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L’homme sans fin ?

La vieillesse, un naufrage ?
La vieillesse, un naufrage ?

Certaines tortues peuvent vivre plusieurs siècles. Adwaita, une tortue géante des Seychelles, récemment décédée, était née vers 1750. Un éléphant rejoindra son cimetière vers 70 ans. La baleine bleue touchera le fond à 80. On a estimé qu’un bosquet d’épicéa découvert en Suède avait près de 8000 ans, grâce à l’analyse de son système racinaire. Un rosier régulièrement taillé atteindra souvent le quart de siècle. Et quid de l’humain ? Il est connu que Jeanne Calment (la doyenne absolue de l’humanité, décédée à l’âge de 122 ans en 1997) a – dans une même vie – rencontré Victor Hugo et Jacques Chirac. Buffon estimait qu’un organisme humain ne pouvait pas dépasser la centaine d’années. Aujourd’hui la donne a changé. Selon l’Insee, en 2050, il pourrait y avoir en France plus de 80 000 centenaires (contre 16 000 en 2005 et seulement une centaine en 1900). De la sorte, une nouvelle classe d’âge apparaît : les « super-centenaires », qui ont dépassé le cap vertigineux des 110 ans. Un âge qui s’approche de la « limite » théorique de la vie humaine, estimée pour le moment à 120 ans. Si un Français sur deux né en 2007 devrait théoriquement atteindre l’âge de 104 ans, la réalité est contrastée suivant l’origine sociale et le sexe des individus. En 2003, par exemple, un ouvrier de 35 ans pouvait espérer vivre encore 41 ans, contre 47 ans pour un cadre supérieur.[access capability= »lire_inedits »]

L’augmentation constante de la durée de la vie humaine a été l’un des arguments forts du débat sur la réforme de la retraite par répartition. Son apparence de bonne nouvelle universelle (mieux vaut une année de plus qu’une année de moins…) a suscité des conclusions discutables. Ainsi, s’il apparaît évident que cet allongement constant de la durée de la vie doit conduire à une refonte du système – qu’il faut mettre en capacité de verser des pensions à de potentiels super-centenaires – l’idée qu’un accroissement de la durée de cotisations (et donc des années de travail) sera comme « compensé » par une vie plus longue est plus difficile à entendre. Le deal paraît douteux, car il repose sur le fantasme d’un « homme sans fin ». Un homme qui – dans les bras d’une médecine toujours plus performante – atteindrait dans de bonnes conditions des âges canoniques. Un homme qui, en somme, devrait accepter de travailler jusqu’à 62, 65 ou même 70 ans, en intégrant la perspective d’une vie de retraité plus longue et plus heureuse. Un homme qui penserait naïvement qu’il pourrait profiter de sa retraite, sur des bases de confort identiques, non plus de 60 à 80 ans, mais de 70 à 90 voire 100 ans…

Regardons les choses en face, et revenons aux chiffres. L’ouvrier de 35 ans que nous avons convoqué tout à l’heure peut espérer vivre encore 41 ans, mais seulement 24 ans sans incapacité. Cette réalité qui fait que le corps s’use, vieillit inexorablement, s’affaiblit, s’autodétruit, est le vice caché de l’optimisme feint des hommes politiques défendant la réforme des retraites. Malgré toute la confiance que l’on peut accorder à la science, l’allongement de la durée de la vie signifie surtout l’accroissement de la dépendance et des maladies chroniques, le développement inexorable des cancers et des maladies neuro-dégénératives. Bref, le bon sens nous oblige à reconnaître tristement que l’étau se resserre nettement plus à 65 ou 70 ans, qu’au début de la soixantaine.

Cette réalité est masquée par la promesse scientiste d’une médecine toute-puissante, qui saurait repousser toujours davantage les limites naturelles de l’humain. Une médecine qui non seulement nous porterait progressivement vers cette limite « théorique » des 120 ans, mais saurait nous assurer un voyage agréable vers ce terminus. Le discours médiatique accompagne ce mythe de l’ « homme sans fin » : les vieillards étant devenus de braves seniors, qui ne finissent pas dans des hospices médicalisés, n’attendent pas douloureusement leur fin sous la canicule ou dans la solitude, mais des post-jeunes qui vivent heureux dans un monde optimiste où ils peuvent boire à la nouvelle fontaine de jouvence qu’est la consommation de masse. Ce mythe de l’ « homme sans fin » est avant tout une négation des réalités du corps humain. Il est certainement dans la logique du moderne de vivre dans de naïfs mythes positifs ou prométhéens, niant des réalités aussi cruellement passéistes que la maladie ou la mort. Pourtant le marketing de l’actuelle réforme ne doit pas nous faire oublier que la tendance de l’homme est de décliner. Ce qui fait tout le sens de la vie, et nous arrache à la condition absurde de Sisyphe en déambulateurs repoussant éternellement le fardeau de leur existence. [/access]

Non, Nicolas Bedos n’est pas antisémite

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De vrais antisémites, il y a en a assez, inutile d’en inventer. C’est en substance la réponse que j’ai faite aux amis et connaissance qui m’ont appelée à la suite de la dernière émission de FOG, « Semaine critique », à laquelle je participe de façon régulière. « Je n’ai pas vu l’émission, mais il paraît qu’il y a eu un dérapage de Nicolas Bedos », m’a dit l’un, qui travaille dans un média juif que je ne citerai pas par charité (forcément chrétienne). « Avant de réagir, je voulais avoir ton sentiment », m’a expliqué l’autre, qui est ce que les Anglais appellent un activiste. Après avoir tenté de les ramener à la raison – et, me semblait-il, y avoir réussi – j’ai totalement oublié l’affaire. Puis j’ai reçu quelques courriels de lecteurs m’engueulant pour ne pas avoir réagi et pire encore, pour avoir rigolé, pendant que le jeune Bedos racontait sa « Semaine mythomane », comme il le fait chaque semaine.

Je découvre pourtant après quelques jours que la « rue juive » est en train de se monter le bourrichon et de se délecter à l’idée d’avoir un nouvel antisémite à se mettre sous la dent. Les mails tournent en boucle, on se téléphone à tout va, le « Bureau National de Vigilance Contre l’Antisémitisme » saisit le CSA en affirmant que « la propagande palestinienne est la source essentielle de l’antisémitisme ». Malheureusement, le BNVCA ne nous dit pas si la « propagande palestinienne » commence dès que l’on est favorable à un Etat palestinien – auquel cas il y aura beaucoup de gens, dont votre servante, à rééduquer. Il ne manque plus que la LICRA et ma mère chérie qui, ouf, ne m’a pas encore appelée pour me demander ce que ça fait de bosser avec un antisémite.

J’appelle Nicolas. Depuis cinq jours il vit un cauchemar. « Ma messagerie est pleine de lettres d’insulte, certains allant, jusqu’à me prétendre de mèche avec cet affreux Dieudonné. Des monstruosités circulent en pagaille sur le web, le site du CRIF parle de mon antisémitisme larvé (moi qui ne suis même pas pro-palestinien). » Je dois dire que cette précision m’a fait hurler de rire. Honte à moi. Serais-je une antisémite qui s’ignore ?

Une précision s’impose. Je n’ai aucune sympathie pour les humoristes professionnels qui jouent les résistants quand ils se contentent d’aller dans le sens du vent. Que ceux qui pensent que je défends Nicolas Bedos par souci de ma carrière se dispensent de lire la suite de ce texte. À ceux qui n’auraient que des doutes à ce sujet, je ferai simplement remarquer qu’ayant été dotée d’un cerveau – grâces en soient rendues à mes chers parents – si j’avais voulu faire carrière, j’en aurais faite une.

À en croire les indignés, Alain Finkielkraut, qui était l’un des invités, et moi-même, aurions dû monter sur nos petits poneys, évoquer les heures les plus sombres de notre histoire et quitter théâtralement la scène[2. Et, en ce qui me concerne, mon emploi, fort précaire au demeurant, l’humeur des princes qui gouvernent notre télévision étant par nature fort changeante]. De fait, comme me l’a dit l’un de mes correspondants pour justifier son inquiétude, Alain Finkielkraut avait l’air consterné pendant le numéro du jeune Bedos. Je confirme. J’imagine qu’il n’a pas adoré les propos de Nicolas. Mais la véritable raison de son accablement est, m’a-t-il confié, qu’il en a assez de voir des humoristes dans toutes les émissions. Il me semble à moi que mon talentueux camarade de jeu n’a pas grand-chose à voir avec Guillon. Son cahier des charges, c’est d’aller à la limite et il y va. Quoi qu’il en soit, malgré l’admiration et l’affection que j’ai pour Rabbi Finkie – loué soit Son nom –, doit-on entrer en guerre à chaque fois qu’il hausse le sourcil ? Et puis quoi, on l’embaume ?

Commençons par la fin. Bien entendu, Nicolas Bedos n’est pas « antisémite, ou antisémite refoulé, ou demi-antisémite, ou quart d’antisémite, ou antisémite inconscient de dans 3 ans qui au fond de lui n’ose le dire consciemment mais qui en fait rêve de voir pendus Patrick Bruel, Primo Levy, Pierre Benichou, Elsa Zylberstein et ce qu’il reste d’Ariel Sharon dans le même sac[3. Malheureusement, ce n’est pas de moi mais de lui.] ». Entre nous, je suis un peu vexée qu’il ne m’ait pas citée mais peut-être ne sait-il pas que je suis juive ? Ou alors cette façon de m’ignorer ostensiblement est la preuve de sa haine des juifs ? Pourquoi Pierre Bénichou et pas Elisabeth Lévy ? T’aimes pas les femmes, c’est ça ? Bingo ! Alors, Nico, sois sympa, la prochaine fois que tu fais une liste de feujs, tu me mets dedans, merde !

Venons-en maintenant au corps du délit. Première partie : « Mercredi je vais voir Elle s’appelait Sarah, énième guimauve utilisant jusqu’à la lie le souvenir de la Shoah afin de renflouer les caisses lacrymales du cinéma français. Après La Rafle, fable extra-lucide qui nous montrait avec audace que les petits juifs étaient finalement beaucoup plus émouvants que les officiers nazis – ce qui m’a surpris – et qui surfait sans complexe sur le fameux devoir de mémoire, devoir de mémoire qui dispense au passage certains cinéastes de faire preuve du moindre talent et leur permet de se hisser vers le million d’entrées en raflant les écoliers d’aujourd’hui pour les parquer de force dans des salles de cinéma pédagogique : pauvres petites têtes blondes ou brunes obligés de chialer devant des mauvais films ! » J’avoue : ce passage m’a fait marrer. C’est mal ? Bon sang, à part la Torah, dîtes-moi ce que les juifs ont apporté à l’humanité de plus important que l’humour ! (Je sais, ils ne sont pas les seuls sur le créneau). Puisque Nicolas m’en donne l’occasion, je me lâche : moi aussi, j’ai horreur de ces films ou livres larmoyants qui n’apprennent rien à personne et permettent au spectateur de jouir de tous les bénéfices du statut victimaire sans courir le moindre risque. Il est facile, surtout quand on est juif, de regarder tout ça avec la rassurante certitude qu’on aurait été du « bon » côté – moralement en tout cas. Toutes les grandes œuvres littéraires ou cinématographiques sur l’Extermination nous disent exactement l’inverse : on ne sait pas et on ne saura jamais comment on se serait comporté. Ne soyons pas des « juifs imaginaires », c’est la pire insulte qu’on puisse faire aux victimes.

Après la Shoah, Israël. « Jeudi, poursuit le chroniqueur mythomane, je fais un nouveau rêve : celui dans lequel je pourrais dégueuler sur Netanyahou et la politique menée par l’Etat d’Israël sans que personne, personne, ne me traite pour autant d’antisémite, ou d’antisémite refoulé, ou de demi antisémite, ou de quart d’antisémite, ou d’antisémite inconscient […], moi qui suis tellement CON que je n’ai pas saisi cette notion très subtile selon laquelle s’indigner devant une politique parfois honteuse, c’est – mais bien sûr- vouloir du mal à tous les juifs de la planète. »

Quand plus personne n’osera parler, nous dira-t-on que ce silence est antisémite ?

Nous voilà au cœur du sujet. Que nous dit Nicolas Bedos ? Qu’on ne peut pas critiquer Israël sans être traité d’antisémite. Sur ce point, il a à moitié tort. Il est absurde d’affirmer qu’on ne peut pas critiquer Israël puisqu’Israël est le pays le plus critiqué et même le plus haï de la planète. Mon petit camarade ne fréquente pas suffisamment l’intelligentsia radicale-chic : il ne sait pas que des gens bien sous tous rapports allant de Stéphane Hessel aux syndicats norvégiens, de Ken Loach à Juan Saramago, profèrent tous les jours des âneries qui, si elles ne sont pas antisémites, sont un permis d’antisémitisme. Nico, tu devrais lire Le Monde Diplo et écouter Mermet, ça va faire de toi un ultra-sioniste.

L’ennui, c’est qu’il a à moitié raison, mon Nico. Je connais pas mal de gens qui n’osent plus dire un mot sur Israël. Et ça, c’est grave. Alors je vous le dis à tous, juifs ou pas, sionistes ou pas : parlez librement ! Dites ce que vous pensez même si vous pensez de travers ! Les juifs qui accusent d’antisémitisme toute personne qui refuse de leur donner l’heure doivent comprendre que cette accusation est terrible, pas seulement parce qu’elle est socialement dangereuse, mais parce qu’elle est moralement insupportable. Admettons que Nicolas Bedos se trompe sur Israël et sur le conflit moyen-oriental, faut-il pour autant coller sur son torse velu[4. vous jure que je n’ai jamais vu son torse, c’est une blague (ce truc qui faisait rire dans l’ancien monde) ! ] la nouvelle lettre écarlate ? À ce compte-là, bientôt, on ne pourra plus respirer. Quand plus personne n’osera dire un mot sur ces sujets qui fâchent, nous expliquera-t-on que ce silence est antisémite ?

Le plus angoissant, dans cette affaire, c’est que les juifs soient aussi cons que les dieudonnistes qui, depuis une semaine, croient avoir acquis Nicolas Bedos à leur sombre cause. Il me faut donc vous livrer la fin de la chronique et essayez de la lire vraiment parce qu’il y a du second degré : « Vendredi, je me réveille à côté d’une silhouette délicieusement sombre, à coup sûr une beauté africaine… J’entre ouvre les rideaux, la personne se retourne : Nom d’un cul c’est Dieudonné !!! Mon pseudo-pro-palestinianisme tardif a du aller un peu trop loin, ça a dû se savoir, l’enculé d’amalgameur s’est aussitôt rappliqué, avant de m’enfourcher avec sa longue épée de facho- anti feuj, me voilà triplement humilié ! Je lui dis : « Fiche moi l’camp, sale Antillais », mais il insiste : « Attends mon Nico, fais moi au moins un p’tit café, je viens de lire ta future chronique pendant que tu dormais, on est d’accord à mort, reviens sous les draps, je vais te présenter à Alain Soral, tu vas voir, il est pas jaloux, on va monter un spectacle qui partira en tournée dans tout le quartier de la goutte d’or… » Je lui dis : « Dégage ! » Je m’étonne un peu que le CRAN n’ait pas réagi à ce « sale Antillais », mais bon, les vigilants ont le droit de se reposer.

Voilà que je me retrouve à devoir faire l’exégète de Nicolas Bedos, avouez qu’il y a plus fun. Alors soyons clairs : toute personne qui n’est pas d’accord avec un juif n’est pas antisémite. Et cessons de réclamer un traitement d’exception pour les juifs. On aurait le droit de se moquer des pédés, des Arabes, des blondes, des noirs et pas des juifs ? Et après, on nous parlera du droit au blasphème et des caricatures du Prophète ? Au secours !

L’antisémitisme n’a pas disparu mais, pardonnez-moi de le dire brutalement, la Shoah est derrière nous. Heureusement. Alors moi, je ne veux pas vivre dans un monde où on n’aura pas le droit de se foutre de la gueule des juifs.

Nicolas, sois gentil : continue ! Si tu dis des conneries, promis, je ne te raterai pas.

* Chez nous, en l’occurrence, signifie chez nous les Français (de toutes origines) et chez nous les juifs (idem).

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Le passage à tabac nuit gravement à la santé

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Il s’appelle Ahmed Marzouki, il est marocain et a passé 18 années dans le bagne de Tazmamart, qui n’entretient que de très lointains rapports avec le Club Med de Marrakech.

Ahmed Marzouki a retracé ses 18 années de bagne dans un livre, intitulé « Tazmamart, cellule 10 » et devait donner une conférence à Bruxelles sur le thème de la « réconciliation » et la situation des Droits de l’Homme dans au pays de Mohamed VI. Mais il n’a pas pu. « Alors que nous marchions dans la rue avec un petit groupe pour nous rendre à la conférence, un homme m’a intercepté par l’arrière, m’a placé un genou dans le dos et m’a fait tomber. Ensuite, les coups ont commencé à pleuvoir de tous côtés et j’ai aperçu une arme blanche », a expliqué M. Marzouki. « Ils m’ont insulté en arabe », a-t-il précisé.

Et oui, la réconciliation, c’est comme le mariage ou le divorce, faut être deux…

Jean Grenelle

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Comme tout Hollandais qui se respecte et s’en tient à ses bataves devoirs, M. Harmenszoon van Rijn – Rembrandt pour les intimes – n’a jamais aimé la France. Il manifesta son aversion dès son plus jeune âge, en naissant le 15 juillet 1606 à Leyde et non pas le 14 juillet à Paris comme tout francophile honnête le fait.[access capability= »lire_inedits »]

C’est donc contraint et forcé que Rembrandt se rendit, en 1631, dans la capitale française. Il connut alors ce que les historiens de l’art appellent sa période « rouge », puis sa fameuse période « blanc ». C’est sa rencontre avec Jean Grenelle qui plongea finalement Rembrandt dans une période « rosé » assez prolifique, puisque les meilleurs spécialistes l’estiment à 5 litres par jour et par personne en moyenne.

Jean Grenelle, représenté ici par l’artiste en robe de chambre, était architecte du roi : au lendemain de la journée des Dupes, il avait été chargé par le cardinal de Richelieu d’aménager les abords de ce qui n’était pas encore le boulevard Saint- Germain. Vu que le quartier ne comptait aucun bistrot et qu’il fallait bien commencer par le commencement, il fit ce que tout architecte royal s’ingénie à faire en pareille occasion : il planta trois hectares de vignes et donna à l’environnement ainsi créé son propre nom. Ainsi naquit ce que l’on appela alors « l’Environnement de Grenelle », qui devint plus tard, par un malencontreux abus de langage, « le Grenelle de l’environnement ».

Rembrandt, Portrait de Jean Grenelle en son environnement, musée du Rable.[/access]

Houellebecq: enfin le Goncourt vint!

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Vous avez remarqué ? Tout le monde se plaint, chez les décideurs, que Houellebecq n’ait pas été couronné avant ! Et exactement dans les mêmes termes, je vous laisse juges.

Le Figaro du mardi 9 novembre : « Houellebecq enfin récompensé au Goncourt. » Le Monde de l’après-midi même : « Michel Houellebecq finalement récompensé par le prix Goncourt ». Même gimmick dans Les Inrocks d’hier : « Enfin, Michel Houellebecq se voit reconnu par les jurés du Goncourt ». Sans parler de Libé : « Les Goncourt accordent enfin leur prix à cet écrivain différent et dérangeant ! ».

Tellement « dérangeant », Michel, que tout ce beau monde sans exception l’acclame en s’exclamant « Enfin ! ». Sauf que c’est l’époque, en quinze ans, qui a glissé vers lui.

Je me souviens du Général

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Je me souviens d’un petit garçon au cours préparatoire. Il rentre chez lui tout seul. L’école n’est pas loin de son domicile et, dans ces années du monde d’avant, les enfants peuvent encore se promener seuls. C’est en novembre 1970. Deux hommes discutent gravement près d’une voiture (une Simca Aronde ? Des pneus bicolores, en tout cas…), garée sur le parking en face de chez lui
– Alors, comme ça, Il est mort ?
Le petit garçon ne comprend pas de qui il s’agit au juste mais il a l’impression bizarre d’entendre une majuscule mise au pronom personnel. Il me semble bien que le petit garçon, c’est moi.

Je me souviens de la phrase mystérieuse de Malraux, parlant des gaullistes : « Entre les communistes et nous, il n’y a rien. » Que voulait-il dire ? Il y a trois possibilités.
a)Entre les communistes et nous, il n’ y a rien de commun. Difficile à admettre, quand on pense à la Résistance et au CNR.
b) Entre les communistes et nous, il n’y a aucune force politique digne de ce nom. C’est possible : la droite française qui n’était pas gaulliste, elle n’était pas franchement très nette. Se souvenir du temps, très long, mis par Giscard, Barre et Poniatowski, à réagir à l’attentat de la rue Copernic, par exemple. Et puis les socialistes, on sait ce que c’est. Vouloir vaseliner le capitalisme, ça n’a jamais donné un destin à un pays.
c) Entre les communistes et nous, il n’y a rien qui nous oppose sur le fond. Quand je vois ce qu’est devenu le paysage politique aujourd’hui, je me dis que c’est sans doute cela que Malraux, l’ancien combattant des Brigades internationales, voulait dire. Il prévoyait sans doute l’époque où gaullistes et communistes seraient les derniers dinosaures républicains dans cette atmosphère ethnolibérale qui est, en France et en Europe, de plus en plus irrespirable aujourd’hui.

Je me souviens en ayant lu De quoi Sarkozy est-il le nom ? de Badiou et de ses analyses sur le « transcendantal pétainiste » qui couraient à travers l’histoire de France de Thiers à nos jours, et m’être dit que c’était trop facile. Qu’il y avait aussi un transcendantal gaulliste qui consistait à être capable d’ouvrir le feu, même en position défavorable, au nom d’une idée supérieure qu’on se fait de la nation et de ce qu’elle suppose comme modèle de civilisation.
Exemples de transcendantal gaulliste, hors son incarnation archétypale du 18 juin 40 : Vercingétorix à Gergovie, Jeanne d’Arc sous les murs d’Orléans, les soldats de l’an II encadrés par une poignée d’officiers aristocrates à l’assaut du moulin de Valmy, le colonel Rossel restant fidèle jusqu’à la mort au gouvernement de la Commune, le discours de Villepin à l’ONU de 2003, le référendum de 2005 sur la Constitution Européenne, le mouvement social de 2010. Le transcendantal gaulliste, ou le refus de la fatalité et du diktat des experts autoproclamés. Ils lui auraient donné assez peu de chances de réussir, à la bergère lorraine ou au général rebelle condamné à mort, tous nos spécialistes, analystes et commentateurs si brillamment médiatiques.

Je me souviens de mon père qui me disait : « Le de Gaulle de 40 tant que tu veux, celui de 58 jamais. » Il avait voté non au référendum de 58. C’était même la première fois qu’il votait. Cette vieille dent des communistes contre la Cinquième République et l’élection du président au suffrage universel. Je n’ai jamais osé dire que le suffrage universel, c’était peut-être nous qui en profiterions un de ces jours. Ça s’était vu au Chili en 1971. Bon, ça s’était mal terminé deux ans plus tard, mais qui a dit que l’Histoire n’était pas tragique ? Pas De Gaulle en tout cas.

Je me souviens d’avoir trouvé que l’exécution de Bastien Thiry, ça manquait de fair-play. On aurait bien aimé que général ait pour le lieutenant-colonel la clémence d’Auguste pour Cinna.

Je souviens que le SAC, avant de devenir une banale milice électorale au service de la droite des années 1970 et de faire les beaux jours des films d’Yves Boisset, avait d’abord été une police parallèle de barbouzes républicaines, tous anciens résistants, pour protéger le Général des soldats perdus de l’OAS. Une époque de géants, tout de même, où il y avait comme l’écrit La Rochefoucauld : « des héros en Bien comme en Mal. »

Je me souviens de La Boisserie, du champagne Drappier, des DS noires alors que j’espère assez vite oublier le cap Nègre, les Rolex et Carla Bruni.

Je me souviens que De Gaulle à l’Elysée payait ses timbres de sa poche quand il envoyait ses vœux à ses proches. Ça fait sourire, non ? À moins que ça ne fasse pleurer.

Je me souviens qu’en 1967, la France avait quitté l’OTAN depuis un an, s’apprêtait à rejoindre les non-alignés et que le général Ailleret était l’inspirateur de la doctrine « tous azimuts » qui consistait à pointer les missiles de notre dissuasion nucléaire vers l’Est ET vers l’Ouest. Je me souviens que le général Ailleret est mort dans un mystérieux accident d’avion à Tahiti en mars 68. Et que quelques semaines plus tard sont arrivés en Mai des événements qui ont arrangé tout le monde : les Américains, la droite affairiste pompidolienne qui ne voulait pas de la participation, les gauchistes qui voulaient la peau du PCF, les socialistes qui espéraient ramasser la mise.

Je me souviens d’avoir acheté un CD avec les principaux discours de De Gaulle. Mon préféré : le discours de Phnom-Penh en 1966. Penser à donner le texte sans signature à quelques personnes pour faire une « dégustation à l’aveugle ». Et demander si c’est de Chavez, de Guevara ou de De Gaulle. Bien rigoler en entendant les réponses. Je me souviens que Frédéric Fajardie, ex du service d’ordre des Comités Viêt-Nam de Base, me racontait comment ils avaient eu, eux les maos, l’étrange impression d’être doublés sur leur gauche par le vieux général.

Je me souviens du meeting lillois de la campagne de Chevènement en 2002, quand en première partie se sont succédé le député communiste du Pas de Calais qui était arrivé bleu de travail à l’Assemblée nationale quand il avait été élu député en 1997 et Pierre Lefranc, l’aide de camp du général de Gaulle. Le vieux cyrard et le prolo, ensemble contre l’Europe libérale.

Je me souviens que j’ai toujours un petit coup au cœur quand je parcours la rubrique nécrologique des journaux et que je vois qu’un Compagnon de la Libération a encore tiré sa révérence.

Je souviens d’avoir été tout de même un petit peu énervé quand j’ai vu et entendu les cris de cabris et les sauts d’orfraie, à moins que ce ne soit le contraire, de certains professeurs de lettres quand ils ont appris que Les Mémoires de Guerre étaient au programme des épreuves du bac de français. Ne pas voir qu’un incipit comme : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France » n’a rien à envier à Longtemps je me suis couché de bonne heure ou : « Aujourd’hui, maman est morte. », c’est à ces choses-là qu’on mesure les dégâts de décennies de pavlovisme pédagogiste.

Je me souviens que les gens qui n’aiment pas De Gaulle (sauf ceux qui ont de bonnes raisons comme les Pieds Noirs et les Harkis) ont deux arguments : il a fait croire que toute la France était résistante. Quand bien même ce serait une fiction (mais il faudra l’expliquer aux derniers Français libres vivants), c’est une fiction qui a changé le réel et nous a évité de passer sous administration américaine. C’est donc une fiction qui a réussi. Ce qui est une bonne définition de la politique. Et aussi, qu’il aurait entretenu la France dans l’idée qu’elle était encore un grand pays alors que ce n’était plus qu’une puissance moyenne.
Qu’ils se rassurent, ceux-là, qui aiment l’automutilation décliniste tant qu’elle ne gêne pas leur hédonisme libéral libertaire, ils finissent par avoir raison ces temps-ci. Plus le gaullisme disparaît comme force politique opérante, plus la France ressemble à une petite Autriche hargneuse et névrosée, à un pays de vieux et à une remorque atlantiste des USA, qui va bricoler ses nouvelles bombes avec le Royaume Uni, ce porte-avion de Washington.

Je me souviens que Dominique de Roux écrivait dans L’écriture de Charles de Gaulle, en 67 : « La mission actuelle de la France, l’accomplissement final du destin gaulliste, c’est de faire que la troisième guerre mondiale se porte, non pas sur le plan de la dévastation, mais sur le plan du salut, non pas sur le plan d’un embrasement universel, mais sur celui de la pacification. »

Je me souviens que si je n’avais pas été communiste, j’aurais été gaulliste.

Clichy sa mère !

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En 2010, Cameron Mackintosh a donné à Paris une nouvelle version de la comédie musicale Les Misérables.
En 2010, Cameron Mackintosh a donné à Paris une nouvelle version de la comédie musicale Les Misérables.

De Libération au Figaro, les grands journaux commémorent le cinquième anniversaire des émeutes d’octobre 2005. Tous ou presque rivalisent de génuflexions face à la sacro-sainte « question des banlieues ». Troquant l’immigré contre le prolo, l’immense majorité des médias se polarise sur les banlieues pour dessiner le visage d’une France qui souffre. C’est pourtant faire peu de cas de la réalité sociale, dixit Christophe Guilluy, géographe émérite qui n’hésite pas à braver les Goliath de la victimisation sélective.

Dans Fractures françaises, loin des clichés germanopratins, il peint la France des classes populaires précarisées. Qui n’habitent pas Clichy-sous-Bois et n’incendient pas de gymnase sous les yeux des caméras. Vae victis.[access capability= »lire_inedits »]

Itinéraire d’un mal-cherchant

L’homme avait déjà fait grand bruit à un colloque de la Fondation Res Publica en révélant que plus de 80 % de la pauvreté et du chômage en France se situaient hors des banlieues, essentiellement dans des zones pavillonnaires et rurales peu prisées par le Landerneau. Il faut dire qu’hormis Jean-Pierre Pernaut et son JT en carton-pâte, les mass media desquament le paysage français de ses peaux mortes rurales. En témoigne la carte des Zones d’éducation prioritaire (ZEP) qui ne coïncide que partiellement avec celle des zones socialement défavorisées. Dans les faits, l’administration pratique d’ores et déjà la discrimination positive sur critères ethniques. Accusée à tort de parquer les populations d’origine immigrée dans des ghettos, elle ethnicise sciemment les rapports de classes en assistant prioritairement les zones d’immigration récente. Après avoir proposé un maillage plus rigoureux aux pouvoirs publics, Guilluy s’était vu rétorquer : « L’objectif du ministère de la Ville n’était pas de traiter de la pauvreté ni du chômage… » (sic)

Contre le mythe de la banlieue

Un chiffre à méditer : les Zones urbaines sensibles (ZUS) n’abritent que 7 % de la population française. Ce qui n’empêche pas Guilluy de reconnaître la malheureuse conjonction entre un taux de chômage de 8 points supérieurs à la moyenne nationale et une insécurité à la fois physique, culturelle et sociale. Si l’on s’en tient au brouhaha médiatique, la banlieue serait le réceptacle des « jeunes » depuis trente ans, comme si elle demeurait le seul espace où l’on ne vieillissait pas ! Quant au mythe des banlieues-ghettos, il ne tient pas lorsqu’on examine les chiffres du taux de mobilité. À plus de 60 %, il en fait les zones les plus mobiles de France.

Et pour cause : si la banlieue cumule les difficultés, c’est avant tout en raison d’un grand banditisme et d’une délinquance quotidienne qui minent le bon fonctionnement de l’Etat de droit. Même la droite sarkozyste, chantre de la RGPP, favorise les cités au détriment des campagnes dans l’offre de services publics. Guilluy précise qu’on est mille fois moins bien pourvu en équipements publics à Verdun que dans certaines banlieues parisiennes réputées « défavorisées ».

Si les banlieues affichent un tel taux de mobilité, si l’immigration récente fait tout pour la fuir sitôt qu’elle en a les moyens, quitte à sacrifier son pouvoir d’achat en achetant une petite maison de campagne, c’est bien que malaise il y a. L’insécurité physique et la dégradation des services publics par de jeunes sauvageons déstructurés ne doivent pas cacher le vrai fond du problème : un malaise dans la culture.

Le multiculturalisme des riches

Nos élites restent désespérément « croyantes mais non pratiquantes » en un multiculturalisme idéalisé. À l’image du navrant Raphaël crachant le peuple, la générosité tous azimuts est d’autant plus facile à défendre pour ceux qui n’en subissent pas les conséquences. Bien lotie en centre-ville, l’hyperclasse mondialisée extrapole sa vision biaisée de l’immigration. En trente ans, la classe ouvrière a déserté les villes, chassée par la désindustrialisation et la spéculation immobilière. Cet exode urbain laisse les grandes métropoles entre les mains de la bourgeoisie et d’une population d’immigrés récents qui lui fournissent une main-d’œuvre précaire, parfois illégale, souvent corvéable à merci.

Dans un « boboland » comme le XXe arrondissement de Paris, il n’est pas rare de voir juxtaposés des immeubles bourgeois et des taudis d’immigrés, les sans-papiers servant régulièrement de nounous payées au black. De là, rien d’étonnant à ce que l’électorat bourgeois de gauche idéalise la coexistence avec des groupes d’implantation récente. Nulle concurrence sur le marché du travail parisien, nulle cohabitation dans un même immeuble : au sein du voisinage, les sphères de vie restent séparées et les moutards bien gardés. À Ménilmontant, les bars branchés voisinent avec des librairies islamiques, mais pour combien de temps ? Dans dix ou quinze ans, si l’Etat continue à perdre du terrain, parions que les bobos hédonistes voteront pour un(e) Geert Wilders français(e).

Du rouge au bleu Marine : un destin inéluctable ?

Dans les ex-banlieues rouges, les ouvriers du tertiaire fuient le multiculturalisme tant vanté par ceux qui ne le subissent pas. Il n’y a aucun racisme là-dedans. Ni caricature à évoquer l’islamisation rampante de quartiers entiers où les voiles et boucheries musulmanes font florès, au grand dam des immigrés assimilés et autres libres-penseurs.

D’où, selon Guilluy, la transhumance de l’électorat populaire sur les terres du vote frontiste : « La perte de crédibilité de la gauche en milieu populaire est pour partie la conséquence de son incapacité à prendre en compte la demande de catégories populaires de plus en plus sensibles à l’insécurité sociale mais aussi culturelle, provoquée par la mondialisation économique et son corollaire, l’intensification des flux migratoires. »

N’en déplaise aux antifascistes de broussaille, le succès du site Fdesouche ou la popularité de Marine Le Pen s’expliquent avant tout par l’incurie des partis traditionnels qui persistent dans une stratégie de l’orfraie. À gauche, n’importe quel tribun qui dénoncerait les ravages de la mondialisation et de son pendant multiculturel raflerait la mise. À bon entendeur…[/access]

Fottorino, la faute à qui ?

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En remettant, le 4 novembre 2010, les clés de la maison Le Monde à ses nouveaux propriétaires, le trio Bergé-Niel-Pigasse allié au groupe de presse espagnol Prisa, Eric Fottorino a rédigé un éditorial qui a fait quelque bruit dans le landerneau médiatique parisien.
Il ne s’est en effet pas contenté de l’exercice classique en ce genre de situation, consistant à rassurer des lecteurs inquiets pour l’avenir de leur quotidien préféré et à se présenter en garant de la continuité éditoriale et éthique du journal qui se veut de référence. Au contraire, il s’est livré à une sévère critique des choix économiques et éditoriaux du Monde depuis la fin des années soixante-dix. Tous ses prédécesseurs en prennent pour leur grade, sans être désignés par leur nom, ce qui est quelque peu hypocrite. Décryptons donc.

Jacques Fauvet est montré du doigt pour son soutien inconditionnel au programme commun de la gauche jusqu’en 1981. André Fontaine se voit reprocher d’avoir imprudemment investi des sommes énormes dans une nouvelle imprimerie, au détriment du renouvellement et de l’amélioration de l’offre éditoriale, notamment le week-end. Mais le plus gros paquet est livré franco de port au duo Colombani-Plenel, aujourd’hui séparé, et faisant désormais site à part sur la toile. « A l’orée des années 2000, Le Monde s’est lancé dans une stratégie d’acquisitions coûteuse et hasardeuse, quand bien même elle a permis de jeter les bases d’un groupe de presse avec des titres prestigieux comme Télérama et Courrier international. Cette politique a trouvé ses limites et, en 2005, Le Monde a dû procéder à une recapitalisation qui a propulsé Lagardère et Prisa dans le capital du groupe (à hauteur respectivement de 17,27 % et de 15,01%). Dès 2002 et 2003, Le Monde avait dû émettre pour 69 millions d’euros d’ORA (obligations remboursables en action) qui ont d’autant grevé son bilan en creusant sa dette future. Au même moment, notre journal s’est installé dans les locaux du boulevard Auguste-Blanqui en payant des loyers considérables. Entre-temps, la vente du patrimoine immobilier des Publications de la Vie catholique et l’aspiration brutale de leurs bénéfices ont rendu difficile l’émergence d’une culture commune. »

Voilà pour la politique consistant à agrandir le périmètre du groupe par l’endettement et la vampirisation d’entreprises prospères comme le groupe Midi Libre et les publications la Vie catholique au profit d’un Monde en déficit chronique. Ce qui fait dire à quelques esprits moqueurs que Minc et Colombani ont suivi le modèle des révolutionnaires de 1789 en s’emparant des biens du clergé pour les transformer en assignats…
Les errements rédactionnels sont cloués au pilori sans ménagements : « Sans remonter trop loin, Le Monde des années 1980 fut sévèrement sanctionné par ses lecteurs pour son soutien inconditionnel au gouvernement et aux idées de l’Union de la gauche. Le fort penchant du Monde en faveur d’Edouard Balladur en 1995 lui fut très préjudiciable. Comme ses écrits exagérément favorables à Nicolas Sarkozy au mitan des années 2000, avant de prendre position pour Ségolène Royal.
Un journal qui s’était un temps donné pour mission de faire trembler le CAC 40, qui a parfois abusivement entretenu la suspicion envers les pouvoirs politique et économique, ne pouvait qu’en payer le prix. Que de leçons données! Que de personnalités injustement malmenées, semoncées voire jugées dans nos colonnes! L’erreur fut souvent de prendre nos excès pour l’expression de l’indépendance, quand ils n’étaient qu’insignifiance.
»

En la matière, Fottorino aurait pu remonter plus loin dans le temps et rappeler au bon souvenir du dernier carré des fidèles du Monde que ce journal, du temps de sa splendeur, entretenait à Pékin un correspondant professant un maoïsme délirant le poussant à se faire le chantre enthousiaste de la Grande révolution culturelle prolétarienne… Il aurait pu également rappeler, que dans leur grande mansuétude, les dirigeants du Monde ont passé l’éponge sur des manquements à l’éthique et des fautes professionnelles graves commises par des journalistes promis ensuite à un bel avenir[1 Je ne donne pas de noms, car il y a prescription]. Ceux-là n’auraient pas tenu plus d’une heure après la découverte de leurs méfaits dans un quotidien équivalent aux Etats-Unis.

Un mea culpa sur la poitrine des autres

Oui, Fottorino a raison, et ce ne sont pas les cris d’orfraie poussés par Jean-Marie Colombani sur le site de L’Express pour fustiger «l’indignité» de son successeur qui pourront effacer ces vérités de fait. Par ailleurs entendre Colombani parler de «combinazione» pour évoquer les circonstances de son éviction de la direction du Monde en 2007 peut prêter à sourire, voire à la franche rigolade quand on connaît ses manœuvres, exposées et dénoncées par son ex-spadassin Alain Rollat[2. Alain Rollat « Ma part du Monde. Vingt-cinq ans de liberté d’expression » Les éditions de Paris] pour torpiller l’élection de Daniel Vernet à la direction du journal, et dynamiter le fauteuil de son prédécesseur Jacques Lesourne… En la matière, Jean Marie Colombani sera audible le jour où il aura rendu public le montant de ses indemnités de départ et celui de la soulte qu’il a exigée, par intermédiaire d’avocats, lors de la revente du groupe Midi Libre…

Mais il ne suffit pas d’avoir raison, encore faut-il être en position légitime pour que cette vérité soit admise par ceux à qui on prétend s’adresser, à plus forte raison quand ce mea culpa s’exerce principalement sur la poitrine des autres. Colombani, et les quelques 75 journalistes du Monde qui ont signé une lettre de protestation contre cet éditorial ont beau jeu de rappeler que pendant que se commettaient les forfaits économiques et journalistiques qu’il dénonce, Eric Fottorino n’avait pas manifesté de désaccords ouverts avec une direction l’ayant promu à des postes de responsabilité importants… Son refuge dans l’écriture de fiction, qui lui a valu quelques beaux succès littéraires, suffisait peut-être à calmer ses doutes et ses colères rentrées…

J’ai eu personnellement la chance de pouvoir quitter ce journal dont je désapprouvais les orientations dictées par Colombani et Plenel, car j’avais l’âge me permettant de partir dans de bonnes conditions. Je l’ai fait sans bruit, parce que j’avais contribué, de ma place, à la mise en œuvre de méthodes de travail contestables, ne serait-ce qu’en évitant de les dénoncer. D’autres se sont esquivés discrètement, gardant par devers eux leurs idées sur ce qu’était devenu leur Monde et ils ont eu raison.

Il existe un «roman d’entreprise», comme il existe un «roman national» qui sert de ciment entre les générations qui se succèdent. Il n’appartient pas à son dépositaire de jouer à l’historien déconstruisant les mythes du passé : à lui de faire l’Histoire, en en écrivant si possible une page honnête, sinon glorieuse, à d’autres de porter sur le passé du journal des jugements qui ne puissent être confondus avec des règlements de compte.

Ozon est arrivé !

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C’est ce mercredi que sort Potiche, le nouveau film de François Ozon. Je vous préviens au cas où vous seriez rentré hier soir très tard d’un trek en Ouzbékistan, ou bien si vous vous êtes réveillé ce matin d’un coma prolongé. Sinon, aucune chance d’échapper à cette promo encore plus envahissante que celle d’Asterix chez les Ch’tis ou genre. Ainsi mal m’en a pris de vouloir m’informer de la météo de la semaine qui, le dimanche soir, est diffusée après le JT sur les grandes chaines. Première tentative sur France2. Là, manque de bol, la fin du 20 heures était squattée par l’abominable Deneuve qui disait tout le bien qu’il fallait penser de Potiche, et donc de sa forcément sublime prestation en survet’.

Comme j’allais pas casser ma télé presque neuve, je zappe illico sur la Une avant le nervous breakdown. Là, toujours pas de météo de la semaine, mais Fabrice Luchini et Karine Viard en train de faire la promo de devinez-quoi. Certes, c’était beaucoup plus rigolo que la séance de cire-pompes de la Deux, mais quand même on se serait cru dans le scopitone de Zorro est arrivé où Henri Salvador a beau cliquer sur toutes les touches de sa télé (c’était avant l’invention de la zapette), il retombe toujours sur le même programme :
« Mais moi j’en avais tellement marre
J’ai repris la première chaîne
Et devant mes yeux, mes yeux hagards
Se déroulait la même scène »

Quand on sait que TF1 et France2 se livrent à toute heure et sur tous les terrains une guerre totale, il faut donc en déduire qu’Ozon est l’exception qui confirme la règle. Une exception culturelle, bien sûr.

La solidarité, un supplément d’AME ?

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L’idée serait en somme de se tenir à mi-chemin entre la présomption de fraude et la naïveté. Car il y a cette position-réflexe dont une certaine droite devrait apprendre à se méfier : la certitude inébranlable que toute prestation sociale fait l’objet d’une fraude endémique. Cette position se dispense de preuve : établi ou non, c’est un fait. Et ça ne s’arrange pas si le spoliateur se pique en outre d’être métèque. À dire vrai, je comprends : des étrangers investissant la France pour y abuser de notre générosité un poil forcée par l’Etat, s’abreuvant du dur fruit de notre labeur quotidien, et égorgeant au passage nos fils nos compagnes, moi aussi, ça me donne envie d’entonner quelque chant guerrier. Qu’un sang impur ne nous les broute !

Cyril Bennasar est à cet égard un défenseur scrupuleux de nos sillons. Celui qui gère le flanc droit-droit de Causeur l’écrit tout de go : « comme toutes les aides sociales, ce dispositif constitue une incitation à l’immigration illégale. » C’est sommaire, et c’est pour ça que ça marche.

Qu’on ne s’étonne pas alors que le reste du propos soit de la même eau. Il se double d’une rhétorique toute bessonienne : la France reste le pays le plus généreux du monde avec les étrangers, venez pas nous gonfler. C’était bon avec les Roms, ça le reste avec l’AME. Ah mes aïeux, la belle prouesse rhétorique que voilà : se prévaloir de la générosité de la France pour s’employer à la rogner.

L’initiative de quelques vibrions parlementaires – qu’ils soient de La Droite Populaire tel Dominique Tian ou personnellement sensibilisés au sort des sans-papiers, à l’instar de Claude Goasguen, député du XVIème arrondissement de Paris – est pourtant déplorable. Il est politiquement attristant de voir cette droite céder à la grosse ficelle qu’est l’incrimination de l’étranger en temps de crise. C’est un singulier manque d’originalité comme de recul sur l’Histoire. C’est aussi un manque d’ambition tant il plus facile de pointer l’étranger que de construire la France.

Mais notre menuisier boit les paroles des contempteurs de l’AME comme du petit lait : « comme on pouvait s’y attendre, le système dérape, victime de dérives, de fraudes et d’abus ». Et de fait, la désapprobation de principe ci-dessus exprimée serait bien insuffisante, si la fraude endémique était effectivement avérée. Pourtant, comme Roselyne l’a maintes fois rappelé officiellement, « l’audit réalisé conjointement par l’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) en février 2007 sur le dispositif de l’aide médicale de l’État (AME) a clairement montré que la gestion était maîtrisée ». Du coup voilà : si je maintiens, juré craché, que je suis disposé à former mes bataillons pour traquer cet étranger qui vient – jusque dans nos bras ! – escroquer notre système social, je veux plus que quelques allégations générales pour dénoncer la prétendue gabegie de l’AME.

Mais, fan de Tian, Bennasar, lui, assène sans critique ses affirmations, partisanes par nature : 50% des dossiers d’AME seraient faux. Pourtant la même ministre a déjà répondu tout aussi officiellement, sur les bancs de l’Assemblée, que ce taux portait sur des dossiers ayant fait l’objet d’un signalement, donc déjà suspects : « quand les organismes considèrent qu’il y a suspicion de fraude, ils exercent des contrôles qui, à 49 %, un sur deux simplement, s’avèrent positifs : ce ne sont donc pas 49 % des bénéficiaires de l’AME qui sont des fraudeurs ». Tian, Goasguen et Bennasar devraient déjà repartir la queue entre les jambes au seul énoncé de cette rectification.

Après les stats, il y a les anecdotes croustillantes, pour convaincre. Cyril Bennasar mentionne un article de Libération « paru il y a quelques semaines », et qui rapporterait ce cas d’une fécondation in vitro d’une femme camerounaise payée à l’AME. La précision vise à donner une autre acuité à cet exemple, mais foin de « quelques semaines » pourtant : sauf à considérer que 130, c’est encore « quelques », l’article en question date… du 24 janvier 2008. Il s’agit du même article que celui que « Thierry Mariani n’en finit pas de citer », comme le rapporte Le Figaro. Une telle aubaine, tu parles… Mais pourtant cet article ne rapporte pas le cas d’une fécondation faite par-dessus la jambe, mais détaille les hésitations, les doutes, et la longueur de la procédure qui a en effet débouché sur une autorisation contestable. Et le fait de ne pouvoir citer qu’un exemple intervenu il y a deux ans et demi n’en dit-il pas assez long sur la rareté de ces cas ?

Bougez pas : il y a aussi le cas de cet Egyptien qui demandait une opération de reconstruction d’un doigt, coupé il y a longtemps. Mais les mêmes qui rapportent ce cas indiquent aussi que l’opération lui a été refusée. Si un Africain venait à demander qu’on lui « enlarge son penis » comme on nous le propose si souvent, et qu’on lui refuse, faudra-t-il compter cela parmi les dérives du système ?

Dernière fable à votre attention : les cures thermales. Bonne Mère… Ils devraient être tout rouge d’oser cela. Ou le dire à voix basse, l’écrire tout petit. Que les curistes de mes lecteurs apportent leur témoignage sur le nombre de sans-papiers croisés à Evian, Vittel ou Eugénie-les-bains. Que Tian, Mariani, Goasguen ou Bennasar me soutiennent en face qu’ils accourent en masse d’Afrique jusqu’à Dax, déjouant les périls et les contrôles de la police française pour se faire masser les fesses aux frais de la princesse.

L’AME, c’est 46 fois moins que le déficit de la Sécu

Viennent les chiffres : 540 millions, c’est vrai que c’est une somme. Elle est à comparer au déficit de la Sécu, 46 fois supérieur. Ou au budget de la Sécu, 727 fois supérieur. On supprimerait l’AME qu’on ne s’en rendrait pas compte.

Une fois les ressentis personnels écartés, il faut aller lire les gens sérieux. Et le rapport de l’IGAS de 2007 se lit vite. On y apprend que « L’AME représente une dépense d’environ 400 M€ par an [qui est] mal maîtrisée seulement en apparence » (pages 14 à 18), le lissage de certains effets statistiques amenant à constater une certaine stabilité des dépenses. On y lit que cette population privilégiée qui se goberge avec mes impôts, est touchée à hauteur de 19 fois plus par le SIDA. 10 fois plus par l’hépatite C. Que les étrangers sont 15 fois plus touchés par la tuberculose que les Français. Loin des énoncés péremptoires, on y trouve détaillées aussi les maigres économies attendues de la mise en place d’un ticket modérateur, compte tenu des lourds frais de gestion qu’elle entraînerait. Et on y lit enfin que les fécondations in vitro ne font pas débat puisque, bien qu’en nombre « très limité », les personnes auditionnées par la mission les citaient déjà comme devant être exclues du panier de soins.

Alors, ok, ce n’est peut-être pas son âme que perd la France en restreignant l’accès aux soins aux sans-papiers. C’est plus au niveau du ciboulot que ça ne tourne pas rond. Car la santé publique pourrait, elle, y perdre beaucoup, si cette population se faisait diagnostiquer le SIDA, l’hépatite C, ou la tuberculose à un stade plus avancé. Et, s’il faut parler pépettes, ce ne serait pas sans conséquences financières.

Elle n’y perd pas son âme mais elle y perd bien la tête car les députés ont en fin de compte voté à grand bruit… une disposition existante : le principe du ticket modérateur figure dans la loi de finances rectificative pour 2002 (article 57). Claude Goasguen était déjà là. Dominique Tian aussi. Ma main à couper qu’ils l’avaient déjà votée ! Simplement, les décrets d’application ne sont jamais venus parce qu’au-delà des rodomontades politiques, la mise en oeuvre de cette participation financière s’avère compliquée et, in fine, onéreuse.

Non, la France ne perd pas son âme. Mais elle a des bleus à l’âme quand, avec force moulinets, ses députés, votant des lois inutiles, ne font que s’abimer dans une gesticulation politicienne grossière autour de cette idée recuite que l’étranger nous mange la laine sur le dos.

L’homme sans fin ?

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La vieillesse, un naufrage ?
La vieillesse, un naufrage ?
La vieillesse, un naufrage ?
La vieillesse, un naufrage ?

Certaines tortues peuvent vivre plusieurs siècles. Adwaita, une tortue géante des Seychelles, récemment décédée, était née vers 1750. Un éléphant rejoindra son cimetière vers 70 ans. La baleine bleue touchera le fond à 80. On a estimé qu’un bosquet d’épicéa découvert en Suède avait près de 8000 ans, grâce à l’analyse de son système racinaire. Un rosier régulièrement taillé atteindra souvent le quart de siècle. Et quid de l’humain ? Il est connu que Jeanne Calment (la doyenne absolue de l’humanité, décédée à l’âge de 122 ans en 1997) a – dans une même vie – rencontré Victor Hugo et Jacques Chirac. Buffon estimait qu’un organisme humain ne pouvait pas dépasser la centaine d’années. Aujourd’hui la donne a changé. Selon l’Insee, en 2050, il pourrait y avoir en France plus de 80 000 centenaires (contre 16 000 en 2005 et seulement une centaine en 1900). De la sorte, une nouvelle classe d’âge apparaît : les « super-centenaires », qui ont dépassé le cap vertigineux des 110 ans. Un âge qui s’approche de la « limite » théorique de la vie humaine, estimée pour le moment à 120 ans. Si un Français sur deux né en 2007 devrait théoriquement atteindre l’âge de 104 ans, la réalité est contrastée suivant l’origine sociale et le sexe des individus. En 2003, par exemple, un ouvrier de 35 ans pouvait espérer vivre encore 41 ans, contre 47 ans pour un cadre supérieur.[access capability= »lire_inedits »]

L’augmentation constante de la durée de la vie humaine a été l’un des arguments forts du débat sur la réforme de la retraite par répartition. Son apparence de bonne nouvelle universelle (mieux vaut une année de plus qu’une année de moins…) a suscité des conclusions discutables. Ainsi, s’il apparaît évident que cet allongement constant de la durée de la vie doit conduire à une refonte du système – qu’il faut mettre en capacité de verser des pensions à de potentiels super-centenaires – l’idée qu’un accroissement de la durée de cotisations (et donc des années de travail) sera comme « compensé » par une vie plus longue est plus difficile à entendre. Le deal paraît douteux, car il repose sur le fantasme d’un « homme sans fin ». Un homme qui – dans les bras d’une médecine toujours plus performante – atteindrait dans de bonnes conditions des âges canoniques. Un homme qui, en somme, devrait accepter de travailler jusqu’à 62, 65 ou même 70 ans, en intégrant la perspective d’une vie de retraité plus longue et plus heureuse. Un homme qui penserait naïvement qu’il pourrait profiter de sa retraite, sur des bases de confort identiques, non plus de 60 à 80 ans, mais de 70 à 90 voire 100 ans…

Regardons les choses en face, et revenons aux chiffres. L’ouvrier de 35 ans que nous avons convoqué tout à l’heure peut espérer vivre encore 41 ans, mais seulement 24 ans sans incapacité. Cette réalité qui fait que le corps s’use, vieillit inexorablement, s’affaiblit, s’autodétruit, est le vice caché de l’optimisme feint des hommes politiques défendant la réforme des retraites. Malgré toute la confiance que l’on peut accorder à la science, l’allongement de la durée de la vie signifie surtout l’accroissement de la dépendance et des maladies chroniques, le développement inexorable des cancers et des maladies neuro-dégénératives. Bref, le bon sens nous oblige à reconnaître tristement que l’étau se resserre nettement plus à 65 ou 70 ans, qu’au début de la soixantaine.

Cette réalité est masquée par la promesse scientiste d’une médecine toute-puissante, qui saurait repousser toujours davantage les limites naturelles de l’humain. Une médecine qui non seulement nous porterait progressivement vers cette limite « théorique » des 120 ans, mais saurait nous assurer un voyage agréable vers ce terminus. Le discours médiatique accompagne ce mythe de l’ « homme sans fin » : les vieillards étant devenus de braves seniors, qui ne finissent pas dans des hospices médicalisés, n’attendent pas douloureusement leur fin sous la canicule ou dans la solitude, mais des post-jeunes qui vivent heureux dans un monde optimiste où ils peuvent boire à la nouvelle fontaine de jouvence qu’est la consommation de masse. Ce mythe de l’ « homme sans fin » est avant tout une négation des réalités du corps humain. Il est certainement dans la logique du moderne de vivre dans de naïfs mythes positifs ou prométhéens, niant des réalités aussi cruellement passéistes que la maladie ou la mort. Pourtant le marketing de l’actuelle réforme ne doit pas nous faire oublier que la tendance de l’homme est de décliner. Ce qui fait tout le sens de la vie, et nous arrache à la condition absurde de Sisyphe en déambulateurs repoussant éternellement le fardeau de leur existence. [/access]

Non, Nicolas Bedos n’est pas antisémite

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De vrais antisémites, il y a en a assez, inutile d’en inventer. C’est en substance la réponse que j’ai faite aux amis et connaissance qui m’ont appelée à la suite de la dernière émission de FOG, « Semaine critique », à laquelle je participe de façon régulière. « Je n’ai pas vu l’émission, mais il paraît qu’il y a eu un dérapage de Nicolas Bedos », m’a dit l’un, qui travaille dans un média juif que je ne citerai pas par charité (forcément chrétienne). « Avant de réagir, je voulais avoir ton sentiment », m’a expliqué l’autre, qui est ce que les Anglais appellent un activiste. Après avoir tenté de les ramener à la raison – et, me semblait-il, y avoir réussi – j’ai totalement oublié l’affaire. Puis j’ai reçu quelques courriels de lecteurs m’engueulant pour ne pas avoir réagi et pire encore, pour avoir rigolé, pendant que le jeune Bedos racontait sa « Semaine mythomane », comme il le fait chaque semaine.

Je découvre pourtant après quelques jours que la « rue juive » est en train de se monter le bourrichon et de se délecter à l’idée d’avoir un nouvel antisémite à se mettre sous la dent. Les mails tournent en boucle, on se téléphone à tout va, le « Bureau National de Vigilance Contre l’Antisémitisme » saisit le CSA en affirmant que « la propagande palestinienne est la source essentielle de l’antisémitisme ». Malheureusement, le BNVCA ne nous dit pas si la « propagande palestinienne » commence dès que l’on est favorable à un Etat palestinien – auquel cas il y aura beaucoup de gens, dont votre servante, à rééduquer. Il ne manque plus que la LICRA et ma mère chérie qui, ouf, ne m’a pas encore appelée pour me demander ce que ça fait de bosser avec un antisémite.

J’appelle Nicolas. Depuis cinq jours il vit un cauchemar. « Ma messagerie est pleine de lettres d’insulte, certains allant, jusqu’à me prétendre de mèche avec cet affreux Dieudonné. Des monstruosités circulent en pagaille sur le web, le site du CRIF parle de mon antisémitisme larvé (moi qui ne suis même pas pro-palestinien). » Je dois dire que cette précision m’a fait hurler de rire. Honte à moi. Serais-je une antisémite qui s’ignore ?

Une précision s’impose. Je n’ai aucune sympathie pour les humoristes professionnels qui jouent les résistants quand ils se contentent d’aller dans le sens du vent. Que ceux qui pensent que je défends Nicolas Bedos par souci de ma carrière se dispensent de lire la suite de ce texte. À ceux qui n’auraient que des doutes à ce sujet, je ferai simplement remarquer qu’ayant été dotée d’un cerveau – grâces en soient rendues à mes chers parents – si j’avais voulu faire carrière, j’en aurais faite une.

À en croire les indignés, Alain Finkielkraut, qui était l’un des invités, et moi-même, aurions dû monter sur nos petits poneys, évoquer les heures les plus sombres de notre histoire et quitter théâtralement la scène[2. Et, en ce qui me concerne, mon emploi, fort précaire au demeurant, l’humeur des princes qui gouvernent notre télévision étant par nature fort changeante]. De fait, comme me l’a dit l’un de mes correspondants pour justifier son inquiétude, Alain Finkielkraut avait l’air consterné pendant le numéro du jeune Bedos. Je confirme. J’imagine qu’il n’a pas adoré les propos de Nicolas. Mais la véritable raison de son accablement est, m’a-t-il confié, qu’il en a assez de voir des humoristes dans toutes les émissions. Il me semble à moi que mon talentueux camarade de jeu n’a pas grand-chose à voir avec Guillon. Son cahier des charges, c’est d’aller à la limite et il y va. Quoi qu’il en soit, malgré l’admiration et l’affection que j’ai pour Rabbi Finkie – loué soit Son nom –, doit-on entrer en guerre à chaque fois qu’il hausse le sourcil ? Et puis quoi, on l’embaume ?

Commençons par la fin. Bien entendu, Nicolas Bedos n’est pas « antisémite, ou antisémite refoulé, ou demi-antisémite, ou quart d’antisémite, ou antisémite inconscient de dans 3 ans qui au fond de lui n’ose le dire consciemment mais qui en fait rêve de voir pendus Patrick Bruel, Primo Levy, Pierre Benichou, Elsa Zylberstein et ce qu’il reste d’Ariel Sharon dans le même sac[3. Malheureusement, ce n’est pas de moi mais de lui.] ». Entre nous, je suis un peu vexée qu’il ne m’ait pas citée mais peut-être ne sait-il pas que je suis juive ? Ou alors cette façon de m’ignorer ostensiblement est la preuve de sa haine des juifs ? Pourquoi Pierre Bénichou et pas Elisabeth Lévy ? T’aimes pas les femmes, c’est ça ? Bingo ! Alors, Nico, sois sympa, la prochaine fois que tu fais une liste de feujs, tu me mets dedans, merde !

Venons-en maintenant au corps du délit. Première partie : « Mercredi je vais voir Elle s’appelait Sarah, énième guimauve utilisant jusqu’à la lie le souvenir de la Shoah afin de renflouer les caisses lacrymales du cinéma français. Après La Rafle, fable extra-lucide qui nous montrait avec audace que les petits juifs étaient finalement beaucoup plus émouvants que les officiers nazis – ce qui m’a surpris – et qui surfait sans complexe sur le fameux devoir de mémoire, devoir de mémoire qui dispense au passage certains cinéastes de faire preuve du moindre talent et leur permet de se hisser vers le million d’entrées en raflant les écoliers d’aujourd’hui pour les parquer de force dans des salles de cinéma pédagogique : pauvres petites têtes blondes ou brunes obligés de chialer devant des mauvais films ! » J’avoue : ce passage m’a fait marrer. C’est mal ? Bon sang, à part la Torah, dîtes-moi ce que les juifs ont apporté à l’humanité de plus important que l’humour ! (Je sais, ils ne sont pas les seuls sur le créneau). Puisque Nicolas m’en donne l’occasion, je me lâche : moi aussi, j’ai horreur de ces films ou livres larmoyants qui n’apprennent rien à personne et permettent au spectateur de jouir de tous les bénéfices du statut victimaire sans courir le moindre risque. Il est facile, surtout quand on est juif, de regarder tout ça avec la rassurante certitude qu’on aurait été du « bon » côté – moralement en tout cas. Toutes les grandes œuvres littéraires ou cinématographiques sur l’Extermination nous disent exactement l’inverse : on ne sait pas et on ne saura jamais comment on se serait comporté. Ne soyons pas des « juifs imaginaires », c’est la pire insulte qu’on puisse faire aux victimes.

Après la Shoah, Israël. « Jeudi, poursuit le chroniqueur mythomane, je fais un nouveau rêve : celui dans lequel je pourrais dégueuler sur Netanyahou et la politique menée par l’Etat d’Israël sans que personne, personne, ne me traite pour autant d’antisémite, ou d’antisémite refoulé, ou de demi antisémite, ou de quart d’antisémite, ou d’antisémite inconscient […], moi qui suis tellement CON que je n’ai pas saisi cette notion très subtile selon laquelle s’indigner devant une politique parfois honteuse, c’est – mais bien sûr- vouloir du mal à tous les juifs de la planète. »

Quand plus personne n’osera parler, nous dira-t-on que ce silence est antisémite ?

Nous voilà au cœur du sujet. Que nous dit Nicolas Bedos ? Qu’on ne peut pas critiquer Israël sans être traité d’antisémite. Sur ce point, il a à moitié tort. Il est absurde d’affirmer qu’on ne peut pas critiquer Israël puisqu’Israël est le pays le plus critiqué et même le plus haï de la planète. Mon petit camarade ne fréquente pas suffisamment l’intelligentsia radicale-chic : il ne sait pas que des gens bien sous tous rapports allant de Stéphane Hessel aux syndicats norvégiens, de Ken Loach à Juan Saramago, profèrent tous les jours des âneries qui, si elles ne sont pas antisémites, sont un permis d’antisémitisme. Nico, tu devrais lire Le Monde Diplo et écouter Mermet, ça va faire de toi un ultra-sioniste.

L’ennui, c’est qu’il a à moitié raison, mon Nico. Je connais pas mal de gens qui n’osent plus dire un mot sur Israël. Et ça, c’est grave. Alors je vous le dis à tous, juifs ou pas, sionistes ou pas : parlez librement ! Dites ce que vous pensez même si vous pensez de travers ! Les juifs qui accusent d’antisémitisme toute personne qui refuse de leur donner l’heure doivent comprendre que cette accusation est terrible, pas seulement parce qu’elle est socialement dangereuse, mais parce qu’elle est moralement insupportable. Admettons que Nicolas Bedos se trompe sur Israël et sur le conflit moyen-oriental, faut-il pour autant coller sur son torse velu[4. vous jure que je n’ai jamais vu son torse, c’est une blague (ce truc qui faisait rire dans l’ancien monde) ! ] la nouvelle lettre écarlate ? À ce compte-là, bientôt, on ne pourra plus respirer. Quand plus personne n’osera dire un mot sur ces sujets qui fâchent, nous expliquera-t-on que ce silence est antisémite ?

Le plus angoissant, dans cette affaire, c’est que les juifs soient aussi cons que les dieudonnistes qui, depuis une semaine, croient avoir acquis Nicolas Bedos à leur sombre cause. Il me faut donc vous livrer la fin de la chronique et essayez de la lire vraiment parce qu’il y a du second degré : « Vendredi, je me réveille à côté d’une silhouette délicieusement sombre, à coup sûr une beauté africaine… J’entre ouvre les rideaux, la personne se retourne : Nom d’un cul c’est Dieudonné !!! Mon pseudo-pro-palestinianisme tardif a du aller un peu trop loin, ça a dû se savoir, l’enculé d’amalgameur s’est aussitôt rappliqué, avant de m’enfourcher avec sa longue épée de facho- anti feuj, me voilà triplement humilié ! Je lui dis : « Fiche moi l’camp, sale Antillais », mais il insiste : « Attends mon Nico, fais moi au moins un p’tit café, je viens de lire ta future chronique pendant que tu dormais, on est d’accord à mort, reviens sous les draps, je vais te présenter à Alain Soral, tu vas voir, il est pas jaloux, on va monter un spectacle qui partira en tournée dans tout le quartier de la goutte d’or… » Je lui dis : « Dégage ! » Je m’étonne un peu que le CRAN n’ait pas réagi à ce « sale Antillais », mais bon, les vigilants ont le droit de se reposer.

Voilà que je me retrouve à devoir faire l’exégète de Nicolas Bedos, avouez qu’il y a plus fun. Alors soyons clairs : toute personne qui n’est pas d’accord avec un juif n’est pas antisémite. Et cessons de réclamer un traitement d’exception pour les juifs. On aurait le droit de se moquer des pédés, des Arabes, des blondes, des noirs et pas des juifs ? Et après, on nous parlera du droit au blasphème et des caricatures du Prophète ? Au secours !

L’antisémitisme n’a pas disparu mais, pardonnez-moi de le dire brutalement, la Shoah est derrière nous. Heureusement. Alors moi, je ne veux pas vivre dans un monde où on n’aura pas le droit de se foutre de la gueule des juifs.

Nicolas, sois gentil : continue ! Si tu dis des conneries, promis, je ne te raterai pas.

* Chez nous, en l’occurrence, signifie chez nous les Français (de toutes origines) et chez nous les juifs (idem).

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Le passage à tabac nuit gravement à la santé

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Il s’appelle Ahmed Marzouki, il est marocain et a passé 18 années dans le bagne de Tazmamart, qui n’entretient que de très lointains rapports avec le Club Med de Marrakech.

Ahmed Marzouki a retracé ses 18 années de bagne dans un livre, intitulé « Tazmamart, cellule 10 » et devait donner une conférence à Bruxelles sur le thème de la « réconciliation » et la situation des Droits de l’Homme dans au pays de Mohamed VI. Mais il n’a pas pu. « Alors que nous marchions dans la rue avec un petit groupe pour nous rendre à la conférence, un homme m’a intercepté par l’arrière, m’a placé un genou dans le dos et m’a fait tomber. Ensuite, les coups ont commencé à pleuvoir de tous côtés et j’ai aperçu une arme blanche », a expliqué M. Marzouki. « Ils m’ont insulté en arabe », a-t-il précisé.

Et oui, la réconciliation, c’est comme le mariage ou le divorce, faut être deux…

Jean Grenelle

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Comme tout Hollandais qui se respecte et s’en tient à ses bataves devoirs, M. Harmenszoon van Rijn – Rembrandt pour les intimes – n’a jamais aimé la France. Il manifesta son aversion dès son plus jeune âge, en naissant le 15 juillet 1606 à Leyde et non pas le 14 juillet à Paris comme tout francophile honnête le fait.[access capability= »lire_inedits »]

C’est donc contraint et forcé que Rembrandt se rendit, en 1631, dans la capitale française. Il connut alors ce que les historiens de l’art appellent sa période « rouge », puis sa fameuse période « blanc ». C’est sa rencontre avec Jean Grenelle qui plongea finalement Rembrandt dans une période « rosé » assez prolifique, puisque les meilleurs spécialistes l’estiment à 5 litres par jour et par personne en moyenne.

Jean Grenelle, représenté ici par l’artiste en robe de chambre, était architecte du roi : au lendemain de la journée des Dupes, il avait été chargé par le cardinal de Richelieu d’aménager les abords de ce qui n’était pas encore le boulevard Saint- Germain. Vu que le quartier ne comptait aucun bistrot et qu’il fallait bien commencer par le commencement, il fit ce que tout architecte royal s’ingénie à faire en pareille occasion : il planta trois hectares de vignes et donna à l’environnement ainsi créé son propre nom. Ainsi naquit ce que l’on appela alors « l’Environnement de Grenelle », qui devint plus tard, par un malencontreux abus de langage, « le Grenelle de l’environnement ».

Rembrandt, Portrait de Jean Grenelle en son environnement, musée du Rable.[/access]

Houellebecq: enfin le Goncourt vint!

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Vous avez remarqué ? Tout le monde se plaint, chez les décideurs, que Houellebecq n’ait pas été couronné avant ! Et exactement dans les mêmes termes, je vous laisse juges.

Le Figaro du mardi 9 novembre : « Houellebecq enfin récompensé au Goncourt. » Le Monde de l’après-midi même : « Michel Houellebecq finalement récompensé par le prix Goncourt ». Même gimmick dans Les Inrocks d’hier : « Enfin, Michel Houellebecq se voit reconnu par les jurés du Goncourt ». Sans parler de Libé : « Les Goncourt accordent enfin leur prix à cet écrivain différent et dérangeant ! ».

Tellement « dérangeant », Michel, que tout ce beau monde sans exception l’acclame en s’exclamant « Enfin ! ». Sauf que c’est l’époque, en quinze ans, qui a glissé vers lui.

Je me souviens du Général

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Je me souviens d’un petit garçon au cours préparatoire. Il rentre chez lui tout seul. L’école n’est pas loin de son domicile et, dans ces années du monde d’avant, les enfants peuvent encore se promener seuls. C’est en novembre 1970. Deux hommes discutent gravement près d’une voiture (une Simca Aronde ? Des pneus bicolores, en tout cas…), garée sur le parking en face de chez lui
– Alors, comme ça, Il est mort ?
Le petit garçon ne comprend pas de qui il s’agit au juste mais il a l’impression bizarre d’entendre une majuscule mise au pronom personnel. Il me semble bien que le petit garçon, c’est moi.

Je me souviens de la phrase mystérieuse de Malraux, parlant des gaullistes : « Entre les communistes et nous, il n’y a rien. » Que voulait-il dire ? Il y a trois possibilités.
a)Entre les communistes et nous, il n’ y a rien de commun. Difficile à admettre, quand on pense à la Résistance et au CNR.
b) Entre les communistes et nous, il n’y a aucune force politique digne de ce nom. C’est possible : la droite française qui n’était pas gaulliste, elle n’était pas franchement très nette. Se souvenir du temps, très long, mis par Giscard, Barre et Poniatowski, à réagir à l’attentat de la rue Copernic, par exemple. Et puis les socialistes, on sait ce que c’est. Vouloir vaseliner le capitalisme, ça n’a jamais donné un destin à un pays.
c) Entre les communistes et nous, il n’y a rien qui nous oppose sur le fond. Quand je vois ce qu’est devenu le paysage politique aujourd’hui, je me dis que c’est sans doute cela que Malraux, l’ancien combattant des Brigades internationales, voulait dire. Il prévoyait sans doute l’époque où gaullistes et communistes seraient les derniers dinosaures républicains dans cette atmosphère ethnolibérale qui est, en France et en Europe, de plus en plus irrespirable aujourd’hui.

Je me souviens en ayant lu De quoi Sarkozy est-il le nom ? de Badiou et de ses analyses sur le « transcendantal pétainiste » qui couraient à travers l’histoire de France de Thiers à nos jours, et m’être dit que c’était trop facile. Qu’il y avait aussi un transcendantal gaulliste qui consistait à être capable d’ouvrir le feu, même en position défavorable, au nom d’une idée supérieure qu’on se fait de la nation et de ce qu’elle suppose comme modèle de civilisation.
Exemples de transcendantal gaulliste, hors son incarnation archétypale du 18 juin 40 : Vercingétorix à Gergovie, Jeanne d’Arc sous les murs d’Orléans, les soldats de l’an II encadrés par une poignée d’officiers aristocrates à l’assaut du moulin de Valmy, le colonel Rossel restant fidèle jusqu’à la mort au gouvernement de la Commune, le discours de Villepin à l’ONU de 2003, le référendum de 2005 sur la Constitution Européenne, le mouvement social de 2010. Le transcendantal gaulliste, ou le refus de la fatalité et du diktat des experts autoproclamés. Ils lui auraient donné assez peu de chances de réussir, à la bergère lorraine ou au général rebelle condamné à mort, tous nos spécialistes, analystes et commentateurs si brillamment médiatiques.

Je me souviens de mon père qui me disait : « Le de Gaulle de 40 tant que tu veux, celui de 58 jamais. » Il avait voté non au référendum de 58. C’était même la première fois qu’il votait. Cette vieille dent des communistes contre la Cinquième République et l’élection du président au suffrage universel. Je n’ai jamais osé dire que le suffrage universel, c’était peut-être nous qui en profiterions un de ces jours. Ça s’était vu au Chili en 1971. Bon, ça s’était mal terminé deux ans plus tard, mais qui a dit que l’Histoire n’était pas tragique ? Pas De Gaulle en tout cas.

Je me souviens d’avoir trouvé que l’exécution de Bastien Thiry, ça manquait de fair-play. On aurait bien aimé que général ait pour le lieutenant-colonel la clémence d’Auguste pour Cinna.

Je souviens que le SAC, avant de devenir une banale milice électorale au service de la droite des années 1970 et de faire les beaux jours des films d’Yves Boisset, avait d’abord été une police parallèle de barbouzes républicaines, tous anciens résistants, pour protéger le Général des soldats perdus de l’OAS. Une époque de géants, tout de même, où il y avait comme l’écrit La Rochefoucauld : « des héros en Bien comme en Mal. »

Je me souviens de La Boisserie, du champagne Drappier, des DS noires alors que j’espère assez vite oublier le cap Nègre, les Rolex et Carla Bruni.

Je me souviens que De Gaulle à l’Elysée payait ses timbres de sa poche quand il envoyait ses vœux à ses proches. Ça fait sourire, non ? À moins que ça ne fasse pleurer.

Je me souviens qu’en 1967, la France avait quitté l’OTAN depuis un an, s’apprêtait à rejoindre les non-alignés et que le général Ailleret était l’inspirateur de la doctrine « tous azimuts » qui consistait à pointer les missiles de notre dissuasion nucléaire vers l’Est ET vers l’Ouest. Je me souviens que le général Ailleret est mort dans un mystérieux accident d’avion à Tahiti en mars 68. Et que quelques semaines plus tard sont arrivés en Mai des événements qui ont arrangé tout le monde : les Américains, la droite affairiste pompidolienne qui ne voulait pas de la participation, les gauchistes qui voulaient la peau du PCF, les socialistes qui espéraient ramasser la mise.

Je me souviens d’avoir acheté un CD avec les principaux discours de De Gaulle. Mon préféré : le discours de Phnom-Penh en 1966. Penser à donner le texte sans signature à quelques personnes pour faire une « dégustation à l’aveugle ». Et demander si c’est de Chavez, de Guevara ou de De Gaulle. Bien rigoler en entendant les réponses. Je me souviens que Frédéric Fajardie, ex du service d’ordre des Comités Viêt-Nam de Base, me racontait comment ils avaient eu, eux les maos, l’étrange impression d’être doublés sur leur gauche par le vieux général.

Je me souviens du meeting lillois de la campagne de Chevènement en 2002, quand en première partie se sont succédé le député communiste du Pas de Calais qui était arrivé bleu de travail à l’Assemblée nationale quand il avait été élu député en 1997 et Pierre Lefranc, l’aide de camp du général de Gaulle. Le vieux cyrard et le prolo, ensemble contre l’Europe libérale.

Je me souviens que j’ai toujours un petit coup au cœur quand je parcours la rubrique nécrologique des journaux et que je vois qu’un Compagnon de la Libération a encore tiré sa révérence.

Je souviens d’avoir été tout de même un petit peu énervé quand j’ai vu et entendu les cris de cabris et les sauts d’orfraie, à moins que ce ne soit le contraire, de certains professeurs de lettres quand ils ont appris que Les Mémoires de Guerre étaient au programme des épreuves du bac de français. Ne pas voir qu’un incipit comme : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France » n’a rien à envier à Longtemps je me suis couché de bonne heure ou : « Aujourd’hui, maman est morte. », c’est à ces choses-là qu’on mesure les dégâts de décennies de pavlovisme pédagogiste.

Je me souviens que les gens qui n’aiment pas De Gaulle (sauf ceux qui ont de bonnes raisons comme les Pieds Noirs et les Harkis) ont deux arguments : il a fait croire que toute la France était résistante. Quand bien même ce serait une fiction (mais il faudra l’expliquer aux derniers Français libres vivants), c’est une fiction qui a changé le réel et nous a évité de passer sous administration américaine. C’est donc une fiction qui a réussi. Ce qui est une bonne définition de la politique. Et aussi, qu’il aurait entretenu la France dans l’idée qu’elle était encore un grand pays alors que ce n’était plus qu’une puissance moyenne.
Qu’ils se rassurent, ceux-là, qui aiment l’automutilation décliniste tant qu’elle ne gêne pas leur hédonisme libéral libertaire, ils finissent par avoir raison ces temps-ci. Plus le gaullisme disparaît comme force politique opérante, plus la France ressemble à une petite Autriche hargneuse et névrosée, à un pays de vieux et à une remorque atlantiste des USA, qui va bricoler ses nouvelles bombes avec le Royaume Uni, ce porte-avion de Washington.

Je me souviens que Dominique de Roux écrivait dans L’écriture de Charles de Gaulle, en 67 : « La mission actuelle de la France, l’accomplissement final du destin gaulliste, c’est de faire que la troisième guerre mondiale se porte, non pas sur le plan de la dévastation, mais sur le plan du salut, non pas sur le plan d’un embrasement universel, mais sur celui de la pacification. »

Je me souviens que si je n’avais pas été communiste, j’aurais été gaulliste.

Clichy sa mère !

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En 2010, Cameron Mackintosh a donné à Paris une nouvelle version de la comédie musicale Les Misérables.
En 2010, Cameron Mackintosh a donné à Paris une nouvelle version de la comédie musicale Les Misérables.
En 2010, Cameron Mackintosh a donné à Paris une nouvelle version de la comédie musicale Les Misérables.
En 2010, Cameron Mackintosh a donné à Paris une nouvelle version de la comédie musicale Les Misérables.

De Libération au Figaro, les grands journaux commémorent le cinquième anniversaire des émeutes d’octobre 2005. Tous ou presque rivalisent de génuflexions face à la sacro-sainte « question des banlieues ». Troquant l’immigré contre le prolo, l’immense majorité des médias se polarise sur les banlieues pour dessiner le visage d’une France qui souffre. C’est pourtant faire peu de cas de la réalité sociale, dixit Christophe Guilluy, géographe émérite qui n’hésite pas à braver les Goliath de la victimisation sélective.

Dans Fractures françaises, loin des clichés germanopratins, il peint la France des classes populaires précarisées. Qui n’habitent pas Clichy-sous-Bois et n’incendient pas de gymnase sous les yeux des caméras. Vae victis.[access capability= »lire_inedits »]

Itinéraire d’un mal-cherchant

L’homme avait déjà fait grand bruit à un colloque de la Fondation Res Publica en révélant que plus de 80 % de la pauvreté et du chômage en France se situaient hors des banlieues, essentiellement dans des zones pavillonnaires et rurales peu prisées par le Landerneau. Il faut dire qu’hormis Jean-Pierre Pernaut et son JT en carton-pâte, les mass media desquament le paysage français de ses peaux mortes rurales. En témoigne la carte des Zones d’éducation prioritaire (ZEP) qui ne coïncide que partiellement avec celle des zones socialement défavorisées. Dans les faits, l’administration pratique d’ores et déjà la discrimination positive sur critères ethniques. Accusée à tort de parquer les populations d’origine immigrée dans des ghettos, elle ethnicise sciemment les rapports de classes en assistant prioritairement les zones d’immigration récente. Après avoir proposé un maillage plus rigoureux aux pouvoirs publics, Guilluy s’était vu rétorquer : « L’objectif du ministère de la Ville n’était pas de traiter de la pauvreté ni du chômage… » (sic)

Contre le mythe de la banlieue

Un chiffre à méditer : les Zones urbaines sensibles (ZUS) n’abritent que 7 % de la population française. Ce qui n’empêche pas Guilluy de reconnaître la malheureuse conjonction entre un taux de chômage de 8 points supérieurs à la moyenne nationale et une insécurité à la fois physique, culturelle et sociale. Si l’on s’en tient au brouhaha médiatique, la banlieue serait le réceptacle des « jeunes » depuis trente ans, comme si elle demeurait le seul espace où l’on ne vieillissait pas ! Quant au mythe des banlieues-ghettos, il ne tient pas lorsqu’on examine les chiffres du taux de mobilité. À plus de 60 %, il en fait les zones les plus mobiles de France.

Et pour cause : si la banlieue cumule les difficultés, c’est avant tout en raison d’un grand banditisme et d’une délinquance quotidienne qui minent le bon fonctionnement de l’Etat de droit. Même la droite sarkozyste, chantre de la RGPP, favorise les cités au détriment des campagnes dans l’offre de services publics. Guilluy précise qu’on est mille fois moins bien pourvu en équipements publics à Verdun que dans certaines banlieues parisiennes réputées « défavorisées ».

Si les banlieues affichent un tel taux de mobilité, si l’immigration récente fait tout pour la fuir sitôt qu’elle en a les moyens, quitte à sacrifier son pouvoir d’achat en achetant une petite maison de campagne, c’est bien que malaise il y a. L’insécurité physique et la dégradation des services publics par de jeunes sauvageons déstructurés ne doivent pas cacher le vrai fond du problème : un malaise dans la culture.

Le multiculturalisme des riches

Nos élites restent désespérément « croyantes mais non pratiquantes » en un multiculturalisme idéalisé. À l’image du navrant Raphaël crachant le peuple, la générosité tous azimuts est d’autant plus facile à défendre pour ceux qui n’en subissent pas les conséquences. Bien lotie en centre-ville, l’hyperclasse mondialisée extrapole sa vision biaisée de l’immigration. En trente ans, la classe ouvrière a déserté les villes, chassée par la désindustrialisation et la spéculation immobilière. Cet exode urbain laisse les grandes métropoles entre les mains de la bourgeoisie et d’une population d’immigrés récents qui lui fournissent une main-d’œuvre précaire, parfois illégale, souvent corvéable à merci.

Dans un « boboland » comme le XXe arrondissement de Paris, il n’est pas rare de voir juxtaposés des immeubles bourgeois et des taudis d’immigrés, les sans-papiers servant régulièrement de nounous payées au black. De là, rien d’étonnant à ce que l’électorat bourgeois de gauche idéalise la coexistence avec des groupes d’implantation récente. Nulle concurrence sur le marché du travail parisien, nulle cohabitation dans un même immeuble : au sein du voisinage, les sphères de vie restent séparées et les moutards bien gardés. À Ménilmontant, les bars branchés voisinent avec des librairies islamiques, mais pour combien de temps ? Dans dix ou quinze ans, si l’Etat continue à perdre du terrain, parions que les bobos hédonistes voteront pour un(e) Geert Wilders français(e).

Du rouge au bleu Marine : un destin inéluctable ?

Dans les ex-banlieues rouges, les ouvriers du tertiaire fuient le multiculturalisme tant vanté par ceux qui ne le subissent pas. Il n’y a aucun racisme là-dedans. Ni caricature à évoquer l’islamisation rampante de quartiers entiers où les voiles et boucheries musulmanes font florès, au grand dam des immigrés assimilés et autres libres-penseurs.

D’où, selon Guilluy, la transhumance de l’électorat populaire sur les terres du vote frontiste : « La perte de crédibilité de la gauche en milieu populaire est pour partie la conséquence de son incapacité à prendre en compte la demande de catégories populaires de plus en plus sensibles à l’insécurité sociale mais aussi culturelle, provoquée par la mondialisation économique et son corollaire, l’intensification des flux migratoires. »

N’en déplaise aux antifascistes de broussaille, le succès du site Fdesouche ou la popularité de Marine Le Pen s’expliquent avant tout par l’incurie des partis traditionnels qui persistent dans une stratégie de l’orfraie. À gauche, n’importe quel tribun qui dénoncerait les ravages de la mondialisation et de son pendant multiculturel raflerait la mise. À bon entendeur…[/access]

Fottorino, la faute à qui ?

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En remettant, le 4 novembre 2010, les clés de la maison Le Monde à ses nouveaux propriétaires, le trio Bergé-Niel-Pigasse allié au groupe de presse espagnol Prisa, Eric Fottorino a rédigé un éditorial qui a fait quelque bruit dans le landerneau médiatique parisien.
Il ne s’est en effet pas contenté de l’exercice classique en ce genre de situation, consistant à rassurer des lecteurs inquiets pour l’avenir de leur quotidien préféré et à se présenter en garant de la continuité éditoriale et éthique du journal qui se veut de référence. Au contraire, il s’est livré à une sévère critique des choix économiques et éditoriaux du Monde depuis la fin des années soixante-dix. Tous ses prédécesseurs en prennent pour leur grade, sans être désignés par leur nom, ce qui est quelque peu hypocrite. Décryptons donc.

Jacques Fauvet est montré du doigt pour son soutien inconditionnel au programme commun de la gauche jusqu’en 1981. André Fontaine se voit reprocher d’avoir imprudemment investi des sommes énormes dans une nouvelle imprimerie, au détriment du renouvellement et de l’amélioration de l’offre éditoriale, notamment le week-end. Mais le plus gros paquet est livré franco de port au duo Colombani-Plenel, aujourd’hui séparé, et faisant désormais site à part sur la toile. « A l’orée des années 2000, Le Monde s’est lancé dans une stratégie d’acquisitions coûteuse et hasardeuse, quand bien même elle a permis de jeter les bases d’un groupe de presse avec des titres prestigieux comme Télérama et Courrier international. Cette politique a trouvé ses limites et, en 2005, Le Monde a dû procéder à une recapitalisation qui a propulsé Lagardère et Prisa dans le capital du groupe (à hauteur respectivement de 17,27 % et de 15,01%). Dès 2002 et 2003, Le Monde avait dû émettre pour 69 millions d’euros d’ORA (obligations remboursables en action) qui ont d’autant grevé son bilan en creusant sa dette future. Au même moment, notre journal s’est installé dans les locaux du boulevard Auguste-Blanqui en payant des loyers considérables. Entre-temps, la vente du patrimoine immobilier des Publications de la Vie catholique et l’aspiration brutale de leurs bénéfices ont rendu difficile l’émergence d’une culture commune. »

Voilà pour la politique consistant à agrandir le périmètre du groupe par l’endettement et la vampirisation d’entreprises prospères comme le groupe Midi Libre et les publications la Vie catholique au profit d’un Monde en déficit chronique. Ce qui fait dire à quelques esprits moqueurs que Minc et Colombani ont suivi le modèle des révolutionnaires de 1789 en s’emparant des biens du clergé pour les transformer en assignats…
Les errements rédactionnels sont cloués au pilori sans ménagements : « Sans remonter trop loin, Le Monde des années 1980 fut sévèrement sanctionné par ses lecteurs pour son soutien inconditionnel au gouvernement et aux idées de l’Union de la gauche. Le fort penchant du Monde en faveur d’Edouard Balladur en 1995 lui fut très préjudiciable. Comme ses écrits exagérément favorables à Nicolas Sarkozy au mitan des années 2000, avant de prendre position pour Ségolène Royal.
Un journal qui s’était un temps donné pour mission de faire trembler le CAC 40, qui a parfois abusivement entretenu la suspicion envers les pouvoirs politique et économique, ne pouvait qu’en payer le prix. Que de leçons données! Que de personnalités injustement malmenées, semoncées voire jugées dans nos colonnes! L’erreur fut souvent de prendre nos excès pour l’expression de l’indépendance, quand ils n’étaient qu’insignifiance.
»

En la matière, Fottorino aurait pu remonter plus loin dans le temps et rappeler au bon souvenir du dernier carré des fidèles du Monde que ce journal, du temps de sa splendeur, entretenait à Pékin un correspondant professant un maoïsme délirant le poussant à se faire le chantre enthousiaste de la Grande révolution culturelle prolétarienne… Il aurait pu également rappeler, que dans leur grande mansuétude, les dirigeants du Monde ont passé l’éponge sur des manquements à l’éthique et des fautes professionnelles graves commises par des journalistes promis ensuite à un bel avenir[1 Je ne donne pas de noms, car il y a prescription]. Ceux-là n’auraient pas tenu plus d’une heure après la découverte de leurs méfaits dans un quotidien équivalent aux Etats-Unis.

Un mea culpa sur la poitrine des autres

Oui, Fottorino a raison, et ce ne sont pas les cris d’orfraie poussés par Jean-Marie Colombani sur le site de L’Express pour fustiger «l’indignité» de son successeur qui pourront effacer ces vérités de fait. Par ailleurs entendre Colombani parler de «combinazione» pour évoquer les circonstances de son éviction de la direction du Monde en 2007 peut prêter à sourire, voire à la franche rigolade quand on connaît ses manœuvres, exposées et dénoncées par son ex-spadassin Alain Rollat[2. Alain Rollat « Ma part du Monde. Vingt-cinq ans de liberté d’expression » Les éditions de Paris] pour torpiller l’élection de Daniel Vernet à la direction du journal, et dynamiter le fauteuil de son prédécesseur Jacques Lesourne… En la matière, Jean Marie Colombani sera audible le jour où il aura rendu public le montant de ses indemnités de départ et celui de la soulte qu’il a exigée, par intermédiaire d’avocats, lors de la revente du groupe Midi Libre…

Mais il ne suffit pas d’avoir raison, encore faut-il être en position légitime pour que cette vérité soit admise par ceux à qui on prétend s’adresser, à plus forte raison quand ce mea culpa s’exerce principalement sur la poitrine des autres. Colombani, et les quelques 75 journalistes du Monde qui ont signé une lettre de protestation contre cet éditorial ont beau jeu de rappeler que pendant que se commettaient les forfaits économiques et journalistiques qu’il dénonce, Eric Fottorino n’avait pas manifesté de désaccords ouverts avec une direction l’ayant promu à des postes de responsabilité importants… Son refuge dans l’écriture de fiction, qui lui a valu quelques beaux succès littéraires, suffisait peut-être à calmer ses doutes et ses colères rentrées…

J’ai eu personnellement la chance de pouvoir quitter ce journal dont je désapprouvais les orientations dictées par Colombani et Plenel, car j’avais l’âge me permettant de partir dans de bonnes conditions. Je l’ai fait sans bruit, parce que j’avais contribué, de ma place, à la mise en œuvre de méthodes de travail contestables, ne serait-ce qu’en évitant de les dénoncer. D’autres se sont esquivés discrètement, gardant par devers eux leurs idées sur ce qu’était devenu leur Monde et ils ont eu raison.

Il existe un «roman d’entreprise», comme il existe un «roman national» qui sert de ciment entre les générations qui se succèdent. Il n’appartient pas à son dépositaire de jouer à l’historien déconstruisant les mythes du passé : à lui de faire l’Histoire, en en écrivant si possible une page honnête, sinon glorieuse, à d’autres de porter sur le passé du journal des jugements qui ne puissent être confondus avec des règlements de compte.

Ozon est arrivé !

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C’est ce mercredi que sort Potiche, le nouveau film de François Ozon. Je vous préviens au cas où vous seriez rentré hier soir très tard d’un trek en Ouzbékistan, ou bien si vous vous êtes réveillé ce matin d’un coma prolongé. Sinon, aucune chance d’échapper à cette promo encore plus envahissante que celle d’Asterix chez les Ch’tis ou genre. Ainsi mal m’en a pris de vouloir m’informer de la météo de la semaine qui, le dimanche soir, est diffusée après le JT sur les grandes chaines. Première tentative sur France2. Là, manque de bol, la fin du 20 heures était squattée par l’abominable Deneuve qui disait tout le bien qu’il fallait penser de Potiche, et donc de sa forcément sublime prestation en survet’.

Comme j’allais pas casser ma télé presque neuve, je zappe illico sur la Une avant le nervous breakdown. Là, toujours pas de météo de la semaine, mais Fabrice Luchini et Karine Viard en train de faire la promo de devinez-quoi. Certes, c’était beaucoup plus rigolo que la séance de cire-pompes de la Deux, mais quand même on se serait cru dans le scopitone de Zorro est arrivé où Henri Salvador a beau cliquer sur toutes les touches de sa télé (c’était avant l’invention de la zapette), il retombe toujours sur le même programme :
« Mais moi j’en avais tellement marre
J’ai repris la première chaîne
Et devant mes yeux, mes yeux hagards
Se déroulait la même scène »

Quand on sait que TF1 et France2 se livrent à toute heure et sur tous les terrains une guerre totale, il faut donc en déduire qu’Ozon est l’exception qui confirme la règle. Une exception culturelle, bien sûr.

La solidarité, un supplément d’AME ?

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L’idée serait en somme de se tenir à mi-chemin entre la présomption de fraude et la naïveté. Car il y a cette position-réflexe dont une certaine droite devrait apprendre à se méfier : la certitude inébranlable que toute prestation sociale fait l’objet d’une fraude endémique. Cette position se dispense de preuve : établi ou non, c’est un fait. Et ça ne s’arrange pas si le spoliateur se pique en outre d’être métèque. À dire vrai, je comprends : des étrangers investissant la France pour y abuser de notre générosité un poil forcée par l’Etat, s’abreuvant du dur fruit de notre labeur quotidien, et égorgeant au passage nos fils nos compagnes, moi aussi, ça me donne envie d’entonner quelque chant guerrier. Qu’un sang impur ne nous les broute !

Cyril Bennasar est à cet égard un défenseur scrupuleux de nos sillons. Celui qui gère le flanc droit-droit de Causeur l’écrit tout de go : « comme toutes les aides sociales, ce dispositif constitue une incitation à l’immigration illégale. » C’est sommaire, et c’est pour ça que ça marche.

Qu’on ne s’étonne pas alors que le reste du propos soit de la même eau. Il se double d’une rhétorique toute bessonienne : la France reste le pays le plus généreux du monde avec les étrangers, venez pas nous gonfler. C’était bon avec les Roms, ça le reste avec l’AME. Ah mes aïeux, la belle prouesse rhétorique que voilà : se prévaloir de la générosité de la France pour s’employer à la rogner.

L’initiative de quelques vibrions parlementaires – qu’ils soient de La Droite Populaire tel Dominique Tian ou personnellement sensibilisés au sort des sans-papiers, à l’instar de Claude Goasguen, député du XVIème arrondissement de Paris – est pourtant déplorable. Il est politiquement attristant de voir cette droite céder à la grosse ficelle qu’est l’incrimination de l’étranger en temps de crise. C’est un singulier manque d’originalité comme de recul sur l’Histoire. C’est aussi un manque d’ambition tant il plus facile de pointer l’étranger que de construire la France.

Mais notre menuisier boit les paroles des contempteurs de l’AME comme du petit lait : « comme on pouvait s’y attendre, le système dérape, victime de dérives, de fraudes et d’abus ». Et de fait, la désapprobation de principe ci-dessus exprimée serait bien insuffisante, si la fraude endémique était effectivement avérée. Pourtant, comme Roselyne l’a maintes fois rappelé officiellement, « l’audit réalisé conjointement par l’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) en février 2007 sur le dispositif de l’aide médicale de l’État (AME) a clairement montré que la gestion était maîtrisée ». Du coup voilà : si je maintiens, juré craché, que je suis disposé à former mes bataillons pour traquer cet étranger qui vient – jusque dans nos bras ! – escroquer notre système social, je veux plus que quelques allégations générales pour dénoncer la prétendue gabegie de l’AME.

Mais, fan de Tian, Bennasar, lui, assène sans critique ses affirmations, partisanes par nature : 50% des dossiers d’AME seraient faux. Pourtant la même ministre a déjà répondu tout aussi officiellement, sur les bancs de l’Assemblée, que ce taux portait sur des dossiers ayant fait l’objet d’un signalement, donc déjà suspects : « quand les organismes considèrent qu’il y a suspicion de fraude, ils exercent des contrôles qui, à 49 %, un sur deux simplement, s’avèrent positifs : ce ne sont donc pas 49 % des bénéficiaires de l’AME qui sont des fraudeurs ». Tian, Goasguen et Bennasar devraient déjà repartir la queue entre les jambes au seul énoncé de cette rectification.

Après les stats, il y a les anecdotes croustillantes, pour convaincre. Cyril Bennasar mentionne un article de Libération « paru il y a quelques semaines », et qui rapporterait ce cas d’une fécondation in vitro d’une femme camerounaise payée à l’AME. La précision vise à donner une autre acuité à cet exemple, mais foin de « quelques semaines » pourtant : sauf à considérer que 130, c’est encore « quelques », l’article en question date… du 24 janvier 2008. Il s’agit du même article que celui que « Thierry Mariani n’en finit pas de citer », comme le rapporte Le Figaro. Une telle aubaine, tu parles… Mais pourtant cet article ne rapporte pas le cas d’une fécondation faite par-dessus la jambe, mais détaille les hésitations, les doutes, et la longueur de la procédure qui a en effet débouché sur une autorisation contestable. Et le fait de ne pouvoir citer qu’un exemple intervenu il y a deux ans et demi n’en dit-il pas assez long sur la rareté de ces cas ?

Bougez pas : il y a aussi le cas de cet Egyptien qui demandait une opération de reconstruction d’un doigt, coupé il y a longtemps. Mais les mêmes qui rapportent ce cas indiquent aussi que l’opération lui a été refusée. Si un Africain venait à demander qu’on lui « enlarge son penis » comme on nous le propose si souvent, et qu’on lui refuse, faudra-t-il compter cela parmi les dérives du système ?

Dernière fable à votre attention : les cures thermales. Bonne Mère… Ils devraient être tout rouge d’oser cela. Ou le dire à voix basse, l’écrire tout petit. Que les curistes de mes lecteurs apportent leur témoignage sur le nombre de sans-papiers croisés à Evian, Vittel ou Eugénie-les-bains. Que Tian, Mariani, Goasguen ou Bennasar me soutiennent en face qu’ils accourent en masse d’Afrique jusqu’à Dax, déjouant les périls et les contrôles de la police française pour se faire masser les fesses aux frais de la princesse.

L’AME, c’est 46 fois moins que le déficit de la Sécu

Viennent les chiffres : 540 millions, c’est vrai que c’est une somme. Elle est à comparer au déficit de la Sécu, 46 fois supérieur. Ou au budget de la Sécu, 727 fois supérieur. On supprimerait l’AME qu’on ne s’en rendrait pas compte.

Une fois les ressentis personnels écartés, il faut aller lire les gens sérieux. Et le rapport de l’IGAS de 2007 se lit vite. On y apprend que « L’AME représente une dépense d’environ 400 M€ par an [qui est] mal maîtrisée seulement en apparence » (pages 14 à 18), le lissage de certains effets statistiques amenant à constater une certaine stabilité des dépenses. On y lit que cette population privilégiée qui se goberge avec mes impôts, est touchée à hauteur de 19 fois plus par le SIDA. 10 fois plus par l’hépatite C. Que les étrangers sont 15 fois plus touchés par la tuberculose que les Français. Loin des énoncés péremptoires, on y trouve détaillées aussi les maigres économies attendues de la mise en place d’un ticket modérateur, compte tenu des lourds frais de gestion qu’elle entraînerait. Et on y lit enfin que les fécondations in vitro ne font pas débat puisque, bien qu’en nombre « très limité », les personnes auditionnées par la mission les citaient déjà comme devant être exclues du panier de soins.

Alors, ok, ce n’est peut-être pas son âme que perd la France en restreignant l’accès aux soins aux sans-papiers. C’est plus au niveau du ciboulot que ça ne tourne pas rond. Car la santé publique pourrait, elle, y perdre beaucoup, si cette population se faisait diagnostiquer le SIDA, l’hépatite C, ou la tuberculose à un stade plus avancé. Et, s’il faut parler pépettes, ce ne serait pas sans conséquences financières.

Elle n’y perd pas son âme mais elle y perd bien la tête car les députés ont en fin de compte voté à grand bruit… une disposition existante : le principe du ticket modérateur figure dans la loi de finances rectificative pour 2002 (article 57). Claude Goasguen était déjà là. Dominique Tian aussi. Ma main à couper qu’ils l’avaient déjà votée ! Simplement, les décrets d’application ne sont jamais venus parce qu’au-delà des rodomontades politiques, la mise en oeuvre de cette participation financière s’avère compliquée et, in fine, onéreuse.

Non, la France ne perd pas son âme. Mais elle a des bleus à l’âme quand, avec force moulinets, ses députés, votant des lois inutiles, ne font que s’abimer dans une gesticulation politicienne grossière autour de cette idée recuite que l’étranger nous mange la laine sur le dos.