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Une histoire bien française

L'historien Éric Anceau est l'anti-Patrick Boucheron


Une histoire bien française
DR / Hannah Assouline

Cette Nouvelle histoire de France est une sacrée somme. Sous la direction d’Éric Anceau, une centaine de contributeurs explorent tous les domaines, toutes les notions qui illustrent la singularité de notre histoire commune. Une brillante riposte à la vision «mondialisée» de Patrick Boucheron.


Une bouffée de panique saisit l’amateur d’histoire lorsqu’il soupèse ce volume d’un millier de pages dont la graphie exige, outre un meuble de chevet résistant au gabarit d’un ouvrage plus propice à la baguenaude qu’au bachotage, une acuité visuelle impeccable.

Cette Nouvelle histoire de France, projet de longue haleine mené par Éric Anceau, spécialiste émérite des deux premières Républiques françaises et de nos deux défunts empires, réussit la prouesse de fédérer cent signatures, et non des moindres. Cette somme magistrale, relecture chorale de notre geste nationale, est aux antipodes de la fameuse Histoire mondiale de la France parue en 2017 sous le patronage de Patrick Boucheron qui, on s’en souvient, avait provoqué la brusque bifurcation à droite toute d’un Pierre Nora (1931-2025), désireux de s’extraire de la bien-pensance idéologique.

C’est un truisme de seriner que les « lieux de mémoire », tout comme les événements historiques avérés, ne sont jamais gravés dans le marbre, et qu’à l’instar des édifices du patrimoine, ils restent soumis à la perspective par laquelle on les observe. Récemment, on pouvait lire sous la plume un rien condescendante d’un contributeur à ce quotidien du soir dont le nom m’échappe : « Éric Anceau croit soigner nos maux mémoriels. Il a simplement coordonné un livre de référence. » C’est gentil de lui reconnaître au moins un mérite. Mais comme au temps de la Terreur, cette tribune somme le citoyen Anceau de justifier le sens de son ouvrage : « L’enjeu principal du livre est le seul sujet à ne pas faire l’objet d’une analyse sérieuse », tance le procureur. Le prétoire s’accommoderait à la rigueur de la réussite de cette Nouvelle histoire de France. Mais il exige davantage. C’est comme si on demandait à Lavisse, à Michelet ou à Henri Martin de fournir un alibi à leurs travaux !

Que le lecteur se rassure : l’ouvrage contient assez d’indices croisés pour disculper les auteurs de tout parti pris mémoriel univoque. Nouvelle histoire de France appelle la lecture buissonnière. Je m’empresse d’appeler au calme ceux à qui la simple idée de se taper une « recherche du temps perdu » chronologique, depuis Clovis jusqu’au crépuscule de la Cinquième en passant par la monarchie des Valois et celle de Juillet, donnerait des fièvres méningitiques : le récit cursif n’est jamais qu’un survol – même fort étayé. « Régimes et Violences » occupe exactement 251 pages, soit la première partie du volume (Bruno Dumézil, Nicolas Le Roux, Xavier Hélary, Thierry Lentz, Olivier Tort, Éric Anceau y contribuent). Comme dans l’ensemble du livre, à ces textes de haute tenue sont adjoints des « focus » propres à portraiturer tel personnage essentiel (Jeanne d’Arc, Catherine de Médicis, Mirabeau, Robespierre…) et à relater tel fait considérable ou investi d’une portée symbolique (Saint-Barthélemy, retour des cendres de Napoléon, etc.).

Intitulée « Politiques et Spiritualités », la deuxième partie interroge l’évolution de notions transhistoriques telles que « le faste », « l’administration », « la diplomatie », « la technocratie », « l’école et l’enseignement », « le catholicisme », « les juifs et le judaïsme », « l’islam », « la franc-maçonnerie »… Vivier inépuisable, ce corpus presque encyclopédique galvanise la curiosité.

Au chapitre « Nation », Anceau observe que « la nation politique telle qu’elle fut advenue en 1789 et la nation républicaine qui a vu le jour un siècle plus tard sont aujourd’hui très mises à mal. C’est, conclut-il, aux Français et aux dirigeants qu’ils se choisiront à l’avenir qu’il appartiendra de résoudre cette équation que Benjamin Constant avait présentée voilà deux siècles : la conciliation de la liberté des anciens et celle des modernes. » C’est dit bien poliment.

« Espaces et Sociétés » explore les concepts de « Frontières », renvoie à notre relation problématique à l’Algérie, aux connotations liées par exemple à l’idée de « Peuple », rappelle l’importance du mouvement ouvrier, les mutations de la paysannerie – toujours dans une perspective historique dûment raccordée à l’actualité. Yannick Ripa condense ainsi en dix pages (inévitables) « l’histoire des femmes et du genre » (sic). Dominique Garcia l’assure de son côté : « On ne naît pas Gaulois, on le devient. »

Baptisée « Patrimoines et Identités », la quatrième partie creuse, sur un peu plus de 200 pages, l’idée d’« élaboration(s) de la nature » ou la notion de « paysage(s) », lesquels, à en croire Jean-Robert Pitte, peuvent sombrer sous « la poussée du profane » dans ce « laisser-aller généralisé » dont « les éoliennes, un non-sens paysager et énergétique », incarnent la catastrophe. Alexandre Gady, brillant comme à l’accoutumée, synthétise la notion de « patrimoine architectural », « au moment de la perte de sens qui travaille une part importante de la société », tandis qu’Anne Pingeot se demande à bon escient « à quoi sert la sculpture ? ».

Tout est donc passé ici au pressoir de l’histoire : des vins aux musées, du savoir-vivre (Frédéric Rouvillois) au Tour de France, de l’histoire de France au cinéma (David Chanteranne) à l’histoire en chansons (Florent Barraco)… L’ami Jonathan Siksou, penché sur « loisirs et tourisme », remarque élégamment que « le loisir de délassement a progressivement laissé place au loisir de divertissement ». De fait, la trivialité lucrative et segmentée de l’industrie touristique (parcs à thèmes, immeubles flottants pour croisiéristes, régression infantile des masses, tourisme « de niche » ou ratifié par smartphone) est une révolution planétaire dans laquelle la France occupe le podium : 100 millions de visiteurs annuels ! L’ancien agrément aristocratique n’est plus. Le seul « vrai luxe, près de chez soi ou à l’autre bout du monde, c’est l’isolement, le confort du “privé” : avion, bateau, piscine, villa, jardin, cuisinier… Tout pour soi seul, loin des autres. » Qui hissera le drapeau ?

Nouvelle histoire de France, Éric Anceau (dir.), Passés/Composés, 2025.

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Décembre 2025 – #140

Article extrait du Magazine Causeur




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