Accueil Édition Abonné Avril 2024 Jordan Bardella: «Je suis l’enfant de la génération 2005-2015»

Jordan Bardella: «Je suis l’enfant de la génération 2005-2015»

Confession d'un enfant du siècle (1/2)


Jordan Bardella: «Je suis l’enfant de la génération 2005-2015»
Jordan Bardella. © Hannah Assouline

La liste Bardella caracole en tête des intentions de vote. Comme Nicolas Sarkozy en 2007, le président du RN veut rassembler les classes populaires, les classes moyennes et cette partie des élites qui partage leurs inquiétudes identitaires. Convaincu que les excès et les outrances font perdre du temps au combat, il pense, comme Giscard, que la France se gagne au centre.


Il est le cauchemar des journalistes d’investigation. Ils ont beau fouiller, ils n’ont toujours pas déterré de turpitude enterrée ou de vice caché, sinon un vague compte Twitter où il aurait, parait-il, exprimé sous couverture de mauvaises pensées. Si ça se trouve, Jordan Bardella est ce qu’il a l’air d’être –et qu’il revendique : un type raisonnable, habité par un sentiment de devoir contracté très tôt, quand ses parents se privaient parfois pour lui offrir une jeunesse paisible et une bonne éducation. Durant l’heure et demie qu’a duré notre discussion, le patron du RN a évoqué à plusieurs reprises sa méfiance pour les excès et outrances qui, selon lui, ont fait perdre du temps à sa famille politique – suivez mon regard. C’est un lieu commun : enfant de son époque, Bardella en maîtrise parfaitement les codes. Avec ses vidéos gentillettes, il est expert dans l’art du vide qui attire le TikToker. Ce qui lui vaut d’être devenu l’idole des jeunes – un tiers des 18-24 ans. Les méchantes langues en concluent qu’il manque de fond. La vérité est plutôt que personne ne sait vraiment qui est Jordan Bardella – pas même lui sans doute. Pour la bonne raison que le gars est parfaitement sous contrôle, comme s’il redoutait plus que tout de dire une connerie, ne parlons pas d’en faire. Il n’a pas appris à déplaire. « Je n’ai pas le droit à l’erreur », répète-t-il. Cette peur viscérale de l’échec est certainement sa plus grande faiblesse • EL et JBR


Causeur. On ne se rappelle pas vous avoir vu vous énerver, ou vous laisser déborder par vos émotions. Avez-vous un cœur ?

Jordan Bardella. J’ai un très grand cœur, il bat (rire), mais je suis surtout un être de raison. Je sais que pour convaincre les Français de notre capacité à exercer des responsabilités, il faut savoir garder son sang-froid. Sur les plateaux de télévision, je sais que cela énerve mes interlocuteurs qui voudraient me faire ressembler à la caricature qu’ils font de nous depuis si longtemps. Mais c’est un fait que je suis, au fond, très raisonnable. Dans la vie, les excès font du mal, et c’est encore plus vrai en politique !

Donc, vous n’avez aucun vice, tabac, alcool, drogue ?

Peut-être un petit penchant pour les sablés au chocolat dont je tairai la marque. Ce qui désarçonne les journalistes, c’est que je suis très pudique. Plus jeune, j’étais carrément timide. C’est la politique qui m’a guéri.

Étiez-vous un enfant sage ?

Sage et studieux. Je ne traînais pas en bas de l’immeuble. Mais dans ma cité HLM de Saint-Denis, j’ai été confronté à l’insécurité, comme tout jeune qui grandit en banlieue. J’ai vu les dealers contrôler l’accès de l’immeuble, j’ai entendu les hurlements, les fusillades. J’ai été protégé de cette violence par l’éducation et les sacrifices de mes parents et, de facto, par mon caractère d’enfant casanier. Cette violence, je la voyais du balcon. Ce n’est pas parce qu’on vient de banlieue ou de cité qu’on finit délinquant. Il y a des millions de familles très pauvres qui arrivent à élever leurs enfants de manière irréprochable. Comme la mienne.

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Vous avez des frères et sœurs ?

Je suis fils unique. Mes parents se sont séparés lorsque j’avais un an et demi, donc je ne les ai jamais connus ensemble. J’allais chez mon père le week-end, dans le Val-d’Oise.

Vous avez vécu avec la France issue de l’immigration. Comment enrayer la sécession culturelle d’une partie de ses enfants ?

Par mes parents, je suis moi aussi un enfant de l’immigration, italienne dans notre cas. Je suis en somme davantage français par l’intensité du sentiment que par le sang. Beaucoup de Français issus de l’immigration avec lesquels j’ai grandi ont fait eux aussi cet effort de devenir des Français à part entière et non entièrement à part. Mais cet effort n’est plus exigé des générations qui viennent avec leur bagage, leurs coutumes, leurs mœurs, leur mode de vie. Tout cela rend impossible le vivre-ensemble.

La situation n’était pas radicalement différente dans votre adolescence. Vous aviez neuf ans lors des émeutes de 2005…

Ça se passait sous ma fenêtre. Autant, je n’ai aucun souvenir du référendum de 2005, autant je me souviens des émeutes comme si c’était hier : les voitures calcinées au bas de l’immeuble, les cris, les tirs de mortier le soir, mes sentiments. Je me souviens aussi de 2015, du Bataclan. J’ai été cette fois encore au cœur du réacteur, puisque la cité où j’ai grandi se trouve à 100 mètres du lieu de l’assaut contre les terroristes. Mon premier confinement, je l’ai vécu cette année-là à Saint-Denis, où j’ai été réveillé à quatre heures du matin par les tirs et par l’hélicoptère qui tournait au-dessus avec le projecteur. Je suis l’enfant de la génération 2005-2015.

Avez-vous gardé des amis de la cité ?

Oui, même si j’ai assumé mes positions politiques très tôt : j’avais 16 ans quand j’ai pris ma carte au FN. C’était pendant les présidentielles de 2012, au lendemain d’un débat télévisé mouvementé entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, dans « Des paroles et des actes » sur France 2. Cette femme avait un courage incroyable, ce qu’elle disait était à la portée de tout le monde. Quand elle parlait de la France, quand elle parlait des oubliés, ça me parlait. Elle comprenait ce sentiment de beaucoup de Français, y compris d’origine maghrébine, de ne plus reconnaître la France, de devenir des étrangers dans leur pays et sur leur sol. Dans ces quartiers, il n’y a plus grand-chose qui fait penser à la France, en tout cas à l’image de la France, la représentation collective que j’en avais à travers les livres d’histoire.

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Si on extrapole les courbes démographiques actuelles, la population française ressemblera, un jour, à celle de votre cité de Saint-Denis.

On mène une course contre le temps. Depuis 2012, ce sentiment d’urgence ne m’a pas quitté. Il faut avoir la lucidité de reconnaître qu’il y a une génération perdue et que l’enjeu, c’est de ne pas perdre la suivante. Des gens de 17 ans qui tirent au mortier sur les policiers et flirtent avec la radicalisation et/ou le trafic de drogues ne vont pas devenir demain des citoyens français exemplaires. Mais je ne crois pas que la situation soit irrémédiable, sinon je ne ferais pas de politique.

© Hannah Assouline

Que feriez-vous à ce sujet ?

Remettre de l’ordre à nos frontières et soutenir des politiques natalistes construites autour de la priorité nationale. Réserver les aides sociales et les allocations familiales aux citoyens français. Le modèle social français a été le meilleur carburant de la submersion migratoire. Cela nécessitera un référendum sur l’immigration pour inscrire dans la Constitution la priorité nationale, le traitement de l’asile dans les pays de départ et la suppression du droit du sol. La nationalité française s’hérite ou se mérite ! Il convient aussi de redresser l’école de la République.

Vous seriez prêt à assumer une crise institutionnelle, peut-être un bras de fer avec le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel ?

Comme le général de Gaulle, je pense que la cour suprême, c’est le peuple. Or, l’un des premiers problèmes de la politique d’immigration massive conduite en France est démocratique, car elle s’exerce de manière ininterrompue contre une majorité de Français. La révision constitutionnelle que nous proposons rendra l’ensemble des mesures visant à contrôler l’immigration irréfutables et incontestables.

Revenons à vous. On vous applique toujours les mêmes qualificatifs: bien élevé, sans aspérité, forme sans fond.

Il est très surprenant que mes adversaires me reprochent un manque de fond. Si je n’ai aucun fond, je ne représente aucun danger, pourquoi se soucient-ils de moi ? Je le répète, je suis un garçon raisonnable. Les excès ont parfois fait perdre du temps à notre famille de pensée. « Pour être l’homme de son pays, il faut être l’homme de son temps », disait Chateaubriand. Je suis un garçon de ma génération. Je ne ressemble pas aux caricatures, et cela dérange.

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En tout cas, votre ascension politique est fulgurante…

C’est vrai, je n’ai pas pris l’ascenseur social, plutôt l’escalier, mais peut-être en montant les marches quatre à quatre. Je fais à 28 ans ce que je devrais faire à 50 ans, avec derrière moi l’ENA et les grandes écoles.

Tout s’explique : vous n’avez jamais eu 20 ans.

En tout cas, je n’ai pas eu vraiment droit à l’insouciance. Et encore moins aujourd’hui, quand le moindre excès ou la moindre outrance de ma part pourrait nuire à notre combat donc aux Français.

Avez-vous un complexe par rapport aux politiques passés par l’ENA et les grandes écoles ?

Non, je n’ai pas de complexe, mais je sais que l’erreur ne me sera pas pardonnée. Alors que le Mozart de la finance peut laisser un déficit public record, un déficit commercial record, des prélèvements obligatoires record, ça ne choque personne…

Emmanuel Macron n’est pas attaqué, c’est une blague ?

Dans les médias, beaucoup moins que nous. Par les Français, c’est autre chose. Reste que, si nous arrivons au pouvoir, nous n’aurons pas le droit d’échouer.


La suite demain.

© Hannah Assouline

Avril2024 – Causeur #122

Article extrait du Magazine Causeur




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Elisabeth Lévy est directrice de la rédaction de Causeur. Jean-Baptiste Roques est directeur adjoint de la rédaction.

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