-même, fouiller dans la correspondance est un bon moyen d’accéder à tout auteur. Dans un texte de 1984, il écrivait : « La lettre, conversation avec un absent, représente un événement majeur de la solitude. Cherchez la vérité sur un auteur plutôt dans sa correspondance que dans son œuvre. L’œuvre est le plus souvent un masque. Un Nietzsche, dans ses livres, joue un rôle, s’érige en juge et en prophète, attaque amis et ennemis, et se place, superbement, au centre de l’avenir. Dans ses lettres, en revanche, il se plaint, il est misérable, abandonné, malade, pauvre type, le contraire de ce qu’il était dans ses impitoyables diagnostics et vaticinations, véritable somme de diatribes ».

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Dans la correspondance, surtout dans les années roumaines, on retrouve le style qui fera de Cioran le grand continuateur des moralistes français, de La Rochefoucauld à Valéry. Au détour de formules désespérées, il y a quand même de la drôlerie : « Je pensais t’écrire beaucoup de choses. Si je ne peux pas le faire, c’est qu’en ce moment je ne suis ni mélancolique, ni révolté, ni désespéré, ni content  – conditions indispensables pour écrire quelque chose à quelqu’un qu’on respecte. J’ai l’impression d’être un homme… marié. Ce qui est beaucoup plus qu’une déchéance ». On ne fera pas ici le détail des turpitudes du grand Emil. Les discours enflammés à Corneliu Codreanu, meneur de la Garde de fer fasciste roumaine, les inclinaisons politiques dans la période allemande… « Parfois, il m’arrive de me demander si c’est vraiment moi qui ai écrit toutes ces divagations qu’on cite […]. L’enthousiasme est une forme de délire », écrivait-il dans une lettre à son frère, non publiée dans le présent recueil. Il est vrai que dans Transfiguration de la Roumanie, l’auteur appelait à une sorte de national-bolchévisme martial. Pourtant, lors de ses obligations militaires, il semble se détacher de son enthousiasme cocardier : « Mon nationalisme et mon militarisme venaient du désir de faire quelque chose pour ce pays peccamineux, dont je ne voulais pas, et dont je ne veux pas la perte », écrit-il en 1936. Un peu de service militaire ramène à la patrie ; beaucoup de service militaire en éloigne…

Pas tendre avec les journalistes et les bonnes femmes

La correspondance sur un si grand nombre de décennies traduit chez le « Valaque décadent » son progressif « éloignement de l’esprit d’excès » (formule utilisée dans une lettre à Roland Jaccard, 4 août 1978). Cioran ne ricane pas pour autant devant le tragique de l’histoire ; face au « cauchemar vietnamien », en 1968, devant « pareil spectacle (!) », il semble par exemple las des discussions littéraires. On découvre aussi un Cioran intime, éternel fauché, ou adepte du vélo avec Simone Boué en Provence, loin quand même de l’écrivain insomniaque enfermé sous les combles de Paris. En 1958, il se vante d’être revenu à sa « timidité primitive » et de reculer « devant la perspective de toute relation, de quelque nature que ce soit, avec le monde des lettres et de la philosophie ». L’examen des destinataires de ses courriers permet toutefois d’avoir des doutes : Jean Paulhan, Ernst Jünger, Wolfgang Kraus…

Avec l’âge, l’écrivain devient plus pépère, se plaint de ses rhumatismes, et en politique, maudit les révolutions française et russe. A Fernando Savater, il écrit : « On prête à Talleyrand ce mot souvent cité : « Qui n’a pas vécu sous l’Ancien Régime n’a pas connu la douceur de vivre ». Je vous suggère de changer cette « pensée » de façon suivante : « Celui qui n’a pas vécu avant la révolution de 1789, n’a pas connu la douceur de vivre ».

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Il n’est pas tendre avec les journalistes : « Si je n’étais pas si vieux, je retournerais à la philosophie. Elle a du moins l’excuse de ne pas être accessible aux journalistes et aux bonnes femmes ». A Wolfgang Kraus, en 1973, qui lui avait envoyé le manuscrit de Culture et pouvoir. Les métamorphoses du désir, il écrit : « A la page 8 (du premier chapitre), je supprimerais le nom de Cohn-Bendit. C’est un personnage secondaire qui ne mérite pas, du moins à mes yeux, d’être cité ». Malgré le coup de vieux (« Plus je vais, plus je sens les tares de mes ancêtres s’accuser en moi. Et quels ancêtres ! Des sous-hommes qui n’ont rien foutu »), à soixante-dix ans, il échange avec une jeune lectrice de trente-cinq ans, Friedgard Thomas. On retrouve sur quelques lignes les exaltations du jeune Cioran : « Mais pourquoi ne suis-je pas dilettante à votre égard ? Vos yeux ont fait de moi un fanatique » ; « Depuis que j’ai été chassé du paradis, je pense à vous à chaque seconde et je ne peux penser à rien d’autre. Baden-Baden est belle, mais je ne peux m’intéresser à « la beauté du monde ». Je voudrais maintenant m’envoler pour la Patagonie, loin, très loin de vous, au pôle opposé ».

Manie épistolaire: Lettres choisies,1930-1991 Cioran, Gallimard 2024, 320 pages.

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Cap sur le RPR !

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Marine Le Pen et Éric Ciotti à la cérémonie d'hommage à l'amiral Philippe de Gaulle, 20 mars 2024. © Jacques Witt/SIPA

La guerre en Ukraine n’a pas fait basculer la campagne des européennes en faveur de la Macronie. L’invocation des heures sombres face à la progression du RN, non plus. La frontière artificielle entre droite dite républicaine et droite prétendue extrême est tombée, car le RN, LR et Reconquête parlent à la même France. La guerre fratricide des droites promet cependant d’être sanglante.


Panique au quartier général. À moins de trois mois d’élections européennes – qui sont surtout le dernier vote avant la présidentielle –, le cauchemar d’Emmanuel Macron devient chaque jour plus réel. Il avait promis de terrasser le dragon, il fait la course loin devant. Les macronistes en arrivent à crier victoire quand l’écart dans les sondages entre la liste de leur championne Valérie Hayer et celle de Jordan Bardella passe de 11 à 10 points.

Difficile de faire un procès en heures sombres à Bardella

Le camp présidentiel n’est pas très créatif, se contentant de rejouer la même pièce archi-usée : le combat entre la lumière et l’ombre, le bien et le mal, les résistants et les collabos – dans la variante européenne, il est aussi question d’ouverture et de fermeture. L’Europe, c’est la paix, la santé, la prospérité. Les valeurs – plus l’électricité, ose Valérie Hayer qui prétend que c’est grâce à l’Europe qu’on a évité les coupures, oubliant de préciser que c’était aussi grâce à l’Europe (et au sabotage d’EDF mené pour complaire aux Allemands) qu’on avait risqué ces coupures. On voit mal comment des anathèmes qui ont cessé d’opérer au sujet de Marine Le Pen auraient le moindre effet sur la popularité de Jordan Bardella. Les chasseurs de nazis imaginaires ont bien essayé de lui coller l’image de « petit-fils Le Pen », au prétexte qu’il s’était refusé à cracher sur un homme dont beaucoup de militants pensent qu’en dépit de ses égarements, il a vu venir pas mal de choses. Seulement, Jordan Bardella est né en septembre 1995, soit huit ans après la sortie de Le Pen sur le point de détail. Le 12 novembre 2023, il défilait à Paris contre l’antisémitisme. Difficile de lui coller un procès en heures sombres. Quand la bête immonde se cache sous les traits d’un jeune homme propre sur lui, il faut trouver autre chose pour dessiller l’électeur.

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Pour certains esprits soupçonneux, l’Ukraine devait être cette autre chose. C’est faire injure au président. Que des considérations narcissiques et politiques puissent influencer son verbe, c’est probable. Qu’elles déterminent des choix existentiels pour le pays, on n’ose le croire. Quoiqu’il en soit, les mauvaises nouvelles du front ukrainien assorties du gel de l’aide américaine ont promu le dossier ukrainien au rang d’urgence européenne. Pourtant, il n’y a pas eu de réédition de l’« effet drapeau », comme disent désormais les journalistes, à l’instar de ce qui s’était passé en 2022, quand l’invasion de l’Ukraine avait resserré les rangs autour du père présidentiel. Peut-être Emmanuel Macron n’est-il pas très crédible en figure paternelle. Peut-être certains pressentent-ils que, derrière son envie d’en découdre avec Poutine, il n’y a pas de stratégie – et encore moins les moyens qui vont avec. Les invectives hors d’âge n’ont pas aidé. En traitant de Munichois et de lâches tous ceux qui émettaient des doutes sur le revirement du président, plutôt porté jusque-là à ne pas couper les ponts avec Moscou, la Macronie s’est dispensée de l’essentiel : expliquer en quoi les intérêts vitaux de la France étaient en jeu. Il est vrai aussi qu’à l’exception notable des socialistes, les oppositions, toutes couleurs confondues, ont fait des gammes sur le thème du va-t-en-guerre et de l’irresponsable, comme si la Légion était en train de sauter sur Odessa. Toutes ces criailleries politiciennes ont interdit le débat argumenté auquel nous avions droit.

Droite des garagistes

Qu’on le déplore ou pas, la question ukrainienne n’a pas fait basculer la campagne. En revanche, elle a vaguement ressuscité le bloc central ancienne mouture : l’axe PS/Renaissance a un petit parfum d’UMPS (que les jeunes interrogent leurs parents). Pour compléter notre entretien avec Jordan Bardella, nous avons adressé des questionnaires sur l’Ukraine à Marion Maréchal et François-Xavier Bellamy. Les différentes droites, terminologie qu’on emploie faute de mieux, brodent sur la même ligne « gaullo-réaliste » : d’une part, on ne joue pas à « Même pas peur ! » avec un ours nucléaire et, d’autre part, la France doit avoir une voix singulière – argument d’ailleurs brandi par les deux camps qui en oublient de se demander si cette voix est écoutée. Que l’héritage gaulliste permette ou pas de penser notre situation, c’est une autre histoire.

Dans le brouhaha permanent autour de l’extrême droite et ses dangers supposés, on n’a pas prêté attention à la tectonique des plaques idéologiques qui a bouleversé les rapports de force sur la planète conservatrice. Sans faire injure à quiconque, force est de constater que l’ensemble se présente aujourd’hui comme un vaisseau amiral escorté par deux zodiacs ou, si on préfère, comme une baleine poursuivie par deux dauphins, dont l’un est dans l’enfance et l’autre, sur le retour. Ce qui excite les papilles du gros (le RN) et du jeune (Reconquête !), pressés de dépecer le cadavre du malade (LR).

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Macronistes et gauche ont beau s’évertuer à le rapiécer, le cordon sanitaire est tombé en poussière. Le RN est un parti comme les autres. En dehors de quelques bonnes maisons où on se rêve encore en Jean Moulin, dire qu’on vote Bardella ne suffit plus à effrayer le bourgeois.

La frontière artificielle entre droite dite républicaine et droite prétendue extrême étant tombée, reste un ensemble qui, avec des nuances, et quelques vraies différences, dessine les contours d’une famille politique. S’ils ne proposent pas exactement le même cocktail idéologique (le dosage bonapartisme/libéralisme/conservatisme pouvant varier), LR, le RN et Reconquête ! s’adressent à la même France : sociologiquement diverse, elle a en partage une aspiration à la continuité historique. Leurs électeurs veulent que la France continue à exister, et ils ne veulent pas qu’on chamboule les cadres anthropologiques de leur existence en expliquant à leurs mômes qu’être un homme ou une femme relève d’une pure construction sociale. Ce n’est pas un hasard si tous lorgnent le même espace politique, celui du RPR de la grande époque, quand feu William Abitbol, proche de Pasqua, parlait de la droite des garagistes.

Or, en vertu d’une loi immuable de la politique (et d’ailleurs de l’humanité), plus des rivaux sont semblables, plus leur affrontement est violent. Rien n’est plus dévastateur que les querelles de famille. La guerre des droites promet d’être sanglante. À la base, l’union des droites a commencé.

UE: le Pacte sur la migration, un pacte avec le diable?

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Vote des textes sur le pacte migratoire européen, Bruxelles, 10 avril 2024 © Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA

Après des années d’interminables négociations, les eurodéputés sont enfin parvenus à voter le Pacte sur la migration et l’asile mercredi – un ensemble très complexe de 10 textes durcissant et harmonisant les politiques d’accueil des migrants sur le Vieux continent. Cette adoption sera un argument en faveur des centristes, lesquels craignent une déconfiture électorale lors du scrutin européen de juin.


Mercredi, le Parlement européen a adopté le nouveau Pacte sur la migration et l’asile, un ensemble très complexe de 10 textes censé révolutionner la manière dont l’UE gère l’explosion de la migration de masse et le nombre toujours grandissant des demandeurs d’asile qui arrivent majoritairement du Moyen-Orient et de l’Afrique. Le fruit d’un processus de réflexion lancé à la suite de la crise migratoire de 2015, le pacte est, sous sa forme actuelle, le résultat d’une suite de négociations entre les différentes institutions européennes à partir d’une série de propositions faites par la Commission en 2020.

Pour que les nouvelles règles formulées par le pacte puissent entrer en vigueur, il ne manque maintenant que l’approbation des 27 États-membres de l’UE. Certains d’entre eux ont déjà émis des critiques sévères à l’égard surtout de ce qu’on appelle – de manière assez sinistre – des mécanismes de « solidarité ».

Une approche « équilibrée »…

Le vote de mercredi a été largement salué par les partis et les politiques du centre comme une grande victoire, tandis que ceux de la droite et de la gauche radicales dénoncent le résultat comme une trahison. Pour les premiers, c’est une trahison des peuples européens ; pour les derniers, une trahison des valeurs européennes.

Un migrant se reposant sur le sol, après avoir traversé la frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Ceuta devant les blindés et les troupes espagnoles, le 18 mai 2021, Ceuta © Javier Fergo/AP/SIPA

Car le pacte est une expression authentique de l’idéologie du « en même temps » : il y a quelque chose pour plaire (ou essayer de plaire) à tout le monde et, par conséquent, quelque chose pour déplaire à tout le monde. Seuls les partis centristes, de centre gauche ou de centre droite ont tiré leur épingle du jeu. Selon la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le Pacte est « équilibré ». Pour la présidente du Parlement, la Maltaise, Roberta Metsola, il représente « un équilibre entre solidarité et responsabilité ». « Solidarité » est un mot de code destiné à inspirer le centre et la gauche, tandis que « responsabilité » est censé résumer tout ce que la droite radicale ou populiste appelle de ses vœux.

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Pour la droite, le Pacte propose un tri accéléré des migrants dès leur arrivée aux frontières de l’espace européen. Ceux dont la demande d’asile ne semble pas avoir des chances de réussir seront détenus sur place dans des centres de rétention. Si leur demande est rejetée, ils seront rapidement renvoyés vers un pays sûr qui ne sera pas nécessairement le pays d’où ils sont venus. Les demandes des autres candidats au statut de réfugié pourront être examinées ailleurs.

Ce premier tri engagera un processus de vérifications de sécurité et de contrôles d’identité comprenant la collecte de données biométriques. Toutes les informations seront centralisées dans une base de données, Eurodac. Ce processus, ainsi que les centres de rétention qu’il faudra construire, ont été dénoncés comme « inhumains » par plus de 160 ONG. Sans surprise.

Le renvoi de migrants dont la demande d’asile est jugée irrecevable sera facilité par des accords avec des pays tiers, surtout sur le littoral africain. Les accords déjà réalisés avec la Turquie en 2016, la Libye en 2017 et la Tunisie en 2023 en constituent le modèle. Un nouvel accord avec la Mauritanie en février de cette année et un autre avec l’Égypte en mars vont dans le même sens. D’autres partenariats avec le Maroc et même l’Algérie sont proposés. Il s’agit essentiellement de payer ces pays pour empêcher, dans la mesure du possible, le départ de migrants vers l’Europe et pour accepter le retour de ceux qui ont réussi – en vain – à traverser la Méditerranée.

Pour le centre, les réfugiés et les demandeurs d’asile seront répartis entre les États-membres pour soulager la pression sur les principaux pays d’accueil, notamment l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Mais les autres pays – comme la Hongrie ou la Pologne – qui sont rétifs à l’accueil de migrants, auront la possibilité de refuser d’en accepter si, en contrepartie, ils versent de l’argent (20 000 € par migrant) à un fonds commun ou fournissent une aide matérielle pour la gestion des flux.

Pour la gauche, il y aura une harmonisation entre les 27 concernant les critères permettant l’obtention de statut de réfugié. Une fois qu’ils auront obtenu officiellement la protection internationale, les migrants auront un accès plus facile au droit de travail et à une couverture sociale.

… pour un résultat indigeste ?

Il y aura aussi des dispositions spéciales pour la gestion des migrants dans des situations de crise. Le mot sinistre de « solidarité » revient ici et c’est ce qu’il représente, à savoir la répartition des migrants entre les États-membres, qui braque les leaders de la Hongrie, de la Slovaquie, de la République tchèque et même de la Pologne du très centriste et européiste Donald Tusk. La Pologne a déjà accueilli un million de réfugiés ukrainiens. Victor Orban est allé jusqu’à appeler le Pacte « encore un clou dans le cercueil de l’Union européenne ».

Si les différents dispositifs du Pacte peuvent sembler « équilibrés » d’un certain point de vue, tout dépendra de la manière dont les différents mécanismes seront appliqués dans la pratique. La Commission proposera un plan d’application en juin. S’il y a des diables, ils seront certainement dans les détails de ce document. Le Pacte est destiné à entrer en vigueur au plus tard en 2026.

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L’eurodéputé Reconquête !, Nicolas Bay, a expliqué pourquoi il a voté pour les mesures qu’on peut appeler ici « de droite », mais contre toutes les mesures « de gauche » qu’il qualifie de « suicidaires pour notre civilisation ».

Ce qui est sûr, c’est que la situation est urgente : l’année 2023 a vu un peu plus de 1,14 million de demandes d’asile enregistrées dans les 27 États-membres et en Norvège et en Suisse. Il s’agit d’une augmentation de 18% par rapport à 2022. Également en 2023, Frontex, l’agence européenne chargée de surveiller les frontières extérieures de l’UE, a enregistré 380 000 entrées irrégulières sur le sol européen, une augmentation de 17% par rapport à 2022. A présent, seul un cinquième des migrants arrivant sur le sol européen dont la demande d’asile est refusée sont renvoyés dans des pays tiers.

Les électeurs qui ressentent de l’inquiétude face à l’incapacité de l’Europe à gérer les flux migratoires auront plus de sources d’inquiétude si jamais, lors des élections européennes en juin, l’adoption du Pacte joue en la faveur des partis centristes qui, à l’heure actuelle, craignent une victoire écrasante de la droite populiste. Ce sera encore pire, si cette adoption renforce la possibilité qu’Ursula von der Leyen soit re-nominée à la tête de la Commission pour un deuxième mandat. Pour ceux que cela plonge dans une dépression profonde, il y a un coup de grâce. Le chef de Frontext lui-même, Hans Leitjens, ne croit pas qu’il soit possible de protéger les frontières de l’Europe[1] !


[1] https://www.welt.de/politik/ausland/plus249632894/Hans-Leijtens-Der-Frontex-Chef-der-nicht-an-den-Grenzschutz-glaubt.html

Quand Machiavel s’en mêle…

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L'astrologue Elizabeth Tessier photographiée en 2012 © BALTEL/SIPA

L’inquiétude de Bénédicte allait croissant. Depuis quelque temps, son président de mari, pourtant rompu aux exigences et incertitudes propres à sa fonction, donnait de plus en plus de signes de nervosité. D’inquiétude, voire de désarroi, devant les situations imprévues, fussent-elles anodines. Sans doute, lors des interventions télévisées dont il raffolait, faisait-il montre de l’assurance, du contentement de soi, voire de la morgue auxquels étaient accoutumés les Français.  Son second mandat était largement entamé et rien, en apparence, ne laissait présager un effondrement qu’il parvenait à dissimuler en public. En privé, toutefois, il était de plus en plus en proie à des accès de mélancolie qui se traduisaient par de longs mutismes et des soupirs à fendre l’âme. De quoi angoisser Bénédicte dont les sentiments à l’égard de son époux offraient un curieux mélange d’amour maternel et d’affection conjugale. Elle était, il est vrai, de quelque vingt ans son aînée. Peu d’exemples dans l’Histoire, sinon les rapports entre Henri II et Diane de Poitiers, à ceci près que le palais de l’Élysée avait succédé au château d’Anet.

N’y tenant plus, Bénédicte se décida à rompre le silence. C’était un matin de printemps. De la fenêtre donnant sur le parc du palais, parvenaient, mêlés aux effluves de lilas, les dialogues énamourés des oiseaux nichés dans les arbres séculaires. Le couple prenait son petit déjeuner. Ou, plutôt, la Première dame, car le président, repoussant brioche et tartine beurrée, était plongé dans une profonde méditation.

« Que se passe-t-il, mon Minouchet ? Tu es de plus en plus étrange. Dis-moi tout. À défaut de tartines, mange le morceau. J’ai besoin de savoir ».

Long soupir. Minouchet émerge de l’abîme.

« Plus rien ne va, Bibiche. Le projet de loi sur la lutte contre l’invasion clandestine des frelons asiatiques arrive demain à l’Assemblée où, tu le sais, nous ne disposons que d’une majorité des plus relatives. Le Sénat en a durci les dispositions, les oppositions affûtent leurs armes. Indignation chez les écolos, au nom du bien-être animal. Childéric Charon brandit ses arguments coutumiers : s’en prendre à des mères de familles en gestation, porteuses de centaines d’œufs et en quête légitime de nourriture ? Établir des quotas et utiliser des pesticides pour freiner l’invasion qui terrorise tout le monde, jusqu’aux abeilles cloîtrées au fond de leurs ruches ? Quelle ignominie !

Bien entendu, Toute la coalition bien-pensante, pétrie de bons sentiments, fait chorus. À l’inverse, les extrémistes de l’autre bord et une bonne partie des habituels indécis nous reprochent de n’en point faire assez. De refuser les mesures drastiques qui, seules, pourraient nous débarrasser du fléau. De plus, la Communauté européenne, qui nous somme de respecter ses directives, vient aviver les passions. Bref, je sens venir la catastrophe. Le gouvernement mis en minorité sans pouvoir utiliser, une fois de plus, le fameux quarante-neuf trois… Voilà où nous en sommes. Dans l’impasse. »

Il étouffe un sanglot. Bibiche lui tapote la joue, comme elle le faisait lorsqu’il sortait du lycée sans avoir obtenu la meilleure note en composition française.

« Ne te désole pas, mon Minouchet chéri. Il n’est de problème qui ne trouve sa solution. Je vais y réfléchir. »

Elle quitte la table, saisit son téléphone portable, regagne le bureau qui lui a été alloué il y a maintenant plus de sept ans.

« Allô, Élisabeth ? J’ai besoin de toi. Un besoin urgent. Toi qui es un medium réputé, tu conserves, je présume, de nombreux contacts avec l’au-delà. Si tu les mets au service du président de ton pays, tu œuvreras dans le sens d’un patriotisme qui mériteras récompense. Pourquoi pas la légion d’honneur pour service éminent rendu à la France ?… »

Une heure plus tard, un huissier introduisait en catimini Élisabeth dans la pièce où l’attendaient le président et la Première dame.

« Il a fallu que j’insiste, car il était occupé. Mais enfin, Machiavel est là. Je servirai d’intermédiaire. Dites-lui de quoi il s’agit. »

Le président exposa la situation et sollicita, avec une humilité dont il n’était guère coutumier, l’aide du meilleur stratège politique de son temps. Celui-ci, par la bouche d’Élisabeth, lui tint à peu près ce langage : « Ce qui t’arrive, gamin, n’a rien de surprenant : tu as provoqué toi-même le piège dans lequel tu es tombé. Per Bacco ! Tu as longtemps pensé que les paroles suffisaient à remplacer les actes. Que les belles déclarations justifiaient la totale inaction. Tu étais tellement sûr de toi et de ta supériorité que pas une seconde tu n’as envisagé que ton fameux « en même temps » pouvait susciter des mécontentements dans tous les camps. Dio mio ! Quelle naïveté et quelle fatuité ! Sache, petit fier-à-bras, que la politique est un art qui ne s’improvise pas. Que la ruse y joue un rôle éminent. Qu’il faut savoir reprendre d’une main ce que l’on a concédé de l’autre. Ainsi, laisse passer l’orage. Courbe l’échine pour mieux te redresser. Accepte que la loi que tu désapprouves soit votée contre l’avis de ta majorité. Il ne te restera plus qu’à vider ensuite ladite loi de sa substance pour la rendre aussi inoffensive qu’inefficace. Pour cela, il te faut des alliés hors du Parlement. Des alliés occultes, bien entendu, qui voleront à ton secours sans en avoir l’air et en conservant le masque de la respectabilité. Ainsi rien ne sera changé, mais les apparences seront sauves. Le Conseil constitutionnel pourrait, en l’occurrence, voler à ton secours. Il ne te restera plus qu’à amuser la galerie avec des projets aussi farfelus que ton comportement et dans trois mois, tout sera oublié. Tricherie ? Malhonnêteté ?  Qu’importe ! Ciao, bambino. Je retourne à la partie d’échecs que j’étais en train de disputer et, cois-moi, Nostradamus est un rude adversaire ! ».

Conseils judicieux, on en conviendra : la susdite loi fut détricotée au nez et à la barbe de ceux qui l’avaient votée et plus personne n’en entendit parler. La leçon fut-elle entendue pour autant ? Pas si sûr, tant il est vrai que Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre.

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Guerre de Sécession, le retour

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Kirsten Dunst, "Civil War" (2024) d'Alex Garland © Metropolitan Films

Voilà que la Metropolitan nous rejoue la Guerre de Sécession ! Attention gore !


En quels temps troublés sommes-nous plongés, au cœur de cette dystopie illusoirement contemporaine ? Comme, par sa platitude littérale, son titre le laisse augurer, la guerre civile fait rage, en effet : les États-Unis d’Amérique sont à feu et à sang ; New-York est détruite, les incendies se propagent un peu partout ; l’armée fédérale, sur les dents, tente de contenir l’avancée des dites « Forces de l’Ouest » (pourquoi pas ?), en rébellion contre le gouvernement central tandis que, dans Washington en état de siège, un président cumulard (il en est à son troisième mandat, apprend-on incidemment) semble s’accrocher à son poste vacillant : cerné, mais protégé par sa garde rapprochée.

Dystopie « à l’ancienne », car pas d’Iphones ni d’écrans tactiles qui s’allument, pas de drones qui vibrionnent dans le ciel, mais des légions de chars, des hélicos à foison, des fantassins en tenue de camouflage qui s’égaillent sous la mitraille, les explosions et les fumerolles, façon Apocalypse Now au Viet-US.

Lee (Kirsten Dunst), vieille gloire de l’agence Magma et photographe de guerre en fin de carrière, a la carapace de qui en a vu d’autres. Jessie (Cailee Spaeny) toute jeune groupie en mal d’expérience, se débrouille pour intégrer, sous la protection de son mentor, la petite équipe intergénérationnelle de courageux journalistes des deux sexes (mais sans parité). Laquelle équipe, à bord d’un van dûment estampillé « PRESSE », s’engage dans un périple de plusieurs milliers de km à travers le chaos ambiant, direction Washington D.C. Dans quel but ? Interviewer le président-satrape aux abois.

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Voilà donc le pitch d’un road movie qui dispensera le spectateur de la moindre information quant aux tenants et aboutissants de ce conflit intestin, des motifs de la situation, des arrière-plans politiques qui la sous-tendent. Par contre, une pyrotechnie spectaculaire est mise au service de l’action, dans un carnage qui conjugue débâcle autoroutière, métropoles en flammes, bleds paumés trompeusement en paix…

Mais surtout, selon une gradation orchestrée complaisamment jusqu’au gore le plus scabreux, Civil War ne nous épargne aucune horreur : exécutions à bout portant, pendaisons, corps brûlés vifs ou calcinés, torches vivantes, fosses communes à ciel ouvert où les rescapés pataugent parmi les cadavres, viscères répandus sur l’asphalte, macchabées écrabouillés sous les roues. Le climax ? Le siège du Capitole, et l’attaque à la mitraillette d’une Maison blanche reconstituée avec soin.

Nos journalistes, ultime avatar de la sainteté martyre baignée dans l’épouvante, ne doivent leur salut qu’au miracle : leur seule arme, ces clichés que shootent opiniâtrement, inlassablement leurs objectifs.  Film « à l’ancienne », disais-je : la petite Jessie ne travaille-t-elle pas en péloche noir et blanc, avec le Nikon vintage hérité de daddy ? Au reste, le métier n’est-il pas en voie d’extinction ?

Après le film d’horreur Men (2022), le romancier, scénariste (le script de La plage, c’était lui) et réalisateur britannique Alex Garland, sous couleur de sanctifier les idéaux sacrificiels de ces belles âmes – trois générations confondues de reporters-photographes pris sous la mitraille comme sous le feu du Ciel – se noie décidément dans le sordide et l’abjection.          


Civil War. Film d’Alex Garland. Avec Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny, Stephen Mckinley Henderson, Sonaya Mizuno, Nick Offerman. Etats-Unis, couleur, 2023.

Durée: 1h49
En salles le 17 avril

Et maintenant, le djihad scolaire

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Nicole Belloubet, ministre de l'Education nationale © image d'archive ERIC DESSONS/JDD/SIPA

Notre chroniqueur n’en revient pas que les médias, les politiques et la France entière s’émeuvent aujourd’hui, parce que des jeunes filles sont à moitié massacrées et que de jeunes garçons sont tabassés à mort, et s’indignent soudain de la pression exercée sur les consciences par les islamistes. On s’en prend aux vecteurs du message, dit-il, pas à son origine: la tentative d’imposer la charia dans l’espace français.


Les Frères musulmans, chassés d’Égypte, leur foyer initial, par la politique intelligente du maréchal Abdel Fattah al-Sissi, se sont repliés vers l’Europe, dont ils ont senti que les convictions faiblissaient.
Ils sont loin d’être idiots, et ont très bien analysé la société française, dont le « multiculturalisme » fait éclater l’intégrité originelle. Ils ont déterminé que l’Ecole était aujourd’hui son point faible : la déperdition de matière grise, la collaboration d’enseignants islamo-gauchistes — ou simplement collaborateurs, la dhimmitude étant une tendance innée chez les partisans du « pas de vague » — et le relativisme culturel ont causé un effondrement des défenses immunitaires de ce qui fut jadis le principal levier de la laïcité, et d’intégration dans la nation française.
Ils ont alors lancé un jihad scolaire[1] qui porta d’abord sur les matières enseignées, acculant nombre d’enseignants à l’auto-censure : pas de discours scientifique sérieux sur la fabrique du vivant et l’origine des espèces, pas de références aux événements historiques qui fâchent, et épurement du vocabulaire. Exactement comme les Nazis dans l’Allemagne des années 1930. Ou comme Big Brother dans le roman d’Orwell.

L’obscurantisme musulman à l’œuvre

Prétendre que Darwin (et ceux qui depuis la publication de L’Origine des espèces ont affiné les intuitions du génial biologiste anglais) ne peut être évoqué entre dans la logique d’un fanatisme qui méconnaît le Temps et la succession des ères. Un dieu incréé ne peut autoriser une évolution linéaire. Pour l’islam, hier, c’est aujourd’hui, c’est demain.

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La shoah est également le point aveugle de l’impensé islamique. Passons sur ceux qui se lancent carrément dans l’apologie d’Hitler, et justifient l’appui du grand mufti de Jérusalem au petit moustachu autrichien. Il est à noter que si un « Gaulois » soutenait en classe de telles idées, il se ferait immédiatement tancer sous l’accusation justifiée de négationnisme. Mais si c’est un musulman, nombre d’enseignants s’efforceront de le convaincre gentiment qu’il a tort, au lieu de le signaler immédiatement à l’administration. De même la conviction que les camps de concentration sont une invention, qu’Israël appartient aux Palestiniens —qui n’en ont jamais rien fait, sinon céder la terre aux Turcs qui les oppressaient —, que les guerres de 1948 / 1967 / 1973 ne furent gagnées par l’État juif qu’avec la complicité de tous les pays « colonisateurs », bref, que les Palestiniens en particulier et les Arabes en général appartiennent au bloc florissant des victimes des colons et des esclavagistes, tout cela fermente dans les crânes vides.
À noter que la loi Taubira sur la traite atlantique, qui impose de méconnaître la traite saharienne, bien plus longue, plus dense et plus meurtrière, a joué un rôle dans cette culpabilisation aberrante. Que cette même Christiane Taubira, qui est la responsable, en 2002, avec ses 2,32%, de l’échec de Lionel Jospin, soit toujours l’idole de la gauche la plus masochiste du monde donne une idée de la réécriture permanente de l’Histoire par les bobos parisiens et quelques autres.

La liste des mots interdits s’allonge

Quant au vocabulaire… On se souvient que Depardieu (in Le Plus beau métier du monde, 1994) parlait déjà à ses élèves de « chiffres rebeu » pour ne pas dire « arabes » et risquer de choquer sa classe d’ignorants. Tout récemment, une enseignante des quartiers nord de Marseille s’est fait traiter de raciste parce qu’elle opposait, justement, chiffres romains et chiffres arabes. Telle autre a été stigmatisée comme islamophobe parce qu’elle reprochait à un élève musulman d’avoir une écriture de cochon — une métaphore usuelle depuis des siècles. Il est désormais des mots interdits, exactement comme sous le nazisme. Victor Klemperer a longuement analysé cette mainmise hitlérienne sur la langue allemande dans Lingua Tertii Imperii (1947).

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Mais cela, c’étaient juste les préludes du jihad scolaire lancé par les Frères musulmans. C’est maintenant une vraie police des mœurs qui s’est instituée dans les lycées et collèges. La récente affaire Samara, à Montpellier, a été le révélateur de ce fascisme ordinaire : rappelons que la gamine a été massacrée par une coreligionnaire qui trouvait ses tenues trop occidentales. L’islamisme, comme tous les fascismes, est d’abord un terrorisme de l’esprit. C’est la raison pour laquelle 90% des musulmans français, qui honnêtement aspirent à vivre en paix en France et à se démarquer le moins possible, obéissent à des diktats imposés par une poignée d’apprentis-terroristes qui utilisent la peur comme levier essentiel.

Des collégiens passent devant le collège des Sablons à Viry Chatillon, le 5 avril 2024. L’adolescent de 15 ans Shemseddine, battu à mort, y était scolarisé © Miguel MEDINA / AFP

Le levier de la culpabilité

D’où le fait que le voile, comme l’ensemble des tenues « islamiques » (qui n’ont en général aucun fondement religieux, et sont des imitations de coutumes médiévales conservées à l’époque moderne en Arabie Saoudite ou en Afghanistan) doit être interdit dans tout l’espace public. Moins on en verra, moins il y en aura — parce que plus on en voit, et plus il y en a : l’aberration vestimentaire devient la norme, sous la pression des fondamentalistes.
J’ai eu des élèves de culture musulmane dont je peux affirmer qu’elles étaient parfaitement agnostiques, et qui se voilaient en sortant du lycée, pour éviter d’être agressées — verbalement d’abord, et physiquement ensuite — par les « grands frères » lorsqu’elles regagnaient leurs cités. La construction de grands ghettos à travailleurs immigrés, dans les années 1960-1970, a favorisé ce phénomène clanique, cette communautarisation qui fait éclater la France.
La loi de 2004 n’a fait qu’une petite partie du boulot. Interdire les « signes religieux ostentatoires » dans les collèges et lycées (donc à des élèves généralement mineurs) est très insuffisant. Les fondamentalistes envoient aujourd’hui des cohortes de filles voilées dans les universités, imposent dans les hôpitaux la présence d’un mari ou d’un frère pendant les consultations pour escorter leurs filles, leurs sœurs, ou leurs épouses, et profitent du moindre interstice pour forcer la France laïque à s’ouvrir — et c’est bien d’un viol qu’il s’agit — à une culture qui veut la mort de toute culture autre qu’elle-même.

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Il ne leur suffit pas de faire pression sur leurs coreligionnaires. En usant intelligemment du levier de la culpabilité, ils imposent leur point de vue à des Occidentaux que l’on persuade qu’ils sont responsables de la stagnation de l’Afrique en général, du Maghreb en particulier et de l’Algérie précisément. C’est là que joue à plein l’articulation islamisme / wokisme. Voir la dernière loi — le Hate Crime and Public Order Act — passée tout récemment en Ecosse, à l’instigation du nouveau Premier ministre de la région, le musulman Humza Youssaf, vise à réprimer tout discours de haine et de transphobie[2]. On feint de s’allier avec les plus extrémistes des LGBT, et on les éliminera lorsque la charia sera officielle. Sans doute alors, comme dans le joli roman à peine dystopique de Houellebecq, Soumission, les islamo-gauchistes les plus convaincus se convertiront prestement : ça leur permettra de disposer de quatre épouses, et les féministes s’apercevront trop tard qu’elles ont donné des armes à leur pire ennemi.

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[1] J’emprunte cette formule, parce que je la trouve totalement appropriée, à Marc Hellebroeck, qui l’utilise dans un texte paru sur Front populaire début avril.

[2] https://www.causeur.fr/humza-yousaf-ecosse-du-nationalisme-a-l-islamo-gauchisme-280231

Démocra… ture!

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Sophie de Menthon Photo: D.R.

Les citoyens réclament toujours davantage d’autorité de la part de leurs hommes politiques, à mesure que la société française semble se déliter. Coup de gueule.


On a beau tourner les problèmes dans tous les sens, qu’il s’agisse de dette abyssale, d’agressions scolaires, de réformes annoncées d’autant plus convaincantes qu’elles ne sont jamais appliquées, de jeunes dépressifs, de chômeurs qui attendent la retraite alors qu’on n’arrive pas à recruter, de tenues soit débraillées soit voilées, d’un niveau d’inculture qui bat des records… il faut que cela s’arrête, la France décline !

Trop de démocratie tue-t-elle la démocratie ? La démocratie, ce n’est pas : « Moi d’abord, et j’ai le droit de penser ce que je veux », la démocratie ce n’est pas le tout-à-l’égout de la liberté !

Nous sommes (presque) tous d’accord et personne, à quelque niveau que ce soit ne semble savoir comment s’y prendre pour agir. La Police est insuffisante et mal aimée, les gendarmes au bout du rouleau, les militaires aux abris en attendant la guerre, la fraude contribue à nous ruiner (en plus de ce que l’État nous prélève généreusement pour nous le redistribuer ensuite)… Alors comment faire ? On ne peut plus se contenter de commenter médiatiquement avec émotion les faits divers, en les amplifiant si possible. La sanction n’est jamais au rendez-vous, elle est dilatoire. Le temps de la justice, de la répression, le temps de l’enquête, le temps de l’exécution d’un ordre, c’est toujours pour demain. L’autorité doit maintenant se montrer sur-le-champ en ne laissant rien passer, en renvoyant immédiatement l’étudiant de Sciences-Po antisémite ou le harceleur du lycée, et sans appel. « Où les mettre ? » se demande alors la classe politique avec obstination et sans proposer de solution. Depuis le temps que la violence sévit, on le sait ! Il est plus que temps de créer des établissements spécifiques de courte durée à forte discipline (le terme de « maison de redressement » a trop mauvaise presse). Sachant le manque d’autorité face aux jeunes, les parents en sont les premiers responsables. Ils demandent à l’Etat tout ce qu’ils n’osent faire, ni même dire eux-mêmes. À quatre ans, on confie l’éducation sexuelle des petits de maternelle qui tètent encore leur mère à des spécialistes ! Plus tard, ils partent en classe vêtus comme ils le souhaitent, troués, percés, ventre nu ou visage voilé (quand ce n’est pas l’un le soir et l’autre en journée). Les réseaux sociaux sont leur encyclopédie, avec des parents qui les laissent dormir le portable sous l’oreiller, doudou 2.0 (là l’État n’y peut rien, sauf en Chine !).

A lire aussi: Ce que nos entrepreneurs ont à dire à l’Union européenne

Nos dirigeants ne savent-ils pas quoi faire ? Par incompétence, par électoralisme ou encore par cynisme ? De fait, grâce à quelques flashbacks, la comparaison est vite établie entre les personnels politiques et les Giscard, Pompidou, Chaban Delmas, Jobert, Delors, Malraux, Mauriac, Léotard, Seguin, Bérégovoy, Balladur… qui étaient quand même quelques coudées au-dessus de nos nominés, sans vouloir les offenser ; est-ce la médiocrité ambiante qui déteint sur eux ou le contraire ? Qui de l’œuf ou de la poule ?

Parallèlement, la demande d’autorité est croissante pendant que nous détruisons peu à peu notre ambition républicaine ; ce déclin ronge ce qui fait la fierté d’une démocratie. Pour tenter de lutter contre ces dérives générales, l’Etat tente de se renforcer ou croit qu’il le faut : en fait il ne sévit pas, il prend de l’embonpoint ; sévir c’est trop difficile, alors on fait des lois. Et puis, les Français eux-mêmes ? Il faut arrêter de tout attendre des autres. C’est chaque foyer qui doit remettre en place un code disciplinaire dans ses propres murs. Les parents qui doivent soutenir les professeurs… Ne pourrait-on pas prendre un peu exemple sur la forme d’autorité émanant de l’entreprise ? C’est le seul lieu où l’on se sente en sécurité. Et les chefs d’entreprise en savent plus sur leur entreprise que les ministres sur leur ministère ! Charité bien ordonnée commence par soi-même, alors contribuons à faire régner la discipline tout autour de nous, dans le métro, dans la rue, à l’école, en l’exigeant de nos enfants. Un peu de courage ! car si tout le monde abdique c’est la dictature qui nous guette…

La démocratie, c’est aussi et surtout la responsabilité individuelle que l’on n’évoque même plus. Ceux qui sortent gagnants du désordre général sont les partis politiques qu’on a cherchés à éliminer pendant des années, justement parce qu’ils étaient autoritaires. Devinez la suite… rendez-vous aux prochaines élections européennes.

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Nabokov, le choc Lolita

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Statue de Vladimir Nabokov (1899-1977) à Montreux, en Suisse. DR.

Un Cahier de l’Herne est consacré à Vladimir Nabokov


C’est toujours avec un grand plaisir qu’on revient à Nabokov, ce magicien des lettres. On lit et relit chacun de ses romans avec une délectation inoubliable. Il incarne à lui seul une idée à peu près complète de la littérature. Son œuvre est protéiforme, écrite dans plusieurs langues, mais chacun de ses livres porte la signature du grand maître ès romans qu’il fut. Ce numéro des Cahiers de l’Herne propose une rétrospective très informée de la vie de Vladimir Nabokov, en en abordant les différents aspects, comme l’inévitable chasse aux papillons, mais toutefois sans perdre jamais de vue le génie esthétique particulier d’un écrivain qui ramenait l’univers aux couleurs éclatantes d’une petite bille sphérique.

Le succès de Lolita

Ce Cahier fait évidemment la part belle à Lolita (1955), impérissable succès planétaire. Qui n’a pas lu cette œuvre parfaite, écrite dans un anglais d’exception ? Je ne résiste pas au plaisir de vous en citer un passage en anglais, au tout début, pour vous mettre (littérairement) l’eau à la bouche : « She was Lo, plain Lo, in the morning, standing four feet ten in one sock. She was Lola in slacks. She was Dolly at school. She was Dolores on the dotted line. But in my arms she was always Lolita. »[1]

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Plusieurs articles de ce Cahier de l’Herne sont consacrés à ce roman culte, et notamment à sa réception à l’époque. Je mentionnerai l’article très caractéristique de Robbe-Grillet, intitulé « La notion d’itinéraire dans Lolita » dans lequel l’auteur des Gommes reconnaît presque s’identifier au personnage de Humbert Humbert. Il y a aussi la réaction étonnante de Dorothy Parker, en 1958, qui décrit ainsi le caractère de Lolita : « C’est une atroce petite créature, égoïste, dure, vulgaire, pénible. » Le personnage maléfique, pour Dorothy Parker, c’était Lolita et non son coupable beau-père. Pourtant, Nabokov lui-même avait mis en garde contre cette interprétation, indiquant que Lolita était plutôt une victime. C’est l’avis de Vanessa Springora, précoce lectrice de Lolita, qui nous offre ici une interprétation attentive du roman, en rendant justice à l’ambition de Nabokov (c’est aussi ma lecture de Lolita, désormais) : « L’écho de cette voix sacrifiée, écrit Springora en parlant de la nymphette, n’en finit pas de nous hanter. » Dans sa contribution, Agnès Edel-Roy défend le même point de vue, qui correspond à une perspective spécifiquement contemporaine, rendue possible selon elle par « la libération de la parole ».

Un choc émotionnel

Lolita n’est pas la seule œuvre de Nabokov au programme de ce Cahier. L’excellent Deny Podalydès, délaissant pour un temps Shakespeare, nous parle par exemple de Mademoiselle O (1939), ce récit de Nabokov écrit en français. On avait demandé à l’acteur de venir en faire une lecture à Beaubourg : « Ce fut un choc émotionnel, confie-t-il, de ces lectures qui m’ont sans doute plus marqué, moi, que les auditeurs. » Podalydès raconte qu’il est également un fervent admirateur de Feu pâle (1962). Chacun d’entre nous a ses romans préférés de Nabokov, et d’autres peut-être qu’il aime moins. J’avoue, pour ma part, avoir eu du mal avec Ada (traduit en 1975). Mais parmi ceux qui m’ont fasciné le plus, je peux citer La Méprise (1934) que Fassbinder porta à l’écran sous le titre anglais Despair, ainsi que l’autobiographie de Nabokov Autres rivages (1961) que le même Podalydès apprécie tant, par ailleurs : « Qui n’aurait envie, écrit-il, d’accéder à une pareille faculté de mémoire et de consignation de cette mémoire ? »

Nabokov, lecteur redoutable

Je vous conseille de lire ce Cahier de l’Herne consacré à Nabokov en le feuilletant au hasard ou au gré de votre intuition. Vous tomberez toujours sur un passage spécialement écrit pour vous, et auquel vous ne vous attendiez pas. Il en ira ainsi peut-être du texte assez amusant de Brice Matthieussent sur les détestations littéraires de Nabokov. Le professeur d’esthétique et traducteur de Nabokov propose une liste des auteurs classiques que l’écrivain, pourtant admirable lecteur, ne supportait pas : « le panthéon poussiéreux des prétendus génies littéraires, ainsi que les qualifie pour l’occasion Mattthieussent, qui sont en fait des escrocs à la réputation usurpée ». Parmi eux, on le sait, Sade et Freud. Mais aussi Balzac et Faulkner, et même Dostoïevski. On n’est pas obligé d’approuver…

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Après avoir parcouru, plus ou moins en détail, comme je l’ai dit, ce très remarquable Cahier de l’Herne, qui comprend bien d’autres contributions encore dont je n’ai pas pu parler, faute de place, tout amoureux en puissance ou adepte confirmé de Nabokov sera incité à reprendre tel ou tel de ses romans ou à en choisir un qu’il n’a pas encore lu. Le plaisir littéraire s’éprouve aussi dans l’intertexte, on le sait depuis longtemps, d’où l’utilité de ces Cahiers de l’Herne qui sont toujours un propice excitant intellectuel.

Les Cahiers de l’Herne, Vladimir Nabokov. Éditions de L’Herne, 2023.

Chez le même éditeur, Véra Nabokov, L’Ouragan Lolita, Journal 1958-1959. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent.


[1] Traduction française : « Elle était Lo le matin, Lo tout court, un mètre quarante-huit en chaussettes, debout sur un seul pied. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l’école. Elle était Dolorès sur le pointillé des formulaires. Mais dans mes bras, c’était toujours Lolita. »

Shemseddine tué devant son collège: de la culture de la honte

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marche blanche en hommage a Shemseddine, le 12 avril 2024, à Viry Chatillon. © ISA HARSIN/SIPA

Autour des faits divers sanglants de la semaine survenus en France flotte un inquiétant parfum de culture tribale, voire de charia.


L’information fonctionne par épidémies. Nous avons eu la série des attaques aux couteaux, celle des agressions sexuelles ou bien encore la série de faits divers autour du harcèlement scolaire. Un phénomène morbide chasse l’autre, révélant une société en décomposition avancée, sorte de civilisation zombie qui marche inlassablement vers sa propre ruine. Présentement, ce sont donc les bastonnades mortelles de collégiens et les polices des mœurs improvisées armées de couteaux qui attirent l’attention des caméras. Comme à l’accoutumée, diverses explications sociologiques et atténuations sont proposées pour « expliquer » ces gestes, sans que quiconque ou presque n’ose s’aventurer vers le seul domaine qui puisse nous permettre de comprendre la phase que nous traversons : l’anthropologie.

Gueule de bois

Dans un article de l’année 1929, Stefan Zweig écrivait que « quelles que soient nos divergences d’opinions, il est un fait sur lequel nous sommes à ce jour tous d’accord, d’un bout à l’autre de la planète : notre monde se trouve aujourd’hui dans un état anormal, il traverse une grave crise morale (et éthique) », puis il ajoutait que « les individus, mais aussi les races, les classes et les États semblent davantage enclins à se haïr les uns les autres qu’à se comprendre. Ni les individus ni les nations ne croient en une évolution paisible et productive ». Un constat qui était alors d’une grande lucidité. Un constat que l’on peut décalquer au mot près sur l’Europe contemporaine, spécifiquement la France qui en est le carrefour et la synthèse ethnoculturelle. Le continent et notre pays ont la gueule de bois depuis 1945. Ils sont oikophobes et encore trop iréniques. Notre fièvre est, comme en 1929, due au « bacille tenace » de la guerre, mais aussi à des névroses idéologiques qui nous empêchent même de formuler ce que nous vivons, de l’envisager dans son entière réalité.

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Le jeune Shemseddinne a été tué parce qu’il a échangé avec une adolescente d’une cité voisine. Il en est mort, battu par un Männerbund mené par les frères de la jeune fille devant son collège. Les frères et leurs amis ne voulaient pas que la honte engendrée par l’image de « fille facile » que pouvait avoir leur sœur ne rejaillisse sur l’ensemble de leur communauté. Il leur fallait faire un exemple. Face à cette vendetta primitive qui rappellera les totems et les tabous freudiens, de la plus haute préhistoire, le maire de Viry-Chatillon a semblé coi. Emu et pleurant devant les caméras, Jean-Marie Vilain a dénoncé un « drame absolu » dont la raison ne saurait être que « futile ». Dans un même ordre d’idées, la préfète de l’Essonne s’est montrée décontenancée, ne comprenant pas qu’une telle tragédie ait pu se produire dans un département et un collège qu’elle jugeait « tranquilles ».

Des crimes d’honneur ?

Il y a ici les signes d’une inaptitude à cerner son propre voisinage. Ce que l’esprit de Monsieur Vilain ne peut admettre, c’est que les raisons de ces jeunes étaient de leur point de vue tout sauf « futiles ». Elles étaient essentielles, sinon vitales à la cohésion du groupe, à leur honneur. Dans un excellent article de la Revue Française de psychanalyse, intitulé La rage, la honte et la culpabilité (aux origines du malaise dans la culture), François Duparc affirme que « si trop d’émotion tue la pensée, pas assez provoque sa sclérose » et tente de problématiser cette question déterminante :  « Existe-t-il vraiment une hiérarchie entre la honte et la culpabilité qui ferait des civilisations de la honte une variante pathologique ou culturellement plus proche de la barbarie, que les civilisations de la culpabilité ? »

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L’Occident contemporain, par ses savantes constructions théoriques et juridiques, mais aussi son substrat religieux, est sûrement arrivé au dernier degré de la culture de la culpabilité. Mais il héberge désormais en son sein des micro-sociétés en propre qui n’ont absolument pas intégré cette norme et vivent avec la « culture de la honte ». Est coupable non pas celui qui a intériorisé ses mauvais comportements mais celui qui fait honte au groupe et est donc désigné par l’ensemble de ses membres comme ayant adopté un comportement inapproprié. De la même manière, le migrant algérien qui a poignardé à Bordeaux des gens originaires d’Afrique du Nord, comme lui, parce qu’ils buvaient durant l’Aïd, devait-il sûrement se vivre en justicier réparant la honte qui était faite à sa religion bien plus qu’en criminel aveugle.

Tyrannie communautaire

Notre difficulté est donc d’ordre purement anthropologique. Si tous ces gens gagnaient 20 000 euros par mois, ils ne changeraient nullement de mentalité, de culture. Quant à ceux qui le souhaiteraient, ils sont aussi sous la menace permanente de la tyrannie communautaire. L’agression de Samara par d’autres adolescentes devant son collège de Montpellier, qui s’habillait comme elle l’entendait, répond à cette même logique. De fait, sa mère a d’ailleurs dû affirmer son attachement à sa culture et dénoncer « la récupération de l’extrême droite », en l’occurrence inexistante, pour protéger toute sa famille d’une nouvelle réplique intraethnique.

Deux excès se font face. Le nôtre, qui tue l’instinct et toutes les inclinations naturelles, qui nous domestique et au fond nous soumet à un esclavage moral, nous ôtant toutes nos défenses immunitaires collectives. C’est la famille nucléaire héritée du christianisme. Le leur, qui supprime toute intériorité aux individus et les empêche de penser, les livrant à l’expression immédiate de leurs humeurs. C’est la logique tribale. Cela ne peut que très mal se finir.