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Afghanistan : on parle ou on se perd


Afghanistan : on parle ou on se perd
Flickr / U.S. Army
Flickr / U.S. Army

Autant le dire sans finasser. L’article de mes amis Aimée et Marco m’a indignée. Non pas, évidemment, que je trouve indigne, par principe, d’être contre notre présence militaire en Afghanistan même si j’y suis pour ma part favorable. Mais nos camarades, sans doute inconsciemment, ridiculisent la position adverse ou n’en retiennent que les formulations ridicules, pour évacuer le débat de fond tout en se désolant qu’il n’ait pas lieu. Vous avez vos questions, on a nos réponses. Circulez y’a rien à voir, on n’a rien à faire là-bas, on vous raconte qu’on va ramener la démocratie, c’est même pas vrai et en plus, on vous pique vos sous pour ça.

Pardon les copains, mais le débat a lieu. En cherchant bien, vous rencontrerez ici même des gens qui ne sont pas d’accord avec vous et qui pourtant ne sont pas des gogos gavés à la propagande gouvernementale. Nous prenez-vous pour des billes au point d’être incapable de comprendre qu’on ne fait pas la guerre pour instaurer la démocratie ou construire des routes mais pour défendre des intérêts vitaux ? Pensez-vous que nous sommes assez sots pour avaler que nous sommes là-bas pour libérer les femmes ou assez cyniques pour ne pas nous demander si l’enjeu vaut que l’on risque la vie de nos soldats ? Nous croyez-vous assez stupides pour n’avoir pas remarqué que, faute de pouvoir mobiliser les moyens suffisants, la Coalition en est réduite à mettre un œuvre une politique de containment des plus méchants et à essayer d’éviter que les groupes les plus radicaux ne mettent la main sur le nucléaire pakistanais ? On n’a pas de soldats dans les zones frontalières, dites-vous. Certes. D’après vous, quel message enverrait-on, ce faisant, aux braves gens qui tiennent ces zones en coupe réglée en pliant armes et bagages ?

D’accord, on ment au bon peuple. En vrai, comme vous le remarquez fort justement, le bon peuple s’en fout un peu de l’Afghanistan. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans ce domaine, je ne suis pas tellement sûre de vouloir un grand débat démocratique et transparent. Que l’Assemblée nationale vote les crédits nécessaires suffira à calmer mes susceptibilités démocratiques. Certes, Nicolas Sarkozy est revenu sur l’un de ses engagements, c’est mal. Mais quand il est sans cesse accusé d’électoralisme, peut-être peut-on porter à son crédit le courage de prendre une décision impopulaire malgré la proximité des régionales. Je ne connais pas de peuple qui répondrait par un « oui » enthousiaste à la question : « Faut-il mourir pour Kaboul ? », alors que nombre d’électeurs seraient déjà rétifs à l’idée de « payer pour Kaboul ». Et pour tout vous dire, je le déplore. Oui, tout le monde, Américains et Européens en tête, veut vivre dans la grande salle de gym. Et nous aussi. D’ailleurs, notre dernier grand coup de gueule a consisté à refuser de faire une guerre (à juste titre à mon avis).

Alors, oui, sur ce coup-là, je préfère qu’on ne nous demande pas notre avis. On ne fait pas la guerre par référendum. Cinquante millions de sélectionneurs de l’Equipe de France, d’accord, 50 millions de Chefs des Armées, je ne prends pas. Primo parce que je pense que notre présence, si elle ne règle rien, contribue au moins à éviter une catastrophe. Deuxio parce que je souhaite que mon pays continue à jouer un rôle dans le monde. C’est aux Américains de faire le boulot, nous dites-vous. C’est votre droit de penser que la France doit être absente d’une zone d’intérêt stratégique mondial. Admettez que l’on puisse avoir un autre point de vue.

Mais là où vous charriez carrément, chers Aimée et Marc, c’est quand vous faites appel à l’argument qui marche à tous les coups et qui ne vous ressemble guère : celui du porte-monnaie. Vous voilà soudainement bien soucieux de comptabilité publique. Comment ? On a oublié de claironner que l’opération allait bouffer plus de la moitié du budget « opex » de l’Armée ? Quel scandale intolérable ! Les Français doivent savoir. Oui, leur endettement risque de s’alourdir de façon insupportable : vous pensez, 600 millions d’euros ! « Peut-être qu’on n’a pas envie de nous dire certaines choses, qui si ça se trouve, feraient râler dans chaumières », écrivez-vous. Vous avez raison, on nous cache tout, les chiffres du chômage, la non-répercussion de la baisse de la TVA sur la restauration. Eh bien, concernant le dépassement du budget Afghanistan, si ça doit faire râler dans les chaumières, on a raison de le cacher. Parce que comme sujet de râlerie, je trouve ça un peu mesquin.

Vous avez le droit de penser qu’il faut faire autrement, qu’il faut faire plus ou alors qu’il ne faut rien faire du tout. Vous pouvez juger que la menace n’est pas si menaçante ou que notre présence est absolument inutile et vous avez sans doute d’excellents arguments. Mais de grâce, cessez de vous raconter qu’il y a d’un côté de lucides opposants à cette guerre inutile, ceux à qui on ne la fait pas, et de l’autre une armée d’abrutis qui se contentent des bobards que leur concoctent des administrations payées pour enfumer le chaland.

À la réflexion, mes chers amis, j’ai l’impression que vous vous laissez égarer par votre souci de retrouver une grille de lecture politique qui fait souvent merveille sous votre plume mais qui s’avère ici fâcheusement politicienne. Vous voulez redonner une identité à la gauche, c’est louable. Seulement, l’Afghanistan n’est pas le bon front pour mener ce salutaire combat idéologique. Cette guerre n’est pas sarkozyste ou socialiste, c’est une guerre française. Elle mérite un vrai débat. Avant de décider d’envoyer des renforts, les présidents américain et français ont longuement hésité. On peut même les soupçonner d’avoir pesé les risques de l’engagement et ceux du désengagement. Vous pouvez critiquer les réponses, pas évacuer la question par trois pirouettes et une baffe pour chacun – la droite, la gauche et les Français à qui on bourre le mou. Pas ça, pas vous. Pas nous.

Janvier 2010 · N° 19

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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