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Religions, les chiffres font-ils foi ?

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Babel Blocks / Boym Design Studio, USA
Babel Blocks / Boym Design Studio, USA

Ainsi l’islam serait la deuxième religion de France. Si on ne l’a pas répété cent fois, et même plus, à l’occasion de la votation suisse anti-minarets, je veux bien entrer dans le clergé de la secte qui m’offrira les meilleures conditions de salaire et de retraite, en ce bas monde et dans l’au-delà. À force de répéter cette antienne, on finit par penser que le poids de l’islam dans la société française devient un élément déterminant de l’évolution sociologique et spirituelle de notre vieille nation. Cette assertion produit le ravissement des multi-culturalistes de tout poil, particulièrement de ceux qui cultivent le masochisme d’appartenance à une nation et à une culture insuffisamment métissée à leurs yeux. Elle provoque également une paranoïa galopante allant jusqu’au fantasme de dévoration par la foule proliférante des mahométans exprimée par le maire de Gussainville (Meuse), un pauvre type aujourd’hui couvert de crachats. Tout cela parce que mesdames et messieurs les commentateurs de l’acting out helvète veulent persuader leurs contemporains que la présence islamique en Europe est un fait irréversible, ce qui est exact, mais également susceptible de modifier profondément les comportements individuels et collectifs, ce qui l’est moins.

Non, non et trois fois non, l’islam n’est pas la deuxième religion de France. La deuxième religion de France, en nombre de personnes qui déclarent en faire partie dans des sondages effectués régulièrement sur cette question, c’est celle des sans-religion. Des athées, agnostiques, mécréants, dont le nombre est en progression constante, au contraire de ceux se réclamant de la première religion, la catholique, apostolique et romaine. Des chiffres ? En voilà et aseptisés à l’eau bénite, puisque qu’ils sont issus d’un sondage au long cours patronné par l’estimable (et là je ne me moque pas) quotidien La Croix. Voilà ce que cela donne en données comparées entre 1994 et 2007[1. Entre parenthèses les chiffres de 1994.]
Catholiques : 51% (67%). Protestants : 3% (3%). Juifs : 1% (1%). Musulmans : 4% (2%). Sans religion : 31% (23%).

C’est clair et net : il faut faire l’impasse sur les non-religieux pour placer les musulmans sur la deuxième marche d’un podium dont on ne voit pas bien quelle performance il viendrait couronner. Il apparaît, certes, que l’islam enregistre la plus forte progression entre les deux sondages : les nouveaux immigrants, et la forte natalité dans ce secteur de la population pourraient en fournir l’explication.

Le fond culturel français se compose donc très majoritairement de catholiques non pratiquants (8% d’entre eux déclarent aller régulièrement à la messe) et de non-croyants tolérants, puisque les bouffe-curés rabiques constituent une survivance folklorique de l’époque glorieuse mais révolue de la lutte pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Les non-croyants ne revendiquant rien d’autre que le droit imprescriptible à être oubliés des commentateurs patentés, ils se sont fait souffler médiatiquement une deuxième place dont ils n’ont évidemment rien à cirer.

Au bout de furieuses empoignades entre cléricaux et laïcs, nous avons hérité d’un modus vivendi relatif à la visibilité religieuse dans l’espace public : elle est admise, et même glorifiée lorsqu’il s’agit de l’architecture, de l’art et de la musique liée à l’une ou l’autre des religions pratiquée dans notre pays. Mais on n’admet pas qu’elle se manifeste dans l’apparence individuelle, vestimentaire ou corporelle. À l’exception, bien entendu, du clergé, dont les signes distinctifs, longtemps très apparents, ont eu une nette tendance à disparaître, au point qu’il est aujourd’hui très difficile de reconnaître un curé dans la foule.

C’est pourquoi cette affaire de minarets est pain bénit, si l’on ose dire, pour les plus extrémistes des islamistes, qui peuvent ainsi hurler à la discrimination et à la stigmatisation. Puisque les cathédrales, temples protestants et synagogues ont pignon sur rue dans un style architectural qui correspond à une conception, modeste ou ostentatoire, du lieu où l’on doit se rassembler pour prier, pourquoi priver les musulmans de leurs édifices religieux  traditionnels ?

L’amalgame entre le débat sur le port du voile islamique à l’école, ou celui de la burqa ou niqab dans l’espace public et celui de l’érection de minarets accolés aux mosquées dans nos villes est facteur de confusion. Il n’y a aucune raison de refuser à une religion de se doter d’immeubles correspondant à sa tradition (pour autant que le minaret ne serve pas de réveil-matin à tout le quartier), et ce faisant d’enrichir le patrimoine architectural de la France.

En revanche, considérer chaque individu, et singulièrement la femme, comme affichage ambulant d’une religion que l’on doit porter en bandoulière partout où l’on se déplace est une provocation dans un espace culturel qui a mis un certain temps, et beaucoup d’efforts, à libérer l’individu des emprises cléricales. La visibilité religieuse des individus non-membres du clergé n’est pas le seul apanage des musulmans. Les ultra-orthodoxes juifs relèvent aussi des « croyants visibles ». Pourtant, ils ne suscitent pas les mêmes polémiques que celles engendrées par le port du voile ou de la burqa. On dira que c’est injuste, que les juifs sont encore favorisés et autres balivernes habituelles. Reste que les Loubavitchs n’ont jamais demandé à la République d’admettre leurs enfants à païess à l’école publique avec des repas casher, ne se lamentent jamais de discrimination dans le logement ou à l’embauche, bref, savent se faire opportunément oublier pour continuer à transgresser l’ordre vestimentaire laïc.

Enfin, le monde est vaste, et il existe des lieux où chacun peut vivre sa foi dans sa plénitude, pour autant qu’elle soit assez forte pour vous faire oublier qu’il n’est pas tout à fait sans agréments, matériels ou démocratiques, de vivre dans une société pourvue d’un dieu discret.

Les Iraniens otages d’eux-mêmes

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Natanz, Iran
Natanz, Iran

Mahmoud Ahmadinejad n’en a pas cru ses oreilles. Le 24 novembre, en descendant de l’avion qui l’amenait au Venezuela, le président iranien – qui a pourtant ses habitudes à Caracas – a été accueilli au son de l’hymne de l’Iran impérial. Difficile de savoir qui, du chef de la fanfare vénézuélienne ou d’Ahmadinejad, était à ce moment-là le plus malheureux. Mais si les fausses notes du Venezuela sont, au pire, embarrassantes pour le régime, la petite musique qui monte ces derniers jours de l’AIEA peut se révéler beaucoup plus dangereuse : pour la première fois depuis plus de trois ans, le conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique vient de condamner l’Iran pour avoir dissimulé le site nucléaire de Qom. Pire, la Chine et la Russie, qui ont longtemps mis de l’eau dans le vin des Occidentaux, ont adopté cette résolution. De là à voter des sanctions au Conseil de Sécurité, le chemin reste long, mais un peu moins qu’il y a quelques semaines.

De toute évidence, Téhéran a été pris de court par la position de Moscou et de Pékin. En juin dernier, les Iraniens ont tendu un piège sophistiqué à la communauté internationale: ils ont demandé à l’AIEA de leur fournir de l’uranium enrichi à 20% pour un usage médical, puisqu’ils en ont le droit en tant que signataires du Traité de Non Prolifération. Sachant parfaitement que dans le climat de méfiance qu’il a volontairement instauré, les Occidentaux ne pourraient pas accepter sa demande, l’Iran tablait sur leur refus pour s’octroyer le droit d’augmenter le niveau d’enrichissement de 4% à 20%, tout en se présentant comme la victime. Sauf que les Américains n’ont pas mordu à l’hameçon. Il y a deux mois, au début du cycle actuel des négociations, l’AIEA a présenté un protocole élaboré par Washington : la Russie et la France enrichiront l’uranium iranien si Téhéran leur transfère les trois quarts des stocks d’uranium qu’elle enrichit illégalement.

Dans un premier temps, ébranlés par la découverte de leur centre nucléaire de Qom, les Iraniens n’ont pas fermé la porte, nourrissant ainsi une vague d’optimisme. À peine trois semaines après cette reprise de contact entre l’Iran et le groupe de six (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France et Allemagne), l’atmosphère a changé. Dans le courant du mois de novembre, les protagonistes, y compris Mohamed el-Baradei, le directeur sortant de l’Agence, ont admis que l’Iran ne cherchait pas une solution mais un prétexte pour poursuivre son propre programme nucléaire.

Même dans ce contexte, on a du mal à comprendre pourquoi Téhéran a proclamé son intention de construire dix sites supplémentaires  d’enrichissement d’uranium. Non seulement la réalisation d’un tel projet est longue et difficile, mais les deux centres déjà connus et (à Natanz et à Qom) ont été construits clandestinement, et leur existence a été révélée par les services de renseignements occidentaux en 2002 et 2009. En réaction à cette provocation, même la Chine et la Russie se sont vues contraintes de voter avec les Etats-Unis, la France, l’Allemagne et l’Angleterre, ce qui constitue un échec important pour la diplomatie iranienne.

Pourquoi le régime est-il prêt à payer un prix si élevé pour une fanfaronnade inutile, voire contre-productive pour le programme lui-même ? Probablement parce qu’il estime que sa propre survie est menacée, non pas par une hypothétique frappe aérienne ou d’éventuelles  sanctions, mais par une opposition qui pourrait endosser, en prime, le fait de laisser l’opposition endosser le rôle de défenseur du projet nucléaire.
Depuis les élections de juin, l’opposition a habillement récupéré des symboles majeurs de la Révolution islamique, à commencer par la couleur « vert islam » devenue – qui l’eût cru ? – presque subversive. Aujourd’hui, le mouvement vert et Moussavi s’emparent de la question nucléaire dont le régime, imprudemment, a fait le symbole de l’honneur national. Pendant la campagne, Moussavi a repris à son compte la formule chère à Ahmadinejad : « Le nucléaire est notre droit ». Aujourd’hui, il essaie de le doubler sur ce terrain, le privant ainsi d’un de ses meilleurs atouts.

Le raidissement des positions iraniennes révèle donc, plus qu’un changement dans la politique nucléaire de l’Iran, les énormes tensions au sein d’un régime en panne de légitimité qui voit la légitimité de l’atome – soigneusement cultivée comme une stratégie de pouvoir extérieur et intérieur – lui échapper au profit de ses adversaires. Avant de menacer qui que ce soit dans la région, la bombe iranienne pourrait bien, à terme, faire exploser la Révolution islamique elle-même.

Une dernière pilule pour la route?

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On savait déjà qu’il était possible de boire sans être ivre, tout du moins pour les plus raisonnables d’entre nous -pardon, d’entre vous. Il semble que désormais, il sera possible d’être ivre sans boire. D’après nos fiablissimes confrères du Huffington Post, un scientifique russe, le Professeur Evgueni Moskalev a réussi à mettre au point une méthode permettant de transformer en poudre,donc en pilule, tout type d’alcool, depuis la vodka jusqu’au muscadet. N’ayant hélas pas encore été conviés à tester cette innovation, nous saurions vous garantir, dans l’état actuel des choses, s’il s’agit d’une avancée scientifique majeure ou d’une promesse d’ivrogne…

Le panache des Dix de Tarnac

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justice

Ce jeudi 3 mars, Le Monde publiait une longue tribune des désormais dix inculpés de l’affaire de Tarnac, dont voici la substance : « Le contrôle judiciaire qui voudrait, pour l’avenir, interdire [à Christophe] de nous voir est l’aberration de trop ; c’est une mesure consciente de désorganisation de la défense, aussi. A ce point de torsion de toutes les notions du droit, qui pourrait encore exiger de nous que nous respections ces contrôles judiciaires et cette procédure démente ? A l’absurde nul n’est tenu. Il n’y a pas besoin de se croire au-dessus de la justice pour constater qu’elle est en dessous de tout. Au reste, une société qui se maintient par des moyens si évidemment criminels n’a de procès à intenter à personne. […] Nous désertons. Nous ne pointerons plus et nous comptons bien nous retrouver, comme nous l’avons fait, déjà, pour écrire ce texte. Nous ne chercherons pas à nous cacher. Simplement, nous désertons le juge Fragnoli et les cent petites rumeurs, les mille aigreurs misérables qu’il répand sur notre compte devant tel ou tel journaliste. Nous désertons la sorte de guerre privée dans laquelle la sous-direction antiterroriste voudrait nous engager. […] Mais ce que nous désertons d’abord, c’est le rôle d’ennemi public, c’est-à-dire, au fond, de victime, que l’on a voulu nous faire jouer. Et, si nous le désertons, c’est pour pouvoir reprendre la lutte. »

À cette déclaration mesquine, insignifiante et étriquée, un représentant du parquet rétorque le jour même avec panache : « Le parquet de Paris a demandé aux juges d’instruction de vérifier les conditions du déroulement de ces contrôles judiciaires. Si ces obligations n’étaient pas respectées, le parquet en tirera toutes les conséquences. »

Depuis trois jours, le délire à flux tendu du spectacle télévisuel, qui a tant dégoisé sur Tarnac depuis un an, n’a pas fait la moindre mention de cet événement décisif, de cet acte superbe de désobéissance civile. Le silence des cavernicoles médiatiques n’est le fruit d’aucune « concertation frauduleuse ». Ils ne reçoivent plus, depuis longtemps, d’ordres venus d’en haut. Les ordres venus d’en bas, les ordres dictés par leur médiocrité la plus naturelle et leur mimétisme cavernicole, suffisent amplement pour leur faire secréter et décréter l’irréalité irrévocable, servile et entièrement arbitraire qu’ils nomment « l’actualité ». Leur allergie spontanée à toute espèce de grandeur, à toute liberté un peu sérieuse, exigeante, les a légitimement détournés des derniers développements de l’affaire de Tarnac. Nul ne songe à s’en plaindre.

« Le parquet en tirera toutes les conséquences. » Je dois l’avouer, cette formule m’inquiète. Fait-elle allusion à une action d’éclat ? Un suicide collectif du parquet, auprès duquel les suicides de France Telecom seraient soudain ravalés au rang d’aimable souvenir ? À la révocation du juge Fragnoli qui, j’en suis certain, recouvrerait peut-être enfin sa liberté et sa dignité lui aussi et pourrait refaire sa vie – pourquoi pas dans une ferme communiste du Plateau de Millevaches ? Lui aussi, comme il doit être las et écœuré de jouer tristement son rôle. « Le parquet en tirera toutes les conséquences. » Ou bien s’agit-il d’une allusion à la prononciation d’un non-lieu et à la démission de Michèle Alliot-Marie ? À la décision de supprimer la SDAT ou d’officialiser son statut et ses missions de centre de loisir ? À la démission du président de la République et de la totalité du gouvernement français  – reconnaissant soudain que même eux sont humains, après tout, et ne parviennent plus à vivre dans le monde irrespirable qu’ils ont tissé jour après jour ? N’est-il pas permis d’espérer que la liberté souveraine des dix de Tarnac devienne soudain contagieuse ? Que, curieusement, l’on ne se contente plus de les admirer ?

L’heure me semble propice à nous rappeler les mots par lesquels Marx attaque (si j’ose dire) son Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. »

Dans le cas de Tarnac, un problème épineux se pose au juge d’instruction Fragnoli : leur première arrestation était déjà une farce sans nom, une bouffonnerie sanglante. En foutant une seconde fois en taule les dix de Tarnac, Fragnoli inventerait une sorte de bouffonnerie au carré qui ne s’est encore jamais vue dans l’Histoire et aurait ravi Philippe Muray, l’auteur de Roues carrées. Malheureusement pour lui, cette bévue finirait aussi par réveiller les cavernicoles et déclencher une protestation populaire et médiatique elle aussi diablement élevée au carré.

Résumons, crûment mais véridiquement, la situation : s’il les fait arrêter une seconde fois, il est dans la merde complète ; s’il ne les fait pas arrêter, il est seulement dans la merde intégrale.

Afghanistan : on parle ou on se perd

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Flickr / U.S. Army
Flickr / U.S. Army

Autant le dire sans finasser. L’article de mes amis Aimée et Marco m’a indignée. Non pas, évidemment, que je trouve indigne, par principe, d’être contre notre présence militaire en Afghanistan même si j’y suis pour ma part favorable. Mais nos camarades, sans doute inconsciemment, ridiculisent la position adverse ou n’en retiennent que les formulations ridicules, pour évacuer le débat de fond tout en se désolant qu’il n’ait pas lieu. Vous avez vos questions, on a nos réponses. Circulez y’a rien à voir, on n’a rien à faire là-bas, on vous raconte qu’on va ramener la démocratie, c’est même pas vrai et en plus, on vous pique vos sous pour ça.

Pardon les copains, mais le débat a lieu. En cherchant bien, vous rencontrerez ici même des gens qui ne sont pas d’accord avec vous et qui pourtant ne sont pas des gogos gavés à la propagande gouvernementale. Nous prenez-vous pour des billes au point d’être incapable de comprendre qu’on ne fait pas la guerre pour instaurer la démocratie ou construire des routes mais pour défendre des intérêts vitaux ? Pensez-vous que nous sommes assez sots pour avaler que nous sommes là-bas pour libérer les femmes ou assez cyniques pour ne pas nous demander si l’enjeu vaut que l’on risque la vie de nos soldats ? Nous croyez-vous assez stupides pour n’avoir pas remarqué que, faute de pouvoir mobiliser les moyens suffisants, la Coalition en est réduite à mettre un œuvre une politique de containment des plus méchants et à essayer d’éviter que les groupes les plus radicaux ne mettent la main sur le nucléaire pakistanais ? On n’a pas de soldats dans les zones frontalières, dites-vous. Certes. D’après vous, quel message enverrait-on, ce faisant, aux braves gens qui tiennent ces zones en coupe réglée en pliant armes et bagages ?

D’accord, on ment au bon peuple. En vrai, comme vous le remarquez fort justement, le bon peuple s’en fout un peu de l’Afghanistan. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans ce domaine, je ne suis pas tellement sûre de vouloir un grand débat démocratique et transparent. Que l’Assemblée nationale vote les crédits nécessaires suffira à calmer mes susceptibilités démocratiques. Certes, Nicolas Sarkozy est revenu sur l’un de ses engagements, c’est mal. Mais quand il est sans cesse accusé d’électoralisme, peut-être peut-on porter à son crédit le courage de prendre une décision impopulaire malgré la proximité des régionales. Je ne connais pas de peuple qui répondrait par un « oui » enthousiaste à la question : « Faut-il mourir pour Kaboul ? », alors que nombre d’électeurs seraient déjà rétifs à l’idée de « payer pour Kaboul ». Et pour tout vous dire, je le déplore. Oui, tout le monde, Américains et Européens en tête, veut vivre dans la grande salle de gym. Et nous aussi. D’ailleurs, notre dernier grand coup de gueule a consisté à refuser de faire une guerre (à juste titre à mon avis).

Alors, oui, sur ce coup-là, je préfère qu’on ne nous demande pas notre avis. On ne fait pas la guerre par référendum. Cinquante millions de sélectionneurs de l’Equipe de France, d’accord, 50 millions de Chefs des Armées, je ne prends pas. Primo parce que je pense que notre présence, si elle ne règle rien, contribue au moins à éviter une catastrophe. Deuxio parce que je souhaite que mon pays continue à jouer un rôle dans le monde. C’est aux Américains de faire le boulot, nous dites-vous. C’est votre droit de penser que la France doit être absente d’une zone d’intérêt stratégique mondial. Admettez que l’on puisse avoir un autre point de vue.

Mais là où vous charriez carrément, chers Aimée et Marc, c’est quand vous faites appel à l’argument qui marche à tous les coups et qui ne vous ressemble guère : celui du porte-monnaie. Vous voilà soudainement bien soucieux de comptabilité publique. Comment ? On a oublié de claironner que l’opération allait bouffer plus de la moitié du budget « opex » de l’Armée ? Quel scandale intolérable ! Les Français doivent savoir. Oui, leur endettement risque de s’alourdir de façon insupportable : vous pensez, 600 millions d’euros ! « Peut-être qu’on n’a pas envie de nous dire certaines choses, qui si ça se trouve, feraient râler dans chaumières », écrivez-vous. Vous avez raison, on nous cache tout, les chiffres du chômage, la non-répercussion de la baisse de la TVA sur la restauration. Eh bien, concernant le dépassement du budget Afghanistan, si ça doit faire râler dans les chaumières, on a raison de le cacher. Parce que comme sujet de râlerie, je trouve ça un peu mesquin.

Vous avez le droit de penser qu’il faut faire autrement, qu’il faut faire plus ou alors qu’il ne faut rien faire du tout. Vous pouvez juger que la menace n’est pas si menaçante ou que notre présence est absolument inutile et vous avez sans doute d’excellents arguments. Mais de grâce, cessez de vous raconter qu’il y a d’un côté de lucides opposants à cette guerre inutile, ceux à qui on ne la fait pas, et de l’autre une armée d’abrutis qui se contentent des bobards que leur concoctent des administrations payées pour enfumer le chaland.

À la réflexion, mes chers amis, j’ai l’impression que vous vous laissez égarer par votre souci de retrouver une grille de lecture politique qui fait souvent merveille sous votre plume mais qui s’avère ici fâcheusement politicienne. Vous voulez redonner une identité à la gauche, c’est louable. Seulement, l’Afghanistan n’est pas le bon front pour mener ce salutaire combat idéologique. Cette guerre n’est pas sarkozyste ou socialiste, c’est une guerre française. Elle mérite un vrai débat. Avant de décider d’envoyer des renforts, les présidents américain et français ont longuement hésité. On peut même les soupçonner d’avoir pesé les risques de l’engagement et ceux du désengagement. Vous pouvez critiquer les réponses, pas évacuer la question par trois pirouettes et une baffe pour chacun – la droite, la gauche et les Français à qui on bourre le mou. Pas ça, pas vous. Pas nous.

South Park, ça troue le cul !

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Matt Stone and Trey Parker, créateurs de la série
Matt Stone and Trey Parker, créateurs de la série

Dans « South Park », il y a tout ce que j’aime : la satire la plus pointue qui soit des emballements médiatiques, des « grands débats de société » et de la nature humaine en général ; plus une grossièreté heuristique[1. Voir ce mot] qui donne son charme à l’ensemble. Et le tout depuis quatorze saisons, sans que la série donne le moindre signe d’essoufflement.

Le problème, c’est la France ! On ne peut y voir South Park que sur les chaines adophiles genre NRJ 12, Game One, ou MTV – alors que sa place serait sur le service public[2. Même à la place des « Mots de minuit », je suis preneur !]. Encore les épisodes nous y sont-ils présentés avec au moins un an de retard, parfois douze, et dans n’importe quel ordre.

Pas question même pour les fanatiques, dont je m’honore d’être, d’acheter la série en DVD : elle n’est même pas distribuée par chez nous – contrairement à ces satanés « Simpson » dont les rayonnages débordent… Mais quand on a goûté à la cuisine délicieusement pimentée des chefs Matt Stone et Trey Parker, comment ne pas trouver un peu fade la soupe jaune de Matt Groenig ?

C’est aussi ça, l’exception culturelle française ! Elle nous a privés, entre autres, d’un des meilleurs épisodes de la saison passée : la remise de l’Emmy Award 2009 à… « la Crise ».

La petite ville de South Park (Colorado) a ceci de particulier que tous ses habitants sont bêtes et/ou méchants, surtout en groupe –et les adultes encore plus que les enfants. Stone et Parker tirent sur tout ce qui bouge, et chacun en prend pour son grade : les beaufs et les flics, les bobos et les clodos, les Noirs et les juifs, les handicapés et les gays, les écolos et les ONG. Malgré tout, nos deux compères éprouvent visiblement une jouissance toute particulière à ridiculiser l’univers dont ils sont issus : l’intelligentsia contestataire.

À cet égard, l’un de mes épisodes favoris reste « Crève, hippie, crève ! » Le pitch, comme on disait il y a cinq ans : Cartman a découvert le plan secret des gauchistes pour envahir la paisible bourgade et en faire « la capitale mondiale de l’altermondialisme. » Hélas, personne ne veut croire notre héros ! C’est donc seul qu’il va entreprendre de bouter ces intrus hors de la ville, au lance-flammes s’il le faut…

C’est qu’il y a urgence : les envahisseurs veulent organiser à South Park le plus grand festival de musique baba de l’Histoire, « afin de faire plier les multinationales. » – « Mais comment ça ? » interroge naïvement Stan. – « Eh bien, lui répond un barbu à lunettes, il suffit d’imaginer une communauté où tout le monde s’entraiderait et où, par exemple, l’un ferait du pain pour tous, tandis que l’autre s’occuperait de la sécurité pour tous… -« Tu veux dire un boulanger et un flic ? », répond l’enfant.
Ensuite, eh bien, vous savez comment c’est… On commence par tirer sur le fil, et c’est tout le tricot qui vient : l’utopie rousseauiste, la foi en l’Homme et l’idéologie du Progrès – voire l’utilité de la gauche dans le débat politique[3. Comme disait joliment le président Bordaberry (Uruguay), au lendemain du putsch militaire de (date), en réponse à une question de la presse internationale : « Il n’y aura plus d’élections en Uruguay tant que la gauche aura une chance de gagner ! »].

La série aborde aussi la religion, et Dieu sait qu’elle ne fait pas de concessions à l’athéisme cool en vigueur chez les intellos laid-back de tous les continents surdéveloppés.

Pourtant, Stone et Parker sont loin d’être des bigots. Comme vous le racontait ici même l’ami Marc Cohen (10/11/08), ils ont déjà eu maille à partir, entre tant d’autres, avec le lobby évangéliste américain pour blasphèmes, pornographie et autres gros mots.
C’est d’autant plus injuste qu’ils nous présentent un Jésus tout ce qu’il y a de plus sympa ; même qu’il anime à la télé locale un talk-show intitulé « Jesus and pals » – juste un peu trop lisse, croit-on comprendre, pour faire de l’audience. Il n’est pas jusqu’à ses relations avec son Père qui ne soient abordés d’une manière théologiquement correcte.

Surtout, j’ai eu l’occasion de voir (au hasard de MTV, bordel !) un épisode intitulé « Vas-y, Dieu ! » où l’ironie ne visait pas principalement Celui-ci.

Let’s pitch again : Cartman – encore lui –, incapable d’attendre la sortie de la Wii, décide en dernière extrémité de se faire congeler. Las ! Quand il se réveille cinq cent ans plus tard, plus personne ne sait la connecter…
Dès lors, le garnement ne songe plus qu’à retourner dans son époque. Il faut entendre son cri déchirant et furieux : « Je vais crever dans le futur, et sans jamais avoir joué à la Wii ! »

Imagine-t-on destin plus cruel ? Surtout qu’en l’occurrence, le futur ne semble guère rieur. Dieu y a disparu, certes ; mais son culte a été remplacé par celui de la Science – sans que la liberté de penser y ait gagné, semble-t-il.

Au début, le changement ne se remarque qu’à travers certaines expressions populaires : dans un demi-millénaire, apprend-on, les gens diront couramment « Thank Science » ou « Science damn it ! »

Sera-ce mieux pour autant ? Stone et Parker doutent. Déjà, le monde du futur est dominé par les loutres (plus douées que l’homme en sciences). Mais même quand le « Grand Sage des loutres athées » (sic) appelle à la mansuétude vis-à-vis des croyants résiduels, il est massacré séance tenante par ses propres troupes au cri magnifique de « Tuons le Grand Sage ! »
Vous je ne sais pas, mais moi ça me fait irrésistiblement penser à Chesterton : « Quand on cesse de croire en Dieu, ce n’est pas pour ne croire à rien ; c’est pour croire à n’importe quoi. »

Quant aux hooligans auteurs de South Park je les tiens, au pire, pour des agnostiques d’excellente compagnie, d’autant plus que leur scepticisme fait d’eux, en politique, d’excellents anarchistes conservateurs[4. Comme Orwell selon Jean-Claude Michéa, et tous les gens bien selon moi.].

Un dernier exemple pour la route ? Dans « Imaginationland », à la suite d’une manipulation scientifique, l’imagination des honnêtes citoyens américains est « prise en otage par les islamo-terroristes »… Heureusement, les services secrets ne vont pas tarder à intervenir pour y mettre bon ordre ! Après analyse approfondie de la situation, le chef de la CIA conclut gravement : « Je crains que nous n’ayons pas le choix : il faut atomiser notre imagination ! »

Après ça, soit le lecteur n’a rien compris et je me sens bien seul ; soit j’ai intérêt à ne rien ajouter, sous peine de paraître chiant. Et pourtant j’aurais aimé pouvoir dire à quel point, sous couvert de dérision, Stone et Parker nous parlent subtilement d’humanité, de morale, de liberté… Mais ça y est, je suis déjà chiant et c’est à cause de vous, enfoirés de fils de pute !

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Les morts de catégorie A. Et les autres.

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Vous venez de mourir à cause du virus H1N1. Je sais, c’est désagréable. D’autant plus que vous n’avez pas de chance. Comme nous l’indique l’Institut de Veille Sanitaire, vous étiez 111 au 4 décembre. Statistiquement, c’est rageant. Consolez-vous néanmoins, votre décès sera médiatisé et vous aurez ce fameux quart d’heure de célébrité cher à Andy Warhol puisque toutes les télés, toutes les radios et tous les journaux parleront de votre sort funeste. Ce ne sera pas le cas, en revanche, pour les victimes de cancers d’origine professionnelle. Le même INVS situe leur nombre dans une fourchette annuelle allant de 6 000 à 12 500 décès. L’équivalent d’une petite guerre tout de même. La plupart des média, sur cette question, observent pourtant un grand silence pudique. Quant aux accidents du travail, il ne faut pas rêver. La seule chance d’existence médiatique pour un ouvrier du bâtiment qui se fracasse en tombant d’un échafaudage serait que sa chute soit consécutive à un éternuement dû à la grippe A. Sinon, vous pouvez circuler, y a rien à voir.

Afghanistan : toujours plus, toujours rien

Flickr / U.S. Army
Photographie prise lors d'une opération à Naray, Afghanistan. Flickr / U.S. Army

La question ne sera pas posée. L’annonce par Nicolas Sarkozy d’un énième envoi de troupes françaises en Afghanistan, n’aura suscité ni protestation indignée de la gauche officielle, ni manif musclée de l’extrême gauche, ni même invasion surprise de l’hémicycle par des pacifistes chevelus.
Alors évidemment on fera un débatounnet en douce à l’Assemblée. Mais ne comptez pas sur nos punchers du perchoir pour parler de cette de cette guerre avec la même énergie que quand on cause réchauffement climatique et sauvetage des ours blancs. Non, la question ne sera pas posée, elle ne l’a jamais vraiment été, et elle ne le sera vraisemblablement jamais. Il règne dans ce pays un consensus mou, mais inoxydable sur l’Afghanistan. Les termes du débat sont clairs : ou on est pour, mais très discrètement, ou on est contre, mais on préfère parler d’autre chose.

Pour comparer, souvenons-nous du grand barnum auquel avait donné lieu la même question concernant la deuxième guerre d’Irak, celle que Chirac avait refusé, avec la sortie en grande pompe de Dominique de Villepin à l’ONU, voire la première, celle ou Mitterrand nous avait engagés. Si on comparait ces deux dernières occurrences et l’Afghanistan en termes de volumes sonores, disons qu’on aurait quelque chose comme la sono de Johnny au Stade de France face à une flûte à bec d’élève de sixième. Et encore la flûte à bec est susceptible de vous vriller les oreilles, ne serait-ce qu’un instant. Là, rien, pas même une malheureuse fausse note.

Or des questions propres à provoquer un beau et grand bordel, il y en aurait, et des mignonnes
Allez, on sort la liste de courses, et comme sur celles qu’on griffonne au dos d’une enveloppe EDF, il n’y a pas d’ordre de priorité. On vous les livre donc en vrac.

Primo, comme dirait Jean-Pierre Foucault : Combien ça coûte? On nous parle de 300 millions pour la France pour 2009 (Source commission des finances de l’Assemblée), soit 40% du budget « opex » (opérations extérieures) de l’Armée. En 2008, ce chiffre n’était que de 236 millions. On rappellera que le budget « opex » est toujours notoirement sous-évalué et que c’est en N+1 qu’on règle la facture, qui en général vire bizarrement du simple au double… À ces probables 600 millions, on rajoutera les milliers de fonctionnaires parisiens de la Défense, du Quai, et d’une flopée d’autres administrations qui bossent à plein temps sur la question. On essaiera aussi en vain d’avoir une vague idée des dépenses d’équipements afférentes à cette excursion, et on finira par se rendre compte que personne n’est fichu de nous donner une estimation un tant soit peu sérieuse du coût réel de la guerre française en Afghanistan. Mais peut-être tous nos statisticiens ont-ils été réquisitionnés pour chiffrer les retombées sur l’emploi de la baisse de TVA dans la restauration… Ou alors peut-être qu’on n’a pas envie de nous dire certaines choses, qui si ça se trouve, feraient râler dans chaumières…

Deuxio : À quoi ça sert ? En fouillant dans notre doc, on ne se lasse pas de voir défiler la noria de justifications qui nous ont été servies :
– Eradiquer Al-Qaida (défense de rire, vu que les Benladenistes se sont éradiqués d’eux-mêmes du secteur pour se planquer dans les zones à cheval entre l’Afghanistan et le Pakistan dès le premier coup de canon, zones où pas un seul fantassin ne met jamais les pieds).
– Rétablir la démocratie. On pourra se demander pourquoi il était plus urgent de la rétablir dans ce coin tout pourri plutôt qu’ailleurs, disons en Arabie saoudite ou au Zimbabwe, mais bon, de toute façon, avec les pignolades de Karzaï, finalement certifiées kosher par l’Occident, cette petite perfidie est sans objet.
– On aura la gentillesse de passer sur les prétextes encore plus corniauds servis au bon peuple par le Président : donner à manger aux petits enfants, construire des routes, et bien sûr, aider les femmes à s’émanciper. On n’est pas fichu d’interdire la burqa en France, mais faites-nous confiance, là bas aussi, on va, comme dirait l’autre, l’«éradiquer». On attend avec impatience que Roselyne Bachelot nous explique que nous sommes aussi  là-bas pour enrayer l’épidémie de grippe A.

Tertio : Les options militaires choisies ont-elles été les bonnes ? Comme on aime mieux se répéter que se contredire, on vous renvoie à ce que disait, ici même la dame du binôme, à propos du livre lumineux Mourir pour l’Afghanistan de Jean- Dominique Merchet. «Depuis 2001, la France est présente aux côtés de contingents américains, anglais ou allemands. Une action dans un « cadre multinational », des troupes noyées dans un mille-feuille de commandements multiples. Autant dire que la France n’a pas de stratégie. « Nous luttons contre le terrorisme en Afghanistan, mais nous nous arrêtons à la frontière », rigole Jean-Dominique Merchet. Résultat, non seulement Mollah Omar peut continuer à fuir à mobylette et Ben Laden à menacer la terre entière dans des vidéos collectors, mais en plus la Coalition offre sur un plateau des cibles de choix aux terroristes en la personne de ses vaillants soldats professionnels». C’était limpide il y a un an, ça l’est encore plus aujourd’hui : manifestement tout le monde s’accorde à dire qu’il faudrait au minimum dix fois plus d’hommes pour espérer commencer à remettre d’équerre la situation sur place. Entre les militaires et les politiques ça tangue (McChrystal vs Obama, la contre-offensive, l’afghanisation du conflit, and so on) mais bon, personne n’a plus vraiment envie de déployer des troufions au sol avec les risques que ça représente. Pourquoi envoyer et renvoyer des troupes alors que chacun sait que les missions efficaces (c’est à dire pour dézinguer de l’al-Quaïdiste planqué dans une grotte) sont réalisées par les services secrets à coup de drones, sans doute en débordant sur la frontière pakistanaise…

Quatro : La formule même de la « coalition » a-t-elle un sens ? Soit chacun joue sa partie, ce qui est souvent le cas, soit on décide qu’on fait la guerre des Américains, que c’est une des clauses cachées du retour dans le commandement intégré de l’OTAN, mais alors, il faut le dire carrément aux Français, on fait la guerre parce que les Américains nous l’ont demandé, et qu’il faut savoir rendre service aux amis.

Voilà pour les questions. Hasardons quelques réponses. Quand Barack Obama explique qu’il faut finir le job, il parfaitement raison. Faut qu’il gagne sa guerre et les élections qui suivent, bref il faut qu’il finisse le sien. Le notre de job, c’est de rentrer nos boys, et vite fait. « La France n’a aucune vocation à rester là-bas à long terme », comme le disait entre les deux tours de la présidentielle Nicolas Sarkozy. Le même qui le 15 octobre dernier déclarait au Figaro « la France n’enverra pas un soldat de plus ». Ce qui n’est qu’un demi-mensonge, puisqu’il na pas envoyé un unique soldat supplémentaire en plus, mais 1500. Mais une fois de plus, le chef de l’Etat aurait tort de se priver, y’a personne en face. Peut-être, mais alors peut-être, ne souhaite-t-on pas se voir rappeler, au PS, que Lionel Jospin, alors premier ministre, a été co-sponsor de ce raid Paris-Kaboul.

On sait bien que le mot même de votation populaire a acquis une connotation un peu péjorative chez nous ces jours-ci. Mais nous serions curieux de connaître le résultat d’un référendum sur l’urgente nécessité qu’il y a de faire la guerre en Afghanistan. On n’a pas l’habitude d’être en phase avec les masses populaires, ça nous changerait… C’est bien joli d’expulser de France deux Afghans par-ci et trois par là, mais il serait bougrement plus urgent d’expulser tous nos soldats d’Afghanistan

Quand Plenel se débat pour ne pas débattre

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Qu’Edwy Plenel soit hostile au débat sur l’identité nationale, c’est son droit le plus absolu. Qu’il lance sur Médiapart un appel en sens, cosigné par notamment par Dominique de Villepin, Olivier Besancenot et Martine Aubry, c’est donc parfaitement légitime. Qu’il intitule ledit appel « Nous ne débattrons pas » est déjà plus osé, puisque justement la question même de l’opportunité de ce débat fait débat. Mais bon, on connaît Edwy… Cela dit, nul ne pourra lui reprocher de refuser systématiquement la confrontation, puisqu’invité jeudi dernier par Michel Grossiord sur la chaine Public Sénat à en débattre avec Elisabeth Lévy, il a certes accepté de débattre, mais seulement avec lui-même. Le débat commence à 17 min 40 sec.

Après la Suisse, Dubaï sur la mauvaise pente

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Nous vous annoncions ici-même que la votation suisse ne resterait pas sans réponse dans le monde arabo-musulman. Aussitôt dit, aussitôt fait. Qui croira au hasard ou à la banale coïncidence temporelle entre les choix identitaro-architecturaux des Helvètes et l’autre événement fort de la semaine, à savoir la crise économique généralisée à Dubaï, qui, nous dit-on, va bloquer la plupart des constructions en cours. En tout cas, cette concomitance débouche sur un résultat d’une réciprocité limpide. En Suisse, plus de minarets et, à Dubaï, fini les pistes de ski !

Religions, les chiffres font-ils foi ?

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Babel Blocks / Boym Design Studio, USA
Babel Blocks / Boym Design Studio, USA
Babel Blocks / Boym Design Studio, USA

Ainsi l’islam serait la deuxième religion de France. Si on ne l’a pas répété cent fois, et même plus, à l’occasion de la votation suisse anti-minarets, je veux bien entrer dans le clergé de la secte qui m’offrira les meilleures conditions de salaire et de retraite, en ce bas monde et dans l’au-delà. À force de répéter cette antienne, on finit par penser que le poids de l’islam dans la société française devient un élément déterminant de l’évolution sociologique et spirituelle de notre vieille nation. Cette assertion produit le ravissement des multi-culturalistes de tout poil, particulièrement de ceux qui cultivent le masochisme d’appartenance à une nation et à une culture insuffisamment métissée à leurs yeux. Elle provoque également une paranoïa galopante allant jusqu’au fantasme de dévoration par la foule proliférante des mahométans exprimée par le maire de Gussainville (Meuse), un pauvre type aujourd’hui couvert de crachats. Tout cela parce que mesdames et messieurs les commentateurs de l’acting out helvète veulent persuader leurs contemporains que la présence islamique en Europe est un fait irréversible, ce qui est exact, mais également susceptible de modifier profondément les comportements individuels et collectifs, ce qui l’est moins.

Non, non et trois fois non, l’islam n’est pas la deuxième religion de France. La deuxième religion de France, en nombre de personnes qui déclarent en faire partie dans des sondages effectués régulièrement sur cette question, c’est celle des sans-religion. Des athées, agnostiques, mécréants, dont le nombre est en progression constante, au contraire de ceux se réclamant de la première religion, la catholique, apostolique et romaine. Des chiffres ? En voilà et aseptisés à l’eau bénite, puisque qu’ils sont issus d’un sondage au long cours patronné par l’estimable (et là je ne me moque pas) quotidien La Croix. Voilà ce que cela donne en données comparées entre 1994 et 2007[1. Entre parenthèses les chiffres de 1994.]
Catholiques : 51% (67%). Protestants : 3% (3%). Juifs : 1% (1%). Musulmans : 4% (2%). Sans religion : 31% (23%).

C’est clair et net : il faut faire l’impasse sur les non-religieux pour placer les musulmans sur la deuxième marche d’un podium dont on ne voit pas bien quelle performance il viendrait couronner. Il apparaît, certes, que l’islam enregistre la plus forte progression entre les deux sondages : les nouveaux immigrants, et la forte natalité dans ce secteur de la population pourraient en fournir l’explication.

Le fond culturel français se compose donc très majoritairement de catholiques non pratiquants (8% d’entre eux déclarent aller régulièrement à la messe) et de non-croyants tolérants, puisque les bouffe-curés rabiques constituent une survivance folklorique de l’époque glorieuse mais révolue de la lutte pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Les non-croyants ne revendiquant rien d’autre que le droit imprescriptible à être oubliés des commentateurs patentés, ils se sont fait souffler médiatiquement une deuxième place dont ils n’ont évidemment rien à cirer.

Au bout de furieuses empoignades entre cléricaux et laïcs, nous avons hérité d’un modus vivendi relatif à la visibilité religieuse dans l’espace public : elle est admise, et même glorifiée lorsqu’il s’agit de l’architecture, de l’art et de la musique liée à l’une ou l’autre des religions pratiquée dans notre pays. Mais on n’admet pas qu’elle se manifeste dans l’apparence individuelle, vestimentaire ou corporelle. À l’exception, bien entendu, du clergé, dont les signes distinctifs, longtemps très apparents, ont eu une nette tendance à disparaître, au point qu’il est aujourd’hui très difficile de reconnaître un curé dans la foule.

C’est pourquoi cette affaire de minarets est pain bénit, si l’on ose dire, pour les plus extrémistes des islamistes, qui peuvent ainsi hurler à la discrimination et à la stigmatisation. Puisque les cathédrales, temples protestants et synagogues ont pignon sur rue dans un style architectural qui correspond à une conception, modeste ou ostentatoire, du lieu où l’on doit se rassembler pour prier, pourquoi priver les musulmans de leurs édifices religieux  traditionnels ?

L’amalgame entre le débat sur le port du voile islamique à l’école, ou celui de la burqa ou niqab dans l’espace public et celui de l’érection de minarets accolés aux mosquées dans nos villes est facteur de confusion. Il n’y a aucune raison de refuser à une religion de se doter d’immeubles correspondant à sa tradition (pour autant que le minaret ne serve pas de réveil-matin à tout le quartier), et ce faisant d’enrichir le patrimoine architectural de la France.

En revanche, considérer chaque individu, et singulièrement la femme, comme affichage ambulant d’une religion que l’on doit porter en bandoulière partout où l’on se déplace est une provocation dans un espace culturel qui a mis un certain temps, et beaucoup d’efforts, à libérer l’individu des emprises cléricales. La visibilité religieuse des individus non-membres du clergé n’est pas le seul apanage des musulmans. Les ultra-orthodoxes juifs relèvent aussi des « croyants visibles ». Pourtant, ils ne suscitent pas les mêmes polémiques que celles engendrées par le port du voile ou de la burqa. On dira que c’est injuste, que les juifs sont encore favorisés et autres balivernes habituelles. Reste que les Loubavitchs n’ont jamais demandé à la République d’admettre leurs enfants à païess à l’école publique avec des repas casher, ne se lamentent jamais de discrimination dans le logement ou à l’embauche, bref, savent se faire opportunément oublier pour continuer à transgresser l’ordre vestimentaire laïc.

Enfin, le monde est vaste, et il existe des lieux où chacun peut vivre sa foi dans sa plénitude, pour autant qu’elle soit assez forte pour vous faire oublier qu’il n’est pas tout à fait sans agréments, matériels ou démocratiques, de vivre dans une société pourvue d’un dieu discret.

Les Iraniens otages d’eux-mêmes

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Natanz, Iran
Natanz, Iran
Natanz, Iran

Mahmoud Ahmadinejad n’en a pas cru ses oreilles. Le 24 novembre, en descendant de l’avion qui l’amenait au Venezuela, le président iranien – qui a pourtant ses habitudes à Caracas – a été accueilli au son de l’hymne de l’Iran impérial. Difficile de savoir qui, du chef de la fanfare vénézuélienne ou d’Ahmadinejad, était à ce moment-là le plus malheureux. Mais si les fausses notes du Venezuela sont, au pire, embarrassantes pour le régime, la petite musique qui monte ces derniers jours de l’AIEA peut se révéler beaucoup plus dangereuse : pour la première fois depuis plus de trois ans, le conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique vient de condamner l’Iran pour avoir dissimulé le site nucléaire de Qom. Pire, la Chine et la Russie, qui ont longtemps mis de l’eau dans le vin des Occidentaux, ont adopté cette résolution. De là à voter des sanctions au Conseil de Sécurité, le chemin reste long, mais un peu moins qu’il y a quelques semaines.

De toute évidence, Téhéran a été pris de court par la position de Moscou et de Pékin. En juin dernier, les Iraniens ont tendu un piège sophistiqué à la communauté internationale: ils ont demandé à l’AIEA de leur fournir de l’uranium enrichi à 20% pour un usage médical, puisqu’ils en ont le droit en tant que signataires du Traité de Non Prolifération. Sachant parfaitement que dans le climat de méfiance qu’il a volontairement instauré, les Occidentaux ne pourraient pas accepter sa demande, l’Iran tablait sur leur refus pour s’octroyer le droit d’augmenter le niveau d’enrichissement de 4% à 20%, tout en se présentant comme la victime. Sauf que les Américains n’ont pas mordu à l’hameçon. Il y a deux mois, au début du cycle actuel des négociations, l’AIEA a présenté un protocole élaboré par Washington : la Russie et la France enrichiront l’uranium iranien si Téhéran leur transfère les trois quarts des stocks d’uranium qu’elle enrichit illégalement.

Dans un premier temps, ébranlés par la découverte de leur centre nucléaire de Qom, les Iraniens n’ont pas fermé la porte, nourrissant ainsi une vague d’optimisme. À peine trois semaines après cette reprise de contact entre l’Iran et le groupe de six (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France et Allemagne), l’atmosphère a changé. Dans le courant du mois de novembre, les protagonistes, y compris Mohamed el-Baradei, le directeur sortant de l’Agence, ont admis que l’Iran ne cherchait pas une solution mais un prétexte pour poursuivre son propre programme nucléaire.

Même dans ce contexte, on a du mal à comprendre pourquoi Téhéran a proclamé son intention de construire dix sites supplémentaires  d’enrichissement d’uranium. Non seulement la réalisation d’un tel projet est longue et difficile, mais les deux centres déjà connus et (à Natanz et à Qom) ont été construits clandestinement, et leur existence a été révélée par les services de renseignements occidentaux en 2002 et 2009. En réaction à cette provocation, même la Chine et la Russie se sont vues contraintes de voter avec les Etats-Unis, la France, l’Allemagne et l’Angleterre, ce qui constitue un échec important pour la diplomatie iranienne.

Pourquoi le régime est-il prêt à payer un prix si élevé pour une fanfaronnade inutile, voire contre-productive pour le programme lui-même ? Probablement parce qu’il estime que sa propre survie est menacée, non pas par une hypothétique frappe aérienne ou d’éventuelles  sanctions, mais par une opposition qui pourrait endosser, en prime, le fait de laisser l’opposition endosser le rôle de défenseur du projet nucléaire.
Depuis les élections de juin, l’opposition a habillement récupéré des symboles majeurs de la Révolution islamique, à commencer par la couleur « vert islam » devenue – qui l’eût cru ? – presque subversive. Aujourd’hui, le mouvement vert et Moussavi s’emparent de la question nucléaire dont le régime, imprudemment, a fait le symbole de l’honneur national. Pendant la campagne, Moussavi a repris à son compte la formule chère à Ahmadinejad : « Le nucléaire est notre droit ». Aujourd’hui, il essaie de le doubler sur ce terrain, le privant ainsi d’un de ses meilleurs atouts.

Le raidissement des positions iraniennes révèle donc, plus qu’un changement dans la politique nucléaire de l’Iran, les énormes tensions au sein d’un régime en panne de légitimité qui voit la légitimité de l’atome – soigneusement cultivée comme une stratégie de pouvoir extérieur et intérieur – lui échapper au profit de ses adversaires. Avant de menacer qui que ce soit dans la région, la bombe iranienne pourrait bien, à terme, faire exploser la Révolution islamique elle-même.

Une dernière pilule pour la route?

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On savait déjà qu’il était possible de boire sans être ivre, tout du moins pour les plus raisonnables d’entre nous -pardon, d’entre vous. Il semble que désormais, il sera possible d’être ivre sans boire. D’après nos fiablissimes confrères du Huffington Post, un scientifique russe, le Professeur Evgueni Moskalev a réussi à mettre au point une méthode permettant de transformer en poudre,donc en pilule, tout type d’alcool, depuis la vodka jusqu’au muscadet. N’ayant hélas pas encore été conviés à tester cette innovation, nous saurions vous garantir, dans l’état actuel des choses, s’il s’agit d’une avancée scientifique majeure ou d’une promesse d’ivrogne…

Le panache des Dix de Tarnac

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justice

Ce jeudi 3 mars, Le Monde publiait une longue tribune des désormais dix inculpés de l’affaire de Tarnac, dont voici la substance : « Le contrôle judiciaire qui voudrait, pour l’avenir, interdire [à Christophe] de nous voir est l’aberration de trop ; c’est une mesure consciente de désorganisation de la défense, aussi. A ce point de torsion de toutes les notions du droit, qui pourrait encore exiger de nous que nous respections ces contrôles judiciaires et cette procédure démente ? A l’absurde nul n’est tenu. Il n’y a pas besoin de se croire au-dessus de la justice pour constater qu’elle est en dessous de tout. Au reste, une société qui se maintient par des moyens si évidemment criminels n’a de procès à intenter à personne. […] Nous désertons. Nous ne pointerons plus et nous comptons bien nous retrouver, comme nous l’avons fait, déjà, pour écrire ce texte. Nous ne chercherons pas à nous cacher. Simplement, nous désertons le juge Fragnoli et les cent petites rumeurs, les mille aigreurs misérables qu’il répand sur notre compte devant tel ou tel journaliste. Nous désertons la sorte de guerre privée dans laquelle la sous-direction antiterroriste voudrait nous engager. […] Mais ce que nous désertons d’abord, c’est le rôle d’ennemi public, c’est-à-dire, au fond, de victime, que l’on a voulu nous faire jouer. Et, si nous le désertons, c’est pour pouvoir reprendre la lutte. »

À cette déclaration mesquine, insignifiante et étriquée, un représentant du parquet rétorque le jour même avec panache : « Le parquet de Paris a demandé aux juges d’instruction de vérifier les conditions du déroulement de ces contrôles judiciaires. Si ces obligations n’étaient pas respectées, le parquet en tirera toutes les conséquences. »

Depuis trois jours, le délire à flux tendu du spectacle télévisuel, qui a tant dégoisé sur Tarnac depuis un an, n’a pas fait la moindre mention de cet événement décisif, de cet acte superbe de désobéissance civile. Le silence des cavernicoles médiatiques n’est le fruit d’aucune « concertation frauduleuse ». Ils ne reçoivent plus, depuis longtemps, d’ordres venus d’en haut. Les ordres venus d’en bas, les ordres dictés par leur médiocrité la plus naturelle et leur mimétisme cavernicole, suffisent amplement pour leur faire secréter et décréter l’irréalité irrévocable, servile et entièrement arbitraire qu’ils nomment « l’actualité ». Leur allergie spontanée à toute espèce de grandeur, à toute liberté un peu sérieuse, exigeante, les a légitimement détournés des derniers développements de l’affaire de Tarnac. Nul ne songe à s’en plaindre.

« Le parquet en tirera toutes les conséquences. » Je dois l’avouer, cette formule m’inquiète. Fait-elle allusion à une action d’éclat ? Un suicide collectif du parquet, auprès duquel les suicides de France Telecom seraient soudain ravalés au rang d’aimable souvenir ? À la révocation du juge Fragnoli qui, j’en suis certain, recouvrerait peut-être enfin sa liberté et sa dignité lui aussi et pourrait refaire sa vie – pourquoi pas dans une ferme communiste du Plateau de Millevaches ? Lui aussi, comme il doit être las et écœuré de jouer tristement son rôle. « Le parquet en tirera toutes les conséquences. » Ou bien s’agit-il d’une allusion à la prononciation d’un non-lieu et à la démission de Michèle Alliot-Marie ? À la décision de supprimer la SDAT ou d’officialiser son statut et ses missions de centre de loisir ? À la démission du président de la République et de la totalité du gouvernement français  – reconnaissant soudain que même eux sont humains, après tout, et ne parviennent plus à vivre dans le monde irrespirable qu’ils ont tissé jour après jour ? N’est-il pas permis d’espérer que la liberté souveraine des dix de Tarnac devienne soudain contagieuse ? Que, curieusement, l’on ne se contente plus de les admirer ?

L’heure me semble propice à nous rappeler les mots par lesquels Marx attaque (si j’ose dire) son Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. »

Dans le cas de Tarnac, un problème épineux se pose au juge d’instruction Fragnoli : leur première arrestation était déjà une farce sans nom, une bouffonnerie sanglante. En foutant une seconde fois en taule les dix de Tarnac, Fragnoli inventerait une sorte de bouffonnerie au carré qui ne s’est encore jamais vue dans l’Histoire et aurait ravi Philippe Muray, l’auteur de Roues carrées. Malheureusement pour lui, cette bévue finirait aussi par réveiller les cavernicoles et déclencher une protestation populaire et médiatique elle aussi diablement élevée au carré.

Résumons, crûment mais véridiquement, la situation : s’il les fait arrêter une seconde fois, il est dans la merde complète ; s’il ne les fait pas arrêter, il est seulement dans la merde intégrale.

Afghanistan : on parle ou on se perd

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Flickr / U.S. Army
Flickr / U.S. Army

Autant le dire sans finasser. L’article de mes amis Aimée et Marco m’a indignée. Non pas, évidemment, que je trouve indigne, par principe, d’être contre notre présence militaire en Afghanistan même si j’y suis pour ma part favorable. Mais nos camarades, sans doute inconsciemment, ridiculisent la position adverse ou n’en retiennent que les formulations ridicules, pour évacuer le débat de fond tout en se désolant qu’il n’ait pas lieu. Vous avez vos questions, on a nos réponses. Circulez y’a rien à voir, on n’a rien à faire là-bas, on vous raconte qu’on va ramener la démocratie, c’est même pas vrai et en plus, on vous pique vos sous pour ça.

Pardon les copains, mais le débat a lieu. En cherchant bien, vous rencontrerez ici même des gens qui ne sont pas d’accord avec vous et qui pourtant ne sont pas des gogos gavés à la propagande gouvernementale. Nous prenez-vous pour des billes au point d’être incapable de comprendre qu’on ne fait pas la guerre pour instaurer la démocratie ou construire des routes mais pour défendre des intérêts vitaux ? Pensez-vous que nous sommes assez sots pour avaler que nous sommes là-bas pour libérer les femmes ou assez cyniques pour ne pas nous demander si l’enjeu vaut que l’on risque la vie de nos soldats ? Nous croyez-vous assez stupides pour n’avoir pas remarqué que, faute de pouvoir mobiliser les moyens suffisants, la Coalition en est réduite à mettre un œuvre une politique de containment des plus méchants et à essayer d’éviter que les groupes les plus radicaux ne mettent la main sur le nucléaire pakistanais ? On n’a pas de soldats dans les zones frontalières, dites-vous. Certes. D’après vous, quel message enverrait-on, ce faisant, aux braves gens qui tiennent ces zones en coupe réglée en pliant armes et bagages ?

D’accord, on ment au bon peuple. En vrai, comme vous le remarquez fort justement, le bon peuple s’en fout un peu de l’Afghanistan. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans ce domaine, je ne suis pas tellement sûre de vouloir un grand débat démocratique et transparent. Que l’Assemblée nationale vote les crédits nécessaires suffira à calmer mes susceptibilités démocratiques. Certes, Nicolas Sarkozy est revenu sur l’un de ses engagements, c’est mal. Mais quand il est sans cesse accusé d’électoralisme, peut-être peut-on porter à son crédit le courage de prendre une décision impopulaire malgré la proximité des régionales. Je ne connais pas de peuple qui répondrait par un « oui » enthousiaste à la question : « Faut-il mourir pour Kaboul ? », alors que nombre d’électeurs seraient déjà rétifs à l’idée de « payer pour Kaboul ». Et pour tout vous dire, je le déplore. Oui, tout le monde, Américains et Européens en tête, veut vivre dans la grande salle de gym. Et nous aussi. D’ailleurs, notre dernier grand coup de gueule a consisté à refuser de faire une guerre (à juste titre à mon avis).

Alors, oui, sur ce coup-là, je préfère qu’on ne nous demande pas notre avis. On ne fait pas la guerre par référendum. Cinquante millions de sélectionneurs de l’Equipe de France, d’accord, 50 millions de Chefs des Armées, je ne prends pas. Primo parce que je pense que notre présence, si elle ne règle rien, contribue au moins à éviter une catastrophe. Deuxio parce que je souhaite que mon pays continue à jouer un rôle dans le monde. C’est aux Américains de faire le boulot, nous dites-vous. C’est votre droit de penser que la France doit être absente d’une zone d’intérêt stratégique mondial. Admettez que l’on puisse avoir un autre point de vue.

Mais là où vous charriez carrément, chers Aimée et Marc, c’est quand vous faites appel à l’argument qui marche à tous les coups et qui ne vous ressemble guère : celui du porte-monnaie. Vous voilà soudainement bien soucieux de comptabilité publique. Comment ? On a oublié de claironner que l’opération allait bouffer plus de la moitié du budget « opex » de l’Armée ? Quel scandale intolérable ! Les Français doivent savoir. Oui, leur endettement risque de s’alourdir de façon insupportable : vous pensez, 600 millions d’euros ! « Peut-être qu’on n’a pas envie de nous dire certaines choses, qui si ça se trouve, feraient râler dans chaumières », écrivez-vous. Vous avez raison, on nous cache tout, les chiffres du chômage, la non-répercussion de la baisse de la TVA sur la restauration. Eh bien, concernant le dépassement du budget Afghanistan, si ça doit faire râler dans les chaumières, on a raison de le cacher. Parce que comme sujet de râlerie, je trouve ça un peu mesquin.

Vous avez le droit de penser qu’il faut faire autrement, qu’il faut faire plus ou alors qu’il ne faut rien faire du tout. Vous pouvez juger que la menace n’est pas si menaçante ou que notre présence est absolument inutile et vous avez sans doute d’excellents arguments. Mais de grâce, cessez de vous raconter qu’il y a d’un côté de lucides opposants à cette guerre inutile, ceux à qui on ne la fait pas, et de l’autre une armée d’abrutis qui se contentent des bobards que leur concoctent des administrations payées pour enfumer le chaland.

À la réflexion, mes chers amis, j’ai l’impression que vous vous laissez égarer par votre souci de retrouver une grille de lecture politique qui fait souvent merveille sous votre plume mais qui s’avère ici fâcheusement politicienne. Vous voulez redonner une identité à la gauche, c’est louable. Seulement, l’Afghanistan n’est pas le bon front pour mener ce salutaire combat idéologique. Cette guerre n’est pas sarkozyste ou socialiste, c’est une guerre française. Elle mérite un vrai débat. Avant de décider d’envoyer des renforts, les présidents américain et français ont longuement hésité. On peut même les soupçonner d’avoir pesé les risques de l’engagement et ceux du désengagement. Vous pouvez critiquer les réponses, pas évacuer la question par trois pirouettes et une baffe pour chacun – la droite, la gauche et les Français à qui on bourre le mou. Pas ça, pas vous. Pas nous.

South Park, ça troue le cul !

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Matt Stone and Trey Parker, créateurs de la série
Matt Stone and Trey Parker, créateurs de la série
Matt Stone and Trey Parker, créateurs de la série

Dans « South Park », il y a tout ce que j’aime : la satire la plus pointue qui soit des emballements médiatiques, des « grands débats de société » et de la nature humaine en général ; plus une grossièreté heuristique[1. Voir ce mot] qui donne son charme à l’ensemble. Et le tout depuis quatorze saisons, sans que la série donne le moindre signe d’essoufflement.

Le problème, c’est la France ! On ne peut y voir South Park que sur les chaines adophiles genre NRJ 12, Game One, ou MTV – alors que sa place serait sur le service public[2. Même à la place des « Mots de minuit », je suis preneur !]. Encore les épisodes nous y sont-ils présentés avec au moins un an de retard, parfois douze, et dans n’importe quel ordre.

Pas question même pour les fanatiques, dont je m’honore d’être, d’acheter la série en DVD : elle n’est même pas distribuée par chez nous – contrairement à ces satanés « Simpson » dont les rayonnages débordent… Mais quand on a goûté à la cuisine délicieusement pimentée des chefs Matt Stone et Trey Parker, comment ne pas trouver un peu fade la soupe jaune de Matt Groenig ?

C’est aussi ça, l’exception culturelle française ! Elle nous a privés, entre autres, d’un des meilleurs épisodes de la saison passée : la remise de l’Emmy Award 2009 à… « la Crise ».

La petite ville de South Park (Colorado) a ceci de particulier que tous ses habitants sont bêtes et/ou méchants, surtout en groupe –et les adultes encore plus que les enfants. Stone et Parker tirent sur tout ce qui bouge, et chacun en prend pour son grade : les beaufs et les flics, les bobos et les clodos, les Noirs et les juifs, les handicapés et les gays, les écolos et les ONG. Malgré tout, nos deux compères éprouvent visiblement une jouissance toute particulière à ridiculiser l’univers dont ils sont issus : l’intelligentsia contestataire.

À cet égard, l’un de mes épisodes favoris reste « Crève, hippie, crève ! » Le pitch, comme on disait il y a cinq ans : Cartman a découvert le plan secret des gauchistes pour envahir la paisible bourgade et en faire « la capitale mondiale de l’altermondialisme. » Hélas, personne ne veut croire notre héros ! C’est donc seul qu’il va entreprendre de bouter ces intrus hors de la ville, au lance-flammes s’il le faut…

C’est qu’il y a urgence : les envahisseurs veulent organiser à South Park le plus grand festival de musique baba de l’Histoire, « afin de faire plier les multinationales. » – « Mais comment ça ? » interroge naïvement Stan. – « Eh bien, lui répond un barbu à lunettes, il suffit d’imaginer une communauté où tout le monde s’entraiderait et où, par exemple, l’un ferait du pain pour tous, tandis que l’autre s’occuperait de la sécurité pour tous… -« Tu veux dire un boulanger et un flic ? », répond l’enfant.
Ensuite, eh bien, vous savez comment c’est… On commence par tirer sur le fil, et c’est tout le tricot qui vient : l’utopie rousseauiste, la foi en l’Homme et l’idéologie du Progrès – voire l’utilité de la gauche dans le débat politique[3. Comme disait joliment le président Bordaberry (Uruguay), au lendemain du putsch militaire de (date), en réponse à une question de la presse internationale : « Il n’y aura plus d’élections en Uruguay tant que la gauche aura une chance de gagner ! »].

La série aborde aussi la religion, et Dieu sait qu’elle ne fait pas de concessions à l’athéisme cool en vigueur chez les intellos laid-back de tous les continents surdéveloppés.

Pourtant, Stone et Parker sont loin d’être des bigots. Comme vous le racontait ici même l’ami Marc Cohen (10/11/08), ils ont déjà eu maille à partir, entre tant d’autres, avec le lobby évangéliste américain pour blasphèmes, pornographie et autres gros mots.
C’est d’autant plus injuste qu’ils nous présentent un Jésus tout ce qu’il y a de plus sympa ; même qu’il anime à la télé locale un talk-show intitulé « Jesus and pals » – juste un peu trop lisse, croit-on comprendre, pour faire de l’audience. Il n’est pas jusqu’à ses relations avec son Père qui ne soient abordés d’une manière théologiquement correcte.

Surtout, j’ai eu l’occasion de voir (au hasard de MTV, bordel !) un épisode intitulé « Vas-y, Dieu ! » où l’ironie ne visait pas principalement Celui-ci.

Let’s pitch again : Cartman – encore lui –, incapable d’attendre la sortie de la Wii, décide en dernière extrémité de se faire congeler. Las ! Quand il se réveille cinq cent ans plus tard, plus personne ne sait la connecter…
Dès lors, le garnement ne songe plus qu’à retourner dans son époque. Il faut entendre son cri déchirant et furieux : « Je vais crever dans le futur, et sans jamais avoir joué à la Wii ! »

Imagine-t-on destin plus cruel ? Surtout qu’en l’occurrence, le futur ne semble guère rieur. Dieu y a disparu, certes ; mais son culte a été remplacé par celui de la Science – sans que la liberté de penser y ait gagné, semble-t-il.

Au début, le changement ne se remarque qu’à travers certaines expressions populaires : dans un demi-millénaire, apprend-on, les gens diront couramment « Thank Science » ou « Science damn it ! »

Sera-ce mieux pour autant ? Stone et Parker doutent. Déjà, le monde du futur est dominé par les loutres (plus douées que l’homme en sciences). Mais même quand le « Grand Sage des loutres athées » (sic) appelle à la mansuétude vis-à-vis des croyants résiduels, il est massacré séance tenante par ses propres troupes au cri magnifique de « Tuons le Grand Sage ! »
Vous je ne sais pas, mais moi ça me fait irrésistiblement penser à Chesterton : « Quand on cesse de croire en Dieu, ce n’est pas pour ne croire à rien ; c’est pour croire à n’importe quoi. »

Quant aux hooligans auteurs de South Park je les tiens, au pire, pour des agnostiques d’excellente compagnie, d’autant plus que leur scepticisme fait d’eux, en politique, d’excellents anarchistes conservateurs[4. Comme Orwell selon Jean-Claude Michéa, et tous les gens bien selon moi.].

Un dernier exemple pour la route ? Dans « Imaginationland », à la suite d’une manipulation scientifique, l’imagination des honnêtes citoyens américains est « prise en otage par les islamo-terroristes »… Heureusement, les services secrets ne vont pas tarder à intervenir pour y mettre bon ordre ! Après analyse approfondie de la situation, le chef de la CIA conclut gravement : « Je crains que nous n’ayons pas le choix : il faut atomiser notre imagination ! »

Après ça, soit le lecteur n’a rien compris et je me sens bien seul ; soit j’ai intérêt à ne rien ajouter, sous peine de paraître chiant. Et pourtant j’aurais aimé pouvoir dire à quel point, sous couvert de dérision, Stone et Parker nous parlent subtilement d’humanité, de morale, de liberté… Mais ça y est, je suis déjà chiant et c’est à cause de vous, enfoirés de fils de pute !

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Les morts de catégorie A. Et les autres.

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Vous venez de mourir à cause du virus H1N1. Je sais, c’est désagréable. D’autant plus que vous n’avez pas de chance. Comme nous l’indique l’Institut de Veille Sanitaire, vous étiez 111 au 4 décembre. Statistiquement, c’est rageant. Consolez-vous néanmoins, votre décès sera médiatisé et vous aurez ce fameux quart d’heure de célébrité cher à Andy Warhol puisque toutes les télés, toutes les radios et tous les journaux parleront de votre sort funeste. Ce ne sera pas le cas, en revanche, pour les victimes de cancers d’origine professionnelle. Le même INVS situe leur nombre dans une fourchette annuelle allant de 6 000 à 12 500 décès. L’équivalent d’une petite guerre tout de même. La plupart des média, sur cette question, observent pourtant un grand silence pudique. Quant aux accidents du travail, il ne faut pas rêver. La seule chance d’existence médiatique pour un ouvrier du bâtiment qui se fracasse en tombant d’un échafaudage serait que sa chute soit consécutive à un éternuement dû à la grippe A. Sinon, vous pouvez circuler, y a rien à voir.

Afghanistan : toujours plus, toujours rien

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Flickr / U.S. Army
Flickr / U.S. Army
Photographie prise lors d'une opération à Naray, Afghanistan. Flickr / U.S. Army

La question ne sera pas posée. L’annonce par Nicolas Sarkozy d’un énième envoi de troupes françaises en Afghanistan, n’aura suscité ni protestation indignée de la gauche officielle, ni manif musclée de l’extrême gauche, ni même invasion surprise de l’hémicycle par des pacifistes chevelus.
Alors évidemment on fera un débatounnet en douce à l’Assemblée. Mais ne comptez pas sur nos punchers du perchoir pour parler de cette de cette guerre avec la même énergie que quand on cause réchauffement climatique et sauvetage des ours blancs. Non, la question ne sera pas posée, elle ne l’a jamais vraiment été, et elle ne le sera vraisemblablement jamais. Il règne dans ce pays un consensus mou, mais inoxydable sur l’Afghanistan. Les termes du débat sont clairs : ou on est pour, mais très discrètement, ou on est contre, mais on préfère parler d’autre chose.

Pour comparer, souvenons-nous du grand barnum auquel avait donné lieu la même question concernant la deuxième guerre d’Irak, celle que Chirac avait refusé, avec la sortie en grande pompe de Dominique de Villepin à l’ONU, voire la première, celle ou Mitterrand nous avait engagés. Si on comparait ces deux dernières occurrences et l’Afghanistan en termes de volumes sonores, disons qu’on aurait quelque chose comme la sono de Johnny au Stade de France face à une flûte à bec d’élève de sixième. Et encore la flûte à bec est susceptible de vous vriller les oreilles, ne serait-ce qu’un instant. Là, rien, pas même une malheureuse fausse note.

Or des questions propres à provoquer un beau et grand bordel, il y en aurait, et des mignonnes
Allez, on sort la liste de courses, et comme sur celles qu’on griffonne au dos d’une enveloppe EDF, il n’y a pas d’ordre de priorité. On vous les livre donc en vrac.

Primo, comme dirait Jean-Pierre Foucault : Combien ça coûte? On nous parle de 300 millions pour la France pour 2009 (Source commission des finances de l’Assemblée), soit 40% du budget « opex » (opérations extérieures) de l’Armée. En 2008, ce chiffre n’était que de 236 millions. On rappellera que le budget « opex » est toujours notoirement sous-évalué et que c’est en N+1 qu’on règle la facture, qui en général vire bizarrement du simple au double… À ces probables 600 millions, on rajoutera les milliers de fonctionnaires parisiens de la Défense, du Quai, et d’une flopée d’autres administrations qui bossent à plein temps sur la question. On essaiera aussi en vain d’avoir une vague idée des dépenses d’équipements afférentes à cette excursion, et on finira par se rendre compte que personne n’est fichu de nous donner une estimation un tant soit peu sérieuse du coût réel de la guerre française en Afghanistan. Mais peut-être tous nos statisticiens ont-ils été réquisitionnés pour chiffrer les retombées sur l’emploi de la baisse de TVA dans la restauration… Ou alors peut-être qu’on n’a pas envie de nous dire certaines choses, qui si ça se trouve, feraient râler dans chaumières…

Deuxio : À quoi ça sert ? En fouillant dans notre doc, on ne se lasse pas de voir défiler la noria de justifications qui nous ont été servies :
– Eradiquer Al-Qaida (défense de rire, vu que les Benladenistes se sont éradiqués d’eux-mêmes du secteur pour se planquer dans les zones à cheval entre l’Afghanistan et le Pakistan dès le premier coup de canon, zones où pas un seul fantassin ne met jamais les pieds).
– Rétablir la démocratie. On pourra se demander pourquoi il était plus urgent de la rétablir dans ce coin tout pourri plutôt qu’ailleurs, disons en Arabie saoudite ou au Zimbabwe, mais bon, de toute façon, avec les pignolades de Karzaï, finalement certifiées kosher par l’Occident, cette petite perfidie est sans objet.
– On aura la gentillesse de passer sur les prétextes encore plus corniauds servis au bon peuple par le Président : donner à manger aux petits enfants, construire des routes, et bien sûr, aider les femmes à s’émanciper. On n’est pas fichu d’interdire la burqa en France, mais faites-nous confiance, là bas aussi, on va, comme dirait l’autre, l’«éradiquer». On attend avec impatience que Roselyne Bachelot nous explique que nous sommes aussi  là-bas pour enrayer l’épidémie de grippe A.

Tertio : Les options militaires choisies ont-elles été les bonnes ? Comme on aime mieux se répéter que se contredire, on vous renvoie à ce que disait, ici même la dame du binôme, à propos du livre lumineux Mourir pour l’Afghanistan de Jean- Dominique Merchet. «Depuis 2001, la France est présente aux côtés de contingents américains, anglais ou allemands. Une action dans un « cadre multinational », des troupes noyées dans un mille-feuille de commandements multiples. Autant dire que la France n’a pas de stratégie. « Nous luttons contre le terrorisme en Afghanistan, mais nous nous arrêtons à la frontière », rigole Jean-Dominique Merchet. Résultat, non seulement Mollah Omar peut continuer à fuir à mobylette et Ben Laden à menacer la terre entière dans des vidéos collectors, mais en plus la Coalition offre sur un plateau des cibles de choix aux terroristes en la personne de ses vaillants soldats professionnels». C’était limpide il y a un an, ça l’est encore plus aujourd’hui : manifestement tout le monde s’accorde à dire qu’il faudrait au minimum dix fois plus d’hommes pour espérer commencer à remettre d’équerre la situation sur place. Entre les militaires et les politiques ça tangue (McChrystal vs Obama, la contre-offensive, l’afghanisation du conflit, and so on) mais bon, personne n’a plus vraiment envie de déployer des troufions au sol avec les risques que ça représente. Pourquoi envoyer et renvoyer des troupes alors que chacun sait que les missions efficaces (c’est à dire pour dézinguer de l’al-Quaïdiste planqué dans une grotte) sont réalisées par les services secrets à coup de drones, sans doute en débordant sur la frontière pakistanaise…

Quatro : La formule même de la « coalition » a-t-elle un sens ? Soit chacun joue sa partie, ce qui est souvent le cas, soit on décide qu’on fait la guerre des Américains, que c’est une des clauses cachées du retour dans le commandement intégré de l’OTAN, mais alors, il faut le dire carrément aux Français, on fait la guerre parce que les Américains nous l’ont demandé, et qu’il faut savoir rendre service aux amis.

Voilà pour les questions. Hasardons quelques réponses. Quand Barack Obama explique qu’il faut finir le job, il parfaitement raison. Faut qu’il gagne sa guerre et les élections qui suivent, bref il faut qu’il finisse le sien. Le notre de job, c’est de rentrer nos boys, et vite fait. « La France n’a aucune vocation à rester là-bas à long terme », comme le disait entre les deux tours de la présidentielle Nicolas Sarkozy. Le même qui le 15 octobre dernier déclarait au Figaro « la France n’enverra pas un soldat de plus ». Ce qui n’est qu’un demi-mensonge, puisqu’il na pas envoyé un unique soldat supplémentaire en plus, mais 1500. Mais une fois de plus, le chef de l’Etat aurait tort de se priver, y’a personne en face. Peut-être, mais alors peut-être, ne souhaite-t-on pas se voir rappeler, au PS, que Lionel Jospin, alors premier ministre, a été co-sponsor de ce raid Paris-Kaboul.

On sait bien que le mot même de votation populaire a acquis une connotation un peu péjorative chez nous ces jours-ci. Mais nous serions curieux de connaître le résultat d’un référendum sur l’urgente nécessité qu’il y a de faire la guerre en Afghanistan. On n’a pas l’habitude d’être en phase avec les masses populaires, ça nous changerait… C’est bien joli d’expulser de France deux Afghans par-ci et trois par là, mais il serait bougrement plus urgent d’expulser tous nos soldats d’Afghanistan

Quand Plenel se débat pour ne pas débattre

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Qu’Edwy Plenel soit hostile au débat sur l’identité nationale, c’est son droit le plus absolu. Qu’il lance sur Médiapart un appel en sens, cosigné par notamment par Dominique de Villepin, Olivier Besancenot et Martine Aubry, c’est donc parfaitement légitime. Qu’il intitule ledit appel « Nous ne débattrons pas » est déjà plus osé, puisque justement la question même de l’opportunité de ce débat fait débat. Mais bon, on connaît Edwy… Cela dit, nul ne pourra lui reprocher de refuser systématiquement la confrontation, puisqu’invité jeudi dernier par Michel Grossiord sur la chaine Public Sénat à en débattre avec Elisabeth Lévy, il a certes accepté de débattre, mais seulement avec lui-même. Le débat commence à 17 min 40 sec.

Après la Suisse, Dubaï sur la mauvaise pente

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Nous vous annoncions ici-même que la votation suisse ne resterait pas sans réponse dans le monde arabo-musulman. Aussitôt dit, aussitôt fait. Qui croira au hasard ou à la banale coïncidence temporelle entre les choix identitaro-architecturaux des Helvètes et l’autre événement fort de la semaine, à savoir la crise économique généralisée à Dubaï, qui, nous dit-on, va bloquer la plupart des constructions en cours. En tout cas, cette concomitance débouche sur un résultat d’une réciprocité limpide. En Suisse, plus de minarets et, à Dubaï, fini les pistes de ski !