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Johnny, grand corps malade

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johnny

Une invasion herpétique de Line Renaud, un eczéma purulent de Serge Lama ou une poussée hémorroïdaire de Pierre Arditi seraient-elles à la « une » des journaux ? Sans doute pas, à part peut-être celle du Quotidien du médecin.

La hernie discale de Johnny Hallyday, traitée par la médecine, est également retraitée par tous les médias, jusqu’à en avoir plein le dos.

Le pauvre Johnny, réfugié médical en Californie après avoir été réfugié fiscal en Suisse, est le siège, si l’on peut dire, d’un troupeau de professionnels de la profession de tous poils qui n’en veulent qu’à une info : Johnny est-il très mourant ou un peu beaucoup ?

Les chaînes de télévision s’organisent : des correspondants locaux à l’existence insoupçonnée jusqu’ici apparaissent en direct. Des spécialistes de tout crin donnent leur interprétation extensive des ennuis de santé du chanteur, un peu comme les généraux à la retraite exhibés sur les plateaux du 20h lors des guerres du Golfe détaillaient ceux des fantassins irakiens.

Les rédactions se préparent au pire, c’est à dire qu’elles l’espèrent au mieux. Comme le croquemort dans Lucky Luke, elles prennent déjà les mesures du malade, tissant avec exaltation la « une » qui fera office de linceul médiatique du chanteur au cas où.

Les éditorialistes s’envolent vers les hautes cimes. Certains frisent le nervous breakdown. Denis Jaumin, dans La Nouvelle République, s’illustre, sans que l’on sache s’il s’agit ou non d’une plaisanterie : « On ne conchie pas le drapeau publiquement, pas plus qu’on ne siffle la Marseillaise. On se découvre devant les dames, on se signe dans les églises et – conjointement – on se déchausse dans les mosquées, les bons vins se servent dans un verre à pied, la truite se pêche à la mouche, les camemberts sont meilleurs moulés à la louche etc. La liste de ces recommandations est inépuisable. Il faut en ajouter une autre désormais : on ne traite pas de la santé de Johnny Hallyday à la légère. » Et de celle des pratiquants catholiques et musulmans non plus, d’ailleurs : qu’ils n’essaient pas de se signer et d’enlever leurs chaussures « conjointement », c’est assez casse-gueule.

Tout le monde y va de son explication, ou plutôt de son avis. Dans la grande tradition du procès stalino-médiatique franchouillard. Le chirurgien français de Johnny se voit accusé de tous les maux par l’entourage du chanteur, et même par son Conseil de l’Ordre : ça fait désordre. Son nom : Delajoux, de quoi mériter une bonne claque médiatique. Le producteur de Johnny, Jean-Claude Camus (pas celui du Panthéon, l’autre) parle de « massacre » à propos de l’opération perpétrée par la main de Delajoux. Et de livrer des détails alléchants : « il semblerait que Johnny soit parti sans drain » ! Et j’entends siffler le drain ? Ha non, ça, c’était Richard Anthony.

Chacun se sent concerné. Le présentateur Nikos Aliagas se rend à Los Angeles avec les enfants de Johnny. Louable intention pour une attention maximale. Un chirurgien de la Pitié-Salpêtrière volera dès lundi vers la Cité des anges, à la « demande indirecte de la famille ». Pour faire le point, au cas où les médecins californiens seraient des incapables, on n’est jamais trop prudent : « Faut-il annuler, faut-il ne pas annuler [les concerts prévus]. C’est secondaire par rapport à sa santé, mais c’est important aussi pour pas mal de personnes ». Tout est dit.

C’est donc, avant les soldes, la foire au Johnny ! Cet homme qui se veut « simple », et dont la dignité et la discrétion face à la maladie sont respectables, ne s’appartient plus. Le King du rock hexagonal (et wallon) est devenu la propriété de tous. A l’époque de l’hypermédiatisme aigu, le corps souffrant de Johnny est comme celui du roi sous l’Ancien régime : on l’exhibe. Un jour, peut-être, il sera du pain. Le corps transcendé et réceptacle de l’identité nationale, partagé par tous.

Tout cela en moins d’une semaine. Et heureusement ce n’est que le début de la fin de Johnny…

Viré par le virus

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La mise en place du plan de la lutte contre la grippe A devait être exemplaire, à tous les sens du terme. La guerre totale, et au bout, la victoire. Il se trouve qu’entre les chapiteaux de cirque et les gymnases, cela ressemble plutôt à la débacle de mai 40 avec Pinder dans le rôle de Weygand. Il fallait bien un responsable. La sanction est tombée : Philippe Coste, directeur de la DDASS de Paris, a été proprement débarqué par Roselyne Bachelot. « On est adapté ou pas à un poste » a commenté sèchement la ministre vaccinée. On espère qu’elle s’est fendue aussitôt d’un SMS à Frédéric Lefebvre et Christian Estrosi pour leur expliquer que ce constat-guillotine ne les visait pas personnellement…

Syndrome de Copenhague

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Copenhague : faut-il tirer la sirène d'alarme ?
Copenhague : faut-il tirer la sirène d'alarme ?

Chers amis téléspectateurs, je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais depuis une semaine, à chaque fois que je tombe sur un reportage en direct depuis le sommet de Copenhague, j’ai une furieuse impression d’être dingue. Je retombe toujours sur le même film, un peu comme Henri Salvador dans le scopitone de Zorro est arrivé. Mon syndrome de Copenhague à moi, c’est que je suis pris en otage par l’écolomania médiatique, mais qu’en fait d’empathie, j’ai envie d’égorger mes kidnappeurs à l’Opinel émoussé.

De Tf1 à Arte, de France Soir à Télérama, c’est la même chanson avec la sécheresse qui va lyophiliser l’Afrique, les ours blancs du pôle Nord qui vont se retrouver SDF, les forêts amazoniennes transformées en parking et les Iles Tuvalu qui vont être rayées de la carte – où personne ne serait d’ailleurs fichu de les situer.

Comme si cela ne suffisait pas, on aura aussi à endurer les jeux de mots calamiteux qui enjolivent cette monophonie : « Ça chauffe ! », « Dossier brûlant », « Climat de tension » et autres « Au chevet de la planète pour faire baisser sa température ». Pour filer nous aussi la métaphore thermométrique (remixée par Roland Barthes, quand même), on dira que ce degré zéro de l’écriture est si absolu qu’on croirait ces titres issus du cerveau d’un rédacteur du Canard privé de whisky depuis au moins deux heures.

Bien sûr, tout le monde ici aura compris, et sans mon aide, qu’avec Copenhague on aura surtout atteint des sommets d’ineptie. À titre personnel, ma préférence va à une chroniqueuse de RMC dont je n’ai hélas pas retenu le nom, et qui faisait la leçon à ses auditrices en leur expliquant comment préparer un réveillon copenhaguo-compatible : des pommes, mais pas d’ananas qui viennent par avion, du chapon mais surtout pas de bœuf qui fait des pets au méthane. Je n’ai pas pu supporter la démonstration jusqu’à la fin, mais j’imagine qu’il faut aussi boycotter le champagne à cause des petites bulles pleines de gaz carbonique, et n’allez pas vous rabattre sur le Perrier : même motif, même punition.

Devant tant d’unanimisme gluant, le causeurophile lambda a pigé tout seul qu’il y avait un loup quelque part et que cette fois, les écolos avaient réussi à l’introduire bien au delà du massif du Mercantour. On ne va donc pas vous faire perdre votre temps à vous expliquer que tous ces bons sentiments sentent à peu près aussi bon qu’une émission anale de méthane par un bovidé australien.

Et c’est bien là le problème. Parce ce flot d’âneries nous amène à penser spontanément que les experts qui parlent de danger climatique sont aussi crédibles que les scientifiques d’il y un siècle qui postulaient mordicus que la masturbation rendait sourd. Alors que si ça se trouve, le danger climatique existe pour de vrai. Gardons-nous de nous laisser induire en erreur par ce climat de terreur.

Personnellement par réaction spontanée au hulotisme ambiant, j’ai été longtemps ce qu’on appelle un « climato-sceptique », appellation non contrôlée que se partagent les vrais sceptiques, et aussi ceux qui pensent que tout cela, c’est des foutaises, qu’aucun argument scientifique ne corrobore les retombées nocives des activités humaines sur le climat et que l’effet de serre n’est qu’un effet de manche.

Climato-sceptique, je ne le suis plus vraiment. Le sujet me passionne depuis longtemps, alors, je lis, je me renseigne, je discute, et j’ai même fini par changer d’avis. Je pense qu’il y a un problème, mais qu’il est redoutablement mal posé. N’étant pas plagiaire, ma peur d’être pris la main dans le sac l’emportant sur ma paresse, je vous renverrais au blog Sciences2 de mon ami Sylvestre Huet de Libération qui ne cesse de démonter, à contre-courant de ce qui s’écrit partout, y compris dans les éditos de son propre quotidien, les caquetages alarmistes du moment, tout en en cognant régulièrement sur Claude Allègre et le camp noproblémiste, qui en vérité, est aussi peu sceptique, en vérité, que les hystéros façon Greenpeace.

J’en suis donc arrivé à la conclusion que le problème du réchauffement climatique est à la fois moins grave et plus grave qu’on nous le dit. Je m’explique.

D’un côté, le danger est réel. Seulement, les décisions à prendre ne se posent pas en termes d’années, mais de siècles. Aucune catastrophe climatique sérieuse n’est en vue pour cet hiver, ni même pour 2012, voire pour 2050. Comme tout ce qui concerne les choses de la Terre, on baigne ontologiquement dans le long terme ou disons le moyen-long (trois siècles, c’est que dalle à l’échelle du temps planétaire). On se dit qu’il vaudrait mieux commencer à bouger aujourd’hui, mais on pourra encore agir demain, ou après-demain. Que tout ce qui va dans le mauvais sens est réversible. Qu’on aurait radicalement tort de prendre, pour amuser l’opinion, des mesures trop violentes qu’on ne mettra jamais en œuvre, à l’image de la nana qui se lance mi-juin dans le régime 100 % thé vert et œufs durs, lequel se clôt rapidement et logiquement en overdose de macarons chez Ladurée. Et qu’à part ça, il y a des tas de coins sur terre, dits émergents, où les gens ont envie de polluer avec des usines, des gros steaks et des bagnoles, comme nous le faisons nous-même depuis quelques décennies. Je ne vois vraiment pas au nom de quelle morale nous serions autorisés à les en dispenser. Tout ça se passera dans le long. Pas de panique, donc.

Mais manque de bol, c’est peut-être justement là qu’il faut paniquer, et pour de vrai. Parce que pour être réglée, cette question climatique réclame du débat d’idées, de la concertation mondiale, et surtout implique une vision et une action à long terme. Et c’est là que le bât blesse. En matière de vrai débat, ces dernières décennies, le niveau baisse bien plus vite que celui des océans ne s’élève. Quant au caractère séculaire des décisions à prendre, c’est encore pire : en politique, à Washington comme à Paris, à Moscou et bientôt à Pékin, le long terme, c’est la prochaine élection, et le très long terme, la suivante. Et alors là, les amis, on est vraiment mal pris. Il faut s’y faire : la complexité est peut-être de cette terre, pas de ce monde.

Fallait-il faire tant d’Histoire ?

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lycee

Plus d’histoire pour les Terminales S, donc. Avançons quelques hypothèses sur cette affaire qui fait grand bruit – et c’est heureux.

On pourrait d’abord invoquer la haine du sens : après tout, dans la scène primitive du Fouquet’s, au sens freudien du terme, celle où l’on a vu coucher symboliquement ensemble la clique au pouvoir, il y avait des chanteurs de variété, des financiers, des people plus ou moins faisandés, des acteurs de comédie, des intellectuels à gages. Mais vous pouviez chercher en vain les artistes, les poètes, les écrivains, les philosophes. Laurent de Médicis ou les Borgia, quand ils arrivaient au pouvoir, avaient eux aussi le sens des affaires et de la famille. Même papes, ils se mariaient. Mais enfin, leur pouvoir a servi à remplir pour les siècles des siècles le Bargello ou les Offices et on peut bien leur pardonner une certaine violence mafieuse et des inélégances de condottieri. Ne pas oublier, non plus, le bolossage en règle et à trois reprises de la Princesse de Clèves, qui n’a pas à sa disposition un numéro de téléphone contre les violences physiques et/ou psychologiques. Cela a été un symbole tellement énorme que Madame de Lafayette, le temps d’une saison, est redevenue un genre de Marguerite Duras (tout le monde en parle, mais personne ne la lit) et aurait pu prétendre à un grand prix littéraire posthume. L’anti-intellectualisme, feint ou réel, peu importe puisque nous sommes dans le domaine spéculaire de l’action politique, est une marque de fabrique, au moins depuis Poujade, de la droite décomplexée comme d’ailleurs d’une certaine extrême gauche à front de taureau. Mais on pourrait parler aussi, pour alourdir le dossier, évoquer la disparition programmée de la direction du Livre au ministère de la Culture.

On pourrait, ensuite, aussi invoquer la haine de classe, une haine double, assez étrange dans le cas qui nous intéresse. Celle d’un hyper-président à un poste où, quand même, depuis de Gaulle, on discute plus facilement de Salluste et de Chardonne que de garde alternée à Dubaï ou de ce qui fait qu’à 50 ans on a réussi sa vie. La manie de la rupture sarkozyste, elle est là aussi. Il les trouve tellement précieux et prétentieux, ses prédécesseurs, avec leur goût pour les églises romanes, les arts premiers et la poésie française… Et puis, l’un n’empêchant pas l’autre, une méfiance viscérale de ce peuple qui malgré cent-cinquante chaines de télé bourrées jusqu’à la gueule de séries prônant le modèle étatsunien ou de jeux abjects visant à toujours plus d’humiliation et fondés sur l’accoutumance au licenciement, il y en a encore et toujours quelques uns pour aimer lire, visiter des musée ou aimer apprendre ce que d’ultimes dinosaures dans des Jurassic Park scolaires s’entêtent à transmettre de la philosophie, de l’économie, de l’histoire, du latin et du grec. L’économie enseignée dans les lycées, contrairement à celle assénée par les éditorialistes libéraux, est un peu plus compliquée que les slogans du genre « Enrichissez-vous » et « nationalisons les pertes pour mieux privatiser les profits ». Il n’y a donc rien de surprenant à ce que cette discipline ait été ces dernières années la cible préférée de ceux qui trouvent que l’entreprise de normalisation mentale ne va pas assez vite : on a donc parlé de supprimer l’économie à l’école et surtout les professeurs d’économie dont le Medef a prétendu qu’ils étaient tous des agents dormants du KGB apprenant les rudiments du socialisme scientifique à d’innocentes Terminales. Ne parlons pas de la philosophie, régulièrement remise en cause comme une exception française décidément ridicule : à quoi ça sert, tout de même que toute une classe d’âge ait entendu parler de la liberté, de la passion, de la mort, surtout quand une partie d’entre elle passe pour le cours suivant dans un atelier de carrosserie. Cela leur met de sales idées dans la tête et cela en ferait comme un rien des syndicalistes ou des mauvais coucheurs qui pourraient argumenter contre cette idolâtrie de la valeur travail.

On pourrait, pour finir, voir dans ce projet de suppression de l’histoire en Terminale S l’achèvement d’un processus orwellien qui est celui de toutes les sociétés capitalistes et postmodernes. Le rêve secret, inconscient, de tout gouvernement d’une économie spectaculaire marchande est de faire transformer le citoyen en consommateur à force de propagande ayant pour nom « publicité » ou de manipulation mentale qu’on appellera « marketing » pour nous faire sortir de l’histoire, justement et pour nous faire vivre dans ce que Debord appelait joliment « le présent perpétuel ». Il est évident que l’enseignement de l’histoire pour de futurs ingénieurs sans doute appelés à calibrer un peu plus nos existences, nos corps et nos désirs, est inutile voire contre-performant. Il ne faudrait pas qu’ils s’intéressent à la politique et observent de vilaines analogies entre notre monde technicisé et des sociétés du passé qui ont eu elles aussi de vilaines pulsions eugénistes ou prométhéennes.

On pourrait, on pourrait, on pourrait… Hélas, la réalité est beaucoup plus simple et médiocre, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit moins dangereuse. Ce n’est pas Luc Chatel qui dirige la manœuvre, ce n’est sans doute même pas Sarkozy qui doit tout de même, enfin je pense, avoir encore quelques inhibitions tant qu’Henri Guaino, comme un remords vivant de la République, médite dans le bureau d’à côté. Non, le maître du pays, c’est Eric Woerth, ministre du budget. Au Saint-Nom de la Réduction du Déficit, le principe du non-remplacement des fonctionnaires partant à la retraite est observé avec une rigueur trappiste. Sur la période 2007-2010, on aura supprimé 50.000 postes d’enseignants. Comme, il n’y a pas de petites économies, la « suppression optionnelle » de l’enseignement de l’histoire dans les Terminales S permettra de mettre de côté trois francs six sous. Il n’y a pas de petits profits pour les bons gestionnaires.

Bref, on n’est même pas dans l’ordre du complot, ce qui d’une certaine manière serait rassurant. Non, nous avons juste affaire à des gens qui confondent le vieux pays avec un petit commerce et qui ne rêvent plus de grands desseins mais de bilans comptables équilibrés.

Michelet disait de la France qu’elle était une nation d’historiens. Elle finira comme un pays d’épiciers ignares et de Monsieur Prudhomme assistés par les ordinateurs de l’amnésie heureuse.

Défense des hommes infidèles

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Jean-Honoré Fragonard, Le verrou
Jean-Honoré Fragonard, Le verrou

Ce matin, pour ma gym, j’ai eu le droit à « femmes entre elles ». C’était sur France Inter, une discussion entre Sylvie Brunel, future ex-épouse Besson, auteur d’un Manuel de guérilla à l’usage des femmes, et Pascale Clarke, dont la tessiture fait merveille dans le genre intimiste confie-toi-moi-aussi-j’ai souffert. Le genre nous les femmes.

Je m’empresse de préciser que je n’ai pas lu le livre de Sylvie Brunel et que je ne suis pas sûre de le faire. Je me sens toujours gênée d’être invitée dans l’intimité de personnages réels – dont l’un, de plus, n’a rien demandé et la littérature m’apprend plus que n’importe laquelle de ces confessions qu’affectionnent pas mal de mes confrères. Exhiber la midinette qui sommeille en chacune de nous serait le signe qu’on est une femme libre. Pour ma part, si j’ai besoin de tuyaux, j’irai les chercher chez Stendhal et quelques autres, pas dans un « manuel ». Pourquoi pas des cours de rupture amoureuse ou des formations au divorce (je me demande, avec effroi, si ça n’existe pas) ? Cela dit, la Brunel ne manque pas de panache. On peut ne pas aimer l’arme qu’elle a choisie. Au moins ne se laisse-t-elle pas achever sans combattre. De plus, tout au long de l’émission, elle a résisté de façon plutôt réjouissante à Pascale Clarke, qui voulait absolument lui faire dire que tous les hommes sont des salauds et qu’en prime le sien est un traitre.

Allez savoir pourquoi, j’ai éprouvé le besoin de me désolidariser de cette grande confrérie que l’on m’invitait à rejoindre. Merci les filles, « nous », en ce domaine, très peu pour moi. L’histoire de la femme bafouée, vous en parlez comme si c’était le lot éternel du beau sexe, mais je ne me vois pas dans le rôle – et pour tout dire, mes copines non plus. Je refuse d’être enrôlée dans votre armée des victimes des hommes. À la guérilla proposée, on peut préférer la tendre guerre, le jeu sérieux, amusant et cruel du désir qui vagabonde, disparaît et renaît, et que nulle époque n’a jamais réussi à enfermer dans les liens du mariage ou de la convention, ni dans les exigences de la morale. Tous les coups ne sont pas permis. Mais c’est une guerre. On n’est pas chez les bisounours. Il y a souvent du sang sur les murs, parfois au sens propre.

Ceux et celles qui rêvent, comme l’excellente Caroline Fourest d’un monde sans hommes ni femmes « où l’on admettra que le genre peut être indéterminé ou choisi, et non dicté par le sexe biologique », feraient mieux de cesser là leur lecture. « Il faut espérer, écrit-elle encore, que la différence des sexes, si communément admise, sera un jour relativisée. » On aimerait savoir pourquoi il faut espérer. Pour ma part, je trouve cette perspective parfaitement terrifiante.

Peut-être l’antique division entre les hommes et les femmes est-elle une construction, mais alors une construction anthropologique et mythologique de grande ampleur, qui a peut-être vaguement quelque chose à voir avec la biologie. La reproduction, la chasse, le dedans, le dehors, l’appel un peu mystérieux (et souvent casse-pieds) qui pousse le mâle à s’assurer, une fois sa semence répandue dans l’une, qu’il est toujours un homme, autrement dit qu’il peut avoir celle qu’il n’a pas. Vieille affaire revisitée depuis des millénaires et récemment pimentée par la conquête de l’égalité. Pour faire court, brutal et donc réducteur, quand on aime les hommes libres, l’infidélité fait partie du lot. Réelle ou fantasmée, avouée ou cachée, elle est dans la nature – au moins reptilienne – de l’homme, comme piquer est dans celle du scorpion. Ce qui, bien sûr, n’empêche nullement les femmes de la pratiquer avec bonheur.

On me dira à raison que la répression de la nature est aussi une loi de l’humanité biblique. On n’est pas obligée de choisir le modèle pour qui le passage à l’acte doit se répéter indéfiniment au point que la nouveauté elle-même devient l’unique objet du désir. Le genre « je cours le jupon pendant qu’elle élève les enfants avant de me caser avec une petite » peut sembler un peu convenu, moyennement élégant et carrément déplaisant pour celle qui est quittée. Mais le style « je reste par devoir » est à périr d’ennui. Si un infidèle ne vous convient pas, changez-en, le monde en est plein.

Si vous n’aimez pas les lâches, ça se complique, parce que ça, on peut penser que c’est carrément dans les gènes masculins, ainsi que l’a joliment dit Nicolas Rey dans une chronique un peu facile mais charmante, dans laquelle il s’attendrissait sur le sort du malheureux qui s’apprête à quitter femme et enfants. « Il y a du courage dans la lâcheté », a-t-il conclu. Non, Nico, dans la lâcheté, il y a de la lâcheté. Ce n’est pas ce que vous avez de mieux. Mais on vous pardonne si on sait que, sur le champ de bataille, vous serez-là, prêts à combattre pour nous. Autrement dit, si vous vous conduisez en gentlemen.

Qu’on ne se méprenne pas. Heureusement, les êtres humains concrets échappent aux archétypes. Ils ont la liberté de jouer avec eux, d’en conjuguer plusieurs – tous les hommes, même les plus camionneurs, ont un côté gonzesse. Dans la vraie vie, on n’a pas le choix entre le collectionneur qui croit pouvoir fusionner ses fantasmes avec le réel et bobonne en version mec ; et pas non plus entre épouse au long cours et maitresse d’un jour. On peut aimer les vertiges de la possession sans renoncer à sa souveraineté. La domination change de camp, la proie et le chasseur échangent leurs rôles. On gagne, on perd, on rejoue. On rit, on pleure, et on rit d’avoir pleuré. On s’enchaîne et on se libère, on conquiert et on se soumet. Mais si on admet qu’il y a entre les hommes et les femmes des divergences aussi inaliénables que leur liberté elle-même, on ne s’ennuie jamais. L’ardente Sylvie Brunel aurait-elle passé trente ans de sa vie avec un homme fidèle, un amoureux 24/24, qui rapporte le pain et vous salue tous les soirs d’un « bonsoir ma chérie ! » ? Confesserait-elle aujourd’hui, en même temps que sa rancœur, sa nostalgie et peut-être son espoir?

Dans les joutes oratoires où les femmes excellent à enserrer l’autre dans les fils d’une rhétorique impitoyable – logique plus mauvaise foi : le cocktail qui rend fou -, une phrase constitue une arme redoutable : « Ce n’est pas pareil ! » Et, bien sûr, c’est irréfutable puisque que ce n’est jamais pareil. Ces considérations s’appliquent donc aux hommes en général, pas aux miens en particulier. Eux, c’est pas pareil.

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Que viva Morales !

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Pancho Villa, un hors-la-loi devenu général de la révolution mexicaine.
Pancho Villa, un hors-la-loi devenu général de la révolution mexicaine.

Dans les bonheurs du week-end, la réélection d’Evo Morales, président de la Bolivie, et le succès de son parti, Mouvement vers le socialisme (Mas), nous ont presque autant comblé que l’héroïque victoire du LOSC sur L’OL par 4 à 3, dans l’un de ces matchs que la première ligue offre de plus en plus rarement et qui nous rappelle opportunément pourquoi on aime le foot. De la même manière qu’on aime ce qui se passe en Amérique Latine, où se construit un peu plus chaque jour une alternative pacifique au néo-libéralisme, une révolution par les urnes qui est une gifle pour la vieille doctrine Monroe toujours en vigueur sous Obama, les grandes compagnies pilleuses de ressources naturelles privatisées et les éditoriaux érudits mais délirants d’Alexandre Adler.

Chavez au Venezuela, Correa en Equateur, Ortega au Nicaragua, c’est un véritable printemps des peuples. Et tant pis si je passe pour un lou ravi de la cucaracha, j’ai sans doute trop regardé dans mon enfance l’excellent Pancho Villa de Buzz Kulik avec Yul Brynner dans le rôle du chef révolutionnaire et Robert Mitchum en trafiquant d’armes cynique séduit peu à peu la personnalité de Villa. Les scènes où Robert Mitchum à bord de son biplan bombarde les trains gouvernementaux bourrés des soldats Colorados avec des cocktails Molotov ont beaucoup fait pour ancrer en moi des images d’Epinal qui me font imaginer le « grand soir » comme une fiesta avec trompettes, castagnettes, feux d’artifice et étreintes avec des filles brunes aux cheveux noirs sous le regard bienveillant des mitrailleuses Hothckiss encore brûlantes. Je sais, à mon âge, c’est d’un lyrisme pitoyable mais enfin je suis quand même le citoyen d’un pays où ce sont les préfectures qui organisent des débats philosophiques en période pré-électorale. Alors, j’ai des excuses : il n’y a que les rêveries, pour l’instant, qui aident à supporter un quotidien avec Eric Besson.

Pour en revenir à Evo Morales, il a été réélu par 63 % des voix. Au premier tour. Et son parti a emporté les deux tiers des sièges sur l’ensemble des deux chambres. Si la moindre fraude avait entaché son élection, si le moindre début de soupçon de bourrage d’urne à Cochabamba ou Puerto Aguirre s’était fait jour, c’est pour le coup que cette élection reléguée loin en pages intérieures de nos journaux aurait fait la « une ».

Mais non, apparemment, les élections boliviennes ont été plus régulières que les élections en Roumanie qui appartient, si je ne m’abuse, à ce grand espace de droit et de liberté qu’on appelle l’Union européenne. Quant à l’opposition à Morales, le seul argument qui lui reste, c’est la crainte d’une concentration excessive des pouvoirs dans les mains d’un seul homme et une dérive autoritaire du pouvoir.

On peut les comprendre mais il y a un moyen simple de les rassurer : inviter en France Manfred Reyes Villa, le challenger malheureux et ancien gouverneur de province. Il verra que l’on vit très bien dans un pays hyper-présidentiel, que la démocratie se porte à merveille et qu’il ne viendrait à personne l’idée de dire que le pouvoir est aux mains d’un clan qui fait une politique au profit d’une classe contre une autre. Et qu’ils n’ont pas plus à craindre de la politique de bouclier social que va continuer Evo Morales que de celle du bouclier fiscal de Nicolas Sarkozy.

Dans une projection désirante comme on dit en psychanalyse, les médias occidentaux dans leur immense majorité nous avaient pourtant expliqué que la Bolivie était en plein marasme, que les régions riches et leurs gouverneurs étaient sur le point de faire sécession, que la guerre civile était une question d’heures[1. Ce qui d’après les dernières informations pourrait bien être le cas du Honduras où les élections qui ont suivi le putsch contre Zelaya (chaviste) toujours réfugié à l’ambassade du Brésil dans son propre pays ne sont aucunement reconnues ni par la communauté internationale (à l’exception des USA) ni par la population hondurienne.]. Que s’est-il donc passé ? Oh, presque rien, juste une politique à faire blêmir Jean-Marc Sylvestre et ses compères de LCI : Morales a nationalisé le gaz et le lithium et il a redistribué les richesses subséquentes sous formes de subventions massives pour développer le système scolaire, pérenniser les retraites et assurer l’autosuffisance alimentaire. Ne le répétez pas, nous ne voudrions pas provoquer un malaise chez Manuel Valls ou Vincent Peillon mais il se murmure que Morales serait… de gauche.
Sinon, le lithium bolivien est normalement utilisé pour les batteries des futurs moteurs électriques. Je ne sais pas si c’est le même qui entre dans le traitement des dépressions nerveuses, mais j’ai comme l’impression que du côté de Wall Street ou des places boursières européennes, il va y avoir une hausse des cours.

Retrait entre partenaires

Autant les mouvements anti-pub néos-babas me font bien rigoler, autant j’admets que parfois trop, c’est trop. Ainsi, l’autre jour, alors que je voulais simplement retirer quelques billets à un distributeur automatique BNP pour acheter ma pitance quotidienne, la machine – après avoir avalé ma CB – m’a asséné une vidéo d’une dizaine de secondes pour le nouveau film de Luc Besson « Arthur et la Vengeance de Maltazard », avant de me demander quelle somme je souhaitait retirer. Basta ! Les DAB sont-ils les derniers écrans – encore préservés – à être envahis par la pub ? Cette promo pour le prochain film de Besson rentre paraît-il dans le cadre d’une opération de partenariat avec la BNP, mais cela ne va t-il pas donner de mauvaises idées aux annonceurs? A quand les coupures pub sur les écrans de contrôle des avions de ligne ? A quand les spots pour Aspro sur les écrans de monitoring des hôpitaux ?

Afghanistan : si on part, on perd

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kaboul

En Afghanistan, on part ou on perd ? Mais si on part, on perd. Et nous ne pouvons pas perdre. Obama l’a compris, « c’est une guerre de nécessité « . On se demande ce que nous avons à gagner en mobilisant de tels moyens financiers et humains pour guerroyer dans un pays lointain. On peut poser la question autrement : en évitant la guerre aujourd’hui, qu’avons-nous à perdre demain ?

La défaite militaire serait un repli mineur comparé à la suite des événements. Laisser les insurgés sortir des grottes où ils se terrent pour reprendre le haut du pavé, tenu aujourd’hui par un gouvernement tant bien que mal élu, c’est abandonner les populations au sort que leur réservent les fanatiques analphabètes qui autrefois surgissaient du désert et qui cette fois-ci, descendent des montagnes. Les filles seront privées d’école, des hommes seront exécutés pour avoir écouté de la musique, des femmes assassinées pour être allées chez le coiffeur.

La mission onusienne n’est pas de propulser l’Afghanistan de la féodalité au 21ème siècle mais de chasser les nouveaux inquisiteurs. La burqa n’a pas disparu avec les talibans mais la liberté de ne pas la porter est rétablie, au moins dans les zones dont ils été chassés. Nous devrons nous contenter de ce progrès car nous, Occidentaux, ne sommes pas chez nous. Nous ne faisons pas la loi, nous organisons les élections de ceux qui la feront. Nous respectons les coutumes locales car nous ne sommes pas en pays conquis.

À défaut d’avoir été éradiquée, Al Qaeda a perdu de sa capacité d’action en perdant sa base afghane. L’avoir chassé aura épargné plus d’un attentat à nos villes infidèles. Abandonner le terrain, c’est l’assurance revoir des camps d’entrainement terroristes qui auront pignons sur rue. Si nous perdons la bataille d’Afghanistan, la guerre que le fondamentalisme révolutionnaire nous livre se répandra. Les djihadistes deviendront plus nombreux, plus forts, plus menaçants. Les attentats se multiplieront, la méfiance grandira dans nos sociétés pluri-ethniques et pluri-cultuelles à l’encontre de nos concitoyens musulmans et tous seront éclaboussés par l’image de cet islam criminel. Le djihad étant une notion assez vague qui va du travail sur soi au meurtre de l’autre, avec la montée en puissance d’un salafisme qui aura gagné une guerre et emporté un pays, la confiance qui fait la cohésion des nations sera ébranlée. La coexistence des communautés qui composent les peuples partout dans le monde deviendra plus difficile. La paix civile sera fragilisée. Le vivre-ensemble se nourrit de confiance, c’est cela aussi que nous protégeons en Afghanistan.

Le champ de bataille est afghan mais la guerre est mondiale. Les djihadistes veulent diviser le monde entre musulmans et infidèles. La fracture qu’ils appellent de leurs prières passe par nos sociétés. En les combattant en Afghanistan, nous résistons à cette tentative de déchirure. Pour les Afghans comme pour tous les peuples, musulmans compris, qui ne veulent pas d’un islam uber alles, nous ne pouvons renoncer à mener cette guerre et nous ne pouvons pas la perdre.

Toujours plus et toujours rien ? Pas sûr ! Le général Mac Chrystal qui mène les opérations tire la leçon de huit années de campagne : « huit années d’opérations réussies individuellement ont abouti à plus de violence ». Il poursuit : « Cela ne veut pas dire que nous devrions éviter un combat, mais pour gagner nous devons faire beaucoup plus que simplement tuer ou de capturer des insurgés ».  » Une véritable opération offensive de contre-insurrection est tournée contre l’insurgé mais aussi ne peut se permettre de perdre le contrôle de la population. Nous devons concevoir des opérations offensives pas uniquement destinées à l’encontre des combattants mais aussi pour gagner la confiance et le soutien du peuple tout en repoussant l’influence et l’accès aux insurgés. »

Côté afghan, le ton est coopératif. S’adressant aux Américains, le ministre de la Défense afghan, Abdul Rahim Wardak a déclaré: « Les Afghans ne vous ont jamais vus comme des occupants même si cela a été le principal objet de la campagne de propagande de l’ennemi. Contrairement aux Russes, qui ont imposé un gouvernement avec une idéologie étrangère, vous nous avez permis de rédiger une constitution démocratique et de choisir notre propre gouvernement. Contrairement aux Russes, qui ont détruit notre pays, vous êtes venu le reconstruire ». L’Afghanistan, ce « cimetière des empires », n’enterrera pas le projet de l’Alliance de 42 pays menée par les Américains car ce projet n’est pas impérialiste. Nous ne sommes pas là pour prendre l’Afghanistan mais pour le rendre aux Afghans. En espérant que de cette nation qui ne se manifeste jamais autant que face à l’envahisseur, ils seront capables de faire un Etat.

Les Américains semblent vouloir rectifier le tir pour se donner toutes les chances de remporter le morceau, les Afghans comprennent que l’indépendance à laquelle ils sont farouchement attachés n’est pas menacée, le Pakistan met le paquet pour protéger son nucléaire : tout ça ressemble fort à la dernière ligne droite. Mais pour mettre fin à ce conflit, il faut pouvoir passer la main et pour tenir jusque-là, il faut plus d’hommes. En attendant que l’Afghanistan compte assez d’Afghans armés et formés, policiers ou militaires, pour combattre les insurgés et chasser les étrangers venus mettre leur pays à feu et à sang pour le djihad, la stratégie de contre-insurrection exige plus de soldats pour investir le terrain et le tenir, rassurer les populations, se faire accepter par les autorités traditionnelles morales ou tribales. Dans cette tactique redéfinie, nous Français, avons le savoir-faire pour réussir la mission. Ce sont nos troupes d’élite qui ont eu Ben Laden en ligne de mire et nous n’oublions pas depuis Robespierre que « les peuples n’aiment pas les missionnaires armés ». Pouvons-nous lâcher l’affaire à deux doigts de la victoire quand nous sommes taillés pour le job ?

Voilà pourquoi il me semble que nous devons plus que jamais continuer le combat en Afghanistan. Cette guerre n’est pas seulement celle des Américains, c’est aussi la nôtre, parce que nous avons les mêmes valeurs et les mêmes ennemis. Et puis, dans la paix comme dans la guerre, à quoi servirions-nous, nous les hommes, sinon à permettre aux femmes du monde d’aller chez le coiffeur ?

Copenhague : membre ou pas membre ?

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Les prostituées de Copenhague où se tient actuellement le sommet qu’on sait ne sont pas contentes et tiennent à le faire savoir, l’occasion d’une affluence internationale faisant la blonde larronne. Alors que la prostitution est légale dans tout le royaume, la municipalité de Copenhague mène quant à elle une politique de dissuasion avec force slogans luthériano-féministes du genre : « N’achetez pas du sexe », ce qui est absurde puisque qu’on est encore pour quelque temps dans une société capitaliste soumise à la loi de l’offre et de la demande. Réunies en association, les péripatéticiennes de la capitale ont décidé d’une initiative originale qui va réchauffer l’atmosphère: elles proposent une passe gratuite à tout participant pouvant exciper de sa qualité de membre du sommet. Ca sent le trafic de fausses accréditations.

Religions, les chiffres font-ils foi ?

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Babel Blocks / Boym Design Studio, USA
Babel Blocks / Boym Design Studio, USA

Ainsi l’islam serait la deuxième religion de France. Si on ne l’a pas répété cent fois, et même plus, à l’occasion de la votation suisse anti-minarets, je veux bien entrer dans le clergé de la secte qui m’offrira les meilleures conditions de salaire et de retraite, en ce bas monde et dans l’au-delà. À force de répéter cette antienne, on finit par penser que le poids de l’islam dans la société française devient un élément déterminant de l’évolution sociologique et spirituelle de notre vieille nation. Cette assertion produit le ravissement des multi-culturalistes de tout poil, particulièrement de ceux qui cultivent le masochisme d’appartenance à une nation et à une culture insuffisamment métissée à leurs yeux. Elle provoque également une paranoïa galopante allant jusqu’au fantasme de dévoration par la foule proliférante des mahométans exprimée par le maire de Gussainville (Meuse), un pauvre type aujourd’hui couvert de crachats. Tout cela parce que mesdames et messieurs les commentateurs de l’acting out helvète veulent persuader leurs contemporains que la présence islamique en Europe est un fait irréversible, ce qui est exact, mais également susceptible de modifier profondément les comportements individuels et collectifs, ce qui l’est moins.

Non, non et trois fois non, l’islam n’est pas la deuxième religion de France. La deuxième religion de France, en nombre de personnes qui déclarent en faire partie dans des sondages effectués régulièrement sur cette question, c’est celle des sans-religion. Des athées, agnostiques, mécréants, dont le nombre est en progression constante, au contraire de ceux se réclamant de la première religion, la catholique, apostolique et romaine. Des chiffres ? En voilà et aseptisés à l’eau bénite, puisque qu’ils sont issus d’un sondage au long cours patronné par l’estimable (et là je ne me moque pas) quotidien La Croix. Voilà ce que cela donne en données comparées entre 1994 et 2007[1. Entre parenthèses les chiffres de 1994.]
Catholiques : 51% (67%). Protestants : 3% (3%). Juifs : 1% (1%). Musulmans : 4% (2%). Sans religion : 31% (23%).

C’est clair et net : il faut faire l’impasse sur les non-religieux pour placer les musulmans sur la deuxième marche d’un podium dont on ne voit pas bien quelle performance il viendrait couronner. Il apparaît, certes, que l’islam enregistre la plus forte progression entre les deux sondages : les nouveaux immigrants, et la forte natalité dans ce secteur de la population pourraient en fournir l’explication.

Le fond culturel français se compose donc très majoritairement de catholiques non pratiquants (8% d’entre eux déclarent aller régulièrement à la messe) et de non-croyants tolérants, puisque les bouffe-curés rabiques constituent une survivance folklorique de l’époque glorieuse mais révolue de la lutte pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Les non-croyants ne revendiquant rien d’autre que le droit imprescriptible à être oubliés des commentateurs patentés, ils se sont fait souffler médiatiquement une deuxième place dont ils n’ont évidemment rien à cirer.

Au bout de furieuses empoignades entre cléricaux et laïcs, nous avons hérité d’un modus vivendi relatif à la visibilité religieuse dans l’espace public : elle est admise, et même glorifiée lorsqu’il s’agit de l’architecture, de l’art et de la musique liée à l’une ou l’autre des religions pratiquée dans notre pays. Mais on n’admet pas qu’elle se manifeste dans l’apparence individuelle, vestimentaire ou corporelle. À l’exception, bien entendu, du clergé, dont les signes distinctifs, longtemps très apparents, ont eu une nette tendance à disparaître, au point qu’il est aujourd’hui très difficile de reconnaître un curé dans la foule.

C’est pourquoi cette affaire de minarets est pain bénit, si l’on ose dire, pour les plus extrémistes des islamistes, qui peuvent ainsi hurler à la discrimination et à la stigmatisation. Puisque les cathédrales, temples protestants et synagogues ont pignon sur rue dans un style architectural qui correspond à une conception, modeste ou ostentatoire, du lieu où l’on doit se rassembler pour prier, pourquoi priver les musulmans de leurs édifices religieux  traditionnels ?

L’amalgame entre le débat sur le port du voile islamique à l’école, ou celui de la burqa ou niqab dans l’espace public et celui de l’érection de minarets accolés aux mosquées dans nos villes est facteur de confusion. Il n’y a aucune raison de refuser à une religion de se doter d’immeubles correspondant à sa tradition (pour autant que le minaret ne serve pas de réveil-matin à tout le quartier), et ce faisant d’enrichir le patrimoine architectural de la France.

En revanche, considérer chaque individu, et singulièrement la femme, comme affichage ambulant d’une religion que l’on doit porter en bandoulière partout où l’on se déplace est une provocation dans un espace culturel qui a mis un certain temps, et beaucoup d’efforts, à libérer l’individu des emprises cléricales. La visibilité religieuse des individus non-membres du clergé n’est pas le seul apanage des musulmans. Les ultra-orthodoxes juifs relèvent aussi des « croyants visibles ». Pourtant, ils ne suscitent pas les mêmes polémiques que celles engendrées par le port du voile ou de la burqa. On dira que c’est injuste, que les juifs sont encore favorisés et autres balivernes habituelles. Reste que les Loubavitchs n’ont jamais demandé à la République d’admettre leurs enfants à païess à l’école publique avec des repas casher, ne se lamentent jamais de discrimination dans le logement ou à l’embauche, bref, savent se faire opportunément oublier pour continuer à transgresser l’ordre vestimentaire laïc.

Enfin, le monde est vaste, et il existe des lieux où chacun peut vivre sa foi dans sa plénitude, pour autant qu’elle soit assez forte pour vous faire oublier qu’il n’est pas tout à fait sans agréments, matériels ou démocratiques, de vivre dans une société pourvue d’un dieu discret.

Johnny, grand corps malade

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johnny

Une invasion herpétique de Line Renaud, un eczéma purulent de Serge Lama ou une poussée hémorroïdaire de Pierre Arditi seraient-elles à la « une » des journaux ? Sans doute pas, à part peut-être celle du Quotidien du médecin.

La hernie discale de Johnny Hallyday, traitée par la médecine, est également retraitée par tous les médias, jusqu’à en avoir plein le dos.

Le pauvre Johnny, réfugié médical en Californie après avoir été réfugié fiscal en Suisse, est le siège, si l’on peut dire, d’un troupeau de professionnels de la profession de tous poils qui n’en veulent qu’à une info : Johnny est-il très mourant ou un peu beaucoup ?

Les chaînes de télévision s’organisent : des correspondants locaux à l’existence insoupçonnée jusqu’ici apparaissent en direct. Des spécialistes de tout crin donnent leur interprétation extensive des ennuis de santé du chanteur, un peu comme les généraux à la retraite exhibés sur les plateaux du 20h lors des guerres du Golfe détaillaient ceux des fantassins irakiens.

Les rédactions se préparent au pire, c’est à dire qu’elles l’espèrent au mieux. Comme le croquemort dans Lucky Luke, elles prennent déjà les mesures du malade, tissant avec exaltation la « une » qui fera office de linceul médiatique du chanteur au cas où.

Les éditorialistes s’envolent vers les hautes cimes. Certains frisent le nervous breakdown. Denis Jaumin, dans La Nouvelle République, s’illustre, sans que l’on sache s’il s’agit ou non d’une plaisanterie : « On ne conchie pas le drapeau publiquement, pas plus qu’on ne siffle la Marseillaise. On se découvre devant les dames, on se signe dans les églises et – conjointement – on se déchausse dans les mosquées, les bons vins se servent dans un verre à pied, la truite se pêche à la mouche, les camemberts sont meilleurs moulés à la louche etc. La liste de ces recommandations est inépuisable. Il faut en ajouter une autre désormais : on ne traite pas de la santé de Johnny Hallyday à la légère. » Et de celle des pratiquants catholiques et musulmans non plus, d’ailleurs : qu’ils n’essaient pas de se signer et d’enlever leurs chaussures « conjointement », c’est assez casse-gueule.

Tout le monde y va de son explication, ou plutôt de son avis. Dans la grande tradition du procès stalino-médiatique franchouillard. Le chirurgien français de Johnny se voit accusé de tous les maux par l’entourage du chanteur, et même par son Conseil de l’Ordre : ça fait désordre. Son nom : Delajoux, de quoi mériter une bonne claque médiatique. Le producteur de Johnny, Jean-Claude Camus (pas celui du Panthéon, l’autre) parle de « massacre » à propos de l’opération perpétrée par la main de Delajoux. Et de livrer des détails alléchants : « il semblerait que Johnny soit parti sans drain » ! Et j’entends siffler le drain ? Ha non, ça, c’était Richard Anthony.

Chacun se sent concerné. Le présentateur Nikos Aliagas se rend à Los Angeles avec les enfants de Johnny. Louable intention pour une attention maximale. Un chirurgien de la Pitié-Salpêtrière volera dès lundi vers la Cité des anges, à la « demande indirecte de la famille ». Pour faire le point, au cas où les médecins californiens seraient des incapables, on n’est jamais trop prudent : « Faut-il annuler, faut-il ne pas annuler [les concerts prévus]. C’est secondaire par rapport à sa santé, mais c’est important aussi pour pas mal de personnes ». Tout est dit.

C’est donc, avant les soldes, la foire au Johnny ! Cet homme qui se veut « simple », et dont la dignité et la discrétion face à la maladie sont respectables, ne s’appartient plus. Le King du rock hexagonal (et wallon) est devenu la propriété de tous. A l’époque de l’hypermédiatisme aigu, le corps souffrant de Johnny est comme celui du roi sous l’Ancien régime : on l’exhibe. Un jour, peut-être, il sera du pain. Le corps transcendé et réceptacle de l’identité nationale, partagé par tous.

Tout cela en moins d’une semaine. Et heureusement ce n’est que le début de la fin de Johnny…

Viré par le virus

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La mise en place du plan de la lutte contre la grippe A devait être exemplaire, à tous les sens du terme. La guerre totale, et au bout, la victoire. Il se trouve qu’entre les chapiteaux de cirque et les gymnases, cela ressemble plutôt à la débacle de mai 40 avec Pinder dans le rôle de Weygand. Il fallait bien un responsable. La sanction est tombée : Philippe Coste, directeur de la DDASS de Paris, a été proprement débarqué par Roselyne Bachelot. « On est adapté ou pas à un poste » a commenté sèchement la ministre vaccinée. On espère qu’elle s’est fendue aussitôt d’un SMS à Frédéric Lefebvre et Christian Estrosi pour leur expliquer que ce constat-guillotine ne les visait pas personnellement…

Syndrome de Copenhague

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Copenhague : faut-il tirer la sirène d'alarme ?
Copenhague : faut-il tirer la sirène d'alarme ?
Copenhague : faut-il tirer la sirène d'alarme ?

Chers amis téléspectateurs, je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais depuis une semaine, à chaque fois que je tombe sur un reportage en direct depuis le sommet de Copenhague, j’ai une furieuse impression d’être dingue. Je retombe toujours sur le même film, un peu comme Henri Salvador dans le scopitone de Zorro est arrivé. Mon syndrome de Copenhague à moi, c’est que je suis pris en otage par l’écolomania médiatique, mais qu’en fait d’empathie, j’ai envie d’égorger mes kidnappeurs à l’Opinel émoussé.

De Tf1 à Arte, de France Soir à Télérama, c’est la même chanson avec la sécheresse qui va lyophiliser l’Afrique, les ours blancs du pôle Nord qui vont se retrouver SDF, les forêts amazoniennes transformées en parking et les Iles Tuvalu qui vont être rayées de la carte – où personne ne serait d’ailleurs fichu de les situer.

Comme si cela ne suffisait pas, on aura aussi à endurer les jeux de mots calamiteux qui enjolivent cette monophonie : « Ça chauffe ! », « Dossier brûlant », « Climat de tension » et autres « Au chevet de la planète pour faire baisser sa température ». Pour filer nous aussi la métaphore thermométrique (remixée par Roland Barthes, quand même), on dira que ce degré zéro de l’écriture est si absolu qu’on croirait ces titres issus du cerveau d’un rédacteur du Canard privé de whisky depuis au moins deux heures.

Bien sûr, tout le monde ici aura compris, et sans mon aide, qu’avec Copenhague on aura surtout atteint des sommets d’ineptie. À titre personnel, ma préférence va à une chroniqueuse de RMC dont je n’ai hélas pas retenu le nom, et qui faisait la leçon à ses auditrices en leur expliquant comment préparer un réveillon copenhaguo-compatible : des pommes, mais pas d’ananas qui viennent par avion, du chapon mais surtout pas de bœuf qui fait des pets au méthane. Je n’ai pas pu supporter la démonstration jusqu’à la fin, mais j’imagine qu’il faut aussi boycotter le champagne à cause des petites bulles pleines de gaz carbonique, et n’allez pas vous rabattre sur le Perrier : même motif, même punition.

Devant tant d’unanimisme gluant, le causeurophile lambda a pigé tout seul qu’il y avait un loup quelque part et que cette fois, les écolos avaient réussi à l’introduire bien au delà du massif du Mercantour. On ne va donc pas vous faire perdre votre temps à vous expliquer que tous ces bons sentiments sentent à peu près aussi bon qu’une émission anale de méthane par un bovidé australien.

Et c’est bien là le problème. Parce ce flot d’âneries nous amène à penser spontanément que les experts qui parlent de danger climatique sont aussi crédibles que les scientifiques d’il y un siècle qui postulaient mordicus que la masturbation rendait sourd. Alors que si ça se trouve, le danger climatique existe pour de vrai. Gardons-nous de nous laisser induire en erreur par ce climat de terreur.

Personnellement par réaction spontanée au hulotisme ambiant, j’ai été longtemps ce qu’on appelle un « climato-sceptique », appellation non contrôlée que se partagent les vrais sceptiques, et aussi ceux qui pensent que tout cela, c’est des foutaises, qu’aucun argument scientifique ne corrobore les retombées nocives des activités humaines sur le climat et que l’effet de serre n’est qu’un effet de manche.

Climato-sceptique, je ne le suis plus vraiment. Le sujet me passionne depuis longtemps, alors, je lis, je me renseigne, je discute, et j’ai même fini par changer d’avis. Je pense qu’il y a un problème, mais qu’il est redoutablement mal posé. N’étant pas plagiaire, ma peur d’être pris la main dans le sac l’emportant sur ma paresse, je vous renverrais au blog Sciences2 de mon ami Sylvestre Huet de Libération qui ne cesse de démonter, à contre-courant de ce qui s’écrit partout, y compris dans les éditos de son propre quotidien, les caquetages alarmistes du moment, tout en en cognant régulièrement sur Claude Allègre et le camp noproblémiste, qui en vérité, est aussi peu sceptique, en vérité, que les hystéros façon Greenpeace.

J’en suis donc arrivé à la conclusion que le problème du réchauffement climatique est à la fois moins grave et plus grave qu’on nous le dit. Je m’explique.

D’un côté, le danger est réel. Seulement, les décisions à prendre ne se posent pas en termes d’années, mais de siècles. Aucune catastrophe climatique sérieuse n’est en vue pour cet hiver, ni même pour 2012, voire pour 2050. Comme tout ce qui concerne les choses de la Terre, on baigne ontologiquement dans le long terme ou disons le moyen-long (trois siècles, c’est que dalle à l’échelle du temps planétaire). On se dit qu’il vaudrait mieux commencer à bouger aujourd’hui, mais on pourra encore agir demain, ou après-demain. Que tout ce qui va dans le mauvais sens est réversible. Qu’on aurait radicalement tort de prendre, pour amuser l’opinion, des mesures trop violentes qu’on ne mettra jamais en œuvre, à l’image de la nana qui se lance mi-juin dans le régime 100 % thé vert et œufs durs, lequel se clôt rapidement et logiquement en overdose de macarons chez Ladurée. Et qu’à part ça, il y a des tas de coins sur terre, dits émergents, où les gens ont envie de polluer avec des usines, des gros steaks et des bagnoles, comme nous le faisons nous-même depuis quelques décennies. Je ne vois vraiment pas au nom de quelle morale nous serions autorisés à les en dispenser. Tout ça se passera dans le long. Pas de panique, donc.

Mais manque de bol, c’est peut-être justement là qu’il faut paniquer, et pour de vrai. Parce que pour être réglée, cette question climatique réclame du débat d’idées, de la concertation mondiale, et surtout implique une vision et une action à long terme. Et c’est là que le bât blesse. En matière de vrai débat, ces dernières décennies, le niveau baisse bien plus vite que celui des océans ne s’élève. Quant au caractère séculaire des décisions à prendre, c’est encore pire : en politique, à Washington comme à Paris, à Moscou et bientôt à Pékin, le long terme, c’est la prochaine élection, et le très long terme, la suivante. Et alors là, les amis, on est vraiment mal pris. Il faut s’y faire : la complexité est peut-être de cette terre, pas de ce monde.

Fallait-il faire tant d’Histoire ?

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lycee

Plus d’histoire pour les Terminales S, donc. Avançons quelques hypothèses sur cette affaire qui fait grand bruit – et c’est heureux.

On pourrait d’abord invoquer la haine du sens : après tout, dans la scène primitive du Fouquet’s, au sens freudien du terme, celle où l’on a vu coucher symboliquement ensemble la clique au pouvoir, il y avait des chanteurs de variété, des financiers, des people plus ou moins faisandés, des acteurs de comédie, des intellectuels à gages. Mais vous pouviez chercher en vain les artistes, les poètes, les écrivains, les philosophes. Laurent de Médicis ou les Borgia, quand ils arrivaient au pouvoir, avaient eux aussi le sens des affaires et de la famille. Même papes, ils se mariaient. Mais enfin, leur pouvoir a servi à remplir pour les siècles des siècles le Bargello ou les Offices et on peut bien leur pardonner une certaine violence mafieuse et des inélégances de condottieri. Ne pas oublier, non plus, le bolossage en règle et à trois reprises de la Princesse de Clèves, qui n’a pas à sa disposition un numéro de téléphone contre les violences physiques et/ou psychologiques. Cela a été un symbole tellement énorme que Madame de Lafayette, le temps d’une saison, est redevenue un genre de Marguerite Duras (tout le monde en parle, mais personne ne la lit) et aurait pu prétendre à un grand prix littéraire posthume. L’anti-intellectualisme, feint ou réel, peu importe puisque nous sommes dans le domaine spéculaire de l’action politique, est une marque de fabrique, au moins depuis Poujade, de la droite décomplexée comme d’ailleurs d’une certaine extrême gauche à front de taureau. Mais on pourrait parler aussi, pour alourdir le dossier, évoquer la disparition programmée de la direction du Livre au ministère de la Culture.

On pourrait, ensuite, aussi invoquer la haine de classe, une haine double, assez étrange dans le cas qui nous intéresse. Celle d’un hyper-président à un poste où, quand même, depuis de Gaulle, on discute plus facilement de Salluste et de Chardonne que de garde alternée à Dubaï ou de ce qui fait qu’à 50 ans on a réussi sa vie. La manie de la rupture sarkozyste, elle est là aussi. Il les trouve tellement précieux et prétentieux, ses prédécesseurs, avec leur goût pour les églises romanes, les arts premiers et la poésie française… Et puis, l’un n’empêchant pas l’autre, une méfiance viscérale de ce peuple qui malgré cent-cinquante chaines de télé bourrées jusqu’à la gueule de séries prônant le modèle étatsunien ou de jeux abjects visant à toujours plus d’humiliation et fondés sur l’accoutumance au licenciement, il y en a encore et toujours quelques uns pour aimer lire, visiter des musée ou aimer apprendre ce que d’ultimes dinosaures dans des Jurassic Park scolaires s’entêtent à transmettre de la philosophie, de l’économie, de l’histoire, du latin et du grec. L’économie enseignée dans les lycées, contrairement à celle assénée par les éditorialistes libéraux, est un peu plus compliquée que les slogans du genre « Enrichissez-vous » et « nationalisons les pertes pour mieux privatiser les profits ». Il n’y a donc rien de surprenant à ce que cette discipline ait été ces dernières années la cible préférée de ceux qui trouvent que l’entreprise de normalisation mentale ne va pas assez vite : on a donc parlé de supprimer l’économie à l’école et surtout les professeurs d’économie dont le Medef a prétendu qu’ils étaient tous des agents dormants du KGB apprenant les rudiments du socialisme scientifique à d’innocentes Terminales. Ne parlons pas de la philosophie, régulièrement remise en cause comme une exception française décidément ridicule : à quoi ça sert, tout de même que toute une classe d’âge ait entendu parler de la liberté, de la passion, de la mort, surtout quand une partie d’entre elle passe pour le cours suivant dans un atelier de carrosserie. Cela leur met de sales idées dans la tête et cela en ferait comme un rien des syndicalistes ou des mauvais coucheurs qui pourraient argumenter contre cette idolâtrie de la valeur travail.

On pourrait, pour finir, voir dans ce projet de suppression de l’histoire en Terminale S l’achèvement d’un processus orwellien qui est celui de toutes les sociétés capitalistes et postmodernes. Le rêve secret, inconscient, de tout gouvernement d’une économie spectaculaire marchande est de faire transformer le citoyen en consommateur à force de propagande ayant pour nom « publicité » ou de manipulation mentale qu’on appellera « marketing » pour nous faire sortir de l’histoire, justement et pour nous faire vivre dans ce que Debord appelait joliment « le présent perpétuel ». Il est évident que l’enseignement de l’histoire pour de futurs ingénieurs sans doute appelés à calibrer un peu plus nos existences, nos corps et nos désirs, est inutile voire contre-performant. Il ne faudrait pas qu’ils s’intéressent à la politique et observent de vilaines analogies entre notre monde technicisé et des sociétés du passé qui ont eu elles aussi de vilaines pulsions eugénistes ou prométhéennes.

On pourrait, on pourrait, on pourrait… Hélas, la réalité est beaucoup plus simple et médiocre, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit moins dangereuse. Ce n’est pas Luc Chatel qui dirige la manœuvre, ce n’est sans doute même pas Sarkozy qui doit tout de même, enfin je pense, avoir encore quelques inhibitions tant qu’Henri Guaino, comme un remords vivant de la République, médite dans le bureau d’à côté. Non, le maître du pays, c’est Eric Woerth, ministre du budget. Au Saint-Nom de la Réduction du Déficit, le principe du non-remplacement des fonctionnaires partant à la retraite est observé avec une rigueur trappiste. Sur la période 2007-2010, on aura supprimé 50.000 postes d’enseignants. Comme, il n’y a pas de petites économies, la « suppression optionnelle » de l’enseignement de l’histoire dans les Terminales S permettra de mettre de côté trois francs six sous. Il n’y a pas de petits profits pour les bons gestionnaires.

Bref, on n’est même pas dans l’ordre du complot, ce qui d’une certaine manière serait rassurant. Non, nous avons juste affaire à des gens qui confondent le vieux pays avec un petit commerce et qui ne rêvent plus de grands desseins mais de bilans comptables équilibrés.

Michelet disait de la France qu’elle était une nation d’historiens. Elle finira comme un pays d’épiciers ignares et de Monsieur Prudhomme assistés par les ordinateurs de l’amnésie heureuse.

Défense des hommes infidèles

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Sylvie Brunel.
Jean-Honoré Fragonard, Le verrou
Jean-Honoré Fragonard, Le verrou

Ce matin, pour ma gym, j’ai eu le droit à « femmes entre elles ». C’était sur France Inter, une discussion entre Sylvie Brunel, future ex-épouse Besson, auteur d’un Manuel de guérilla à l’usage des femmes, et Pascale Clarke, dont la tessiture fait merveille dans le genre intimiste confie-toi-moi-aussi-j’ai souffert. Le genre nous les femmes.

Je m’empresse de préciser que je n’ai pas lu le livre de Sylvie Brunel et que je ne suis pas sûre de le faire. Je me sens toujours gênée d’être invitée dans l’intimité de personnages réels – dont l’un, de plus, n’a rien demandé et la littérature m’apprend plus que n’importe laquelle de ces confessions qu’affectionnent pas mal de mes confrères. Exhiber la midinette qui sommeille en chacune de nous serait le signe qu’on est une femme libre. Pour ma part, si j’ai besoin de tuyaux, j’irai les chercher chez Stendhal et quelques autres, pas dans un « manuel ». Pourquoi pas des cours de rupture amoureuse ou des formations au divorce (je me demande, avec effroi, si ça n’existe pas) ? Cela dit, la Brunel ne manque pas de panache. On peut ne pas aimer l’arme qu’elle a choisie. Au moins ne se laisse-t-elle pas achever sans combattre. De plus, tout au long de l’émission, elle a résisté de façon plutôt réjouissante à Pascale Clarke, qui voulait absolument lui faire dire que tous les hommes sont des salauds et qu’en prime le sien est un traitre.

Allez savoir pourquoi, j’ai éprouvé le besoin de me désolidariser de cette grande confrérie que l’on m’invitait à rejoindre. Merci les filles, « nous », en ce domaine, très peu pour moi. L’histoire de la femme bafouée, vous en parlez comme si c’était le lot éternel du beau sexe, mais je ne me vois pas dans le rôle – et pour tout dire, mes copines non plus. Je refuse d’être enrôlée dans votre armée des victimes des hommes. À la guérilla proposée, on peut préférer la tendre guerre, le jeu sérieux, amusant et cruel du désir qui vagabonde, disparaît et renaît, et que nulle époque n’a jamais réussi à enfermer dans les liens du mariage ou de la convention, ni dans les exigences de la morale. Tous les coups ne sont pas permis. Mais c’est une guerre. On n’est pas chez les bisounours. Il y a souvent du sang sur les murs, parfois au sens propre.

Ceux et celles qui rêvent, comme l’excellente Caroline Fourest d’un monde sans hommes ni femmes « où l’on admettra que le genre peut être indéterminé ou choisi, et non dicté par le sexe biologique », feraient mieux de cesser là leur lecture. « Il faut espérer, écrit-elle encore, que la différence des sexes, si communément admise, sera un jour relativisée. » On aimerait savoir pourquoi il faut espérer. Pour ma part, je trouve cette perspective parfaitement terrifiante.

Peut-être l’antique division entre les hommes et les femmes est-elle une construction, mais alors une construction anthropologique et mythologique de grande ampleur, qui a peut-être vaguement quelque chose à voir avec la biologie. La reproduction, la chasse, le dedans, le dehors, l’appel un peu mystérieux (et souvent casse-pieds) qui pousse le mâle à s’assurer, une fois sa semence répandue dans l’une, qu’il est toujours un homme, autrement dit qu’il peut avoir celle qu’il n’a pas. Vieille affaire revisitée depuis des millénaires et récemment pimentée par la conquête de l’égalité. Pour faire court, brutal et donc réducteur, quand on aime les hommes libres, l’infidélité fait partie du lot. Réelle ou fantasmée, avouée ou cachée, elle est dans la nature – au moins reptilienne – de l’homme, comme piquer est dans celle du scorpion. Ce qui, bien sûr, n’empêche nullement les femmes de la pratiquer avec bonheur.

On me dira à raison que la répression de la nature est aussi une loi de l’humanité biblique. On n’est pas obligée de choisir le modèle pour qui le passage à l’acte doit se répéter indéfiniment au point que la nouveauté elle-même devient l’unique objet du désir. Le genre « je cours le jupon pendant qu’elle élève les enfants avant de me caser avec une petite » peut sembler un peu convenu, moyennement élégant et carrément déplaisant pour celle qui est quittée. Mais le style « je reste par devoir » est à périr d’ennui. Si un infidèle ne vous convient pas, changez-en, le monde en est plein.

Si vous n’aimez pas les lâches, ça se complique, parce que ça, on peut penser que c’est carrément dans les gènes masculins, ainsi que l’a joliment dit Nicolas Rey dans une chronique un peu facile mais charmante, dans laquelle il s’attendrissait sur le sort du malheureux qui s’apprête à quitter femme et enfants. « Il y a du courage dans la lâcheté », a-t-il conclu. Non, Nico, dans la lâcheté, il y a de la lâcheté. Ce n’est pas ce que vous avez de mieux. Mais on vous pardonne si on sait que, sur le champ de bataille, vous serez-là, prêts à combattre pour nous. Autrement dit, si vous vous conduisez en gentlemen.

Qu’on ne se méprenne pas. Heureusement, les êtres humains concrets échappent aux archétypes. Ils ont la liberté de jouer avec eux, d’en conjuguer plusieurs – tous les hommes, même les plus camionneurs, ont un côté gonzesse. Dans la vraie vie, on n’a pas le choix entre le collectionneur qui croit pouvoir fusionner ses fantasmes avec le réel et bobonne en version mec ; et pas non plus entre épouse au long cours et maitresse d’un jour. On peut aimer les vertiges de la possession sans renoncer à sa souveraineté. La domination change de camp, la proie et le chasseur échangent leurs rôles. On gagne, on perd, on rejoue. On rit, on pleure, et on rit d’avoir pleuré. On s’enchaîne et on se libère, on conquiert et on se soumet. Mais si on admet qu’il y a entre les hommes et les femmes des divergences aussi inaliénables que leur liberté elle-même, on ne s’ennuie jamais. L’ardente Sylvie Brunel aurait-elle passé trente ans de sa vie avec un homme fidèle, un amoureux 24/24, qui rapporte le pain et vous salue tous les soirs d’un « bonsoir ma chérie ! » ? Confesserait-elle aujourd’hui, en même temps que sa rancœur, sa nostalgie et peut-être son espoir?

Dans les joutes oratoires où les femmes excellent à enserrer l’autre dans les fils d’une rhétorique impitoyable – logique plus mauvaise foi : le cocktail qui rend fou -, une phrase constitue une arme redoutable : « Ce n’est pas pareil ! » Et, bien sûr, c’est irréfutable puisque que ce n’est jamais pareil. Ces considérations s’appliquent donc aux hommes en général, pas aux miens en particulier. Eux, c’est pas pareil.

MANUEL DE GUERILLA A L USAGE DES FEMMES

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Que viva Morales !

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Pancho Villa, un hors-la-loi devenu général de la révolution mexicaine.
Pancho Villa, un hors-la-loi devenu général de la révolution mexicaine.
Pancho Villa, un hors-la-loi devenu général de la révolution mexicaine.

Dans les bonheurs du week-end, la réélection d’Evo Morales, président de la Bolivie, et le succès de son parti, Mouvement vers le socialisme (Mas), nous ont presque autant comblé que l’héroïque victoire du LOSC sur L’OL par 4 à 3, dans l’un de ces matchs que la première ligue offre de plus en plus rarement et qui nous rappelle opportunément pourquoi on aime le foot. De la même manière qu’on aime ce qui se passe en Amérique Latine, où se construit un peu plus chaque jour une alternative pacifique au néo-libéralisme, une révolution par les urnes qui est une gifle pour la vieille doctrine Monroe toujours en vigueur sous Obama, les grandes compagnies pilleuses de ressources naturelles privatisées et les éditoriaux érudits mais délirants d’Alexandre Adler.

Chavez au Venezuela, Correa en Equateur, Ortega au Nicaragua, c’est un véritable printemps des peuples. Et tant pis si je passe pour un lou ravi de la cucaracha, j’ai sans doute trop regardé dans mon enfance l’excellent Pancho Villa de Buzz Kulik avec Yul Brynner dans le rôle du chef révolutionnaire et Robert Mitchum en trafiquant d’armes cynique séduit peu à peu la personnalité de Villa. Les scènes où Robert Mitchum à bord de son biplan bombarde les trains gouvernementaux bourrés des soldats Colorados avec des cocktails Molotov ont beaucoup fait pour ancrer en moi des images d’Epinal qui me font imaginer le « grand soir » comme une fiesta avec trompettes, castagnettes, feux d’artifice et étreintes avec des filles brunes aux cheveux noirs sous le regard bienveillant des mitrailleuses Hothckiss encore brûlantes. Je sais, à mon âge, c’est d’un lyrisme pitoyable mais enfin je suis quand même le citoyen d’un pays où ce sont les préfectures qui organisent des débats philosophiques en période pré-électorale. Alors, j’ai des excuses : il n’y a que les rêveries, pour l’instant, qui aident à supporter un quotidien avec Eric Besson.

Pour en revenir à Evo Morales, il a été réélu par 63 % des voix. Au premier tour. Et son parti a emporté les deux tiers des sièges sur l’ensemble des deux chambres. Si la moindre fraude avait entaché son élection, si le moindre début de soupçon de bourrage d’urne à Cochabamba ou Puerto Aguirre s’était fait jour, c’est pour le coup que cette élection reléguée loin en pages intérieures de nos journaux aurait fait la « une ».

Mais non, apparemment, les élections boliviennes ont été plus régulières que les élections en Roumanie qui appartient, si je ne m’abuse, à ce grand espace de droit et de liberté qu’on appelle l’Union européenne. Quant à l’opposition à Morales, le seul argument qui lui reste, c’est la crainte d’une concentration excessive des pouvoirs dans les mains d’un seul homme et une dérive autoritaire du pouvoir.

On peut les comprendre mais il y a un moyen simple de les rassurer : inviter en France Manfred Reyes Villa, le challenger malheureux et ancien gouverneur de province. Il verra que l’on vit très bien dans un pays hyper-présidentiel, que la démocratie se porte à merveille et qu’il ne viendrait à personne l’idée de dire que le pouvoir est aux mains d’un clan qui fait une politique au profit d’une classe contre une autre. Et qu’ils n’ont pas plus à craindre de la politique de bouclier social que va continuer Evo Morales que de celle du bouclier fiscal de Nicolas Sarkozy.

Dans une projection désirante comme on dit en psychanalyse, les médias occidentaux dans leur immense majorité nous avaient pourtant expliqué que la Bolivie était en plein marasme, que les régions riches et leurs gouverneurs étaient sur le point de faire sécession, que la guerre civile était une question d’heures[1. Ce qui d’après les dernières informations pourrait bien être le cas du Honduras où les élections qui ont suivi le putsch contre Zelaya (chaviste) toujours réfugié à l’ambassade du Brésil dans son propre pays ne sont aucunement reconnues ni par la communauté internationale (à l’exception des USA) ni par la population hondurienne.]. Que s’est-il donc passé ? Oh, presque rien, juste une politique à faire blêmir Jean-Marc Sylvestre et ses compères de LCI : Morales a nationalisé le gaz et le lithium et il a redistribué les richesses subséquentes sous formes de subventions massives pour développer le système scolaire, pérenniser les retraites et assurer l’autosuffisance alimentaire. Ne le répétez pas, nous ne voudrions pas provoquer un malaise chez Manuel Valls ou Vincent Peillon mais il se murmure que Morales serait… de gauche.
Sinon, le lithium bolivien est normalement utilisé pour les batteries des futurs moteurs électriques. Je ne sais pas si c’est le même qui entre dans le traitement des dépressions nerveuses, mais j’ai comme l’impression que du côté de Wall Street ou des places boursières européennes, il va y avoir une hausse des cours.

Retrait entre partenaires

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Autant les mouvements anti-pub néos-babas me font bien rigoler, autant j’admets que parfois trop, c’est trop. Ainsi, l’autre jour, alors que je voulais simplement retirer quelques billets à un distributeur automatique BNP pour acheter ma pitance quotidienne, la machine – après avoir avalé ma CB – m’a asséné une vidéo d’une dizaine de secondes pour le nouveau film de Luc Besson « Arthur et la Vengeance de Maltazard », avant de me demander quelle somme je souhaitait retirer. Basta ! Les DAB sont-ils les derniers écrans – encore préservés – à être envahis par la pub ? Cette promo pour le prochain film de Besson rentre paraît-il dans le cadre d’une opération de partenariat avec la BNP, mais cela ne va t-il pas donner de mauvaises idées aux annonceurs? A quand les coupures pub sur les écrans de contrôle des avions de ligne ? A quand les spots pour Aspro sur les écrans de monitoring des hôpitaux ?

Afghanistan : si on part, on perd

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kaboul

En Afghanistan, on part ou on perd ? Mais si on part, on perd. Et nous ne pouvons pas perdre. Obama l’a compris, « c’est une guerre de nécessité « . On se demande ce que nous avons à gagner en mobilisant de tels moyens financiers et humains pour guerroyer dans un pays lointain. On peut poser la question autrement : en évitant la guerre aujourd’hui, qu’avons-nous à perdre demain ?

La défaite militaire serait un repli mineur comparé à la suite des événements. Laisser les insurgés sortir des grottes où ils se terrent pour reprendre le haut du pavé, tenu aujourd’hui par un gouvernement tant bien que mal élu, c’est abandonner les populations au sort que leur réservent les fanatiques analphabètes qui autrefois surgissaient du désert et qui cette fois-ci, descendent des montagnes. Les filles seront privées d’école, des hommes seront exécutés pour avoir écouté de la musique, des femmes assassinées pour être allées chez le coiffeur.

La mission onusienne n’est pas de propulser l’Afghanistan de la féodalité au 21ème siècle mais de chasser les nouveaux inquisiteurs. La burqa n’a pas disparu avec les talibans mais la liberté de ne pas la porter est rétablie, au moins dans les zones dont ils été chassés. Nous devrons nous contenter de ce progrès car nous, Occidentaux, ne sommes pas chez nous. Nous ne faisons pas la loi, nous organisons les élections de ceux qui la feront. Nous respectons les coutumes locales car nous ne sommes pas en pays conquis.

À défaut d’avoir été éradiquée, Al Qaeda a perdu de sa capacité d’action en perdant sa base afghane. L’avoir chassé aura épargné plus d’un attentat à nos villes infidèles. Abandonner le terrain, c’est l’assurance revoir des camps d’entrainement terroristes qui auront pignons sur rue. Si nous perdons la bataille d’Afghanistan, la guerre que le fondamentalisme révolutionnaire nous livre se répandra. Les djihadistes deviendront plus nombreux, plus forts, plus menaçants. Les attentats se multiplieront, la méfiance grandira dans nos sociétés pluri-ethniques et pluri-cultuelles à l’encontre de nos concitoyens musulmans et tous seront éclaboussés par l’image de cet islam criminel. Le djihad étant une notion assez vague qui va du travail sur soi au meurtre de l’autre, avec la montée en puissance d’un salafisme qui aura gagné une guerre et emporté un pays, la confiance qui fait la cohésion des nations sera ébranlée. La coexistence des communautés qui composent les peuples partout dans le monde deviendra plus difficile. La paix civile sera fragilisée. Le vivre-ensemble se nourrit de confiance, c’est cela aussi que nous protégeons en Afghanistan.

Le champ de bataille est afghan mais la guerre est mondiale. Les djihadistes veulent diviser le monde entre musulmans et infidèles. La fracture qu’ils appellent de leurs prières passe par nos sociétés. En les combattant en Afghanistan, nous résistons à cette tentative de déchirure. Pour les Afghans comme pour tous les peuples, musulmans compris, qui ne veulent pas d’un islam uber alles, nous ne pouvons renoncer à mener cette guerre et nous ne pouvons pas la perdre.

Toujours plus et toujours rien ? Pas sûr ! Le général Mac Chrystal qui mène les opérations tire la leçon de huit années de campagne : « huit années d’opérations réussies individuellement ont abouti à plus de violence ». Il poursuit : « Cela ne veut pas dire que nous devrions éviter un combat, mais pour gagner nous devons faire beaucoup plus que simplement tuer ou de capturer des insurgés ».  » Une véritable opération offensive de contre-insurrection est tournée contre l’insurgé mais aussi ne peut se permettre de perdre le contrôle de la population. Nous devons concevoir des opérations offensives pas uniquement destinées à l’encontre des combattants mais aussi pour gagner la confiance et le soutien du peuple tout en repoussant l’influence et l’accès aux insurgés. »

Côté afghan, le ton est coopératif. S’adressant aux Américains, le ministre de la Défense afghan, Abdul Rahim Wardak a déclaré: « Les Afghans ne vous ont jamais vus comme des occupants même si cela a été le principal objet de la campagne de propagande de l’ennemi. Contrairement aux Russes, qui ont imposé un gouvernement avec une idéologie étrangère, vous nous avez permis de rédiger une constitution démocratique et de choisir notre propre gouvernement. Contrairement aux Russes, qui ont détruit notre pays, vous êtes venu le reconstruire ». L’Afghanistan, ce « cimetière des empires », n’enterrera pas le projet de l’Alliance de 42 pays menée par les Américains car ce projet n’est pas impérialiste. Nous ne sommes pas là pour prendre l’Afghanistan mais pour le rendre aux Afghans. En espérant que de cette nation qui ne se manifeste jamais autant que face à l’envahisseur, ils seront capables de faire un Etat.

Les Américains semblent vouloir rectifier le tir pour se donner toutes les chances de remporter le morceau, les Afghans comprennent que l’indépendance à laquelle ils sont farouchement attachés n’est pas menacée, le Pakistan met le paquet pour protéger son nucléaire : tout ça ressemble fort à la dernière ligne droite. Mais pour mettre fin à ce conflit, il faut pouvoir passer la main et pour tenir jusque-là, il faut plus d’hommes. En attendant que l’Afghanistan compte assez d’Afghans armés et formés, policiers ou militaires, pour combattre les insurgés et chasser les étrangers venus mettre leur pays à feu et à sang pour le djihad, la stratégie de contre-insurrection exige plus de soldats pour investir le terrain et le tenir, rassurer les populations, se faire accepter par les autorités traditionnelles morales ou tribales. Dans cette tactique redéfinie, nous Français, avons le savoir-faire pour réussir la mission. Ce sont nos troupes d’élite qui ont eu Ben Laden en ligne de mire et nous n’oublions pas depuis Robespierre que « les peuples n’aiment pas les missionnaires armés ». Pouvons-nous lâcher l’affaire à deux doigts de la victoire quand nous sommes taillés pour le job ?

Voilà pourquoi il me semble que nous devons plus que jamais continuer le combat en Afghanistan. Cette guerre n’est pas seulement celle des Américains, c’est aussi la nôtre, parce que nous avons les mêmes valeurs et les mêmes ennemis. Et puis, dans la paix comme dans la guerre, à quoi servirions-nous, nous les hommes, sinon à permettre aux femmes du monde d’aller chez le coiffeur ?

Copenhague : membre ou pas membre ?

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Les prostituées de Copenhague où se tient actuellement le sommet qu’on sait ne sont pas contentes et tiennent à le faire savoir, l’occasion d’une affluence internationale faisant la blonde larronne. Alors que la prostitution est légale dans tout le royaume, la municipalité de Copenhague mène quant à elle une politique de dissuasion avec force slogans luthériano-féministes du genre : « N’achetez pas du sexe », ce qui est absurde puisque qu’on est encore pour quelque temps dans une société capitaliste soumise à la loi de l’offre et de la demande. Réunies en association, les péripatéticiennes de la capitale ont décidé d’une initiative originale qui va réchauffer l’atmosphère: elles proposent une passe gratuite à tout participant pouvant exciper de sa qualité de membre du sommet. Ca sent le trafic de fausses accréditations.

Religions, les chiffres font-ils foi ?

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Babel Blocks / Boym Design Studio, USA
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Ainsi l’islam serait la deuxième religion de France. Si on ne l’a pas répété cent fois, et même plus, à l’occasion de la votation suisse anti-minarets, je veux bien entrer dans le clergé de la secte qui m’offrira les meilleures conditions de salaire et de retraite, en ce bas monde et dans l’au-delà. À force de répéter cette antienne, on finit par penser que le poids de l’islam dans la société française devient un élément déterminant de l’évolution sociologique et spirituelle de notre vieille nation. Cette assertion produit le ravissement des multi-culturalistes de tout poil, particulièrement de ceux qui cultivent le masochisme d’appartenance à une nation et à une culture insuffisamment métissée à leurs yeux. Elle provoque également une paranoïa galopante allant jusqu’au fantasme de dévoration par la foule proliférante des mahométans exprimée par le maire de Gussainville (Meuse), un pauvre type aujourd’hui couvert de crachats. Tout cela parce que mesdames et messieurs les commentateurs de l’acting out helvète veulent persuader leurs contemporains que la présence islamique en Europe est un fait irréversible, ce qui est exact, mais également susceptible de modifier profondément les comportements individuels et collectifs, ce qui l’est moins.

Non, non et trois fois non, l’islam n’est pas la deuxième religion de France. La deuxième religion de France, en nombre de personnes qui déclarent en faire partie dans des sondages effectués régulièrement sur cette question, c’est celle des sans-religion. Des athées, agnostiques, mécréants, dont le nombre est en progression constante, au contraire de ceux se réclamant de la première religion, la catholique, apostolique et romaine. Des chiffres ? En voilà et aseptisés à l’eau bénite, puisque qu’ils sont issus d’un sondage au long cours patronné par l’estimable (et là je ne me moque pas) quotidien La Croix. Voilà ce que cela donne en données comparées entre 1994 et 2007[1. Entre parenthèses les chiffres de 1994.]
Catholiques : 51% (67%). Protestants : 3% (3%). Juifs : 1% (1%). Musulmans : 4% (2%). Sans religion : 31% (23%).

C’est clair et net : il faut faire l’impasse sur les non-religieux pour placer les musulmans sur la deuxième marche d’un podium dont on ne voit pas bien quelle performance il viendrait couronner. Il apparaît, certes, que l’islam enregistre la plus forte progression entre les deux sondages : les nouveaux immigrants, et la forte natalité dans ce secteur de la population pourraient en fournir l’explication.

Le fond culturel français se compose donc très majoritairement de catholiques non pratiquants (8% d’entre eux déclarent aller régulièrement à la messe) et de non-croyants tolérants, puisque les bouffe-curés rabiques constituent une survivance folklorique de l’époque glorieuse mais révolue de la lutte pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Les non-croyants ne revendiquant rien d’autre que le droit imprescriptible à être oubliés des commentateurs patentés, ils se sont fait souffler médiatiquement une deuxième place dont ils n’ont évidemment rien à cirer.

Au bout de furieuses empoignades entre cléricaux et laïcs, nous avons hérité d’un modus vivendi relatif à la visibilité religieuse dans l’espace public : elle est admise, et même glorifiée lorsqu’il s’agit de l’architecture, de l’art et de la musique liée à l’une ou l’autre des religions pratiquée dans notre pays. Mais on n’admet pas qu’elle se manifeste dans l’apparence individuelle, vestimentaire ou corporelle. À l’exception, bien entendu, du clergé, dont les signes distinctifs, longtemps très apparents, ont eu une nette tendance à disparaître, au point qu’il est aujourd’hui très difficile de reconnaître un curé dans la foule.

C’est pourquoi cette affaire de minarets est pain bénit, si l’on ose dire, pour les plus extrémistes des islamistes, qui peuvent ainsi hurler à la discrimination et à la stigmatisation. Puisque les cathédrales, temples protestants et synagogues ont pignon sur rue dans un style architectural qui correspond à une conception, modeste ou ostentatoire, du lieu où l’on doit se rassembler pour prier, pourquoi priver les musulmans de leurs édifices religieux  traditionnels ?

L’amalgame entre le débat sur le port du voile islamique à l’école, ou celui de la burqa ou niqab dans l’espace public et celui de l’érection de minarets accolés aux mosquées dans nos villes est facteur de confusion. Il n’y a aucune raison de refuser à une religion de se doter d’immeubles correspondant à sa tradition (pour autant que le minaret ne serve pas de réveil-matin à tout le quartier), et ce faisant d’enrichir le patrimoine architectural de la France.

En revanche, considérer chaque individu, et singulièrement la femme, comme affichage ambulant d’une religion que l’on doit porter en bandoulière partout où l’on se déplace est une provocation dans un espace culturel qui a mis un certain temps, et beaucoup d’efforts, à libérer l’individu des emprises cléricales. La visibilité religieuse des individus non-membres du clergé n’est pas le seul apanage des musulmans. Les ultra-orthodoxes juifs relèvent aussi des « croyants visibles ». Pourtant, ils ne suscitent pas les mêmes polémiques que celles engendrées par le port du voile ou de la burqa. On dira que c’est injuste, que les juifs sont encore favorisés et autres balivernes habituelles. Reste que les Loubavitchs n’ont jamais demandé à la République d’admettre leurs enfants à païess à l’école publique avec des repas casher, ne se lamentent jamais de discrimination dans le logement ou à l’embauche, bref, savent se faire opportunément oublier pour continuer à transgresser l’ordre vestimentaire laïc.

Enfin, le monde est vaste, et il existe des lieux où chacun peut vivre sa foi dans sa plénitude, pour autant qu’elle soit assez forte pour vous faire oublier qu’il n’est pas tout à fait sans agréments, matériels ou démocratiques, de vivre dans une société pourvue d’un dieu discret.