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Fillon II : quand la droite est adroite

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Quelques réflexions à chaud sur ce nouveau gouvernement Fillon. On ne s’attardera pas sur le timing baroque de l’opération, qu’on dirait tout droit sorti du cerveau atrophié d’un storyteller fatigué: six mois de suspense de moins en moins insoutenable et de plus en plus risible, conclus par cette hallucinante séance de travail du dimanche. J’espère qu’on aura compris le message: la situation est grave, mais le président et son principal collaborateur sont sur le pont, contrairement à vous autres feignasses qui avez fait le pont.

On s’interrogera d’abord sur les ressorts cachés du pschitt de l’option Borloo. Bien sûr, il y a la version officielle du désormais président à plein temps du Parti radical, plus ou moins reprise par la plupart des éditorialistes : une rupture de dernière ligne droite entre Borloo et Sarkozy qui, après l’avoir envisagé un temps à Matignon, aurait jugé préférable de reconduire Fillon, notamment sous l’influence de l’UMP profonde (traduisez feu le RPR) et de son groupe parlementaire. Honnêtement, ça tient la route. Mais on pourra aussi être tenté par une version un peu plus oblique des faits. Certes, au terme de cette polka, Borloo n’est pas à Matignon; mais en un mois, qu’on le veuille ou non, son poids politique a été décuplé. Il a d’un seul coup retrouvé son crédit écorné à force de rognages successifs de son Marshall des banlieues puis de son Grenelle de l’environnement -sans oublier sa gestion, disons, approximative des dossiers. Or Sarkozy est le seul responsable de cette remonétisation de Borloo. Simple dégât collatéral de l’opération remaniement? A moins que le président, qui a oublié d’être bête, pense rendre désormais impossible l’émergence d’un concurrent centriste dangereux pour 2012: il peut compter sur Borloo, Morin et Bayrou pour régler ce détail.

Le come back d’Alain Juppé est bien sûr un autre moment fort de cette «séquence», pour reprendre le psittacisme médiatique de la saison. Certes, il est numéro deux du gouvernement. Mais on s’est bien gardé de lui donner l’Intérieur, les Finances ou la Justice. Coincée entre l’Otan d’une part et l’Elysée de l’autre, la Défense n’a plus grand chose de régalien (sinon, on ne l’aurait jamais filée à Morin!). Ce n’est assurément pas rue Saint-Dominique que se jouent les décisions stratégiques et la présence de la France dans le monde (ou plutôt son absence). N’empêche, pour essayer de réparer les dégâts de son prédécesseur, il faudra au moins la ruse, la culture et l’intelligence de Juppé. Des qualités qu’un esprit retors pourrait aussi juger utiles pour marquer à la culotte l’occupant actuel de Matignon…

Exit les charlots !

Néanmoins, ce remplacement à la Défense d’un branquignol par un cerveau politique a quelque chose d’emblématique. Exit les charlots en tous genres, qu’ils soient issus de l’ouverture à gauche, comme Kouchner et Fadela Amara, de la discrimination positive comme Rama Yade, de la parité comme Anne-Marie Idrac ou de la cuisse de Nicolas Jupiter, comme l’inénarrable Estrosi. On peut penser ce qu’on veut de la politique mise en place par Eric Besson (pour ma part, uniquement du mal), on est terriblement rassuré de voir ce teigneux à QI +++ remplacer à l’Industrie le sympathique mais ectoplasmique Niçois. Certes en échange de son départ, on récupère Mariani et Lefebvre (on aurait été plus avisé de garder Bockel, Novelli ou Falco, qui ont fait le job); mais il fallait bien donner quelques zakouskis à la droite de droite.

Toujours dans le cadre de la prime au sérieux, -et sans porter de jugement sur les politiques à venir[1. Hormis un épais a priori négatif, mais faut pas non plus m’en vouloir d’être de gauche] – on a vu sans trop de surprise rester MAM, Hortefeux, Mercier, Frédéric Mitterrand et Jean Noubly[2. Selon l’excellent gag de Basile], revenir Xavier Bertrand ou arriver le pétulant Maurice Leroy; on s’étonnera même, à cette aune, de l’absence de Gérard «The Brain» Longuet, qui n’aurait certainement pas déparé dans le décor. M’est avis qu’il n’invitera pas Martin Hirsch à son anniv’…

Autre surprise, heureuse celle-là: la nomination de Jeannette Bougrab[3. Message personnel: je ne lui en veux absolument pas de m’avoir privé de mon agréable passe-temps de sniper de la Halde sur Causeur] Elle a prouvé, en quelques mois d’exercice à la Hototo, including le coup d’éclat du procès Baby Loup, qu’une «issue de» n’était pas forcément qu’une «issue de» et qu’une charmante demoiselle pouvait aussi être sévèrement burnée.

Bref, du point de vue de la droite, on pouvait difficilement imaginer choix plus inspiré. En rupture totale, d’ailleurs, avec toutes les promotions improbables qui ont prévalu depuis 2002 (Remember les Juppettes…). D’ailleurs, si on cherche bien, la dernière fois que la France a été dirigée par des ultra-compétents, c’était du temps de Lionel Jospin (featuring Védrine, Mélenchon, Aubry, Allègre et même, un temps, Chevènement). On tenait là, tout comme avec Fillon II, une vraie équipe de killers!

L’Histoire a montré, hélas, que ça n’était pas forcément un gage de réussite…

On achève bien les chevaux avec!

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Rien ne va plus aux Etats-Unis. Le produit qui entre dans la composition du cocktail utilisé pour exécuter par injection les condamnés à mort, et qui répond au doux nom de thiopental sodique, est en rupture de stock, nous apprend le Wall Street Journal. Résultat, maints Etats reportent des exécutions programmées de longue date. Impossible de tenir le planning, des bouchons se créent dans le tunnel de la mort, les klaxons fusent, bref, c’est la chienlit.

Heureusement, les professionnels consciencieux, uniquement motivés par le respect dû au bras séculier, trouvent des solutions viables, si l’on ose dire.

C’est le cas en Oklahoma. Ce n’est pas pour rien que sa devise officielle est « Labor Omnia Vincit » : à force de travail et d’abnégation, ses représentants ont déniché un produit de substitution : le pentobarbital, d’ordinaire à usage vétérinaire. En somme, un remède de cheval. Si c’est bon pour les bêtes de ferme, cela siéra à la bête humaine.

Les avocats de celui qui doit servir de cobaye le 16 décembre prochain, James David Duty, s’insurgent avec des arguments qui pourraient sembler faiblots : le pentobarbital « n’a pas été testé, est potentiellement dangereux et pourrait donner lieu à une torture« .

Va pour le test et la torture. Mais oser arguer, à propos d’une injection létale, que la drogue est « potentiellement dangereuse« … Il y a vraiment des phrases qui tuent!

C’est tous les jours fête

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C’est en apprenant que nous devions commémorer aujourd’hui la journée mondiale de la gentillesse et en me souvenant qu’il y a quelques semaines il s’agissait de la journée mondiale de ménopause, que j’ai pris la décision d’entamer des recherches sur toutes les journées mondiales, internationales, nationales ou d’autres ampleurs afin, peut-être, d’en faire profiter mes lecteurs. Mes recherches ont très vite abouti. Un site recense en effet deux-cent-trente deux évènements de ce genre. Il n’est pas inintéressant d’en faire une sélection tout à fait partiale et de les agrémenter de quelques commentaires et conseils.

13 novembre : Journée mondiale de la gentillesse mais aussi – on en a très peu parlé – journée mondiale de l’utilisabilité – ça ne s’invente pas. Ce dernier concept, pour les ignares, se définit par la norme ISO 9241 comme « le degré selon lequel un produit peut être utilisé, par des utilisateurs identifiés, pour atteindre des buts définis avec efficacité, efficience et satisfaction, dans un contexte d’utilisation spécifié ».
Montrez-vous efficaces et tentez de faire d’une pierre deux coups. Achetez l’objet le plus utilisable possible et tentez de l’utilisez devant vos proches. Evitez les meubles à monter soi-même ou les maquettes si vous avez -comme votre serviteur- deux mains gauche. Cela vous évitera un fiasco : énervé par le côté totalement inutilisable de l’objet, vous finiriez par donner une torgnole au gosse puis par insulter votre femme, réduisant à néant votre engagement à être gentil toute cette journée.

14 novembre : Journée mondiale du diabète. Par solidarité, mangez 25 tablettes de chocolat. Sauf si vous être diabétique, évidemment.

15 novembre : Journée mondiale des écrivains en prison. Examinez le cahier du jour d’un de vos enfants, le plus malingre et chétif, de préférence. A la moindre faute de grammaire ou de syntaxe, enfermez le trois bonnes heures dans la cave pour le faire réfléchir sur la chance qu’il a de vivre sous nos latitudes. Ou obligez-le à lire du Marc Lévy, du Guillaume Musso ou, pis, du Christine Angot, enfin de lui faire saisir toute la joie que peuvent apporter des écrivains en liberté.

16 novembre : Journée Internationale de la tolérance. Vous souvenant de Paul Claudel (La tolérance ? Il y a des maisons pour ça) et constatant avec regrets l’œuvre de Marthe Richard, faites un aller-retour dans un Eros-Center outre-Rhin ou une discothèque coquine des environs de Barcelone. Si votre épouse vous le reproche, vous pourrez lui faire remarquer qu’elle n’est guère tolérante en cette journée.

17 novembre : Encore une journée chargée. On fête à la fois la Journée internationale de la prématurité et la journée nationale de l’épilepsie. Convaincus par Frédéric Martel qu’il faut être mainstream et que la journée nationale doit s’effacer devant l’internationale, tentez de convaincre votre charmante épouse, enceinte de six mois, tout l’intérêt d’avoir un enfant prématuré au regard de la législation fiscale.

18 novembre : Deux événements encore ! La Journée de la philosophie à l’UNESCO et la Journée mondiale contre les Broncho-Pneumopathies Chroniques Obstructives. Lisez du BHL, ça vous fera tousser.

19 novembre : Journée mondiale pour la prévention des abus envers les enfants. Coupez la télé.

20 novembre : Journée internationale des droits de l’enfant, Journée mondiale pour l’industrialisation de l’Afrique (sans enfants dans les usines, supposé-je), Journée nationale contre l’herpès et Journée internationale du souvenir trans. Cette dernière, qui est commémorée depuis 1998, en souvenir de l’assassinat de Rita Hester à Boston, invite à se souvenir des victimes de la transphobie. Comme un malheur ne vient jamais seul, c’est mon anniversaire. Toute coïncidence ne serait que fortuite. Merci.

21 novembre : Journée mondiale des pêcheurs artisans et des travailleurs de la mer, Journée nationale de la trisomie 21 et Journée mondiale de la télévision. Le théorème de Martel s’applique encore, malheureusement pour les trisomiques. Si le 21 tombe un vendredi, regarder Thalassa en famille permet de combiner agréablement les deux événements de portée mondiale.

25 novembre : Vous n’avez rien célébré depuis quatre jours. Vous êtes donc remonté comme un coucou pour commémorer la Journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes qui tombe fortuitement (?) la jour de la Sainte-Catherine. Organisez donc une manifestation contre ces cérémonies d’un autre âge qui consistent à fêter les catherinettes, stigmatisant au moyen d’un chapeau ridicule les célibataires de sexe féminin. Vous aurez ainsi fait reculer davantage le patriarcat tout-puissant.

26 novembre : C’est la Journée des enfants de rue. Par pitié, même si vous votez Sarkozy, ne dénoncez aucun gosse rom souhaitant nettoyer votre pare-brise. Hortefeux, exceptionnellement, fermera les yeux.

28 novembre : C’est la Journée mondiale sans achats. Réunissez toute votre famille, surtout votre femme et vos filles. Passez-leur le dernier discours de François Fillon sur la faillite des finances de notre nation et tentez un parallèle avec celles de la famille. Si cela ne suffit pas, confisquez toutes les cartes bancaires. Maudissez aussi l’imbécile qui a autorisé que les magasins ouvrent davantage le dimanche puisque, sans cela, vous auriez pu au moins éviter cette corvée cette année.

29 novembre : Journée nationale de solidarité avec le Peuple palestinien. Je passe. Pas envie de finir comme Nicolas Bedos.
Le mois de novembre se termine. Epuisé, vous décidez, en commun accord avec votre famille, de ne célébrer qu’une journée par mois, ce qui a l’immense avantage de raccourcir mon papier.

Décembre : Sortez des sentiers battus. Ne célébrez ni le climat, ni l’abolition de l’esclavage, ni les migrants ni les droits de l’homme et privilégiez la Journée internationale de la montagne (le 11). Si vous vous sentez trop peu entraîné pour tenter l’ascension du Mont-Blanc, distribuez les paroles de la chanson de Ferrat à vos enfants. Cela les changera de Bénabar et de Cali.

Janvier : Aux lépreux et à la mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité, préférez la Journée mondiale de la Corse (le 9). Et si vous profitiez de cet évènement pour offrir une cagoule à tous vos enfants ? Après tout, il est fort probable que leur prix soit rapidement amorti en cette saison.

Février : Pas question de céder à la pression du camarade Leroy en participant à la journée mondiale sans facebook. Les maladies rares, le cancer, et le scoutisme ne vous passionnent guère. Choisissez donc la Journée mondiale des zones humides (le 2). Afin de la célébrer, faites-vous violence ! Privilégiez, pour une fois, les préliminaires.

Mars : La lutte contre l’exploitation sexuelle, la semaine nationale contre le cancer et même le fromage -ce qui me coûte en tant que franc-comtois- ne pèsent rien par rapport à la désormais célèbre et incontournable Journée nationale pour la courtoisie au volant (le 25). Ce jour là, ne traitez aucune conductrice de pouffiasse ni de conducteur d’espèce de trou du cul. Le vocabulaire de vos enfants, assis sur la banquette arrière, ne s’en portera pas plus mal.

Avril : Plutôt que l’hémophilie, le paludisme, les secrétaires et la propriété intellectuelle, choisissons la Journée mondiale des luttes paysannes (le 17). Affranchissons-nous de toute référence marxiste et méditons le sage conseil de notre géniteur : « David, si tu dois te bagarrer avec quelqu’un, évite de préférence les paysans ».

Mai : Foin du dépistage du cancer de la peau, de l’hypertension, de l’homophobie et de l’infirmière. Au mois de mai, il y a la Journée du pied (le 12). C’est important le pied. Si vous arrivez à en mettre un devant l’autre et si vous le prenez de temps à autre, ma foi, c’est que vous n’êtes pas en si mauvaise santé.

Juin : Vous auriez pu choisir la Journée internationale de la lenteur, ou encore les victimes de la torture, les réfugiés ou la drépanocytose. Mais nous vous conseillons plutôt la journée mondiale du tricot (le 12). Et de méditer sur cette citation du Général : « Une femme ministre ! Et pourquoi pas un ministère du tricot ? ».

Juillet : Pas grand-chose à célébrer. Sauf le bandeau blanc contre la pauvreté, la population ou les coopératives. Mais la Journée de la destruction des armes légères (le 9) peut s’avérer intéressante. Décider, par exemple, de détruire la tapette à mouche et laisser tranquille ces pauvres insectes jusqu’à la fin de la saison estivale ne manquerait assurément pas de panache. Surtout si vous habitez la campagne.

Août : Evitez la traite négrière, les gauchers, la jeunesse et l’aide humanitaire. Attendez le 31 afin de célébrer la Journée mondiale du blog. Et lisez le mien, de préférence.

Septembre : Il y a les sourds, le refus de l’échec scolaire, ou la paix. Mais il est de notre devoir, dans la mesure de nos modestes moyens, de sortir de l’anonymat médiatique la Journée internationale du Parler Pirate. Tortionnaires que nous sommes, nous obligeons nos enfants à apprendre l’anglais, l’espagnol voire l’allemand, alors qu’il serait si original de leur faire donner des cours de langage pirate, ce qui aurait l’avantage de leur offrir quelques débouchés au pôle emploi de Mogadiscio.

Octobre : Quel choix difficile en ce mois d’octobre ! L’allaitement maternel, la vue, le psoriasis, la canne blanche, le bégaiement, les Nations-Unies… Que de causes à célébrer ! Mais tout de même, la Journée mondiale de la ménopause a eu le mérite d’attirer -avec la gentillesse – notre attention sur ce phénomène contemporain des journées mondiales, internationales ou nationales dédiées. Alors, ne boudons pas notre plaisir. Deux cas sont à étudier. Petit a : votre légitime n’a pas encore atteint la ménopause. Il faudra alors la convaincre qu’il est de son devoir qu’elle se sacrifie le temps d’une journée où vous hanterez les thés dansant de la région et jouerez au taxi-boy. Petit b : votre légitime a déjà atteint ce stade de la vie féminine. Dans ce cas, il ne serait pas incongru que vous profitiez de cette journée pour l’honorer. Comme ce serait la première fois de l’année, il ne serait pas étonnant qu’elle y consente.

Mamika débarque en France

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Sacha Goldberger expose sa Mamika à la Wanted Gallery à Paris jusqu'au 30 novembre.
Sacha Goldberger expose sa Mamika à la Wanted Gallery à Paris jusqu'au 30 novembre.

Sacha Goldberger, artiste-photographe, dédie à sa grand-mère Frederika, alias « Mamika », une série de portraits. Réalisées depuis décembre 2006, ces photos la mettent en scène dans les situations les plus absurdes et déjantées qu’elle a (presque) toujours acceptées. « Mamika » (« petite grand-mère », en hongrois), 91 ans, est un phénomène. Frederika vit dans un décor assorti à son prénom. Il y a quelque chose de la Mitteleuropa dans ce mélange à la fois bourgeois et très chaleureux où la simplicité de l’hôte laisse respirer une indiscrète odeur de fantaisie. Mamika est née de l’imagination de son petit-fils, Sacha. Ce fils de pub, ancien directeur artistique dans des agences de renom, a voulu redonner un peu de joie de vivre à sa grand-mère alors qu’elle commençait à sombrer. Si la vieillesse est une salle d’attente, pourquoi ne pas se distraire un peu avant qu’on nous appelle ?

Jamais moqueuses, les photographies de Sacha Goldberger sont simplement cocasses, comme cette Mamika « malade », qui prend sa température avec un gros thermomètre d’appartement sous la langue. Enlevons cet objet incongru, et nous ne verrions qu’une vieille dame pâle et souffrante. Notre rire se figerait, voire se transformerait en larmes. Les répliques de Mamika, qui accompagnent ces clichés, n’en sont pas moins drôles : « Heureusement que j’ai une grande bouche. Tu imagines ce thermomètre dans un derrière ? La vie est injuste, il existe dix mille maladies, et on n’a qu’une seule vie. »[access capability= »lire_inedits »]

Une grand-mère qu’on ne présenterait pas à son fiancé

L’humour de Sacha et de sa grand-mère, c’est la revanche de la vie au bord du gouffre. Alfred de Musset ne disait-il pas, après avoir vu Le Misanthrope : « Quelle mâle gaîté si triste et si profonde – Que lorsque l’on vient d’en rire, on devrait en pleurer. » Cette vision ironique de l’existence a créé la série Supermamika.

Inspiré par les bandes dessinées américaines de son enfance (les comics), Sacha Goldberger a mis en scène sa grand-mère en costume de super-héros taillé spécialement pour elle. Un casque rouge customisé d’une étoile blanche vissée sur la tête, des rides non photoshopées, moulée dans un justaucorps rouge et un collant argent, une cape bleue sur les épaules, Supermamika vole dans les plumes du jeunisme.

Au rythme des staccatos, Frederika, qui aurait tant rêvé être une violoniste virtuose a, quant à elle, joué sa vie.

Née à Budapest, fille d’un riche industriel et sénateur juif hongrois, Frederika a grandi dans le beau, le raffinement et l’amour. Et puis, le nazisme est passé par là. Déportation de sa famille, assassinat de son père au camp de Mauthausen. Elle échappe à la mort en traversant le Danube gelé avec sa mère, sa fille et une dizaine de personnes, autant qu’elle pouvait en sauver. Plus tard, Frederika fuira le régime communiste et finira, après un périple à travers l’Europe, par trouver refuge en France. Et pourtant, elle ne voit rien d’extraordinaire ou d’héroïque dans ce chemin de vie qu’elle partage avec tant d’autres enfants de la première moitié du XXe siècle. Mais ces douloureuses épreuves n’ont pu venir à bout de ce petit bout de femme au caractère bien trempé. « Voyez-vous, la vie est naturellement dure », dit-elle de sa voix douce, en roulant les r. Une ashkénaze du shtetl aurait ajouté : « Et elle n’est pas faite pour nous amuser. » Or, rien n’est plus loin de l’esprit de Frederika, baronne en titre, héritage de sa grand-mère anoblie.

Après avoir tout perdu, Frederika reconstruit sa vie autour d’un métier : conseillère en style. Elle fondera son propre bureau de tendance, prisé du Tout-Paris et d’ailleurs, qu’elle finit par quitter à 80 ans. « Il était temps que je laisse la place aux jeunes », déclare-t-elle, l’oeil rieur et le sourire en coin : elle n’en pense pas un mot. Joueuse, séduisante et attendrissante, Frederika possède des atouts coquets et délicats, qui nul doute charmèrent ses quatre maris successifs. Le premier devient homosexuel, le deuxième, le grand-père de Sacha, la trompe allègrement avec sa meilleure amie et le troisième meurt Dieu sait où. Du quatrième, Louis, un bel homme plus jeune qu’elle, Frederika en parle toujours comme de son plus grand amour, mais on n’en saura pas plus…

Ce qui est certain, c’est que Mamika n’est pas la grand-mère que l’on présenterait à son fiancé : elle fume une banane comme un havane, se fait des bigoudis avec des carottes, se lime les ongles avec un cornichon… Autant de mises en scène burlesques allant crescendo : elle sirote son thé avec deux pailles, servi dans une traditionnelle bouillotte de couleur rose ; cigarette d’après l’amour à la main, Supermamika offre une bouffée à Superman, allongé dans un lit à ses côtés, grandeur Kinder-surprise, non loin d’un Batman de 10 cm, l’amant caché sous le sommier. Sacha Goldberger a réussi la gageure de créer une esthétique du rire.

Mamika, grande petite grand-mère, de Sacha Goldberger, Éditions Balland, 19,90 euros. www.sachabada.com. Exposition jusqu’au 30 novembre à la Wanted Gallery à Paris, 23, rue du Roi de Sicile, 75004 Paris.

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Remaniement : Juppé premier servi

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Depuis que l’an dernier, Frédéric Mitterrand a lancé la mode d’auto annoncer sa nomination au gouvernement, on attendait le prochain. And the winner is Alain Juppé. Le maire UMP de Bordeaux a annoncé hier samedi à mots à peine aussi couverts que Lady Gaga par temps de canicule sa cooptation dans la nouvelle équipe Fillon. L’événement était sans doute d’une portée suffisamment historique pour que l’ancien premier ministre grille la politesse à l’occupant actuel de Matignon. Il l’a donc fait en déclarant sur France Info que ce « n’est pas la première fois qu’un ministre est maire d’une grande ville », avant d’ajouter: «Une partie des Bordelais me disent : allez-y, c’est bien pour la ville. Et d’autres disent: vous aurez moins de temps à nous consacrer, on n’est pas très contents. J’espère leur démontrer que je peux faire les deux choses.»

Imparable, comme raisonnement, à ceci près que dans son empressement, Alain a oublié deux autres catégories de Bordelais. Ceux qui s’en contrefichent, et ceux qui pensent « Bon débarras ! »

Irak : les chrétiens font de mauvais martyrs

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Comme toujours, La France répugne à dénoncer la persécution des catholiques dans le monde. Alors que les grandes démocraties la condamnent explicitement et immédiatement, tels les Etats-Unis, ces dernières heures, suite aux attentats de Bagdad, nos diplomates finassent, nuancent et tergiversent. Les précautions oratoires du Quai d’Orsay ne font plus guère illusion : la suspicion semble jetée d’emblée sur les chrétiens persécutés. Tout se passe en effet comme s’ils en rajoutaient, comme si les martyrs catholiques en faisaient toujours un peu trop. De toutes les façons, la persécution religieuse, cela n’existe pas pour la France, cela n’a jamais existé puisque la religion elle-même n’existe pas publiquement. Puisque la religion n’existe pas.

De même que la « Guerre des Balkans » n’était, d’après le ministère des Affaires étrangères d’alors, qu’une guerre interethnique – comprenez tribale -, à laquelle les catholiques croates ont bien pris leur part, de même les catholiques d’Irak sont pris aujourd’hui, nous disent les hérauts du pays des droits de l’homme, dans une espèce de tourbe. Une tourbe dans laquelle il n’y a ni victimes ni bourreaux, ni coupables ni martyrs, mais une foule de barbares demeurés qui s’entretuent et attendent tous désespérément leur salut de la Démocratie, c’est-à-dire de nos leçons de morale. C’est du moins ce qui ressort de la déclaration récente du MAE. Explication de texte.

« Nous condamnons avec la plus grande fermeté toutes les violences en Irak. » Notez que la France condamne des « violences ». Aucunement les persécutions religieuses… Vous n’y pensez pas. Un nettoyage ethnique ? Vous voulez rire. « Les attentats qui ont lieu aujourd’hui à Bagdad et qui auraient fait au moins 6 victimes parmi des membres de la communauté chrétienne comme ceux qui ont eu lieu le 8 novembre à Najaf et Kerbala et qui ont causé la mort de plus de trente personnes, dont dix pèlerins iraniens, sont des actes barbares et lâches qui endeuillent à nouveau l’Irak.»

Les attentas auraient fait six morts…. On n’est pas vraiment certain qu’il y ait eu des morts du côté catholique en Irak, en fait. Ou plutôt « parmi les membres de la communauté chrétienne ». J’oubliais : il n’y a pas de « chrétiens » pour la France mais « les membres d’une communauté », qui se trouve être la communauté chrétienne, en l’occurrence. Laïcité oblige : la religion appartient à la sphère du privé. Il n’y a que des citoyens en France et pour la France. En revanche ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu des morts, de vrais morts, de vrais beaux morts du côté non-chrétien et bien davantage : trente. Trente réels contre « 6 » hypothétiques. Jugez par vous-mêmes.

« Dans ce contexte tragique, nous exprimons toutes nos condoléances aux familles et aux proches des victimes si durement frappés, ainsi qu’aux autorités irakiennes. » « Si durement frappés ». Par qui ? Par quoi ? Le sort ? La destinée ? En réalité, la France est immensément polie. Elle exprime ses condoléances les plus sincères aux parents des victimes du nettoyage ethnique mais aussi et surtout aux autorités irakiennes. On aurait tendance à l’oublier. Ce qu’on ne sait pas, c’est que les plus à plaindre dans cette histoire, ce ne sont pas les catholiques (d’ailleurs on n’est même pas sûr qu’ils soient morts), ce sont les pauvres autorités irakiennes. Les pauvres autorités irakiennes démunies devant tant de méchanceté, de haine et de religion.

« La France est solidaire de l’Irak et reste plus que jamais engagée à ses côtés dans la lutte contre le terrorisme. » Comment ? Comment la France reste-t-elle engagée dans la lutte contre le terrorisme ? Par la pensée, par l’esprit bien sûr et par le cœur bien évidemment. Il faut reconnaître que la France a accueilli dans ses hôpitaux les « membres de la communauté chrétienne » blessés dans les attentats. Ils sont autorisés à cicatriser chez nous. Forme suprême de la grandeur d’âme postmoderne.

« Bernard Kouchner a proposé que le Conseil de sécurité se réunisse. Ces consultations se tiendront aujourd’hui même à New York. L’objet de cette réunion est que le Conseil condamne les attaques contre tous les Irakiens, notamment celles visant des lieux de cultes qu’ils soient musulmans ou chrétiens. » L’important dans cette phrase, c’est l’adjectif « tous ». Il faut que le Conseil condamne les attaques contre tous les Irakiens, annonce le Ministre français. Pas seulement contre les chrétiens. Qu’on se le dise : la France ne prend pas le parti exclusif des chrétiens. D’ailleurs, il n’y a pas que les croyants qui soient persécutés. Les lieux de culte ne sont pas les seuls lieux visés. Il est nécessaire de le préciser, semble-t-il. Ne nous laissons pas aller au sentimentalisme. Un prêtre assassiné en pleine messe, c’est très triste. Mais il n’y a pas que les catholiques dans la vie.

Florent Pagny victime d’une fuite de cerveau

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Après tant d’autres brillants sujets, Florent Pagny, baryton hurleur, naguère patagon, a quitté la France pour Miami, où il installé sa petite famille. Cet événement majeur, dont on mesure encore mal les effets sur le rayonnement culturel national, serait resté ignoré de nos concitoyens, s’il n’y avait eu un incident de langage, provoqué par Florent, sans doute ému, quoi qu’il en ait, de s’exprimer en français. Cet immense artiste, que le monde entier ne semble pas nous envier, se répand un peu partout sur les ondes et dans la presse, afin de promouvoir les ventes de son dernier opus (il vit aux USA, mais il vend ici).

Or, un instant submergé par l’émotion, l’extravagant apatride s’est laissé aller à quelques confidences, suivies d’explications embrouillées. Il était question de son fils aîné, prénommé Inca, que son statut d’enfant de célébrité rendait mal à l’aise à l’école. Entraîné par son élan, Florent précise à la radio Chérie FM les raisons qui l’ont contraint à fuir notre beau pays, dont celle-ci, qui paraît dominante : « Un jour ton môme il rentre à la maison et se met à parler rebeu (arabe). Tu lui fais : “Ce n’est pas possible !” […] Verlan encore tout va bien, mais là il n’y a pas de raison […] »

Aussitôt, Internet s’en mêle : gros buzz, scandale, SOS racisme exige des excuses publiques, et tout le toutim ! La suite est du même tonneau ; le chanteur se débrouille comme il le peut, c’est à dire qu’il s’embrouille, usant d’un sabir de showbusiness. Il a raté sa promo, son producteur est aux cents coups, il tente de rattraper l’affaire. Patatras ! À Ali Baddou, chroniqueur au Grand journal de Canal +, qui a trouvé choquant le mot “rebeu”, le père d’Inca répond : « C’est pourtant pas péjoratif, moi j’ai des potes “rebeu”, j’ai des potes “feuj” (juifs) et je ne vois pas à quel moment c’est péjoratif ».

À ce propos, on pourrait penser que, pour Florent Pagny, le français, c’est de l’hébreu.

Les petits mouchoirs, pourquoi tant de haine?

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Une certaine critique, c’est bien connu, ne se mouche pas du pied. Elle sait ce qui est bon pour le public, et ce qui mérite au contraire son attention. Elle n’est jamais en reste d’explications sociologiques pour justifier l’engouement que suscitent les films qu’elle démolit, ni en panne de filouteries esthético-philosophiques pour encenser ceux que les spectateurs ignorent. L’Elite du Goût a ses têtes et ses parias, ses lacunes phénoménales, beaucoup de mauvaise foi, pas mal de mauvais goût et une morgue à toute épreuve. Elle délaisse Wenders au moment où il approfondit ses esquisses, découvre Eastwood quand il commence à rabâcher, se moque de Séria, néglige Corneau, oublie Blain ; elle embaume si bien Carax et Rochant qu’elle les enterre avant l’heure, se moquant ensuite comme d’une guigne de leur fantôme qui en remontrerait pourtant à bien des cinéastes en cour.

Bouffées de haine

Même si son audace de supermarché et ses pudeurs de vieille fille n’interrogent plus personne, l’Elite du Goût a parfois de ces bouffées de haine qui en disent long sur ce qui la fonde. De Libération aux Cahiers du cinéma, des Inrockuptibles à Chronicart, ce qu’elle a déversé sur Les petits mouchoirs de Guillaume Canet est avant tout révélateur de ses névroses. S’il fallait une preuve que le brûlot d’Onfray contre Freud fait fausse route, c’est bien cette unanimité riche de lapsus et de dévoilements qui l’apporte ! Ce que ces critiques redoutent, c’est le miroir. Le chroniqueur de Télérama s’empresse ainsi de préciser qu’il est « heureux de ne plus faire partie de cette génération-là », tandis que celui des Inrocks y voit « une certaine idée de l’enfer ».

Ce que les membres de l’Elite du goût ne pardonnent pas à Canet, en somme, c’est de les avoir pris, non pas comme cible – ils auraient fait les beaux joueurs -, mais comme personnages. Bien sûr aucun d’entre eux ne fait profession de critique de cinéma, mais les trentenaires-quadragénaires-quinquagénaires de ce film, ce sont eux ! Il suffit de les entendre se récrier qu’ils n’ont rien à voir là-dedans. « Je le jure, Votre Honneur, rien n’est vrai. » Ah oui ? Ce besoin d’assurer financièrement ses arrières et de se ressourcer dans les pays lointains les plus pauvres possibles, ce n’est pas vous ? Ces tout petits récits de cul et ces grandes histoires d’amour (par textos), non plus ? Ce besoin de festoyer en toutes occasions et d’agrémenter les journées par des objets culturels en vogue, toujours pas ? La sous-culture, la misère sexuelle et la haine de soi du Moderne, ce n’est pas dans les films et les livres que vous nous vantez, ou pire les témoignages et les aveux que vous nous livrez, qu’on la rencontre ? Vous, les membres éminents de la Nouvelle Classe, toujours partants pour « la déconne » et la leçon de morale nécessairement connexes…

Compotes et caleçons

Les Petits mouchoirs est le miroir morne de l’époque. C’est le film de « la génération Loft », à laquelle appartiennent, quel que soit leur âge, ses contempteurs farouches, goguenards ou indignés. Conçu comme un programme de télé-réalité dont il est une sorte de transposition romantique, vraisemblablement aveugle à elle-même, le film de Canet déploie logiquement la dramaturgie faisandée de son entrée en matière qui nous présente les personnages sous l’œil narquois et tendre de leur bourreau, puis leur huis-clos dans une résidence de luxe, où entre recherche de compotes ou de caleçons, des adulescents avec lunettes noires, chapeaux divers, manches qui couvrent les mains, se battent pour avoir le meilleur lit, paressent sur des transats ou des canapés, se disputent avant de se réconcilier, pètent les plombs avant de se confier de grands secrets ; enfin sa conclusion spectaculaire, l’émotion à son comble, feux d’artifice de phrases creuses et de larmes de reconnaissance, embrassades sous les yeux de toute la famille au cimetière.

Dans sa fureur, le Critique moderne s’est contenté de vomir sur le scénario, or ce film, qu’on le veuille ou non, est fait avec les armes du cinéma, toutes les armes d’ailleurs, accumulées sans sélection, utilisées sans précaution, inadaptées, excessives et puis soudain d’une grande justesse, mais à quoi bon en parler ? L’Elite du Goût avait vu du Rohmer dans Loft Story, et elle est incapable de voir du Cassavetes dans Les Petits mouchoirs. Pourtant, l’efficace montage de la séance d’ostéopathie entre Cluzet et Magimel, les brefs panoramiques anodins qui arrêtent brutalement le regard d’un personnage sur un autre, le découpage sensible des voyages en voiture, les variations d’échelle de plans qui font passer dans la même scène du ressassement d’une solitude à l’intimité d’un dialogue, tout cela c’est du cinéma !

Et c’est cela justement qui donne une crédibilité au fil blanc qui coud ensemble ces séquences édifiantes et ces scènes attendues. Le film de Canet, ce n’est pas juste des mots d’auteurs pour bande-annonce et de la fiction consensuelle. Ici, nous avons la faiblesse de croire que ce qui fonctionne, c’est l’intelligence de leur mise en forme. C’est par son utilisation parfois maladroite mais toujours velléitaire de la forme cinématographique que Canet parvient à retenir son spectateur ; grâce aux heurts parfois grossiers entre images léchées et plans imprévus, grâce aux digressions brouillonnes à la limite de l’improvisation contrastant avec un découpage toujours maîtrisé. Elle est là la référence, écrasante comme toutes les références, au Cassavetes de Husbands

Il n’y a pas de petits profiteurs

Cochons

C’est l’histoire de deux Suisses à contre-courant. Monsieur et Madame ont un compte bancaire en Helvétie, où le monde entier rêve depuis des siècles de planquer ses deniers. Bien sous tous rapports, ces citoyens raisonnables projettent cependant l’impensable : ouvrir un compte en France pour y transférer leur argent suisse. Le fait est qu’ils y sont obligés : installés à Paris mais payés en Suisse par des employeurs de là-bas, ils doivent régulièrement transférer leurs revenus en France afin de pouvoir remplir leurs devoirs de consommateurs parisiens (payer un loyer exorbitant, lâcher 14 euros pour un saucisson corse, bref, se saigner pour que la croissance de leur pays d’accueil ne sombre pas dans le ridicule).

Au moment de réaliser ce projet bancaire original, nos Helvètes nagent en plein bonheur migratoire. Ils ont trouvé un appartement dans la capitale, inscrit leurs deux filles à l’école, obtenu un numéro EDF et un numéro de mobile, chacune de ces opérations ayant demandé, soit dit en passant, une ténacité inouïe. L’ouverture d’un compte bancaire s’annonce comme une opération simple et plaisante. Elle représente aussi un moment symbolique : par cet acte, les nouveaux immigrés vont parachever la phase 1 de leur processus d’intégration. Par ailleurs, pour des Suisses, mettre les pieds dans un système bancaire étranger constitue une expérience quasiment transgressive. C’est un peu, en somme, comme s’ils s’apprêtaient à manger du chocolat belge.[access capability= »lire_inedits »]

Voilà donc nos deux primo-installés sur le point d’entrer dans la première banque venue lorsque, au détour d’une conversation, ils apprennent que les banques françaises prennent des frais à chaque virement venu de la non-Europe. Truffée de micro-accords avec l’UE, la Suisse ressemble à un pays de l’Union comme un poivron rouge à un jaune, mais elle est toujours en non-Europe. Donc, si on veut renflouer les banques françaises d’argent suisse, on paie. En ouïssant cette information, Monsieur et Madame ouvrent d’abord des yeux de carpe. Elevés aux mœurs suisses, ils n’ont jamais vu ni entendu dire qu’une banque prenne le moindre frais pour une opération aussi rudimentaire qu’un virement. Après une brève enquête, ils doivent pourtant se plier au fait. Et comme les établissements ne ponctionnent pas dans les mêmes proportions, nos deux agents économiques se résolvent à traiter les banques de Paris comme des marchands de salade. Ils se lancent dans ce harassant travail de comparaison de produit dont le capitalisme sait de mieux en mieux nous envahir l’esprit.

L’exploration du tissu bancaire de leur quartier les emmène ainsi en zigzags d’une banque à une autre, de la BRED à la Société Générale, du Crédit Agricole à Paribas. De cette petite balade, ils tirent rapidement un premier constat : à la question « Combien votre banque prend-elle pour un virement suisse ? », la plupart des employés de banque se révèlent incapables de donner une réponse claire. Tous offrent la même réaction : un visage qui se fige, comme si la question émanait d’outre-espace ; des yeux qui se couvrent d’un voile blanc, expression d’une terreur profonde ; une main, enfin, qui se dirige avec plus ou moins de tremblements vers un fascicule « Nos tarifs », qu’ils feuillettent pendant quelques secondes pour se donner une contenance avant d’aller chercher un supérieur qui n’en saura pas davantage et s’en sortira en renvoyant notre couple à la consultation dudit fascicule dont le contenu, bien entendu, est plus difficile à déchiffrer qu’un code informatique.

Deuxième constat de nos explorateurs, qui réussissent tout de même à isoler quelques données : en matière de frais, les banques françaises ne font pas les choses à moitié. En résumé, recevoir un virement de Suisse dans une banque française coûte jusqu’à 2 % du montant qu’on transvase. A la Société Générale, envoyer 2500 euros de Suisse revient à en envoyer 2450. Tous les établissements déduisent par ailleurs un minimum de 20 euros, quelle que soit la somme transférée. Autrement dit, qui reçoit 500 euros de Suisse voit cette somme diminuer de 4 %. Qui reçoit 50 euros perd 40 %, etc. Précisons que ceci n’inclut pas d’éventuels frais de change, qui sont du même ordre. Bref, pour engranger de l’argent qu’elles s’empresseront ensuite de prêter à des taux prohibitifs (ce n’est pas le cas en ce moment, mais ça viendra), les banques françaises se prennent des honoraires de notaire.

Coïncidence troublante, au moment même où nos Suisses vivent leur choc des cultures, la Commission européenne morigène sévèrement les établissements français. Non seulement les banques de l’Hexagone affichent « un piètre bilan en matière de transparence », mais elles figurent aussi « parmi les plus chères pour les comptes courants ». Il est vrai qu’au cours de leur promenade, nos deux aventuriers découvrent d’autres techniques de prélèvement. Retirer des billets dans un automate concurrent, être en relation avec un être humain pour retirer de l’argent, se voir refuser un chèque, se faire envoyer un chéquier, s’opposer à l’encaissement de l’un de ses propres chèques, bref, le moindre geste bancaire coûte, le plus souvent très cher, sauf si on se résout à contracter une assurance que les conseillers vous collent à votre ouverture de compte sans préciser son caractère facultatif. Si vous ne voulez pas vous faire tondre à la moindre occasion − ou plutôt, si vous préférez vous faire tondre avec régularité plutôt que par à-coups − ce sera donc au minimum 6 euros de frais de gestion par mois et par compte.

Le sommet de l’étonnement est cependant atteint le jour où nos deux Suisses rendent visite à Paribas. Ils sont d’abord accueillis par une employée à hauts talons, qui les met en attente dans de confortables fauteuils au milieu d’un vaste hall. Une deuxième employée vient ensuite prendre une deuxième fois leurs noms et qualités, avant de leur présenter un conseiller grisonnant et affable qui les emmène à pas feutrés dans un bureau isolé, au fond d’un couloir sombre et discret. L’échange se déroule d’abord selon le schéma habituel − stupeur, terreur, fascicule. Le bonhomme parvient quand même à ânonner le montant des frais de virement depuis la non-Europe, puis, comme choqué par le commentaire du couple qui ose évoquer la douceur des mœurs bancaires helvétiques, le même bonhomme lance benoîtement : « Mais dites-moi, si les banques suisses prennent si peu de frais, comment font-elles pour gagner leur argent ? »

Qu’on se le dise : les banques françaises ne tirent aucun revenu du prêt à intérêt, cette activité fondatrice de leur naissance et sans doute tombée en désuétude au royaume de Sarko. Elles ne tirent rien non plus de la spéculation, à laquelle se livrent leurs consœurs du reste du monde avec un succès qui ne faiblit pas. Elles ne peuvent donc, les pauvresses, faire leur beurre qu’en mitraillant leurs clients de ponctions diverses. A leur décharge, il est vrai que les banques françaises ne peuvent pas, comme leurs voisines suisses, miser sur l’évasion fiscale ; elles ne peuvent pas non plus compter sur leurs traders, qui s’acharnent à les mettre en faillite. En somme, notre couple a découvert qu’il y a banque et banque. Les unes jouent au casino avec l’argent qu’on leur confie ; les autres vampirisent leurs petits clients. Certaines, évidemment, font les deux.

Ne désespérons cependant pas trop. Dans ce sombre paysage, nos deux Suisses ont trouvé un établissement qui fait exception. Réputée pour être le refuge des pauvres − certains disent des « ploucs » − la Banque Postale ne prend de frais ni pour les virements venus de la non-Europe, ni pour les escapades vers des automates concurrents. De ce point de vue, c’est la plus suisse des banques françaises. À un détail près : alors qu’ouvrir un compte en Suisse prend, en comptant large, une quinzaine de minutes, la Banque Postale a mis six semaines à réaliser cette opération pour Monsieur et Madame. Nobody’s perfect.[/access]

Les comédiens ont ils une âme ?

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Je n’y entends rien au théâtre. Bien sûr, à l’âge de quinze ans, j’ai moi-même joué un des douze rôles-titres dans la pièce de Reginald Rose Douze hommes en colère, à Franklin[1. Collège d’origine catholique]; même que j’y fus excellent, d’après mes parents. Mais là s’est arrêtée, assez brutalement, ma carrière dramatique.
En tant que spectateur, mon CV n’est guère plus brillant : à part quelques pièces qui me tenaient à cœur, de Molière, Anouilh ou Ionesco, je crois bien n’être jamais allé au théâtre spontanément et en payant.

Sans doute un problème avec le genre théâtral lui-même – aggravé encore par ses formes les plus modernes. Je n’avais donc guère de chances de voir sur scène Laurent Terzieff, qui s’était fait l’ardent défenseur des auteurs contemporains. Il m’est même arrivé de le regretter amèrement, comme pour son Meurtre dans la Cathédrale (1995).
Au cinéma en revanche, j’ai toujours eu l’impression d’avoir affaire à un acteur inspiré. Terzieff était comme une réponse vivante aux interrogations théologiques du Moyen Age[2. Qui sont aussi souvent les miennes], genre « Les comédiens ont-ils une âme ? »
Si cet homme-là est devenu acteur, c’est précisément par un élan de l’âme !, comme on le comprend à la lecture du livre que Marie-Noëlle Tranchant a concocté sur lui avec lui, et qui sort aujourd’hui sans lui[3. Laurent Terzieff, Seul avec tous, Presses de la Renaissance]. Loin d’une banale bio, le résultat de leur travail commun est une sorte d’IRM métaphysique : il s’agit, selon elle, de « retracer un itinéraire intérieur, artistique, humain, spirituel. »

D’où la forme de l’ouvrage, tissé de fils tout sauf blancs : des entretiens réécrits par sa complice, où Laurent Terzieff se raconte avec chaleur et simplicité ; des écrits personnels sur le théâtre et ses écrivains préférés, où il parle évidemment de lui-même.
Comme le dit Luchini dans sa préface, Laurent Terzieff a renoncé à une « carrière de star » pour se faire « artisan dévoué du théâtre ». L’hommage est d’autant plus beau, venant de la seule vraie star de nos planches nationales. Mais il y a de nombreuses demeures dans la maison du Père et c’est heureux, n’est-ce pas ? Si tout le monde avait la même vocation, c’est six milliards de moines qu’on aurait massacrés à Tibéhirine.

Pour Terzieff en tout cas, le théâtre fut le plus lucide et le plus exigeant des sacerdoces, et on peut juger maintenant que ses vœux étaient perpétuels. Même la métaphore n’est pas gratuite : l’art dramatique, dit-il, c’est « la communion entre le monde visible et l’invisible » – et d’ailleurs, « tout ce qui est artistique procède du religieux ».
Non seulement Terzieff avait une âme (et l’a toujours), mais il était croyant – et il y a peu de risques qu’il ait changé d’avis. Plus précisément, un type comme lui était incapable de croire sérieusement au néant. Dans ses notes de lecture, on retrouve cette phrase violente de Simone Weil, qui résume à elle seule La Pesanteur et la Grâce[4. Pour ceux qui ne l’auraient pas relu cette année] : « Tous les mouvements de l’âme sont régis par des lois analogues à celles de la pesanteur matérielle[5. « Même l’amour ? », diront les Première Année. Surtout l’amour ! (cf. Caritas in Veritate)]. La grâce seule fait exception. »

Au point où on en est, filons donc jusqu’au bout la métaphore : ce bouquin lui aussi est une communion. L’effacement de Marie-Noëlle Tranchant devant son sujet prolonge la modestie de Terzieff face aux auteurs qu’il servait. Quand on comprend quelqu’un et qu’on l’aime, quoi de plus beau que de s’en faire l’interprète ?
Trêve de suspense : j’ai bien aimé ce bouquin.

Seul avec tous

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Fillon II : quand la droite est adroite

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Quelques réflexions à chaud sur ce nouveau gouvernement Fillon. On ne s’attardera pas sur le timing baroque de l’opération, qu’on dirait tout droit sorti du cerveau atrophié d’un storyteller fatigué: six mois de suspense de moins en moins insoutenable et de plus en plus risible, conclus par cette hallucinante séance de travail du dimanche. J’espère qu’on aura compris le message: la situation est grave, mais le président et son principal collaborateur sont sur le pont, contrairement à vous autres feignasses qui avez fait le pont.

On s’interrogera d’abord sur les ressorts cachés du pschitt de l’option Borloo. Bien sûr, il y a la version officielle du désormais président à plein temps du Parti radical, plus ou moins reprise par la plupart des éditorialistes : une rupture de dernière ligne droite entre Borloo et Sarkozy qui, après l’avoir envisagé un temps à Matignon, aurait jugé préférable de reconduire Fillon, notamment sous l’influence de l’UMP profonde (traduisez feu le RPR) et de son groupe parlementaire. Honnêtement, ça tient la route. Mais on pourra aussi être tenté par une version un peu plus oblique des faits. Certes, au terme de cette polka, Borloo n’est pas à Matignon; mais en un mois, qu’on le veuille ou non, son poids politique a été décuplé. Il a d’un seul coup retrouvé son crédit écorné à force de rognages successifs de son Marshall des banlieues puis de son Grenelle de l’environnement -sans oublier sa gestion, disons, approximative des dossiers. Or Sarkozy est le seul responsable de cette remonétisation de Borloo. Simple dégât collatéral de l’opération remaniement? A moins que le président, qui a oublié d’être bête, pense rendre désormais impossible l’émergence d’un concurrent centriste dangereux pour 2012: il peut compter sur Borloo, Morin et Bayrou pour régler ce détail.

Le come back d’Alain Juppé est bien sûr un autre moment fort de cette «séquence», pour reprendre le psittacisme médiatique de la saison. Certes, il est numéro deux du gouvernement. Mais on s’est bien gardé de lui donner l’Intérieur, les Finances ou la Justice. Coincée entre l’Otan d’une part et l’Elysée de l’autre, la Défense n’a plus grand chose de régalien (sinon, on ne l’aurait jamais filée à Morin!). Ce n’est assurément pas rue Saint-Dominique que se jouent les décisions stratégiques et la présence de la France dans le monde (ou plutôt son absence). N’empêche, pour essayer de réparer les dégâts de son prédécesseur, il faudra au moins la ruse, la culture et l’intelligence de Juppé. Des qualités qu’un esprit retors pourrait aussi juger utiles pour marquer à la culotte l’occupant actuel de Matignon…

Exit les charlots !

Néanmoins, ce remplacement à la Défense d’un branquignol par un cerveau politique a quelque chose d’emblématique. Exit les charlots en tous genres, qu’ils soient issus de l’ouverture à gauche, comme Kouchner et Fadela Amara, de la discrimination positive comme Rama Yade, de la parité comme Anne-Marie Idrac ou de la cuisse de Nicolas Jupiter, comme l’inénarrable Estrosi. On peut penser ce qu’on veut de la politique mise en place par Eric Besson (pour ma part, uniquement du mal), on est terriblement rassuré de voir ce teigneux à QI +++ remplacer à l’Industrie le sympathique mais ectoplasmique Niçois. Certes en échange de son départ, on récupère Mariani et Lefebvre (on aurait été plus avisé de garder Bockel, Novelli ou Falco, qui ont fait le job); mais il fallait bien donner quelques zakouskis à la droite de droite.

Toujours dans le cadre de la prime au sérieux, -et sans porter de jugement sur les politiques à venir[1. Hormis un épais a priori négatif, mais faut pas non plus m’en vouloir d’être de gauche] – on a vu sans trop de surprise rester MAM, Hortefeux, Mercier, Frédéric Mitterrand et Jean Noubly[2. Selon l’excellent gag de Basile], revenir Xavier Bertrand ou arriver le pétulant Maurice Leroy; on s’étonnera même, à cette aune, de l’absence de Gérard «The Brain» Longuet, qui n’aurait certainement pas déparé dans le décor. M’est avis qu’il n’invitera pas Martin Hirsch à son anniv’…

Autre surprise, heureuse celle-là: la nomination de Jeannette Bougrab[3. Message personnel: je ne lui en veux absolument pas de m’avoir privé de mon agréable passe-temps de sniper de la Halde sur Causeur] Elle a prouvé, en quelques mois d’exercice à la Hototo, including le coup d’éclat du procès Baby Loup, qu’une «issue de» n’était pas forcément qu’une «issue de» et qu’une charmante demoiselle pouvait aussi être sévèrement burnée.

Bref, du point de vue de la droite, on pouvait difficilement imaginer choix plus inspiré. En rupture totale, d’ailleurs, avec toutes les promotions improbables qui ont prévalu depuis 2002 (Remember les Juppettes…). D’ailleurs, si on cherche bien, la dernière fois que la France a été dirigée par des ultra-compétents, c’était du temps de Lionel Jospin (featuring Védrine, Mélenchon, Aubry, Allègre et même, un temps, Chevènement). On tenait là, tout comme avec Fillon II, une vraie équipe de killers!

L’Histoire a montré, hélas, que ça n’était pas forcément un gage de réussite…

On achève bien les chevaux avec!

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Rien ne va plus aux Etats-Unis. Le produit qui entre dans la composition du cocktail utilisé pour exécuter par injection les condamnés à mort, et qui répond au doux nom de thiopental sodique, est en rupture de stock, nous apprend le Wall Street Journal. Résultat, maints Etats reportent des exécutions programmées de longue date. Impossible de tenir le planning, des bouchons se créent dans le tunnel de la mort, les klaxons fusent, bref, c’est la chienlit.

Heureusement, les professionnels consciencieux, uniquement motivés par le respect dû au bras séculier, trouvent des solutions viables, si l’on ose dire.

C’est le cas en Oklahoma. Ce n’est pas pour rien que sa devise officielle est « Labor Omnia Vincit » : à force de travail et d’abnégation, ses représentants ont déniché un produit de substitution : le pentobarbital, d’ordinaire à usage vétérinaire. En somme, un remède de cheval. Si c’est bon pour les bêtes de ferme, cela siéra à la bête humaine.

Les avocats de celui qui doit servir de cobaye le 16 décembre prochain, James David Duty, s’insurgent avec des arguments qui pourraient sembler faiblots : le pentobarbital « n’a pas été testé, est potentiellement dangereux et pourrait donner lieu à une torture« .

Va pour le test et la torture. Mais oser arguer, à propos d’une injection létale, que la drogue est « potentiellement dangereuse« … Il y a vraiment des phrases qui tuent!

C’est tous les jours fête

25

C’est en apprenant que nous devions commémorer aujourd’hui la journée mondiale de la gentillesse et en me souvenant qu’il y a quelques semaines il s’agissait de la journée mondiale de ménopause, que j’ai pris la décision d’entamer des recherches sur toutes les journées mondiales, internationales, nationales ou d’autres ampleurs afin, peut-être, d’en faire profiter mes lecteurs. Mes recherches ont très vite abouti. Un site recense en effet deux-cent-trente deux évènements de ce genre. Il n’est pas inintéressant d’en faire une sélection tout à fait partiale et de les agrémenter de quelques commentaires et conseils.

13 novembre : Journée mondiale de la gentillesse mais aussi – on en a très peu parlé – journée mondiale de l’utilisabilité – ça ne s’invente pas. Ce dernier concept, pour les ignares, se définit par la norme ISO 9241 comme « le degré selon lequel un produit peut être utilisé, par des utilisateurs identifiés, pour atteindre des buts définis avec efficacité, efficience et satisfaction, dans un contexte d’utilisation spécifié ».
Montrez-vous efficaces et tentez de faire d’une pierre deux coups. Achetez l’objet le plus utilisable possible et tentez de l’utilisez devant vos proches. Evitez les meubles à monter soi-même ou les maquettes si vous avez -comme votre serviteur- deux mains gauche. Cela vous évitera un fiasco : énervé par le côté totalement inutilisable de l’objet, vous finiriez par donner une torgnole au gosse puis par insulter votre femme, réduisant à néant votre engagement à être gentil toute cette journée.

14 novembre : Journée mondiale du diabète. Par solidarité, mangez 25 tablettes de chocolat. Sauf si vous être diabétique, évidemment.

15 novembre : Journée mondiale des écrivains en prison. Examinez le cahier du jour d’un de vos enfants, le plus malingre et chétif, de préférence. A la moindre faute de grammaire ou de syntaxe, enfermez le trois bonnes heures dans la cave pour le faire réfléchir sur la chance qu’il a de vivre sous nos latitudes. Ou obligez-le à lire du Marc Lévy, du Guillaume Musso ou, pis, du Christine Angot, enfin de lui faire saisir toute la joie que peuvent apporter des écrivains en liberté.

16 novembre : Journée Internationale de la tolérance. Vous souvenant de Paul Claudel (La tolérance ? Il y a des maisons pour ça) et constatant avec regrets l’œuvre de Marthe Richard, faites un aller-retour dans un Eros-Center outre-Rhin ou une discothèque coquine des environs de Barcelone. Si votre épouse vous le reproche, vous pourrez lui faire remarquer qu’elle n’est guère tolérante en cette journée.

17 novembre : Encore une journée chargée. On fête à la fois la Journée internationale de la prématurité et la journée nationale de l’épilepsie. Convaincus par Frédéric Martel qu’il faut être mainstream et que la journée nationale doit s’effacer devant l’internationale, tentez de convaincre votre charmante épouse, enceinte de six mois, tout l’intérêt d’avoir un enfant prématuré au regard de la législation fiscale.

18 novembre : Deux événements encore ! La Journée de la philosophie à l’UNESCO et la Journée mondiale contre les Broncho-Pneumopathies Chroniques Obstructives. Lisez du BHL, ça vous fera tousser.

19 novembre : Journée mondiale pour la prévention des abus envers les enfants. Coupez la télé.

20 novembre : Journée internationale des droits de l’enfant, Journée mondiale pour l’industrialisation de l’Afrique (sans enfants dans les usines, supposé-je), Journée nationale contre l’herpès et Journée internationale du souvenir trans. Cette dernière, qui est commémorée depuis 1998, en souvenir de l’assassinat de Rita Hester à Boston, invite à se souvenir des victimes de la transphobie. Comme un malheur ne vient jamais seul, c’est mon anniversaire. Toute coïncidence ne serait que fortuite. Merci.

21 novembre : Journée mondiale des pêcheurs artisans et des travailleurs de la mer, Journée nationale de la trisomie 21 et Journée mondiale de la télévision. Le théorème de Martel s’applique encore, malheureusement pour les trisomiques. Si le 21 tombe un vendredi, regarder Thalassa en famille permet de combiner agréablement les deux événements de portée mondiale.

25 novembre : Vous n’avez rien célébré depuis quatre jours. Vous êtes donc remonté comme un coucou pour commémorer la Journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes qui tombe fortuitement (?) la jour de la Sainte-Catherine. Organisez donc une manifestation contre ces cérémonies d’un autre âge qui consistent à fêter les catherinettes, stigmatisant au moyen d’un chapeau ridicule les célibataires de sexe féminin. Vous aurez ainsi fait reculer davantage le patriarcat tout-puissant.

26 novembre : C’est la Journée des enfants de rue. Par pitié, même si vous votez Sarkozy, ne dénoncez aucun gosse rom souhaitant nettoyer votre pare-brise. Hortefeux, exceptionnellement, fermera les yeux.

28 novembre : C’est la Journée mondiale sans achats. Réunissez toute votre famille, surtout votre femme et vos filles. Passez-leur le dernier discours de François Fillon sur la faillite des finances de notre nation et tentez un parallèle avec celles de la famille. Si cela ne suffit pas, confisquez toutes les cartes bancaires. Maudissez aussi l’imbécile qui a autorisé que les magasins ouvrent davantage le dimanche puisque, sans cela, vous auriez pu au moins éviter cette corvée cette année.

29 novembre : Journée nationale de solidarité avec le Peuple palestinien. Je passe. Pas envie de finir comme Nicolas Bedos.
Le mois de novembre se termine. Epuisé, vous décidez, en commun accord avec votre famille, de ne célébrer qu’une journée par mois, ce qui a l’immense avantage de raccourcir mon papier.

Décembre : Sortez des sentiers battus. Ne célébrez ni le climat, ni l’abolition de l’esclavage, ni les migrants ni les droits de l’homme et privilégiez la Journée internationale de la montagne (le 11). Si vous vous sentez trop peu entraîné pour tenter l’ascension du Mont-Blanc, distribuez les paroles de la chanson de Ferrat à vos enfants. Cela les changera de Bénabar et de Cali.

Janvier : Aux lépreux et à la mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité, préférez la Journée mondiale de la Corse (le 9). Et si vous profitiez de cet évènement pour offrir une cagoule à tous vos enfants ? Après tout, il est fort probable que leur prix soit rapidement amorti en cette saison.

Février : Pas question de céder à la pression du camarade Leroy en participant à la journée mondiale sans facebook. Les maladies rares, le cancer, et le scoutisme ne vous passionnent guère. Choisissez donc la Journée mondiale des zones humides (le 2). Afin de la célébrer, faites-vous violence ! Privilégiez, pour une fois, les préliminaires.

Mars : La lutte contre l’exploitation sexuelle, la semaine nationale contre le cancer et même le fromage -ce qui me coûte en tant que franc-comtois- ne pèsent rien par rapport à la désormais célèbre et incontournable Journée nationale pour la courtoisie au volant (le 25). Ce jour là, ne traitez aucune conductrice de pouffiasse ni de conducteur d’espèce de trou du cul. Le vocabulaire de vos enfants, assis sur la banquette arrière, ne s’en portera pas plus mal.

Avril : Plutôt que l’hémophilie, le paludisme, les secrétaires et la propriété intellectuelle, choisissons la Journée mondiale des luttes paysannes (le 17). Affranchissons-nous de toute référence marxiste et méditons le sage conseil de notre géniteur : « David, si tu dois te bagarrer avec quelqu’un, évite de préférence les paysans ».

Mai : Foin du dépistage du cancer de la peau, de l’hypertension, de l’homophobie et de l’infirmière. Au mois de mai, il y a la Journée du pied (le 12). C’est important le pied. Si vous arrivez à en mettre un devant l’autre et si vous le prenez de temps à autre, ma foi, c’est que vous n’êtes pas en si mauvaise santé.

Juin : Vous auriez pu choisir la Journée internationale de la lenteur, ou encore les victimes de la torture, les réfugiés ou la drépanocytose. Mais nous vous conseillons plutôt la journée mondiale du tricot (le 12). Et de méditer sur cette citation du Général : « Une femme ministre ! Et pourquoi pas un ministère du tricot ? ».

Juillet : Pas grand-chose à célébrer. Sauf le bandeau blanc contre la pauvreté, la population ou les coopératives. Mais la Journée de la destruction des armes légères (le 9) peut s’avérer intéressante. Décider, par exemple, de détruire la tapette à mouche et laisser tranquille ces pauvres insectes jusqu’à la fin de la saison estivale ne manquerait assurément pas de panache. Surtout si vous habitez la campagne.

Août : Evitez la traite négrière, les gauchers, la jeunesse et l’aide humanitaire. Attendez le 31 afin de célébrer la Journée mondiale du blog. Et lisez le mien, de préférence.

Septembre : Il y a les sourds, le refus de l’échec scolaire, ou la paix. Mais il est de notre devoir, dans la mesure de nos modestes moyens, de sortir de l’anonymat médiatique la Journée internationale du Parler Pirate. Tortionnaires que nous sommes, nous obligeons nos enfants à apprendre l’anglais, l’espagnol voire l’allemand, alors qu’il serait si original de leur faire donner des cours de langage pirate, ce qui aurait l’avantage de leur offrir quelques débouchés au pôle emploi de Mogadiscio.

Octobre : Quel choix difficile en ce mois d’octobre ! L’allaitement maternel, la vue, le psoriasis, la canne blanche, le bégaiement, les Nations-Unies… Que de causes à célébrer ! Mais tout de même, la Journée mondiale de la ménopause a eu le mérite d’attirer -avec la gentillesse – notre attention sur ce phénomène contemporain des journées mondiales, internationales ou nationales dédiées. Alors, ne boudons pas notre plaisir. Deux cas sont à étudier. Petit a : votre légitime n’a pas encore atteint la ménopause. Il faudra alors la convaincre qu’il est de son devoir qu’elle se sacrifie le temps d’une journée où vous hanterez les thés dansant de la région et jouerez au taxi-boy. Petit b : votre légitime a déjà atteint ce stade de la vie féminine. Dans ce cas, il ne serait pas incongru que vous profitiez de cette journée pour l’honorer. Comme ce serait la première fois de l’année, il ne serait pas étonnant qu’elle y consente.

Mamika débarque en France

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Sacha Goldberger expose sa Mamika à la Wanted Gallery à Paris jusqu'au 30 novembre.
Sacha Goldberger expose sa Mamika à la Wanted Gallery à Paris jusqu'au 30 novembre.
Sacha Goldberger expose sa Mamika à la Wanted Gallery à Paris jusqu'au 30 novembre.
Sacha Goldberger expose sa Mamika à la Wanted Gallery à Paris jusqu'au 30 novembre.

Sacha Goldberger, artiste-photographe, dédie à sa grand-mère Frederika, alias « Mamika », une série de portraits. Réalisées depuis décembre 2006, ces photos la mettent en scène dans les situations les plus absurdes et déjantées qu’elle a (presque) toujours acceptées. « Mamika » (« petite grand-mère », en hongrois), 91 ans, est un phénomène. Frederika vit dans un décor assorti à son prénom. Il y a quelque chose de la Mitteleuropa dans ce mélange à la fois bourgeois et très chaleureux où la simplicité de l’hôte laisse respirer une indiscrète odeur de fantaisie. Mamika est née de l’imagination de son petit-fils, Sacha. Ce fils de pub, ancien directeur artistique dans des agences de renom, a voulu redonner un peu de joie de vivre à sa grand-mère alors qu’elle commençait à sombrer. Si la vieillesse est une salle d’attente, pourquoi ne pas se distraire un peu avant qu’on nous appelle ?

Jamais moqueuses, les photographies de Sacha Goldberger sont simplement cocasses, comme cette Mamika « malade », qui prend sa température avec un gros thermomètre d’appartement sous la langue. Enlevons cet objet incongru, et nous ne verrions qu’une vieille dame pâle et souffrante. Notre rire se figerait, voire se transformerait en larmes. Les répliques de Mamika, qui accompagnent ces clichés, n’en sont pas moins drôles : « Heureusement que j’ai une grande bouche. Tu imagines ce thermomètre dans un derrière ? La vie est injuste, il existe dix mille maladies, et on n’a qu’une seule vie. »[access capability= »lire_inedits »]

Une grand-mère qu’on ne présenterait pas à son fiancé

L’humour de Sacha et de sa grand-mère, c’est la revanche de la vie au bord du gouffre. Alfred de Musset ne disait-il pas, après avoir vu Le Misanthrope : « Quelle mâle gaîté si triste et si profonde – Que lorsque l’on vient d’en rire, on devrait en pleurer. » Cette vision ironique de l’existence a créé la série Supermamika.

Inspiré par les bandes dessinées américaines de son enfance (les comics), Sacha Goldberger a mis en scène sa grand-mère en costume de super-héros taillé spécialement pour elle. Un casque rouge customisé d’une étoile blanche vissée sur la tête, des rides non photoshopées, moulée dans un justaucorps rouge et un collant argent, une cape bleue sur les épaules, Supermamika vole dans les plumes du jeunisme.

Au rythme des staccatos, Frederika, qui aurait tant rêvé être une violoniste virtuose a, quant à elle, joué sa vie.

Née à Budapest, fille d’un riche industriel et sénateur juif hongrois, Frederika a grandi dans le beau, le raffinement et l’amour. Et puis, le nazisme est passé par là. Déportation de sa famille, assassinat de son père au camp de Mauthausen. Elle échappe à la mort en traversant le Danube gelé avec sa mère, sa fille et une dizaine de personnes, autant qu’elle pouvait en sauver. Plus tard, Frederika fuira le régime communiste et finira, après un périple à travers l’Europe, par trouver refuge en France. Et pourtant, elle ne voit rien d’extraordinaire ou d’héroïque dans ce chemin de vie qu’elle partage avec tant d’autres enfants de la première moitié du XXe siècle. Mais ces douloureuses épreuves n’ont pu venir à bout de ce petit bout de femme au caractère bien trempé. « Voyez-vous, la vie est naturellement dure », dit-elle de sa voix douce, en roulant les r. Une ashkénaze du shtetl aurait ajouté : « Et elle n’est pas faite pour nous amuser. » Or, rien n’est plus loin de l’esprit de Frederika, baronne en titre, héritage de sa grand-mère anoblie.

Après avoir tout perdu, Frederika reconstruit sa vie autour d’un métier : conseillère en style. Elle fondera son propre bureau de tendance, prisé du Tout-Paris et d’ailleurs, qu’elle finit par quitter à 80 ans. « Il était temps que je laisse la place aux jeunes », déclare-t-elle, l’oeil rieur et le sourire en coin : elle n’en pense pas un mot. Joueuse, séduisante et attendrissante, Frederika possède des atouts coquets et délicats, qui nul doute charmèrent ses quatre maris successifs. Le premier devient homosexuel, le deuxième, le grand-père de Sacha, la trompe allègrement avec sa meilleure amie et le troisième meurt Dieu sait où. Du quatrième, Louis, un bel homme plus jeune qu’elle, Frederika en parle toujours comme de son plus grand amour, mais on n’en saura pas plus…

Ce qui est certain, c’est que Mamika n’est pas la grand-mère que l’on présenterait à son fiancé : elle fume une banane comme un havane, se fait des bigoudis avec des carottes, se lime les ongles avec un cornichon… Autant de mises en scène burlesques allant crescendo : elle sirote son thé avec deux pailles, servi dans une traditionnelle bouillotte de couleur rose ; cigarette d’après l’amour à la main, Supermamika offre une bouffée à Superman, allongé dans un lit à ses côtés, grandeur Kinder-surprise, non loin d’un Batman de 10 cm, l’amant caché sous le sommier. Sacha Goldberger a réussi la gageure de créer une esthétique du rire.

Mamika, grande petite grand-mère, de Sacha Goldberger, Éditions Balland, 19,90 euros. www.sachabada.com. Exposition jusqu’au 30 novembre à la Wanted Gallery à Paris, 23, rue du Roi de Sicile, 75004 Paris.

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Remaniement : Juppé premier servi

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Depuis que l’an dernier, Frédéric Mitterrand a lancé la mode d’auto annoncer sa nomination au gouvernement, on attendait le prochain. And the winner is Alain Juppé. Le maire UMP de Bordeaux a annoncé hier samedi à mots à peine aussi couverts que Lady Gaga par temps de canicule sa cooptation dans la nouvelle équipe Fillon. L’événement était sans doute d’une portée suffisamment historique pour que l’ancien premier ministre grille la politesse à l’occupant actuel de Matignon. Il l’a donc fait en déclarant sur France Info que ce « n’est pas la première fois qu’un ministre est maire d’une grande ville », avant d’ajouter: «Une partie des Bordelais me disent : allez-y, c’est bien pour la ville. Et d’autres disent: vous aurez moins de temps à nous consacrer, on n’est pas très contents. J’espère leur démontrer que je peux faire les deux choses.»

Imparable, comme raisonnement, à ceci près que dans son empressement, Alain a oublié deux autres catégories de Bordelais. Ceux qui s’en contrefichent, et ceux qui pensent « Bon débarras ! »

Irak : les chrétiens font de mauvais martyrs

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Comme toujours, La France répugne à dénoncer la persécution des catholiques dans le monde. Alors que les grandes démocraties la condamnent explicitement et immédiatement, tels les Etats-Unis, ces dernières heures, suite aux attentats de Bagdad, nos diplomates finassent, nuancent et tergiversent. Les précautions oratoires du Quai d’Orsay ne font plus guère illusion : la suspicion semble jetée d’emblée sur les chrétiens persécutés. Tout se passe en effet comme s’ils en rajoutaient, comme si les martyrs catholiques en faisaient toujours un peu trop. De toutes les façons, la persécution religieuse, cela n’existe pas pour la France, cela n’a jamais existé puisque la religion elle-même n’existe pas publiquement. Puisque la religion n’existe pas.

De même que la « Guerre des Balkans » n’était, d’après le ministère des Affaires étrangères d’alors, qu’une guerre interethnique – comprenez tribale -, à laquelle les catholiques croates ont bien pris leur part, de même les catholiques d’Irak sont pris aujourd’hui, nous disent les hérauts du pays des droits de l’homme, dans une espèce de tourbe. Une tourbe dans laquelle il n’y a ni victimes ni bourreaux, ni coupables ni martyrs, mais une foule de barbares demeurés qui s’entretuent et attendent tous désespérément leur salut de la Démocratie, c’est-à-dire de nos leçons de morale. C’est du moins ce qui ressort de la déclaration récente du MAE. Explication de texte.

« Nous condamnons avec la plus grande fermeté toutes les violences en Irak. » Notez que la France condamne des « violences ». Aucunement les persécutions religieuses… Vous n’y pensez pas. Un nettoyage ethnique ? Vous voulez rire. « Les attentats qui ont lieu aujourd’hui à Bagdad et qui auraient fait au moins 6 victimes parmi des membres de la communauté chrétienne comme ceux qui ont eu lieu le 8 novembre à Najaf et Kerbala et qui ont causé la mort de plus de trente personnes, dont dix pèlerins iraniens, sont des actes barbares et lâches qui endeuillent à nouveau l’Irak.»

Les attentas auraient fait six morts…. On n’est pas vraiment certain qu’il y ait eu des morts du côté catholique en Irak, en fait. Ou plutôt « parmi les membres de la communauté chrétienne ». J’oubliais : il n’y a pas de « chrétiens » pour la France mais « les membres d’une communauté », qui se trouve être la communauté chrétienne, en l’occurrence. Laïcité oblige : la religion appartient à la sphère du privé. Il n’y a que des citoyens en France et pour la France. En revanche ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu des morts, de vrais morts, de vrais beaux morts du côté non-chrétien et bien davantage : trente. Trente réels contre « 6 » hypothétiques. Jugez par vous-mêmes.

« Dans ce contexte tragique, nous exprimons toutes nos condoléances aux familles et aux proches des victimes si durement frappés, ainsi qu’aux autorités irakiennes. » « Si durement frappés ». Par qui ? Par quoi ? Le sort ? La destinée ? En réalité, la France est immensément polie. Elle exprime ses condoléances les plus sincères aux parents des victimes du nettoyage ethnique mais aussi et surtout aux autorités irakiennes. On aurait tendance à l’oublier. Ce qu’on ne sait pas, c’est que les plus à plaindre dans cette histoire, ce ne sont pas les catholiques (d’ailleurs on n’est même pas sûr qu’ils soient morts), ce sont les pauvres autorités irakiennes. Les pauvres autorités irakiennes démunies devant tant de méchanceté, de haine et de religion.

« La France est solidaire de l’Irak et reste plus que jamais engagée à ses côtés dans la lutte contre le terrorisme. » Comment ? Comment la France reste-t-elle engagée dans la lutte contre le terrorisme ? Par la pensée, par l’esprit bien sûr et par le cœur bien évidemment. Il faut reconnaître que la France a accueilli dans ses hôpitaux les « membres de la communauté chrétienne » blessés dans les attentats. Ils sont autorisés à cicatriser chez nous. Forme suprême de la grandeur d’âme postmoderne.

« Bernard Kouchner a proposé que le Conseil de sécurité se réunisse. Ces consultations se tiendront aujourd’hui même à New York. L’objet de cette réunion est que le Conseil condamne les attaques contre tous les Irakiens, notamment celles visant des lieux de cultes qu’ils soient musulmans ou chrétiens. » L’important dans cette phrase, c’est l’adjectif « tous ». Il faut que le Conseil condamne les attaques contre tous les Irakiens, annonce le Ministre français. Pas seulement contre les chrétiens. Qu’on se le dise : la France ne prend pas le parti exclusif des chrétiens. D’ailleurs, il n’y a pas que les croyants qui soient persécutés. Les lieux de culte ne sont pas les seuls lieux visés. Il est nécessaire de le préciser, semble-t-il. Ne nous laissons pas aller au sentimentalisme. Un prêtre assassiné en pleine messe, c’est très triste. Mais il n’y a pas que les catholiques dans la vie.

Florent Pagny victime d’une fuite de cerveau

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Après tant d’autres brillants sujets, Florent Pagny, baryton hurleur, naguère patagon, a quitté la France pour Miami, où il installé sa petite famille. Cet événement majeur, dont on mesure encore mal les effets sur le rayonnement culturel national, serait resté ignoré de nos concitoyens, s’il n’y avait eu un incident de langage, provoqué par Florent, sans doute ému, quoi qu’il en ait, de s’exprimer en français. Cet immense artiste, que le monde entier ne semble pas nous envier, se répand un peu partout sur les ondes et dans la presse, afin de promouvoir les ventes de son dernier opus (il vit aux USA, mais il vend ici).

Or, un instant submergé par l’émotion, l’extravagant apatride s’est laissé aller à quelques confidences, suivies d’explications embrouillées. Il était question de son fils aîné, prénommé Inca, que son statut d’enfant de célébrité rendait mal à l’aise à l’école. Entraîné par son élan, Florent précise à la radio Chérie FM les raisons qui l’ont contraint à fuir notre beau pays, dont celle-ci, qui paraît dominante : « Un jour ton môme il rentre à la maison et se met à parler rebeu (arabe). Tu lui fais : “Ce n’est pas possible !” […] Verlan encore tout va bien, mais là il n’y a pas de raison […] »

Aussitôt, Internet s’en mêle : gros buzz, scandale, SOS racisme exige des excuses publiques, et tout le toutim ! La suite est du même tonneau ; le chanteur se débrouille comme il le peut, c’est à dire qu’il s’embrouille, usant d’un sabir de showbusiness. Il a raté sa promo, son producteur est aux cents coups, il tente de rattraper l’affaire. Patatras ! À Ali Baddou, chroniqueur au Grand journal de Canal +, qui a trouvé choquant le mot “rebeu”, le père d’Inca répond : « C’est pourtant pas péjoratif, moi j’ai des potes “rebeu”, j’ai des potes “feuj” (juifs) et je ne vois pas à quel moment c’est péjoratif ».

À ce propos, on pourrait penser que, pour Florent Pagny, le français, c’est de l’hébreu.

Les petits mouchoirs, pourquoi tant de haine?

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Une certaine critique, c’est bien connu, ne se mouche pas du pied. Elle sait ce qui est bon pour le public, et ce qui mérite au contraire son attention. Elle n’est jamais en reste d’explications sociologiques pour justifier l’engouement que suscitent les films qu’elle démolit, ni en panne de filouteries esthético-philosophiques pour encenser ceux que les spectateurs ignorent. L’Elite du Goût a ses têtes et ses parias, ses lacunes phénoménales, beaucoup de mauvaise foi, pas mal de mauvais goût et une morgue à toute épreuve. Elle délaisse Wenders au moment où il approfondit ses esquisses, découvre Eastwood quand il commence à rabâcher, se moque de Séria, néglige Corneau, oublie Blain ; elle embaume si bien Carax et Rochant qu’elle les enterre avant l’heure, se moquant ensuite comme d’une guigne de leur fantôme qui en remontrerait pourtant à bien des cinéastes en cour.

Bouffées de haine

Même si son audace de supermarché et ses pudeurs de vieille fille n’interrogent plus personne, l’Elite du Goût a parfois de ces bouffées de haine qui en disent long sur ce qui la fonde. De Libération aux Cahiers du cinéma, des Inrockuptibles à Chronicart, ce qu’elle a déversé sur Les petits mouchoirs de Guillaume Canet est avant tout révélateur de ses névroses. S’il fallait une preuve que le brûlot d’Onfray contre Freud fait fausse route, c’est bien cette unanimité riche de lapsus et de dévoilements qui l’apporte ! Ce que ces critiques redoutent, c’est le miroir. Le chroniqueur de Télérama s’empresse ainsi de préciser qu’il est « heureux de ne plus faire partie de cette génération-là », tandis que celui des Inrocks y voit « une certaine idée de l’enfer ».

Ce que les membres de l’Elite du goût ne pardonnent pas à Canet, en somme, c’est de les avoir pris, non pas comme cible – ils auraient fait les beaux joueurs -, mais comme personnages. Bien sûr aucun d’entre eux ne fait profession de critique de cinéma, mais les trentenaires-quadragénaires-quinquagénaires de ce film, ce sont eux ! Il suffit de les entendre se récrier qu’ils n’ont rien à voir là-dedans. « Je le jure, Votre Honneur, rien n’est vrai. » Ah oui ? Ce besoin d’assurer financièrement ses arrières et de se ressourcer dans les pays lointains les plus pauvres possibles, ce n’est pas vous ? Ces tout petits récits de cul et ces grandes histoires d’amour (par textos), non plus ? Ce besoin de festoyer en toutes occasions et d’agrémenter les journées par des objets culturels en vogue, toujours pas ? La sous-culture, la misère sexuelle et la haine de soi du Moderne, ce n’est pas dans les films et les livres que vous nous vantez, ou pire les témoignages et les aveux que vous nous livrez, qu’on la rencontre ? Vous, les membres éminents de la Nouvelle Classe, toujours partants pour « la déconne » et la leçon de morale nécessairement connexes…

Compotes et caleçons

Les Petits mouchoirs est le miroir morne de l’époque. C’est le film de « la génération Loft », à laquelle appartiennent, quel que soit leur âge, ses contempteurs farouches, goguenards ou indignés. Conçu comme un programme de télé-réalité dont il est une sorte de transposition romantique, vraisemblablement aveugle à elle-même, le film de Canet déploie logiquement la dramaturgie faisandée de son entrée en matière qui nous présente les personnages sous l’œil narquois et tendre de leur bourreau, puis leur huis-clos dans une résidence de luxe, où entre recherche de compotes ou de caleçons, des adulescents avec lunettes noires, chapeaux divers, manches qui couvrent les mains, se battent pour avoir le meilleur lit, paressent sur des transats ou des canapés, se disputent avant de se réconcilier, pètent les plombs avant de se confier de grands secrets ; enfin sa conclusion spectaculaire, l’émotion à son comble, feux d’artifice de phrases creuses et de larmes de reconnaissance, embrassades sous les yeux de toute la famille au cimetière.

Dans sa fureur, le Critique moderne s’est contenté de vomir sur le scénario, or ce film, qu’on le veuille ou non, est fait avec les armes du cinéma, toutes les armes d’ailleurs, accumulées sans sélection, utilisées sans précaution, inadaptées, excessives et puis soudain d’une grande justesse, mais à quoi bon en parler ? L’Elite du Goût avait vu du Rohmer dans Loft Story, et elle est incapable de voir du Cassavetes dans Les Petits mouchoirs. Pourtant, l’efficace montage de la séance d’ostéopathie entre Cluzet et Magimel, les brefs panoramiques anodins qui arrêtent brutalement le regard d’un personnage sur un autre, le découpage sensible des voyages en voiture, les variations d’échelle de plans qui font passer dans la même scène du ressassement d’une solitude à l’intimité d’un dialogue, tout cela c’est du cinéma !

Et c’est cela justement qui donne une crédibilité au fil blanc qui coud ensemble ces séquences édifiantes et ces scènes attendues. Le film de Canet, ce n’est pas juste des mots d’auteurs pour bande-annonce et de la fiction consensuelle. Ici, nous avons la faiblesse de croire que ce qui fonctionne, c’est l’intelligence de leur mise en forme. C’est par son utilisation parfois maladroite mais toujours velléitaire de la forme cinématographique que Canet parvient à retenir son spectateur ; grâce aux heurts parfois grossiers entre images léchées et plans imprévus, grâce aux digressions brouillonnes à la limite de l’improvisation contrastant avec un découpage toujours maîtrisé. Elle est là la référence, écrasante comme toutes les références, au Cassavetes de Husbands

Il n’y a pas de petits profiteurs

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Cochons

Cochons

C’est l’histoire de deux Suisses à contre-courant. Monsieur et Madame ont un compte bancaire en Helvétie, où le monde entier rêve depuis des siècles de planquer ses deniers. Bien sous tous rapports, ces citoyens raisonnables projettent cependant l’impensable : ouvrir un compte en France pour y transférer leur argent suisse. Le fait est qu’ils y sont obligés : installés à Paris mais payés en Suisse par des employeurs de là-bas, ils doivent régulièrement transférer leurs revenus en France afin de pouvoir remplir leurs devoirs de consommateurs parisiens (payer un loyer exorbitant, lâcher 14 euros pour un saucisson corse, bref, se saigner pour que la croissance de leur pays d’accueil ne sombre pas dans le ridicule).

Au moment de réaliser ce projet bancaire original, nos Helvètes nagent en plein bonheur migratoire. Ils ont trouvé un appartement dans la capitale, inscrit leurs deux filles à l’école, obtenu un numéro EDF et un numéro de mobile, chacune de ces opérations ayant demandé, soit dit en passant, une ténacité inouïe. L’ouverture d’un compte bancaire s’annonce comme une opération simple et plaisante. Elle représente aussi un moment symbolique : par cet acte, les nouveaux immigrés vont parachever la phase 1 de leur processus d’intégration. Par ailleurs, pour des Suisses, mettre les pieds dans un système bancaire étranger constitue une expérience quasiment transgressive. C’est un peu, en somme, comme s’ils s’apprêtaient à manger du chocolat belge.[access capability= »lire_inedits »]

Voilà donc nos deux primo-installés sur le point d’entrer dans la première banque venue lorsque, au détour d’une conversation, ils apprennent que les banques françaises prennent des frais à chaque virement venu de la non-Europe. Truffée de micro-accords avec l’UE, la Suisse ressemble à un pays de l’Union comme un poivron rouge à un jaune, mais elle est toujours en non-Europe. Donc, si on veut renflouer les banques françaises d’argent suisse, on paie. En ouïssant cette information, Monsieur et Madame ouvrent d’abord des yeux de carpe. Elevés aux mœurs suisses, ils n’ont jamais vu ni entendu dire qu’une banque prenne le moindre frais pour une opération aussi rudimentaire qu’un virement. Après une brève enquête, ils doivent pourtant se plier au fait. Et comme les établissements ne ponctionnent pas dans les mêmes proportions, nos deux agents économiques se résolvent à traiter les banques de Paris comme des marchands de salade. Ils se lancent dans ce harassant travail de comparaison de produit dont le capitalisme sait de mieux en mieux nous envahir l’esprit.

L’exploration du tissu bancaire de leur quartier les emmène ainsi en zigzags d’une banque à une autre, de la BRED à la Société Générale, du Crédit Agricole à Paribas. De cette petite balade, ils tirent rapidement un premier constat : à la question « Combien votre banque prend-elle pour un virement suisse ? », la plupart des employés de banque se révèlent incapables de donner une réponse claire. Tous offrent la même réaction : un visage qui se fige, comme si la question émanait d’outre-espace ; des yeux qui se couvrent d’un voile blanc, expression d’une terreur profonde ; une main, enfin, qui se dirige avec plus ou moins de tremblements vers un fascicule « Nos tarifs », qu’ils feuillettent pendant quelques secondes pour se donner une contenance avant d’aller chercher un supérieur qui n’en saura pas davantage et s’en sortira en renvoyant notre couple à la consultation dudit fascicule dont le contenu, bien entendu, est plus difficile à déchiffrer qu’un code informatique.

Deuxième constat de nos explorateurs, qui réussissent tout de même à isoler quelques données : en matière de frais, les banques françaises ne font pas les choses à moitié. En résumé, recevoir un virement de Suisse dans une banque française coûte jusqu’à 2 % du montant qu’on transvase. A la Société Générale, envoyer 2500 euros de Suisse revient à en envoyer 2450. Tous les établissements déduisent par ailleurs un minimum de 20 euros, quelle que soit la somme transférée. Autrement dit, qui reçoit 500 euros de Suisse voit cette somme diminuer de 4 %. Qui reçoit 50 euros perd 40 %, etc. Précisons que ceci n’inclut pas d’éventuels frais de change, qui sont du même ordre. Bref, pour engranger de l’argent qu’elles s’empresseront ensuite de prêter à des taux prohibitifs (ce n’est pas le cas en ce moment, mais ça viendra), les banques françaises se prennent des honoraires de notaire.

Coïncidence troublante, au moment même où nos Suisses vivent leur choc des cultures, la Commission européenne morigène sévèrement les établissements français. Non seulement les banques de l’Hexagone affichent « un piètre bilan en matière de transparence », mais elles figurent aussi « parmi les plus chères pour les comptes courants ». Il est vrai qu’au cours de leur promenade, nos deux aventuriers découvrent d’autres techniques de prélèvement. Retirer des billets dans un automate concurrent, être en relation avec un être humain pour retirer de l’argent, se voir refuser un chèque, se faire envoyer un chéquier, s’opposer à l’encaissement de l’un de ses propres chèques, bref, le moindre geste bancaire coûte, le plus souvent très cher, sauf si on se résout à contracter une assurance que les conseillers vous collent à votre ouverture de compte sans préciser son caractère facultatif. Si vous ne voulez pas vous faire tondre à la moindre occasion − ou plutôt, si vous préférez vous faire tondre avec régularité plutôt que par à-coups − ce sera donc au minimum 6 euros de frais de gestion par mois et par compte.

Le sommet de l’étonnement est cependant atteint le jour où nos deux Suisses rendent visite à Paribas. Ils sont d’abord accueillis par une employée à hauts talons, qui les met en attente dans de confortables fauteuils au milieu d’un vaste hall. Une deuxième employée vient ensuite prendre une deuxième fois leurs noms et qualités, avant de leur présenter un conseiller grisonnant et affable qui les emmène à pas feutrés dans un bureau isolé, au fond d’un couloir sombre et discret. L’échange se déroule d’abord selon le schéma habituel − stupeur, terreur, fascicule. Le bonhomme parvient quand même à ânonner le montant des frais de virement depuis la non-Europe, puis, comme choqué par le commentaire du couple qui ose évoquer la douceur des mœurs bancaires helvétiques, le même bonhomme lance benoîtement : « Mais dites-moi, si les banques suisses prennent si peu de frais, comment font-elles pour gagner leur argent ? »

Qu’on se le dise : les banques françaises ne tirent aucun revenu du prêt à intérêt, cette activité fondatrice de leur naissance et sans doute tombée en désuétude au royaume de Sarko. Elles ne tirent rien non plus de la spéculation, à laquelle se livrent leurs consœurs du reste du monde avec un succès qui ne faiblit pas. Elles ne peuvent donc, les pauvresses, faire leur beurre qu’en mitraillant leurs clients de ponctions diverses. A leur décharge, il est vrai que les banques françaises ne peuvent pas, comme leurs voisines suisses, miser sur l’évasion fiscale ; elles ne peuvent pas non plus compter sur leurs traders, qui s’acharnent à les mettre en faillite. En somme, notre couple a découvert qu’il y a banque et banque. Les unes jouent au casino avec l’argent qu’on leur confie ; les autres vampirisent leurs petits clients. Certaines, évidemment, font les deux.

Ne désespérons cependant pas trop. Dans ce sombre paysage, nos deux Suisses ont trouvé un établissement qui fait exception. Réputée pour être le refuge des pauvres − certains disent des « ploucs » − la Banque Postale ne prend de frais ni pour les virements venus de la non-Europe, ni pour les escapades vers des automates concurrents. De ce point de vue, c’est la plus suisse des banques françaises. À un détail près : alors qu’ouvrir un compte en Suisse prend, en comptant large, une quinzaine de minutes, la Banque Postale a mis six semaines à réaliser cette opération pour Monsieur et Madame. Nobody’s perfect.[/access]

Les comédiens ont ils une âme ?

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Je n’y entends rien au théâtre. Bien sûr, à l’âge de quinze ans, j’ai moi-même joué un des douze rôles-titres dans la pièce de Reginald Rose Douze hommes en colère, à Franklin[1. Collège d’origine catholique]; même que j’y fus excellent, d’après mes parents. Mais là s’est arrêtée, assez brutalement, ma carrière dramatique.
En tant que spectateur, mon CV n’est guère plus brillant : à part quelques pièces qui me tenaient à cœur, de Molière, Anouilh ou Ionesco, je crois bien n’être jamais allé au théâtre spontanément et en payant.

Sans doute un problème avec le genre théâtral lui-même – aggravé encore par ses formes les plus modernes. Je n’avais donc guère de chances de voir sur scène Laurent Terzieff, qui s’était fait l’ardent défenseur des auteurs contemporains. Il m’est même arrivé de le regretter amèrement, comme pour son Meurtre dans la Cathédrale (1995).
Au cinéma en revanche, j’ai toujours eu l’impression d’avoir affaire à un acteur inspiré. Terzieff était comme une réponse vivante aux interrogations théologiques du Moyen Age[2. Qui sont aussi souvent les miennes], genre « Les comédiens ont-ils une âme ? »
Si cet homme-là est devenu acteur, c’est précisément par un élan de l’âme !, comme on le comprend à la lecture du livre que Marie-Noëlle Tranchant a concocté sur lui avec lui, et qui sort aujourd’hui sans lui[3. Laurent Terzieff, Seul avec tous, Presses de la Renaissance]. Loin d’une banale bio, le résultat de leur travail commun est une sorte d’IRM métaphysique : il s’agit, selon elle, de « retracer un itinéraire intérieur, artistique, humain, spirituel. »

D’où la forme de l’ouvrage, tissé de fils tout sauf blancs : des entretiens réécrits par sa complice, où Laurent Terzieff se raconte avec chaleur et simplicité ; des écrits personnels sur le théâtre et ses écrivains préférés, où il parle évidemment de lui-même.
Comme le dit Luchini dans sa préface, Laurent Terzieff a renoncé à une « carrière de star » pour se faire « artisan dévoué du théâtre ». L’hommage est d’autant plus beau, venant de la seule vraie star de nos planches nationales. Mais il y a de nombreuses demeures dans la maison du Père et c’est heureux, n’est-ce pas ? Si tout le monde avait la même vocation, c’est six milliards de moines qu’on aurait massacrés à Tibéhirine.

Pour Terzieff en tout cas, le théâtre fut le plus lucide et le plus exigeant des sacerdoces, et on peut juger maintenant que ses vœux étaient perpétuels. Même la métaphore n’est pas gratuite : l’art dramatique, dit-il, c’est « la communion entre le monde visible et l’invisible » – et d’ailleurs, « tout ce qui est artistique procède du religieux ».
Non seulement Terzieff avait une âme (et l’a toujours), mais il était croyant – et il y a peu de risques qu’il ait changé d’avis. Plus précisément, un type comme lui était incapable de croire sérieusement au néant. Dans ses notes de lecture, on retrouve cette phrase violente de Simone Weil, qui résume à elle seule La Pesanteur et la Grâce[4. Pour ceux qui ne l’auraient pas relu cette année] : « Tous les mouvements de l’âme sont régis par des lois analogues à celles de la pesanteur matérielle[5. « Même l’amour ? », diront les Première Année. Surtout l’amour ! (cf. Caritas in Veritate)]. La grâce seule fait exception. »

Au point où on en est, filons donc jusqu’au bout la métaphore : ce bouquin lui aussi est une communion. L’effacement de Marie-Noëlle Tranchant devant son sujet prolonge la modestie de Terzieff face aux auteurs qu’il servait. Quand on comprend quelqu’un et qu’on l’aime, quoi de plus beau que de s’en faire l’interprète ?
Trêve de suspense : j’ai bien aimé ce bouquin.

Seul avec tous

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