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L’antisionisme radical ou la haine réhabilitée


Le dimanche 14 décembre 2025, une attaque terroriste a profondément marqué l’Australie et la conscience internationale : lors d’une célébration publique de Hanoucca sur Bondi Beach, à Sydney, deux hommes ont ouvert le feu sur la foule rassemblée, tuant au moins 15 personnes et en blessant des dizaines d’autres, parmi lesquelles des enfants, des survivants de la Shoah et des figures communautaires juives. Ce massacre, le plus meurtrier en Australie depuis des décennies, a immédiatement été qualifié par les autorités d’attentat terroriste antisémite visant spécifiquement la communauté juive australienne. 

Daesh est toujours là

Les premières enquêtes indiquent que les deux assaillants — un père et son fils — pourraient avoir été inspirés par l’idéologie de l’État islamique, après un récent séjour dans une région des Philippines connue pour des activités liées à des groupes jihadistes. Des drapeaux et des engins explosifs ont été retrouvés à bord de leur véhicule, renforçant l’hypothèse d’une motivation terroriste religieusement radicalisée. 

Cette tragédie a suscité une vague de réactions politiques et institutionnelles à travers le monde. En Australie, le Premier ministre Anthony Albanese a qualifié l’attaque d’« acte de haine antisémite et de terrorisme » et a promis de réévaluer la législation sur les armes ainsi que les stratégies de prévention de l’extrémisme violent.  À l’international, des dirigeants tels que le président américain Donald Trump et des responsables religieux comme le pape Léon XIVont fermement condamné l’événement, insistant sur la nécessité d’une action globale contre l’antisémitisme. Emmanuel Macron a écrit que la France « partage la douleur du peuple australien et continuera de lutter sans faiblesse contre la haine antisémite qui nous meurtrit tous, partout où elle frappe. »

Pour la communauté juive mondiale, les funérailles des victimes ont été marquées par une émotion intense, reflétant non seulement un deuil collectif mais aussi la peur renouvelée face à des violences antisémites qui semblent gagner en fréquence et en brutalité dans différents pays depuis le déclenchement de la guerre de Gaza en octobre 2023.  Des voix critiques, y compris au sein même de la communauté australienne, reprochent aux autorités une sous-estimation des signaux d’alerte avant l’attaque et un manque de mesures concrètes face à la montée des actes de haine. 

Drôle de mélange

Ce contexte tragique illustre à quel point la violence dirigée contre les Juifs peut se nourrir d’un mélange complexe d’idéologies extrémistes, d’interprétations grotesques de l’antisionisme et de narratifs conspiratifs diffusés dans certains milieux politiques, religieux ou médiatiques. Dans cette lumière, l’antisionisme radical ne doit pas être analysé comme un simple désaccord politique autour du conflit israélo-palestinien, mais comme une matrice dans laquelle des formes plus larges de haine — parfois violentes — peuvent s’enraciner et se légitimer, jusqu’à franchir le seuil du passage à l’acte terroriste.

Pourquoi Israël concentre-t-il aujourd’hui une hostilité aussi violente, aussi disproportionnée, aussi obsessionnelle, de la part de certains milieux intellectuels occidentaux et du monde arabo-musulman ? Comment expliquer que dans un monde traversé de conflits, d’injustices, de tragédies humaines innombrables, un seul pays focalise autant de ressentiment, de soupçon, de colère ?

Ce texte propose une réponse sans fard : l’antisionisme radical contemporain n’est que la forme renouvelée, socialement acceptée, culturellement reconfigurée, d’un antisémitisme ancestral. Il ne s’agit pas d’une critique légitime de la politique israélienne. Il s’agit d’une entreprise de délégitimation, de déshumanisation, de désignation d’un mal absolu. Et ses conséquences sont déjà visibles, dangereuses, explosives.

Israël, cible d’une passion idéologique

Attribuer la haine d’Israël à la seule conduite de ses gouvernements successifs est une solution de facilité. C’est supposer que cet État, seul au monde, incarnerait une monstruosité sans équivalent, dans un univers pourtant saturé de crimes de guerre, de nettoyages ethniques, de dictatures impitoyables. Israël, dans cette vision, devient un cas d’exception maléfique. Cela ne tient pas.

Ce schéma ressemble à s’y méprendre à celui de l’antisémite traditionnel, pour qui la haine des Juifs n’est qu’une réponse aux « agissements » de ces derniers. Dans les deux cas, on justifie la haine par le comportement supposé de l’objet haï. La passion prime sur la raison. La condamnation est préalable aux faits.

La mécanique de la diabolisation

L’antisionisme radical est une passion, non une opinion. Il ne débat pas, il condamne. Il ne s’appuie pas sur des faits, il se nourrit de symboles. Et son moteur principal est la diabolisation.

Diaboliser, c’est caricaturer, exagérer, essentialiser. C’est effacer la complexité, nier les circonstances, interdire l’empathie. C’est réduire un peuple, une nation, à une fonction : incarner le Mal. Ce procédé n’est pas nouveau. Il était déjà à l’œuvre au Moyen Âge, quand les Juifs étaient accusés de profaner les hosties, d’empoisonner les puits, d’être les agents du diable.

Aujourd’hui, c’est Israël qui joue ce rôle. Un bouc émissaire global, qui permet à chacun — islamiste humilié, intellectuel culpabilisé, militant égaré — de se croire moral en haïssant un ennemi commode.

Le vieil antisémitisme religieux recyclé

Le lien entre le Juif et le diable est enraciné dans les textes et les traditions du christianisme médiéval. De Jean à Luther, en passant par la mystique populaire européenne, cette image a traversé les siècles. Elle s’est ensuite sécularisée sous des formes politiques, puis raciales, et aujourd’hui idéologiques.

Le monde musulman, de son côté, n’a pas échappé à cette construction. Certains versets coraniques, certains hadiths, ont été interprétés pour enraciner un antisémitisme durable. Ce n’est pas une haine circonstancielle, mais une vision théologique et historique du monde, où les Juifs sont dépeints comme infidèles, sournois, maudits.

À la différence notable des religions asiatiques — qui n’ont jamais développé de haine des Juifs —, les monothéismes issus d’Abraham semblent avoir eu besoin, chacun à leur manière, de délégitimer l’existence juive.

Le conflit israélo-palestinien, prétexte métaphysique

Dans cette perspective, le conflit israélo-arabe n’est plus une question géopolitique ou territoriale. Il devient un théâtre symbolique. Le penseur Hamed Abdel-Samad le résume crûment : « Ce n’est pas Israël que nous détestons. Ce sont les Juifs. » Même si Israël rendait toutes ses terres, l’hostilité ne cesserait pas. Car elle ne repose pas sur l’occupation, mais sur l’existence même d’un État juif souverain.

Cette souveraineté est vécue comme une offense. Elle contredit les prophéties. Elle humilie ceux qui avaient relégué les Juifs au rang de peuple soumis, minoritaire, résiduel. Israël, en gagnant ses guerres, en prospérant, en survivant, ne fait pas que se défendre : il accuse, silencieusement, ceux qui le haïssent. Et c’est cela qui devient insupportable.

L’Occident progressiste en miroir

C’est là qu’intervient la grande hypocrisie des élites occidentales. Traversées par la honte de la Shoah, du colonialisme et de l’esclavage, pétries de vertus chrétiennes retournées contre elles-mêmes, ces élites trouvent dans l’antisionisme un exutoire commode. Elles inversent les rôles : les descendants des victimes deviennent bourreaux ; les porteurs de haine deviennent résistants.

Le Palestinien est élevé au rang de figure christique, et l’Israélien abaissé à celui de soldat romain. Ce récit manichéen arrange tout le monde : il permet de réconcilier la bonne conscience avec la haine, de faire du ressentiment une vertu, de recycler les vieux tropes antisémites sous des formes acceptables.

Un monstre symbolique : Israël comme démon moderne

On reproche à Israël exactement ce qu’on a reproché aux Juifs pendant des siècles : la cruauté, la ruse, la soif de domination mondiale. On lui attribue un projet délirant — du Nil à l’Euphrate, de Tombouctou à New York. C’est une projection pure, au sens psychanalytique : les fantasmes de domination d’autrui sont projetés sur Israël pour mieux s’en absoudre soi-même.

Ce délire s’auto-alimente dans les réseaux, les campus, les conférences militantes. Israël devient un archétype du mal. Et cette image sert à justifier tout : les appels à l’intifada, les meurtres de civils, l’importation du conflit sur le sol européen. L’antisionisme n’est plus une position : c’est une arme.

Conséquences : un climat de violence intellectuelle et physique

Cette passion antisioniste radicale produit des effets. Elle transforme les débats en inquisitions. Elle rend la défense d’Israël honteuse, voire dangereuse. Elle pénètre les universités, les syndicats, les partis, jusqu’aux ONG. Elle instille une haine froide, justifiée, éthique — donc irréfutable.

Dans les rues d’Occident, on acclame des slogans appelant à l’éradication d’un État. On justifie des attentats. On attaque des synagogues. On cible des enfants. Et trop souvent, les autorités regardent ailleurs. Le courage politique est absent. Le mot « juif » fait peur à prononcer — sauf quand il s’agit de le dénoncer.

La trahison des clercs

Les intellectuels, censés être les garants de la pensée libre, ont pour beaucoup déserté leur poste. Par paresse, par conformisme, par lâcheté, ils ont abdiqué. Ils répètent les slogans, travestissent l’histoire, tordent le réel. Ils trahissent non seulement Israël, mais leur propre mission : éclairer, pas attiser.

La critique d’Israël est légitime. Sa diabolisation est une trahison. Une insulte à l’intelligence. Une faute morale.

Un antisémitisme relooké

L’antisionisme radical contemporain n’est rien d’autre que l’antisémitisme classique relooké pour convenir aux canons du progressisme mondain. Il n’est ni plus noble, ni plus légitime. Il est peut-être pire, car il s’ignore ou se ment à lui-même.

Israël n’est pas haï pour ce qu’il fait. Il est haï pour ce qu’il est : un État juif, fort, vivant, insoumis. Ce rejet n’a rien d’un combat pour la justice. C’est le prolongement d’un vieux refus : celui de laisser les Juifs exister autrement que dans la soumission ou la disparition.

Ce combat n’est pas israélien. Il est global. Il est civilisationnel. Et il est temps d’ouvrir les yeux.

D’une morale l’autre

Pour Chantal Delsol, l’héritage judéo chrétien est une réalité dont il faut reconnaître les apports majeurs à l’humanité. Mais elle estime que les chrétiens, devenus minoritaires, ne sont plus les prescripteurs moraux de nos sociétés et qu’ils ne doivent pas chercher à le redevenir.


Les civilisations existent. C’est une utopie de croire en une future culture unique mondialisée qui effacerait toutes les différences. Et d’où viennent ces différences culturelles qui font les civilisations ? Des diverses manières de répondre aux questions immuables posées à l’être humain : Pourquoi dois-je mourir ? question religieuse ; Comment définir le bien et le mal ? question morale ; Comment trouver l’abondance en luttant contre la rareté ? question économique ; etc. Les civilisations représentent les réponses diverses et toujours incertaines que les humains se donnent selon le lieu et le temps, leur histoire et leur caractère. Ces réponses ne sont pas figées, elles évoluent, elles se croisent et s’influencent entre elles – mais elles constituent tout de même, les unes et les autres, des entités reconnaissables, significatives, et toujours intéressantes.

Dans toutes les directions

Un grand écrivain chinois du xxe siècle, Liang Shuming, avait défini trois grandes civilisations mondiales : la chinoise, l’indienne et l’occidentale. Il en oubliait un grand nombre, mais son point de vue nous éclaire sur nous-mêmes. Il les décrivait d’abord d’un trait. La chinoise « s’adapte au monde » (Confucius, le taoïsme). L’indienne « veut le néant » (Bouddha). L’occidentale « va de l’avant » (Moïse, Platon, Jésus). Que veut dire ici « aller de l’avant » ? La civilisation occidentale, qui commence avec les Juifs et les Grecs (saint Augustin pense que Platon a rencontré des penseurs juifs, car le Timée ressemble trop à l’Ancien Testament), poursuivie par le christianisme, s’exprime ainsi : elle conceptualise, invente, diffuse, construit, explore, conquiert, tout cela dans un maelström continuel et effréné. L’invention de la transcendance (la croyance en un Dieu transcendant qui se révèle) suscite le déploiement de la science, parce que l’idée d’un créateur rationnel commande de chercher dans la nature les lois qui la structurent. L’idée de personne libre et responsable annonce l’invention de la démocratie moderne, d’abord dans les monastères puis dans les villes italiennes, dans la Magna Carta anglaise puis les régimes démocratiques modernes. En même temps, l’idée de personne libre et responsable inspire des sociétés occidentales dans lesquelles, dès l’origine, les filles se marient tard (par rapport à d’autres civilisations), la monogamie est d’usage, l’instruction des jeunes, prioritaire (même l’instruction des filles). Le choc de la saison révolutionnaire, à la fin du xviiie siècle, représente à la fois une rupture et une continuité, puisque les idéaux religieux (la personne, l’amélioration du monde) sont repris et laïcisés. C’est ainsi que se déploient au xixe siècle l’idée de progrès et la moralisation du monde – abolition de l’esclavage, émancipation des femmes, lutte contre la peine de mort, la torture, la prostitution, etc., moralisation qui se poursuit aujourd’hui avec la criminalisation de la pédophilie et du viol.

Ces caractéristiques occidentales, qui décrivent notre civilisation, ont pu exister ailleurs mais jamais de cette manière. La Chine a inventé des techniques bien avant nous (le vaccin, l’imprimerie), mais les a réservées au palais alors que nous les diffusions à tous. La civilisation musulmane a créé des madrasas qui sont des écoles théologiques, mais c’est en Europe que sont nées les universités, permettant au grand nombre d’accéder à tous les savoirs. Le Japon a développé des féodalités comparables aux nôtres, mais la démocratie nous est spécifique. La Chine a exploré le monde au début du xve siècle, puis interdit les voyages maritimes, mais nous avons pendant des siècles exploré la terre dans toutes les directions, découvert les détroits et les pôles, gravi les sommets du monde.

Universalisme

Cependant, la spécificité essentielle de l’Occident, c’est l’universalisme, d’abord chrétien puis laïque. Autrement dit la certitude que nos croyances et principes sont valables pour tous les humains – et qu’il faut donc les diffuser partout. Le christianisme se donne pour une vérité, un message adressé à tous les peuples de la terre. Plus tard, les droits de l’homme se présentent comme un message universel. D’où la mission, d’abord chrétienne, puis laïque. L’Occident apporte partout la vérité découverte ici.

Ces deux facteurs cumulatifs, l’idée d’universel et la puissance conférée par les découvertes scientifiques, font de l’Occident une civilisation conquérante. À partir du xve siècle, l’Europe avale et digère les deux Amériques, devenant ainsi l’Occident (le « pays du soir »), puis elle colonise l’Afrique et une grande partie de l’Asie. Elle apporte partout ses découvertes, depuis la médecine moderne jusqu’au chemin de fer, depuis l’émancipation des femmes jusqu’aux armements. De sorte que le monde est tout entier habité des trouvailles de l’Occident et qu’après une période de conquêtes coloniales intenses, on peut parler aujourd’hui d’un empire culturel mondial.

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Cette histoire extraordinaire ne se déroule pas sans drames intenses. Toute puissance court à l’ubris, et une puissance pareille, mondiale pour la première fois, commet des exactions et des crimes, produit des forêts d’arrogance et des mépris impardonnables, même si elle apporte aussi ses bienfaits. Nous arrivons au moment où l’hégémon se voit mis en cause pour ses excès, et se met lui-même en cause, ce qui est aussi une de ses caractéristiques, issue de la philosophie critique et de la culpabilité judéo-chrétienne. La situation présente est celle d’un Occident récusé et détesté de toutes parts, qui en même temps se déteste lui-même, et dans sa honte, prétend ne pas même exister en tant que tel.

Notre vraie difficulté, je dirais même notre véritable angoisse, concerne la survie de nos principes fondateurs dans l’esprit et les comportements des générations futures. La récusation mondiale de notre universel nous fait douter de nous-mêmes au point d’hésiter à nous défendre : existons-nous encore si nos principes ne valent plus que pour nous ?

Influence perdue

Or depuis la seconde moitié du xxe siècle, il semble que l’héritage judéo-chrétien vacille au moment même où il perd sa prépondérance extérieure. Le message laïque des droits de l’homme, héritier du christianisme, finit par écarter son fondateur et promouvoir une société à certains égards « païenne ». La chrétienté, entendue comme gouvernement moral et dogmatique de l’Église sur les sociétés, s’effondre. Les chrétiens s’en émeuvent, et se demandent comment reprendre leur influence perdue.

Que peuvent-ils faire ? D’abord regarder la situation en face : les lunettes de la décadence sont mauvaises conseillères. Contrairement à ce que disent certains pessimistes, nous ne sommes tombés ni dans le nihilisme, ni dans le relativisme. Nous vivons, bien plutôt, une transformation de la morale, une continuation de la morale judéo-chrétienne qui concerne désormais l’individu et le protège contre les institutions. La morale ancienne ne se détruit pas, plutôt elle évolue. On légitime l’IVG, mais on criminalise la pédophilie. On légitime le suicide assisté, mais on criminalise le viol. Il s’agit toujours de protéger les faibles contre les hiérarchies institutionnelles. Naturellement on peut contester cette évolution. Mais elle est là, et elle est désormais légitimée par la grande majorité de nos concitoyens.

Pour la première fois depuis quinze siècles, nos sociétés se trouvent écartelées entre deux types de morale – une, chrétienne traditionnelle, et une autre, post-chrétienne. Les deux morales s’affrontent, l’ancienne et la nouvelle – mais ceux qui défendent l’ancienne morale représentent, dans un pays comme la France, un pourcentage très minoritaire. Quelles sont les conséquences de cette situation ? D’abord, les Églises désormais marginales ne peuvent plus imposer la morale publique comme auparavant : c’est donc l’État qui décrète la morale. Ensuite : dans des pays démocratiques, les décisions morales vont désormais obéir aux majorités. Je doute qu’il y ait grand monde en France pour réclamer de revenir à la criminalisation de l’IVG. C’est le cas dans certains États américains, mais ce n’est clairement pas le cas en Europe. Certains chrétiens laissent entendre qu’il faudrait se faire élire et puis abolir les réformes sociétales récentes pour revenir à l’état ante. Naïveté ou sauvagerie ? On ne peut exercer une domination minoritaire, sur des sujets aussi sensibles, sans prétendre à des fascismes de type entre-deux-guerres. Car le retour au passé est encore une utopie, non moins dangereuse que l’utopie du futur, et tout autant terroriste. Je ne comprends même pas qu’on puisse caresser ce genre de rêve brutal. En tout cas, ce serait sans moi.

Nous devons vivre avec cette idée que les chrétiens ne sont plus les prescripteurs moraux de nos sociétés : le gouvernement moral des sociétés par le christianisme, qui s’appelait chrétienté, n’est plus. Les chrétiens ne représentent plus qu’une partie, souvent très minoritaire – ce qui exige d’eux, désormais, davantage de lucidité que de nostalgie.

Insurrection des particularités

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Quart d’heure warholien

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Une caissière de supermarché devient la star de TikTok.


Après le loup d’Intermarché, la caissière de Carrefour. Elle s’appelle Léonie, j’ignorais que le prénom de ma grand-mère revenait en grâce. La vingtaine, étudiante, méritante et ravissante, elle travaille au Carrefour de Laval le weekend.

Et pendant ses pauses, elle fait des vidéos avec ses collègues. Des jolies chorégraphies au milieu des rayons, des mimiques, quelques accessoires, le tout en uniforme frappé du logo de la maison. Le genre de trucs qu’on fait au mariage de sa meilleure copine et que le magasin poste sur son compte TikTok qui compte désormais 150 000 abonnés (je suppose que personne ne s’abonne au compte TikTok d’un hyper sans une raison particulière).

Comment ça a démarré, mystère mais en quelques jours, Léonie devient un phénomène.  Ses vidéos font des centaines de milliers de vues. Les commentaires pleuvent. Des troupes de jeunes gens (mâles) se précipitent au Carrefour qui, à en juger aux photos, semble planté dans la Pampa, dans l’espoir d’apercevoir la belle et surtout, de se filmer dans cette quête et de poster à leur tour. Et le magasin annonce avoir recruté un garde du corps pour Léonie, ce qui rajoute une page à l’histoire.

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Que nous raconte cette histoire ? La version joli conte de Noël, c’est l’amour des petits, des humbles, des métiers essentiels comme on disait du temps du Covid… En réalité, je pense que c’est plutôt la prophétie de Andy Warhol réalisée. Chacun son quart d’heure de gloire. Mais cette célébrité est autoréférentielle. On n’est pas célèbre pour ses œuvres ou ses exploits mais parce qu’on est célèbre (à l’image de Kim Kardashian). Léonie n’est pas célèbre parce qu’elle danse bien – même si elle danse bien et qu’elle est très mignonne – mais parce qu’elle est virale. Peu importe le talent, ce qui compte c’est le nombre de vues et de followers. On la regarde parce que des milliers d’autres l’ont regardée. Les réseaux sociaux consacrent le triomphe du désir mimétique. La vox populi me dit ce que j’aime.

Certains se réjouiront de cette démocratisation de la célébrité devenue un objectif en soi – on me regarde donc je suis. Après tout, elle n’est pas toujours répartie très justement. Des tas de gens nuls et moralement douteux sont célèbres avec tous les avantages afférents. La promesse impossible de la Révolution française était Tous aristocrates ! La promesse des réseaux sociaux c’est Tous célèbres ! L’ennui, c’est qu’à la fin, il n’y aura plus de public.

Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

https://www.youtube.com/watch?v=2WXk599vw18

«Les féministes font du tri entre les victimes»

Victime d’un viol commis par un multirécidiviste africain sous OQTF, le 11 novembre 2023, et après un procès largement médiatisé, Claire Géronimi a fait naître de cette tragédie l’association Éclats de Femmes, pour donner voix aux victimes, dénoncer les défaillances du système judiciaire et alerter sur l’insécurité grandissante en France. Elle est également la vice-présidente du parti UDR fondé par Éric Ciotti. À travers ces deux engagements, elle entend porter un féminisme concret et exigeant. Son livre, dans lequel elle racontera son parcours et son combat, sortira en janvier 2026. Rencontre.   


Causeur. Un chiffre vient de tomber : en Île-de-France, 62 %[1] des agressions sexuelles dans les transports en commun seraient commises par des étrangers. Quand on vous accuse de faire un lien entre immigration et violences faites aux femmes, de stigmatiser ou d’instrumentaliser ces faits, que répondez-vous ?

Claire Géronimi. Tout part de là, j’ai été victime d’un viol sauvage, comme trop de femmes en France. Ce que j’ai vécu est indissociable de l’insécurité qui gangrène le quotidien. Dans les transports en commun, dans la rue, la nuit, partout… les femmes ont peur. Aujourd’hui, on partage notre localisation en temps réel à nos proches, on se couvre davantage, on évite certains trajets. Et ce n’est plus seulement dans les grandes villes, c’est partout.

Mon violeur avait 11 condamnations inscrites sur son casier judiciaire, c’était un multirécidiviste. Et comme lui, trop d’agresseurs restent sur le territoire alors qu’ils n’auraient jamais dû y être. Oui, il y a un problème d’immigration totalement hors de contrôle, et plus particulièrement avec les OQTF qui ne sont pas exécutées. Mon combat n’est pas parcellaire, il englobe à la fois la lutte contre les violences faites aux femmes, le rétablissement de la sécurité partout sur le territoire et la fin de cette impunité organisée. On ne peut pas défendre les femmes sans parler de tout cela.  

À quel moment avez-vous choisi de transformer votre expérience personnelle en engagement concret pour les victimes ?

Je ne pouvais plus rester les bras croisés. Passer mes journées devant mon ordinateur à réfléchir à des stratégies business qui, au fond, m’importaient peu… ça ne me ressemblait plus. J’ai d’abord eu l’idée de créer le podcast Éclats de Femmes pour libérer la parole de femmes qu’on n’entend presque jamais, redonner ses lettres de noblesse au féminisme et porter mon féminisme, celui qui compte vraiment pour moi. J’ai invité des personnalités fortes comme Alizée Le Corre, Marie-Estelle Dupont, des psychologues, des avocats… L’objectif est de donner des clés concrètes aux victimes et d’offrir un micro à celles dont la voix est étouffée. Très vite, je me suis rendue compte qu’il manquait cruellement un accompagnement global pour ces femmes. J’ai donc créé l’association. Le podcast est sorti en septembre 2024, l’association a suivi en novembre. Et aujourd’hui, nous sommes déjà trois salariées.

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Vous auriez pu vous arrêter à l’engagement associatif. Pourquoi ajouter un engagement politique aux côtés d’Éric Ciotti ?

L’engagement social est essentiel, mais ses effets restent limités. L’association Éclats de Femmes est et restera apolitique, nous accompagnons toutes les victimes, du dépôt de plainte jusqu’au procès, avec une équipe juridique et psychologique. On ne porte pas de message politique, mais on ne va pas non plus cacher la réalité si une femme a été agressée par une personne sous OQTF, on le dit et on l’accompagne, point.

Éric Ciotti a été l’un des rares responsables politiques à me tendre la main dès le début, quand je cherchais des réponses concrètes du gouvernement quant à la présence de mon agresseur sur le territoire. Après la création de son parti, il m’a proposé de le rejoindre pour porter la voix des femmes à droite. J’ai longtemps réfléchi. Et puis je me suis dit que c’était une opportunité, défendre mon féminisme, oui, mais aussi m’engager sur les questions de sécurité et d’économie, des sujets qui me touchent en tant qu’ancienne entrepreneure. Pour faire vraiment bouger les lignes, il faut parfois être au cœur du réacteur. C’est le seul moyen de porter ses idées jusqu’au bout.

Vous avez affirmé à plusieurs reprises vous sentir seule et abandonnée.

Lors de mon agression, je me suis sentie abandonnée par les citoyens. Une voisine a entendu du bruit, a regardé dans la cour, mais n’est pas intervenue. Quand on entend une femme crier et du bruit de verre brisé, on ne sort pas de chez soi ? Cela pose une véritable question de responsabilité collective dans notre société. Une deuxième voisine m’a retrouvée en sang dans le hall de l’immeuble ; elle a fait fuir l’agresseur, mais ne m’a pas porté assistance car elle devait prendre un avion.

Après l’agression, malheureusement, comme je l’ai déjà dit dans de nombreuses interviews, j’en veux au système qui est mal conçu pour les victimes : on manque de soutien, une fois la plainte déposée.

Je me sens aussi abandonnée par le gouvernement. Depuis le début, j’ai pris la parole publiquement ; la moindre des choses aurait été un mea culpa, d’autant que j’ai créé une association. Ils n’ont pas envie d’affronter la réalité d’une victime agressée par une personne sous OQTF, car cela mettrait en lumière leurs propres défaillances. À l’époque, ni Bérangère Couillard ni Gérald Darmanin n’ont répondu à mes contacts. Aurore Bergé non plus n’a pas eu le courage de m’envoyer un message de soutien ou de me rencontrer avant le procès, malgré les demandes qui lui avaient été transmises.

Vous avez même évoqué, dans une interview, le fait que le système cherche à culpabiliser les victimes dans leurs démarches ?

Exactement. Lors des expertises psychiatriques pendant la phase d’instruction, mandatées par la CIVI (ndlr : Commission d’indemnisation des victimes), on se retrouve face à de vieux professionnels qui nous poussent dans nos retranchements. Les victimes devraient savoir qu’elles ont le droit d’être accompagnées par un avocat et un médecin conseil, ce qui n’est jamais précisé. On se retrouve seule dans une salle avec un expert de la CIVI et un psychiatre ; on m’a même reproché de ne pas avoir pris d’anxiolytiques, sous-entendant que cela réduirait mon indemnisation. Pendant l’instruction, les victimes ne sont pas réellement prises en considération. Les blessures physiques sont prises beaucoup plus au sérieux que les séquelles psychologiques, car elles sont plus faciles à mesurer. Pourtant, dans les cas de violences sexuelles, il y a très peu de blessures physiques visibles, hormis des bleus et des coups qui disparaissent au bout de six mois.
Mathilde, l’autre victime, et moi, avons commencé à avoir les gencives qui saignaient à l’approche du procès, un signe de stress intense qui persiste, mais cela n’a pas encore été comptabilisé comme dommage corporel. Je milite pour une réforme profonde de ce système.

Les féministes de gauche vous présentent comme une figure du « fémonationalisme ». Quel regard portez-vous sur ces féministes pour qui toutes les victimes ne se valent pas ?

Elles font du tri entre les victimes, discriminent et choisissent leurs combats, alors que ces causes devraient être transpartisanes. J’avais envoyé un message à Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, sur LinkedIn ; le message a été vu, mais pas de réponse. D’autres associations m’ont répondu : « On ne peut pas vous aider. » À l’époque, j’étais en telle détresse que je n’ai pas insisté. Aujourd’hui, Anne-Cécile Mailfert m’insulte sur les réseaux sociaux… Des insultes indirectes sur l’instrumentalisation supposée de mon histoire par certains médias de droite, du fait que mon agresseur était sous OQTF. Je discuterais pourtant avec elles avec grand plaisir, mais la communication est aujourd’hui rendue impossible. Marlène Schiappa est l’une des seules à m’avoir soutenue, et je la remercie énormément. Elle a eu le courage de le faire. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, nous n’avons pas les mêmes idées politiques, mais nous sommes d’accord sur le fait que ce combat doit être transpartisan.

Pensez-vous que ces féministes de gauche seront amenées à perdre de leur influence ?

On le voit déjà dans les tendances politiques actuelles, donc oui, elles perdent déjà de l’influence. Lors de ma première manifestation féministe avec Éclats de femmes, j’ai essayé de négocier avec la police pour intégrer le cortège principal ; on m’a répondu que, pour ma sécurité, je devais rester en arrière avec Némésis et Nous Vivrons. Pourquoi le cortège appartient-il exclusivement aux associations féministes de gauche ? Pourquoi doivent-elles seules mener l’opinion des femmes ? En plus, ces féministes sont souvent violentes et discriminent les autres féministes. Leurs messages politiques sont terribles, avec des pancartes comme ACAB (ndlr : All Cops Are Bastards, « Tous les flics sont des salauds »).

La Fondation des femmes, institution reconnue d’utilité publique, n’est jamais connotée négativement, alors que mon association dérange immédiatement, bien qu’elle soit apolitique, uniquement à cause de mes positions politiques sur les OQTF. Nous sommes bannies et mal vues dès qu’on est perçues à droite. J’ai d’ailleurs perdu un contrat, nous fabriquions des bijoux au profit des victimes ; cette marque nous a demandé de supprimer la collaboration sous prétexte de pressions liées à nos partenariats. Cela me révolte, car la Fondation des femmes n’aurait jamais eu ce problème.

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Jordy Goukara, 26 ans, sous OQTF, multirécidiviste, délinquant depuis son adolescence… La peine qui a été prononcée[2] est-elle proportionnelle à la gravité des faits ?  

Mon avocat m’a indiqué que la moyenne pour ce type de faits est de 12-13 ans et que la peine maximale est de 20 ans ; 18 ans est donc une peine lourde et satisfaisante. L’accusé ne fera sûrement pas appel. La justice a eu peur, car le procès était très médiatisé. Son comportement fait qu’en prison, il n’aura probablement pas d’aménagement de peine. À mi-peine, soit dans neuf ans, il pourra demander à purger le reste de sa condamnation en République centrafricaine. J’espère que ce sera le cas, qu’il partira pour que je n’entende plus jamais parler de lui.

Vous avez soutenu l’idée d’un projet de loi selon lequel l’État serait responsable lorsqu’une personne sous OQTF commet une agression. Qu’attendez- vous de ce texte ?

Il s’agit d’une proposition de loi développée par l’Institut pour la Justice. Nous étions allés voir Olivier Marleix (avant la scission LR/Ciotti) ; Christelle Morançais devait initialement la porter. Elle a été déposée en mars, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, mais elle est actuellement en stand-by. L’idée est de démontrer que l’État est fautif lorsqu’il n’exécute pas une OQTF et qu’une agression en découle, et de créer un fonds spécifique pour indemniser les victimes. Nous avions estimé qu’une victime doit débourser environ 35 000 € en frais d’avocat et de justice. Nous voulions montrer qu’il coûte finalement plus cher à l’État de ne pas appliquer les OQTF que d’indemniser correctement les victimes.

Quel regard portez-vous sur la vie politique française et ses acteurs ?

Je pense que les Français sont fatigués de l’instabilité politique actuelle. Cela contribue, par ricochet, à une société plus individualiste. J’échange régulièrement avec de nombreux entrepreneurs qui envisagent de quitter la France, qu’ils jugent trop fortement taxée. L’audiovisuel public s’en prend à Bernard Arnault, pourtant premier créateur de richesse du pays. Résultat : trop de très bons profils s’en vont, alimentant une véritable fuite des cerveaux, attirés par des perspectives jugées meilleures ailleurs. Pendant mon master HEC-Polytechnique, nous rêvions tous de créer une licorne ; malheureusement, les trois quarts de la promotion sont partis dans la Silicon Valley.

Quels sont vos vœux de fin d’année, pour vous et pour la France ?

Deux priorités. D’abord, que l’association continue de se développer. Nous avons déjà aidé 250 femmes, mais ce n’est pas suffisant. Nous avons besoin de recruter davantage de bénévoles, de soutiens matériels et financiers, et de renforcer l’équipe interne, j’aimerais pouvoir recruter deux personnes supplémentaires en 2026. Nous souhaitons également intervenir davantage dans les écoles et les entreprises sur les questions de violences sexistes et sexuelles, en proposant des formations qui ne soient pas wokistes. Pour la France, mon vœu le plus cher serait que plus aucune femme ne soit violée ou assassinée d’ici la fin de l’année.

Le hall d’entrée, Éditions Fayard. Sortie prévue le 28 janvier 2026.

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[1] https://www.lejdd.fr/Societe/agressions-sexuelles-dans-les-transports-parisiens-la-part-des-auteurs-etrangers-en-hausse-164902

[2] Nldr : 18 ans de réclusion assortis d’une interdiction définitive du territoire.

Sacha Guitry, le triomphe de l’esprit français

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Les politiciens sont dépassés, les caisses sont vides, la guerre menace, la morosité règne. Alors un conseil: courez voir La Jalousie, de Sacha Guitry, au théâtre de la Michodière qui fête ses cent ans, dans une mise en scène soignée de Michel Fau.


Sacha Guitry (1885-1957), fils de l’acteur Lucien Guitry, s’affirme rapidement comme un auteur dramatique de grand talent. Il saisit les caractères de l’être humain, s’en amuse, les raille avec élégance et légèreté. Il n’épargne pas la bourgeoisie, pusillanime, hypocrite, misogyne, préférant toujours l’argent à l’honneur. Ses phrases sont mordantes, le ton est juste, les répliques font mouche. L’ironie domine ; elle rappelle celle de Voltaire. Les rapports entre les hommes et les femmes sont étudiés dans son laboratoire personnel, ce qui lui permet d’être d’un réalisme impitoyable, sans toutefois tomber dans le graveleux. Le bon goût le protège, comme le champagne désarme le révolver les soirs de vive amertume. Guitry, c’est aussi un splendide acteur, avec cette voix un peu précieuse et inimitable. Il met également en scène ses textes et n’hésite pas à devenir réalisateur de films historiques grandioses. C’est un artiste complet. Indémodable. Il suscite la jalousie durant la période de l’Occupation. Ses pièces sont jouées et rencontrent le succès. Cela suffit pour qu’il soit inquiété à la Libération. On lui cherche des poux dans la tête. On ne trouve rien. Pas de voyage en Allemagne, pas de contrat signé avec la firme Continentale.  Il passe cependant par la case prison. Le dossier est vide. Le chef d’accusation ne comporte que deux mots : « Rumeur publique ».

A lire aussi, Michel Fau: L’exercice chaotique du biopic

La jalousie, justement. Thème de la pièce écrite alors que « le grand Sacha », comme l’appelait Michel Simon, a tout juste 30 ans. Vous avez le choix entre les 600 pages de La Prisonnière, de Proust, pour tout savoir sur ce sentiment dévastateur qui rend malade le jaloux avant de le détruire, lui et son entourage, et les dialogues incisifs du texte court de Guitry.

Albert Blondel, fonctionnaire à la moralité de façade, rentre à son domicile cossu. Il vient de tromper sa femme avec une « grue ». Il cherche toutes les excuses possibles pour expliquer son retard. Son imagination n’est guère débordante. Il se perd en conjectures. C’est alors qu’il s’aperçoit que son épouse n’est pas encore rentrée. La jalousie commence à le submerger, un délire obsessionnel l’envahit qui va le dévorer. La jalousie se confond avec la possession. Sa femme, sous la pression des insupportables questions de son mari, finit par faire ce qu’elle n’aurait jamais imaginé faire. C’est à la fois cruel et jubilatoire. Les mots claquent, laissant le spectateur étourdi par les bonds et rebonds des répliques. Guitry avait interprété le rôle de Blondel. Il est repris par Michel Fau – magistral Mitterrand dans L’Inconnu de la Grande Arche, film de Stéphane Demoustier –, parfait en mari jaloux qui flirte avec la folie. Son visage, souvent, inquiète. Il y a du Hamlet en lui quand, dans une lumière blafarde, il se dirige seul vers la salle. Une fêlure intérieure happe le spectateur attentif.

A lire aussi: Et si on jouait à Noël?

Le personnage de l’écrivain infatué de soi-même, interprété par Alexis Moncorgé, est caricatural. Guitry nous livre l’image de ce qu’il aurait pu être, si le génie de ses textes lui avait tourné le dos. Mais le « maitre » sut rester à la hauteur de ses mots d’esprit si français. Michel Fau, dont la liberté de ton est à souligner en ces temps de moraline, résume, à propos de La Jalousie : « Dans cette comédie, l’auteur fortement influencé par Jules Renard, Octave Mirbeau mais aussi Georges Feydeau et Georges de Porto-Riche, cultive les contrastes ; une satire sociale côtoie une farce raffinée, une psychologie échevelée se frotte à une férocité joyeuse. »

À noter que la tragédienne Geneviève Casile, qui interprète aujourd’hui la belle-mère, jouait le rôle de la femme de Blondel quand la pièce fut reprise à la Comédie-Française. Il lui incombe d’affirmer que les femmes sont douées pour le mensonge. Le propos n’engage que « le grand Sacha ».

La Jalousie, pièce de Sacha Guitry, mise en scène de Michel Fau, à la Michodière. 1h40 Paris 2e. Prolongation jusqu’à mars 2026.

Les patrons dans le camp du mal?

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Notre contributrice répond aux accusations d’entremetteuse avec le RN qui lui sont adressées ces derniers jours dans la presse.


Les médias ont tout dit sur le Rassemblement national, et depuis des années : antirépublicain, populiste, infréquentable, démago, inculte, raciste, extrémiste, haineux, facho… Comme, semble-t-il désormais, 42% des Français[1] !

Il va donc falloir absolument trouver autre chose pour culpabiliser ceux qui pourraient ne pas manifester une détestation irréversible et notoire vis-à-vis de la droite nationale ; sachant, pour mémoire, que le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella ne s’appelle pas « extrême droite » mais « Rassemblement national ».

C’est ma fête

C’est maintenant la fête des patrons, qui n’en peuvent plus, car les médias se sont reportés sur eux, embusqués, les soupçonnant d’être des « collabos » du RN qui avancent masqués. Ainsi, comme le martèle Laurent Mauduit dans son dernier ouvrage[2], remontant pour cela à la guerre, nous, les patrons, aurions toujours fricoté avec les politiques les plus infréquentables. Dont acte.

Depuis quelques mois, et je peux en témoigner, nous sommes toutes les semaines interrogés sur nos rapports avec l’extrême droite au sens large. D’Éric Zemmour à Jordan Bardella en passant par Marion Maréchal, Éric Ciotti, et d’autres noms que nous ne connaissons même pas, nous sommes accusés de flirter avec de dangereux individus…

A lire aussi, Marine Le Pen: « Je ne vais pas y retourner vingt-cinq fois de suite »

Je suis désormais qualifiée d’« entremetteuse » au service du RN, alors que je n’ai jamais voté pour ce parti, dont je ne partage pas les valeurs, et que je me déclare — bien que mon combat pour les entreprises soit apolitique — soutien du libéral David Lisnard. Tout cela parce que j’ai été la première présidente d’un mouvement patronal à inviter Marine Le Pen, lors de l’élection de 2012, à débattre devant des patrons curieux ; et que, depuis, à chaque échéance politique, j’ai agi de la même manière avec l’ensemble des représentants des partis politiques. Gloire à LFI et à la gauche qui jamais ne nous ont répondu ni même parlé, leur honneur est sauf : les patrons à la lanterne !

Les patrons sont pragmatiques

Je vais aller plus loin : si par le plus grand des hasards, et comme annoncé actuellement par tous les sondeurs, arrivait au pouvoir suprême un membre du RN, je serais la première à rencontrer ses équipes pour défendre la seule cause qui nous importe, celle des entreprises, et tenter d’éviter les erreurs économiques programmées et fatales (comme le recul de l’âge de la retraite, etc.).

Les patrons vont ainsi, chapeau enfoncé jusqu’aux yeux, rasant les murs, cherchant les endroits discrets pour discuter économiquement avec les infréquentables, sur l’avenir que leur réserverait la fameuse « extrême droite ». Rappelons que tous sont d’accord sur ce constat: le RN n’est ni extrême ni de droite, il ne peut être qualifié d’« extrême » que dans sa détestation de l’immigration non-contrôlée.

Oui, il est de notre devoir de patrons de préparer l’avenir économique de la France et d’empêcher pour l’avenir le désastre que nous voyons déjà se profiler aujourd’hui. Oui, le RN reçoit les patrons, hélas plus que les autres partis et il nous écoute vraiment. Ne parlons pas de l’Élysée ou Matignon, aux abonnés absents, à moins qu’il ne s’agisse des présidents des trois organismes dits représentatifs. Oui, nous patrons, allons même jusqu’à leur transmettre nos rapports que personne d’autre ne lit et luttons pour informer et faire cette pédagogie qui manque cruellement.  Expliquer nos constats, nos méthodes pour simplifier ou réformer… et même nos propositions, par exemple : accorder un permis de séjour de la durée du contrat de travail à un sans-papier. Car lesdits sans-papiers sous interdiction de travailler, s’ils présentent 12 feuilles de salaires d’affilée seront récompensés de leur désobéissance à l’État par un permis de travail en bonne et due forme ! Une honte.

A lire aussi, Jean-Jacques Netter: Suicide économique, mode d’emploi

Mais la chasse aux patrons qui fréquentent épisodiquement le RN est donc lancée, et ils seront tous crucifiés au pilori médiatique ! Le phénomène s’amplifie, les journalistes veulent savoir… Qui connaissez-vous comme patrons qui voient le RN ? Et vous-mêmes, les avez-vous reçus ? Combien de fois ? À quelle date ? Vous étiez présente ? Qui vous accompagnait ? On ne dira rien, mais on peut les appeler de votre part ? Vous avez des noms précis ? Leurs coordonnées ? Les avez-vous revus après les avoir vus ? Communiquez-vous régulièrement avec eux par SMS ? etc. Quelles que soient ses réponses, la réputation du courageux sera incontestablement entachée par l’article à paraitre… Et si ce n’est pas le cas, c’est qu’il s’agit bien sûr d’un article d’une presse infréquentable (c’est-à-dire au mieux, « de droite » !)

Cette presse d’investigation réalise-t-elle qu’en cherchant à marginaliser le RN, elle contribue à sa progression ? Les patrons, inquiets pour l’avenir, veulent désormais se faire entendre en tentant d’influencer un parti qu’ils jugent proche du pouvoir, notamment pour infléchir son programme économique. Comment ne pas avoir envie d’encourager la glissade de Jordan Berdella vers des rivages libéraux ? Beaucoup espèrent ainsi orienter Jordan Bardella vers une ligne plus libérale, convaincus qu’un parti « jamais essayé » pourrait accéder au pouvoir.

Dans un paysage politique jugé verrouillé, les chefs d’entreprise, qui votent avant tout pour la survie de leur activité, cherchent à anticiper et peser sur l’avenir, y compris auprès de partis qu’ils ne soutiennent pas naturellement.

Réussir, c'est possible !: 42 parcours de patrons "Made in France"

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[1] 42% des Français ont déjà voté pour le RN ou un candidat RN selon un sondage réalisé par IFOP-Fiducial pour le JDD et Sud Radio, ce qui démontre que le processus de respectabilisation du parti de Jordan Bardella progresse.

[2] Collaborations, Enquête sur l’extrême droite et les milieux d’affaires, La Découverte, 2025

Ces élites éthérées qui mettent les Français en danger

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Tandis que la menace terroriste impose un renforcement de la sécurité autour des marchés de Noël, sous l’autorité de Laurent Nuñez, l’idée d’une union des droites (présentée par ses promoteurs comme le seul moyen d’enrayer l’immigration massive et les dérives islamistes qui l’accompagnent) continue de susciter l’indignation-réflexe d’une majeure partie de la classe politique.


Les paisibles marchés de Noël ont été placés sous surveillance sécuritaire. L’ennemi djihadiste peut, en effet, frapper à tout instant. Le ministre de l’Intérieur est le premier à le savoir. Un 7-octobre semblable à celui lancé par le Hamas contre Israël en 2023 est envisageable en France. Pourtant, Emmanuel Macron regarde ailleurs.

Il s’emploie à préparer l’opinion à une guerre « existentielle » contre la Russie. L’« extrême droite » et le « populisme » sont ses deux autres obsessions. Une grande partie de la classe politique acquiesce aux postures déconcertantes du chef de l’Etat, agréées par le politiquent correct. Interrogée, mardi, par Libération sur l’ouverture proposée par Nicolas Sarkozy vers le RN et sur son refus d’avaliser un front républicain contre Marine Le Pen, Florence Portelli, vice-présidente des LR, s’est dite « effarée » d’un tel rapprochement : pour elle, il y aurait au sein du RN « des gens qui sont contre tout ce qui est créatif, contre l’art contemporain, contre une bonne partie de ce que fait le cinéma ». Les platitudes de cette Marie-Chantal illustrent la vacuité de la pensée de luxe, exhibée par la droite mondaine et ses précieuses ridicules. Rien n’est pire, pour ces gens-là, que de se mélanger à la plèbe et de partager son bon sens. En réalité, ce monde éthéré doit être tenu pour responsable de l’état de violence permanente que subit désormais la France. Le conformisme du personnel politique, identifiable à la lâcheté interdisant de désigner ceux qui, de l’intérieur, assaillent le pays et aux faux procès intentés à ceux qui s’inquiètent des déroutes françaises, est une aubaine pour l’islam conquérant, obsédé par son désir d’humilier l’Occident en déclin.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Un loup pour l’homme

La tuerie antijuive perpétrée à Sydney (Australie), samedi, par deux membres se réclamant de Daesh qui ont pris pour cible une foule fêtant Hanouka à Bondi Beach, est le produit d’une complaisance irréfléchie avec la cause palestinienne. L’Australie, comme la France, ont cru moralement bien faire en reconnaissant l’Etat de Palestine et en se désolidarisant de la résistance israélienne. Ce faisant, les gouvernements ont libéré l’expression des ressentiments judéophobes portés par une partie de la nouvelle population musulmane issue de l’immigration. Si les Juifs ne sont plus en sécurité en Australie ni en France, ce n’est pas à cause de la Russie ni d’une extrême droite fantasmée. Les responsables sont ceux qui, par un humanisme déclamé et un cosmopolitisme de salon, passent leur temps à grimer en xénophobes et en racistes ceux qui ne se lassent pas d’alerter sur les risques d’une immigration de masse ouverte à l’islam colonisateur, en conflit millénaire avec les juifs et l’Europe chrétienne. Ce mercredi matin, sur RTL, Dominique de Villepin n’a rien vu de sa propre contradiction consistant à appeler au « rassemblement » autour de sa « France humaniste », tout en excluant les « populistes » du RN, c’est-à-dire le premier mouvement national, porté par les sondages. Ces élites à bonne figure, qui déplorent la montée du nouvel antisémitisme, sont des dangers pour les Français, juifs ou pas. Elles le sont au même titre que l’extrême gauche.

Une histoire bien française

Cette Nouvelle histoire de France est une sacrée somme. Sous la direction d’Éric Anceau, une centaine de contributeurs explorent tous les domaines, toutes les notions qui illustrent la singularité de notre histoire commune. Une brillante riposte à la vision «mondialisée» de Patrick Boucheron.


Une bouffée de panique saisit l’amateur d’histoire lorsqu’il soupèse ce volume d’un millier de pages dont la graphie exige, outre un meuble de chevet résistant au gabarit d’un ouvrage plus propice à la baguenaude qu’au bachotage, une acuité visuelle impeccable.

Cette Nouvelle histoire de France, projet de longue haleine mené par Éric Anceau, spécialiste émérite des deux premières Républiques françaises et de nos deux défunts empires, réussit la prouesse de fédérer cent signatures, et non des moindres. Cette somme magistrale, relecture chorale de notre geste nationale, est aux antipodes de la fameuse Histoire mondiale de la France parue en 2017 sous le patronage de Patrick Boucheron qui, on s’en souvient, avait provoqué la brusque bifurcation à droite toute d’un Pierre Nora (1931-2025), désireux de s’extraire de la bien-pensance idéologique.

C’est un truisme de seriner que les « lieux de mémoire », tout comme les événements historiques avérés, ne sont jamais gravés dans le marbre, et qu’à l’instar des édifices du patrimoine, ils restent soumis à la perspective par laquelle on les observe. Récemment, on pouvait lire sous la plume un rien condescendante d’un contributeur à ce quotidien du soir dont le nom m’échappe : « Éric Anceau croit soigner nos maux mémoriels. Il a simplement coordonné un livre de référence. » C’est gentil de lui reconnaître au moins un mérite. Mais comme au temps de la Terreur, cette tribune somme le citoyen Anceau de justifier le sens de son ouvrage : « L’enjeu principal du livre est le seul sujet à ne pas faire l’objet d’une analyse sérieuse », tance le procureur. Le prétoire s’accommoderait à la rigueur de la réussite de cette Nouvelle histoire de France. Mais il exige davantage. C’est comme si on demandait à Lavisse, à Michelet ou à Henri Martin de fournir un alibi à leurs travaux !

Que le lecteur se rassure : l’ouvrage contient assez d’indices croisés pour disculper les auteurs de tout parti pris mémoriel univoque. Nouvelle histoire de France appelle la lecture buissonnière. Je m’empresse d’appeler au calme ceux à qui la simple idée de se taper une « recherche du temps perdu » chronologique, depuis Clovis jusqu’au crépuscule de la Cinquième en passant par la monarchie des Valois et celle de Juillet, donnerait des fièvres méningitiques : le récit cursif n’est jamais qu’un survol – même fort étayé. « Régimes et Violences » occupe exactement 251 pages, soit la première partie du volume (Bruno Dumézil, Nicolas Le Roux, Xavier Hélary, Thierry Lentz, Olivier Tort, Éric Anceau y contribuent). Comme dans l’ensemble du livre, à ces textes de haute tenue sont adjoints des « focus » propres à portraiturer tel personnage essentiel (Jeanne d’Arc, Catherine de Médicis, Mirabeau, Robespierre…) et à relater tel fait considérable ou investi d’une portée symbolique (Saint-Barthélemy, retour des cendres de Napoléon, etc.).

Intitulée « Politiques et Spiritualités », la deuxième partie interroge l’évolution de notions transhistoriques telles que « le faste », « l’administration », « la diplomatie », « la technocratie », « l’école et l’enseignement », « le catholicisme », « les juifs et le judaïsme », « l’islam », « la franc-maçonnerie »… Vivier inépuisable, ce corpus presque encyclopédique galvanise la curiosité.

Au chapitre « Nation », Anceau observe que « la nation politique telle qu’elle fut advenue en 1789 et la nation républicaine qui a vu le jour un siècle plus tard sont aujourd’hui très mises à mal. C’est, conclut-il, aux Français et aux dirigeants qu’ils se choisiront à l’avenir qu’il appartiendra de résoudre cette équation que Benjamin Constant avait présentée voilà deux siècles : la conciliation de la liberté des anciens et celle des modernes. » C’est dit bien poliment.

« Espaces et Sociétés » explore les concepts de « Frontières », renvoie à notre relation problématique à l’Algérie, aux connotations liées par exemple à l’idée de « Peuple », rappelle l’importance du mouvement ouvrier, les mutations de la paysannerie – toujours dans une perspective historique dûment raccordée à l’actualité. Yannick Ripa condense ainsi en dix pages (inévitables) « l’histoire des femmes et du genre » (sic). Dominique Garcia l’assure de son côté : « On ne naît pas Gaulois, on le devient. »

Baptisée « Patrimoines et Identités », la quatrième partie creuse, sur un peu plus de 200 pages, l’idée d’« élaboration(s) de la nature » ou la notion de « paysage(s) », lesquels, à en croire Jean-Robert Pitte, peuvent sombrer sous « la poussée du profane » dans ce « laisser-aller généralisé » dont « les éoliennes, un non-sens paysager et énergétique », incarnent la catastrophe. Alexandre Gady, brillant comme à l’accoutumée, synthétise la notion de « patrimoine architectural », « au moment de la perte de sens qui travaille une part importante de la société », tandis qu’Anne Pingeot se demande à bon escient « à quoi sert la sculpture ? ».

Tout est donc passé ici au pressoir de l’histoire : des vins aux musées, du savoir-vivre (Frédéric Rouvillois) au Tour de France, de l’histoire de France au cinéma (David Chanteranne) à l’histoire en chansons (Florent Barraco)… L’ami Jonathan Siksou, penché sur « loisirs et tourisme », remarque élégamment que « le loisir de délassement a progressivement laissé place au loisir de divertissement ». De fait, la trivialité lucrative et segmentée de l’industrie touristique (parcs à thèmes, immeubles flottants pour croisiéristes, régression infantile des masses, tourisme « de niche » ou ratifié par smartphone) est une révolution planétaire dans laquelle la France occupe le podium : 100 millions de visiteurs annuels ! L’ancien agrément aristocratique n’est plus. Le seul « vrai luxe, près de chez soi ou à l’autre bout du monde, c’est l’isolement, le confort du “privé” : avion, bateau, piscine, villa, jardin, cuisinier… Tout pour soi seul, loin des autres. » Qui hissera le drapeau ?

Nouvelle histoire de France, Éric Anceau (dir.), Passés/Composés, 2025.

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Chessy: la France open bar!

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Le maire de Chessy (77) et ses adjoints démissionnent pour ne pas avoir à marier un étranger sous OQTF. Elisabeth Lévy réagit à l’affaire dans sa chronique radio. Nous vous proposons de l’écouter.


Pas de maire, pas de mariage ! Pour éviter d’appliquer une décision de justice absurde qui légitime selon lui une violation de la loi, le maire de Chessy a sorti l’arme nucléaire: lui et ses adjoints ont démissionné de sorte qu’il n’y a plus d’officier d’état civil ni d’ailleurs de pouvoir exécutif dans cette commune de 9000 habitants qui abrite Eurodisney.

Pour Tondelier, soupçonner un mariage blanc c’est raciste !

Mais avant d’en arriver là, Olivier Bourjot avait tenté d’alerter la préfecture et le Parquet de Meaux sur la volonté de cet étranger clandestin prié de quitter la France en 2022 qui, en 2025 a décidé d’épouser une ressortissante européenne. Pour le maire, c’était un mariage arrangé pour obtenir des papiers. Le Parquet affirme de son côté que l’enquête n’a pas prouvé de fraude au mariage. Et mercredi dernier, le juge des référés ordonnait à la mairie de publier les bans.

Nous sommes en présence d’une absurdité, d’un nouveau méfait de l’Etat de droit. Le mariage est un droit fondamental, nous dit la justice. Et visiblement, le droit pour un pays de choisir qui il accueille ne l’est pas. En réalité, l’Etat de droit tel que nos juges le conçoivent (ou l’interprètent), c’est que les individus ont tous les droits et les Etats aucun. S’opposer à ce mariage ce serait être contre l’amour, nous dit l’écologiste Marine Tondelier… On n’a donc même pas le droit d’exiger le respect de nos lois. Un homme qui n’a pas le droit d’être là peut exiger d’être marié : c’est la France open bar !

Robert Ménard attendu au tribunal, les députés à l’Assemblée…

Le maire a-t-il trouvé la parade ? Eh bien non ! Le Parquet aurait pu laisser filer, regarder ailleurs, mais le procureur de Meaux semble très sourcilleux sur le droit des amoureux. La démission du maire, a-t-il averti, ne change rien à l’infraction. Même démissionnaire, l’édile peut être sanctionné. Exactement comme Robert Ménard, le maire de Béziers. Rappelons que ce dernier n’a pas démissionné mais purement et simplement refusé de marier un Algérien sous OQTF. Il a refusé d’accepter le deal que la justice lui offrait en refusant de plaider coupable en échange d’une peine légère. Ceux qui le connaissent ne sont pas étonnés, mais il prend un risque tout à fait réel : il passera en correctionnelle, et, si jamais il tombe sur un magistrat sansfrontiériste, il pourrait écoper d’une peine d’inéligibilité et pourquoi pas une exécution provisoire – c’est à la mode ! Un maire élu triomphalement trois fois pourrait ainsi être mis hors jeu parce qu’il refuse une décision absurde contraire à la dignité de la France. Cette décision de justice signifie qu’une obligation prononcée par l’Etat ne vaut rien. De plus, au bout de trois ans, l’OQTF n’est plus opératoire, parait-il. Sur TF1, le 13 mai, face à Robert Ménard, le président de la République avait parlé de situations ubuesques et souhaité une loi interdisant le mariage d’étrangers en situation irrégulière. Cette loi a été votée par le Sénat. Il est peut être temps de la ressortir des tiroirs. En prime, nous saurons si nos députés ont encore une once de bon sens.


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio

Letizia Bonaparte, mater regum

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Si Madame n’avait pas été la mère de Napoléon 1er et de tant d’autres souverains éphémères, si elle n’avait pas participé bon gré, mal gré, à l’épopée impériale, rien dans sa vie n’aurait justifié qu’on lui consacrât une biographie aussi considérable que celle que vient de publier Laëtitia de Witt dont la grand-mère paternelle était une Bonaparte.

Cependant, il se serait probablement trouvé en Corse un érudit local pour évoquer cette jeune femme de petite noblesse qui était, dit-on, d’une grande beauté, intrépide et dotée d’un fort caractère dont hérita sans doute le plus célèbre des ses fils. Elle devint une figure parmi les indépendantistes de l’île, aux côtés de son époux, Charles Bonaparte, un arriviste forcené, du temps qu’il était un partisan proche de Pascal Paoli en lutte contre la domination de la République de Gênes. Et avant que l’une et l’autre ne se ralliassent à l’idée d’appartenir au royaume de France.

Une héroïne romantique

Jeune et perpétuellement enceinte, elle vécut des cavalcades éperdues pour fuir l’ennemi, tour à tour français et paoliste. Elle se cacha dans une grotte et plus tard dans une tour de guet génoise surplombant les flots de la Méditerranée afin d’échapper au danger en fuyant son île. Bref, elle affronta les aventures d’une héroïne romantique, tout comme un personnage de Mérimée en un temps où ces péripéties se vivaient autrement que dans les romans.

La légende napoléonienne l’a depuis figée dans sa majesté de Mater regum ou sculptée dans le marbre blanc de la Mater dolorosa. Dépouillée dès le Consulat de son rôle de chef de famille par Napoléon qui régentait sa parenté comme un capitaine en campagne, elle fut tout cela en fonction des circonstances. 

A lire aussi: Félix Vallotton et l’art du vivre-ensemble

Digne dans le malheur, elle se révéla prudente, sinon avare dans la prospérité, habile gestionnaire des fonds considérables alloués par l’empereur à Madame, Mère de l’Empereur et Roi. Des fonds qu’elle n’était pas la dernière de la famille à réclamer pour tenir son rang, prenant ainsi la place si décriée des princes du sang de l’Ancien Régime en compagnie de ses enfants, presque tous avides de dignités et de richesses qu’ils n’avaient guère méritées et qui n’étaient dues qu’au seul génie de leur frère. Car ils étaient nombreux, ces Napoléonides, à vouloir s’enrichir sur le dos de la France et des nations soumises à l’instar de vautours couronnés, alors qu’ils n’avaient que bien peu de qualités grandioses pour le justifier, à l’exception notable de la grande-duchesse Elisa et du prince Eugène.

Sous le diadème, l’accent corse

Laetitia de Witt

Laëtitia de Witt, en historienne, mais aussi en femme d’aujourd’hui, n’a guère de goût pour la légende et les mythes, comme tant de ses prédécesseurs parmi les biographes de Madame. Pas d’inutiles envolées lyriques, ni d’affirmations péremptoires dans son ouvrage, mais beaucoup de questionnements sur des sujets à propos desquels manquent parfois les documents, les lettres, les mémoires, les actes officiels, et qui dévoilent, s’il en était encore besoin, qu’on peut avoir atteint des sommets dans l’Histoire sans que tout soit parfaitement lisible pour la postérité.  

Et plutôt que d’embellir ou de noircir des faits dont on ne sait parfois rien ou pas grand chose, l’autrice s’interroge sur la véracité des faits, leur vraisemblance. D’autant que la réalité historique est bien assez extraordinaire sans qu’il soit besoin de l’enjoliver.

C’est dans l’adversité que les personnages historiques sont souvent les plus remarquables. Sous l’Empire, toute digne qu’elle était, Madame n’avait pas toujours un caractère délicieux, ni la belle voix grave qu’on prête aux héroïnes des grandes épopées de l’Antiquité. Son accent corse devait paraître quelque peu rustique sous le diadème et les velours rebrodés d’or, bien qu’on louât  l’élégante sobriété de ses manières. Outre une beauté à la romaine qu’admirent les contemporains, elle était naturellement majestueuse, comme se devait de l’être la mère de César, tout en demeurant simple, dépouillée de vaine afféterie.

Feu le roi leur père

Sans beaucoup fréquenter la Cour impériale en dehors des représentations nécessaires et aimant mieux à se retirer avec des proches dans son château de Pont, joli présent de son fils (elle avait refusé une aile du Grand Trianon), elle était toutefois sourcilleuse sur le chapitre des préséances. Non sans raison d’ailleurs, suivant en cela le bon sens un peu abrupt des matriarches qui ne se voient pas facilement céder le pas à une jeunesse, fut-elle de sang impérial et royal.

Elle apprécia d’ailleurs fort peu que Napoléon, qu’elle avait assis sur le pot durant sa petite enfance, à Ajaccio, exigeât qu’elle lui donne de la Majesté impériale et qu’elle s’adressât désormais à lui en le nommant Sire.

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Elle n’aima pas l’impératrice Joséphine qui était tout le contraire d’elle-même et à laquelle elle reprochait son inconduite. Et pas davantage l’impératrice Marie-Louise, en bonne belle-mère voyant ses brus d’un œil torve. Mais elle eut beaucoup d’affection pour la vertueuse reine Julie, l’épouse de Joseph, ou pour la bonne reine Catherine, une princesse de Wurtemberg, épouse de Jérôme. Et elle finit par aimer la reine Hortense, l’épouse de Louis, une Beauharnais certes, et fille de Joséphine de surcroît, mais qui aima ses fils jusqu’au dernier dévouement, vertu à laquelle Madame Mère ne pouvait qu’être sensible. Car elle avait le jugement et les sentiments des femmes du sud, un peu abrupts, sinon intransigeants, mais sachant apprécier la droiture, la loyauté, la dignité, la fidélité à la famille, à la tribu. Elle passa sa vie à veiller comme elle le pouvait sur sa nombreuse progéniture, pour autant qu’il soit possible de se préoccuper de tant de rois éparpillés dans toute l’Europe ; à tenter de réconcilier entre eux les membres de la tribu impériale, aussi susceptibles, aussi soucieux de leur rang et de leur fortune que « s’ils avaient été les héritiers de feu le roi leur père », comme ironisait l’empereur qui par ailleurs les tyrannisait. Des Corses pour tout dire. Avec l’esprit clanique et le goût des insulaires pour les querelles byzantines.

L’exil à Rome

Les plus beaux chapitres du livre sont ceux consacrés à l’exil à Rome où le pape Pie VII, si abominablement malmené par Napoléon 1er, avait généreusement abrité Madame Mère, son frère le cardinal, et nombre de ces rois déchus honnis par les vieilles monarchies, épiés et partout tombés en disgrâce après les Cent Jours et Waterloo. Installée dans son superbe palais à l’angle du Corso et de la place de Venise, attentive à ceux de ses enfants les plus malheureux, la Mater dolorosa porta sur Napoléon honteusement crucifié à Sainte Hélène l’essentiel de son anxiété maternelle.

Mais avec la mort de l’empereur en 1821, elle eut encore à souffrir de celles d’Elisa en 1820 et de Pauline en 1825. Puis, coup sur coup, celles de cinq de ses petits-enfants : Paul-Marie, fils de Lucien en 1827; puis Jeanne, sa sœur en 1829 ; en 1831, Napoléon-Louis, fils de Louis et d’Hortense et frère de Louis-Napoléon, futur Napoléon III ; en 1832, le roi de Rome devenu duc de Reichstadt, avec lequel s’écroulaient les espoirs de restauration impériale ; en 1833, Frédéric-Napoléon, fils d’Elisa.  

Un lieu de pèlerinage

Devenue aveugle dans ses dernières années, incapable de se déplacer à la suite d’une chute, accablée par les deuils, mais toujours stoïque, repliée dans son palais romain dont elle a fait « un temple du souvenir », Madame participe à l’édification de la légende napoléonienne en luttant de tout son maigre pouvoir pour la mémoire de son fils. Son palais de Rome devient un lieu de pèlerinage. En témoigne un familier de l’Empire: « Ce qui me frappa d’abord, ce fut le silence qui régnait dans une aussi somptueuse demeure… A l’angle de la cheminée, une femme était couchée à demi sur une chaise longue : c’était la mère de l’empereur… Le salon était orné de beaux tableaux représentant la famille de Napoléon. Rien ne m’a paru touchant comme cette mère illustre privée de ses enfants et entourée de leurs portraits. Immobile sur sa chaise, elle me parut souffrante, souffrante de ses douleurs physiques, de sa vieillesse, de ses souvenirs, mais héroïquement résignée… Elle voulut vivre longtemps, chargée de la couronne du malheur ».      

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Madame s’éteindra à son tour, à l’âge de 86 ans, durant le carnaval romain de 1836, entourée de quelques-uns de ses enfants et petits-enfants. Plus tard Napoléon III fera revenir en Corse la dépouille de son aïeule qui repose désormais dans la Chapelle impériale que le dernier empereur fit édifier à Ajaccio.

Une seule décennie

Dans un ouvrage bien mené, fort imposant étant donné la (relative) minceur du sujet – la biographie d’une femme qui ne joua aucun rôle fondamental sur le plan historique et dont l’existence ne fut essentielle que pour sa famille, une famille qui certes régna sur l’Europe, mais durant une seule décennie – l’autrice a effectué un travail qui semble définitif. Sauf découvertes inespérées et révélations inattendues, que pourrait-on dire d’autre de Madame ?

Ce livre mériterait d’être l’ultime biographie de la mère et grand-mère des empereurs des Français. Mère aussi des rois d’Espagne, de Naples, de Hollande et de Westphalie, des grandes-duchesses de Toscane et de Berg, de cette duchesse de Guastalla qui fut la plus aimable de sa fratrie, et de ce prince de Canino et de Musignano, le seul à ne pas devoir ses titres à Napoléon 1er.

Curieusement, Laëtitia de Witt, si scrupuleuse, commet deux anachronismes dans son livre.

L’un, à propos de 1792 où elle parle de l’empereur d’Autriche à qui la France déclare la guerre.  Mais n’existait alors qu’un empereur du Saint Empire romain germanique, et ce dernier, beau-frère de Louis XVI, n’allait être combattu qu’en tant que roi de Hongrie et de Bohême et archiduc d’Autriche, et non en tant qu’empereur. (Le titre d’empereur d’Autriche ne sera créé qu’en 1804, à l’époque de la dissolution du Saint Empire par Napoléon 1er, futur gendre de François II, empereur du Saint Empire qui lors devient François 1er, empereur d’Autriche).

L’autre en évoquant le gotha à propos des familles régnantes au temps de l’Empire. Un terme qui n’existait pas alors, l’almanach du duché saxon de Gotha n’ayant alors nullement conquis la place prépondérante qu’il occupera dans l’Europe monarchique dès la seconde moitié du XIXe siècle.


Letizia Bonaparte. Par Laëtitia de Witt. Editions Tallandier. 495 pages.

Letizia Bonaparte: « C'est à ma mère que je dois toute ma Fortune » Napoléon

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L’antisionisme radical ou la haine réhabilitée

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Sydney, 16 décembre 2025 © Mark Baker/AP/SIPA

Le dimanche 14 décembre 2025, une attaque terroriste a profondément marqué l’Australie et la conscience internationale : lors d’une célébration publique de Hanoucca sur Bondi Beach, à Sydney, deux hommes ont ouvert le feu sur la foule rassemblée, tuant au moins 15 personnes et en blessant des dizaines d’autres, parmi lesquelles des enfants, des survivants de la Shoah et des figures communautaires juives. Ce massacre, le plus meurtrier en Australie depuis des décennies, a immédiatement été qualifié par les autorités d’attentat terroriste antisémite visant spécifiquement la communauté juive australienne. 

Daesh est toujours là

Les premières enquêtes indiquent que les deux assaillants — un père et son fils — pourraient avoir été inspirés par l’idéologie de l’État islamique, après un récent séjour dans une région des Philippines connue pour des activités liées à des groupes jihadistes. Des drapeaux et des engins explosifs ont été retrouvés à bord de leur véhicule, renforçant l’hypothèse d’une motivation terroriste religieusement radicalisée. 

Cette tragédie a suscité une vague de réactions politiques et institutionnelles à travers le monde. En Australie, le Premier ministre Anthony Albanese a qualifié l’attaque d’« acte de haine antisémite et de terrorisme » et a promis de réévaluer la législation sur les armes ainsi que les stratégies de prévention de l’extrémisme violent.  À l’international, des dirigeants tels que le président américain Donald Trump et des responsables religieux comme le pape Léon XIVont fermement condamné l’événement, insistant sur la nécessité d’une action globale contre l’antisémitisme. Emmanuel Macron a écrit que la France « partage la douleur du peuple australien et continuera de lutter sans faiblesse contre la haine antisémite qui nous meurtrit tous, partout où elle frappe. »

Pour la communauté juive mondiale, les funérailles des victimes ont été marquées par une émotion intense, reflétant non seulement un deuil collectif mais aussi la peur renouvelée face à des violences antisémites qui semblent gagner en fréquence et en brutalité dans différents pays depuis le déclenchement de la guerre de Gaza en octobre 2023.  Des voix critiques, y compris au sein même de la communauté australienne, reprochent aux autorités une sous-estimation des signaux d’alerte avant l’attaque et un manque de mesures concrètes face à la montée des actes de haine. 

Drôle de mélange

Ce contexte tragique illustre à quel point la violence dirigée contre les Juifs peut se nourrir d’un mélange complexe d’idéologies extrémistes, d’interprétations grotesques de l’antisionisme et de narratifs conspiratifs diffusés dans certains milieux politiques, religieux ou médiatiques. Dans cette lumière, l’antisionisme radical ne doit pas être analysé comme un simple désaccord politique autour du conflit israélo-palestinien, mais comme une matrice dans laquelle des formes plus larges de haine — parfois violentes — peuvent s’enraciner et se légitimer, jusqu’à franchir le seuil du passage à l’acte terroriste.

Pourquoi Israël concentre-t-il aujourd’hui une hostilité aussi violente, aussi disproportionnée, aussi obsessionnelle, de la part de certains milieux intellectuels occidentaux et du monde arabo-musulman ? Comment expliquer que dans un monde traversé de conflits, d’injustices, de tragédies humaines innombrables, un seul pays focalise autant de ressentiment, de soupçon, de colère ?

Ce texte propose une réponse sans fard : l’antisionisme radical contemporain n’est que la forme renouvelée, socialement acceptée, culturellement reconfigurée, d’un antisémitisme ancestral. Il ne s’agit pas d’une critique légitime de la politique israélienne. Il s’agit d’une entreprise de délégitimation, de déshumanisation, de désignation d’un mal absolu. Et ses conséquences sont déjà visibles, dangereuses, explosives.

Israël, cible d’une passion idéologique

Attribuer la haine d’Israël à la seule conduite de ses gouvernements successifs est une solution de facilité. C’est supposer que cet État, seul au monde, incarnerait une monstruosité sans équivalent, dans un univers pourtant saturé de crimes de guerre, de nettoyages ethniques, de dictatures impitoyables. Israël, dans cette vision, devient un cas d’exception maléfique. Cela ne tient pas.

Ce schéma ressemble à s’y méprendre à celui de l’antisémite traditionnel, pour qui la haine des Juifs n’est qu’une réponse aux « agissements » de ces derniers. Dans les deux cas, on justifie la haine par le comportement supposé de l’objet haï. La passion prime sur la raison. La condamnation est préalable aux faits.

La mécanique de la diabolisation

L’antisionisme radical est une passion, non une opinion. Il ne débat pas, il condamne. Il ne s’appuie pas sur des faits, il se nourrit de symboles. Et son moteur principal est la diabolisation.

Diaboliser, c’est caricaturer, exagérer, essentialiser. C’est effacer la complexité, nier les circonstances, interdire l’empathie. C’est réduire un peuple, une nation, à une fonction : incarner le Mal. Ce procédé n’est pas nouveau. Il était déjà à l’œuvre au Moyen Âge, quand les Juifs étaient accusés de profaner les hosties, d’empoisonner les puits, d’être les agents du diable.

Aujourd’hui, c’est Israël qui joue ce rôle. Un bouc émissaire global, qui permet à chacun — islamiste humilié, intellectuel culpabilisé, militant égaré — de se croire moral en haïssant un ennemi commode.

Le vieil antisémitisme religieux recyclé

Le lien entre le Juif et le diable est enraciné dans les textes et les traditions du christianisme médiéval. De Jean à Luther, en passant par la mystique populaire européenne, cette image a traversé les siècles. Elle s’est ensuite sécularisée sous des formes politiques, puis raciales, et aujourd’hui idéologiques.

Le monde musulman, de son côté, n’a pas échappé à cette construction. Certains versets coraniques, certains hadiths, ont été interprétés pour enraciner un antisémitisme durable. Ce n’est pas une haine circonstancielle, mais une vision théologique et historique du monde, où les Juifs sont dépeints comme infidèles, sournois, maudits.

À la différence notable des religions asiatiques — qui n’ont jamais développé de haine des Juifs —, les monothéismes issus d’Abraham semblent avoir eu besoin, chacun à leur manière, de délégitimer l’existence juive.

Le conflit israélo-palestinien, prétexte métaphysique

Dans cette perspective, le conflit israélo-arabe n’est plus une question géopolitique ou territoriale. Il devient un théâtre symbolique. Le penseur Hamed Abdel-Samad le résume crûment : « Ce n’est pas Israël que nous détestons. Ce sont les Juifs. » Même si Israël rendait toutes ses terres, l’hostilité ne cesserait pas. Car elle ne repose pas sur l’occupation, mais sur l’existence même d’un État juif souverain.

Cette souveraineté est vécue comme une offense. Elle contredit les prophéties. Elle humilie ceux qui avaient relégué les Juifs au rang de peuple soumis, minoritaire, résiduel. Israël, en gagnant ses guerres, en prospérant, en survivant, ne fait pas que se défendre : il accuse, silencieusement, ceux qui le haïssent. Et c’est cela qui devient insupportable.

L’Occident progressiste en miroir

C’est là qu’intervient la grande hypocrisie des élites occidentales. Traversées par la honte de la Shoah, du colonialisme et de l’esclavage, pétries de vertus chrétiennes retournées contre elles-mêmes, ces élites trouvent dans l’antisionisme un exutoire commode. Elles inversent les rôles : les descendants des victimes deviennent bourreaux ; les porteurs de haine deviennent résistants.

Le Palestinien est élevé au rang de figure christique, et l’Israélien abaissé à celui de soldat romain. Ce récit manichéen arrange tout le monde : il permet de réconcilier la bonne conscience avec la haine, de faire du ressentiment une vertu, de recycler les vieux tropes antisémites sous des formes acceptables.

Un monstre symbolique : Israël comme démon moderne

On reproche à Israël exactement ce qu’on a reproché aux Juifs pendant des siècles : la cruauté, la ruse, la soif de domination mondiale. On lui attribue un projet délirant — du Nil à l’Euphrate, de Tombouctou à New York. C’est une projection pure, au sens psychanalytique : les fantasmes de domination d’autrui sont projetés sur Israël pour mieux s’en absoudre soi-même.

Ce délire s’auto-alimente dans les réseaux, les campus, les conférences militantes. Israël devient un archétype du mal. Et cette image sert à justifier tout : les appels à l’intifada, les meurtres de civils, l’importation du conflit sur le sol européen. L’antisionisme n’est plus une position : c’est une arme.

Conséquences : un climat de violence intellectuelle et physique

Cette passion antisioniste radicale produit des effets. Elle transforme les débats en inquisitions. Elle rend la défense d’Israël honteuse, voire dangereuse. Elle pénètre les universités, les syndicats, les partis, jusqu’aux ONG. Elle instille une haine froide, justifiée, éthique — donc irréfutable.

Dans les rues d’Occident, on acclame des slogans appelant à l’éradication d’un État. On justifie des attentats. On attaque des synagogues. On cible des enfants. Et trop souvent, les autorités regardent ailleurs. Le courage politique est absent. Le mot « juif » fait peur à prononcer — sauf quand il s’agit de le dénoncer.

La trahison des clercs

Les intellectuels, censés être les garants de la pensée libre, ont pour beaucoup déserté leur poste. Par paresse, par conformisme, par lâcheté, ils ont abdiqué. Ils répètent les slogans, travestissent l’histoire, tordent le réel. Ils trahissent non seulement Israël, mais leur propre mission : éclairer, pas attiser.

La critique d’Israël est légitime. Sa diabolisation est une trahison. Une insulte à l’intelligence. Une faute morale.

Un antisémitisme relooké

L’antisionisme radical contemporain n’est rien d’autre que l’antisémitisme classique relooké pour convenir aux canons du progressisme mondain. Il n’est ni plus noble, ni plus légitime. Il est peut-être pire, car il s’ignore ou se ment à lui-même.

Israël n’est pas haï pour ce qu’il fait. Il est haï pour ce qu’il est : un État juif, fort, vivant, insoumis. Ce rejet n’a rien d’un combat pour la justice. C’est le prolongement d’un vieux refus : celui de laisser les Juifs exister autrement que dans la soumission ou la disparition.

Ce combat n’est pas israélien. Il est global. Il est civilisationnel. Et il est temps d’ouvrir les yeux.

D’une morale l’autre

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Chantal Delsol © Hannah Assouline

Pour Chantal Delsol, l’héritage judéo chrétien est une réalité dont il faut reconnaître les apports majeurs à l’humanité. Mais elle estime que les chrétiens, devenus minoritaires, ne sont plus les prescripteurs moraux de nos sociétés et qu’ils ne doivent pas chercher à le redevenir.


Les civilisations existent. C’est une utopie de croire en une future culture unique mondialisée qui effacerait toutes les différences. Et d’où viennent ces différences culturelles qui font les civilisations ? Des diverses manières de répondre aux questions immuables posées à l’être humain : Pourquoi dois-je mourir ? question religieuse ; Comment définir le bien et le mal ? question morale ; Comment trouver l’abondance en luttant contre la rareté ? question économique ; etc. Les civilisations représentent les réponses diverses et toujours incertaines que les humains se donnent selon le lieu et le temps, leur histoire et leur caractère. Ces réponses ne sont pas figées, elles évoluent, elles se croisent et s’influencent entre elles – mais elles constituent tout de même, les unes et les autres, des entités reconnaissables, significatives, et toujours intéressantes.

Dans toutes les directions

Un grand écrivain chinois du xxe siècle, Liang Shuming, avait défini trois grandes civilisations mondiales : la chinoise, l’indienne et l’occidentale. Il en oubliait un grand nombre, mais son point de vue nous éclaire sur nous-mêmes. Il les décrivait d’abord d’un trait. La chinoise « s’adapte au monde » (Confucius, le taoïsme). L’indienne « veut le néant » (Bouddha). L’occidentale « va de l’avant » (Moïse, Platon, Jésus). Que veut dire ici « aller de l’avant » ? La civilisation occidentale, qui commence avec les Juifs et les Grecs (saint Augustin pense que Platon a rencontré des penseurs juifs, car le Timée ressemble trop à l’Ancien Testament), poursuivie par le christianisme, s’exprime ainsi : elle conceptualise, invente, diffuse, construit, explore, conquiert, tout cela dans un maelström continuel et effréné. L’invention de la transcendance (la croyance en un Dieu transcendant qui se révèle) suscite le déploiement de la science, parce que l’idée d’un créateur rationnel commande de chercher dans la nature les lois qui la structurent. L’idée de personne libre et responsable annonce l’invention de la démocratie moderne, d’abord dans les monastères puis dans les villes italiennes, dans la Magna Carta anglaise puis les régimes démocratiques modernes. En même temps, l’idée de personne libre et responsable inspire des sociétés occidentales dans lesquelles, dès l’origine, les filles se marient tard (par rapport à d’autres civilisations), la monogamie est d’usage, l’instruction des jeunes, prioritaire (même l’instruction des filles). Le choc de la saison révolutionnaire, à la fin du xviiie siècle, représente à la fois une rupture et une continuité, puisque les idéaux religieux (la personne, l’amélioration du monde) sont repris et laïcisés. C’est ainsi que se déploient au xixe siècle l’idée de progrès et la moralisation du monde – abolition de l’esclavage, émancipation des femmes, lutte contre la peine de mort, la torture, la prostitution, etc., moralisation qui se poursuit aujourd’hui avec la criminalisation de la pédophilie et du viol.

Ces caractéristiques occidentales, qui décrivent notre civilisation, ont pu exister ailleurs mais jamais de cette manière. La Chine a inventé des techniques bien avant nous (le vaccin, l’imprimerie), mais les a réservées au palais alors que nous les diffusions à tous. La civilisation musulmane a créé des madrasas qui sont des écoles théologiques, mais c’est en Europe que sont nées les universités, permettant au grand nombre d’accéder à tous les savoirs. Le Japon a développé des féodalités comparables aux nôtres, mais la démocratie nous est spécifique. La Chine a exploré le monde au début du xve siècle, puis interdit les voyages maritimes, mais nous avons pendant des siècles exploré la terre dans toutes les directions, découvert les détroits et les pôles, gravi les sommets du monde.

Universalisme

Cependant, la spécificité essentielle de l’Occident, c’est l’universalisme, d’abord chrétien puis laïque. Autrement dit la certitude que nos croyances et principes sont valables pour tous les humains – et qu’il faut donc les diffuser partout. Le christianisme se donne pour une vérité, un message adressé à tous les peuples de la terre. Plus tard, les droits de l’homme se présentent comme un message universel. D’où la mission, d’abord chrétienne, puis laïque. L’Occident apporte partout la vérité découverte ici.

Ces deux facteurs cumulatifs, l’idée d’universel et la puissance conférée par les découvertes scientifiques, font de l’Occident une civilisation conquérante. À partir du xve siècle, l’Europe avale et digère les deux Amériques, devenant ainsi l’Occident (le « pays du soir »), puis elle colonise l’Afrique et une grande partie de l’Asie. Elle apporte partout ses découvertes, depuis la médecine moderne jusqu’au chemin de fer, depuis l’émancipation des femmes jusqu’aux armements. De sorte que le monde est tout entier habité des trouvailles de l’Occident et qu’après une période de conquêtes coloniales intenses, on peut parler aujourd’hui d’un empire culturel mondial.

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Cette histoire extraordinaire ne se déroule pas sans drames intenses. Toute puissance court à l’ubris, et une puissance pareille, mondiale pour la première fois, commet des exactions et des crimes, produit des forêts d’arrogance et des mépris impardonnables, même si elle apporte aussi ses bienfaits. Nous arrivons au moment où l’hégémon se voit mis en cause pour ses excès, et se met lui-même en cause, ce qui est aussi une de ses caractéristiques, issue de la philosophie critique et de la culpabilité judéo-chrétienne. La situation présente est celle d’un Occident récusé et détesté de toutes parts, qui en même temps se déteste lui-même, et dans sa honte, prétend ne pas même exister en tant que tel.

Notre vraie difficulté, je dirais même notre véritable angoisse, concerne la survie de nos principes fondateurs dans l’esprit et les comportements des générations futures. La récusation mondiale de notre universel nous fait douter de nous-mêmes au point d’hésiter à nous défendre : existons-nous encore si nos principes ne valent plus que pour nous ?

Influence perdue

Or depuis la seconde moitié du xxe siècle, il semble que l’héritage judéo-chrétien vacille au moment même où il perd sa prépondérance extérieure. Le message laïque des droits de l’homme, héritier du christianisme, finit par écarter son fondateur et promouvoir une société à certains égards « païenne ». La chrétienté, entendue comme gouvernement moral et dogmatique de l’Église sur les sociétés, s’effondre. Les chrétiens s’en émeuvent, et se demandent comment reprendre leur influence perdue.

Que peuvent-ils faire ? D’abord regarder la situation en face : les lunettes de la décadence sont mauvaises conseillères. Contrairement à ce que disent certains pessimistes, nous ne sommes tombés ni dans le nihilisme, ni dans le relativisme. Nous vivons, bien plutôt, une transformation de la morale, une continuation de la morale judéo-chrétienne qui concerne désormais l’individu et le protège contre les institutions. La morale ancienne ne se détruit pas, plutôt elle évolue. On légitime l’IVG, mais on criminalise la pédophilie. On légitime le suicide assisté, mais on criminalise le viol. Il s’agit toujours de protéger les faibles contre les hiérarchies institutionnelles. Naturellement on peut contester cette évolution. Mais elle est là, et elle est désormais légitimée par la grande majorité de nos concitoyens.

Pour la première fois depuis quinze siècles, nos sociétés se trouvent écartelées entre deux types de morale – une, chrétienne traditionnelle, et une autre, post-chrétienne. Les deux morales s’affrontent, l’ancienne et la nouvelle – mais ceux qui défendent l’ancienne morale représentent, dans un pays comme la France, un pourcentage très minoritaire. Quelles sont les conséquences de cette situation ? D’abord, les Églises désormais marginales ne peuvent plus imposer la morale publique comme auparavant : c’est donc l’État qui décrète la morale. Ensuite : dans des pays démocratiques, les décisions morales vont désormais obéir aux majorités. Je doute qu’il y ait grand monde en France pour réclamer de revenir à la criminalisation de l’IVG. C’est le cas dans certains États américains, mais ce n’est clairement pas le cas en Europe. Certains chrétiens laissent entendre qu’il faudrait se faire élire et puis abolir les réformes sociétales récentes pour revenir à l’état ante. Naïveté ou sauvagerie ? On ne peut exercer une domination minoritaire, sur des sujets aussi sensibles, sans prétendre à des fascismes de type entre-deux-guerres. Car le retour au passé est encore une utopie, non moins dangereuse que l’utopie du futur, et tout autant terroriste. Je ne comprends même pas qu’on puisse caresser ce genre de rêve brutal. En tout cas, ce serait sans moi.

Nous devons vivre avec cette idée que les chrétiens ne sont plus les prescripteurs moraux de nos sociétés : le gouvernement moral des sociétés par le christianisme, qui s’appelait chrétienté, n’est plus. Les chrétiens ne représentent plus qu’une partie, souvent très minoritaire – ce qui exige d’eux, désormais, davantage de lucidité que de nostalgie.

Insurrection des particularités

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Quart d’heure warholien

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DR.

Une caissière de supermarché devient la star de TikTok.


Après le loup d’Intermarché, la caissière de Carrefour. Elle s’appelle Léonie, j’ignorais que le prénom de ma grand-mère revenait en grâce. La vingtaine, étudiante, méritante et ravissante, elle travaille au Carrefour de Laval le weekend.

Et pendant ses pauses, elle fait des vidéos avec ses collègues. Des jolies chorégraphies au milieu des rayons, des mimiques, quelques accessoires, le tout en uniforme frappé du logo de la maison. Le genre de trucs qu’on fait au mariage de sa meilleure copine et que le magasin poste sur son compte TikTok qui compte désormais 150 000 abonnés (je suppose que personne ne s’abonne au compte TikTok d’un hyper sans une raison particulière).

Comment ça a démarré, mystère mais en quelques jours, Léonie devient un phénomène.  Ses vidéos font des centaines de milliers de vues. Les commentaires pleuvent. Des troupes de jeunes gens (mâles) se précipitent au Carrefour qui, à en juger aux photos, semble planté dans la Pampa, dans l’espoir d’apercevoir la belle et surtout, de se filmer dans cette quête et de poster à leur tour. Et le magasin annonce avoir recruté un garde du corps pour Léonie, ce qui rajoute une page à l’histoire.

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Que nous raconte cette histoire ? La version joli conte de Noël, c’est l’amour des petits, des humbles, des métiers essentiels comme on disait du temps du Covid… En réalité, je pense que c’est plutôt la prophétie de Andy Warhol réalisée. Chacun son quart d’heure de gloire. Mais cette célébrité est autoréférentielle. On n’est pas célèbre pour ses œuvres ou ses exploits mais parce qu’on est célèbre (à l’image de Kim Kardashian). Léonie n’est pas célèbre parce qu’elle danse bien – même si elle danse bien et qu’elle est très mignonne – mais parce qu’elle est virale. Peu importe le talent, ce qui compte c’est le nombre de vues et de followers. On la regarde parce que des milliers d’autres l’ont regardée. Les réseaux sociaux consacrent le triomphe du désir mimétique. La vox populi me dit ce que j’aime.

Certains se réjouiront de cette démocratisation de la célébrité devenue un objectif en soi – on me regarde donc je suis. Après tout, elle n’est pas toujours répartie très justement. Des tas de gens nuls et moralement douteux sont célèbres avec tous les avantages afférents. La promesse impossible de la Révolution française était Tous aristocrates ! La promesse des réseaux sociaux c’est Tous célèbres ! L’ennui, c’est qu’à la fin, il n’y aura plus de public.

Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

https://www.youtube.com/watch?v=2WXk599vw18

«Les féministes font du tri entre les victimes»

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La vice-présidente de l'UDR et militante féministe Claire Géronimi © ANTHONY QUITTOT/JDD/SIPA

Victime d’un viol commis par un multirécidiviste africain sous OQTF, le 11 novembre 2023, et après un procès largement médiatisé, Claire Géronimi a fait naître de cette tragédie l’association Éclats de Femmes, pour donner voix aux victimes, dénoncer les défaillances du système judiciaire et alerter sur l’insécurité grandissante en France. Elle est également la vice-présidente du parti UDR fondé par Éric Ciotti. À travers ces deux engagements, elle entend porter un féminisme concret et exigeant. Son livre, dans lequel elle racontera son parcours et son combat, sortira en janvier 2026. Rencontre.   


Causeur. Un chiffre vient de tomber : en Île-de-France, 62 %[1] des agressions sexuelles dans les transports en commun seraient commises par des étrangers. Quand on vous accuse de faire un lien entre immigration et violences faites aux femmes, de stigmatiser ou d’instrumentaliser ces faits, que répondez-vous ?

Claire Géronimi. Tout part de là, j’ai été victime d’un viol sauvage, comme trop de femmes en France. Ce que j’ai vécu est indissociable de l’insécurité qui gangrène le quotidien. Dans les transports en commun, dans la rue, la nuit, partout… les femmes ont peur. Aujourd’hui, on partage notre localisation en temps réel à nos proches, on se couvre davantage, on évite certains trajets. Et ce n’est plus seulement dans les grandes villes, c’est partout.

Mon violeur avait 11 condamnations inscrites sur son casier judiciaire, c’était un multirécidiviste. Et comme lui, trop d’agresseurs restent sur le territoire alors qu’ils n’auraient jamais dû y être. Oui, il y a un problème d’immigration totalement hors de contrôle, et plus particulièrement avec les OQTF qui ne sont pas exécutées. Mon combat n’est pas parcellaire, il englobe à la fois la lutte contre les violences faites aux femmes, le rétablissement de la sécurité partout sur le territoire et la fin de cette impunité organisée. On ne peut pas défendre les femmes sans parler de tout cela.  

À quel moment avez-vous choisi de transformer votre expérience personnelle en engagement concret pour les victimes ?

Je ne pouvais plus rester les bras croisés. Passer mes journées devant mon ordinateur à réfléchir à des stratégies business qui, au fond, m’importaient peu… ça ne me ressemblait plus. J’ai d’abord eu l’idée de créer le podcast Éclats de Femmes pour libérer la parole de femmes qu’on n’entend presque jamais, redonner ses lettres de noblesse au féminisme et porter mon féminisme, celui qui compte vraiment pour moi. J’ai invité des personnalités fortes comme Alizée Le Corre, Marie-Estelle Dupont, des psychologues, des avocats… L’objectif est de donner des clés concrètes aux victimes et d’offrir un micro à celles dont la voix est étouffée. Très vite, je me suis rendue compte qu’il manquait cruellement un accompagnement global pour ces femmes. J’ai donc créé l’association. Le podcast est sorti en septembre 2024, l’association a suivi en novembre. Et aujourd’hui, nous sommes déjà trois salariées.

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Vous auriez pu vous arrêter à l’engagement associatif. Pourquoi ajouter un engagement politique aux côtés d’Éric Ciotti ?

L’engagement social est essentiel, mais ses effets restent limités. L’association Éclats de Femmes est et restera apolitique, nous accompagnons toutes les victimes, du dépôt de plainte jusqu’au procès, avec une équipe juridique et psychologique. On ne porte pas de message politique, mais on ne va pas non plus cacher la réalité si une femme a été agressée par une personne sous OQTF, on le dit et on l’accompagne, point.

Éric Ciotti a été l’un des rares responsables politiques à me tendre la main dès le début, quand je cherchais des réponses concrètes du gouvernement quant à la présence de mon agresseur sur le territoire. Après la création de son parti, il m’a proposé de le rejoindre pour porter la voix des femmes à droite. J’ai longtemps réfléchi. Et puis je me suis dit que c’était une opportunité, défendre mon féminisme, oui, mais aussi m’engager sur les questions de sécurité et d’économie, des sujets qui me touchent en tant qu’ancienne entrepreneure. Pour faire vraiment bouger les lignes, il faut parfois être au cœur du réacteur. C’est le seul moyen de porter ses idées jusqu’au bout.

Vous avez affirmé à plusieurs reprises vous sentir seule et abandonnée.

Lors de mon agression, je me suis sentie abandonnée par les citoyens. Une voisine a entendu du bruit, a regardé dans la cour, mais n’est pas intervenue. Quand on entend une femme crier et du bruit de verre brisé, on ne sort pas de chez soi ? Cela pose une véritable question de responsabilité collective dans notre société. Une deuxième voisine m’a retrouvée en sang dans le hall de l’immeuble ; elle a fait fuir l’agresseur, mais ne m’a pas porté assistance car elle devait prendre un avion.

Après l’agression, malheureusement, comme je l’ai déjà dit dans de nombreuses interviews, j’en veux au système qui est mal conçu pour les victimes : on manque de soutien, une fois la plainte déposée.

Je me sens aussi abandonnée par le gouvernement. Depuis le début, j’ai pris la parole publiquement ; la moindre des choses aurait été un mea culpa, d’autant que j’ai créé une association. Ils n’ont pas envie d’affronter la réalité d’une victime agressée par une personne sous OQTF, car cela mettrait en lumière leurs propres défaillances. À l’époque, ni Bérangère Couillard ni Gérald Darmanin n’ont répondu à mes contacts. Aurore Bergé non plus n’a pas eu le courage de m’envoyer un message de soutien ou de me rencontrer avant le procès, malgré les demandes qui lui avaient été transmises.

Vous avez même évoqué, dans une interview, le fait que le système cherche à culpabiliser les victimes dans leurs démarches ?

Exactement. Lors des expertises psychiatriques pendant la phase d’instruction, mandatées par la CIVI (ndlr : Commission d’indemnisation des victimes), on se retrouve face à de vieux professionnels qui nous poussent dans nos retranchements. Les victimes devraient savoir qu’elles ont le droit d’être accompagnées par un avocat et un médecin conseil, ce qui n’est jamais précisé. On se retrouve seule dans une salle avec un expert de la CIVI et un psychiatre ; on m’a même reproché de ne pas avoir pris d’anxiolytiques, sous-entendant que cela réduirait mon indemnisation. Pendant l’instruction, les victimes ne sont pas réellement prises en considération. Les blessures physiques sont prises beaucoup plus au sérieux que les séquelles psychologiques, car elles sont plus faciles à mesurer. Pourtant, dans les cas de violences sexuelles, il y a très peu de blessures physiques visibles, hormis des bleus et des coups qui disparaissent au bout de six mois.
Mathilde, l’autre victime, et moi, avons commencé à avoir les gencives qui saignaient à l’approche du procès, un signe de stress intense qui persiste, mais cela n’a pas encore été comptabilisé comme dommage corporel. Je milite pour une réforme profonde de ce système.

Les féministes de gauche vous présentent comme une figure du « fémonationalisme ». Quel regard portez-vous sur ces féministes pour qui toutes les victimes ne se valent pas ?

Elles font du tri entre les victimes, discriminent et choisissent leurs combats, alors que ces causes devraient être transpartisanes. J’avais envoyé un message à Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, sur LinkedIn ; le message a été vu, mais pas de réponse. D’autres associations m’ont répondu : « On ne peut pas vous aider. » À l’époque, j’étais en telle détresse que je n’ai pas insisté. Aujourd’hui, Anne-Cécile Mailfert m’insulte sur les réseaux sociaux… Des insultes indirectes sur l’instrumentalisation supposée de mon histoire par certains médias de droite, du fait que mon agresseur était sous OQTF. Je discuterais pourtant avec elles avec grand plaisir, mais la communication est aujourd’hui rendue impossible. Marlène Schiappa est l’une des seules à m’avoir soutenue, et je la remercie énormément. Elle a eu le courage de le faire. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, nous n’avons pas les mêmes idées politiques, mais nous sommes d’accord sur le fait que ce combat doit être transpartisan.

Pensez-vous que ces féministes de gauche seront amenées à perdre de leur influence ?

On le voit déjà dans les tendances politiques actuelles, donc oui, elles perdent déjà de l’influence. Lors de ma première manifestation féministe avec Éclats de femmes, j’ai essayé de négocier avec la police pour intégrer le cortège principal ; on m’a répondu que, pour ma sécurité, je devais rester en arrière avec Némésis et Nous Vivrons. Pourquoi le cortège appartient-il exclusivement aux associations féministes de gauche ? Pourquoi doivent-elles seules mener l’opinion des femmes ? En plus, ces féministes sont souvent violentes et discriminent les autres féministes. Leurs messages politiques sont terribles, avec des pancartes comme ACAB (ndlr : All Cops Are Bastards, « Tous les flics sont des salauds »).

La Fondation des femmes, institution reconnue d’utilité publique, n’est jamais connotée négativement, alors que mon association dérange immédiatement, bien qu’elle soit apolitique, uniquement à cause de mes positions politiques sur les OQTF. Nous sommes bannies et mal vues dès qu’on est perçues à droite. J’ai d’ailleurs perdu un contrat, nous fabriquions des bijoux au profit des victimes ; cette marque nous a demandé de supprimer la collaboration sous prétexte de pressions liées à nos partenariats. Cela me révolte, car la Fondation des femmes n’aurait jamais eu ce problème.

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Jordy Goukara, 26 ans, sous OQTF, multirécidiviste, délinquant depuis son adolescence… La peine qui a été prononcée[2] est-elle proportionnelle à la gravité des faits ?  

Mon avocat m’a indiqué que la moyenne pour ce type de faits est de 12-13 ans et que la peine maximale est de 20 ans ; 18 ans est donc une peine lourde et satisfaisante. L’accusé ne fera sûrement pas appel. La justice a eu peur, car le procès était très médiatisé. Son comportement fait qu’en prison, il n’aura probablement pas d’aménagement de peine. À mi-peine, soit dans neuf ans, il pourra demander à purger le reste de sa condamnation en République centrafricaine. J’espère que ce sera le cas, qu’il partira pour que je n’entende plus jamais parler de lui.

Vous avez soutenu l’idée d’un projet de loi selon lequel l’État serait responsable lorsqu’une personne sous OQTF commet une agression. Qu’attendez- vous de ce texte ?

Il s’agit d’une proposition de loi développée par l’Institut pour la Justice. Nous étions allés voir Olivier Marleix (avant la scission LR/Ciotti) ; Christelle Morançais devait initialement la porter. Elle a été déposée en mars, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, mais elle est actuellement en stand-by. L’idée est de démontrer que l’État est fautif lorsqu’il n’exécute pas une OQTF et qu’une agression en découle, et de créer un fonds spécifique pour indemniser les victimes. Nous avions estimé qu’une victime doit débourser environ 35 000 € en frais d’avocat et de justice. Nous voulions montrer qu’il coûte finalement plus cher à l’État de ne pas appliquer les OQTF que d’indemniser correctement les victimes.

Quel regard portez-vous sur la vie politique française et ses acteurs ?

Je pense que les Français sont fatigués de l’instabilité politique actuelle. Cela contribue, par ricochet, à une société plus individualiste. J’échange régulièrement avec de nombreux entrepreneurs qui envisagent de quitter la France, qu’ils jugent trop fortement taxée. L’audiovisuel public s’en prend à Bernard Arnault, pourtant premier créateur de richesse du pays. Résultat : trop de très bons profils s’en vont, alimentant une véritable fuite des cerveaux, attirés par des perspectives jugées meilleures ailleurs. Pendant mon master HEC-Polytechnique, nous rêvions tous de créer une licorne ; malheureusement, les trois quarts de la promotion sont partis dans la Silicon Valley.

Quels sont vos vœux de fin d’année, pour vous et pour la France ?

Deux priorités. D’abord, que l’association continue de se développer. Nous avons déjà aidé 250 femmes, mais ce n’est pas suffisant. Nous avons besoin de recruter davantage de bénévoles, de soutiens matériels et financiers, et de renforcer l’équipe interne, j’aimerais pouvoir recruter deux personnes supplémentaires en 2026. Nous souhaitons également intervenir davantage dans les écoles et les entreprises sur les questions de violences sexistes et sexuelles, en proposant des formations qui ne soient pas wokistes. Pour la France, mon vœu le plus cher serait que plus aucune femme ne soit violée ou assassinée d’ici la fin de l’année.

Le hall d’entrée, Éditions Fayard. Sortie prévue le 28 janvier 2026.

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[1] https://www.lejdd.fr/Societe/agressions-sexuelles-dans-les-transports-parisiens-la-part-des-auteurs-etrangers-en-hausse-164902

[2] Nldr : 18 ans de réclusion assortis d’une interdiction définitive du territoire.

Sacha Guitry, le triomphe de l’esprit français

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Gwendoline Hamon et Michel Fau, "La Jalousie" © Marcel Hartmann

Les politiciens sont dépassés, les caisses sont vides, la guerre menace, la morosité règne. Alors un conseil: courez voir La Jalousie, de Sacha Guitry, au théâtre de la Michodière qui fête ses cent ans, dans une mise en scène soignée de Michel Fau.


Sacha Guitry (1885-1957), fils de l’acteur Lucien Guitry, s’affirme rapidement comme un auteur dramatique de grand talent. Il saisit les caractères de l’être humain, s’en amuse, les raille avec élégance et légèreté. Il n’épargne pas la bourgeoisie, pusillanime, hypocrite, misogyne, préférant toujours l’argent à l’honneur. Ses phrases sont mordantes, le ton est juste, les répliques font mouche. L’ironie domine ; elle rappelle celle de Voltaire. Les rapports entre les hommes et les femmes sont étudiés dans son laboratoire personnel, ce qui lui permet d’être d’un réalisme impitoyable, sans toutefois tomber dans le graveleux. Le bon goût le protège, comme le champagne désarme le révolver les soirs de vive amertume. Guitry, c’est aussi un splendide acteur, avec cette voix un peu précieuse et inimitable. Il met également en scène ses textes et n’hésite pas à devenir réalisateur de films historiques grandioses. C’est un artiste complet. Indémodable. Il suscite la jalousie durant la période de l’Occupation. Ses pièces sont jouées et rencontrent le succès. Cela suffit pour qu’il soit inquiété à la Libération. On lui cherche des poux dans la tête. On ne trouve rien. Pas de voyage en Allemagne, pas de contrat signé avec la firme Continentale.  Il passe cependant par la case prison. Le dossier est vide. Le chef d’accusation ne comporte que deux mots : « Rumeur publique ».

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La jalousie, justement. Thème de la pièce écrite alors que « le grand Sacha », comme l’appelait Michel Simon, a tout juste 30 ans. Vous avez le choix entre les 600 pages de La Prisonnière, de Proust, pour tout savoir sur ce sentiment dévastateur qui rend malade le jaloux avant de le détruire, lui et son entourage, et les dialogues incisifs du texte court de Guitry.

Albert Blondel, fonctionnaire à la moralité de façade, rentre à son domicile cossu. Il vient de tromper sa femme avec une « grue ». Il cherche toutes les excuses possibles pour expliquer son retard. Son imagination n’est guère débordante. Il se perd en conjectures. C’est alors qu’il s’aperçoit que son épouse n’est pas encore rentrée. La jalousie commence à le submerger, un délire obsessionnel l’envahit qui va le dévorer. La jalousie se confond avec la possession. Sa femme, sous la pression des insupportables questions de son mari, finit par faire ce qu’elle n’aurait jamais imaginé faire. C’est à la fois cruel et jubilatoire. Les mots claquent, laissant le spectateur étourdi par les bonds et rebonds des répliques. Guitry avait interprété le rôle de Blondel. Il est repris par Michel Fau – magistral Mitterrand dans L’Inconnu de la Grande Arche, film de Stéphane Demoustier –, parfait en mari jaloux qui flirte avec la folie. Son visage, souvent, inquiète. Il y a du Hamlet en lui quand, dans une lumière blafarde, il se dirige seul vers la salle. Une fêlure intérieure happe le spectateur attentif.

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Le personnage de l’écrivain infatué de soi-même, interprété par Alexis Moncorgé, est caricatural. Guitry nous livre l’image de ce qu’il aurait pu être, si le génie de ses textes lui avait tourné le dos. Mais le « maitre » sut rester à la hauteur de ses mots d’esprit si français. Michel Fau, dont la liberté de ton est à souligner en ces temps de moraline, résume, à propos de La Jalousie : « Dans cette comédie, l’auteur fortement influencé par Jules Renard, Octave Mirbeau mais aussi Georges Feydeau et Georges de Porto-Riche, cultive les contrastes ; une satire sociale côtoie une farce raffinée, une psychologie échevelée se frotte à une férocité joyeuse. »

À noter que la tragédienne Geneviève Casile, qui interprète aujourd’hui la belle-mère, jouait le rôle de la femme de Blondel quand la pièce fut reprise à la Comédie-Française. Il lui incombe d’affirmer que les femmes sont douées pour le mensonge. Le propos n’engage que « le grand Sacha ».

La Jalousie, pièce de Sacha Guitry, mise en scène de Michel Fau, à la Michodière. 1h40 Paris 2e. Prolongation jusqu’à mars 2026.

Les patrons dans le camp du mal?

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Le maire de Cannes David Lisnard et la chef du syndicat patronal Ethic Sophie de Menthon, 2022, DR.

Notre contributrice répond aux accusations d’entremetteuse avec le RN qui lui sont adressées ces derniers jours dans la presse.


Les médias ont tout dit sur le Rassemblement national, et depuis des années : antirépublicain, populiste, infréquentable, démago, inculte, raciste, extrémiste, haineux, facho… Comme, semble-t-il désormais, 42% des Français[1] !

Il va donc falloir absolument trouver autre chose pour culpabiliser ceux qui pourraient ne pas manifester une détestation irréversible et notoire vis-à-vis de la droite nationale ; sachant, pour mémoire, que le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella ne s’appelle pas « extrême droite » mais « Rassemblement national ».

C’est ma fête

C’est maintenant la fête des patrons, qui n’en peuvent plus, car les médias se sont reportés sur eux, embusqués, les soupçonnant d’être des « collabos » du RN qui avancent masqués. Ainsi, comme le martèle Laurent Mauduit dans son dernier ouvrage[2], remontant pour cela à la guerre, nous, les patrons, aurions toujours fricoté avec les politiques les plus infréquentables. Dont acte.

Depuis quelques mois, et je peux en témoigner, nous sommes toutes les semaines interrogés sur nos rapports avec l’extrême droite au sens large. D’Éric Zemmour à Jordan Bardella en passant par Marion Maréchal, Éric Ciotti, et d’autres noms que nous ne connaissons même pas, nous sommes accusés de flirter avec de dangereux individus…

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Je suis désormais qualifiée d’« entremetteuse » au service du RN, alors que je n’ai jamais voté pour ce parti, dont je ne partage pas les valeurs, et que je me déclare — bien que mon combat pour les entreprises soit apolitique — soutien du libéral David Lisnard. Tout cela parce que j’ai été la première présidente d’un mouvement patronal à inviter Marine Le Pen, lors de l’élection de 2012, à débattre devant des patrons curieux ; et que, depuis, à chaque échéance politique, j’ai agi de la même manière avec l’ensemble des représentants des partis politiques. Gloire à LFI et à la gauche qui jamais ne nous ont répondu ni même parlé, leur honneur est sauf : les patrons à la lanterne !

Les patrons sont pragmatiques

Je vais aller plus loin : si par le plus grand des hasards, et comme annoncé actuellement par tous les sondeurs, arrivait au pouvoir suprême un membre du RN, je serais la première à rencontrer ses équipes pour défendre la seule cause qui nous importe, celle des entreprises, et tenter d’éviter les erreurs économiques programmées et fatales (comme le recul de l’âge de la retraite, etc.).

Les patrons vont ainsi, chapeau enfoncé jusqu’aux yeux, rasant les murs, cherchant les endroits discrets pour discuter économiquement avec les infréquentables, sur l’avenir que leur réserverait la fameuse « extrême droite ». Rappelons que tous sont d’accord sur ce constat: le RN n’est ni extrême ni de droite, il ne peut être qualifié d’« extrême » que dans sa détestation de l’immigration non-contrôlée.

Oui, il est de notre devoir de patrons de préparer l’avenir économique de la France et d’empêcher pour l’avenir le désastre que nous voyons déjà se profiler aujourd’hui. Oui, le RN reçoit les patrons, hélas plus que les autres partis et il nous écoute vraiment. Ne parlons pas de l’Élysée ou Matignon, aux abonnés absents, à moins qu’il ne s’agisse des présidents des trois organismes dits représentatifs. Oui, nous patrons, allons même jusqu’à leur transmettre nos rapports que personne d’autre ne lit et luttons pour informer et faire cette pédagogie qui manque cruellement.  Expliquer nos constats, nos méthodes pour simplifier ou réformer… et même nos propositions, par exemple : accorder un permis de séjour de la durée du contrat de travail à un sans-papier. Car lesdits sans-papiers sous interdiction de travailler, s’ils présentent 12 feuilles de salaires d’affilée seront récompensés de leur désobéissance à l’État par un permis de travail en bonne et due forme ! Une honte.

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Mais la chasse aux patrons qui fréquentent épisodiquement le RN est donc lancée, et ils seront tous crucifiés au pilori médiatique ! Le phénomène s’amplifie, les journalistes veulent savoir… Qui connaissez-vous comme patrons qui voient le RN ? Et vous-mêmes, les avez-vous reçus ? Combien de fois ? À quelle date ? Vous étiez présente ? Qui vous accompagnait ? On ne dira rien, mais on peut les appeler de votre part ? Vous avez des noms précis ? Leurs coordonnées ? Les avez-vous revus après les avoir vus ? Communiquez-vous régulièrement avec eux par SMS ? etc. Quelles que soient ses réponses, la réputation du courageux sera incontestablement entachée par l’article à paraitre… Et si ce n’est pas le cas, c’est qu’il s’agit bien sûr d’un article d’une presse infréquentable (c’est-à-dire au mieux, « de droite » !)

Cette presse d’investigation réalise-t-elle qu’en cherchant à marginaliser le RN, elle contribue à sa progression ? Les patrons, inquiets pour l’avenir, veulent désormais se faire entendre en tentant d’influencer un parti qu’ils jugent proche du pouvoir, notamment pour infléchir son programme économique. Comment ne pas avoir envie d’encourager la glissade de Jordan Berdella vers des rivages libéraux ? Beaucoup espèrent ainsi orienter Jordan Bardella vers une ligne plus libérale, convaincus qu’un parti « jamais essayé » pourrait accéder au pouvoir.

Dans un paysage politique jugé verrouillé, les chefs d’entreprise, qui votent avant tout pour la survie de leur activité, cherchent à anticiper et peser sur l’avenir, y compris auprès de partis qu’ils ne soutiennent pas naturellement.

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[1] 42% des Français ont déjà voté pour le RN ou un candidat RN selon un sondage réalisé par IFOP-Fiducial pour le JDD et Sud Radio, ce qui démontre que le processus de respectabilisation du parti de Jordan Bardella progresse.

[2] Collaborations, Enquête sur l’extrême droite et les milieux d’affaires, La Découverte, 2025

Ces élites éthérées qui mettent les Français en danger

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Dans le Parisien, Dominique de Villepin menace: "La prochaine campagne présidentielle sera spectaculaire". Dans Libération, Florence Portelli se déclare "effarée par l'union des droites". Sipa.

Tandis que la menace terroriste impose un renforcement de la sécurité autour des marchés de Noël, sous l’autorité de Laurent Nuñez, l’idée d’une union des droites (présentée par ses promoteurs comme le seul moyen d’enrayer l’immigration massive et les dérives islamistes qui l’accompagnent) continue de susciter l’indignation-réflexe d’une majeure partie de la classe politique.


Les paisibles marchés de Noël ont été placés sous surveillance sécuritaire. L’ennemi djihadiste peut, en effet, frapper à tout instant. Le ministre de l’Intérieur est le premier à le savoir. Un 7-octobre semblable à celui lancé par le Hamas contre Israël en 2023 est envisageable en France. Pourtant, Emmanuel Macron regarde ailleurs.

Il s’emploie à préparer l’opinion à une guerre « existentielle » contre la Russie. L’« extrême droite » et le « populisme » sont ses deux autres obsessions. Une grande partie de la classe politique acquiesce aux postures déconcertantes du chef de l’Etat, agréées par le politiquent correct. Interrogée, mardi, par Libération sur l’ouverture proposée par Nicolas Sarkozy vers le RN et sur son refus d’avaliser un front républicain contre Marine Le Pen, Florence Portelli, vice-présidente des LR, s’est dite « effarée » d’un tel rapprochement : pour elle, il y aurait au sein du RN « des gens qui sont contre tout ce qui est créatif, contre l’art contemporain, contre une bonne partie de ce que fait le cinéma ». Les platitudes de cette Marie-Chantal illustrent la vacuité de la pensée de luxe, exhibée par la droite mondaine et ses précieuses ridicules. Rien n’est pire, pour ces gens-là, que de se mélanger à la plèbe et de partager son bon sens. En réalité, ce monde éthéré doit être tenu pour responsable de l’état de violence permanente que subit désormais la France. Le conformisme du personnel politique, identifiable à la lâcheté interdisant de désigner ceux qui, de l’intérieur, assaillent le pays et aux faux procès intentés à ceux qui s’inquiètent des déroutes françaises, est une aubaine pour l’islam conquérant, obsédé par son désir d’humilier l’Occident en déclin.

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La tuerie antijuive perpétrée à Sydney (Australie), samedi, par deux membres se réclamant de Daesh qui ont pris pour cible une foule fêtant Hanouka à Bondi Beach, est le produit d’une complaisance irréfléchie avec la cause palestinienne. L’Australie, comme la France, ont cru moralement bien faire en reconnaissant l’Etat de Palestine et en se désolidarisant de la résistance israélienne. Ce faisant, les gouvernements ont libéré l’expression des ressentiments judéophobes portés par une partie de la nouvelle population musulmane issue de l’immigration. Si les Juifs ne sont plus en sécurité en Australie ni en France, ce n’est pas à cause de la Russie ni d’une extrême droite fantasmée. Les responsables sont ceux qui, par un humanisme déclamé et un cosmopolitisme de salon, passent leur temps à grimer en xénophobes et en racistes ceux qui ne se lassent pas d’alerter sur les risques d’une immigration de masse ouverte à l’islam colonisateur, en conflit millénaire avec les juifs et l’Europe chrétienne. Ce mercredi matin, sur RTL, Dominique de Villepin n’a rien vu de sa propre contradiction consistant à appeler au « rassemblement » autour de sa « France humaniste », tout en excluant les « populistes » du RN, c’est-à-dire le premier mouvement national, porté par les sondages. Ces élites à bonne figure, qui déplorent la montée du nouvel antisémitisme, sont des dangers pour les Français, juifs ou pas. Elles le sont au même titre que l’extrême gauche.

Une histoire bien française

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DR / Hannah Assouline

Cette Nouvelle histoire de France est une sacrée somme. Sous la direction d’Éric Anceau, une centaine de contributeurs explorent tous les domaines, toutes les notions qui illustrent la singularité de notre histoire commune. Une brillante riposte à la vision «mondialisée» de Patrick Boucheron.


Une bouffée de panique saisit l’amateur d’histoire lorsqu’il soupèse ce volume d’un millier de pages dont la graphie exige, outre un meuble de chevet résistant au gabarit d’un ouvrage plus propice à la baguenaude qu’au bachotage, une acuité visuelle impeccable.

Cette Nouvelle histoire de France, projet de longue haleine mené par Éric Anceau, spécialiste émérite des deux premières Républiques françaises et de nos deux défunts empires, réussit la prouesse de fédérer cent signatures, et non des moindres. Cette somme magistrale, relecture chorale de notre geste nationale, est aux antipodes de la fameuse Histoire mondiale de la France parue en 2017 sous le patronage de Patrick Boucheron qui, on s’en souvient, avait provoqué la brusque bifurcation à droite toute d’un Pierre Nora (1931-2025), désireux de s’extraire de la bien-pensance idéologique.

C’est un truisme de seriner que les « lieux de mémoire », tout comme les événements historiques avérés, ne sont jamais gravés dans le marbre, et qu’à l’instar des édifices du patrimoine, ils restent soumis à la perspective par laquelle on les observe. Récemment, on pouvait lire sous la plume un rien condescendante d’un contributeur à ce quotidien du soir dont le nom m’échappe : « Éric Anceau croit soigner nos maux mémoriels. Il a simplement coordonné un livre de référence. » C’est gentil de lui reconnaître au moins un mérite. Mais comme au temps de la Terreur, cette tribune somme le citoyen Anceau de justifier le sens de son ouvrage : « L’enjeu principal du livre est le seul sujet à ne pas faire l’objet d’une analyse sérieuse », tance le procureur. Le prétoire s’accommoderait à la rigueur de la réussite de cette Nouvelle histoire de France. Mais il exige davantage. C’est comme si on demandait à Lavisse, à Michelet ou à Henri Martin de fournir un alibi à leurs travaux !

Que le lecteur se rassure : l’ouvrage contient assez d’indices croisés pour disculper les auteurs de tout parti pris mémoriel univoque. Nouvelle histoire de France appelle la lecture buissonnière. Je m’empresse d’appeler au calme ceux à qui la simple idée de se taper une « recherche du temps perdu » chronologique, depuis Clovis jusqu’au crépuscule de la Cinquième en passant par la monarchie des Valois et celle de Juillet, donnerait des fièvres méningitiques : le récit cursif n’est jamais qu’un survol – même fort étayé. « Régimes et Violences » occupe exactement 251 pages, soit la première partie du volume (Bruno Dumézil, Nicolas Le Roux, Xavier Hélary, Thierry Lentz, Olivier Tort, Éric Anceau y contribuent). Comme dans l’ensemble du livre, à ces textes de haute tenue sont adjoints des « focus » propres à portraiturer tel personnage essentiel (Jeanne d’Arc, Catherine de Médicis, Mirabeau, Robespierre…) et à relater tel fait considérable ou investi d’une portée symbolique (Saint-Barthélemy, retour des cendres de Napoléon, etc.).

Intitulée « Politiques et Spiritualités », la deuxième partie interroge l’évolution de notions transhistoriques telles que « le faste », « l’administration », « la diplomatie », « la technocratie », « l’école et l’enseignement », « le catholicisme », « les juifs et le judaïsme », « l’islam », « la franc-maçonnerie »… Vivier inépuisable, ce corpus presque encyclopédique galvanise la curiosité.

Au chapitre « Nation », Anceau observe que « la nation politique telle qu’elle fut advenue en 1789 et la nation républicaine qui a vu le jour un siècle plus tard sont aujourd’hui très mises à mal. C’est, conclut-il, aux Français et aux dirigeants qu’ils se choisiront à l’avenir qu’il appartiendra de résoudre cette équation que Benjamin Constant avait présentée voilà deux siècles : la conciliation de la liberté des anciens et celle des modernes. » C’est dit bien poliment.

« Espaces et Sociétés » explore les concepts de « Frontières », renvoie à notre relation problématique à l’Algérie, aux connotations liées par exemple à l’idée de « Peuple », rappelle l’importance du mouvement ouvrier, les mutations de la paysannerie – toujours dans une perspective historique dûment raccordée à l’actualité. Yannick Ripa condense ainsi en dix pages (inévitables) « l’histoire des femmes et du genre » (sic). Dominique Garcia l’assure de son côté : « On ne naît pas Gaulois, on le devient. »

Baptisée « Patrimoines et Identités », la quatrième partie creuse, sur un peu plus de 200 pages, l’idée d’« élaboration(s) de la nature » ou la notion de « paysage(s) », lesquels, à en croire Jean-Robert Pitte, peuvent sombrer sous « la poussée du profane » dans ce « laisser-aller généralisé » dont « les éoliennes, un non-sens paysager et énergétique », incarnent la catastrophe. Alexandre Gady, brillant comme à l’accoutumée, synthétise la notion de « patrimoine architectural », « au moment de la perte de sens qui travaille une part importante de la société », tandis qu’Anne Pingeot se demande à bon escient « à quoi sert la sculpture ? ».

Tout est donc passé ici au pressoir de l’histoire : des vins aux musées, du savoir-vivre (Frédéric Rouvillois) au Tour de France, de l’histoire de France au cinéma (David Chanteranne) à l’histoire en chansons (Florent Barraco)… L’ami Jonathan Siksou, penché sur « loisirs et tourisme », remarque élégamment que « le loisir de délassement a progressivement laissé place au loisir de divertissement ». De fait, la trivialité lucrative et segmentée de l’industrie touristique (parcs à thèmes, immeubles flottants pour croisiéristes, régression infantile des masses, tourisme « de niche » ou ratifié par smartphone) est une révolution planétaire dans laquelle la France occupe le podium : 100 millions de visiteurs annuels ! L’ancien agrément aristocratique n’est plus. Le seul « vrai luxe, près de chez soi ou à l’autre bout du monde, c’est l’isolement, le confort du “privé” : avion, bateau, piscine, villa, jardin, cuisinier… Tout pour soi seul, loin des autres. » Qui hissera le drapeau ?

Nouvelle histoire de France, Éric Anceau (dir.), Passés/Composés, 2025.

Nouvelle histoire de France

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Chessy: la France open bar!

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DR.

Le maire de Chessy (77) et ses adjoints démissionnent pour ne pas avoir à marier un étranger sous OQTF. Elisabeth Lévy réagit à l’affaire dans sa chronique radio. Nous vous proposons de l’écouter.


Pas de maire, pas de mariage ! Pour éviter d’appliquer une décision de justice absurde qui légitime selon lui une violation de la loi, le maire de Chessy a sorti l’arme nucléaire: lui et ses adjoints ont démissionné de sorte qu’il n’y a plus d’officier d’état civil ni d’ailleurs de pouvoir exécutif dans cette commune de 9000 habitants qui abrite Eurodisney.

Pour Tondelier, soupçonner un mariage blanc c’est raciste !

Mais avant d’en arriver là, Olivier Bourjot avait tenté d’alerter la préfecture et le Parquet de Meaux sur la volonté de cet étranger clandestin prié de quitter la France en 2022 qui, en 2025 a décidé d’épouser une ressortissante européenne. Pour le maire, c’était un mariage arrangé pour obtenir des papiers. Le Parquet affirme de son côté que l’enquête n’a pas prouvé de fraude au mariage. Et mercredi dernier, le juge des référés ordonnait à la mairie de publier les bans.

Nous sommes en présence d’une absurdité, d’un nouveau méfait de l’Etat de droit. Le mariage est un droit fondamental, nous dit la justice. Et visiblement, le droit pour un pays de choisir qui il accueille ne l’est pas. En réalité, l’Etat de droit tel que nos juges le conçoivent (ou l’interprètent), c’est que les individus ont tous les droits et les Etats aucun. S’opposer à ce mariage ce serait être contre l’amour, nous dit l’écologiste Marine Tondelier… On n’a donc même pas le droit d’exiger le respect de nos lois. Un homme qui n’a pas le droit d’être là peut exiger d’être marié : c’est la France open bar !

Robert Ménard attendu au tribunal, les députés à l’Assemblée…

Le maire a-t-il trouvé la parade ? Eh bien non ! Le Parquet aurait pu laisser filer, regarder ailleurs, mais le procureur de Meaux semble très sourcilleux sur le droit des amoureux. La démission du maire, a-t-il averti, ne change rien à l’infraction. Même démissionnaire, l’édile peut être sanctionné. Exactement comme Robert Ménard, le maire de Béziers. Rappelons que ce dernier n’a pas démissionné mais purement et simplement refusé de marier un Algérien sous OQTF. Il a refusé d’accepter le deal que la justice lui offrait en refusant de plaider coupable en échange d’une peine légère. Ceux qui le connaissent ne sont pas étonnés, mais il prend un risque tout à fait réel : il passera en correctionnelle, et, si jamais il tombe sur un magistrat sansfrontiériste, il pourrait écoper d’une peine d’inéligibilité et pourquoi pas une exécution provisoire – c’est à la mode ! Un maire élu triomphalement trois fois pourrait ainsi être mis hors jeu parce qu’il refuse une décision absurde contraire à la dignité de la France. Cette décision de justice signifie qu’une obligation prononcée par l’Etat ne vaut rien. De plus, au bout de trois ans, l’OQTF n’est plus opératoire, parait-il. Sur TF1, le 13 mai, face à Robert Ménard, le président de la République avait parlé de situations ubuesques et souhaité une loi interdisant le mariage d’étrangers en situation irrégulière. Cette loi a été votée par le Sénat. Il est peut être temps de la ressortir des tiroirs. En prime, nous saurons si nos députés ont encore une once de bon sens.


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio

Letizia Bonaparte, mater regum

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Portrait de Letizia Bonaparte (1750-1836)

Si Madame n’avait pas été la mère de Napoléon 1er et de tant d’autres souverains éphémères, si elle n’avait pas participé bon gré, mal gré, à l’épopée impériale, rien dans sa vie n’aurait justifié qu’on lui consacrât une biographie aussi considérable que celle que vient de publier Laëtitia de Witt dont la grand-mère paternelle était une Bonaparte.

Cependant, il se serait probablement trouvé en Corse un érudit local pour évoquer cette jeune femme de petite noblesse qui était, dit-on, d’une grande beauté, intrépide et dotée d’un fort caractère dont hérita sans doute le plus célèbre des ses fils. Elle devint une figure parmi les indépendantistes de l’île, aux côtés de son époux, Charles Bonaparte, un arriviste forcené, du temps qu’il était un partisan proche de Pascal Paoli en lutte contre la domination de la République de Gênes. Et avant que l’une et l’autre ne se ralliassent à l’idée d’appartenir au royaume de France.

Une héroïne romantique

Jeune et perpétuellement enceinte, elle vécut des cavalcades éperdues pour fuir l’ennemi, tour à tour français et paoliste. Elle se cacha dans une grotte et plus tard dans une tour de guet génoise surplombant les flots de la Méditerranée afin d’échapper au danger en fuyant son île. Bref, elle affronta les aventures d’une héroïne romantique, tout comme un personnage de Mérimée en un temps où ces péripéties se vivaient autrement que dans les romans.

La légende napoléonienne l’a depuis figée dans sa majesté de Mater regum ou sculptée dans le marbre blanc de la Mater dolorosa. Dépouillée dès le Consulat de son rôle de chef de famille par Napoléon qui régentait sa parenté comme un capitaine en campagne, elle fut tout cela en fonction des circonstances. 

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Digne dans le malheur, elle se révéla prudente, sinon avare dans la prospérité, habile gestionnaire des fonds considérables alloués par l’empereur à Madame, Mère de l’Empereur et Roi. Des fonds qu’elle n’était pas la dernière de la famille à réclamer pour tenir son rang, prenant ainsi la place si décriée des princes du sang de l’Ancien Régime en compagnie de ses enfants, presque tous avides de dignités et de richesses qu’ils n’avaient guère méritées et qui n’étaient dues qu’au seul génie de leur frère. Car ils étaient nombreux, ces Napoléonides, à vouloir s’enrichir sur le dos de la France et des nations soumises à l’instar de vautours couronnés, alors qu’ils n’avaient que bien peu de qualités grandioses pour le justifier, à l’exception notable de la grande-duchesse Elisa et du prince Eugène.

Sous le diadème, l’accent corse

Laetitia de Witt

Laëtitia de Witt, en historienne, mais aussi en femme d’aujourd’hui, n’a guère de goût pour la légende et les mythes, comme tant de ses prédécesseurs parmi les biographes de Madame. Pas d’inutiles envolées lyriques, ni d’affirmations péremptoires dans son ouvrage, mais beaucoup de questionnements sur des sujets à propos desquels manquent parfois les documents, les lettres, les mémoires, les actes officiels, et qui dévoilent, s’il en était encore besoin, qu’on peut avoir atteint des sommets dans l’Histoire sans que tout soit parfaitement lisible pour la postérité.  

Et plutôt que d’embellir ou de noircir des faits dont on ne sait parfois rien ou pas grand chose, l’autrice s’interroge sur la véracité des faits, leur vraisemblance. D’autant que la réalité historique est bien assez extraordinaire sans qu’il soit besoin de l’enjoliver.

C’est dans l’adversité que les personnages historiques sont souvent les plus remarquables. Sous l’Empire, toute digne qu’elle était, Madame n’avait pas toujours un caractère délicieux, ni la belle voix grave qu’on prête aux héroïnes des grandes épopées de l’Antiquité. Son accent corse devait paraître quelque peu rustique sous le diadème et les velours rebrodés d’or, bien qu’on louât  l’élégante sobriété de ses manières. Outre une beauté à la romaine qu’admirent les contemporains, elle était naturellement majestueuse, comme se devait de l’être la mère de César, tout en demeurant simple, dépouillée de vaine afféterie.

Feu le roi leur père

Sans beaucoup fréquenter la Cour impériale en dehors des représentations nécessaires et aimant mieux à se retirer avec des proches dans son château de Pont, joli présent de son fils (elle avait refusé une aile du Grand Trianon), elle était toutefois sourcilleuse sur le chapitre des préséances. Non sans raison d’ailleurs, suivant en cela le bon sens un peu abrupt des matriarches qui ne se voient pas facilement céder le pas à une jeunesse, fut-elle de sang impérial et royal.

Elle apprécia d’ailleurs fort peu que Napoléon, qu’elle avait assis sur le pot durant sa petite enfance, à Ajaccio, exigeât qu’elle lui donne de la Majesté impériale et qu’elle s’adressât désormais à lui en le nommant Sire.

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Elle n’aima pas l’impératrice Joséphine qui était tout le contraire d’elle-même et à laquelle elle reprochait son inconduite. Et pas davantage l’impératrice Marie-Louise, en bonne belle-mère voyant ses brus d’un œil torve. Mais elle eut beaucoup d’affection pour la vertueuse reine Julie, l’épouse de Joseph, ou pour la bonne reine Catherine, une princesse de Wurtemberg, épouse de Jérôme. Et elle finit par aimer la reine Hortense, l’épouse de Louis, une Beauharnais certes, et fille de Joséphine de surcroît, mais qui aima ses fils jusqu’au dernier dévouement, vertu à laquelle Madame Mère ne pouvait qu’être sensible. Car elle avait le jugement et les sentiments des femmes du sud, un peu abrupts, sinon intransigeants, mais sachant apprécier la droiture, la loyauté, la dignité, la fidélité à la famille, à la tribu. Elle passa sa vie à veiller comme elle le pouvait sur sa nombreuse progéniture, pour autant qu’il soit possible de se préoccuper de tant de rois éparpillés dans toute l’Europe ; à tenter de réconcilier entre eux les membres de la tribu impériale, aussi susceptibles, aussi soucieux de leur rang et de leur fortune que « s’ils avaient été les héritiers de feu le roi leur père », comme ironisait l’empereur qui par ailleurs les tyrannisait. Des Corses pour tout dire. Avec l’esprit clanique et le goût des insulaires pour les querelles byzantines.

L’exil à Rome

Les plus beaux chapitres du livre sont ceux consacrés à l’exil à Rome où le pape Pie VII, si abominablement malmené par Napoléon 1er, avait généreusement abrité Madame Mère, son frère le cardinal, et nombre de ces rois déchus honnis par les vieilles monarchies, épiés et partout tombés en disgrâce après les Cent Jours et Waterloo. Installée dans son superbe palais à l’angle du Corso et de la place de Venise, attentive à ceux de ses enfants les plus malheureux, la Mater dolorosa porta sur Napoléon honteusement crucifié à Sainte Hélène l’essentiel de son anxiété maternelle.

Mais avec la mort de l’empereur en 1821, elle eut encore à souffrir de celles d’Elisa en 1820 et de Pauline en 1825. Puis, coup sur coup, celles de cinq de ses petits-enfants : Paul-Marie, fils de Lucien en 1827; puis Jeanne, sa sœur en 1829 ; en 1831, Napoléon-Louis, fils de Louis et d’Hortense et frère de Louis-Napoléon, futur Napoléon III ; en 1832, le roi de Rome devenu duc de Reichstadt, avec lequel s’écroulaient les espoirs de restauration impériale ; en 1833, Frédéric-Napoléon, fils d’Elisa.  

Un lieu de pèlerinage

Devenue aveugle dans ses dernières années, incapable de se déplacer à la suite d’une chute, accablée par les deuils, mais toujours stoïque, repliée dans son palais romain dont elle a fait « un temple du souvenir », Madame participe à l’édification de la légende napoléonienne en luttant de tout son maigre pouvoir pour la mémoire de son fils. Son palais de Rome devient un lieu de pèlerinage. En témoigne un familier de l’Empire: « Ce qui me frappa d’abord, ce fut le silence qui régnait dans une aussi somptueuse demeure… A l’angle de la cheminée, une femme était couchée à demi sur une chaise longue : c’était la mère de l’empereur… Le salon était orné de beaux tableaux représentant la famille de Napoléon. Rien ne m’a paru touchant comme cette mère illustre privée de ses enfants et entourée de leurs portraits. Immobile sur sa chaise, elle me parut souffrante, souffrante de ses douleurs physiques, de sa vieillesse, de ses souvenirs, mais héroïquement résignée… Elle voulut vivre longtemps, chargée de la couronne du malheur ».      

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Madame s’éteindra à son tour, à l’âge de 86 ans, durant le carnaval romain de 1836, entourée de quelques-uns de ses enfants et petits-enfants. Plus tard Napoléon III fera revenir en Corse la dépouille de son aïeule qui repose désormais dans la Chapelle impériale que le dernier empereur fit édifier à Ajaccio.

Une seule décennie

Dans un ouvrage bien mené, fort imposant étant donné la (relative) minceur du sujet – la biographie d’une femme qui ne joua aucun rôle fondamental sur le plan historique et dont l’existence ne fut essentielle que pour sa famille, une famille qui certes régna sur l’Europe, mais durant une seule décennie – l’autrice a effectué un travail qui semble définitif. Sauf découvertes inespérées et révélations inattendues, que pourrait-on dire d’autre de Madame ?

Ce livre mériterait d’être l’ultime biographie de la mère et grand-mère des empereurs des Français. Mère aussi des rois d’Espagne, de Naples, de Hollande et de Westphalie, des grandes-duchesses de Toscane et de Berg, de cette duchesse de Guastalla qui fut la plus aimable de sa fratrie, et de ce prince de Canino et de Musignano, le seul à ne pas devoir ses titres à Napoléon 1er.

Curieusement, Laëtitia de Witt, si scrupuleuse, commet deux anachronismes dans son livre.

L’un, à propos de 1792 où elle parle de l’empereur d’Autriche à qui la France déclare la guerre.  Mais n’existait alors qu’un empereur du Saint Empire romain germanique, et ce dernier, beau-frère de Louis XVI, n’allait être combattu qu’en tant que roi de Hongrie et de Bohême et archiduc d’Autriche, et non en tant qu’empereur. (Le titre d’empereur d’Autriche ne sera créé qu’en 1804, à l’époque de la dissolution du Saint Empire par Napoléon 1er, futur gendre de François II, empereur du Saint Empire qui lors devient François 1er, empereur d’Autriche).

L’autre en évoquant le gotha à propos des familles régnantes au temps de l’Empire. Un terme qui n’existait pas alors, l’almanach du duché saxon de Gotha n’ayant alors nullement conquis la place prépondérante qu’il occupera dans l’Europe monarchique dès la seconde moitié du XIXe siècle.


Letizia Bonaparte. Par Laëtitia de Witt. Editions Tallandier. 495 pages.

Letizia Bonaparte: « C'est à ma mère que je dois toute ma Fortune » Napoléon

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