Un Cahier de l’Herne est consacré à Vladimir Nabokov
C’est toujours avec un grand plaisir qu’on revient à Nabokov, ce magicien des lettres. On lit et relit chacun de ses romans avec une délectation inoubliable. Il incarne à lui seul une idée à peu près complète de la littérature. Son œuvre est protéiforme, écrite dans plusieurs langues, mais chacun de ses livres porte la signature du grand maître ès romans qu’il fut. Ce numéro des Cahiers de l’Herne propose une rétrospective très informée de la vie de Vladimir Nabokov, en en abordant les différents aspects, comme l’inévitable chasse aux papillons, mais toutefois sans perdre jamais de vue le génie esthétique particulier d’un écrivain qui ramenait l’univers aux couleurs éclatantes d’une petite bille sphérique.
Le succès de Lolita
Ce Cahier fait évidemment la part belle à Lolita (1955), impérissable succès planétaire. Qui n’a pas lu cette œuvre parfaite, écrite dans un anglais d’exception ? Je ne résiste pas au plaisir de vous en citer un passage en anglais, au tout début, pour vous mettre (littérairement) l’eau à la bouche : « She was Lo, plain Lo, in the morning, standing four feet ten in one sock. She was Lola in slacks. She was Dolly at school. She was Dolores on the dotted line. But in my arms she was always Lolita. »[1]
Plusieurs articles de ce Cahier de l’Herne sont consacrés à ce roman culte, et notamment à sa réception à l’époque. Je mentionnerai l’article très caractéristique de Robbe-Grillet, intitulé « La notion d’itinéraire dans Lolita » dans lequel l’auteur des Gommes reconnaît presque s’identifier au personnage de Humbert Humbert. Il y a aussi la réaction étonnante de Dorothy Parker, en 1958, qui décrit ainsi le caractère de Lolita : « C’est une atroce petite créature, égoïste, dure, vulgaire, pénible. » Le personnage maléfique, pour Dorothy Parker, c’était Lolita et non son coupable beau-père. Pourtant, Nabokov lui-même avait mis en garde contre cette interprétation, indiquant que Lolita était plutôt une victime. C’est l’avis de Vanessa Springora, précoce lectrice de Lolita, qui nous offre ici une interprétation attentive du roman, en rendant justice à l’ambition de Nabokov (c’est aussi ma lecture de Lolita, désormais) : « L’écho de cette voix sacrifiée, écrit Springora en parlant de la nymphette, n’en finit pas de nous hanter. » Dans sa contribution, Agnès Edel-Roy défend le même point de vue, qui correspond à une perspective spécifiquement contemporaine, rendue possible selon elle par « la libération de la parole ».
Un choc émotionnel
Lolita n’est pas la seule œuvre de Nabokov au programme de ce Cahier. L’excellent Deny Podalydès, délaissant pour un temps Shakespeare, nous parle par exemple de Mademoiselle O (1939), ce récit de Nabokov écrit en français. On avait demandé à l’acteur de venir en faire une lecture à Beaubourg : « Ce fut un choc émotionnel, confie-t-il, de ces lectures qui m’ont sans doute plus marqué, moi, que les auditeurs. » Podalydès raconte qu’il est également un fervent admirateur de Feu pâle (1962). Chacun d’entre nous a ses romans préférés de Nabokov, et d’autres peut-être qu’il aime moins. J’avoue, pour ma part, avoir eu du mal avec Ada (traduit en 1975). Mais parmi ceux qui m’ont fasciné le plus, je peux citer La Méprise (1934) que Fassbinder porta à l’écran sous le titre anglais Despair, ainsi que l’autobiographie de Nabokov Autres rivages (1961) que le même Podalydès apprécie tant, par ailleurs : « Qui n’aurait envie, écrit-il, d’accéder à une pareille faculté de mémoire et de consignation de cette mémoire ? »
Nabokov, lecteur redoutable
Je vous conseille de lire ce Cahier de l’Herne consacré à Nabokov en le feuilletant au hasard ou au gré de votre intuition. Vous tomberez toujours sur un passage spécialement écrit pour vous, et auquel vous ne vous attendiez pas. Il en ira ainsi peut-être du texte assez amusant de Brice Matthieussent sur les détestations littéraires de Nabokov. Le professeur d’esthétique et traducteur de Nabokov propose une liste des auteurs classiques que l’écrivain, pourtant admirable lecteur, ne supportait pas : « le panthéon poussiéreux des prétendus génies littéraires, ainsi que les qualifie pour l’occasion Mattthieussent, qui sont en fait des escrocs à la réputation usurpée ». Parmi eux, on le sait, Sade et Freud. Mais aussi Balzac et Faulkner, et même Dostoïevski. On n’est pas obligé d’approuver…
Après avoir parcouru, plus ou moins en détail, comme je l’ai dit, ce très remarquable Cahier de l’Herne, qui comprend bien d’autres contributions encore dont je n’ai pas pu parler, faute de place, tout amoureux en puissance ou adepte confirmé de Nabokov sera incité à reprendre tel ou tel de ses romans ou à en choisir un qu’il n’a pas encore lu. Le plaisir littéraire s’éprouve aussi dans l’intertexte, on le sait depuis longtemps, d’où l’utilité de ces Cahiers de l’Herne qui sont toujours un propice excitant intellectuel.
Les Cahiers de l’Herne, VladimirNabokov. Éditions de L’Herne, 2023.
Chez le même éditeur, Véra Nabokov, L’Ouragan Lolita, Journal 1958-1959. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent.
[1] Traduction française : « Elle était Lo le matin, Lo tout court, un mètre quarante-huit en chaussettes, debout sur un seul pied. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l’école. Elle était Dolorès sur le pointillé des formulaires. Mais dans mes bras, c’était toujours Lolita. »
Autour des faits divers sanglants de la semaine survenus en France flotte un inquiétant parfum de culture tribale, voire de charia.
L’information fonctionne par épidémies. Nous avons eu la série des attaques aux couteaux, celle des agressions sexuelles ou bien encore la série de faits divers autour du harcèlement scolaire. Un phénomène morbide chasse l’autre, révélant une société en décomposition avancée, sorte de civilisation zombie qui marche inlassablement vers sa propre ruine. Présentement, ce sont donc les bastonnades mortelles de collégiens et les polices des mœurs improvisées armées de couteaux qui attirent l’attention des caméras. Comme à l’accoutumée, diverses explications sociologiques et atténuations sont proposées pour « expliquer » ces gestes, sans que quiconque ou presque n’ose s’aventurer vers le seul domaine qui puisse nous permettre de comprendre la phase que nous traversons : l’anthropologie.
Gueule de bois
Dans un article de l’année 1929, Stefan Zweig écrivait que « quelles que soient nos divergences d’opinions, il est un fait sur lequel nous sommes à ce jour tous d’accord, d’un bout à l’autre de la planète : notre monde se trouve aujourd’hui dans un état anormal, il traverse une grave crise morale (et éthique) », puis il ajoutait que « les individus, mais aussi les races, les classes et les États semblent davantage enclins à se haïr les uns les autres qu’à se comprendre. Ni les individus ni les nations ne croient en une évolution paisible et productive ». Un constat qui était alors d’une grande lucidité. Un constat que l’on peut décalquer au mot près sur l’Europe contemporaine, spécifiquement la France qui en est le carrefour et la synthèse ethnoculturelle. Le continent et notre pays ont la gueule de bois depuis 1945. Ils sont oikophobes et encore trop iréniques. Notre fièvre est, comme en 1929, due au « bacille tenace » de la guerre, mais aussi à des névroses idéologiques qui nous empêchent même de formuler ce que nous vivons, de l’envisager dans son entière réalité.
Le jeune Shemseddinne a été tué parce qu’il a échangé avec une adolescente d’une cité voisine. Il en est mort, battu par un Männerbund mené par les frères de la jeune fille devant son collège. Les frères et leurs amis ne voulaient pas que la honte engendrée par l’image de « fille facile » que pouvait avoir leur sœur ne rejaillisse sur l’ensemble de leur communauté. Il leur fallait faire un exemple. Face à cette vendetta primitive qui rappellera les totems et les tabous freudiens, de la plus haute préhistoire, le maire de Viry-Chatillon a semblé coi. Emu et pleurant devant les caméras, Jean-Marie Vilain a dénoncé un « drame absolu » dont la raison ne saurait être que « futile ». Dans un même ordre d’idées, la préfète de l’Essonne s’est montrée décontenancée, ne comprenant pas qu’une telle tragédie ait pu se produire dans un département et un collège qu’elle jugeait « tranquilles ».
Des crimes d’honneur ?
Il y a ici les signes d’une inaptitude à cerner son propre voisinage. Ce que l’esprit de Monsieur Vilain ne peut admettre, c’est que les raisons de ces jeunes étaient de leur point de vue tout sauf « futiles ». Elles étaient essentielles, sinon vitales à la cohésion du groupe, à leur honneur. Dans un excellent article de la Revue Française de psychanalyse, intitulé La rage, la honte et la culpabilité (aux origines du malaise dans la culture), François Duparc affirme que « si trop d’émotion tue la pensée, pas assez provoque sa sclérose » et tente de problématiser cette question déterminante : « Existe-t-il vraiment une hiérarchie entre la honte et la culpabilité qui ferait des civilisations de la honte une variante pathologique ou culturellement plus proche de la barbarie, que les civilisations de la culpabilité ? »
L’Occident contemporain, par ses savantes constructions théoriques et juridiques, mais aussi son substrat religieux, est sûrement arrivé au dernier degré de la culture de la culpabilité. Mais il héberge désormais en son sein des micro-sociétés en propre qui n’ont absolument pas intégré cette norme et vivent avec la « culture de la honte ». Est coupable non pas celui qui a intériorisé ses mauvais comportements mais celui qui fait honte au groupe et est donc désigné par l’ensemble de ses membres comme ayant adopté un comportement inapproprié. De la même manière, le migrant algérien qui a poignardé à Bordeaux des gens originaires d’Afrique du Nord, comme lui, parce qu’ils buvaient durant l’Aïd, devait-il sûrement se vivre en justicier réparant la honte qui était faite à sa religion bien plus qu’en criminel aveugle.
Tyrannie communautaire
Notre difficulté est donc d’ordre purement anthropologique. Si tous ces gens gagnaient 20 000 euros par mois, ils ne changeraient nullement de mentalité, de culture. Quant à ceux qui le souhaiteraient, ils sont aussi sous la menace permanente de la tyrannie communautaire. L’agression de Samara par d’autres adolescentes devant son collège de Montpellier, qui s’habillait comme elle l’entendait, répond à cette même logique. De fait, sa mère a d’ailleurs dû affirmer son attachement à sa culture et dénoncer « la récupération de l’extrême droite », en l’occurrence inexistante, pour protéger toute sa famille d’une nouvelle réplique intraethnique.
Deux excès se font face. Le nôtre, qui tue l’instinct et toutes les inclinations naturelles, qui nous domestique et au fond nous soumet à un esclavage moral, nous ôtant toutes nos défenses immunitaires collectives. C’est la famille nucléaire héritée du christianisme. Le leur, qui supprime toute intériorité aux individus et les empêche de penser, les livrant à l’expression immédiate de leurs humeurs. C’est la logique tribale. Cela ne peut que très mal se finir.
Nous avons quitté le mois de Adar, mois de Pourim, mois d’autant plus joyeux qu’il est double au cours de cette année dite embolismique et dans 10 jours nous allons fêter la sortie de l’esclavage d’Égypte, car nous sommes désormais dans le mois de Nissan. Mais comment oublier que la veille d’un Pessah les SS sont entrés dans le ghetto de Varsovie pour le liquider et que le 27 Nissan, qui tombe cette année au mois de mai, on commémore le Yom Hashoah ? Avril est plein de dates dramatiques: il y a 30 ans, le 7 avril, ce fut le début du génocide des Tutsis au Rwanda, le 18 avril 1915 a commencé le génocide arménien avec les massacres de Van, et le pogrome de Kichinev a eu lieu le 6 et 7 avril 1903.
Six mois plus tard
Et puis, il y a six mois, le 7 octobre 2023 c’était le Shabbat noir de Simhat Torah, ce que Pierre-André Taguieff appelle le « méga pogrome », massacre qui marque nos consciences au fer rouge et qui souleva – ô, un temps très bref ! – de sidération le monde civilisé et d’enthousiasme le monde qui ne l’est pas, où j’inclus des étudiants de prestigieuses universités. Car, on a tendance à l’oublier aujourd’hui, c’est le 8 octobre qu’ont commencé les manifestations contre Israël et contre les Juifs, alors que pas un Israélien n’avait encore mis le pied sur le sol de Gaza. Ce sont les jours où les organisations musulmanes ont malheureusement été aux abonnés absents et où, en France, LFI a commencé ses ignobles contorsions verbales.
Six mois plus tard, je peux parler à un interlocuteur qui critique Israël pour la façon dont il fait la guerre à Gaza, pour le nombre des victimes civiles et le risque de famine, deux domaines où le martelage de crâne et la confiance envers des données fournies par le Hamas ont malheureusement façonné l’opinion publique, malgré les témoignages indiquant les raisons d’être sceptique, mais je ne peux pas dialoguer avec celui qui minimise l’horreur du 7 octobre ou même qui tout en feignant de l’admettre, l’agrémente d’un « oui, mais », ce qui est analogue à considérer que les Juifs au fond ont été un peu coupables de la Shoah. Je ne discute pas avec un négationniste.
Pourquoi les Israéliens veulent aller jusqu’au bout de la guerre avec le Hamas
Il y a un double impératif à éradiquer le Hamas. Impératif existentiel car la destruction d’Israël coûte que coûte est un objectif avéré de cette organisation. Mais il y a un impératif moral universel. Israël est une société démocratique face à un régime totalitaire particulièrement impitoyable. Les démocraties n’ont pas la cote aujourd’hui, mais, comme disait Churchill, elles sont le pire des régimes à l’exception de tous les autres…
Il est inconcevable que tant de gens s’expriment sans avoir réfléchi sur la charte du Hamas, laquelle enjoint à tout musulman de lutter jusqu’à l’instauration du Dar al Islam dans tous les pays qui ont été un tant soit peu islamisés dans le passé. Le Hamas ne combat pas pour un territoire, il cherche, comme le font les Frères musulmans dont il fait partie, à reconstituer un califat conquérant. Tous les témoignages confirment la violence djihadiste du sentiment religieux chez Yahya Sinwar. Mais son rival lui-même, le soi-disant modéré Ismaïl Haniyeh, quand il commente la mort de ses fils, remercie Allah de leur avoir permis de mourir en martyrs. Ces paroles glaçantes de glorification de la mort n’ont rien à voir, contrairement à ce que dit Mme Polony, avec le fait que la réaction d’Israël est trop virulente, mais elles ont à voir avec l’endoctrinement religieux fanatique, incompatible avec la société où cette même Mme Polony a la chance de vivre.
Cet endoctrinement s’exacerbe au contraire par l’excitation de la victoire, ce qu’a dévoilé la virulence des foules arabes après le 7 octobre. Aujourd’hui, alors que Sinwar est vivant, que les Israéliens n’ont pas récupéré les otages et que le Hamas prétend dicter ses conditions dans les négociations après six mois de combats, le ressenti d’une victoire de ce mouvement terroriste n’est certainement pas le prélude à l’acceptation d’une « paix des braves », mais la certitude de nouveaux embrasements. Israël est condamné à une victoire indiscutable. L’habitude a été prise dans cette région que lorsqu’un pays arabe déclenchait une guerre contre Israël et qu’il la perdait, il était moral d’exiger d’Israël de revenir à la case départ. Mais laisser le Hamas dans une posture de victoire serait demander aux Israéliens de se suicider.
Le soutien de Joe Biden reste absolu
J’ai trouvé que Biden avait été irréprochable au cours des premières semaines de la guerre. Cette guerre, le Secrétaire d’État Anthony Blinken vient de le dire, a été voulue par le Hamas et c’est actuellement lui qui refuse les conditions de trêve proposées par les Américains. Cette guerre est particulièrement complexe, guerre de ville, guerre de tunnels, guerre où les victimes civiles sont des pions aux mains du Hamas. Israël a perdu le combat médiatique aux États-Unis, et je suis surpris par la faible efficacité de ses partisans américains.
La suite est connue: l’ampleur de la réaction anti-israélienne dans les médias et les universités travaillées par le wokisme fait planer la menace d’une abstention de certains démocrates de gauche à l’élection présidentielle, susceptible de faire basculer des « Swing States » comme le Michigan.
Par ailleurs la mort des membres d’une organisation d’aide alimentaire dont le créateur est un proche du président américain, dramatique bavure dont l’armée israélienne a assumé la responsabilité, a aggravé la tension entre Biden et un gouvernement israélien qui n’est pas de son goût.
Yahia Sinwar, en lançant son attaque, espérait, on le sait aujourd’hui, se rendre maitre d’un territoire israélien allant jusqu’à Tel Aviv. En cas d’échec, il escomptait l’intervention du Hezbollah et de l’Iran, qui n’est pas venue, ou pas encore. Mais en troisième échelon, lui ou ses conseillers iraniens ou qataris ont peut-être considéré que, grâce à un travail de lobbying efficace, l’émotion victimaire du monde occidental devant la réaction israélienne, qui ne pouvait pas manquer d’être violente, allait finir par lier les mains aux Israéliens.
Nous y sommes. Derrière le Hamas, l’Iran se renforce et Israël a besoin du soutien américain. Le résultat électoral de Dearborn au Michigan, cette ville connue jusque-là pour avoir été le fief du grand antisémite Henry Ford, devrait être un épiphénomène face à des enjeux d’une telle importance. On peut espérer que Joe Biden qui vient de déclarer son soutien absolu pour Israël face à l’Iran, saura surmonter ses animosités et ses inquiétudes électorales pendant ces heures cruciales.
Pendant quarante semaines, les étudiants à l’École nationale de la magistrature partent en stage dans une juridiction. Le Syndicat de la magistrature a mis en place un questionnaire anonyme permettant de remonter les « propos humiliants » pouvant survenir pendant cette période. Une libération de la parole à saluer, ou de lamentables… lamentations ?
En 2021, la section du Syndicat de la magistrature (classé à gauche ou à l’extrême gauche) de l’École nationale de la magistrature (ENM) a mis en place un questionnaire anonyme sur les stages en juridiction pour, paraît-il, « objectiver » le ressenti négatif, les abus perçus par une majorité d’auditeurs de justice : « propos humiliants, dégradants, sentiment d’être rabaissé… »[1] Cette initiative a eu un tel succès qu’elle a été renouvelée en 2022. Pour avoir connu moi-même ce type de stage il y a plus de cinquante ans, j’admets bien volontiers que les auditeurs, selon leur caractère et l’accueil qui leur est réservé dans chaque juridiction, peuvent être plus ou moins satisfaits de leur expérience. Mais cela restait à l’époque dans le domaine singulier et trouvait une solution dans un dialogue direct avec tel ou tel responsable, tant au parquet qu’au siège, au civil et au pénal. Rien à voir donc avec la systématisation d’un questionnaire qui incite au pessimisme et qui, proposé par un syndicalisme très partisan, a sans doute pour finalité de favoriser des aigreurs, des réclamations, des mécontentements, des susceptibilités et des contestations de nature à mettre en cause, peu ou prou, la hiérarchie judiciaire incarnée par des représentants variés.
Nouvelles générations geignardes
Au-delà de la possible partialité d’une telle entreprise qui place de toutes manières les auditeurs en situation de dépendance ou de revendication, je suis frappé de constater comme les doléances des auditeurs qui ont répondu les inscrivent dans une culture de la plainte. Laissant entendre qu’ils ont été, en certaines circonstances, victimes, stigmatisés, humiliés et en proie « à un ou plusieurs problèmes de comportement ».
Ce dolorisme subtil, insinuant, sollicité, quand on aurait plutôt attendu de cette jeunesse aspirant à un grand métier, énergie, enthousiasme, passion et fierté, a pour conséquence de lui faire perdre toute conscience d’elle-même : amoindrissement favorisé par la direction de l’ENM puisqu’un directeur adjoint soutient « que le fait d’être évalué en permanence peut faire obstacle à la libération de la parole et au signalement ». Avec la tentation perverse de supprimer le classement : plutôt que de se battre et d’enseigner tout simplement la vie, on n’hésiterait pas à éradiquer les inégalités naturelles (et formatrices) de l’existence et des stages ! Cette culture de la plainte habitue, à un stade précoce, quand tout serait encore possible et révisable, les étudiants magistrats à ne pas se faire confiance, à se défier d’eux-mêmes, à incriminer des forces supérieures qui seraient prétendument créatrices d’injustices pour ces êtres trop rapidement blessés ou offensés. Ce n’est pas rien que cette dépendance structurée si tôt qui, par la suite, l’auditeur devenu magistrat du siège ou du parquet, le confirmera dans une attitude au moins de relative soumission se résumant par cette certitude que sa liberté doit plier face à l’injonction du supérieur.
Où sont le courage et l’orgueil ?
À force de ne pas apprendre à l’auditeur à affronter les aléas inévitables d’un stage qui aussi réussi qu’il soit peut cependant engendrer des contrariétés, on ne forme pas sa personnalité, on déforme son tempérament, on ne le prépare pas à une posture de normalité courageuse, de loyauté intrépide. À être un magistrat capable d’offrir demain au peuple français une palette à la fois humaine et technique, juridique et sensible.
Cette culture précoce de la plainte aboutit à ce paradoxe que sur les plans judiciaire et médiatique, l’actualité de la Justice se résume souvent entre une quotidienneté sans éclat, une multitude de comportements et de pratiques acceptables et classiques et des moments forts d’indépendance et de résistance qui honorent leurs créateurs en même temps qu’ils suscitent parfois l’ire du garde des Sceaux. Par exemple, ce que Mediapart a appelé : « Macron, Marseille et la Justice : les magistrats à l’épreuve du pouvoir personnel »[2].
L’idée de supprimer l’ENM ayant été abandonnée, il est fondamental de lui assigner comme mission ce qui ne saurait être reporté à plus tard: substituer à une culture de la plainte une vision de courage et d’orgueil. Les magistrats de demain seront remarquables si les auditeurs d’aujourd’hui s’y préparent.
Autorisation des « méga-camions » : le sophisme et les lubies des autorités européennes contre la réalité des routes françaises.
Le Parlement européen est décidément un lieu débordant de fantaisie. On peut y prôner la décroissance tel jour et le gigantisme le lendemain. Le gigantisme sur route en l’occurrence. Le 12 mars a été votée l’autorisation de circulation des « méga-camions » dans les pays membres de l’Union. (Un sursis cependant, puisque, après avis de chaque pays l’affaire doit revenir en juin devant le Parlement.) Un méga-camion, c’est 25,25 mètres de long et une charge utile de 60 tonnes, contre un maximum de 18,75 mètres et de 44 tonnes permis en France aujourd’hui. Un monstre quoi, de ceux qui font fureur dans les films sur les immensités australiennes ou nord-américaines. Or, là est bien le problème. Chez nous, l’asphalte grande largeur à perte de vue est plutôt rare. La route à la française, même nationale, se veut bucolique, agrémentée de traversées de villes et bourgades. Et surtout de ronds-points. On en compte quelque 43 000 qui seraient, comme nos fameux ponts branlants, autant de goulets d’étranglement pour ces convois exceptionnels plus du tout exceptionnels.
Mépris total de la réalité du terrain, donc, à la base de cette lubie. Une lubie associée, qui plus est, à un méga-sophisme. Le résultat espéré : « Transporter plus de marchandises avec moins de camions et de trajets », selon l’eurodéputée rapporteure, Isabel García Muñoz. Sauf que ces géants ne pouvant guère circuler chez nous que sur les autoroutes, il faudrait bétonner des dizaines d’hectares de terrain à proximité pour l’aménagement de bases logistiques. Et de ce fait, prévoir des flottes pléthoriques de moyens et petits camions pour dispatcher ces marchandises à travers la France profonde. Ce ne serait donc en aucun cas – évidemment – moins de camions et moins de trajets. C’est à cette conclusion que nos eurodéputés français sont arrivés. Ils ont voté contre. Pour une fois, le bon sens s’est imposé à eux. Si à l’avenir ce bon sens pouvait leur être livré par méga-camions, nous serions tout disposés à applaudir.
Des études institutionnelles pointent le coût négatif de l’immigration pour les finances publiques. Cela s’explique notamment par la sous-qualification des immigrants et par leur dépendance aux aides sociales sur plusieurs générations. Mais notre appareil statistique est aveugle à ces phénomènes.
On le sait : l’immigration est un sujet politique multiforme, qui ne saurait se résumer à une analyse matérielle et comptable. Si ce phénomène cristallise tant de désaccords et de passions dans la société française, c’est qu’il emporte des conséquences sur de nombreux aspects de la vie nationale au-delà de l’économie : culture, démographie, religion, sécurité, relations internationales…
Pourtant, la question de l’immigration est souvent réduite à ses ressorts économiques dans le débat public. En fonction du locuteur, celle-ci est tantôt présentée comme un frein irrémédiable à la croissance, tantôt comme une richesse en soi, quelle que soit sa nature. Cependant, plusieurs études institutionnelles convergent ces dernières années quant au coût globalement négatif de l’immigration pour les finances publiques en France, cette approche budgétaire apparaissant comme un reflet juste de l’impact financier de l’immigration pour la société d’accueil.
La première et la plus frappante du genre nous est venue du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) en 2018. Publiée par cet organisme public rattaché au Premier ministre et intitulée « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en France », cette étude s’intéresse à une période historique relativement longue (1979-2011) et propose un modèle prenant en compte les descendants d’immigrés – permettant ainsi de formuler l’estimation d’un bilan au long cours, là où d’autres études se contentent d’une vision figée des phénomènes migratoires.
Forts taux de chômage et d’inactivité
Selon le scénario de référence qui n’inclut que la première génération des immigrés eux-mêmes, l’immigration a contribué en moyenne au déficit public de la France à hauteur de 0,16 % de PIB chaque année entre 1979 et 2011. La charge de l’immigration pour les finances publiques a toutefois eu tendance à s’alourdir : elle s’est élevée à 0,49 point de PIB en 2011.
S’agissant du scénario prenant en compte la « deuxième génération » des descendants d’immigrés (appelé « scénario « 2degénération »), il aboutit à une contribution moyenne au déficit public de la France à hauteur de 1,3 % de PIB chaque année sur la période considérée, pour une contribution au déficit à hauteur de 1,64 point de PIB en 2011– ce qui équivaut à 43 milliards d’euros en points de PIB de 2023, soit près de la moitié du montant annuellement collecté par l’impôt sur le revenu.
Une autre institution publique (internationale pour celle-ci) a produit une étude de référence relative au coût de l’immigration : c’est l’OCDE qui, dans son étude « Perspectives des migrations internationales » parue en novembre 2021, s’est également penchée sur le coût net de l’immigration pour les finances publiques dans différents pays et avait abouti, dans le cas de la France, à des estimations notablement proches de celles établies par le CEPII.
Dans le scénario n’intégrant que la première génération des immigrés et intégrant le coût économique des divers biens publics, l’OCDE évaluait le coût annuel net de l’immigration pour les finances publiques à 0,85 point de PIB par an.
Dans le scénario intégrant aussi l’impact de la première génération des descendants d’immigrés en plus de celui des immigrés eux-mêmes, le coût net de l’immigration pour les finances publiques en France était estimé à 1,41 % de PIB par an en moyenne sur la période 2006-2018. Rapporté au PIB de 2022, cela représenterait une charge annuelle nette de 37 milliards d’euros – soit l’équivalent de toutes les dépenses annuelles du ministère de l’Intérieur.
Malgré le caractère tout à fait conséquent de telles sommes, soulignons que les approches méthodologiques de ces études conduisent souvent à les sous-estimer encore, par exemple dans la façon dont l’OCDE ventile le coût de certains biens publics (comme la police ou la justice) entre natifs et immigrés – qui tend à majorer artificiellement la contribution de ces derniers.
Ce constat ne vient pas de nulle part. Il a partie liée avec la nature spécifique de l’immigration en France, souvent peu qualifiée et marquée par de forts taux de chômage et d’inactivité. En effet, 37,2 % des immigrés vivant en France en 2021 et ayant terminé leurs études initiales n’avaient aucun diplôme ou seulement un équivalent brevet/CEP selon l’Insee. Ce taux de non-diplômés était 2,5 fois supérieur à celui des personnes sans ascendance migratoire. Il était de 42,2 % parmi les immigrés originaires du Maghreb, 51,4 % parmi ceux d’Afrique sahélienne et 61,7 % chez les immigrés originaires de Turquie.
Cette structure de qualification dessine des populations structurellement sous-contributrices à la richesse nationale en moyenne, et sur-consommatrices des différents dispositifs de solidarité collective en vigueur dans notre société. Plusieurs facettes de ce coût net négatif peuvent être appréhendées en prenant l’exemple des Algériens, première nationalité bénéficiaire des titres de séjour actuellement valides en France.
En 2017, 41,6 % des Algériens de plus de 15 ans vivant en France étaient chômeurs ou inactifs (ni en emploi, ni en études, ni en retraite), selon les données Insee analysées par le ministère de l’Intérieur, soit un taux trois fois plus élevé que celui des Français (14,1 %).
Seuls 30,6 % de ces mêmes Algériens étaient en emploi, contre 49,7 % des ressortissants français – soit un taux d’emploi inférieur de près de 20 points.
La moitié (49 %) des ménages d’origine algérienne vivait en HLM en 2018, soit presque quatre fois plus que les ménages non immigrés (13 %).
Les mêmes proportions se retrouvent largement pour les autres origines migratoires du Maghreb, mais aussi pour les ressortissants d’Afrique subsaharienne, de Turquie ou du Proche-Orient.
Ces différentiels négatifs ne disparaissent hélas pas avec le passage à la génération suivante. En effet, le taux de chômage des descendants d’immigrés (« deuxième génération ») originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou de Turquie est 2,5 à 3 fois plus élevé que celui des personnes sans ascendance migratoire ou d’origine européenne. Un tel phénomène explique pourquoi, dans l’étude menée par l’OCDE comme dans celle du CEPII, le coût annuel net de l’immigration était deux à trois fois plus lourd lorsqu’il prenait en compte non seulement les immigrés eux-mêmes, mais aussi la première génération de leurs descendants.
Des chiffres encore imprécis
Ces études sont d’autant plus précieuses si on observe que l’appareil statistique français ne permet pas de mesurer de façon fiable les coûts de l’immigration, et donc d’en débattre posément dans des cadres idoines, tels que celui du débat budgétaire annuel au Parlement. Dès 2019, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale insistait sur le manque de fiabilité du document de politique transversale annexé au projet de loi de Finances et censé retracer l’ensemble des dépenses de l’État relatives à l’immigration. Son rapport d’information pointait explicitement « de nombreuses approximations ou des incohérences », parmi lesquelles :
· Une forte sous-évaluation des coûts scolaires des enfants immigrés de la part du ministère de l’Éducation nationale, qui n’imputait à la politique de l’immigration que le coût des dispositifs fléchés sur des enfants allophones ou issus de familles itinérantes et de voyageurs (0,5 % des effectifs), pour un coût dérisoire de 161 millions d’euros. À titre de comparaison, pour évaluer ces mêmes dépenses, le ministère de l’Enseignement supérieur appliquait une quote-part de 10,6 %, représentant la proportion d’étudiants étrangers, pour un montant total de plus de 2,2 milliards d’euros ;
· Une importante asymétrie des coûts liés à la police aux frontières et ceux de la chaîne pénale applicables aux infractions relevant du séjour sur le territoire (ce qui exclut les délits de droit commun dans lesquels des étrangers peuvent être impliqués), entre les chiffres fournis par la police nationale (1,2 milliard d’euros pour 2020) et ceux relevant de la gendarmerie nationale (28 millions d’euros pour 2020).
Le comité évoquait également des dépenses qui, sans être exclusivement ciblées sur la prise en charge de l’immigration, comportaient une nette surreprésentation des populations immigrées chez les bénéficiaires, parmi lesquelles la « politique de la ville » et la politique du logement. Il regrettait enfin l’absence de prise en compte des dépenses engagées par les collectivités territoriales, alors que l’échelon local supporte de plus en plus l’effort financier relatif à la prise en charge de certaines filières d’immigration : mineurs isolés étrangers (45 000 en 2023 selon l’Assemblée des départements de France), insertion sociale et professionnelle des étrangers sans emploi, etc.
Copie sur ton voisin !
Certains de nos pays voisins ont pourtant développé des appareils statistiques permettant d’évaluer précisément l’incidence de l’immigration sur les finances publiques. De nombreux États comme l’Islande (1953), la Suède (1966), la Norvège (1968), le Danemark (1968), la Finlande (1970), la Belgique (1968), les Pays-Bas (1994), l’Espagne (1996) ou l’Autriche (2000) ont mis en place un registre de population centralisé au niveau national, quand d’autres pays comme l’Italie, l’Allemagne et la Suisse disposent de registres de population à l’échelle locale. Ces registres intègrent les habitants nationaux et immigrés, et comprennent souvent plusieurs modules qui s’intéressent au logement, à l’emploi, à l’éducation… permettant ainsi de mieux cibler certains thèmes et en particulier d’appréhender le coût de l’immigration de la façon la plus précise.
L’insuffisance de notre appareil statistique pour étudier l’immigration et les populations d’origine étrangère a été pointée de longue date par la démographe Michèle Tribalat, notamment dans son ouvrage Les Yeux grands fermés (Denoël, 2010). Plusieurs administrations publiques (Insee, Ined…) y travaillent sur des périmètres différents et partagent mal leurs informations. Aux conséquences de cet éclatement s’ajoutent celles d’obstacles normatifs uniques en leur genre : la CNIL a déclaré « sensibles » des données qui sont aisément disponibles dans d’autres pays et demeurent peu utilisées en France… Ce manque de transparence empêche les citoyens ainsi que les décideurs publics de connaître précisément les mécanismes et les conséquences de l’immigration, en particulier pour ce qui a trait à son bilan économique et budgétaire.
La question de l’immigration se situe au cœur de la crise française de confiance. Plus que jamais, il importe donc que le gouvernement et le Parlement se donnent les moyens de connaître le réel sur ce terrain essentiel, afin de concevoir et mettre en œuvre des politiques publiques conformes à l’intérêt national comme aux aspirations démocratiques du grand nombre de nos concitoyens, mais aussi, in fine, aux intérêts des étrangers résidant dans notre pays.
Pas de vagues, film de Teddy Lussi-Modeste pourra avantageusement être montré dans les instituts de formation des maîtres, non comme document sur la dureté de la condition professorale, mais comme un parfait catalogue de ce qu’un jeune professeur débutant ne doit surtout pas faire. Ce personnage, joué par Fançois Civil, accumule les maladresses.
Julien copine volontiers avec ses élèves, c’est excusable, mais dans la scène où il offre des chich-kebab, il semble adopter un clan de la classe et ignorer l’autre, c’est impardonnable. Pour garder le respect de tous, il faut planer au-dessus des passions et des affects de ses subordonnés, comme dans tous les métiers d’autorité. Le copinage est possible, à condition de respecter une période initiale de froideur et de distance. Le vieux professeur de pédagogie de l’Université de Strasbourg qui m’a dispensé, à moi et aux autres agrégatifs il y a bien longtemps, les quelques heures de conseils qui étaient un viatique restreint mais suffisant disait : deux mois au début de l’année sans un seul sourire, trois mois sans un seul rire, ensuite vous pourrez danser sur les tables, les élèves garderont pour vous le plus profond respect. Je n’ai pas dansé sur les tables mais j’ai ajouté à ces préceptes le vouvoiement, même avec des sixièmes. Moyennant quoi j’ai été un prof heureux avec des élèves heureux. Enfin, ils avaient l’air.
Julien et Julien Sorel
Deuxième erreur de Julien, celle-là est une erreur technique de latiniste insuffisant. Patatras, je vais rallumer la guerre entre lettres classiques et lettres modernes ! Il explique séduire par se-ducere ramener à soi, conduire à soi. Faux, la véritable origine de se est un préfixe du vieux latin qui indique la séparation, l’éloignement. On le trouve dans justement séparer et son doublet sevrer, dans sécession et quelques autres mots. Ce préfixe a disparu, remplacé en latin classique par ex. Séduire a donc une étymologie beaucoup plus amusante et imagée, c’est emmener à l’écart, là, juste derrière ce buisson bien touffu et ce ne sera pas pour enfiler des perles.
Je dis cela par plaisir d’étaler ma cuistrerie mais surtout parce que la séduction joue un grand rôle dans la littérature en général et particulièrement dans la littérature française. Et aussi parce qu’il y a deux manières d’entraîner une femme ou tout objet de son désir derrière le buisson : de force, en la tirant par le bras, ou par le discours amoureux, plus trivialement appelé baratin. Force ou baratin, c’est toute la différence entre barbarie et civilisation.
Julien fait étudier à ses élèves un grand poème de séduction, Mignonne, allons voir si la rose de Ronsard. Très bien. Les imbéciles seuls penseront que c’est vieillot, car le frémissement de désir qui parcourt le poème est sensible à tout adolescent même de nos jours. La rose est symbole de jeunesse, mais le professeur a le droit de suggérer le plus chastement possible qu’elle représente aussi le sexe féminin, comme dans beaucoup de chansons populaires de la vieille France. J’ai souvent fait étudier la merveilleuse scène de séduction de Madame de Rênal par Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal. Une belle nuit d’été, le cœur d’un petit jeune homme qui bat très fort, il a décidé de prendre la main de la femme qu’il aime, mariée et supérieure à lui socialement, quand sonnera minuit. Prendre la main et non la traîner de force derrière un buisson. Deux actes qui ne sont équivalents que pour les délirantes de la culture du viol. L’heure de cours allait finir et pour une fois je m’adressais spécialement aux garçons de la classe, je leur disais que le séducteur a droit au mensonge, aux promesses mirifiques, mais jamais à la violence. Tout bénef, ils prenaient leur prof de français pour un tombeur de dames, ce qui était bon pour son prestige, et cet interdit de la violence pénétrait dans leur cortex. La littérature est essentiellement l’antiviolence, elle peut convertir en mots tous les conflits.
Le piège classique
Troisième erreur de ce jeune, gentil et séduisant professeur : voulant expliquer l‘astéisme, ce procédé stylistique qui fait semblant de blâmer pour faire en réalité un éloge paradoxal, il prend un exemple où il se met lui-même en scène faisant une déclaration d’amour par astéisme à l’une de ses élèves, la timide Leslie. On sent venir l’accident gravissime, le bus scolaire tombant dans un précipice avec cinquante élèves à bord, mais Julien fonce quand même dans le décor. Sa seule excuse est son besoin désespéré de proximité avec ses élèves. Comme tous les professeurs débutants, il pense qu’il va révolutionner la pédagogie par l’affection, et aucun vieux prof de Strasbourg ne l’a mis en garde contre ce panneau. La catastrophe est totale, Leslie, secrètement amoureuse du beau prof l’accuse de harcèlement sexuel, le grand frère s’en mêle et menace de mort le pauvre Julien, sa hiérarchie ne le soutient pas, ses collègues l’abandonnent, sa vie privée tourne en eau de boudin.
C’est ici qu’intervient la quatrième erreur du film, celle-là n’est pas dans l’attitude du professeur mais dans le scénario et ses pudeurs. Pour ne pas fâcher l’une des “communautés” qui se partagent désormais la France, le grand frère, personnage fatal des tragédies de banlieue, est joué par un jeune homme parfaitement caucasien, d’allure skinhead. Il ne correspond pas du tout au physique de grand frère que statistiquement on s’attend à voir. On ne peut s’empêcher de penser au fameux clip de Julie Gayet contre le mariage forcé qui a été tourné dans une église avec des acteurs d’allure parfaitement souchienne. Ce triomphe du politiquement correct enlève beaucoup de crédibilité au film.
Dommage. Le professeur de français, à travers les œuvres qu’il fait découvrir, peut faire infiniment plus pour la laïcité et le vivre-ensemble que toutes les proclamations ministérielles ou les baroques “cours d’empathie”. Faisons notre Finkielkraut au petit pied, puisqu’aussi bien je me prénomme Alain : la littérature est salvatrice. J’ai souvent fait apprendre par cœur des tartines de Roméo et Juliette dans la traduction du fils de Victor Hugo, avec bien sûr la scène du balcon. Aucun adolescent n’y résiste, ils se glissent tous dans la peau des héros, ce n’est pas des tartines qu’ils apprenaient, c’était d’immenses sandwiches comme les sous-marins du Québec. La liberté de l’amour à l’occidentale ne peut que triompher à la longue des pressions communautaristes archaïques et de l’abaissement des femmes qu’elles véhiculent. Faire lire et apprendre Molière, et particulièrement L’école des Femmes, est un remède souverain contre le mépris qui les frappe dans des cultures nouvellement importées en Europe : “Ah ! C’est que vous l’aimez, traîtresse ! – Oui je l’aime. – Et vous avez le front de le dire à moi-même ? – Et pourquoi, s’il est vrai, ne le dirais-je pas ?” Agnès et Arnolphe font rire, mais en douce ils occidentalisent la petite Tchètchène et le petit Afghan qui récitent assez bien leurs rôles, ma foi, malgré leur accent. Le garçon renonce au crime d’honneur qu’il devait accomplir ce soir sur le petit ami de sa sœur et il se promet de faire abandonner par ses frères ce projet barbare.
Mila “blasphème” encore : elle a “osé” s’acoquiner avec les féministes identitaires du collectif Némésis ! L’adolescente menacée par les islamistes réapparait dans les médias, et pense que la laïcité est morte à l’école. Alors que les autorités craignaient hier un attentat de Daech pendant PSG / Barça, un homme en djellaba tuait au couteau un Algérien à Bordeaux pour une histoire d’alcool.
Vous vous souvenez de Mila. Cette jeune fille a été le révélateur en 2020 non seulement de la lâcheté du gouvernement Macron, mais de l’absence d’humanité comme de l’absence de sens des responsabilités de beaucoup de politiques. Pour avoir usé de sa liberté d’expression et moqué le prophète principal de l’islam alors qu’elle recevait des insultes homophobes de la part d’un jeune musulman, cette adolescente de 16 ans avait subi un déferlement de haine sur les réseaux et reçu tellement de menaces que beaucoup ont pensé qu’elle ne survivrait pas au déchainement de violence islamiste dont elle faisait l’objet.
Critiquée pour le choix de son entourage actuel
Elle est à nouveau sous le feu des projecteurs pour avoir expliqué qu’on l’avait influencée, il y a quatre ans, pour la forcer à présenter ses excuses aux croyants sur le plateau de Quotidien. On peut comprendre ses conseillers de l’époque. Il s’agissait alors de sauver la jeune fille, les chances que les menaces de mort soient mises à exécution étaient élevées et Mila était encore influençable. Ce n’est pas ce qui est choquant dans cette histoire. En revanche, ce qui est inacceptable c’est la façon dont, à nouveau, certains politiques et journalistes font un procès à Mila car elle est proche notamment de l’association Némésis et des « milieux identitaires ». Outre que Mila est libre de faire ses choix, il se trouve que si la jeune fille est debout, digne et refuse de se soumettre, c’est à sa force intérieure qu’elle le doit, à son entourage familial et sans doute à son entourage militant – mais pas au soutien qu’aurait pourtant dû lui apporter le milieu politique et culturel.
Mila aurait dû être le symbole de notre résistance face à la barbarie, nous aurions tous dû être un rempart pour elle.
Cette affaire a été le symbole de notre lâcheté collective, de notre faiblesse et de nos reniements. Dans cette histoire, la liberté d’expression a perdu contre le blasphème, et la vie d’une jeune fille a été sacrifiée. Pour rien. Les islamistes n’ont cessé de gagner en puissance.
Sacrifiée par le pouvoir pour ne pas faire le jeu de l’extrême-droite
Car comment respecter ces politiques qui se sont tus ou qui se sont joints à la meute des intégristes ? Comment respecter des élus qui veulent le pouvoir et après l’avoir obtenu ne font pas leur travail et abandonnent aux islamistes une jeune fille de 16 ans, qui ne bafoue aucune loi et use de son droit ? Comment respecter des adultes qui sacrifient une enfant à leur confort, car les forces qui l’attaquent leur font peur ? C’est pourtant ce que le président de la République a fait. C’est pourtant ce que Nicole Belloubet, actuelle ministre de l’Éducation et à l’époque garde des Sceaux a fait. Elle en a même rajouté dans l’ignominie en attaquant gratuitement l’adolescente menacée de mort. Ségolène Royal a montré également l’étendue de son indifférence face aux violences pesant sur une jeune fille ; la gauche a été en dessous de tout, les associations féministes et LGBT n’ont même pas condamné les appels au viol et l’homophobie. À tous les niveaux du pouvoir, la lâcheté a été omniprésente. Et il y a une raison à cela. Politiques et associatifs avaient peur « de faire le jeu de l’extrême-droite » en désignant l’islam comme un facteur de violence et de déstabilisation politique.
Au nom de l’islam : police des mœurs et de la religion dans les lycées
Quatre ans après, on n’est pas sorti de ce piège stupide qui consiste à nier les offensives de l’islam politique, le sang qu’il fait couler, la violence et la mort que ses mœurs puritaines et inadaptées génèrent dans les quartiers où il règne en maître. Quatre ans après, l’influence des islamistes, faute d’être combattue, a encore augmenté. Mila parle de police des mœurs et de la religion dans les lycées, mais les témoignages se multiplient aussi au travail où des musulmans prosélytes et des islamistes font des remarques à ceux qui ne font pas le ramadan. Et maintenant ce sont de jeunes musulmans, pas assez réislamisés aux yeux des islamistes, qui sont victimes d’agressions, voire tués, car ils ne respectent pas la charia. La lâcheté n’a fait qu’augmenter le malheur public et le danger qui pèse sur toute la population.
Alors franchement, voir des éditorialistes et des politiques venir faire un procès aujourd’hui à Mila parce qu’elle est proche du collectif Némésis est ridicule. Cette posture qui consiste à accrocher des cibles sur une personne qui ne doit rien au collectif, n’exerce pas de fonction de représentation et est déjà menacée, est irresponsable. Quelle est l’utilité d’une telle posture ? Comment peut-on essayer de se tailler un costume de vertu et de probité politique en dénonçant une jeune fille de 20 ans qui a déjà versé un lourd tribut à la lâcheté ?
Les choix de Mila, produit de l’abandon et de la médiocrité des politiques
La vérité devrait pourtant faire honte à tous ces petits commissaires politiques de bac à sable : si Mila a pris la main tendue des identitaires, c’est parce que ni le pouvoir ni la société ne se sont montré à la hauteur des enjeux. La jeune femme s’est sentie manipulée et abandonnée. Et elle l’a été. Influencée, elle a pu l’être par des gens sincères, qui géraient une situation d’urgence, fortement inflammable. En revanche, l’abandon des politiques, l’incapacité à trouver une solution qui montre la force de notre attachement à nos libertés publiques, la déscolarisation de Mila, l’incapacité à punir les lycéens qui l’avaient menacée dans son propre lycée, la complaisance manifestée à l’égard de ceux qui au nom de l’islam menacent de mort une adolescente de 16 ans : tout cela est inqualifiable et impardonnable.
Le parcours de Mila s’explique d’abord et avant tout par la tragique médiocrité dont une partie du monde politique a fait preuve et par son incapacité à défendre un des fondamentaux de notre contrat social, la liberté de conscience. Une fois de plus, le parcours de la jeune fille est un révélateur de l’état du pays : si le RN ne cesse de monter dans les intentions de vote, ce n’est pas par adhésion à une dérive fascisante. Si c’était le cas, LFI, qui cumule dérapages antisémites, falsification historique, fascination pour la violence politique ou déshumanisation de l’adversaire serait au plus haut dans les intentions de vote… C’est même tout le contraire, l’ascension du RN s’explique par le conservatisme. Les Français veulent sauver leur modèle civilisationnel et social, leur système politique et leurs mœurs. C’est parce que, pour eux, leurs représentants actuels trahissent cette mission sacrée, qu’ils se tournent vers le RN. Au lieu d’en faire des gorges chaudes et de chercher des boucs émissaires à condamner, comme Mila, nos élites devraient plutôt retrouver le chemin de l’intérêt général et de l’utilité publique. Les Français pensent que les islamistes ne sont grands que parce que leurs élites sont à genoux. C’est pourquoi ils cherchent de nouveaux champions pour porter leurs couleurs. C’est cela que l’histoire de Mila raconte et que personne une fois de plus ne veut entendre.
À l’occasion de la parution de l’épatant Madame Chesterton (1869-1938), de Nancy Carpentier Brown (Téqui) et dans la série « Retour sur un géant du XXème siècle » : G. K. Chesterton – for ever.
« L’espèce humaine à laquelle appartiennent tant de mes lecteurs… » G.K. Chesterton, Le Napoléon de Notting Hill
« Le progrès doit être autre chose qu’un parricide continuel » G.K. Chesterton, Le Défenseur
« Le problème du communisme est qu’il tente de s’opposer au pickpocket en interdisant les poches » G.K. Chesterton, Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste
Chesterton déconcerte, désoriente, désempare. Plus de cent livres publiés, une vie assez courte (1874-1936) – et tous les genres abordés : articles de journaux, romans (Un nommé Jeudi,Le Napoléon de Notting Hill), théâtre, poésie, philosophie, critique littéraire, critique d’art, économie (concepteur du distributisme), controverses religieuses et sociales (Hérétiques), voire littéraires avec ses alter ego, adversaires ou complices (H.G. Wells et G.B. Shaw en particulier), roman policier (Enquêtes du père Brown), essais d’inspiration catholique (L’Homme éternel, 1925, un de ses chefs d’œuvre).
Pour le comprendre – osons l’hypothèse tautologique – il faut, d’abord, l’aimer : « Quand on lit Chesterton, on se sent submergé par une extraordinaire impression de bonheur. Sa prose est le contraire d’académique : elle est joyeuse, physique », écrit Alberto Manguel. Il a raison : le secret, pour lire Chesterton et (tenter d’) accéder à la profusion et à la diversité de son œuvre, c’est d’abord de le fréquenter régulièrement pour en devenir un (presque) familier, s’imprégner de son tour, de sa manière, deviner le sourire derrière la facétie – et comprendre que Chesterton est un état d’esprit, une fantaisie étayée par une pensée très cohérente (clé de l’œuvre) et très claire, qui fait l’ensemble du corpus dominé, voire subsumé par une vista dont son catholicisme serait la note de tête, de coeur et de fond (G.K. se convertit au catholicisme romain en 1922, son épouse, Frances, en 1926).
Étincelant, pragmatique, virevoltant, aux antipodes du dogme et de l’aristocratisme anglais qui ne l’accueillera pas, plutôt libéral avec une continuelle préoccupation de la justice sociale, de l’honnêteté et de la common decency qui consonnent avec sa foi chrétienne, apôtre lui-même du paradoxe fécond, Chesterton est le contraire du « rouleau convertisseur » (Gide, à propos de Claudel).
Les essais et chroniques qu’il a, toute sa vie, disséminés dans la presse, leur diversité, leur suggestivité, l’esprit d’enfance qui les caractérise, le font cousin, certes très anglais et catholique, de Vialatte. C’est encore Manguel qui ose la comparaison – et on entérine le citant, tant elle nous semble non pas aventurée, mais judicieuse.
Le cercle de ses lecteurs n’a jamais cessé de s’entretenir voire de s’étendre : Russell, Shaw, Kafka, Hemingway, Larbaud, Gide, J. Green, Claudel, Paulhan, Klossowski, J.R.R Tolkien, C.S. Lewis, Alfred Hitchcock – jusqu’aujourd’hui Michéa ou Finkielkraut.
Borges est sans doute celui qui se l’est le plus précisément, le plus profondément, le plus justement approprié : « Il aurait pu être Kafka ou Poe mais, courageusement, il opta pour le bonheur, du moins feignit-il de l’avoir trouvé. De la foi anglicane, il passa à la foi catholique, fondée, selon lui, sur le bon sens. Il avança que la singularité de cette foi s’ajuste à celle de l’univers comme la forme étrange d’une clé s’ajuste exactement à la forme étrange de la serrure ».
On a récemment réédité L’Homme à la clé d’or, son autobiographie – qui renseigne autant sur l’homme que sur l’époque (Les Belles Lettres) – et François Rivière s’est tiré avec les honneurs de la première biographie en langue française de Chesterton : cursif, inspiré et scrupuleux, son livre atteste sa longue fréquentation du colossal bonhomme.
N.B. Deux notes-citations éloquentes pour finir :
À propos de Frances, épouse de Chesterton – Nancy Brown, sa biographe, cite George ELIOT (Middlemarch) et donne ce faisant une idée précise, exacte, du rôle de cette femme remarquable (et poète) auprès de G.K. Chesterton :
« Beaucoup de ceux qui la connaissaient trouvaient regrettable qu’une créature si remarquable et si unique eût été absorbée dans la vie d’un autre et ne fût uniquement connue dans un certain cercle qu’en tant qu’épouse… Mais elle eut une influence inestimable et très étendue sur son entourage : en effet, l’épanouissement du monde repose en partie sur des actes non historiques, et si les choses ne vont pas si mal pour vous et pour moi comme cela aurait pu être le cas, c’est en partie grâce à de nombreuses personnes qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes oubliées. »
« Plus les hommes deviennent forts et sages, moins ils se considèrent supérieurs à qui que ce soit. » (Frances Chesterton)
« Un proverbe dit : ‘’rien ne réussit comme le succès’’, mais bien que je n’aie nulle intention d’inventer un nouveau paradoxe, en un sens profond et spirituel, ‘’rien n’échoue comme le succès’’. » (Frances Chesterton)
À propos du socialisme (versus le distributisme que prônera Chesterton) :
« On peut dire du socialisme que ses amis l’ont recommandé comme une égalité croissante, alors que ses adversaires y ont résisté comme une diminution de la liberté… Le compromis éventuel a été l’un des cas les plus intéressants et les plus curieux de l’histoire. Il a été décidé de faire tout ce qui avait été dénoncé dans le socialisme, et rien de ce qui avait été désiré auparavant… nous avons prouvé qu’il était possible de sacrifier la liberté sans obtenir l’égalité… En bref, les gens ont décidé qu’il était impossible de réaliser le bien du socialisme, mais ils se sont réconfortés en en réalisant tout le mal. »
G.K. Chesterton, Utopie des usuriers, 1917 – Chesterton a 43 ans.
François Rivière, Le Divin Chesterton – biographie, Rivages, 224p.
Camille Delmas, Le Paradoxe G.K. Chesterton, L’Escargot, 128p.
À lire également : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil.
Changer Sandrine Rousseau ? Vous rêvez ! L’illuminée de la lutte contre le patriarcat est de retour avec une nouvelle charge anti-Sardou, qui – ne lui déplaise – s’élève encore d’un grade dans le Mérite national. La député écolo de la très bobo 9ème circonscription de Paris en est verte ! C’est surtout, pour la néoféministe, une nouvelle aubaine pour renouer avec l’actu…
Sandrine Rousseau… Si elle n’existait pas, il faudrait ne surtout pas l’inventer ! En parler, bien sûr, c’est rentrer dans son jeu. Taire ses éternelles dérives millimétrées : les banaliser. Mais tant pis : la plume s’impose, finalement…
Le patriarcat va tomber, il vacille déjà. Mais ils se décoreront tous mutuellement avant. https://t.co/IoD8yJgSnB
Pour faire accepter Aya Nakamura aux JO, Macron décore Sardou
Née sous le signe du poisson, Sandrine Rousseau prospère joyeusement dans les eaux troubles de la Nupes, salmigondis créé artificiellement par Mélenchon pour amadouer les urnes. Mais qui lui a matraqué aux oreilles à outrance, quand elle était enfant, le refrain libérateur du talentueux Jean-Jacques Goldman : « Elle a fait un bébé toute seule », à la fin ? Celle que l’on identifie plus sous les traits du « Surveillant général » de Michel Sardou (1973) vient de faillir s’étrangler. L’abhorré Sardou, celui qui voulait récemment organiser une marche blanche pour soutenir son compagnon – déconstruit – va recevoir en juin prochain des mains du président de la République les insignes de grand officier de l’ordre national du Mérite. La pourfendeuse des crinolines, la passionaria des cuisines, la porte-voix des violentées, l’égérie des utérus libérés, qui sait donner du très délicat « Sardou, ferme ta gueule ! » se répand un peu partout pour exprimer sa rancœur. Celle qui ne vit que par et pour l’outrance, serait-elle aigrie d’avoir raté une carrière de chanteuse ? Tremble dans ta tombe, Maria Callas ! On sait que ses premiers pas en la matière étaient, disons approximatifs, lorsqu’en novembre dernier elle avait entonné de grand cœur, debout derrière son pupitre du Palais-Bourbon, un pas franchement inoubliable mais court hymne féministe, rapidement écourté par Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, sa prestation ne l’ayant pas convaincue…
Ministère amer
Le constat est amer : la Madone d’un féminisme désespéré dessert de fait les causes parfois justes qu’elle prétend défendre. Cette agitée de la verdure jette hardiment aux orties et avec une certaine délectation, tout porteur de testicules, forcément suspect. Des déclarations reprises souvent avidement par des médias, grisés par la « bonne » parole de cette gourou(e !) d’un nouveau genre. Elle qui se love lascivement dans le wokisme le plus échevelé, veut faire le ménage dans la vie des femmes. Et balayer des siècles de machisme, repasser les vieux dogmes au crible pour mieux les essorer et nettoyer toute domination masculine honnie. Noble cause, par essence, mais dévoyée par calcul, et vaste programme, comme dirait un certain grand homme. Tout cela pourrait asseoir une intégrité louable, si sa grande mansuétude envers la barbarie barbue en ternissait le clinquant. Car la noblesse de l’idéologie est douteuse, surtout quand la dame reste muette lors de drames réguliers et atroces dont sont victimes jeunes filles, femmes ou dames âgées, imputables à une frange de la population connue, ou, quand elle s’accommode d’un silence complice envers les thèses islamistes les plus radicales, connues pour piétiner allégrement les droits élémentaires de la femme et pas seulement.
Prends garde mâle blanc occidental, hérétique de nature : Sandrine, grande inquisitrice d’une cause revisitée et qui l’a pénétrée – oserait-on dire – veille !
Statue de Vladimir Nabokov (1899-1977) à Montreux, en Suisse. DR.
Un Cahier de l’Herne est consacré à Vladimir Nabokov
C’est toujours avec un grand plaisir qu’on revient à Nabokov, ce magicien des lettres. On lit et relit chacun de ses romans avec une délectation inoubliable. Il incarne à lui seul une idée à peu près complète de la littérature. Son œuvre est protéiforme, écrite dans plusieurs langues, mais chacun de ses livres porte la signature du grand maître ès romans qu’il fut. Ce numéro des Cahiers de l’Herne propose une rétrospective très informée de la vie de Vladimir Nabokov, en en abordant les différents aspects, comme l’inévitable chasse aux papillons, mais toutefois sans perdre jamais de vue le génie esthétique particulier d’un écrivain qui ramenait l’univers aux couleurs éclatantes d’une petite bille sphérique.
Le succès de Lolita
Ce Cahier fait évidemment la part belle à Lolita (1955), impérissable succès planétaire. Qui n’a pas lu cette œuvre parfaite, écrite dans un anglais d’exception ? Je ne résiste pas au plaisir de vous en citer un passage en anglais, au tout début, pour vous mettre (littérairement) l’eau à la bouche : « She was Lo, plain Lo, in the morning, standing four feet ten in one sock. She was Lola in slacks. She was Dolly at school. She was Dolores on the dotted line. But in my arms she was always Lolita. »[1]
Plusieurs articles de ce Cahier de l’Herne sont consacrés à ce roman culte, et notamment à sa réception à l’époque. Je mentionnerai l’article très caractéristique de Robbe-Grillet, intitulé « La notion d’itinéraire dans Lolita » dans lequel l’auteur des Gommes reconnaît presque s’identifier au personnage de Humbert Humbert. Il y a aussi la réaction étonnante de Dorothy Parker, en 1958, qui décrit ainsi le caractère de Lolita : « C’est une atroce petite créature, égoïste, dure, vulgaire, pénible. » Le personnage maléfique, pour Dorothy Parker, c’était Lolita et non son coupable beau-père. Pourtant, Nabokov lui-même avait mis en garde contre cette interprétation, indiquant que Lolita était plutôt une victime. C’est l’avis de Vanessa Springora, précoce lectrice de Lolita, qui nous offre ici une interprétation attentive du roman, en rendant justice à l’ambition de Nabokov (c’est aussi ma lecture de Lolita, désormais) : « L’écho de cette voix sacrifiée, écrit Springora en parlant de la nymphette, n’en finit pas de nous hanter. » Dans sa contribution, Agnès Edel-Roy défend le même point de vue, qui correspond à une perspective spécifiquement contemporaine, rendue possible selon elle par « la libération de la parole ».
Un choc émotionnel
Lolita n’est pas la seule œuvre de Nabokov au programme de ce Cahier. L’excellent Deny Podalydès, délaissant pour un temps Shakespeare, nous parle par exemple de Mademoiselle O (1939), ce récit de Nabokov écrit en français. On avait demandé à l’acteur de venir en faire une lecture à Beaubourg : « Ce fut un choc émotionnel, confie-t-il, de ces lectures qui m’ont sans doute plus marqué, moi, que les auditeurs. » Podalydès raconte qu’il est également un fervent admirateur de Feu pâle (1962). Chacun d’entre nous a ses romans préférés de Nabokov, et d’autres peut-être qu’il aime moins. J’avoue, pour ma part, avoir eu du mal avec Ada (traduit en 1975). Mais parmi ceux qui m’ont fasciné le plus, je peux citer La Méprise (1934) que Fassbinder porta à l’écran sous le titre anglais Despair, ainsi que l’autobiographie de Nabokov Autres rivages (1961) que le même Podalydès apprécie tant, par ailleurs : « Qui n’aurait envie, écrit-il, d’accéder à une pareille faculté de mémoire et de consignation de cette mémoire ? »
Nabokov, lecteur redoutable
Je vous conseille de lire ce Cahier de l’Herne consacré à Nabokov en le feuilletant au hasard ou au gré de votre intuition. Vous tomberez toujours sur un passage spécialement écrit pour vous, et auquel vous ne vous attendiez pas. Il en ira ainsi peut-être du texte assez amusant de Brice Matthieussent sur les détestations littéraires de Nabokov. Le professeur d’esthétique et traducteur de Nabokov propose une liste des auteurs classiques que l’écrivain, pourtant admirable lecteur, ne supportait pas : « le panthéon poussiéreux des prétendus génies littéraires, ainsi que les qualifie pour l’occasion Mattthieussent, qui sont en fait des escrocs à la réputation usurpée ». Parmi eux, on le sait, Sade et Freud. Mais aussi Balzac et Faulkner, et même Dostoïevski. On n’est pas obligé d’approuver…
Après avoir parcouru, plus ou moins en détail, comme je l’ai dit, ce très remarquable Cahier de l’Herne, qui comprend bien d’autres contributions encore dont je n’ai pas pu parler, faute de place, tout amoureux en puissance ou adepte confirmé de Nabokov sera incité à reprendre tel ou tel de ses romans ou à en choisir un qu’il n’a pas encore lu. Le plaisir littéraire s’éprouve aussi dans l’intertexte, on le sait depuis longtemps, d’où l’utilité de ces Cahiers de l’Herne qui sont toujours un propice excitant intellectuel.
Les Cahiers de l’Herne, VladimirNabokov. Éditions de L’Herne, 2023.
Chez le même éditeur, Véra Nabokov, L’Ouragan Lolita, Journal 1958-1959. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent.
[1] Traduction française : « Elle était Lo le matin, Lo tout court, un mètre quarante-huit en chaussettes, debout sur un seul pied. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l’école. Elle était Dolorès sur le pointillé des formulaires. Mais dans mes bras, c’était toujours Lolita. »
Autour des faits divers sanglants de la semaine survenus en France flotte un inquiétant parfum de culture tribale, voire de charia.
L’information fonctionne par épidémies. Nous avons eu la série des attaques aux couteaux, celle des agressions sexuelles ou bien encore la série de faits divers autour du harcèlement scolaire. Un phénomène morbide chasse l’autre, révélant une société en décomposition avancée, sorte de civilisation zombie qui marche inlassablement vers sa propre ruine. Présentement, ce sont donc les bastonnades mortelles de collégiens et les polices des mœurs improvisées armées de couteaux qui attirent l’attention des caméras. Comme à l’accoutumée, diverses explications sociologiques et atténuations sont proposées pour « expliquer » ces gestes, sans que quiconque ou presque n’ose s’aventurer vers le seul domaine qui puisse nous permettre de comprendre la phase que nous traversons : l’anthropologie.
Gueule de bois
Dans un article de l’année 1929, Stefan Zweig écrivait que « quelles que soient nos divergences d’opinions, il est un fait sur lequel nous sommes à ce jour tous d’accord, d’un bout à l’autre de la planète : notre monde se trouve aujourd’hui dans un état anormal, il traverse une grave crise morale (et éthique) », puis il ajoutait que « les individus, mais aussi les races, les classes et les États semblent davantage enclins à se haïr les uns les autres qu’à se comprendre. Ni les individus ni les nations ne croient en une évolution paisible et productive ». Un constat qui était alors d’une grande lucidité. Un constat que l’on peut décalquer au mot près sur l’Europe contemporaine, spécifiquement la France qui en est le carrefour et la synthèse ethnoculturelle. Le continent et notre pays ont la gueule de bois depuis 1945. Ils sont oikophobes et encore trop iréniques. Notre fièvre est, comme en 1929, due au « bacille tenace » de la guerre, mais aussi à des névroses idéologiques qui nous empêchent même de formuler ce que nous vivons, de l’envisager dans son entière réalité.
Le jeune Shemseddinne a été tué parce qu’il a échangé avec une adolescente d’une cité voisine. Il en est mort, battu par un Männerbund mené par les frères de la jeune fille devant son collège. Les frères et leurs amis ne voulaient pas que la honte engendrée par l’image de « fille facile » que pouvait avoir leur sœur ne rejaillisse sur l’ensemble de leur communauté. Il leur fallait faire un exemple. Face à cette vendetta primitive qui rappellera les totems et les tabous freudiens, de la plus haute préhistoire, le maire de Viry-Chatillon a semblé coi. Emu et pleurant devant les caméras, Jean-Marie Vilain a dénoncé un « drame absolu » dont la raison ne saurait être que « futile ». Dans un même ordre d’idées, la préfète de l’Essonne s’est montrée décontenancée, ne comprenant pas qu’une telle tragédie ait pu se produire dans un département et un collège qu’elle jugeait « tranquilles ».
Des crimes d’honneur ?
Il y a ici les signes d’une inaptitude à cerner son propre voisinage. Ce que l’esprit de Monsieur Vilain ne peut admettre, c’est que les raisons de ces jeunes étaient de leur point de vue tout sauf « futiles ». Elles étaient essentielles, sinon vitales à la cohésion du groupe, à leur honneur. Dans un excellent article de la Revue Française de psychanalyse, intitulé La rage, la honte et la culpabilité (aux origines du malaise dans la culture), François Duparc affirme que « si trop d’émotion tue la pensée, pas assez provoque sa sclérose » et tente de problématiser cette question déterminante : « Existe-t-il vraiment une hiérarchie entre la honte et la culpabilité qui ferait des civilisations de la honte une variante pathologique ou culturellement plus proche de la barbarie, que les civilisations de la culpabilité ? »
L’Occident contemporain, par ses savantes constructions théoriques et juridiques, mais aussi son substrat religieux, est sûrement arrivé au dernier degré de la culture de la culpabilité. Mais il héberge désormais en son sein des micro-sociétés en propre qui n’ont absolument pas intégré cette norme et vivent avec la « culture de la honte ». Est coupable non pas celui qui a intériorisé ses mauvais comportements mais celui qui fait honte au groupe et est donc désigné par l’ensemble de ses membres comme ayant adopté un comportement inapproprié. De la même manière, le migrant algérien qui a poignardé à Bordeaux des gens originaires d’Afrique du Nord, comme lui, parce qu’ils buvaient durant l’Aïd, devait-il sûrement se vivre en justicier réparant la honte qui était faite à sa religion bien plus qu’en criminel aveugle.
Tyrannie communautaire
Notre difficulté est donc d’ordre purement anthropologique. Si tous ces gens gagnaient 20 000 euros par mois, ils ne changeraient nullement de mentalité, de culture. Quant à ceux qui le souhaiteraient, ils sont aussi sous la menace permanente de la tyrannie communautaire. L’agression de Samara par d’autres adolescentes devant son collège de Montpellier, qui s’habillait comme elle l’entendait, répond à cette même logique. De fait, sa mère a d’ailleurs dû affirmer son attachement à sa culture et dénoncer « la récupération de l’extrême droite », en l’occurrence inexistante, pour protéger toute sa famille d’une nouvelle réplique intraethnique.
Deux excès se font face. Le nôtre, qui tue l’instinct et toutes les inclinations naturelles, qui nous domestique et au fond nous soumet à un esclavage moral, nous ôtant toutes nos défenses immunitaires collectives. C’est la famille nucléaire héritée du christianisme. Le leur, qui supprime toute intériorité aux individus et les empêche de penser, les livrant à l’expression immédiate de leurs humeurs. C’est la logique tribale. Cela ne peut que très mal se finir.
Nous avons quitté le mois de Adar, mois de Pourim, mois d’autant plus joyeux qu’il est double au cours de cette année dite embolismique et dans 10 jours nous allons fêter la sortie de l’esclavage d’Égypte, car nous sommes désormais dans le mois de Nissan. Mais comment oublier que la veille d’un Pessah les SS sont entrés dans le ghetto de Varsovie pour le liquider et que le 27 Nissan, qui tombe cette année au mois de mai, on commémore le Yom Hashoah ? Avril est plein de dates dramatiques: il y a 30 ans, le 7 avril, ce fut le début du génocide des Tutsis au Rwanda, le 18 avril 1915 a commencé le génocide arménien avec les massacres de Van, et le pogrome de Kichinev a eu lieu le 6 et 7 avril 1903.
Six mois plus tard
Et puis, il y a six mois, le 7 octobre 2023 c’était le Shabbat noir de Simhat Torah, ce que Pierre-André Taguieff appelle le « méga pogrome », massacre qui marque nos consciences au fer rouge et qui souleva – ô, un temps très bref ! – de sidération le monde civilisé et d’enthousiasme le monde qui ne l’est pas, où j’inclus des étudiants de prestigieuses universités. Car, on a tendance à l’oublier aujourd’hui, c’est le 8 octobre qu’ont commencé les manifestations contre Israël et contre les Juifs, alors que pas un Israélien n’avait encore mis le pied sur le sol de Gaza. Ce sont les jours où les organisations musulmanes ont malheureusement été aux abonnés absents et où, en France, LFI a commencé ses ignobles contorsions verbales.
Six mois plus tard, je peux parler à un interlocuteur qui critique Israël pour la façon dont il fait la guerre à Gaza, pour le nombre des victimes civiles et le risque de famine, deux domaines où le martelage de crâne et la confiance envers des données fournies par le Hamas ont malheureusement façonné l’opinion publique, malgré les témoignages indiquant les raisons d’être sceptique, mais je ne peux pas dialoguer avec celui qui minimise l’horreur du 7 octobre ou même qui tout en feignant de l’admettre, l’agrémente d’un « oui, mais », ce qui est analogue à considérer que les Juifs au fond ont été un peu coupables de la Shoah. Je ne discute pas avec un négationniste.
Pourquoi les Israéliens veulent aller jusqu’au bout de la guerre avec le Hamas
Il y a un double impératif à éradiquer le Hamas. Impératif existentiel car la destruction d’Israël coûte que coûte est un objectif avéré de cette organisation. Mais il y a un impératif moral universel. Israël est une société démocratique face à un régime totalitaire particulièrement impitoyable. Les démocraties n’ont pas la cote aujourd’hui, mais, comme disait Churchill, elles sont le pire des régimes à l’exception de tous les autres…
Il est inconcevable que tant de gens s’expriment sans avoir réfléchi sur la charte du Hamas, laquelle enjoint à tout musulman de lutter jusqu’à l’instauration du Dar al Islam dans tous les pays qui ont été un tant soit peu islamisés dans le passé. Le Hamas ne combat pas pour un territoire, il cherche, comme le font les Frères musulmans dont il fait partie, à reconstituer un califat conquérant. Tous les témoignages confirment la violence djihadiste du sentiment religieux chez Yahya Sinwar. Mais son rival lui-même, le soi-disant modéré Ismaïl Haniyeh, quand il commente la mort de ses fils, remercie Allah de leur avoir permis de mourir en martyrs. Ces paroles glaçantes de glorification de la mort n’ont rien à voir, contrairement à ce que dit Mme Polony, avec le fait que la réaction d’Israël est trop virulente, mais elles ont à voir avec l’endoctrinement religieux fanatique, incompatible avec la société où cette même Mme Polony a la chance de vivre.
Cet endoctrinement s’exacerbe au contraire par l’excitation de la victoire, ce qu’a dévoilé la virulence des foules arabes après le 7 octobre. Aujourd’hui, alors que Sinwar est vivant, que les Israéliens n’ont pas récupéré les otages et que le Hamas prétend dicter ses conditions dans les négociations après six mois de combats, le ressenti d’une victoire de ce mouvement terroriste n’est certainement pas le prélude à l’acceptation d’une « paix des braves », mais la certitude de nouveaux embrasements. Israël est condamné à une victoire indiscutable. L’habitude a été prise dans cette région que lorsqu’un pays arabe déclenchait une guerre contre Israël et qu’il la perdait, il était moral d’exiger d’Israël de revenir à la case départ. Mais laisser le Hamas dans une posture de victoire serait demander aux Israéliens de se suicider.
Le soutien de Joe Biden reste absolu
J’ai trouvé que Biden avait été irréprochable au cours des premières semaines de la guerre. Cette guerre, le Secrétaire d’État Anthony Blinken vient de le dire, a été voulue par le Hamas et c’est actuellement lui qui refuse les conditions de trêve proposées par les Américains. Cette guerre est particulièrement complexe, guerre de ville, guerre de tunnels, guerre où les victimes civiles sont des pions aux mains du Hamas. Israël a perdu le combat médiatique aux États-Unis, et je suis surpris par la faible efficacité de ses partisans américains.
La suite est connue: l’ampleur de la réaction anti-israélienne dans les médias et les universités travaillées par le wokisme fait planer la menace d’une abstention de certains démocrates de gauche à l’élection présidentielle, susceptible de faire basculer des « Swing States » comme le Michigan.
Par ailleurs la mort des membres d’une organisation d’aide alimentaire dont le créateur est un proche du président américain, dramatique bavure dont l’armée israélienne a assumé la responsabilité, a aggravé la tension entre Biden et un gouvernement israélien qui n’est pas de son goût.
Yahia Sinwar, en lançant son attaque, espérait, on le sait aujourd’hui, se rendre maitre d’un territoire israélien allant jusqu’à Tel Aviv. En cas d’échec, il escomptait l’intervention du Hezbollah et de l’Iran, qui n’est pas venue, ou pas encore. Mais en troisième échelon, lui ou ses conseillers iraniens ou qataris ont peut-être considéré que, grâce à un travail de lobbying efficace, l’émotion victimaire du monde occidental devant la réaction israélienne, qui ne pouvait pas manquer d’être violente, allait finir par lier les mains aux Israéliens.
Nous y sommes. Derrière le Hamas, l’Iran se renforce et Israël a besoin du soutien américain. Le résultat électoral de Dearborn au Michigan, cette ville connue jusque-là pour avoir été le fief du grand antisémite Henry Ford, devrait être un épiphénomène face à des enjeux d’une telle importance. On peut espérer que Joe Biden qui vient de déclarer son soutien absolu pour Israël face à l’Iran, saura surmonter ses animosités et ses inquiétudes électorales pendant ces heures cruciales.
Pendant quarante semaines, les étudiants à l’École nationale de la magistrature partent en stage dans une juridiction. Le Syndicat de la magistrature a mis en place un questionnaire anonyme permettant de remonter les « propos humiliants » pouvant survenir pendant cette période. Une libération de la parole à saluer, ou de lamentables… lamentations ?
En 2021, la section du Syndicat de la magistrature (classé à gauche ou à l’extrême gauche) de l’École nationale de la magistrature (ENM) a mis en place un questionnaire anonyme sur les stages en juridiction pour, paraît-il, « objectiver » le ressenti négatif, les abus perçus par une majorité d’auditeurs de justice : « propos humiliants, dégradants, sentiment d’être rabaissé… »[1] Cette initiative a eu un tel succès qu’elle a été renouvelée en 2022. Pour avoir connu moi-même ce type de stage il y a plus de cinquante ans, j’admets bien volontiers que les auditeurs, selon leur caractère et l’accueil qui leur est réservé dans chaque juridiction, peuvent être plus ou moins satisfaits de leur expérience. Mais cela restait à l’époque dans le domaine singulier et trouvait une solution dans un dialogue direct avec tel ou tel responsable, tant au parquet qu’au siège, au civil et au pénal. Rien à voir donc avec la systématisation d’un questionnaire qui incite au pessimisme et qui, proposé par un syndicalisme très partisan, a sans doute pour finalité de favoriser des aigreurs, des réclamations, des mécontentements, des susceptibilités et des contestations de nature à mettre en cause, peu ou prou, la hiérarchie judiciaire incarnée par des représentants variés.
Nouvelles générations geignardes
Au-delà de la possible partialité d’une telle entreprise qui place de toutes manières les auditeurs en situation de dépendance ou de revendication, je suis frappé de constater comme les doléances des auditeurs qui ont répondu les inscrivent dans une culture de la plainte. Laissant entendre qu’ils ont été, en certaines circonstances, victimes, stigmatisés, humiliés et en proie « à un ou plusieurs problèmes de comportement ».
Ce dolorisme subtil, insinuant, sollicité, quand on aurait plutôt attendu de cette jeunesse aspirant à un grand métier, énergie, enthousiasme, passion et fierté, a pour conséquence de lui faire perdre toute conscience d’elle-même : amoindrissement favorisé par la direction de l’ENM puisqu’un directeur adjoint soutient « que le fait d’être évalué en permanence peut faire obstacle à la libération de la parole et au signalement ». Avec la tentation perverse de supprimer le classement : plutôt que de se battre et d’enseigner tout simplement la vie, on n’hésiterait pas à éradiquer les inégalités naturelles (et formatrices) de l’existence et des stages ! Cette culture de la plainte habitue, à un stade précoce, quand tout serait encore possible et révisable, les étudiants magistrats à ne pas se faire confiance, à se défier d’eux-mêmes, à incriminer des forces supérieures qui seraient prétendument créatrices d’injustices pour ces êtres trop rapidement blessés ou offensés. Ce n’est pas rien que cette dépendance structurée si tôt qui, par la suite, l’auditeur devenu magistrat du siège ou du parquet, le confirmera dans une attitude au moins de relative soumission se résumant par cette certitude que sa liberté doit plier face à l’injonction du supérieur.
Où sont le courage et l’orgueil ?
À force de ne pas apprendre à l’auditeur à affronter les aléas inévitables d’un stage qui aussi réussi qu’il soit peut cependant engendrer des contrariétés, on ne forme pas sa personnalité, on déforme son tempérament, on ne le prépare pas à une posture de normalité courageuse, de loyauté intrépide. À être un magistrat capable d’offrir demain au peuple français une palette à la fois humaine et technique, juridique et sensible.
Cette culture précoce de la plainte aboutit à ce paradoxe que sur les plans judiciaire et médiatique, l’actualité de la Justice se résume souvent entre une quotidienneté sans éclat, une multitude de comportements et de pratiques acceptables et classiques et des moments forts d’indépendance et de résistance qui honorent leurs créateurs en même temps qu’ils suscitent parfois l’ire du garde des Sceaux. Par exemple, ce que Mediapart a appelé : « Macron, Marseille et la Justice : les magistrats à l’épreuve du pouvoir personnel »[2].
L’idée de supprimer l’ENM ayant été abandonnée, il est fondamental de lui assigner comme mission ce qui ne saurait être reporté à plus tard: substituer à une culture de la plainte une vision de courage et d’orgueil. Les magistrats de demain seront remarquables si les auditeurs d’aujourd’hui s’y préparent.
Autorisation des « méga-camions » : le sophisme et les lubies des autorités européennes contre la réalité des routes françaises.
Le Parlement européen est décidément un lieu débordant de fantaisie. On peut y prôner la décroissance tel jour et le gigantisme le lendemain. Le gigantisme sur route en l’occurrence. Le 12 mars a été votée l’autorisation de circulation des « méga-camions » dans les pays membres de l’Union. (Un sursis cependant, puisque, après avis de chaque pays l’affaire doit revenir en juin devant le Parlement.) Un méga-camion, c’est 25,25 mètres de long et une charge utile de 60 tonnes, contre un maximum de 18,75 mètres et de 44 tonnes permis en France aujourd’hui. Un monstre quoi, de ceux qui font fureur dans les films sur les immensités australiennes ou nord-américaines. Or, là est bien le problème. Chez nous, l’asphalte grande largeur à perte de vue est plutôt rare. La route à la française, même nationale, se veut bucolique, agrémentée de traversées de villes et bourgades. Et surtout de ronds-points. On en compte quelque 43 000 qui seraient, comme nos fameux ponts branlants, autant de goulets d’étranglement pour ces convois exceptionnels plus du tout exceptionnels.
Mépris total de la réalité du terrain, donc, à la base de cette lubie. Une lubie associée, qui plus est, à un méga-sophisme. Le résultat espéré : « Transporter plus de marchandises avec moins de camions et de trajets », selon l’eurodéputée rapporteure, Isabel García Muñoz. Sauf que ces géants ne pouvant guère circuler chez nous que sur les autoroutes, il faudrait bétonner des dizaines d’hectares de terrain à proximité pour l’aménagement de bases logistiques. Et de ce fait, prévoir des flottes pléthoriques de moyens et petits camions pour dispatcher ces marchandises à travers la France profonde. Ce ne serait donc en aucun cas – évidemment – moins de camions et moins de trajets. C’est à cette conclusion que nos eurodéputés français sont arrivés. Ils ont voté contre. Pour une fois, le bon sens s’est imposé à eux. Si à l’avenir ce bon sens pouvait leur être livré par méga-camions, nous serions tout disposés à applaudir.
Des études institutionnelles pointent le coût négatif de l’immigration pour les finances publiques. Cela s’explique notamment par la sous-qualification des immigrants et par leur dépendance aux aides sociales sur plusieurs générations. Mais notre appareil statistique est aveugle à ces phénomènes.
On le sait : l’immigration est un sujet politique multiforme, qui ne saurait se résumer à une analyse matérielle et comptable. Si ce phénomène cristallise tant de désaccords et de passions dans la société française, c’est qu’il emporte des conséquences sur de nombreux aspects de la vie nationale au-delà de l’économie : culture, démographie, religion, sécurité, relations internationales…
Pourtant, la question de l’immigration est souvent réduite à ses ressorts économiques dans le débat public. En fonction du locuteur, celle-ci est tantôt présentée comme un frein irrémédiable à la croissance, tantôt comme une richesse en soi, quelle que soit sa nature. Cependant, plusieurs études institutionnelles convergent ces dernières années quant au coût globalement négatif de l’immigration pour les finances publiques en France, cette approche budgétaire apparaissant comme un reflet juste de l’impact financier de l’immigration pour la société d’accueil.
La première et la plus frappante du genre nous est venue du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) en 2018. Publiée par cet organisme public rattaché au Premier ministre et intitulée « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en France », cette étude s’intéresse à une période historique relativement longue (1979-2011) et propose un modèle prenant en compte les descendants d’immigrés – permettant ainsi de formuler l’estimation d’un bilan au long cours, là où d’autres études se contentent d’une vision figée des phénomènes migratoires.
Forts taux de chômage et d’inactivité
Selon le scénario de référence qui n’inclut que la première génération des immigrés eux-mêmes, l’immigration a contribué en moyenne au déficit public de la France à hauteur de 0,16 % de PIB chaque année entre 1979 et 2011. La charge de l’immigration pour les finances publiques a toutefois eu tendance à s’alourdir : elle s’est élevée à 0,49 point de PIB en 2011.
S’agissant du scénario prenant en compte la « deuxième génération » des descendants d’immigrés (appelé « scénario « 2degénération »), il aboutit à une contribution moyenne au déficit public de la France à hauteur de 1,3 % de PIB chaque année sur la période considérée, pour une contribution au déficit à hauteur de 1,64 point de PIB en 2011– ce qui équivaut à 43 milliards d’euros en points de PIB de 2023, soit près de la moitié du montant annuellement collecté par l’impôt sur le revenu.
Une autre institution publique (internationale pour celle-ci) a produit une étude de référence relative au coût de l’immigration : c’est l’OCDE qui, dans son étude « Perspectives des migrations internationales » parue en novembre 2021, s’est également penchée sur le coût net de l’immigration pour les finances publiques dans différents pays et avait abouti, dans le cas de la France, à des estimations notablement proches de celles établies par le CEPII.
Dans le scénario n’intégrant que la première génération des immigrés et intégrant le coût économique des divers biens publics, l’OCDE évaluait le coût annuel net de l’immigration pour les finances publiques à 0,85 point de PIB par an.
Dans le scénario intégrant aussi l’impact de la première génération des descendants d’immigrés en plus de celui des immigrés eux-mêmes, le coût net de l’immigration pour les finances publiques en France était estimé à 1,41 % de PIB par an en moyenne sur la période 2006-2018. Rapporté au PIB de 2022, cela représenterait une charge annuelle nette de 37 milliards d’euros – soit l’équivalent de toutes les dépenses annuelles du ministère de l’Intérieur.
Malgré le caractère tout à fait conséquent de telles sommes, soulignons que les approches méthodologiques de ces études conduisent souvent à les sous-estimer encore, par exemple dans la façon dont l’OCDE ventile le coût de certains biens publics (comme la police ou la justice) entre natifs et immigrés – qui tend à majorer artificiellement la contribution de ces derniers.
Ce constat ne vient pas de nulle part. Il a partie liée avec la nature spécifique de l’immigration en France, souvent peu qualifiée et marquée par de forts taux de chômage et d’inactivité. En effet, 37,2 % des immigrés vivant en France en 2021 et ayant terminé leurs études initiales n’avaient aucun diplôme ou seulement un équivalent brevet/CEP selon l’Insee. Ce taux de non-diplômés était 2,5 fois supérieur à celui des personnes sans ascendance migratoire. Il était de 42,2 % parmi les immigrés originaires du Maghreb, 51,4 % parmi ceux d’Afrique sahélienne et 61,7 % chez les immigrés originaires de Turquie.
Cette structure de qualification dessine des populations structurellement sous-contributrices à la richesse nationale en moyenne, et sur-consommatrices des différents dispositifs de solidarité collective en vigueur dans notre société. Plusieurs facettes de ce coût net négatif peuvent être appréhendées en prenant l’exemple des Algériens, première nationalité bénéficiaire des titres de séjour actuellement valides en France.
En 2017, 41,6 % des Algériens de plus de 15 ans vivant en France étaient chômeurs ou inactifs (ni en emploi, ni en études, ni en retraite), selon les données Insee analysées par le ministère de l’Intérieur, soit un taux trois fois plus élevé que celui des Français (14,1 %).
Seuls 30,6 % de ces mêmes Algériens étaient en emploi, contre 49,7 % des ressortissants français – soit un taux d’emploi inférieur de près de 20 points.
La moitié (49 %) des ménages d’origine algérienne vivait en HLM en 2018, soit presque quatre fois plus que les ménages non immigrés (13 %).
Les mêmes proportions se retrouvent largement pour les autres origines migratoires du Maghreb, mais aussi pour les ressortissants d’Afrique subsaharienne, de Turquie ou du Proche-Orient.
Ces différentiels négatifs ne disparaissent hélas pas avec le passage à la génération suivante. En effet, le taux de chômage des descendants d’immigrés (« deuxième génération ») originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou de Turquie est 2,5 à 3 fois plus élevé que celui des personnes sans ascendance migratoire ou d’origine européenne. Un tel phénomène explique pourquoi, dans l’étude menée par l’OCDE comme dans celle du CEPII, le coût annuel net de l’immigration était deux à trois fois plus lourd lorsqu’il prenait en compte non seulement les immigrés eux-mêmes, mais aussi la première génération de leurs descendants.
Des chiffres encore imprécis
Ces études sont d’autant plus précieuses si on observe que l’appareil statistique français ne permet pas de mesurer de façon fiable les coûts de l’immigration, et donc d’en débattre posément dans des cadres idoines, tels que celui du débat budgétaire annuel au Parlement. Dès 2019, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale insistait sur le manque de fiabilité du document de politique transversale annexé au projet de loi de Finances et censé retracer l’ensemble des dépenses de l’État relatives à l’immigration. Son rapport d’information pointait explicitement « de nombreuses approximations ou des incohérences », parmi lesquelles :
· Une forte sous-évaluation des coûts scolaires des enfants immigrés de la part du ministère de l’Éducation nationale, qui n’imputait à la politique de l’immigration que le coût des dispositifs fléchés sur des enfants allophones ou issus de familles itinérantes et de voyageurs (0,5 % des effectifs), pour un coût dérisoire de 161 millions d’euros. À titre de comparaison, pour évaluer ces mêmes dépenses, le ministère de l’Enseignement supérieur appliquait une quote-part de 10,6 %, représentant la proportion d’étudiants étrangers, pour un montant total de plus de 2,2 milliards d’euros ;
· Une importante asymétrie des coûts liés à la police aux frontières et ceux de la chaîne pénale applicables aux infractions relevant du séjour sur le territoire (ce qui exclut les délits de droit commun dans lesquels des étrangers peuvent être impliqués), entre les chiffres fournis par la police nationale (1,2 milliard d’euros pour 2020) et ceux relevant de la gendarmerie nationale (28 millions d’euros pour 2020).
Le comité évoquait également des dépenses qui, sans être exclusivement ciblées sur la prise en charge de l’immigration, comportaient une nette surreprésentation des populations immigrées chez les bénéficiaires, parmi lesquelles la « politique de la ville » et la politique du logement. Il regrettait enfin l’absence de prise en compte des dépenses engagées par les collectivités territoriales, alors que l’échelon local supporte de plus en plus l’effort financier relatif à la prise en charge de certaines filières d’immigration : mineurs isolés étrangers (45 000 en 2023 selon l’Assemblée des départements de France), insertion sociale et professionnelle des étrangers sans emploi, etc.
Copie sur ton voisin !
Certains de nos pays voisins ont pourtant développé des appareils statistiques permettant d’évaluer précisément l’incidence de l’immigration sur les finances publiques. De nombreux États comme l’Islande (1953), la Suède (1966), la Norvège (1968), le Danemark (1968), la Finlande (1970), la Belgique (1968), les Pays-Bas (1994), l’Espagne (1996) ou l’Autriche (2000) ont mis en place un registre de population centralisé au niveau national, quand d’autres pays comme l’Italie, l’Allemagne et la Suisse disposent de registres de population à l’échelle locale. Ces registres intègrent les habitants nationaux et immigrés, et comprennent souvent plusieurs modules qui s’intéressent au logement, à l’emploi, à l’éducation… permettant ainsi de mieux cibler certains thèmes et en particulier d’appréhender le coût de l’immigration de la façon la plus précise.
L’insuffisance de notre appareil statistique pour étudier l’immigration et les populations d’origine étrangère a été pointée de longue date par la démographe Michèle Tribalat, notamment dans son ouvrage Les Yeux grands fermés (Denoël, 2010). Plusieurs administrations publiques (Insee, Ined…) y travaillent sur des périmètres différents et partagent mal leurs informations. Aux conséquences de cet éclatement s’ajoutent celles d’obstacles normatifs uniques en leur genre : la CNIL a déclaré « sensibles » des données qui sont aisément disponibles dans d’autres pays et demeurent peu utilisées en France… Ce manque de transparence empêche les citoyens ainsi que les décideurs publics de connaître précisément les mécanismes et les conséquences de l’immigration, en particulier pour ce qui a trait à son bilan économique et budgétaire.
La question de l’immigration se situe au cœur de la crise française de confiance. Plus que jamais, il importe donc que le gouvernement et le Parlement se donnent les moyens de connaître le réel sur ce terrain essentiel, afin de concevoir et mettre en œuvre des politiques publiques conformes à l’intérêt national comme aux aspirations démocratiques du grand nombre de nos concitoyens, mais aussi, in fine, aux intérêts des étrangers résidant dans notre pays.
Pas de vagues, film de Teddy Lussi-Modeste pourra avantageusement être montré dans les instituts de formation des maîtres, non comme document sur la dureté de la condition professorale, mais comme un parfait catalogue de ce qu’un jeune professeur débutant ne doit surtout pas faire. Ce personnage, joué par Fançois Civil, accumule les maladresses.
Julien copine volontiers avec ses élèves, c’est excusable, mais dans la scène où il offre des chich-kebab, il semble adopter un clan de la classe et ignorer l’autre, c’est impardonnable. Pour garder le respect de tous, il faut planer au-dessus des passions et des affects de ses subordonnés, comme dans tous les métiers d’autorité. Le copinage est possible, à condition de respecter une période initiale de froideur et de distance. Le vieux professeur de pédagogie de l’Université de Strasbourg qui m’a dispensé, à moi et aux autres agrégatifs il y a bien longtemps, les quelques heures de conseils qui étaient un viatique restreint mais suffisant disait : deux mois au début de l’année sans un seul sourire, trois mois sans un seul rire, ensuite vous pourrez danser sur les tables, les élèves garderont pour vous le plus profond respect. Je n’ai pas dansé sur les tables mais j’ai ajouté à ces préceptes le vouvoiement, même avec des sixièmes. Moyennant quoi j’ai été un prof heureux avec des élèves heureux. Enfin, ils avaient l’air.
Julien et Julien Sorel
Deuxième erreur de Julien, celle-là est une erreur technique de latiniste insuffisant. Patatras, je vais rallumer la guerre entre lettres classiques et lettres modernes ! Il explique séduire par se-ducere ramener à soi, conduire à soi. Faux, la véritable origine de se est un préfixe du vieux latin qui indique la séparation, l’éloignement. On le trouve dans justement séparer et son doublet sevrer, dans sécession et quelques autres mots. Ce préfixe a disparu, remplacé en latin classique par ex. Séduire a donc une étymologie beaucoup plus amusante et imagée, c’est emmener à l’écart, là, juste derrière ce buisson bien touffu et ce ne sera pas pour enfiler des perles.
Je dis cela par plaisir d’étaler ma cuistrerie mais surtout parce que la séduction joue un grand rôle dans la littérature en général et particulièrement dans la littérature française. Et aussi parce qu’il y a deux manières d’entraîner une femme ou tout objet de son désir derrière le buisson : de force, en la tirant par le bras, ou par le discours amoureux, plus trivialement appelé baratin. Force ou baratin, c’est toute la différence entre barbarie et civilisation.
Julien fait étudier à ses élèves un grand poème de séduction, Mignonne, allons voir si la rose de Ronsard. Très bien. Les imbéciles seuls penseront que c’est vieillot, car le frémissement de désir qui parcourt le poème est sensible à tout adolescent même de nos jours. La rose est symbole de jeunesse, mais le professeur a le droit de suggérer le plus chastement possible qu’elle représente aussi le sexe féminin, comme dans beaucoup de chansons populaires de la vieille France. J’ai souvent fait étudier la merveilleuse scène de séduction de Madame de Rênal par Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal. Une belle nuit d’été, le cœur d’un petit jeune homme qui bat très fort, il a décidé de prendre la main de la femme qu’il aime, mariée et supérieure à lui socialement, quand sonnera minuit. Prendre la main et non la traîner de force derrière un buisson. Deux actes qui ne sont équivalents que pour les délirantes de la culture du viol. L’heure de cours allait finir et pour une fois je m’adressais spécialement aux garçons de la classe, je leur disais que le séducteur a droit au mensonge, aux promesses mirifiques, mais jamais à la violence. Tout bénef, ils prenaient leur prof de français pour un tombeur de dames, ce qui était bon pour son prestige, et cet interdit de la violence pénétrait dans leur cortex. La littérature est essentiellement l’antiviolence, elle peut convertir en mots tous les conflits.
Le piège classique
Troisième erreur de ce jeune, gentil et séduisant professeur : voulant expliquer l‘astéisme, ce procédé stylistique qui fait semblant de blâmer pour faire en réalité un éloge paradoxal, il prend un exemple où il se met lui-même en scène faisant une déclaration d’amour par astéisme à l’une de ses élèves, la timide Leslie. On sent venir l’accident gravissime, le bus scolaire tombant dans un précipice avec cinquante élèves à bord, mais Julien fonce quand même dans le décor. Sa seule excuse est son besoin désespéré de proximité avec ses élèves. Comme tous les professeurs débutants, il pense qu’il va révolutionner la pédagogie par l’affection, et aucun vieux prof de Strasbourg ne l’a mis en garde contre ce panneau. La catastrophe est totale, Leslie, secrètement amoureuse du beau prof l’accuse de harcèlement sexuel, le grand frère s’en mêle et menace de mort le pauvre Julien, sa hiérarchie ne le soutient pas, ses collègues l’abandonnent, sa vie privée tourne en eau de boudin.
C’est ici qu’intervient la quatrième erreur du film, celle-là n’est pas dans l’attitude du professeur mais dans le scénario et ses pudeurs. Pour ne pas fâcher l’une des “communautés” qui se partagent désormais la France, le grand frère, personnage fatal des tragédies de banlieue, est joué par un jeune homme parfaitement caucasien, d’allure skinhead. Il ne correspond pas du tout au physique de grand frère que statistiquement on s’attend à voir. On ne peut s’empêcher de penser au fameux clip de Julie Gayet contre le mariage forcé qui a été tourné dans une église avec des acteurs d’allure parfaitement souchienne. Ce triomphe du politiquement correct enlève beaucoup de crédibilité au film.
Dommage. Le professeur de français, à travers les œuvres qu’il fait découvrir, peut faire infiniment plus pour la laïcité et le vivre-ensemble que toutes les proclamations ministérielles ou les baroques “cours d’empathie”. Faisons notre Finkielkraut au petit pied, puisqu’aussi bien je me prénomme Alain : la littérature est salvatrice. J’ai souvent fait apprendre par cœur des tartines de Roméo et Juliette dans la traduction du fils de Victor Hugo, avec bien sûr la scène du balcon. Aucun adolescent n’y résiste, ils se glissent tous dans la peau des héros, ce n’est pas des tartines qu’ils apprenaient, c’était d’immenses sandwiches comme les sous-marins du Québec. La liberté de l’amour à l’occidentale ne peut que triompher à la longue des pressions communautaristes archaïques et de l’abaissement des femmes qu’elles véhiculent. Faire lire et apprendre Molière, et particulièrement L’école des Femmes, est un remède souverain contre le mépris qui les frappe dans des cultures nouvellement importées en Europe : “Ah ! C’est que vous l’aimez, traîtresse ! – Oui je l’aime. – Et vous avez le front de le dire à moi-même ? – Et pourquoi, s’il est vrai, ne le dirais-je pas ?” Agnès et Arnolphe font rire, mais en douce ils occidentalisent la petite Tchètchène et le petit Afghan qui récitent assez bien leurs rôles, ma foi, malgré leur accent. Le garçon renonce au crime d’honneur qu’il devait accomplir ce soir sur le petit ami de sa sœur et il se promet de faire abandonner par ses frères ce projet barbare.
Mila “blasphème” encore : elle a “osé” s’acoquiner avec les féministes identitaires du collectif Némésis ! L’adolescente menacée par les islamistes réapparait dans les médias, et pense que la laïcité est morte à l’école. Alors que les autorités craignaient hier un attentat de Daech pendant PSG / Barça, un homme en djellaba tuait au couteau un Algérien à Bordeaux pour une histoire d’alcool.
Vous vous souvenez de Mila. Cette jeune fille a été le révélateur en 2020 non seulement de la lâcheté du gouvernement Macron, mais de l’absence d’humanité comme de l’absence de sens des responsabilités de beaucoup de politiques. Pour avoir usé de sa liberté d’expression et moqué le prophète principal de l’islam alors qu’elle recevait des insultes homophobes de la part d’un jeune musulman, cette adolescente de 16 ans avait subi un déferlement de haine sur les réseaux et reçu tellement de menaces que beaucoup ont pensé qu’elle ne survivrait pas au déchainement de violence islamiste dont elle faisait l’objet.
Critiquée pour le choix de son entourage actuel
Elle est à nouveau sous le feu des projecteurs pour avoir expliqué qu’on l’avait influencée, il y a quatre ans, pour la forcer à présenter ses excuses aux croyants sur le plateau de Quotidien. On peut comprendre ses conseillers de l’époque. Il s’agissait alors de sauver la jeune fille, les chances que les menaces de mort soient mises à exécution étaient élevées et Mila était encore influençable. Ce n’est pas ce qui est choquant dans cette histoire. En revanche, ce qui est inacceptable c’est la façon dont, à nouveau, certains politiques et journalistes font un procès à Mila car elle est proche notamment de l’association Némésis et des « milieux identitaires ». Outre que Mila est libre de faire ses choix, il se trouve que si la jeune fille est debout, digne et refuse de se soumettre, c’est à sa force intérieure qu’elle le doit, à son entourage familial et sans doute à son entourage militant – mais pas au soutien qu’aurait pourtant dû lui apporter le milieu politique et culturel.
Mila aurait dû être le symbole de notre résistance face à la barbarie, nous aurions tous dû être un rempart pour elle.
Cette affaire a été le symbole de notre lâcheté collective, de notre faiblesse et de nos reniements. Dans cette histoire, la liberté d’expression a perdu contre le blasphème, et la vie d’une jeune fille a été sacrifiée. Pour rien. Les islamistes n’ont cessé de gagner en puissance.
Sacrifiée par le pouvoir pour ne pas faire le jeu de l’extrême-droite
Car comment respecter ces politiques qui se sont tus ou qui se sont joints à la meute des intégristes ? Comment respecter des élus qui veulent le pouvoir et après l’avoir obtenu ne font pas leur travail et abandonnent aux islamistes une jeune fille de 16 ans, qui ne bafoue aucune loi et use de son droit ? Comment respecter des adultes qui sacrifient une enfant à leur confort, car les forces qui l’attaquent leur font peur ? C’est pourtant ce que le président de la République a fait. C’est pourtant ce que Nicole Belloubet, actuelle ministre de l’Éducation et à l’époque garde des Sceaux a fait. Elle en a même rajouté dans l’ignominie en attaquant gratuitement l’adolescente menacée de mort. Ségolène Royal a montré également l’étendue de son indifférence face aux violences pesant sur une jeune fille ; la gauche a été en dessous de tout, les associations féministes et LGBT n’ont même pas condamné les appels au viol et l’homophobie. À tous les niveaux du pouvoir, la lâcheté a été omniprésente. Et il y a une raison à cela. Politiques et associatifs avaient peur « de faire le jeu de l’extrême-droite » en désignant l’islam comme un facteur de violence et de déstabilisation politique.
Au nom de l’islam : police des mœurs et de la religion dans les lycées
Quatre ans après, on n’est pas sorti de ce piège stupide qui consiste à nier les offensives de l’islam politique, le sang qu’il fait couler, la violence et la mort que ses mœurs puritaines et inadaptées génèrent dans les quartiers où il règne en maître. Quatre ans après, l’influence des islamistes, faute d’être combattue, a encore augmenté. Mila parle de police des mœurs et de la religion dans les lycées, mais les témoignages se multiplient aussi au travail où des musulmans prosélytes et des islamistes font des remarques à ceux qui ne font pas le ramadan. Et maintenant ce sont de jeunes musulmans, pas assez réislamisés aux yeux des islamistes, qui sont victimes d’agressions, voire tués, car ils ne respectent pas la charia. La lâcheté n’a fait qu’augmenter le malheur public et le danger qui pèse sur toute la population.
Alors franchement, voir des éditorialistes et des politiques venir faire un procès aujourd’hui à Mila parce qu’elle est proche du collectif Némésis est ridicule. Cette posture qui consiste à accrocher des cibles sur une personne qui ne doit rien au collectif, n’exerce pas de fonction de représentation et est déjà menacée, est irresponsable. Quelle est l’utilité d’une telle posture ? Comment peut-on essayer de se tailler un costume de vertu et de probité politique en dénonçant une jeune fille de 20 ans qui a déjà versé un lourd tribut à la lâcheté ?
Les choix de Mila, produit de l’abandon et de la médiocrité des politiques
La vérité devrait pourtant faire honte à tous ces petits commissaires politiques de bac à sable : si Mila a pris la main tendue des identitaires, c’est parce que ni le pouvoir ni la société ne se sont montré à la hauteur des enjeux. La jeune femme s’est sentie manipulée et abandonnée. Et elle l’a été. Influencée, elle a pu l’être par des gens sincères, qui géraient une situation d’urgence, fortement inflammable. En revanche, l’abandon des politiques, l’incapacité à trouver une solution qui montre la force de notre attachement à nos libertés publiques, la déscolarisation de Mila, l’incapacité à punir les lycéens qui l’avaient menacée dans son propre lycée, la complaisance manifestée à l’égard de ceux qui au nom de l’islam menacent de mort une adolescente de 16 ans : tout cela est inqualifiable et impardonnable.
Le parcours de Mila s’explique d’abord et avant tout par la tragique médiocrité dont une partie du monde politique a fait preuve et par son incapacité à défendre un des fondamentaux de notre contrat social, la liberté de conscience. Une fois de plus, le parcours de la jeune fille est un révélateur de l’état du pays : si le RN ne cesse de monter dans les intentions de vote, ce n’est pas par adhésion à une dérive fascisante. Si c’était le cas, LFI, qui cumule dérapages antisémites, falsification historique, fascination pour la violence politique ou déshumanisation de l’adversaire serait au plus haut dans les intentions de vote… C’est même tout le contraire, l’ascension du RN s’explique par le conservatisme. Les Français veulent sauver leur modèle civilisationnel et social, leur système politique et leurs mœurs. C’est parce que, pour eux, leurs représentants actuels trahissent cette mission sacrée, qu’ils se tournent vers le RN. Au lieu d’en faire des gorges chaudes et de chercher des boucs émissaires à condamner, comme Mila, nos élites devraient plutôt retrouver le chemin de l’intérêt général et de l’utilité publique. Les Français pensent que les islamistes ne sont grands que parce que leurs élites sont à genoux. C’est pourquoi ils cherchent de nouveaux champions pour porter leurs couleurs. C’est cela que l’histoire de Mila raconte et que personne une fois de plus ne veut entendre.
À l’occasion de la parution de l’épatant Madame Chesterton (1869-1938), de Nancy Carpentier Brown (Téqui) et dans la série « Retour sur un géant du XXème siècle » : G. K. Chesterton – for ever.
« L’espèce humaine à laquelle appartiennent tant de mes lecteurs… » G.K. Chesterton, Le Napoléon de Notting Hill
« Le progrès doit être autre chose qu’un parricide continuel » G.K. Chesterton, Le Défenseur
« Le problème du communisme est qu’il tente de s’opposer au pickpocket en interdisant les poches » G.K. Chesterton, Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste
Chesterton déconcerte, désoriente, désempare. Plus de cent livres publiés, une vie assez courte (1874-1936) – et tous les genres abordés : articles de journaux, romans (Un nommé Jeudi,Le Napoléon de Notting Hill), théâtre, poésie, philosophie, critique littéraire, critique d’art, économie (concepteur du distributisme), controverses religieuses et sociales (Hérétiques), voire littéraires avec ses alter ego, adversaires ou complices (H.G. Wells et G.B. Shaw en particulier), roman policier (Enquêtes du père Brown), essais d’inspiration catholique (L’Homme éternel, 1925, un de ses chefs d’œuvre).
Pour le comprendre – osons l’hypothèse tautologique – il faut, d’abord, l’aimer : « Quand on lit Chesterton, on se sent submergé par une extraordinaire impression de bonheur. Sa prose est le contraire d’académique : elle est joyeuse, physique », écrit Alberto Manguel. Il a raison : le secret, pour lire Chesterton et (tenter d’) accéder à la profusion et à la diversité de son œuvre, c’est d’abord de le fréquenter régulièrement pour en devenir un (presque) familier, s’imprégner de son tour, de sa manière, deviner le sourire derrière la facétie – et comprendre que Chesterton est un état d’esprit, une fantaisie étayée par une pensée très cohérente (clé de l’œuvre) et très claire, qui fait l’ensemble du corpus dominé, voire subsumé par une vista dont son catholicisme serait la note de tête, de coeur et de fond (G.K. se convertit au catholicisme romain en 1922, son épouse, Frances, en 1926).
Étincelant, pragmatique, virevoltant, aux antipodes du dogme et de l’aristocratisme anglais qui ne l’accueillera pas, plutôt libéral avec une continuelle préoccupation de la justice sociale, de l’honnêteté et de la common decency qui consonnent avec sa foi chrétienne, apôtre lui-même du paradoxe fécond, Chesterton est le contraire du « rouleau convertisseur » (Gide, à propos de Claudel).
Les essais et chroniques qu’il a, toute sa vie, disséminés dans la presse, leur diversité, leur suggestivité, l’esprit d’enfance qui les caractérise, le font cousin, certes très anglais et catholique, de Vialatte. C’est encore Manguel qui ose la comparaison – et on entérine le citant, tant elle nous semble non pas aventurée, mais judicieuse.
Le cercle de ses lecteurs n’a jamais cessé de s’entretenir voire de s’étendre : Russell, Shaw, Kafka, Hemingway, Larbaud, Gide, J. Green, Claudel, Paulhan, Klossowski, J.R.R Tolkien, C.S. Lewis, Alfred Hitchcock – jusqu’aujourd’hui Michéa ou Finkielkraut.
Borges est sans doute celui qui se l’est le plus précisément, le plus profondément, le plus justement approprié : « Il aurait pu être Kafka ou Poe mais, courageusement, il opta pour le bonheur, du moins feignit-il de l’avoir trouvé. De la foi anglicane, il passa à la foi catholique, fondée, selon lui, sur le bon sens. Il avança que la singularité de cette foi s’ajuste à celle de l’univers comme la forme étrange d’une clé s’ajuste exactement à la forme étrange de la serrure ».
On a récemment réédité L’Homme à la clé d’or, son autobiographie – qui renseigne autant sur l’homme que sur l’époque (Les Belles Lettres) – et François Rivière s’est tiré avec les honneurs de la première biographie en langue française de Chesterton : cursif, inspiré et scrupuleux, son livre atteste sa longue fréquentation du colossal bonhomme.
N.B. Deux notes-citations éloquentes pour finir :
À propos de Frances, épouse de Chesterton – Nancy Brown, sa biographe, cite George ELIOT (Middlemarch) et donne ce faisant une idée précise, exacte, du rôle de cette femme remarquable (et poète) auprès de G.K. Chesterton :
« Beaucoup de ceux qui la connaissaient trouvaient regrettable qu’une créature si remarquable et si unique eût été absorbée dans la vie d’un autre et ne fût uniquement connue dans un certain cercle qu’en tant qu’épouse… Mais elle eut une influence inestimable et très étendue sur son entourage : en effet, l’épanouissement du monde repose en partie sur des actes non historiques, et si les choses ne vont pas si mal pour vous et pour moi comme cela aurait pu être le cas, c’est en partie grâce à de nombreuses personnes qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes oubliées. »
« Plus les hommes deviennent forts et sages, moins ils se considèrent supérieurs à qui que ce soit. » (Frances Chesterton)
« Un proverbe dit : ‘’rien ne réussit comme le succès’’, mais bien que je n’aie nulle intention d’inventer un nouveau paradoxe, en un sens profond et spirituel, ‘’rien n’échoue comme le succès’’. » (Frances Chesterton)
À propos du socialisme (versus le distributisme que prônera Chesterton) :
« On peut dire du socialisme que ses amis l’ont recommandé comme une égalité croissante, alors que ses adversaires y ont résisté comme une diminution de la liberté… Le compromis éventuel a été l’un des cas les plus intéressants et les plus curieux de l’histoire. Il a été décidé de faire tout ce qui avait été dénoncé dans le socialisme, et rien de ce qui avait été désiré auparavant… nous avons prouvé qu’il était possible de sacrifier la liberté sans obtenir l’égalité… En bref, les gens ont décidé qu’il était impossible de réaliser le bien du socialisme, mais ils se sont réconfortés en en réalisant tout le mal. »
G.K. Chesterton, Utopie des usuriers, 1917 – Chesterton a 43 ans.
François Rivière, Le Divin Chesterton – biographie, Rivages, 224p.
Camille Delmas, Le Paradoxe G.K. Chesterton, L’Escargot, 128p.
À lire également : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil.
Changer Sandrine Rousseau ? Vous rêvez ! L’illuminée de la lutte contre le patriarcat est de retour avec une nouvelle charge anti-Sardou, qui – ne lui déplaise – s’élève encore d’un grade dans le Mérite national. La député écolo de la très bobo 9ème circonscription de Paris en est verte ! C’est surtout, pour la néoféministe, une nouvelle aubaine pour renouer avec l’actu…
Sandrine Rousseau… Si elle n’existait pas, il faudrait ne surtout pas l’inventer ! En parler, bien sûr, c’est rentrer dans son jeu. Taire ses éternelles dérives millimétrées : les banaliser. Mais tant pis : la plume s’impose, finalement…
Le patriarcat va tomber, il vacille déjà. Mais ils se décoreront tous mutuellement avant. https://t.co/IoD8yJgSnB
Pour faire accepter Aya Nakamura aux JO, Macron décore Sardou
Née sous le signe du poisson, Sandrine Rousseau prospère joyeusement dans les eaux troubles de la Nupes, salmigondis créé artificiellement par Mélenchon pour amadouer les urnes. Mais qui lui a matraqué aux oreilles à outrance, quand elle était enfant, le refrain libérateur du talentueux Jean-Jacques Goldman : « Elle a fait un bébé toute seule », à la fin ? Celle que l’on identifie plus sous les traits du « Surveillant général » de Michel Sardou (1973) vient de faillir s’étrangler. L’abhorré Sardou, celui qui voulait récemment organiser une marche blanche pour soutenir son compagnon – déconstruit – va recevoir en juin prochain des mains du président de la République les insignes de grand officier de l’ordre national du Mérite. La pourfendeuse des crinolines, la passionaria des cuisines, la porte-voix des violentées, l’égérie des utérus libérés, qui sait donner du très délicat « Sardou, ferme ta gueule ! » se répand un peu partout pour exprimer sa rancœur. Celle qui ne vit que par et pour l’outrance, serait-elle aigrie d’avoir raté une carrière de chanteuse ? Tremble dans ta tombe, Maria Callas ! On sait que ses premiers pas en la matière étaient, disons approximatifs, lorsqu’en novembre dernier elle avait entonné de grand cœur, debout derrière son pupitre du Palais-Bourbon, un pas franchement inoubliable mais court hymne féministe, rapidement écourté par Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, sa prestation ne l’ayant pas convaincue…
Ministère amer
Le constat est amer : la Madone d’un féminisme désespéré dessert de fait les causes parfois justes qu’elle prétend défendre. Cette agitée de la verdure jette hardiment aux orties et avec une certaine délectation, tout porteur de testicules, forcément suspect. Des déclarations reprises souvent avidement par des médias, grisés par la « bonne » parole de cette gourou(e !) d’un nouveau genre. Elle qui se love lascivement dans le wokisme le plus échevelé, veut faire le ménage dans la vie des femmes. Et balayer des siècles de machisme, repasser les vieux dogmes au crible pour mieux les essorer et nettoyer toute domination masculine honnie. Noble cause, par essence, mais dévoyée par calcul, et vaste programme, comme dirait un certain grand homme. Tout cela pourrait asseoir une intégrité louable, si sa grande mansuétude envers la barbarie barbue en ternissait le clinquant. Car la noblesse de l’idéologie est douteuse, surtout quand la dame reste muette lors de drames réguliers et atroces dont sont victimes jeunes filles, femmes ou dames âgées, imputables à une frange de la population connue, ou, quand elle s’accommode d’un silence complice envers les thèses islamistes les plus radicales, connues pour piétiner allégrement les droits élémentaires de la femme et pas seulement.
Prends garde mâle blanc occidental, hérétique de nature : Sandrine, grande inquisitrice d’une cause revisitée et qui l’a pénétrée – oserait-on dire – veille !