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Quart d’heure warholien

Le regard libre d’Elisabeth Lévy


Quart d’heure warholien
DR.

Une caissière de supermarché devient la star de TikTok.


Après le loup d’Intermarché, la caissière de Carrefour. Elle s’appelle Léonie, j’ignorais que le prénom de ma grand-mère revenait en grâce. La vingtaine, étudiante, méritante et ravissante, elle travaille au Carrefour de Laval le weekend.

Et pendant ses pauses, elle fait des vidéos avec ses collègues. Des jolies chorégraphies au milieu des rayons, des mimiques, quelques accessoires, le tout en uniforme frappé du logo de la maison. Le genre de trucs qu’on fait au mariage de sa meilleure copine et que le magasin poste sur son compte TikTok qui compte désormais 150 000 abonnés (je suppose que personne ne s’abonne au compte TikTok d’un hyper sans une raison particulière).

Comment ça a démarré, mystère mais en quelques jours, Léonie devient un phénomène.  Ses vidéos font des centaines de milliers de vues. Les commentaires pleuvent. Des troupes de jeunes gens (mâles) se précipitent au Carrefour qui, à en juger aux photos, semble planté dans la Pampa, dans l’espoir d’apercevoir la belle et surtout, de se filmer dans cette quête et de poster à leur tour. Et le magasin annonce avoir recruté un garde du corps pour Léonie, ce qui rajoute une page à l’histoire.

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Que nous raconte cette histoire ? La version joli conte de Noël, c’est l’amour des petits, des humbles, des métiers essentiels comme on disait du temps du Covid… En réalité, je pense que c’est plutôt la prophétie de Andy Warhol réalisée. Chacun son quart d’heure de gloire. Mais cette célébrité est autoréférentielle. On n’est pas célèbre pour ses œuvres ou ses exploits mais parce qu’on est célèbre (à l’image de Kim Kardashian). Léonie n’est pas célèbre parce qu’elle danse bien – même si elle danse bien et qu’elle est très mignonne – mais parce qu’elle est virale. Peu importe le talent, ce qui compte c’est le nombre de vues et de followers. On la regarde parce que des milliers d’autres l’ont regardée. Les réseaux sociaux consacrent le triomphe du désir mimétique. La vox populi me dit ce que j’aime.

Certains se réjouiront de cette démocratisation de la célébrité devenue un objectif en soi – on me regarde donc je suis. Après tout, elle n’est pas toujours répartie très justement. Des tas de gens nuls et moralement douteux sont célèbres avec tous les avantages afférents. La promesse impossible de la Révolution française était Tous aristocrates ! La promesse des réseaux sociaux c’est Tous célèbres ! L’ennui, c’est qu’à la fin, il n’y aura plus de public.

Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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