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Le Grand Paris: une carte mentale?

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Alors que le « Grand Paris » peine encore à s’inscrire ou à s’imposer comme une réalité sensible pour les Franciliens, la Collection Cartoville lui consacre son premier guide touristique, et une exposition passionnante s’attaque au sujet à la Cité de l’architecture et du patrimoine.


En 1859, le Second Empire annexe à Paris nombre d’anciens faubourgs, de Belleville à Auteuil, de Vaugirard à La Chapelle, de Grenelle à Passy, faisant passer la capitale de douze aux vingt arrondissements enlacés aujourd’hui par l’anneau du périphérique. Combien de temps aura-t-il fallu aux bourgeois de Paris pour s’assimiler l’idée que Montmartre n’est plus un village extérieur à la grande cité, que Charonne est intégré à la ville, que Paris intramuros étend désormais son territoire jusqu’à l’enceinte de Thiers ? Des années, sans doute. Voire des générations de titis, d’apaches, de rentiers, d’aristos et de prolétaires : il y avait plus loin de la plaine Monceau à Belleville, que de Guermantes à Méséglise…

Extension à marche forcée

À la Cité de l’architecture et du Patrimoine, sise au Palais de Chaillot l’exposition Metro ! le Grand Paris en mouvement fermera ses portes le 2 juin prochain. Le catalogue témoigne de l’extension à marche forcée des connexions supposées transformer une capitale historiquement centrifuge en archipel métropolitain, sur le modèle des titanesques mégalopoles qui s’érigent partout sur la planète. Pour reprendre l’image d’Arnaud Passalacqua, spécialiste des questions liées à la mobilité urbaine, un des contributeurs de l’ouvrage édité sous la direction de Francis Rambert : « héritier du métro, le GPE [Grand Paris Express] se devrait de prolonger l’héritage, tout en tuant le père ». Et de conclure : « Une mission ambivalente, qu’il est peut-être hasardeux de confier à une infrastructure de fer, de verre et de béton ». C’est que, prise dans « la dynamique des flux », la Ville du XXIème siècle, en mutation accélérée, arrime sa forme au réseau, qu’on le veuille ou non.

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 « Grand » ou pas, Paris n’y échappe point. Le Grand Paris est ainsi passé de l’abstraction lyrique à la projection graphique. Il ne s’est pas encore mué en pratique collective, à l’instar de celle qui nous fait circuler aujourd’hui d’instinct d’un arrondissement à l’autre : la banlieue, quoiqu’on dise, se vit toujours, et pour longtemps semble-t-il, comme un assemblage hétéroclite d’extensions périphériques mal articulées entre elles, quand bien même la gentrification, liée à la difficulté devenue quasiment insurmontable de s’établir modestement dans Hidalgo Land, a largement repoussé ses frontières jusqu’aux confins de Montreuil ou d’Ivry.

Gallimard

Cartoville, d’excellents viatiques

En 2024, le Grand Paris reste donc moins une réalité vécue qu’une carte mentale qui multiplie ses repères (les gares, justement) mais n’a pas trouvé ses ancrages dans le vécu quotidien. Dès lors, l’idée d’un Cartoville « Grand Paris », guide touristique édité par Gallimard en partenariat avec #Explore Paris, sur le même modèle que les autres volumes de la collection, relève d’un optimisme téméraire, qui mérite d’être salué.

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Car votre serviteur n’a jamais eu qu’à se louer de ces excellents viatiques, surtout s’agissant de villes « décentrées », telle Bucarest, par exemple, dont il est malaisé d’appréhender d’emblée la topographie et l’ordonnancement. De Riga à Berlin, de Prague à Lisbonne, ces petits carnets de route graphiquement très élaborés déplient des cartes partielles, à l’échelle du passant, configurant la ville par zones d’intérêt, chacune renvoyant à ses ressources propres en matière de restauration, de shopping, de monuments ou d’activités culturelles, dans des pages agrémentées de photos en vignette qui donnent à percevoir d’un même coup d’œil le plan viaire et l’agrément du site.

Les cartes rebattues

S’agissant de Paris, il n’allait pas de soi de rompre radicalement avec l’approche traditionnelle consistant à sectoriser la capitale et ses aires périphériques sur la base des arrondissements parisiens et des municipalités adjacentes. Avec Grand Paris sous-titré « Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne », on passe « des îles au Quartier Latin », « du Louvre à la Tour Eiffel », du « Marais au 9ème arrondissement », pour survoler soudain un « Nord »  qui englobe Montmartre mais aussi Saint-Ouen, Saint-Denis, une partie de Gennevilliers et jusqu’à Villeneuve-La Garenne ; un « Nord-Est » qui à partir de La Villette, chemine d’Aubervilliers à Bobigny, intègre Le Pré Saint-Gervais, les Lilas, Romainville ; un « Sud, du 13è arr. à Vitry-sur-Seine », où figure Gentilly ou Villejuif… Certaines à l’échelle 500m, d’autres, quoique de format identique, à l’échelle du km – les cartes fournissent une idée parfois bien trompeuse des distances à parcourir. S’éloignant encore, le guide explore les « échappées vertes » de Rueil-Malmaison à Nanterre, poussant jusqu’à la forêt de Bondy, faisant retour sur les bords de Marne, voire détour vers le parc Georges-Valbon, entre Stains et Bonneuil.

Autant dire que c’est ratisser très large pour le jardin d’un seul homme. Et, quoiqu’on fasse, les « incontournables » adhèrent majoritairement aux attraits imprescriptibles de la Ville-Lumière légendaire – celle-là même qui part actuellement à vau-l’eau sous la pression des idéologues du buisson en pot, de l’événementiel et du cycle-roi.


A voir : Exposition Métro ! Le Grand Paris en mouvement. Cité de l’architecture et du patrimoine. Palais de Chaillot. Jusqu’au 2 juin.

A lire :

Catalogue Métro ! 295p. Coédition Cité de l’architecture et du patrimoine/ Société du Grand Paris/ Ministère de la Culture.

Metro ! Le Grand Paris en mouvement

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Cartoville. Grand Paris. 2 versions : français, anglais. Editions Gallimard.

Grand Paris: Paris - Hauts-de-Seine - Seine-Saint-Denis - Val-de-Marne

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La gauche perméable au fascisme qui revient?

La gauche, qui alerte en permanence sur le retour des années 30 et de la bête immonde, porte le monstre qu’elle dénonce. Et les tentatives stupides de censure se multiplient. Le regard d’Ivan Rioufol


La gauche, qui alerte sur le « retour des années 30 » et de la « bête immonde », porte le monstre qu’elle dénonce. Le fascisme est dans ses rangs. C’est cette idéologie liberticide qui a conduit un élu belge proche de l’islamisme turc, Emir Kir, à envoyer la police pour interdire, mardi à Bruxelles, à des responsables conservateurs (dont Eric Zemmour, Nigel Farage, Viktor Orban) de se réunir dans un hôtel. « L’extrême droite n’est pas la bienvenue », a expliqué cet ancien socialiste belge, qui conteste le génocide arménien.

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À l’Université de Lille, une même intolérance dogmatique rassemblera Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan, candidate LFI pour les Européennes, sous le logo de Free Palestine qui a déjà effacé Israël et les Juifs de la carte. L’historien Georges Bensoussan, analysant ce rapprochement de l’extrême gauche avec l’islam politique, a déclaré mardi sur Europe 1 : « LFI me fait penser au populisme de Jacques Doriot. L’authentique risque de fascisme, c’est Mélenchon et ses sbires ». Alors qu’Emmanuel Macron ne cesse d’instrumentaliser les commémorations mémorielles pour alerter sur l’extrême droite, la gauche perdue se noie dans son attrait atavique pour les totalitarismes. Dans Un paradoxe français, Simon Epstein avait déjà noté, à propos de la Collaboration (Page 314) : « Beaucoup d’hommes d’extrême droite ne seront pas collaborateurs mais résistants, tandis qu’une nuée d’antiracistes, d’antifascistes, d’humanitaires et de pacifistes de toutes écoles se retrouveront collaborationnistes ou même pro-nazis fanatiques ». Doriot, venu du parti communiste, fut de ceux-là.

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S’il y a un air de famille entre les années 30 et aujourd’hui, il est dans la banalisation et la généralisation de l’antisémitisme. Mais si, à l’époque, la droite y était perméable, celle-ci est majoritairement devenue, au contraire, un rempart à Israël et aux Juifs, voués à la disparition génocidaire par l’islamo-palestinisme importé et, plus directement, par le djihadisme millénariste des mollahs iraniens. Or les hommages que rend Macron à la Résistance et « à ceux qui se sont levés pour la liberté » (le président en est à sa 26ème commémoration selon Le Figaro de ce mercredi, contre 13 pour François Hollande et 3 pour Nicolas Sarkozy) miment un courage qui en réalité fait défaut au chef de l’Etat. Certes, la soumission de la Belgique à l’islam colonisateur et à la censure de la gauche collaborationniste est plus avancée qu’en France. J’avais pu prendre la mesure de cette chape de plomb en ayant dû participer, dans une banlieue de Bruxelles et dans la quasi-clandestinité, il y a une dizaine d’années, à une réunion du nouveau Parti populaire de Mischaël Modrikamen, qui a depuis abandonné la partie. Toutefois, la France n’a toujours pas pris, non plus, la mesure de la dangerosité de la fusion entre la gauche révolutionnaire et le totalitarisme islamiste, qui emprunte aussi bien au nazisme qu’au communisme soviétique comme le rappelle Pierre-André Taguieff. Pour avoir détourné les regards en accusant les « populistes », ces lanceurs d’alerte, Macron a fait le lit du fascisme qui revient.

Paris, 11 novembre 2023 © MUSTAFA SEVGI/SIPA

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Amal, un esprit libre — et mort

Amal est le film dont on parle à mi-voix: nombre de distributeurs ne se sont pas risqués à programmer une œuvre qui malmène sérieusement l’idée que nous nous faisons des salafistes — des agneaux trop peu nombreux pour présenter un quelconque danger. Notre chroniqueur, mandaté pour le voir à Marseille, en est revenu visiblement enchanté — et soucieux.


Il est des boussoles d’autant plus fiables qu’elles indiquent systématiquement le sud. Prenez Libé, par exemple : Luc Chessel descend en flammes Amal, un esprit libre, le film de Jawad Rhalib sorti le 17 avril : « Sous prétexte de « réalisme », écrit cet aimable garçon, le film de Jawad Rhalib dresse un portrait caricatural et hypocrite de l’islamisme homophobe. Faux film sans cœur ni substance, fabriqué pour être vendu à la horde, un public peut-être grandissant, des passionnés de la « laïcité », qui en tout domaine pourrissent ce qu’ils croient vaillamment défendre. »
Fatalitas ! L’épouvantail « fasciste » se draperait désormais dans les oripeaux de la laïcité — enfin, ce que Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène, chargés jadis de la dépouiller de toute vertu républicaine, en ont laissé à leurs successeurs de l’Observatoire de la laïcité.
Je dois à la vérité de dire que dans le même temps, l’Huma parle d’un « magnifique thriller, implacable et éprouvant ». L’un est à gauche et l’autre pas — à vous de trier.


Rassurez-vous tout de suite : Amal est un film impeccablement scénarisé, joué, filmé et monté. Il y a bien longtemps que je n’avais pas vu dans un film francophone ce soin du cadrage, où un plan en plongée en dit plus long sur l’état d’esprit (dépressif) du personnage que trente discours didactiques.
Il y a par exemple un plan furtif où Amal, l’enseignante de Lettres héroïne de cette épouvantable histoire, range ses livres après qu’un commando islamiste a dévasté son appartement. Et dans un plan furtif, on voit les 1001 nuits
Avez-vous lu les 1001 nuits ? Non seulement c’est le plus grand roman jamais écrit en langue arabe, mais c’est l’un des dix livres essentiels de l’humanité. L’un de ses personnages récurrents est le calife de Bagdad, Haroun al Rachid — qui échangea des ambassadeurs avec Charlemagne, à qui il avait offert une clepsydre. Régulièrement, le calife descend dans les rues de Bagdad, en civil si je puis dire, accompagné de son poète favori, Abû Nuwâs.

Mauvaise idée…

Une classe d’élèves essentiellement immigrés de cette banlieue bruxelloise — Molenbeek peut-être — a pris à partie une fille désignée arbitrairement comme « sale lesbienne » (c’est sidérant comme l’image de la lesbienne hante les consciences musulmanes, un souvenir de ce que leurs arrière-grand-mères faisaient dans les harems avec les autres concubines, sans doute, l’iconographie sur le sujet est immense). Amal, elle-même musulmane, mais libérée, fumant, buvant, vivant maritalement avec un roumi) a cru bon de leur faire lire quelques poèmes d’Abû Nuwâs, plein de vin, de liberté, de libertinage et de beaux garçons : l’islam n’avait pas encore eu l’idée, au VIIIe siècle, de se parer d’une vertu farouche et homophobe.
Quelle idée a eu là l’enseignante ! Les parents d’élèves (en burka intégrale pour certaines, là-bas aussi ils entrent dans les établissements scolaires habillés pour impressionner et occuper le terrain) viennent protester — en hurlant, une mode de là-bas. De fil en aiguille, la jeune Monia ne supportera pas longtemps les déferlements de haine, avec mises en scène de mise à mort, qui s’étalent sur les rézosocios. Quant à Amal (attention, divulgâchage !), elle sera poignardée dans la rue par une autre de ses élèves, radicalisée par le prof de religion : elle remet ostensiblement son voile en sortant de classe, avec la mine extasiée de la Vraie Croyante. En vérité je vous le dis, une femme voilée, c’est louche ; une femme voilée radicalisée, c’est mortel.
Alors, cent mille femmes voilées, comme à Marseille…

Radicalisée, Jalila l’a été par le prof de religion, un certain Nabil — dont on nous dit innocemment qu’il est parti trois ans auparavant faire un stage de salafisme en Egypte. C’est l’un des personnages principaux. Au contraire des adultes qu’il fréquente et qu’il conseille, il n’exhibe pas sur son front la tabaâ, la marque laissée par les chocs répétés de la tête sur le sol pendant la prière — la marque des vrais croyants : boum, boum, boum ! qui est là, c’est un croyant qui se cogne le front. Non : il porte un costume, une cravate, il est occidentalisé au possible : en fait, il est un Frère sous couverture. Un parfait petit Tariq.

… mauvais esprit français

(Parenthèse. Les cours de religion sont obligatoires dans les écoles publiques belges. Il est question de les rendre facultatifs à la rentrée 2024. Mais j’ai dans l’idée que les cagots de toutes farines sauront se mobiliser pour préserver la poule aux œufs d’or — et leur influence sur leurs ouailles).
Ce film prenant, sans temps morts, a été co-produit par la RTBF. J’attends avec impatience (et scepticisme, je l’avoue) que France Télévisions diffuse un film sur la montée du salafisme dans les écoles françaises.

Mais où ai-je la tête… Ce n’est pas chez nous que l’on tuerait des enseignants en criant « Dieu est grand » !

Zemmour chez les Belges

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De la censure au sein des sociétés… Politiques et intellectuels nationalistes ou conservateurs se sont donné rendez-vous dans la capitale belge pour une conférence de deux jours. Mais, les autorités municipales de Saint-Josse-ten-Noode ont  interdit la manifestation, avant que le Conseil d’Etat ne casse finalement cette décision. « Cela nous laisse incrédules et consternés », a déclaré l’Italienne Georgia Meloni. Cette interdiction est « extrêmement inquiétante », s’est indigné l’Anglais Rishi Sunak. « Le bourgmestre socialiste Emir Kir utilise la police comme une milice privée pour interdire la conférence bruxelloise dont je suis l’invité avec Viktor Orban et Nigel Farage ! », a écrit le Français Éric Zemmour sur Twitter.


Ce mercredi 17 avril, le Conseil d’État belge a cassé l’arrêté du bourgmestre de la commune bruxelloise de Saint-Josse qui avait interdit, la veille, la tenue de la conférence devant réunir notamment Viktor Orban, Éric Zemmour et Nigel Farage, mais aussi l’universitaire Florence Bergeaud-Blackler. Cette décision illustre la contradiction que vivent les démocraties occidentales depuis plus de vingt ans, à savoir entre d’un côté les principes libéraux des États, et de l’autre, les pressions exercées par des groupes et des idéologies proto-totalitaires.

Emir Kir se prend pour l’émir de Saint-Josse-ten-Noode !

Le bourgmestre d’origine turque qui serait proche d’un groupe nationaliste violent (les « Loups gris » probablement soutenus et manipulés par Erdogan), manie bien par ailleurs, la rhétorique islamo-gauchiste de la diabolisation de l’extrême-droite « islamophobe » et « occidentalo-centrée ». Au prétexte de « garantir la sécurité publique », le maire Emir Kir s’est manifestement soucié davantage de contrôler et en l’occurrence de censurer, des propos politiques et des analyses sociologiques non conformes à ses propres convictions, que de la paix civile, comme en témoigne sa déclaration sur X : « à Etterbeek, à Bruxelles Ville et à Saint-Josse, l’extrême droite n’est pas la bienvenue ».

Ce type de censure politique exercée par certains élus locaux est en effet sous-tendu par des aprioris idéologiques et répond à la demande d’une mobilisation sociale sur laquelle ils fondent leur pouvoir. Face à ces nouvelles formes de censure, il est tentant d’invoquer une nouvelle fois les mânes de Voltaire en rappelant cette citation – apocryphe au demeurant : « Monsieur l’abbé [Le Riche], je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire. » La liberté d’expression ne peut en effet exister réellement que si la pluralité des idées et le débat contradictoire sont assurés. C’est bien ce pourquoi le « patriarche » de Ferney lutta et fut persécuté par la censure royale.

Le « cordon sanitaire » belge

En démocratie, les partis politiques ont le droit de nouer ou pas des alliances électorales ou de former des coalitions gouvernementales avec les partenaires de leur choix. Mais entraver le droit de réunion ou l’accès aux médias de certaines formations politiques légales ou de certaines personnalités en les affublant de l’étiquette infâmante « d’extrême droite », cela relève de l’autoritarisme lorsque c’est le fait d’une puissance publique (notamment en faisant usage de la force publique comme le déploiement de policiers interdisant l’accès à la salle du meeting à Bruxelles), et relève du terrorisme intellectuel lorsque cela est mis en œuvre par des acteurs de la société civile.

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Or, en Belgique francophone, depuis les années 90, dans le monde politique de gauche et du centre, l’exclusion de toute alliance partisane avec un parti considéré comme étant d’extrême droite s’est accompagnée d’un dispositif « culturel » consistant dans un engagement des médias à ne pas donner la parole en direct à des partis qui – prétendument – défendent des thèses racistes ou discriminantes sur les questions de genre ou de culture. Cette mesure prive ainsi d’importants moyens d’expression non seulement une partie de la représentation politique nationale mais également de nombreux intellectuels ou artistes ne se conformant pas strictement au discours politiquement correct. Tout débat évoquant l’immigration ou l’islamisme, mais aussi la différence des sexes ou leur égale prétention à la présomption d’innocence notamment, est ainsi irrévocablement proscrit, dans un but clairement politique.

Il s’agit là en effet d’une tactique souvent explicite, comme on peut l’entendre précisément en Belgique où la question est tout à fait publique tant ses promoteurs sont sûrs de leur bon droit. Comme le dit Pascal Delwit « l’audiovisuel conserve un rôle important. On a pu l’observer lors du scrutin national de 2019. Le Parti populaire, le principal parti de droite radicale de l’époque, avait une très grosse présence sur les réseaux sociaux, mais la relation directe à la campagne électorale a été minimale et son absence de visibilité dans les débats en direct sur les médias audiovisuels ne lui a pas permis de franchir le seuil électoral des 5 %[1] ».

La Belgique n’est pas un cas isolé

Cette prise de position politique des médias belges n’est au demeurant pas très éloignée de celle des médias mainstream en France. Certes les responsables politiques sont reçus de façon plutôt équitable sur les plateaux des chaînes françaises, même si les journalistes qui les interrogent se laissent aller parfois à manifester leur hostilité à leur égard sur le mode ironique ou plus agressif. Mais les universitaires, les artistes, les intellectuels qui osent s’écarter du politiquement correct sont très rarement invités, voire sont carrément « annulés », « invisibilisés », interdits d’expression selon le principe de la « cancel culture ».

Plutôt que d’expliciter en quoi des propos ou des opinions seraient racistes, antisémites ou antidémocratiques et promouvant une vision autoritaire de la politique, on les renvoie péremptoirement aux enfers du fait de leur odeur diabolique. Depuis les années 80 il est ainsi quasiment systématique de qualifier de « nauséabonds » des propos que l’on souhaite écarter du débat en les assimilant à l’extrême droite (entendue comme résurgence du nazisme). Le Mal, le Malin, est identifié notamment par son odeur, c’est bien connu, et, cette marque olfactive permet l’économie de toute argumentation raisonnée.

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Dès lors, le repoussoir diabolique est brandi pour s’en prendre à la gauche démocratique et laïque, mais également à ceux qui osent défendre Israël dans sa lutte existentielle, à tout ce qui résiste en somme aux dérives gauchistes, wokistes, islamo-complaisantes et propalestinistes. Comme le bolchevisme refusait de reconnaître aux socialistes leur appartenance au camp des travailleurs et du progrès social et en faisait des « ennemis de classe», les chasseurs de réactionnaires et les pourfendeurs de l’extrême droite hypostasiée, se revendiquant du camp du Bien, dénient aux autres quels qu’ils soient, le droit à la parole.

Mise au pas

Si les États démocratiques ont renoncé à la censure institutionnelle, certains ont alors cependant commencé à faire machine arrière, en adoptant des législations dangereuses plus perverses. L’enfer étant pavé de bonnes intentions, on peut craindre en effet que les « lois mémorielles » par exemple, pénalisant toute lecture historique déviante de l’histoire officielle (aussi bien fondée soit-elle) entravent tout autant la recherche historique que la libre expression politique. Mais ces décisions politiques procèdent d’un climat idéologique global qui s’est installé sournoisement, et sont désormais prises sous l’influence et/ou les pressions de certains acteurs sociaux nationaux et transnationaux.

Dans nos pays démocratiques occidentaux, la mise au pas, la « mise en conformité » (Gleichschaltung disait-on sous le nazisme) est à nouveau partout à l’ordre du jour, y compris indirectement du fait des pouvoirs publics. Mais surtout, ce sont des groupes militants qui instaurent la censure, et comble de cynisme, c’est le plus souvent au nom du « droit à la différence », au nom des particularismes contre l’universalisme prétendument instrument de domination, que se met en place le système d’intimidation. L’autocensure fait alors fonctionner la machine plus sûrement que ne le ferait une censure officielle. Car la montée aux extrêmes par la banalisation de la violence en parole et en acte va de pair avec la généralisation des attitudes « profil bas » et l’obsession de « ne pas faire de vagues ». Radicalité et conformisme vont de pair dans tous les autoritarismes. Bernardo Bertolucci[2]avait pointé cette caractéristique des fascismes. La censure d’État est bien sûr toujours en vigueur dans les dictatures de tout type (qui sont légion de nos jours encore, de la Russie à l’Iran, de la Chine à l’Algérie en passant par Cuba, la Corée du nord ou le Zimbabwe). Et dans certaines démocraties qui connaissent une dérive autoritaire comme la Hongrie de Viktor Orban, des mesures à l’encontre de la presse d’opposition peuvent être prises, limitant de fait la liberté d’expression politique. Mais une autre censure plus diffuse et redoutable mine les démocraties libérales. Venue du cœur de la société elle-même, les pressions se faisant de plus en plus nombreuses et violentes de la part de certains groupes minoritaires très mobilisés, cette censure met en œuvre une nouvelle sorte d’autoritarisme à visée totalitaire.

Par chez nous, la censure est donc devenue horizontale, elle ne procède plus tant de l’État que de la société. Effet pervers des sociétés démocratiques, le justicialisme a imprégné la sphère politique, enflammé les esprits et mobilisé les foules. La morale se substitue alors au droit. Une légitimité auto-proclamée prétend se substituer à la légalité. Nouveau croisé, justicier, le censeur moralisateur fait taire et malmène les anticonformistes et les libres penseurs au nom de la lutte contre ladite extrême droite. Qu’ils partagent ou non les positions des partis d’Éric Zemmour ou de Marine Le Pen, et surtout peut-être lorsqu’ils ne les partagent pas, les républicains ne peuvent donc que s’élever contre les entraves à leurs paroles et s’en alarmer.

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[1] https://www.nouvelobs.com/medias/20240306.OBS85322/en-belgique-il-existe-un-cordon-sanitaire-dans-les-medias-pour-contrer-les-discours-d-extreme-droite.html

[2] Voir (et revoir) Il Conformista, film du réalisateur italien sorti en 1970.

Monsieur Propret

Le dauphin de Marine Le Pen maîtrise à la perfection la grammaire des réseaux sociaux. Vidéos et selfies l’ont rendu populaire auprès des jeunes et lui permettent d’éviter les sujets qui fâchent.


Le dauphin qui les fait tous flipper !

Jean-Marie Le Pen disait toujours qu’un FN qui ne fait pas peur n’intéressait personne. Bardella est visiblement en train de lui donner tort.

Les sondeurs s’interrogent sur les ressorts de la Bardellamania. Jeune et poli, il tranche avec le style des leaders historiques du parti. Comme il est le seul homme politique à figurer dans le classement des personnalités préférées du JDD, et que les compteurs de son compte TikTok s’affolent, on soupçonne ses communicants de sorcellerie.

Jordan « pas de vague »

Digital native, le président du RN a mis en place une stratégie aussi payante électoralement qu’ennuyeuse pour les commentateurs. Il évite les coups d’éclat. Ainsi peut-il séduire la minette de 20 ans en BTS ou la mère au foyer de la France périphérique sans décevoir la retraitée cougar qui s’inquiète pour sa sécurité sur la Côte d’Azur. Car il les lui faut toutes !

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Sur les réseaux sociaux, où il ne publie que des messages très courts (une ou deux phrases, jamais plus), Bardella fait le plein : 350 000 abonnés sur Facebook, 380 000 sur Twitter et… 1,1 million sur TikTok !« Nous y proposons un savant mélange entre des publications d’instants de campagne, d’instants de vie de Jordan, avec la reprise des meilleurs passages médias », raconte Raphaël Rible, assistant parlementaire de Marine Le Pen et community manager du RN. Quand on lui fait remarquer que Bardella ne dit pas grand-chose sur le réseau chinois, Rible confie : « Contrairement aux autres réseaux sociaux, même avec un compte qui a peu d’abonnés au début, une vidéo peut percer : leur algorithme est pensé pour qu’un nouveau venu ait autant de chance qu’un autre compte déjà très suivi. » La peur de déplaire expliquerait-elle la faiblesse du contenu politique ? « Les discours grandiloquents à la “Reconquête” sur la civilisation, on peut le faire de temps en temps, mais ce n’est pas ce qui fonctionne sur TikTok, qui est peu politisé contrairement à Twitter. Ce réseau social reste avant tout populaire et bienveillant, on y va pour s’amuser. » Loin des polémiques identitaires, Bardella multiplie les vidéos de moins d’une minute : Jordan au bistro, Jordan enchaînant de façon mécanique les selfies, Jordan qui conduit un tracteur, Jordan caressant un lapin trop mignon dans la mairie de Beaucaire, etc. Et quand il fait polémique, ce n’est pas voulu : par exemple quand il publie une vidéo avec la médaille que lui remettent les CRS de Saint-Vincent-du-Gard.

La « patte » Bardella

Bardella n’est jamais meilleur qu’à la télévision. Il est très à l’aise dans les joutes verbales, par exemple face à Louis Boyard, Karim Zéribi ou Yassine Belattar, chez Hanouna. Les mauvaises langues disent que son public se partage à égalité entre les identitaires des deux camps (ceux qui pensent que la France est « islamophobe » et ceux qui s’inquiètent de la voir islamisée).

Difficile de définir la « marque » ou la « patte » Bardella, tout juste s’autorise-t-il de temps à autre une petite blague accompagnée d’un smiley. Avant la diffusion du « Complément d’enquête » que lui consacre France 2, il persifle en regardant la bande-annonce du programme : « Ils ont même mis la musique qui fait peur… » On trouve quelques interventions un peu plus solennelles – lors du meurtre de Thomas à Crépol, par exemple.

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Bardella bénéficie d’une prime à la consensualité. Reste que séquencettes de quelques secondes, punchlines et vidéos sympathiques jouant d’abord sur l’émotion grand-remplacent les discours argumentés et construits de la politique d’autrefois. Pour le journaliste Nicolas Domenach, ce phénomène est aussi dévastateur pour la politique que la « fast fashion » pour la planète[1].


[1] Gabriel Attal et Jordan Bardella, les Tik et Tok de la politique, Challenges, 26 février 2024.

Ne vous réjouissez pas trop vite de l’annulation de la conférence Mélenchon/Hassan à Lille!

Qu’on trouve vite une autre salle à Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan à Lille ! L’antisionisme et la rhétorique islamo-gauchiste se nourrissent des interdictions et de la pseudo « censure ». Mais un tel évènement dans le cadre universitaire était tout à fait discutable, alors que la direction de la fac se victimise. Le regard de Céline Pina.


Un meeting de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan qui devait se tenir demain à l’Université de Lille vient d’être annulé. En cause, à la fois l’accumulation de dérapages passés de la part de ces deux personnalités, et surtout le logo de l’association invitante, qui montre une Palestine d’où l’Etat hébreu a été éliminé – vieux fantasme islamiste. C’est la Palestine selon la charte du Hamas, autrement dit sans Juif, qui est ici mise en avant. Six mois après qu’un pogrome atroce ait eu lieu, il fallait oser !

Or, cela était passé crème : dans un lieu voué à l’érudition, peu de professeurs se sont insurgés publiquement contre de telles manipulations. Au point que sans une mobilisation d’intellectuels et de politiques, ce meeting qui avait vocation à rendre la haine d’Israël acceptable et assumable, aurait eu lieu avec le soutien de l’Université.

Victimisation

On aurait aimé que l’annulation par l’université de Lille d’une conférence de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan témoigne d’une prise de conscience par sa direction de la dimension problématique de la manifestation.
On aurait aimé qu’auprès de professeurs d’universités, de chercheurs et d’étudiants, la promotion de l’antisémitisme sous couvert d’antisionisme soit dénoncée.
On aurait aimé qu’il y ait ne serait-ce qu’un juste pour dire qu’il y a une différence entre critiquer un pays et vouloir son éradication. Car l’antisionisme, c’est refuser l’existence d’Israël, pas critiquer la politique de Netanyahou.
On aurait aimé que l’université de Lille soit à la hauteur de sa mission et de ses prétentions académiques.

Mais si elle annule cette manifestation, ce n’est hélas pas pour lutter contre l’antisémitisme véhiculé par l’affiche mais par pure lâcheté. Et sa direction l’écrit même dans un communiqué pour que personne n’ait de doutes sur sa réelle motivation (voir plus bas) : il ne s’agit pas ici de faire œuvre de responsabilité et d’autorité, mais de se rouler par terre en hurlant à la mise au pas politique et à l’atteinte aux libertés pédagogiques. Pour le Conseil d’Administration, que l’Université soit investie par une association diffusant une propagande antisémite qui nie l’existence d’Israël et en fait son logo pour que nul ne l’ignore, n’est apparemment pas un problème. Ce qui la dérange c’est de devoir rendre des comptes. La direction de l’Université de Lille tente bien sûr le coup du « nous sommes victimes de la méchante extrême-droite » dans cette histoire, ce qui équivaut à classer à l’extrême-droite tous ceux, qui voyant revenir la même haine contre les Juifs qui fut à l’origine de la Shoah, tirent la sonnette d’alarme. Ce n’est pas crédible, et on se demande bien comment, des professeurs d’université censés avoir pour viatique et honneur et la quête des faits et la connaissance et la vérité, peuvent accepter de se voir diriger par des personnes sans réelle colonne vertébrale ni exigences intellectuelles.

Ce ne sont pas les soutiens d’Israël qui créent des désordres dans nos facs

En effet, pour l’Université de Lille, non seulement « les conditions ne sont plus réunies pour garantir la sérénité des débats », mais surtout : « on ne peut que regretter, dans ce contexte, la pression exercée sur l’autonomie pédagogique et scientifique des établissements d’enseignement supérieur ». Ainsi par la grâce d’un communiqué d’universitaires, l’antisémitisme devient un facteur d’autonomie pédagogique ? Rayer un pays de la carte du monde par militantisme est devenu dans le même mouvement un geste scientifique ?

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En attendant, il y a de quoi s’interroger sur l’attitude de la présidence de l’Université. Parce que si cette conférence fait partie de l’enseignement dispensé par l’Université de Lille et est un marqueur d’ « autonomie pédagogique », alors l’Université aurait dû défendre les libertés académiques – puisque, selon elle, cette propagande LFI relève de la science. Elle a donc failli par couardise et faiblesse. Quant à la pression exercée, de quoi parle-t-on ? Les personnes menacées de mort en France comme celles qui ont fait l’objet de crimes politiques ou d’attentats ont été victimes d’une seule idéologie : l’islamisme. Quant à ceux qui exercent une chasse aux sorcières et bâillonnent leurs collègues comme les étudiants qui ont le malheur de mal penser à leurs yeux, ils appartiennent souvent à la mouvance islamo-gauchiste – dont LFI est le principal représentant politique. Ce parti joue un rôle dans l’explosion de la violence antisémite en France et l’affiche de ce meeting en annonçait clairement la couleur. Les autorités universitaires souhaitent-elles vraiment cautionner cela ?

Jean-Luc Mélenchon indiquait cet après-midi sur Twitter sa « tristesse de voir à Lille une université se dire victime de pressions et y céder en interdisant une conférence à quelques heures de sa tenue », précisant qu’« il aura suffi que le PS Jérôme Guedj dénonce le logo de l’association étudiante et qu’une députée macroniste appelle à créer des désordres pour anéantir la liberté universitaire et ses garants se coucher sans résistance ». Avant de conclure : « Nous tiendrons la conférence demain à Lille ».

Grand bien lui fasse, on ne retire pas à un obsessionnel sa haine ni son droit d’éructer sa rage dans quelque établissement de bas étage ou de haute couvée, mais l’Université n’est pas le lieu pour cela. Un espace consacré à l’étude et à l’érudition ne peut se faire le relais de la haine des Juifs, alors que nous avons connu et étudié la Shoah et que nous assistons au retour des mécanismes qui l’ont provoquée.

Paul Celan, poète et «guerrier juif» (sic)

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Cinquante-cinq ans après son suicide à Paris (1970), évocation d’un substantiel et suggestif Cahier de l’Herne consacré à Paul Celan. Occasion et alibi d’un hommage.


C’est toujours comme requis que l’on aborde au pays de Paul Celan (1920-1970) – puisque Celan, réputé plus important poète de langue allemande depuis Rilke, est un pays.

Pays où l’on lit huit langues (russe, anglais, roumain, etc.) ; où, poète juif germanophone né à Czernowitz (Roumanie), l’on n’oublie ni le souvenir de l’Empire austro-hongrois, ni la Shoah (les parents de Paul Celan sont morts dans le camp de Michailovka en 1942-1943), ni Vienne qui révulse (tant l’antisémitisme y rôde encore en décembre 1947) et retient cependant – pour une raison : la rencontre décisive avec Ingeborg Bachmann[1].

Pays de Celan qui suppose la fuite de Vienne en juillet 1948 et l’accueil de Paris – Celan y passera près de la moitié de sa vie (1948-1970, lecteur d’allemand à l’École Normale Supérieure-Ulm à partir de 1959). Inassignable pays de Celan en vérité, qui ne se sépare pas de son œuvre : lui-même considérait sa vie – ce pays donc – « contenue dans (ses) poèmes ».


Dans L’Herne[2] qui lui est dédié, une large place est faite à des textes de philologie (sur tel ou tel poème), une autre est dévolue à des témoignages (dont Cioran), une autre encore au Celan traducteur (Shakespeare, Iessenine, Blok, Char, Michaux, etc.) ou aux « influences et lectures » (Kafka, Mandelstam, Hölderlin (omniprésents), Heidegger – le poème Todtnauberg évoque sa visite à Heidegger en 1967 et son attente déçue, etc.).

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Sa période surréaliste (Bucarest, 1945-1947) n’est pas négligée : « perversion des formes, pratique d’une écriture de plus en plus associative, désintégration de la syntaxe qui a un horizon historique et personnel » (J.-P. Lefebvre) : horizon des camps de la mort dont son poème Todesfuge (Fugue de mort) est l’illustration la plus célébrée.

Les recueils se succèdent – et de Pavot et mémoire (1952, mariage avec Gisèle de Lestrange) à Renverse du souffle (1967), l’obscurité grandit.

Comme le souligne encore J.-P. Lefebvre, « les manuscrits révèlent le caractère délibéré de ce processus de complexification. Celan supprime les identifiants primaires, images, toponymes : tout ce qui en apparence facilite, accélère la lecture du texte et en programme l’oubli ou l’altération ». 

L’« Affaire Goll » occupe une place à part (chapitre « Crises ») : elle dévaste Celan. La campagne de diffamation (pour plagiat) lancée en 1953 par Claire Goll (veuve du poète Ivan Goll, mort en 1950) est une calomnie. Démont(r)ée par Celan qui, pourtant, ne recueille pas les soutiens attendus ni ne suscite l’indignation escomptée – tant le mensonge est avéré et l’injustice, manifeste.

La meurtrissure sera sans remède et peut-être fatale. Cioran, que Celan traduit en allemand en 1954 (Cioran ne retouche rien : « On ne corrige pas Celan ») évoque l’« inaptitude (de Celan) au détachement ou au cynisme qui a transformé sa vie en cauchemar » (1988).

On mentionnera enfin l’usage cryptique, par Celan, de la citation – en particulier dans Le Méridien, discours nodal à l’occasion de la réception du prix Büchner (1960) : chaque citation y est indirecte. Malebranche, cité via Walter Benjamin ; Baudelaire via Benjamin Fondane ; Pascal dans la traduction de Chestov, etc. C’est selon Alexandra Richter une stratégie : outre le fait que le discours est ponctué de « N’oubliez pas que… », tous ces passeurs (Fondane, Chestov, Benjamin, etc.) sont juifs.

Il y a selon Celan – hypothèse mais qui semble fondée, par le caractère systématique du procédé – une liaison souterraine entre les différentes cultures nationales (« méridien culturel ») qui a été assurée par les Juifs. C’est un des messages postulés de Celan – peut-être pas le moindre.


L’Herne Celan, dir. Clément Fradin, Bertrand Badiou et Werner Wögerbauer, L’Herne, 256 pages.

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À lire également : le vade-mecum de Didier Cahen – comme un précipité inspiré : Lire Paul Celan (Tarabuste, 152 p.)

Lire Paul Celan: Suivi de Ecouter le silence

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Et… Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil.


[1] Une analyse extensive de son lien avec Celan eût été bienvenue dans L’Herne : elle est absente. On s’en consolera par la lecture du livre de Cécile Ladjali, Ordalie (Babel-Actes Sud) – dont cette liaison est le cœur secret, le trésor sensible.

[2] Où la présence de repères récapitulatifs bio- et bibliographiques (a fortiori lorsque vie et œuvre sont à ce point mêlées) eût été souhaitée.

Que reste-t-il de la Nouvelle Droite?

Le 6 avril à la Maison de la Chimie, l’Institut Iliade « pour la défense de la civilisation européenne » se réunissait en colloque. L’occasion d’une visite dans le lieu de formation privilégié des partis de droite identitaire… et de découvrir quelles étaient les têtes présentes.


« Celui qui vit le legs de ses ancêtres appartient à la communauté et donc au peuple » lance à la tribune l’avocat et enseignant en droit Pierre Gentillet dans un discours en forme de cours de philosophie politique. Sont cités tour à tour Carl Schmitt, Marcel Mauss, les pères de la sociologie allemande… autant de références qui ont plutôt l’habitude d’endormir l’auditoire lambda. Le maitre est pourtant vivement applaudi. Peut-être s’adresse-t-il à un public spécifique.

Les étudiants du syndicat la Cocarde figurent en bonne place sur les stands de l’Iliade. 

Europe et Occident

Plutôt habitué des plateaux de CNews, Pierre Gentillet parle aujourd’hui devant l’Institut Iliade, une organisation qui défend « la longue mémoire européenne et lutte contre le grand remplacement ». Longtemps inconnue du grand public, elle fut récemment médiatisée après l’annulation d’une réunion d’hommage, prévue le 21 mai 2023, à Dominique Venner, écrivain et historien qui s’était donné la mort en 2013 à Notre-Dame. Fondé il y a une dizaine d’années en mémoire de ce geste spectaculaire, l’Institut se réunit chaque année en colloque à la Maison de la Chimie et planche sur un thème. Il s’agira cette année, selon l’intitulé, de passer : « de l’héritage à l’engagement » Moitié think thank, moitié école de cadres, l’Institut dispose d’un circuit éditorial pour publier des ouvrages ou essais sur les penseurs de la mouvance conservatrice et organise des cycles de formation intellectuelle pour les jeunes cadres de la droite radicale. L’Institut Iliade est une émanation lointaine de la Nouvelle Droite, un courant apparu à la fin des années 1970 qui s’inspirait des idées de la Révolution conservatrice allemande : soit la défense de la civilisation européenne, des hiérarchies naturelles et de la tradition… il prônait aussi un retour aux religions ancestrales de l’Europe, c’est-à-dire le paganisme alors que le christianisme était jugé impropre à traduire ce que le génie européen avait de spécifique.

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L’Europe justement est ici dans toutes les bouches des intervenants. Le professeur d’Université Olivier Battistini refait les guerres du Péloponnèse et opère de savantes distinctions entre les concepts d’Europe et d’Occident, l’essayiste Thibaud Gibelin parle de refonder le Saint Empire… L’occasion d’une telle réunion parait favorable à l’approche des élections européennes. On trouve pourtant peu de candidats ou de responsables de partis politiques.

Les organisateurs du colloque ne se formalisent pas de ces absences. Délaissant le combat électoral, l’Institut opte depuis sa fondation pour une approche « métapolitique » et cherche à investir le champ social, culturel et idéologique pour préparer une prise du pouvoir. La nouvelle droite a popularisé dans les milieux conservateurs les idées de l’intellectuel communiste italien Antonio Gramsci, qui invitait à durcir le combat culturel dans un processus de prise du pouvoir.

Paul-Marie Couteaux, Antoine Dresse, Bernard Lugan…

A la guerre culturelle comme à la guerre, on trouve sur les stands des livres, des objets artisanaux, des gravures, des revues savantes et même du pâté et du saucisson, lesquels promeuvent « une culture régionale et enracinée ». Par-delà le folklore, cette nébuleuse compte de nombreux médias et réseaux de diffusion. Certains sont actifs depuis longtemps : Radio Courtoisie et TV Libertés diffusent un traitement alternatif de l’actualité. Le stand de la Nouvelle Librairie, présente depuis 2018 dans le quartier Latin rue de Médicis est à l’honneur. Ses auteurs vedettes dédicacent : l’historien africaniste Bernard Lugan, le romancier Olivier Maulin ou le professeur de droit Frédéric Rouvillois.

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Outre ces structures déjà installées, on s’étonne dans les allées de la multiplicité des initiatives nées dans le sillage de l’Institut comme de leur rajeunissement. On trouve des organisations type Académia Christiana médiatisée après une tentative de dissolution du gouvernement ou le collectif Némésis qui prône « un féminisme identitaire »… Mais aussi des nouvelles venues : un bar associatif pour étudiants rouennais, des médias en ligne, des jeunes revues animées par des étudiants. Les Ecrits de Rome, revue sur papier glacé de 40 pages en est à son 8e numéro et enchaine les entretiens avec les intellectuels conservateurs et des dossiers éclectiques : Jünger, Chesterton, Tolkien… Un youtubeur, Antoine Dresse, propose des cours de philosophie sur des auteurs aussi difficiles d’accès que Heidegger ou Spengler. La qualité pédagogique de sa chaine, Ego Non, en font un influenceur déjà reconnu[1]. La jeunesse est en tout cas au rendez-vous et circule entre l’auditorium, les stands et la buvette. Gage d’ouverture, l’Institut invite également l’intellectuel souverainiste et directeur de la revue « Le Nouveau Conservateur » Paul-Marie Couteaux, lequel vient « puisqu’après tout, on l’a invité » ; avant de se justifier : « je suis plus convaincu par l’idée d’une civilisation française qu’européenne mais j’ai toujours prôné l’Union des droites… »

Le souverainiste Paul-Marie Couteaux vient en ami et tient le stand de sa jeune revue « le Nouveau Conservateur ». 

La Nouvelle Droite a réussi à mettre l’esthétique de son côté. La mise en scène à la tribune célèbre les figures historiques de l’Europe. La littérature est omniprésente sur les stands : les exemplaires de Livr’arbitres, revue littéraire de qualité, se vendent comme des petits pains. On peut se procurer des ouvrages d’occasion de Jünger, de Fraigneau, de Tolkien, de Chesterton ou de Julius Evola… Un peu déshéritée par la génération des baby-boomers, toute une jeune génération apprécie d’être prise au sérieux et de se voir proposer un contenu intellectuel de qualité. L’Institut est devenu plus audible depuis que le Rassemblement national et Reconquête ! ont infléchi leur position sur l’Europe. Au parti de Marine Le Pen, il n’est plus vraiment question de sortie de l’UE ni même de l’euro. Reconquête ! fait de son côté campagne aux européennes sur le thème de la défense de l’identité européenne.

A droite, peu de structures disposent d’une telle capacité d’attraction. Pour toute une jeunesse militante, la formation intellectuelle semble désormais passer par l’Institut.


[1] https://www.youtube.com/channel/UC5fzl79Ep4fWSmQnDUI468w

À quel poste joue Carlos Tavares, au juste?

« Si vous estimez que ma rémunération n’est pas acceptable, faites une loi et je la respecterai » se défend le PDG de Peugeot.


« Comme pour un joueur de foot, il y a un contrat » … « ou un pilote de Formule 1 », a déclaré Carlos Tavares, le président de Stellantis, quatrième constructeur automobile mondial, pour défendre sa rémunération de 36,5 millions d’euros pour 2023, sur laquelle les actionnaires avaient à se prononcer le 16 avril, mais à titre non contraignant[1]. À première vue, c’est plus qu’impressionnant : scandaleux. Par rapport à un salarié de base de Stellantis, l’écart est colossal et peut engendrer un sentiment d’absolue injustice sociale, comme une pulsion révolutionnaire. Et après on réfléchit !

Un accord contractuel sur les résultats à venir

Carlos Tavares est déjà de bonne composition en se comparant à un joueur de foot dont la durée de carrière va être limitée et qui, aussi génial qu’il puisse être sur le plan sportif avec les retombées financières et commerciales qui suivront, ne peut pas arguer d’une utilité sociale et économique comparable à la sienne.
Il n’empêche que l’accord contractuel ne peut pas être un chiffon de papier.
Carlos Tavares allègue également que 90 % de ce salaire mirifique dépendront de ses résultats et de sa capacité de mener l’entreprise chaque année vers le meilleur. Si ce n’était pas le cas, il n’y aurait pas l’ombre d’une polémique sur ses émoluments, puisque déjà inférieurs à ceux de la plupart de ses collègues en Europe et aux États-Unis ; ils auraient été fortement réduits.
J’apprécie la sérénité avec laquelle Carlos Tavares, sans la moindre arrogance ni contrition, accueille cette controverse, spécifique d’une forme de jalousie française qui déteste que les créateurs d’entreprise et les patrons de société (même admirés par beaucoup, si on sort de la haine de l’extrême gauche qui confond l’exigence d’égalité avec la ruine de tous) gagnent beaucoup d’argent. Comme s’ils ne l’avaient pas mérité par leur travail et leur réussite ruisselant, quoi qu’on en dise, bien au-delà d’eux-mêmes.

LFI vent debout

Il est utopique de s’illusionner : il n’est personne, au plus haut niveau, qui, par décence ou sens de la mesure, accepterait de sacrifier ses propres avantages.
Carlos Tavares souligne qu’une loi pourra intervenir en édictant des montants maximums, et qu’il la respectera. Cette éventualité constituerait un pas de plus vers la caporalisation d’une société de moins en moins libérale alors que d’aucuns persistent à dénoncer un ultralibéralisme qui n’a jamais existé.
LFI a annoncé précisément son intention de déposer une telle proposition de loi visant à réduire l’écart des salaires entre 1 et 20.
Je voudrais ajouter un argument à ce qui n’est même pas la plaidoirie de Carlos Tavares. Il est paradoxal et d’une certaine manière choquant qu’on mette en cause une excellence concrétisée par des résultats exceptionnels qui ont été rudement conquis, notamment par des licenciements : je ne méconnais pas la rançon qui a été payée par certains ! Mais il reste que dans d’autres univers, notamment politique et médiatique, non seulement les échecs ne nuisent pas mais parfois ils rapportent. Ainsi un Carlos Tavares devrait rendre des comptes quand ils sont au beau fixe ! grâce à ses salariés mais aussi à son aptitude à la direction et à sa compétence. En revanche, le politique battu, le ministre médiocre, les conseillers déplorables sont dans la tradition française intouchables. C’est trop facile de soutenir qu’il y a des élections quand incontestablement des désastres ont été causés et qu’ils justifieraient des sanctions.

Je comprends le sentiment des salariés de Stellantis qui doivent vouloir une part plus importante de cette manne collective mais sans Carlos Tavares, elle aurait été moindre. Cette protestation – « cette rémunération est complètement illégitime dans un contexte où la plupart de nos sites de production souffrent » – de Christine Virassamy[2], la secrétaire du CSE de l’usine de Rennes peut s’entendre et même s’expliquer. Carlos Tavares, dont la rémunération prévue n’est pas « illégitime », joue à un poste capital : celui sans lequel les autres n’auraient aucun sens.


[1] https://www.lefigaro.fr/societes/comme-pour-un-joueur-de-foot-il-y-a-un-contrat-carlos-tavares-defend-sa-remuneration-de-36-5-millions-d-euros-20240416

[2] https://www.leparisien.fr/economie/365-millions-deuros-en-2023-le-salaire-astronomique-de-carlos-tavares-fait-a-nouveau-polemique-15-04-2024-N7DHOSOVGVCANFSJYMHTU2CTGE.php

Élections européennes: pourquoi il ne faut pas mettre tous les eurosceptiques dans le même sac

Cet article a d’abord été publié sur The Conversation. Alors que l’euroscepticisme progresse dans les urnes et s’installe dans l’opinion, comment en parler sans tomber dans la caricature ou le parti-pris ?


Alors que la date des élections européennes approche (les 8 et 9 juin 2024), une possible percée des mouvements eurosceptiques pourrait se profiler en France, sans pour autant menacer l’équilibre des forces au Parlement européen.

Cette progression dans les sondages se fait dans un climat médiatique réduisant régulièrement le champ du débat aux invectives, où l’on présente les eurosceptiques comme des mouvances menaçantes, le plus souvent en les amalgamant, ou pire, en faisant parfois des parallèles forts douteux avec les années 30 ; l’euroscepticisme y est mélangé aux termes « populistes », « dictature fasciste » ou « dictature du prolétariat ». Il semble pourtant nécessaire de sortir ce mot du champ lexical de l’extrémismedu complotisme, de l’antisémitisme, et autres « stagimat-ismes » pour mieux comprendre ce phénomène. Les eurosceptiques ne sont, ni plus ni moins, que l’ensemble des personnes tenant un discours critique à l’égard du projet européen : ces critiques peuvent avoir des thèmes (économie, immigration, démocratie, souveraineté) ou des intensités variables (autre-Europe, moins d’Europe, « Frexit »).

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Diffusion et mutation en France

Le cheminement du terme « eurosceptique » (eurosceptic) débute le 8 mars 1979 dans un article du East Grinstead Observer, un journal local du Sussex en Angleterre, d’où le mot se diffusera jusqu’à Londres, repris le 11 novembre 1985 dans un article du Times. En France, le mot s’installe dans le débat public dans les années 1990 à la faveur de la campagne référendaire sur le Traité de Maastricht, ce dernier devant renforcer l’intégration institutionnelle, politique et économique des pays membres (avec l’adoption de l’euro par exemple). Le terme « eurosceptique » permet alors de compacter derrière une seule appellation, des profils aussi divers que Jean-Marie Le Pen (FN), Philippe Séguin (RPR), Jean-Pierre Chevènement (PS) ou Georges Marchais (PCF). Le procédé est repris au moment du référendum de 2005, notamment lors d’une interview de Laurent Fabius (PS) par la journaliste Béatrice Schönberg qui le rapproche de Jean-Marie Le Pen (FN).

Interview de Laurent Fabius (à partir de 6 minutes 10) sur le plateau du Journal de 20 heures de France 2 le 22 mai 2005.


À la suite de la victoire du « non », puis de la ratification du Traité de Lisbonne en 2008, des sécessions au sein des « partis de gouvernement » se produisent. Autour de ces personnalités, de nouvelles formations apparaissent comme Debout la République de Nicolas Dupont-Aignan, ou le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon. Et si certains eurosceptiques décident de rester au sein des structures traditionnelles comme Arnaud Montebourg et Henri Emmanuelli au Parti socialiste, ou Jacques Myard et Charles Pasqua à l’UMP, leurs tendances ne parviendront plus à s’imposer au sein de leur famille politique. Dès lors, dans les médias, le mot « eurosceptique » commence un long et lent glissement sémantique vers l’extrémisme et le complotisme, soit un phénomène bien différent de celui observé dans d’autres pays, comme au Royaume-Uni, en Hongrie ou en Italie.

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D’autres modèles en Europe

Au Royaume-Uni, les eurosceptiques se distinguent de la trajectoire française par la conquête – et non la scission avec un grand parti de gouvernement (le Parti conservateur) -, le soutien de grands titres de presse, comme The Sun ou The Times (proche du Parti conservateur) et l’élargissement de la « fenêtre d’acceptabilité d’opinion », la fameuse fenêtre d’Overton qui serait l’allégorie du champ de l’acceptable en politique, avec la création du UK Independence Party (UKIP) – faisant progressivement du Brexit une alternative crédible aux yeux de la majorité des votants. Si l’euroscepticisme dominant au Royaume-Uni est euroclaste (« qui brise » l’Europe) à travers sa démarche de rupture (Brexit), celui en Europe centrale est europhobe, il joue sur la peur que génère la construction européenne. Les euroclastes veulent sortir de l’UE, les europhobes veulent y rester pour continuer à effrayer et gagner des voix. Le cas de Viktor Orban parlant d’une « menace extérieure » est exemplaire de ce que l’historien Paul Gradvohl qualifie de « fièvre obsidionale », soit l’idée d’une nation assiégée.

L’europhobie devient un élément de langage légitimant le maintien au pouvoir du leader – il ne s’agit donc plus de quitter l’UE mais d’en influencer la ligne par l’intérieur – un modèle dans lequel s’inscrit la Première ministre italienne, Giorgia Meloni.

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La France, un cas particulier ?

De ces exemples européens, qu’en retenir pour le cas français ? Doit-on rapprocher l’euroscepticisme de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon, de celui de Viktor Orban et de Giorgia Meloni, ou bien de celui de Nigel Farage et de Boris Johnson ? Aucun des deux. Marine Le Pen ne défend pas le « Frexit » (du moins depuis 2017 et le départ de Florian Philippot du Front national), et elle ne cherche pas à se maintenir au pouvoir, puisqu’elle n’y est pas.

Des manifestants anti-Brexit n’acceptent pas le verdict des urnes à Londres, octobre 2016. SIPA.

Marine Le Pen, mais aussi Jean-Luc Mélenchon, sont dans une démarche de conquête du pouvoir, nous pouvons donc relever a minima trois types d’euroscepticismes qui se distinguent par les objectifs à atteindre : un euroscepticisme de conquête (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon), un euroscepticisme de pouvoir (Viktor Orban, Giorgia Meloni) et un euroscepticisme de rupture (Nigel Farage, Boris Johnson).

Dans cette proposition de typologie (une parmi tant d’autres), l’euroscepticisme n’est plus subdivisé en extrême droite ou extrême gauche (avec toutes les connotations péjoratives que cela regroupe) mais subdivisé en objectifs.

L’euroscepticisme imaginaire

Nous n’avons pas évoqué un quatrième modèle, l’euroscepticisme imaginaire, celui qui s’opposerait à la paix, à la prospérité, qui souhaiterait une France petite et recroquevillée sur elle-même – cet euroscepticisme est celui que convoquent des personnalités comme Jacques Attali ou Emmanuel Macron. C’est un produit marketing qui vise à disqualifier les opposants politiques, à dresser des épouvantails qu’il sera facile de brûler par la suite, mais qui ne correspondent en rien aux objectifs réels des eurosceptiques que nous avons présentés précédemment. Dans L’art d’avoir toujours raison (1830), le philosophe allemand Arthur Schopenhauer nomme « L’extension » ce stratagème visant à « reprendre la thèse adverse en l’élargissant hors de ses limites naturelles, en lui donnant un sens aussi général et large que possible et en l’exagérant […] car plus une thèse est générale et plus il est facile de lui porter des attaques ».

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Ces méthodes de dénigrement, qui empêchent les critiques constructives de l’Union européenne, prennent parfois des formulations douteuses voir révisionnistes comme on a pu le voir dans certains articles où l’euroscepticisme est décrit comme « un concept ancré dans l’ADN de l’extrême droite allemande » ; ce qui revient à oublier le pan-européanisme nazi du XXe siècle – non, l’ADN de l’extrême droite allemande ne commence pas avec l’AfD. De même, un article tout à fait déplacé, voir malhonnête sur les capacités cognitives des Brexiteurs qui confond corrélation et causalité : une personne de milieu modeste aura statistiquement plus de difficultés à l’école, puis à trouver un emploi correctement rémunéré, l’amenant progressivement vers une situation de précarité – or, les économistes Julia Cagé et Thomas Piketty ont bien démontré que les communes populaires ont eu tendance à voter « non » en au référendum sur le Traité européen en 2005. Il ne s’agit donc pas d’une question cognitive ou biologique, mais d’une question économique et sociale – une question de classe.

Ainsi, l’euroscepticisme imaginaire en dit plus sur les soutiens à l’Union européenne qu’il n’en dit sur les eurosceptiques. Il montre que finalement, le populisme, les dénigrements ou les méthodes d’influences sur les électeurs (par la peur de la guerre, de la pauvreté, du nazisme), ne sont nullement l’apanage d’un camp plus que d’un autre. Il nous questionne quant à la bonne santé de nos démocraties.

Cet article a d’abord été publié sur The Conversation.

Le Grand Paris: une carte mentale?

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© Adil Benayache/SIPA

Alors que le « Grand Paris » peine encore à s’inscrire ou à s’imposer comme une réalité sensible pour les Franciliens, la Collection Cartoville lui consacre son premier guide touristique, et une exposition passionnante s’attaque au sujet à la Cité de l’architecture et du patrimoine.


En 1859, le Second Empire annexe à Paris nombre d’anciens faubourgs, de Belleville à Auteuil, de Vaugirard à La Chapelle, de Grenelle à Passy, faisant passer la capitale de douze aux vingt arrondissements enlacés aujourd’hui par l’anneau du périphérique. Combien de temps aura-t-il fallu aux bourgeois de Paris pour s’assimiler l’idée que Montmartre n’est plus un village extérieur à la grande cité, que Charonne est intégré à la ville, que Paris intramuros étend désormais son territoire jusqu’à l’enceinte de Thiers ? Des années, sans doute. Voire des générations de titis, d’apaches, de rentiers, d’aristos et de prolétaires : il y avait plus loin de la plaine Monceau à Belleville, que de Guermantes à Méséglise…

Extension à marche forcée

À la Cité de l’architecture et du Patrimoine, sise au Palais de Chaillot l’exposition Metro ! le Grand Paris en mouvement fermera ses portes le 2 juin prochain. Le catalogue témoigne de l’extension à marche forcée des connexions supposées transformer une capitale historiquement centrifuge en archipel métropolitain, sur le modèle des titanesques mégalopoles qui s’érigent partout sur la planète. Pour reprendre l’image d’Arnaud Passalacqua, spécialiste des questions liées à la mobilité urbaine, un des contributeurs de l’ouvrage édité sous la direction de Francis Rambert : « héritier du métro, le GPE [Grand Paris Express] se devrait de prolonger l’héritage, tout en tuant le père ». Et de conclure : « Une mission ambivalente, qu’il est peut-être hasardeux de confier à une infrastructure de fer, de verre et de béton ». C’est que, prise dans « la dynamique des flux », la Ville du XXIème siècle, en mutation accélérée, arrime sa forme au réseau, qu’on le veuille ou non.

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 « Grand » ou pas, Paris n’y échappe point. Le Grand Paris est ainsi passé de l’abstraction lyrique à la projection graphique. Il ne s’est pas encore mué en pratique collective, à l’instar de celle qui nous fait circuler aujourd’hui d’instinct d’un arrondissement à l’autre : la banlieue, quoiqu’on dise, se vit toujours, et pour longtemps semble-t-il, comme un assemblage hétéroclite d’extensions périphériques mal articulées entre elles, quand bien même la gentrification, liée à la difficulté devenue quasiment insurmontable de s’établir modestement dans Hidalgo Land, a largement repoussé ses frontières jusqu’aux confins de Montreuil ou d’Ivry.

Gallimard

Cartoville, d’excellents viatiques

En 2024, le Grand Paris reste donc moins une réalité vécue qu’une carte mentale qui multiplie ses repères (les gares, justement) mais n’a pas trouvé ses ancrages dans le vécu quotidien. Dès lors, l’idée d’un Cartoville « Grand Paris », guide touristique édité par Gallimard en partenariat avec #Explore Paris, sur le même modèle que les autres volumes de la collection, relève d’un optimisme téméraire, qui mérite d’être salué.

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Car votre serviteur n’a jamais eu qu’à se louer de ces excellents viatiques, surtout s’agissant de villes « décentrées », telle Bucarest, par exemple, dont il est malaisé d’appréhender d’emblée la topographie et l’ordonnancement. De Riga à Berlin, de Prague à Lisbonne, ces petits carnets de route graphiquement très élaborés déplient des cartes partielles, à l’échelle du passant, configurant la ville par zones d’intérêt, chacune renvoyant à ses ressources propres en matière de restauration, de shopping, de monuments ou d’activités culturelles, dans des pages agrémentées de photos en vignette qui donnent à percevoir d’un même coup d’œil le plan viaire et l’agrément du site.

Les cartes rebattues

S’agissant de Paris, il n’allait pas de soi de rompre radicalement avec l’approche traditionnelle consistant à sectoriser la capitale et ses aires périphériques sur la base des arrondissements parisiens et des municipalités adjacentes. Avec Grand Paris sous-titré « Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne », on passe « des îles au Quartier Latin », « du Louvre à la Tour Eiffel », du « Marais au 9ème arrondissement », pour survoler soudain un « Nord »  qui englobe Montmartre mais aussi Saint-Ouen, Saint-Denis, une partie de Gennevilliers et jusqu’à Villeneuve-La Garenne ; un « Nord-Est » qui à partir de La Villette, chemine d’Aubervilliers à Bobigny, intègre Le Pré Saint-Gervais, les Lilas, Romainville ; un « Sud, du 13è arr. à Vitry-sur-Seine », où figure Gentilly ou Villejuif… Certaines à l’échelle 500m, d’autres, quoique de format identique, à l’échelle du km – les cartes fournissent une idée parfois bien trompeuse des distances à parcourir. S’éloignant encore, le guide explore les « échappées vertes » de Rueil-Malmaison à Nanterre, poussant jusqu’à la forêt de Bondy, faisant retour sur les bords de Marne, voire détour vers le parc Georges-Valbon, entre Stains et Bonneuil.

Autant dire que c’est ratisser très large pour le jardin d’un seul homme. Et, quoiqu’on fasse, les « incontournables » adhèrent majoritairement aux attraits imprescriptibles de la Ville-Lumière légendaire – celle-là même qui part actuellement à vau-l’eau sous la pression des idéologues du buisson en pot, de l’événementiel et du cycle-roi.


A voir : Exposition Métro ! Le Grand Paris en mouvement. Cité de l’architecture et du patrimoine. Palais de Chaillot. Jusqu’au 2 juin.

A lire :

Catalogue Métro ! 295p. Coédition Cité de l’architecture et du patrimoine/ Société du Grand Paris/ Ministère de la Culture.

Metro ! Le Grand Paris en mouvement

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Cartoville. Grand Paris. 2 versions : français, anglais. Editions Gallimard.

Grand Paris: Paris - Hauts-de-Seine - Seine-Saint-Denis - Val-de-Marne

Price: 10,95 €

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La gauche perméable au fascisme qui revient?

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Rima Hassan, Manon Aubry et Jean-Luc Mélenchon. © SEVGI/SIPA

La gauche, qui alerte en permanence sur le retour des années 30 et de la bête immonde, porte le monstre qu’elle dénonce. Et les tentatives stupides de censure se multiplient. Le regard d’Ivan Rioufol


La gauche, qui alerte sur le « retour des années 30 » et de la « bête immonde », porte le monstre qu’elle dénonce. Le fascisme est dans ses rangs. C’est cette idéologie liberticide qui a conduit un élu belge proche de l’islamisme turc, Emir Kir, à envoyer la police pour interdire, mardi à Bruxelles, à des responsables conservateurs (dont Eric Zemmour, Nigel Farage, Viktor Orban) de se réunir dans un hôtel. « L’extrême droite n’est pas la bienvenue », a expliqué cet ancien socialiste belge, qui conteste le génocide arménien.

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À l’Université de Lille, une même intolérance dogmatique rassemblera Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan, candidate LFI pour les Européennes, sous le logo de Free Palestine qui a déjà effacé Israël et les Juifs de la carte. L’historien Georges Bensoussan, analysant ce rapprochement de l’extrême gauche avec l’islam politique, a déclaré mardi sur Europe 1 : « LFI me fait penser au populisme de Jacques Doriot. L’authentique risque de fascisme, c’est Mélenchon et ses sbires ». Alors qu’Emmanuel Macron ne cesse d’instrumentaliser les commémorations mémorielles pour alerter sur l’extrême droite, la gauche perdue se noie dans son attrait atavique pour les totalitarismes. Dans Un paradoxe français, Simon Epstein avait déjà noté, à propos de la Collaboration (Page 314) : « Beaucoup d’hommes d’extrême droite ne seront pas collaborateurs mais résistants, tandis qu’une nuée d’antiracistes, d’antifascistes, d’humanitaires et de pacifistes de toutes écoles se retrouveront collaborationnistes ou même pro-nazis fanatiques ». Doriot, venu du parti communiste, fut de ceux-là.

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S’il y a un air de famille entre les années 30 et aujourd’hui, il est dans la banalisation et la généralisation de l’antisémitisme. Mais si, à l’époque, la droite y était perméable, celle-ci est majoritairement devenue, au contraire, un rempart à Israël et aux Juifs, voués à la disparition génocidaire par l’islamo-palestinisme importé et, plus directement, par le djihadisme millénariste des mollahs iraniens. Or les hommages que rend Macron à la Résistance et « à ceux qui se sont levés pour la liberté » (le président en est à sa 26ème commémoration selon Le Figaro de ce mercredi, contre 13 pour François Hollande et 3 pour Nicolas Sarkozy) miment un courage qui en réalité fait défaut au chef de l’Etat. Certes, la soumission de la Belgique à l’islam colonisateur et à la censure de la gauche collaborationniste est plus avancée qu’en France. J’avais pu prendre la mesure de cette chape de plomb en ayant dû participer, dans une banlieue de Bruxelles et dans la quasi-clandestinité, il y a une dizaine d’années, à une réunion du nouveau Parti populaire de Mischaël Modrikamen, qui a depuis abandonné la partie. Toutefois, la France n’a toujours pas pris, non plus, la mesure de la dangerosité de la fusion entre la gauche révolutionnaire et le totalitarisme islamiste, qui emprunte aussi bien au nazisme qu’au communisme soviétique comme le rappelle Pierre-André Taguieff. Pour avoir détourné les regards en accusant les « populistes », ces lanceurs d’alerte, Macron a fait le lit du fascisme qui revient.

Paris, 11 novembre 2023 © MUSTAFA SEVGI/SIPA

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Amal, un esprit libre — et mort

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Lubna Azabal dans "Amal, un esprit libre" (2024) de Jawad Rhalib © UFO Distrib

Amal est le film dont on parle à mi-voix: nombre de distributeurs ne se sont pas risqués à programmer une œuvre qui malmène sérieusement l’idée que nous nous faisons des salafistes — des agneaux trop peu nombreux pour présenter un quelconque danger. Notre chroniqueur, mandaté pour le voir à Marseille, en est revenu visiblement enchanté — et soucieux.


Il est des boussoles d’autant plus fiables qu’elles indiquent systématiquement le sud. Prenez Libé, par exemple : Luc Chessel descend en flammes Amal, un esprit libre, le film de Jawad Rhalib sorti le 17 avril : « Sous prétexte de « réalisme », écrit cet aimable garçon, le film de Jawad Rhalib dresse un portrait caricatural et hypocrite de l’islamisme homophobe. Faux film sans cœur ni substance, fabriqué pour être vendu à la horde, un public peut-être grandissant, des passionnés de la « laïcité », qui en tout domaine pourrissent ce qu’ils croient vaillamment défendre. »
Fatalitas ! L’épouvantail « fasciste » se draperait désormais dans les oripeaux de la laïcité — enfin, ce que Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène, chargés jadis de la dépouiller de toute vertu républicaine, en ont laissé à leurs successeurs de l’Observatoire de la laïcité.
Je dois à la vérité de dire que dans le même temps, l’Huma parle d’un « magnifique thriller, implacable et éprouvant ». L’un est à gauche et l’autre pas — à vous de trier.


Rassurez-vous tout de suite : Amal est un film impeccablement scénarisé, joué, filmé et monté. Il y a bien longtemps que je n’avais pas vu dans un film francophone ce soin du cadrage, où un plan en plongée en dit plus long sur l’état d’esprit (dépressif) du personnage que trente discours didactiques.
Il y a par exemple un plan furtif où Amal, l’enseignante de Lettres héroïne de cette épouvantable histoire, range ses livres après qu’un commando islamiste a dévasté son appartement. Et dans un plan furtif, on voit les 1001 nuits
Avez-vous lu les 1001 nuits ? Non seulement c’est le plus grand roman jamais écrit en langue arabe, mais c’est l’un des dix livres essentiels de l’humanité. L’un de ses personnages récurrents est le calife de Bagdad, Haroun al Rachid — qui échangea des ambassadeurs avec Charlemagne, à qui il avait offert une clepsydre. Régulièrement, le calife descend dans les rues de Bagdad, en civil si je puis dire, accompagné de son poète favori, Abû Nuwâs.

Mauvaise idée…

Une classe d’élèves essentiellement immigrés de cette banlieue bruxelloise — Molenbeek peut-être — a pris à partie une fille désignée arbitrairement comme « sale lesbienne » (c’est sidérant comme l’image de la lesbienne hante les consciences musulmanes, un souvenir de ce que leurs arrière-grand-mères faisaient dans les harems avec les autres concubines, sans doute, l’iconographie sur le sujet est immense). Amal, elle-même musulmane, mais libérée, fumant, buvant, vivant maritalement avec un roumi) a cru bon de leur faire lire quelques poèmes d’Abû Nuwâs, plein de vin, de liberté, de libertinage et de beaux garçons : l’islam n’avait pas encore eu l’idée, au VIIIe siècle, de se parer d’une vertu farouche et homophobe.
Quelle idée a eu là l’enseignante ! Les parents d’élèves (en burka intégrale pour certaines, là-bas aussi ils entrent dans les établissements scolaires habillés pour impressionner et occuper le terrain) viennent protester — en hurlant, une mode de là-bas. De fil en aiguille, la jeune Monia ne supportera pas longtemps les déferlements de haine, avec mises en scène de mise à mort, qui s’étalent sur les rézosocios. Quant à Amal (attention, divulgâchage !), elle sera poignardée dans la rue par une autre de ses élèves, radicalisée par le prof de religion : elle remet ostensiblement son voile en sortant de classe, avec la mine extasiée de la Vraie Croyante. En vérité je vous le dis, une femme voilée, c’est louche ; une femme voilée radicalisée, c’est mortel.
Alors, cent mille femmes voilées, comme à Marseille…

Radicalisée, Jalila l’a été par le prof de religion, un certain Nabil — dont on nous dit innocemment qu’il est parti trois ans auparavant faire un stage de salafisme en Egypte. C’est l’un des personnages principaux. Au contraire des adultes qu’il fréquente et qu’il conseille, il n’exhibe pas sur son front la tabaâ, la marque laissée par les chocs répétés de la tête sur le sol pendant la prière — la marque des vrais croyants : boum, boum, boum ! qui est là, c’est un croyant qui se cogne le front. Non : il porte un costume, une cravate, il est occidentalisé au possible : en fait, il est un Frère sous couverture. Un parfait petit Tariq.

… mauvais esprit français

(Parenthèse. Les cours de religion sont obligatoires dans les écoles publiques belges. Il est question de les rendre facultatifs à la rentrée 2024. Mais j’ai dans l’idée que les cagots de toutes farines sauront se mobiliser pour préserver la poule aux œufs d’or — et leur influence sur leurs ouailles).
Ce film prenant, sans temps morts, a été co-produit par la RTBF. J’attends avec impatience (et scepticisme, je l’avoue) que France Télévisions diffuse un film sur la montée du salafisme dans les écoles françaises.

Mais où ai-je la tête… Ce n’est pas chez nous que l’on tuerait des enseignants en criant « Dieu est grand » !

Zemmour chez les Belges

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Eric Zemmour à Bruxelles, 17 avril 2024 © Virginia Mayo/AP/SIPA

De la censure au sein des sociétés… Politiques et intellectuels nationalistes ou conservateurs se sont donné rendez-vous dans la capitale belge pour une conférence de deux jours. Mais, les autorités municipales de Saint-Josse-ten-Noode ont  interdit la manifestation, avant que le Conseil d’Etat ne casse finalement cette décision. « Cela nous laisse incrédules et consternés », a déclaré l’Italienne Georgia Meloni. Cette interdiction est « extrêmement inquiétante », s’est indigné l’Anglais Rishi Sunak. « Le bourgmestre socialiste Emir Kir utilise la police comme une milice privée pour interdire la conférence bruxelloise dont je suis l’invité avec Viktor Orban et Nigel Farage ! », a écrit le Français Éric Zemmour sur Twitter.


Ce mercredi 17 avril, le Conseil d’État belge a cassé l’arrêté du bourgmestre de la commune bruxelloise de Saint-Josse qui avait interdit, la veille, la tenue de la conférence devant réunir notamment Viktor Orban, Éric Zemmour et Nigel Farage, mais aussi l’universitaire Florence Bergeaud-Blackler. Cette décision illustre la contradiction que vivent les démocraties occidentales depuis plus de vingt ans, à savoir entre d’un côté les principes libéraux des États, et de l’autre, les pressions exercées par des groupes et des idéologies proto-totalitaires.

Emir Kir se prend pour l’émir de Saint-Josse-ten-Noode !

Le bourgmestre d’origine turque qui serait proche d’un groupe nationaliste violent (les « Loups gris » probablement soutenus et manipulés par Erdogan), manie bien par ailleurs, la rhétorique islamo-gauchiste de la diabolisation de l’extrême-droite « islamophobe » et « occidentalo-centrée ». Au prétexte de « garantir la sécurité publique », le maire Emir Kir s’est manifestement soucié davantage de contrôler et en l’occurrence de censurer, des propos politiques et des analyses sociologiques non conformes à ses propres convictions, que de la paix civile, comme en témoigne sa déclaration sur X : « à Etterbeek, à Bruxelles Ville et à Saint-Josse, l’extrême droite n’est pas la bienvenue ».

Ce type de censure politique exercée par certains élus locaux est en effet sous-tendu par des aprioris idéologiques et répond à la demande d’une mobilisation sociale sur laquelle ils fondent leur pouvoir. Face à ces nouvelles formes de censure, il est tentant d’invoquer une nouvelle fois les mânes de Voltaire en rappelant cette citation – apocryphe au demeurant : « Monsieur l’abbé [Le Riche], je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire. » La liberté d’expression ne peut en effet exister réellement que si la pluralité des idées et le débat contradictoire sont assurés. C’est bien ce pourquoi le « patriarche » de Ferney lutta et fut persécuté par la censure royale.

Le « cordon sanitaire » belge

En démocratie, les partis politiques ont le droit de nouer ou pas des alliances électorales ou de former des coalitions gouvernementales avec les partenaires de leur choix. Mais entraver le droit de réunion ou l’accès aux médias de certaines formations politiques légales ou de certaines personnalités en les affublant de l’étiquette infâmante « d’extrême droite », cela relève de l’autoritarisme lorsque c’est le fait d’une puissance publique (notamment en faisant usage de la force publique comme le déploiement de policiers interdisant l’accès à la salle du meeting à Bruxelles), et relève du terrorisme intellectuel lorsque cela est mis en œuvre par des acteurs de la société civile.

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Or, en Belgique francophone, depuis les années 90, dans le monde politique de gauche et du centre, l’exclusion de toute alliance partisane avec un parti considéré comme étant d’extrême droite s’est accompagnée d’un dispositif « culturel » consistant dans un engagement des médias à ne pas donner la parole en direct à des partis qui – prétendument – défendent des thèses racistes ou discriminantes sur les questions de genre ou de culture. Cette mesure prive ainsi d’importants moyens d’expression non seulement une partie de la représentation politique nationale mais également de nombreux intellectuels ou artistes ne se conformant pas strictement au discours politiquement correct. Tout débat évoquant l’immigration ou l’islamisme, mais aussi la différence des sexes ou leur égale prétention à la présomption d’innocence notamment, est ainsi irrévocablement proscrit, dans un but clairement politique.

Il s’agit là en effet d’une tactique souvent explicite, comme on peut l’entendre précisément en Belgique où la question est tout à fait publique tant ses promoteurs sont sûrs de leur bon droit. Comme le dit Pascal Delwit « l’audiovisuel conserve un rôle important. On a pu l’observer lors du scrutin national de 2019. Le Parti populaire, le principal parti de droite radicale de l’époque, avait une très grosse présence sur les réseaux sociaux, mais la relation directe à la campagne électorale a été minimale et son absence de visibilité dans les débats en direct sur les médias audiovisuels ne lui a pas permis de franchir le seuil électoral des 5 %[1] ».

La Belgique n’est pas un cas isolé

Cette prise de position politique des médias belges n’est au demeurant pas très éloignée de celle des médias mainstream en France. Certes les responsables politiques sont reçus de façon plutôt équitable sur les plateaux des chaînes françaises, même si les journalistes qui les interrogent se laissent aller parfois à manifester leur hostilité à leur égard sur le mode ironique ou plus agressif. Mais les universitaires, les artistes, les intellectuels qui osent s’écarter du politiquement correct sont très rarement invités, voire sont carrément « annulés », « invisibilisés », interdits d’expression selon le principe de la « cancel culture ».

Plutôt que d’expliciter en quoi des propos ou des opinions seraient racistes, antisémites ou antidémocratiques et promouvant une vision autoritaire de la politique, on les renvoie péremptoirement aux enfers du fait de leur odeur diabolique. Depuis les années 80 il est ainsi quasiment systématique de qualifier de « nauséabonds » des propos que l’on souhaite écarter du débat en les assimilant à l’extrême droite (entendue comme résurgence du nazisme). Le Mal, le Malin, est identifié notamment par son odeur, c’est bien connu, et, cette marque olfactive permet l’économie de toute argumentation raisonnée.

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Dès lors, le repoussoir diabolique est brandi pour s’en prendre à la gauche démocratique et laïque, mais également à ceux qui osent défendre Israël dans sa lutte existentielle, à tout ce qui résiste en somme aux dérives gauchistes, wokistes, islamo-complaisantes et propalestinistes. Comme le bolchevisme refusait de reconnaître aux socialistes leur appartenance au camp des travailleurs et du progrès social et en faisait des « ennemis de classe», les chasseurs de réactionnaires et les pourfendeurs de l’extrême droite hypostasiée, se revendiquant du camp du Bien, dénient aux autres quels qu’ils soient, le droit à la parole.

Mise au pas

Si les États démocratiques ont renoncé à la censure institutionnelle, certains ont alors cependant commencé à faire machine arrière, en adoptant des législations dangereuses plus perverses. L’enfer étant pavé de bonnes intentions, on peut craindre en effet que les « lois mémorielles » par exemple, pénalisant toute lecture historique déviante de l’histoire officielle (aussi bien fondée soit-elle) entravent tout autant la recherche historique que la libre expression politique. Mais ces décisions politiques procèdent d’un climat idéologique global qui s’est installé sournoisement, et sont désormais prises sous l’influence et/ou les pressions de certains acteurs sociaux nationaux et transnationaux.

Dans nos pays démocratiques occidentaux, la mise au pas, la « mise en conformité » (Gleichschaltung disait-on sous le nazisme) est à nouveau partout à l’ordre du jour, y compris indirectement du fait des pouvoirs publics. Mais surtout, ce sont des groupes militants qui instaurent la censure, et comble de cynisme, c’est le plus souvent au nom du « droit à la différence », au nom des particularismes contre l’universalisme prétendument instrument de domination, que se met en place le système d’intimidation. L’autocensure fait alors fonctionner la machine plus sûrement que ne le ferait une censure officielle. Car la montée aux extrêmes par la banalisation de la violence en parole et en acte va de pair avec la généralisation des attitudes « profil bas » et l’obsession de « ne pas faire de vagues ». Radicalité et conformisme vont de pair dans tous les autoritarismes. Bernardo Bertolucci[2]avait pointé cette caractéristique des fascismes. La censure d’État est bien sûr toujours en vigueur dans les dictatures de tout type (qui sont légion de nos jours encore, de la Russie à l’Iran, de la Chine à l’Algérie en passant par Cuba, la Corée du nord ou le Zimbabwe). Et dans certaines démocraties qui connaissent une dérive autoritaire comme la Hongrie de Viktor Orban, des mesures à l’encontre de la presse d’opposition peuvent être prises, limitant de fait la liberté d’expression politique. Mais une autre censure plus diffuse et redoutable mine les démocraties libérales. Venue du cœur de la société elle-même, les pressions se faisant de plus en plus nombreuses et violentes de la part de certains groupes minoritaires très mobilisés, cette censure met en œuvre une nouvelle sorte d’autoritarisme à visée totalitaire.

Par chez nous, la censure est donc devenue horizontale, elle ne procède plus tant de l’État que de la société. Effet pervers des sociétés démocratiques, le justicialisme a imprégné la sphère politique, enflammé les esprits et mobilisé les foules. La morale se substitue alors au droit. Une légitimité auto-proclamée prétend se substituer à la légalité. Nouveau croisé, justicier, le censeur moralisateur fait taire et malmène les anticonformistes et les libres penseurs au nom de la lutte contre ladite extrême droite. Qu’ils partagent ou non les positions des partis d’Éric Zemmour ou de Marine Le Pen, et surtout peut-être lorsqu’ils ne les partagent pas, les républicains ne peuvent donc que s’élever contre les entraves à leurs paroles et s’en alarmer.

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[1] https://www.nouvelobs.com/medias/20240306.OBS85322/en-belgique-il-existe-un-cordon-sanitaire-dans-les-medias-pour-contrer-les-discours-d-extreme-droite.html

[2] Voir (et revoir) Il Conformista, film du réalisateur italien sorti en 1970.

Monsieur Propret

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Jordan Bardella au Salon de l’agriculture, 25 février 2024 © Alain Robert/Sipa

Le dauphin de Marine Le Pen maîtrise à la perfection la grammaire des réseaux sociaux. Vidéos et selfies l’ont rendu populaire auprès des jeunes et lui permettent d’éviter les sujets qui fâchent.


Le dauphin qui les fait tous flipper !

Jean-Marie Le Pen disait toujours qu’un FN qui ne fait pas peur n’intéressait personne. Bardella est visiblement en train de lui donner tort.

Les sondeurs s’interrogent sur les ressorts de la Bardellamania. Jeune et poli, il tranche avec le style des leaders historiques du parti. Comme il est le seul homme politique à figurer dans le classement des personnalités préférées du JDD, et que les compteurs de son compte TikTok s’affolent, on soupçonne ses communicants de sorcellerie.

Jordan « pas de vague »

Digital native, le président du RN a mis en place une stratégie aussi payante électoralement qu’ennuyeuse pour les commentateurs. Il évite les coups d’éclat. Ainsi peut-il séduire la minette de 20 ans en BTS ou la mère au foyer de la France périphérique sans décevoir la retraitée cougar qui s’inquiète pour sa sécurité sur la Côte d’Azur. Car il les lui faut toutes !

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Sur les réseaux sociaux, où il ne publie que des messages très courts (une ou deux phrases, jamais plus), Bardella fait le plein : 350 000 abonnés sur Facebook, 380 000 sur Twitter et… 1,1 million sur TikTok !« Nous y proposons un savant mélange entre des publications d’instants de campagne, d’instants de vie de Jordan, avec la reprise des meilleurs passages médias », raconte Raphaël Rible, assistant parlementaire de Marine Le Pen et community manager du RN. Quand on lui fait remarquer que Bardella ne dit pas grand-chose sur le réseau chinois, Rible confie : « Contrairement aux autres réseaux sociaux, même avec un compte qui a peu d’abonnés au début, une vidéo peut percer : leur algorithme est pensé pour qu’un nouveau venu ait autant de chance qu’un autre compte déjà très suivi. » La peur de déplaire expliquerait-elle la faiblesse du contenu politique ? « Les discours grandiloquents à la “Reconquête” sur la civilisation, on peut le faire de temps en temps, mais ce n’est pas ce qui fonctionne sur TikTok, qui est peu politisé contrairement à Twitter. Ce réseau social reste avant tout populaire et bienveillant, on y va pour s’amuser. » Loin des polémiques identitaires, Bardella multiplie les vidéos de moins d’une minute : Jordan au bistro, Jordan enchaînant de façon mécanique les selfies, Jordan qui conduit un tracteur, Jordan caressant un lapin trop mignon dans la mairie de Beaucaire, etc. Et quand il fait polémique, ce n’est pas voulu : par exemple quand il publie une vidéo avec la médaille que lui remettent les CRS de Saint-Vincent-du-Gard.

La « patte » Bardella

Bardella n’est jamais meilleur qu’à la télévision. Il est très à l’aise dans les joutes verbales, par exemple face à Louis Boyard, Karim Zéribi ou Yassine Belattar, chez Hanouna. Les mauvaises langues disent que son public se partage à égalité entre les identitaires des deux camps (ceux qui pensent que la France est « islamophobe » et ceux qui s’inquiètent de la voir islamisée).

Difficile de définir la « marque » ou la « patte » Bardella, tout juste s’autorise-t-il de temps à autre une petite blague accompagnée d’un smiley. Avant la diffusion du « Complément d’enquête » que lui consacre France 2, il persifle en regardant la bande-annonce du programme : « Ils ont même mis la musique qui fait peur… » On trouve quelques interventions un peu plus solennelles – lors du meurtre de Thomas à Crépol, par exemple.

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Bardella bénéficie d’une prime à la consensualité. Reste que séquencettes de quelques secondes, punchlines et vidéos sympathiques jouant d’abord sur l’émotion grand-remplacent les discours argumentés et construits de la politique d’autrefois. Pour le journaliste Nicolas Domenach, ce phénomène est aussi dévastateur pour la politique que la « fast fashion » pour la planète[1].


[1] Gabriel Attal et Jordan Bardella, les Tik et Tok de la politique, Challenges, 26 février 2024.

Ne vous réjouissez pas trop vite de l’annulation de la conférence Mélenchon/Hassan à Lille!

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Qu’on trouve vite une autre salle à Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan à Lille ! L’antisionisme et la rhétorique islamo-gauchiste se nourrissent des interdictions et de la pseudo « censure ». Mais un tel évènement dans le cadre universitaire était tout à fait discutable, alors que la direction de la fac se victimise. Le regard de Céline Pina.


Un meeting de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan qui devait se tenir demain à l’Université de Lille vient d’être annulé. En cause, à la fois l’accumulation de dérapages passés de la part de ces deux personnalités, et surtout le logo de l’association invitante, qui montre une Palestine d’où l’Etat hébreu a été éliminé – vieux fantasme islamiste. C’est la Palestine selon la charte du Hamas, autrement dit sans Juif, qui est ici mise en avant. Six mois après qu’un pogrome atroce ait eu lieu, il fallait oser !

Or, cela était passé crème : dans un lieu voué à l’érudition, peu de professeurs se sont insurgés publiquement contre de telles manipulations. Au point que sans une mobilisation d’intellectuels et de politiques, ce meeting qui avait vocation à rendre la haine d’Israël acceptable et assumable, aurait eu lieu avec le soutien de l’Université.

Victimisation

On aurait aimé que l’annulation par l’université de Lille d’une conférence de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan témoigne d’une prise de conscience par sa direction de la dimension problématique de la manifestation.
On aurait aimé qu’auprès de professeurs d’universités, de chercheurs et d’étudiants, la promotion de l’antisémitisme sous couvert d’antisionisme soit dénoncée.
On aurait aimé qu’il y ait ne serait-ce qu’un juste pour dire qu’il y a une différence entre critiquer un pays et vouloir son éradication. Car l’antisionisme, c’est refuser l’existence d’Israël, pas critiquer la politique de Netanyahou.
On aurait aimé que l’université de Lille soit à la hauteur de sa mission et de ses prétentions académiques.

Mais si elle annule cette manifestation, ce n’est hélas pas pour lutter contre l’antisémitisme véhiculé par l’affiche mais par pure lâcheté. Et sa direction l’écrit même dans un communiqué pour que personne n’ait de doutes sur sa réelle motivation (voir plus bas) : il ne s’agit pas ici de faire œuvre de responsabilité et d’autorité, mais de se rouler par terre en hurlant à la mise au pas politique et à l’atteinte aux libertés pédagogiques. Pour le Conseil d’Administration, que l’Université soit investie par une association diffusant une propagande antisémite qui nie l’existence d’Israël et en fait son logo pour que nul ne l’ignore, n’est apparemment pas un problème. Ce qui la dérange c’est de devoir rendre des comptes. La direction de l’Université de Lille tente bien sûr le coup du « nous sommes victimes de la méchante extrême-droite » dans cette histoire, ce qui équivaut à classer à l’extrême-droite tous ceux, qui voyant revenir la même haine contre les Juifs qui fut à l’origine de la Shoah, tirent la sonnette d’alarme. Ce n’est pas crédible, et on se demande bien comment, des professeurs d’université censés avoir pour viatique et honneur et la quête des faits et la connaissance et la vérité, peuvent accepter de se voir diriger par des personnes sans réelle colonne vertébrale ni exigences intellectuelles.

Ce ne sont pas les soutiens d’Israël qui créent des désordres dans nos facs

En effet, pour l’Université de Lille, non seulement « les conditions ne sont plus réunies pour garantir la sérénité des débats », mais surtout : « on ne peut que regretter, dans ce contexte, la pression exercée sur l’autonomie pédagogique et scientifique des établissements d’enseignement supérieur ». Ainsi par la grâce d’un communiqué d’universitaires, l’antisémitisme devient un facteur d’autonomie pédagogique ? Rayer un pays de la carte du monde par militantisme est devenu dans le même mouvement un geste scientifique ?

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En attendant, il y a de quoi s’interroger sur l’attitude de la présidence de l’Université. Parce que si cette conférence fait partie de l’enseignement dispensé par l’Université de Lille et est un marqueur d’ « autonomie pédagogique », alors l’Université aurait dû défendre les libertés académiques – puisque, selon elle, cette propagande LFI relève de la science. Elle a donc failli par couardise et faiblesse. Quant à la pression exercée, de quoi parle-t-on ? Les personnes menacées de mort en France comme celles qui ont fait l’objet de crimes politiques ou d’attentats ont été victimes d’une seule idéologie : l’islamisme. Quant à ceux qui exercent une chasse aux sorcières et bâillonnent leurs collègues comme les étudiants qui ont le malheur de mal penser à leurs yeux, ils appartiennent souvent à la mouvance islamo-gauchiste – dont LFI est le principal représentant politique. Ce parti joue un rôle dans l’explosion de la violence antisémite en France et l’affiche de ce meeting en annonçait clairement la couleur. Les autorités universitaires souhaitent-elles vraiment cautionner cela ?

Jean-Luc Mélenchon indiquait cet après-midi sur Twitter sa « tristesse de voir à Lille une université se dire victime de pressions et y céder en interdisant une conférence à quelques heures de sa tenue », précisant qu’« il aura suffi que le PS Jérôme Guedj dénonce le logo de l’association étudiante et qu’une députée macroniste appelle à créer des désordres pour anéantir la liberté universitaire et ses garants se coucher sans résistance ». Avant de conclure : « Nous tiendrons la conférence demain à Lille ».

Grand bien lui fasse, on ne retire pas à un obsessionnel sa haine ni son droit d’éructer sa rage dans quelque établissement de bas étage ou de haute couvée, mais l’Université n’est pas le lieu pour cela. Un espace consacré à l’étude et à l’érudition ne peut se faire le relais de la haine des Juifs, alors que nous avons connu et étudié la Shoah et que nous assistons au retour des mécanismes qui l’ont provoquée.

Paul Celan, poète et «guerrier juif» (sic)

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Le poète franco-roumain Paul Celan (1920-1970) © OZKOK/SIPA

Cinquante-cinq ans après son suicide à Paris (1970), évocation d’un substantiel et suggestif Cahier de l’Herne consacré à Paul Celan. Occasion et alibi d’un hommage.


C’est toujours comme requis que l’on aborde au pays de Paul Celan (1920-1970) – puisque Celan, réputé plus important poète de langue allemande depuis Rilke, est un pays.

Pays où l’on lit huit langues (russe, anglais, roumain, etc.) ; où, poète juif germanophone né à Czernowitz (Roumanie), l’on n’oublie ni le souvenir de l’Empire austro-hongrois, ni la Shoah (les parents de Paul Celan sont morts dans le camp de Michailovka en 1942-1943), ni Vienne qui révulse (tant l’antisémitisme y rôde encore en décembre 1947) et retient cependant – pour une raison : la rencontre décisive avec Ingeborg Bachmann[1].

Pays de Celan qui suppose la fuite de Vienne en juillet 1948 et l’accueil de Paris – Celan y passera près de la moitié de sa vie (1948-1970, lecteur d’allemand à l’École Normale Supérieure-Ulm à partir de 1959). Inassignable pays de Celan en vérité, qui ne se sépare pas de son œuvre : lui-même considérait sa vie – ce pays donc – « contenue dans (ses) poèmes ».


Dans L’Herne[2] qui lui est dédié, une large place est faite à des textes de philologie (sur tel ou tel poème), une autre est dévolue à des témoignages (dont Cioran), une autre encore au Celan traducteur (Shakespeare, Iessenine, Blok, Char, Michaux, etc.) ou aux « influences et lectures » (Kafka, Mandelstam, Hölderlin (omniprésents), Heidegger – le poème Todtnauberg évoque sa visite à Heidegger en 1967 et son attente déçue, etc.).

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Sa période surréaliste (Bucarest, 1945-1947) n’est pas négligée : « perversion des formes, pratique d’une écriture de plus en plus associative, désintégration de la syntaxe qui a un horizon historique et personnel » (J.-P. Lefebvre) : horizon des camps de la mort dont son poème Todesfuge (Fugue de mort) est l’illustration la plus célébrée.

Les recueils se succèdent – et de Pavot et mémoire (1952, mariage avec Gisèle de Lestrange) à Renverse du souffle (1967), l’obscurité grandit.

Comme le souligne encore J.-P. Lefebvre, « les manuscrits révèlent le caractère délibéré de ce processus de complexification. Celan supprime les identifiants primaires, images, toponymes : tout ce qui en apparence facilite, accélère la lecture du texte et en programme l’oubli ou l’altération ». 

L’« Affaire Goll » occupe une place à part (chapitre « Crises ») : elle dévaste Celan. La campagne de diffamation (pour plagiat) lancée en 1953 par Claire Goll (veuve du poète Ivan Goll, mort en 1950) est une calomnie. Démont(r)ée par Celan qui, pourtant, ne recueille pas les soutiens attendus ni ne suscite l’indignation escomptée – tant le mensonge est avéré et l’injustice, manifeste.

La meurtrissure sera sans remède et peut-être fatale. Cioran, que Celan traduit en allemand en 1954 (Cioran ne retouche rien : « On ne corrige pas Celan ») évoque l’« inaptitude (de Celan) au détachement ou au cynisme qui a transformé sa vie en cauchemar » (1988).

On mentionnera enfin l’usage cryptique, par Celan, de la citation – en particulier dans Le Méridien, discours nodal à l’occasion de la réception du prix Büchner (1960) : chaque citation y est indirecte. Malebranche, cité via Walter Benjamin ; Baudelaire via Benjamin Fondane ; Pascal dans la traduction de Chestov, etc. C’est selon Alexandra Richter une stratégie : outre le fait que le discours est ponctué de « N’oubliez pas que… », tous ces passeurs (Fondane, Chestov, Benjamin, etc.) sont juifs.

Il y a selon Celan – hypothèse mais qui semble fondée, par le caractère systématique du procédé – une liaison souterraine entre les différentes cultures nationales (« méridien culturel ») qui a été assurée par les Juifs. C’est un des messages postulés de Celan – peut-être pas le moindre.


L’Herne Celan, dir. Clément Fradin, Bertrand Badiou et Werner Wögerbauer, L’Herne, 256 pages.

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À lire également : le vade-mecum de Didier Cahen – comme un précipité inspiré : Lire Paul Celan (Tarabuste, 152 p.)

Lire Paul Celan: Suivi de Ecouter le silence

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Et… Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil.


[1] Une analyse extensive de son lien avec Celan eût été bienvenue dans L’Herne : elle est absente. On s’en consolera par la lecture du livre de Cécile Ladjali, Ordalie (Babel-Actes Sud) – dont cette liaison est le cœur secret, le trésor sensible.

[2] Où la présence de repères récapitulatifs bio- et bibliographiques (a fortiori lorsque vie et œuvre sont à ce point mêlées) eût été souhaitée.

Que reste-t-il de la Nouvelle Droite?

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Jeremy Baneton, jeune auteur d'un essai sur Maurice Barrès aux éditions de la Nouvelle Librairie et Antoine Dresse, animateur de la chaine Ego Non.

Le 6 avril à la Maison de la Chimie, l’Institut Iliade « pour la défense de la civilisation européenne » se réunissait en colloque. L’occasion d’une visite dans le lieu de formation privilégié des partis de droite identitaire… et de découvrir quelles étaient les têtes présentes.


« Celui qui vit le legs de ses ancêtres appartient à la communauté et donc au peuple » lance à la tribune l’avocat et enseignant en droit Pierre Gentillet dans un discours en forme de cours de philosophie politique. Sont cités tour à tour Carl Schmitt, Marcel Mauss, les pères de la sociologie allemande… autant de références qui ont plutôt l’habitude d’endormir l’auditoire lambda. Le maitre est pourtant vivement applaudi. Peut-être s’adresse-t-il à un public spécifique.

Les étudiants du syndicat la Cocarde figurent en bonne place sur les stands de l’Iliade. 

Europe et Occident

Plutôt habitué des plateaux de CNews, Pierre Gentillet parle aujourd’hui devant l’Institut Iliade, une organisation qui défend « la longue mémoire européenne et lutte contre le grand remplacement ». Longtemps inconnue du grand public, elle fut récemment médiatisée après l’annulation d’une réunion d’hommage, prévue le 21 mai 2023, à Dominique Venner, écrivain et historien qui s’était donné la mort en 2013 à Notre-Dame. Fondé il y a une dizaine d’années en mémoire de ce geste spectaculaire, l’Institut se réunit chaque année en colloque à la Maison de la Chimie et planche sur un thème. Il s’agira cette année, selon l’intitulé, de passer : « de l’héritage à l’engagement » Moitié think thank, moitié école de cadres, l’Institut dispose d’un circuit éditorial pour publier des ouvrages ou essais sur les penseurs de la mouvance conservatrice et organise des cycles de formation intellectuelle pour les jeunes cadres de la droite radicale. L’Institut Iliade est une émanation lointaine de la Nouvelle Droite, un courant apparu à la fin des années 1970 qui s’inspirait des idées de la Révolution conservatrice allemande : soit la défense de la civilisation européenne, des hiérarchies naturelles et de la tradition… il prônait aussi un retour aux religions ancestrales de l’Europe, c’est-à-dire le paganisme alors que le christianisme était jugé impropre à traduire ce que le génie européen avait de spécifique.

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L’Europe justement est ici dans toutes les bouches des intervenants. Le professeur d’Université Olivier Battistini refait les guerres du Péloponnèse et opère de savantes distinctions entre les concepts d’Europe et d’Occident, l’essayiste Thibaud Gibelin parle de refonder le Saint Empire… L’occasion d’une telle réunion parait favorable à l’approche des élections européennes. On trouve pourtant peu de candidats ou de responsables de partis politiques.

Les organisateurs du colloque ne se formalisent pas de ces absences. Délaissant le combat électoral, l’Institut opte depuis sa fondation pour une approche « métapolitique » et cherche à investir le champ social, culturel et idéologique pour préparer une prise du pouvoir. La nouvelle droite a popularisé dans les milieux conservateurs les idées de l’intellectuel communiste italien Antonio Gramsci, qui invitait à durcir le combat culturel dans un processus de prise du pouvoir.

Paul-Marie Couteaux, Antoine Dresse, Bernard Lugan…

A la guerre culturelle comme à la guerre, on trouve sur les stands des livres, des objets artisanaux, des gravures, des revues savantes et même du pâté et du saucisson, lesquels promeuvent « une culture régionale et enracinée ». Par-delà le folklore, cette nébuleuse compte de nombreux médias et réseaux de diffusion. Certains sont actifs depuis longtemps : Radio Courtoisie et TV Libertés diffusent un traitement alternatif de l’actualité. Le stand de la Nouvelle Librairie, présente depuis 2018 dans le quartier Latin rue de Médicis est à l’honneur. Ses auteurs vedettes dédicacent : l’historien africaniste Bernard Lugan, le romancier Olivier Maulin ou le professeur de droit Frédéric Rouvillois.

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Outre ces structures déjà installées, on s’étonne dans les allées de la multiplicité des initiatives nées dans le sillage de l’Institut comme de leur rajeunissement. On trouve des organisations type Académia Christiana médiatisée après une tentative de dissolution du gouvernement ou le collectif Némésis qui prône « un féminisme identitaire »… Mais aussi des nouvelles venues : un bar associatif pour étudiants rouennais, des médias en ligne, des jeunes revues animées par des étudiants. Les Ecrits de Rome, revue sur papier glacé de 40 pages en est à son 8e numéro et enchaine les entretiens avec les intellectuels conservateurs et des dossiers éclectiques : Jünger, Chesterton, Tolkien… Un youtubeur, Antoine Dresse, propose des cours de philosophie sur des auteurs aussi difficiles d’accès que Heidegger ou Spengler. La qualité pédagogique de sa chaine, Ego Non, en font un influenceur déjà reconnu[1]. La jeunesse est en tout cas au rendez-vous et circule entre l’auditorium, les stands et la buvette. Gage d’ouverture, l’Institut invite également l’intellectuel souverainiste et directeur de la revue « Le Nouveau Conservateur » Paul-Marie Couteaux, lequel vient « puisqu’après tout, on l’a invité » ; avant de se justifier : « je suis plus convaincu par l’idée d’une civilisation française qu’européenne mais j’ai toujours prôné l’Union des droites… »

Le souverainiste Paul-Marie Couteaux vient en ami et tient le stand de sa jeune revue « le Nouveau Conservateur ». 

La Nouvelle Droite a réussi à mettre l’esthétique de son côté. La mise en scène à la tribune célèbre les figures historiques de l’Europe. La littérature est omniprésente sur les stands : les exemplaires de Livr’arbitres, revue littéraire de qualité, se vendent comme des petits pains. On peut se procurer des ouvrages d’occasion de Jünger, de Fraigneau, de Tolkien, de Chesterton ou de Julius Evola… Un peu déshéritée par la génération des baby-boomers, toute une jeune génération apprécie d’être prise au sérieux et de se voir proposer un contenu intellectuel de qualité. L’Institut est devenu plus audible depuis que le Rassemblement national et Reconquête ! ont infléchi leur position sur l’Europe. Au parti de Marine Le Pen, il n’est plus vraiment question de sortie de l’UE ni même de l’euro. Reconquête ! fait de son côté campagne aux européennes sur le thème de la défense de l’identité européenne.

A droite, peu de structures disposent d’une telle capacité d’attraction. Pour toute une jeunesse militante, la formation intellectuelle semble désormais passer par l’Institut.


[1] https://www.youtube.com/channel/UC5fzl79Ep4fWSmQnDUI468w

À quel poste joue Carlos Tavares, au juste?

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© ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

« Si vous estimez que ma rémunération n’est pas acceptable, faites une loi et je la respecterai » se défend le PDG de Peugeot.


« Comme pour un joueur de foot, il y a un contrat » … « ou un pilote de Formule 1 », a déclaré Carlos Tavares, le président de Stellantis, quatrième constructeur automobile mondial, pour défendre sa rémunération de 36,5 millions d’euros pour 2023, sur laquelle les actionnaires avaient à se prononcer le 16 avril, mais à titre non contraignant[1]. À première vue, c’est plus qu’impressionnant : scandaleux. Par rapport à un salarié de base de Stellantis, l’écart est colossal et peut engendrer un sentiment d’absolue injustice sociale, comme une pulsion révolutionnaire. Et après on réfléchit !

Un accord contractuel sur les résultats à venir

Carlos Tavares est déjà de bonne composition en se comparant à un joueur de foot dont la durée de carrière va être limitée et qui, aussi génial qu’il puisse être sur le plan sportif avec les retombées financières et commerciales qui suivront, ne peut pas arguer d’une utilité sociale et économique comparable à la sienne.
Il n’empêche que l’accord contractuel ne peut pas être un chiffon de papier.
Carlos Tavares allègue également que 90 % de ce salaire mirifique dépendront de ses résultats et de sa capacité de mener l’entreprise chaque année vers le meilleur. Si ce n’était pas le cas, il n’y aurait pas l’ombre d’une polémique sur ses émoluments, puisque déjà inférieurs à ceux de la plupart de ses collègues en Europe et aux États-Unis ; ils auraient été fortement réduits.
J’apprécie la sérénité avec laquelle Carlos Tavares, sans la moindre arrogance ni contrition, accueille cette controverse, spécifique d’une forme de jalousie française qui déteste que les créateurs d’entreprise et les patrons de société (même admirés par beaucoup, si on sort de la haine de l’extrême gauche qui confond l’exigence d’égalité avec la ruine de tous) gagnent beaucoup d’argent. Comme s’ils ne l’avaient pas mérité par leur travail et leur réussite ruisselant, quoi qu’on en dise, bien au-delà d’eux-mêmes.

LFI vent debout

Il est utopique de s’illusionner : il n’est personne, au plus haut niveau, qui, par décence ou sens de la mesure, accepterait de sacrifier ses propres avantages.
Carlos Tavares souligne qu’une loi pourra intervenir en édictant des montants maximums, et qu’il la respectera. Cette éventualité constituerait un pas de plus vers la caporalisation d’une société de moins en moins libérale alors que d’aucuns persistent à dénoncer un ultralibéralisme qui n’a jamais existé.
LFI a annoncé précisément son intention de déposer une telle proposition de loi visant à réduire l’écart des salaires entre 1 et 20.
Je voudrais ajouter un argument à ce qui n’est même pas la plaidoirie de Carlos Tavares. Il est paradoxal et d’une certaine manière choquant qu’on mette en cause une excellence concrétisée par des résultats exceptionnels qui ont été rudement conquis, notamment par des licenciements : je ne méconnais pas la rançon qui a été payée par certains ! Mais il reste que dans d’autres univers, notamment politique et médiatique, non seulement les échecs ne nuisent pas mais parfois ils rapportent. Ainsi un Carlos Tavares devrait rendre des comptes quand ils sont au beau fixe ! grâce à ses salariés mais aussi à son aptitude à la direction et à sa compétence. En revanche, le politique battu, le ministre médiocre, les conseillers déplorables sont dans la tradition française intouchables. C’est trop facile de soutenir qu’il y a des élections quand incontestablement des désastres ont été causés et qu’ils justifieraient des sanctions.

Je comprends le sentiment des salariés de Stellantis qui doivent vouloir une part plus importante de cette manne collective mais sans Carlos Tavares, elle aurait été moindre. Cette protestation – « cette rémunération est complètement illégitime dans un contexte où la plupart de nos sites de production souffrent » – de Christine Virassamy[2], la secrétaire du CSE de l’usine de Rennes peut s’entendre et même s’expliquer. Carlos Tavares, dont la rémunération prévue n’est pas « illégitime », joue à un poste capital : celui sans lequel les autres n’auraient aucun sens.


[1] https://www.lefigaro.fr/societes/comme-pour-un-joueur-de-foot-il-y-a-un-contrat-carlos-tavares-defend-sa-remuneration-de-36-5-millions-d-euros-20240416

[2] https://www.leparisien.fr/economie/365-millions-deuros-en-2023-le-salaire-astronomique-de-carlos-tavares-fait-a-nouveau-polemique-15-04-2024-N7DHOSOVGVCANFSJYMHTU2CTGE.php

Élections européennes: pourquoi il ne faut pas mettre tous les eurosceptiques dans le même sac

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Marine Le Pen et Jordan Bardella lancent la campagne des européennes, Marseille, 3 mars 2024 © Alain ROBERT/SIPA

Cet article a d’abord été publié sur The Conversation. Alors que l’euroscepticisme progresse dans les urnes et s’installe dans l’opinion, comment en parler sans tomber dans la caricature ou le parti-pris ?


Alors que la date des élections européennes approche (les 8 et 9 juin 2024), une possible percée des mouvements eurosceptiques pourrait se profiler en France, sans pour autant menacer l’équilibre des forces au Parlement européen.

Cette progression dans les sondages se fait dans un climat médiatique réduisant régulièrement le champ du débat aux invectives, où l’on présente les eurosceptiques comme des mouvances menaçantes, le plus souvent en les amalgamant, ou pire, en faisant parfois des parallèles forts douteux avec les années 30 ; l’euroscepticisme y est mélangé aux termes « populistes », « dictature fasciste » ou « dictature du prolétariat ». Il semble pourtant nécessaire de sortir ce mot du champ lexical de l’extrémismedu complotisme, de l’antisémitisme, et autres « stagimat-ismes » pour mieux comprendre ce phénomène. Les eurosceptiques ne sont, ni plus ni moins, que l’ensemble des personnes tenant un discours critique à l’égard du projet européen : ces critiques peuvent avoir des thèmes (économie, immigration, démocratie, souveraineté) ou des intensités variables (autre-Europe, moins d’Europe, « Frexit »).

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Diffusion et mutation en France

Le cheminement du terme « eurosceptique » (eurosceptic) débute le 8 mars 1979 dans un article du East Grinstead Observer, un journal local du Sussex en Angleterre, d’où le mot se diffusera jusqu’à Londres, repris le 11 novembre 1985 dans un article du Times. En France, le mot s’installe dans le débat public dans les années 1990 à la faveur de la campagne référendaire sur le Traité de Maastricht, ce dernier devant renforcer l’intégration institutionnelle, politique et économique des pays membres (avec l’adoption de l’euro par exemple). Le terme « eurosceptique » permet alors de compacter derrière une seule appellation, des profils aussi divers que Jean-Marie Le Pen (FN), Philippe Séguin (RPR), Jean-Pierre Chevènement (PS) ou Georges Marchais (PCF). Le procédé est repris au moment du référendum de 2005, notamment lors d’une interview de Laurent Fabius (PS) par la journaliste Béatrice Schönberg qui le rapproche de Jean-Marie Le Pen (FN).

Interview de Laurent Fabius (à partir de 6 minutes 10) sur le plateau du Journal de 20 heures de France 2 le 22 mai 2005.


À la suite de la victoire du « non », puis de la ratification du Traité de Lisbonne en 2008, des sécessions au sein des « partis de gouvernement » se produisent. Autour de ces personnalités, de nouvelles formations apparaissent comme Debout la République de Nicolas Dupont-Aignan, ou le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon. Et si certains eurosceptiques décident de rester au sein des structures traditionnelles comme Arnaud Montebourg et Henri Emmanuelli au Parti socialiste, ou Jacques Myard et Charles Pasqua à l’UMP, leurs tendances ne parviendront plus à s’imposer au sein de leur famille politique. Dès lors, dans les médias, le mot « eurosceptique » commence un long et lent glissement sémantique vers l’extrémisme et le complotisme, soit un phénomène bien différent de celui observé dans d’autres pays, comme au Royaume-Uni, en Hongrie ou en Italie.

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D’autres modèles en Europe

Au Royaume-Uni, les eurosceptiques se distinguent de la trajectoire française par la conquête – et non la scission avec un grand parti de gouvernement (le Parti conservateur) -, le soutien de grands titres de presse, comme The Sun ou The Times (proche du Parti conservateur) et l’élargissement de la « fenêtre d’acceptabilité d’opinion », la fameuse fenêtre d’Overton qui serait l’allégorie du champ de l’acceptable en politique, avec la création du UK Independence Party (UKIP) – faisant progressivement du Brexit une alternative crédible aux yeux de la majorité des votants. Si l’euroscepticisme dominant au Royaume-Uni est euroclaste (« qui brise » l’Europe) à travers sa démarche de rupture (Brexit), celui en Europe centrale est europhobe, il joue sur la peur que génère la construction européenne. Les euroclastes veulent sortir de l’UE, les europhobes veulent y rester pour continuer à effrayer et gagner des voix. Le cas de Viktor Orban parlant d’une « menace extérieure » est exemplaire de ce que l’historien Paul Gradvohl qualifie de « fièvre obsidionale », soit l’idée d’une nation assiégée.

L’europhobie devient un élément de langage légitimant le maintien au pouvoir du leader – il ne s’agit donc plus de quitter l’UE mais d’en influencer la ligne par l’intérieur – un modèle dans lequel s’inscrit la Première ministre italienne, Giorgia Meloni.

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La France, un cas particulier ?

De ces exemples européens, qu’en retenir pour le cas français ? Doit-on rapprocher l’euroscepticisme de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon, de celui de Viktor Orban et de Giorgia Meloni, ou bien de celui de Nigel Farage et de Boris Johnson ? Aucun des deux. Marine Le Pen ne défend pas le « Frexit » (du moins depuis 2017 et le départ de Florian Philippot du Front national), et elle ne cherche pas à se maintenir au pouvoir, puisqu’elle n’y est pas.

Des manifestants anti-Brexit n’acceptent pas le verdict des urnes à Londres, octobre 2016. SIPA.

Marine Le Pen, mais aussi Jean-Luc Mélenchon, sont dans une démarche de conquête du pouvoir, nous pouvons donc relever a minima trois types d’euroscepticismes qui se distinguent par les objectifs à atteindre : un euroscepticisme de conquête (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon), un euroscepticisme de pouvoir (Viktor Orban, Giorgia Meloni) et un euroscepticisme de rupture (Nigel Farage, Boris Johnson).

Dans cette proposition de typologie (une parmi tant d’autres), l’euroscepticisme n’est plus subdivisé en extrême droite ou extrême gauche (avec toutes les connotations péjoratives que cela regroupe) mais subdivisé en objectifs.

L’euroscepticisme imaginaire

Nous n’avons pas évoqué un quatrième modèle, l’euroscepticisme imaginaire, celui qui s’opposerait à la paix, à la prospérité, qui souhaiterait une France petite et recroquevillée sur elle-même – cet euroscepticisme est celui que convoquent des personnalités comme Jacques Attali ou Emmanuel Macron. C’est un produit marketing qui vise à disqualifier les opposants politiques, à dresser des épouvantails qu’il sera facile de brûler par la suite, mais qui ne correspondent en rien aux objectifs réels des eurosceptiques que nous avons présentés précédemment. Dans L’art d’avoir toujours raison (1830), le philosophe allemand Arthur Schopenhauer nomme « L’extension » ce stratagème visant à « reprendre la thèse adverse en l’élargissant hors de ses limites naturelles, en lui donnant un sens aussi général et large que possible et en l’exagérant […] car plus une thèse est générale et plus il est facile de lui porter des attaques ».

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Ces méthodes de dénigrement, qui empêchent les critiques constructives de l’Union européenne, prennent parfois des formulations douteuses voir révisionnistes comme on a pu le voir dans certains articles où l’euroscepticisme est décrit comme « un concept ancré dans l’ADN de l’extrême droite allemande » ; ce qui revient à oublier le pan-européanisme nazi du XXe siècle – non, l’ADN de l’extrême droite allemande ne commence pas avec l’AfD. De même, un article tout à fait déplacé, voir malhonnête sur les capacités cognitives des Brexiteurs qui confond corrélation et causalité : une personne de milieu modeste aura statistiquement plus de difficultés à l’école, puis à trouver un emploi correctement rémunéré, l’amenant progressivement vers une situation de précarité – or, les économistes Julia Cagé et Thomas Piketty ont bien démontré que les communes populaires ont eu tendance à voter « non » en au référendum sur le Traité européen en 2005. Il ne s’agit donc pas d’une question cognitive ou biologique, mais d’une question économique et sociale – une question de classe.

Ainsi, l’euroscepticisme imaginaire en dit plus sur les soutiens à l’Union européenne qu’il n’en dit sur les eurosceptiques. Il montre que finalement, le populisme, les dénigrements ou les méthodes d’influences sur les électeurs (par la peur de la guerre, de la pauvreté, du nazisme), ne sont nullement l’apanage d’un camp plus que d’un autre. Il nous questionne quant à la bonne santé de nos démocraties.

Cet article a d’abord été publié sur The Conversation.