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Religions, les chiffres font-ils foi ?


Religions, les chiffres font-ils foi ?
Babel Blocks / Boym Design Studio, USA
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Ainsi l’islam serait la deuxième religion de France. Si on ne l’a pas répété cent fois, et même plus, à l’occasion de la votation suisse anti-minarets, je veux bien entrer dans le clergé de la secte qui m’offrira les meilleures conditions de salaire et de retraite, en ce bas monde et dans l’au-delà. À force de répéter cette antienne, on finit par penser que le poids de l’islam dans la société française devient un élément déterminant de l’évolution sociologique et spirituelle de notre vieille nation. Cette assertion produit le ravissement des multi-culturalistes de tout poil, particulièrement de ceux qui cultivent le masochisme d’appartenance à une nation et à une culture insuffisamment métissée à leurs yeux. Elle provoque également une paranoïa galopante allant jusqu’au fantasme de dévoration par la foule proliférante des mahométans exprimée par le maire de Gussainville (Meuse), un pauvre type aujourd’hui couvert de crachats. Tout cela parce que mesdames et messieurs les commentateurs de l’acting out helvète veulent persuader leurs contemporains que la présence islamique en Europe est un fait irréversible, ce qui est exact, mais également susceptible de modifier profondément les comportements individuels et collectifs, ce qui l’est moins.

Non, non et trois fois non, l’islam n’est pas la deuxième religion de France. La deuxième religion de France, en nombre de personnes qui déclarent en faire partie dans des sondages effectués régulièrement sur cette question, c’est celle des sans-religion. Des athées, agnostiques, mécréants, dont le nombre est en progression constante, au contraire de ceux se réclamant de la première religion, la catholique, apostolique et romaine. Des chiffres ? En voilà et aseptisés à l’eau bénite, puisque qu’ils sont issus d’un sondage au long cours patronné par l’estimable (et là je ne me moque pas) quotidien La Croix. Voilà ce que cela donne en données comparées entre 1994 et 2007[1. Entre parenthèses les chiffres de 1994.]
Catholiques : 51% (67%). Protestants : 3% (3%). Juifs : 1% (1%). Musulmans : 4% (2%). Sans religion : 31% (23%).

C’est clair et net : il faut faire l’impasse sur les non-religieux pour placer les musulmans sur la deuxième marche d’un podium dont on ne voit pas bien quelle performance il viendrait couronner. Il apparaît, certes, que l’islam enregistre la plus forte progression entre les deux sondages : les nouveaux immigrants, et la forte natalité dans ce secteur de la population pourraient en fournir l’explication.

Le fond culturel français se compose donc très majoritairement de catholiques non pratiquants (8% d’entre eux déclarent aller régulièrement à la messe) et de non-croyants tolérants, puisque les bouffe-curés rabiques constituent une survivance folklorique de l’époque glorieuse mais révolue de la lutte pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Les non-croyants ne revendiquant rien d’autre que le droit imprescriptible à être oubliés des commentateurs patentés, ils se sont fait souffler médiatiquement une deuxième place dont ils n’ont évidemment rien à cirer.

Au bout de furieuses empoignades entre cléricaux et laïcs, nous avons hérité d’un modus vivendi relatif à la visibilité religieuse dans l’espace public : elle est admise, et même glorifiée lorsqu’il s’agit de l’architecture, de l’art et de la musique liée à l’une ou l’autre des religions pratiquée dans notre pays. Mais on n’admet pas qu’elle se manifeste dans l’apparence individuelle, vestimentaire ou corporelle. À l’exception, bien entendu, du clergé, dont les signes distinctifs, longtemps très apparents, ont eu une nette tendance à disparaître, au point qu’il est aujourd’hui très difficile de reconnaître un curé dans la foule.

C’est pourquoi cette affaire de minarets est pain bénit, si l’on ose dire, pour les plus extrémistes des islamistes, qui peuvent ainsi hurler à la discrimination et à la stigmatisation. Puisque les cathédrales, temples protestants et synagogues ont pignon sur rue dans un style architectural qui correspond à une conception, modeste ou ostentatoire, du lieu où l’on doit se rassembler pour prier, pourquoi priver les musulmans de leurs édifices religieux  traditionnels ?

L’amalgame entre le débat sur le port du voile islamique à l’école, ou celui de la burqa ou niqab dans l’espace public et celui de l’érection de minarets accolés aux mosquées dans nos villes est facteur de confusion. Il n’y a aucune raison de refuser à une religion de se doter d’immeubles correspondant à sa tradition (pour autant que le minaret ne serve pas de réveil-matin à tout le quartier), et ce faisant d’enrichir le patrimoine architectural de la France.

En revanche, considérer chaque individu, et singulièrement la femme, comme affichage ambulant d’une religion que l’on doit porter en bandoulière partout où l’on se déplace est une provocation dans un espace culturel qui a mis un certain temps, et beaucoup d’efforts, à libérer l’individu des emprises cléricales. La visibilité religieuse des individus non-membres du clergé n’est pas le seul apanage des musulmans. Les ultra-orthodoxes juifs relèvent aussi des « croyants visibles ». Pourtant, ils ne suscitent pas les mêmes polémiques que celles engendrées par le port du voile ou de la burqa. On dira que c’est injuste, que les juifs sont encore favorisés et autres balivernes habituelles. Reste que les Loubavitchs n’ont jamais demandé à la République d’admettre leurs enfants à païess à l’école publique avec des repas casher, ne se lamentent jamais de discrimination dans le logement ou à l’embauche, bref, savent se faire opportunément oublier pour continuer à transgresser l’ordre vestimentaire laïc.

Enfin, le monde est vaste, et il existe des lieux où chacun peut vivre sa foi dans sa plénitude, pour autant qu’elle soit assez forte pour vous faire oublier qu’il n’est pas tout à fait sans agréments, matériels ou démocratiques, de vivre dans une société pourvue d’un dieu discret.



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