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Que reste-t-il de la Nouvelle Droite?

« De l’héritage à l’engagement : l’Europe de nos enfants », voilà l’intitulé du 11e Colloque de l’Iliade qui s’est tenu le samedi 6 avril 2024 à Paris


Que reste-t-il de la Nouvelle Droite?
Jeremy Baneton, jeune auteur d'un essai sur Maurice Barrès aux éditions de la Nouvelle Librairie et Antoine Dresse, animateur de la chaine Ego Non.

Le 6 avril à la Maison de la Chimie, l’Institut Iliade « pour la défense de la civilisation européenne » se réunissait en colloque. L’occasion d’une visite dans le lieu de formation privilégié des partis de droite identitaire… et de découvrir quelles étaient les têtes présentes.


« Celui qui vit le legs de ses ancêtres appartient à la communauté et donc au peuple » lance à la tribune l’avocat et enseignant en droit Pierre Gentillet dans un discours en forme de cours de philosophie politique. Sont cités tour à tour Carl Schmitt, Marcel Mauss, les pères de la sociologie allemande… autant de références qui ont plutôt l’habitude d’endormir l’auditoire lambda. Le maitre est pourtant vivement applaudi. Peut-être s’adresse-t-il à un public spécifique.

Les étudiants du syndicat la Cocarde figurent en bonne place sur les stands de l’Iliade. 

Europe et Occident

Plutôt habitué des plateaux de CNews, Pierre Gentillet parle aujourd’hui devant l’Institut Iliade, une organisation qui défend « la longue mémoire européenne et lutte contre le grand remplacement ». Longtemps inconnue du grand public, elle fut récemment médiatisée après l’annulation d’une réunion d’hommage, prévue le 21 mai 2023, à Dominique Venner, écrivain et historien qui s’était donné la mort en 2013 à Notre-Dame. Fondé il y a une dizaine d’années en mémoire de ce geste spectaculaire, l’Institut se réunit chaque année en colloque à la Maison de la Chimie et planche sur un thème. Il s’agira cette année, selon l’intitulé, de passer : « de l’héritage à l’engagement » Moitié think thank, moitié école de cadres, l’Institut dispose d’un circuit éditorial pour publier des ouvrages ou essais sur les penseurs de la mouvance conservatrice et organise des cycles de formation intellectuelle pour les jeunes cadres de la droite radicale. L’Institut Iliade est une émanation lointaine de la Nouvelle Droite, un courant apparu à la fin des années 1970 qui s’inspirait des idées de la Révolution conservatrice allemande : soit la défense de la civilisation européenne, des hiérarchies naturelles et de la tradition… il prônait aussi un retour aux religions ancestrales de l’Europe, c’est-à-dire le paganisme alors que le christianisme était jugé impropre à traduire ce que le génie européen avait de spécifique.

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L’Europe justement est ici dans toutes les bouches des intervenants. Le professeur d’Université Olivier Battistini refait les guerres du Péloponnèse et opère de savantes distinctions entre les concepts d’Europe et d’Occident, l’essayiste Thibaud Gibelin parle de refonder le Saint Empire… L’occasion d’une telle réunion parait favorable à l’approche des élections européennes. On trouve pourtant peu de candidats ou de responsables de partis politiques.

Les organisateurs du colloque ne se formalisent pas de ces absences. Délaissant le combat électoral, l’Institut opte depuis sa fondation pour une approche « métapolitique » et cherche à investir le champ social, culturel et idéologique pour préparer une prise du pouvoir. La nouvelle droite a popularisé dans les milieux conservateurs les idées de l’intellectuel communiste italien Antonio Gramsci, qui invitait à durcir le combat culturel dans un processus de prise du pouvoir.

Paul-Marie Couteaux, Antoine Dresse, Bernard Lugan…

A la guerre culturelle comme à la guerre, on trouve sur les stands des livres, des objets artisanaux, des gravures, des revues savantes et même du pâté et du saucisson, lesquels promeuvent « une culture régionale et enracinée ». Par-delà le folklore, cette nébuleuse compte de nombreux médias et réseaux de diffusion. Certains sont actifs depuis longtemps : Radio Courtoisie et TV Libertés diffusent un traitement alternatif de l’actualité. Le stand de la Nouvelle Librairie, présente depuis 2018 dans le quartier Latin rue de Médicis est à l’honneur. Ses auteurs vedettes dédicacent : l’historien africaniste Bernard Lugan, le romancier Olivier Maulin ou le professeur de droit Frédéric Rouvillois.

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Outre ces structures déjà installées, on s’étonne dans les allées de la multiplicité des initiatives nées dans le sillage de l’Institut comme de leur rajeunissement. On trouve des organisations type Académia Christiana médiatisée après une tentative de dissolution du gouvernement ou le collectif Némésis qui prône « un féminisme identitaire »… Mais aussi des nouvelles venues : un bar associatif pour étudiants rouennais, des médias en ligne, des jeunes revues animées par des étudiants. Les Ecrits de Rome, revue sur papier glacé de 40 pages en est à son 8e numéro et enchaine les entretiens avec les intellectuels conservateurs et des dossiers éclectiques : Jünger, Chesterton, Tolkien… Un youtubeur, Antoine Dresse, propose des cours de philosophie sur des auteurs aussi difficiles d’accès que Heidegger ou Spengler. La qualité pédagogique de sa chaine, Ego Non, en font un influenceur déjà reconnu[1]. La jeunesse est en tout cas au rendez-vous et circule entre l’auditorium, les stands et la buvette. Gage d’ouverture, l’Institut invite également l’intellectuel souverainiste et directeur de la revue « Le Nouveau Conservateur » Paul-Marie Couteaux, lequel vient « puisqu’après tout, on l’a invité » ; avant de se justifier : « je suis plus convaincu par l’idée d’une civilisation française qu’européenne mais j’ai toujours prôné l’Union des droites… »

Le souverainiste Paul-Marie Couteaux vient en ami et tient le stand de sa jeune revue « le Nouveau Conservateur ». 

La Nouvelle Droite a réussi à mettre l’esthétique de son côté. La mise en scène à la tribune célèbre les figures historiques de l’Europe. La littérature est omniprésente sur les stands : les exemplaires de Livr’arbitres, revue littéraire de qualité, se vendent comme des petits pains. On peut se procurer des ouvrages d’occasion de Jünger, de Fraigneau, de Tolkien, de Chesterton ou de Julius Evola… Un peu déshéritée par la génération des baby-boomers, toute une jeune génération apprécie d’être prise au sérieux et de se voir proposer un contenu intellectuel de qualité. L’Institut est devenu plus audible depuis que le Rassemblement national et Reconquête ! ont infléchi leur position sur l’Europe. Au parti de Marine Le Pen, il n’est plus vraiment question de sortie de l’UE ni même de l’euro. Reconquête ! fait de son côté campagne aux européennes sur le thème de la défense de l’identité européenne.

A droite, peu de structures disposent d’une telle capacité d’attraction. Pour toute une jeunesse militante, la formation intellectuelle semble désormais passer par l’Institut.


[1] https://www.youtube.com/channel/UC5fzl79Ep4fWSmQnDUI468w




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