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Johnny, grand corps malade


Johnny, grand corps malade

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Une invasion herpétique de Line Renaud, un eczéma purulent de Serge Lama ou une poussée hémorroïdaire de Pierre Arditi seraient-elles à la « une » des journaux ? Sans doute pas, à part peut-être celle du Quotidien du médecin.

La hernie discale de Johnny Hallyday, traitée par la médecine, est également retraitée par tous les médias, jusqu’à en avoir plein le dos.

Le pauvre Johnny, réfugié médical en Californie après avoir été réfugié fiscal en Suisse, est le siège, si l’on peut dire, d’un troupeau de professionnels de la profession de tous poils qui n’en veulent qu’à une info : Johnny est-il très mourant ou un peu beaucoup ?

Les chaînes de télévision s’organisent : des correspondants locaux à l’existence insoupçonnée jusqu’ici apparaissent en direct. Des spécialistes de tout crin donnent leur interprétation extensive des ennuis de santé du chanteur, un peu comme les généraux à la retraite exhibés sur les plateaux du 20h lors des guerres du Golfe détaillaient ceux des fantassins irakiens.

Les rédactions se préparent au pire, c’est à dire qu’elles l’espèrent au mieux. Comme le croquemort dans Lucky Luke, elles prennent déjà les mesures du malade, tissant avec exaltation la « une » qui fera office de linceul médiatique du chanteur au cas où.

Les éditorialistes s’envolent vers les hautes cimes. Certains frisent le nervous breakdown. Denis Jaumin, dans La Nouvelle République, s’illustre, sans que l’on sache s’il s’agit ou non d’une plaisanterie : « On ne conchie pas le drapeau publiquement, pas plus qu’on ne siffle la Marseillaise. On se découvre devant les dames, on se signe dans les églises et – conjointement – on se déchausse dans les mosquées, les bons vins se servent dans un verre à pied, la truite se pêche à la mouche, les camemberts sont meilleurs moulés à la louche etc. La liste de ces recommandations est inépuisable. Il faut en ajouter une autre désormais : on ne traite pas de la santé de Johnny Hallyday à la légère. » Et de celle des pratiquants catholiques et musulmans non plus, d’ailleurs : qu’ils n’essaient pas de se signer et d’enlever leurs chaussures « conjointement », c’est assez casse-gueule.

Tout le monde y va de son explication, ou plutôt de son avis. Dans la grande tradition du procès stalino-médiatique franchouillard. Le chirurgien français de Johnny se voit accusé de tous les maux par l’entourage du chanteur, et même par son Conseil de l’Ordre : ça fait désordre. Son nom : Delajoux, de quoi mériter une bonne claque médiatique. Le producteur de Johnny, Jean-Claude Camus (pas celui du Panthéon, l’autre) parle de « massacre » à propos de l’opération perpétrée par la main de Delajoux. Et de livrer des détails alléchants : « il semblerait que Johnny soit parti sans drain » ! Et j’entends siffler le drain ? Ha non, ça, c’était Richard Anthony.

Chacun se sent concerné. Le présentateur Nikos Aliagas se rend à Los Angeles avec les enfants de Johnny. Louable intention pour une attention maximale. Un chirurgien de la Pitié-Salpêtrière volera dès lundi vers la Cité des anges, à la « demande indirecte de la famille ». Pour faire le point, au cas où les médecins californiens seraient des incapables, on n’est jamais trop prudent : « Faut-il annuler, faut-il ne pas annuler [les concerts prévus]. C’est secondaire par rapport à sa santé, mais c’est important aussi pour pas mal de personnes ». Tout est dit.

C’est donc, avant les soldes, la foire au Johnny ! Cet homme qui se veut « simple », et dont la dignité et la discrétion face à la maladie sont respectables, ne s’appartient plus. Le King du rock hexagonal (et wallon) est devenu la propriété de tous. A l’époque de l’hypermédiatisme aigu, le corps souffrant de Johnny est comme celui du roi sous l’Ancien régime : on l’exhibe. Un jour, peut-être, il sera du pain. Le corps transcendé et réceptacle de l’identité nationale, partagé par tous.

Tout cela en moins d’une semaine. Et heureusement ce n’est que le début de la fin de Johnny…



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Ludovic Lecomte, comme dans Jésus-Christ Rastaquouère, "se déguise en homme, pour n'être rien".

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