On savait Eric Cantona chantre de la poésie et du football. On le découvre, grâce au Guardian, héraut de la révolution. Le quotidien anglais exhume une vidéo du footballeur datant d’octobre dernier en plein dans les manifestations contre la réforme des retraites. Et que dit le grand Canto ? « Aller dans la rue, manifester aujourd’hui, c’est quoi ? Ils te retournent le truc contre toi. » Une seule solution, la révolution. Mais pas « par les armes, on va pas aller tuer des gens ». La solution ce sont les banques. Celles qui tiennent le système : « Le système est bâti sur le pouvoir des banques, il sera détruit par les banques. » Cantona propose une solution simple, que trois millions de gens aillent retirer leur argent des établissements financiers. Qui s’écrouleront. « C’est une vraie menace, la vraie révolution. »
Depuis, la vidéo, tourne à donf sur internet et des activistes invitent à cette révolution à la Spaggiari, sans armes, ni sang, pour le 7 décembre prochain. On attend avec hâte la convocation de l’ancien joueur de Manchester United par les syndicats pour un bon gros brain storming, lui qui dit : « les syndicats ils font ce qu’ils peuvent, il faut leur donner des idées des fois… »
Avec Benoît XVI, les cathos ne baiseront plus sans capote.
Jean-Marie Lustiger n’était pas un homme de gauche. C’était, pour sûr, un homme de Dieu. Mais, avant que la mort ne l’oigne de la bonne renommée que tout cadavre reçoit à sa toilette funéraire, le cardinal de Paris était la cible des attaques régulières des « catholiques de progrès ». Oui, il existe des catholiques de progrès comme il existe une Fédération anarchiste : quand on fait dans l’oxymore, on ne craint rien. Lisant en loucedé la revue Golias, son Charlie Hebdo de sacristie qui lui donne l’impression de vider des burettes sans alcool, le catholique de progrès voudrait bien être protestant. Il voudrait bien, mais il ne le peut point. Rien ne l’en empêche, ne serait-ce parfois son état ecclésiastique, voire, plus rarement, la mitre qui orne sa tête chenue et qu’il prend pour un chapeau rigolo. Le catholique de progrès est un homme moderne. Il n’aime ni les aubes, ni l’encens, ni les dentelles. Il trouve ça fasciste, le latin. La transsubstantiation, le dogme de l’Immaculée Conception, la communion des saints et même la résurrection, qui n’est que l’essentiel – excusez du peu – de la foi chrétienne, il prend ça pour des trucs pas assez télégéniques, des contes à dormir debout, des fumisteries du monde d’avant.
Le catholique de progrès n’aime pas, non plus, le pape. Il n’a pas lu Luther, certes. Mais il trouve que ce type, qui est allemand, mais oui, mais pas un Boche façon Ratzinger, un bon Allemand, avait de bonnes idées. Le problème est que, dès lors que l’on ne reconnaît pas l’autorité de l’évêque de Rome, l’on cesse tout simplement d’être catholique romain. Ce qui, en soi, n’est pas grave quand on ne craint ni le Purgatoire ni l’Enfer.
Pourquoi dis-je ça, moi qui, pour de bonnes raisons, ne me suis pas approché d’un autel depuis très longtemps ? Ah oui, Lustiger – « Tous les archevêques de Paris sont juifs », disait Desproges. L’homme était plutôt à cheval sur les principes. Pas catholique de progrès pour un sou, le feuj enmîtré. Et c’est lui, pourtant, qui avait déclaré, en 1988, au sujet de la capote, qu’elle était « un moyen de ne pas ajouter au mal un autre mal ». Il incitait ainsi ceux qui étaient plutôt open de la culotte à se mettre un bout de latex sur le braquemart quand ils ne pouvaient pas mettre un peu de respect, de raison voire même d’amour sur leurs passions.
C’est là la position invariable – qui a dit, dans la salle, la position du missionnaire ? – de l’Église. Tu ne vas pas refoutre le sida, la syphilis, l’hépatite à des gonzes ou gonzesses que tu ne connais pas, à l’unique motif que tu les prends pour des trous, à l’unique motif que tu les utilises pour ton plaisir personnel, à l’unique motif que tu n’en as rien à foutre d’être plombé ou pas.
Entre deux maux, choisir le moindre. Cela s’appelle la casuistique : c’est une très belle invention du catholicisme. Il n’est pas de jugements implacables, de charia qui condamne inéluctablement le fautif : nous sommes tous pécheurs et la morale s’accommode de nous aussi bien que nous nous arrangeons d’elle. Il n’y pas même, à proprement parler, dans le catholicisme, une morale qui s’imposerait, dans l’extériorité, au sujet. Il y a, avant toute chose, une compréhension des situations : « La Loi est faite pour l’homme, et non l’homme pour la Loi. »
Elle est belle cette Église qui ne veut pas comprendre que plus personne n’en a rien à foutre de rien !
En revanche, là où l’Église rechigne, c’est à considérer, comme le fait notre époque, la relation sexuelle comme une simple consommation du corps de l’autre. « Noli me tangere ! » : l’irréductibilité des consciences a, dans le catholicisme, une dimension charnelle.
On prétend souvent que l’Église a un problème avec le corps. Non : il n’y a pas plus charnel que la foi en l’Incarnation. Musique, encens, arts, stigmates, représentations du divin, extases : le catholicisme est une religion des sens. Et puis, le précédent pape ne s’est pas contenté d’avoir, durant les vingt-six années qu’a duré son pontificat, un fort joli accent des environs de Cracovie. Jean-Paul II a théorisé la conception catholique de la sexualité comme aucun autre pape ne l’avait fait avant lui : pas de consommation, une communion !
Ce que notre temps ne veut plus entendre (et ne peut plus comprendre), c’est que, dans la rencontre avec l’Autre, c’est Dieu toujours que l’on rencontre. Même au fond d’un pieu, même au fond de sa chair. En introduisant dans la sexualité le coin de la transcendance, le catholicisme refuse le sexe pour le sexe et la jouissance pour la jouissance. Notons que cette conception-là ne vaut que pour les catholiques : on ne force personne à l’être. Si vous êtes protestant, orthodoxe, juif, musulman, mormon, témoin de Jéhovah, hindou, animiste, agnostique, athée ou raélien, vous êtes automatiquement exemptés.
Cependant, aussi libérés sexuellement que nous soyons, lorsqu’on se prend à vouloir lire le Kâmasûtra dans toutes les positions, c’est Le Capital au chapitre : « Le capitalisme dans ton cul » que l’on feuillette. Lorsque Eros s’est improvisé pornographe et que le porno s’est mué en gonzo, le sexe n’est plus rien d’autre qu’une part de marché dans le Grand-Tout qui consomme. La relation sexuelle n’est plus la rencontre de deux êtres, mais l’exposition de deux corps par eux-mêmes consommés.
À ce qu’on a lu ces jours-ci dans la presse, ce n’est vraiment pas là le problème. Ça n’aura échappé à personne, mais la vraie question est de savoir si l’Église doit tolérer ou non la capote pour les plans cul. Parce que notre époque, ça ne lui suffit plus de baiser à couilles rabattues, il lui faut un curé, un évêque, un cardinal, un pape, qui vienne par-derrière bénir ses ébats. Plus personne ne va faire ses pâques, mais chacun exige de l’abbé un mot pour aller au bordel.
La capote, donc : le pape a dit, en gros, qu’il valait mieux l’utiliser que de refiler le sida à quelqu’un. Il ne fait que dire tout haut ce que Jean-Marie Lustiger et d’autres disaient, eux aussi, tout haut. Faudrait-il donc que rien ne change pour que tout change ?
On regrettera cependant que le pape ne soit pas allé plus loin. Tenez-vous bien : il n’a pas évoqué un seul instant les lubrifiants à base d’eau ni indiqué que le sachet du préservatif doit être obligatoirement estampillé du sigle « NF ». Pas une phrase sur les différentes qualités de capotes : certaines, plus onéreuses que d’autres, n’entament pourtant en rien les sensations. S’il veut faire agent de prévention à Sida-Info-Service, c’est raté.
Par charité chrétienne, je n’ose même pas évoquer tous les oublis papaux. Il dormait quand la prof de bio a parlé des MST ? Rien sur l’herpès, rien sur les morbaques, comme si ça n’existait pas. C’est une honte ! On attend que le Saint-Père se prononce sur le sujet ; prière d’indiquer ce qu’il faut faire quand ça gratouille plus que ça ne chatouille. Sa Sainteté n’a pas non plus moufté sur le prix excessif que pratiquent certains clubs échangistes. Rien non plus sur le bukkake, la double pénétration, les gang-bang interraciaux. Pas un mot recommandant d’utiliser les gants chirurgicaux pour le fist.
Et puis, dans ses récents propos, Benoît XVI ne stigmatise-t-il pas les barebackers ? Là, c’est vraiment grave. Il faut espérer qu’à la prochaine audience générale, le pape fasse un mea culpa. S’il ne le fait pas, il faudra d’urgence saisir la Halde : la discrimination est établie.
Elle est belle, cette Église, qui ne veut pas comprendre que plus personne n’a rien à foutre de rien et qu’aux choix humains, on préfère le nihilisme d’un temps qui invite à considérer l’autre comme un produit à consommer avant sa date de péremption.
Il y a plus de dix ans maintenant, je lançai dans le débat public, à la « une » du Monde daté du 12 mars 1999, un concept qui allait susciter quelques controverses : celui de » populisme alpin ». Il se fondait sur une observation du terrain (très en pente), des régions situées sur l’arc Nice-Ljubljana, qui faisait apparaître qu’une famille de partis politiques présentant un certains nombre de caractéristiques communes avait émergé dans ces contrées au début des années 1990.
La Ligue du Nord en Italie, le FPOe de Jörg Haider en Autriche, et même une partie de la CSU bavaroise se fabriquaient une pelote électorale en titillant les vieux réflexes issus d’un mode de vie et de pensée montagnard élaboré depuis le Néolithique. On découvrira aisément, et sans trop se prendre la tête, les éléments principaux de cette weltanschauung en relisant la collection complète des Heidi de Johanna Spyri.[access capability= »lire_inedits »]
C’est pas trop compliqué, comme morale : pour survivre dans cet univers rude, faut pas être fainéant, trop causer nuit à la bonne qualité du travail, et les ceusses d’en bas qui réclament toujours plus de Sécu, allocs chômage et congés payés feraient mieux de se retrousser les manches au lieu de geindre et tendre la sébille.
Du temps de Heidi (fin du XIXe siècle), les Alpins de tous les pays étaient misérables, partageaient leur humble masure au toit de bardeaux avec les vaches, qui servaient de chauffage central, et pratiquaient entre eux une solidarité de pauvres, limitée à l’environnement proche.
Comme il y a quand même une justice en ce bas monde, leur ardeur au travail et leur peu d’appétence pour le bling-bling (les Rolex, on les fabrique et on les vend, mais on se contente de la toquante du grand-père) a fini par les propulser au somment du PIB par tête dans leurs pays respectifs. Les « petits boulots » qui occupaient leurs longs hivers se sont révélés des niches lucratives dans une économie mondialisée, et le développement des loisirs leur a apporté une manne touristique considérable. Aujourd’hui, Heidi dirige un cinq étoiles à Gstaad et son copain Peter a monté une PME de micromécanique high tech dans la vallée. Tous deux apportent leurs suffrages à l’UDC de Christoph Blocher, classé dans la catégorie populiste-xénophobe par les grosses têtes de la plaine. Voilà qui met un terme, j’espère définitif, à l’hypothèse selon laquelle le populisme serait issu de la théorie développée au XVIIIe siècle par le philosophe sud-tyrolien Karl-Theodor Popul, dont BHL a découvert récemment l’existence lors d’une tournée de conférences dans les universités vénézuéliennes.[/access]
Nous ne sommes qu’en 2010 et l’antiracisme qui devait être le communisme du 21ème siècle a déjà pris une tournure clairement soviétique.
Pour celui dont les écarts de langage trahissent une déviance coupable, l’autocritique est la seule manière de retrouver une place parmi ses camarades, (Florent Pagny a compris la leçon). Quand cela ne suffit pas, il faut l’interner car le raciste est comme le dissident-fou de l’ex-URSS, c’est un malade qui s’ignore : l’internement s’impose ! C’est le traitement que Vincent Cespedes et Rokhaya Diallo préconisaient l’autre soir chez Taddéi pour Jean-Paul Guerlain, qui avait eu le malheur de parler à la télé comme s’il causait avec ses amis et de le faire en 2010 comme si on était en 1950. Et comme Guerlain tout seul n’était pas une proie suffisante, Cespedes en remettait une couche en expliquant que les paroles de Guerlain exprimaient l’âme raciste de la France. Sans susciter la moindre réaction, même de Marie-France Garaud.
« Oui, il faut l’interner » renchérissait Jérôme Savary qui expliquait – on a encore le droit d’essayer de comprendre si on ne cherche pas à excuser, nous ne sommes qu’au début du siècle – que le vieil homme parlait comme dans les films d’Audiard. M. Guerlain, qui a aujourd’hui 73 ans, a connu la France d’avant. Une France qui avait depuis longtemps donné aux droits de l’homme une dimension universelle et aboli l’esclavage mais dont la langue était pleine d’expressions imagées devenues depuis peu dangereusement racistes. Avant une immigration récente, massive et largement subie même si depuis peu il parait qu’elle est choisie, on trouvait dans les boulangeries des « têtes de nègres », on pouvait lire Tintin au Congo sans avertissement liminaire et on disait « travailler comme un nègre » aussi innocemment qu’on aurait dit « saoul comme un Polonais », « fort comme un Turc » ou « c’est du travail d’Arabe de parler anglais comme une vache espagnole ». Cette époque est révolue.
Depuis que l’étranger n’est plus une évocation exotique mais une présence réelle sur le sol Français, le langage a changé. Lentement et naturellement, la plupart de ces expressions sont devenues désuètes et comme nous sommes des gens délicats et civilisés, nous avons abandonné tout ce qui, dans la langue de nos pères, pouvait blesser les hommes, les femmes et surtout les enfants venus d’ailleurs et français comme vous et moi, ou en passe de le devenir.
Plutôt abattre que débattre
Nous avons retiré de l’héritage ce qui était susceptible de faire pleurer un gosse noir dans la cour de l’école ou d’offenser un retraité arabe après une vie de marteau-piqueur et ce n’est pas plus mal. Aujourd’hui, la langue française prend l’autre avec des pincettes vierges de tout racisme mais si l’intention est louable, selon certains vigilants, l’effort n’est pas assez soutenu. En effet, il reste dans ce pays au moins un vieux distrait ou réfractaire à la rééducation et les antiracistes qui n’ont sûrement jamais pêché par indélicatesse ou incivilité lui jettent, sans que personne ne s’interpose, la première pierre. Guerlain est sans doute le représentant d’une espèce en voie de disparition que personne n’envisage de protéger et qu’on aimerait voir s’éteindre et mourir de sa belle mort mais qu’on n’aime pas voir lapider. Or certains s’acharnent sur l’un de ses derniers spécimens et veulent faire un exemple. Qu’on abatte vite ce vieux sous-chien qui croit encore qu’il a le droit d’aboyer !
C’est tout le sens du rassemblement parisien devant la boutique « Guerlain » des Champs-Elysées ce samedi 20 novembre (pour la troisième fois), dont le mot d’ordre était : « Non à la négrophobie », organisé par les Indivisibles, les Indigènes de la république et d’autres associations qui vont de la lutte contre le racisme en général à la défense des noirs en particulier. Depuis le début de cette affaire, malgré les plates excuses de l’auteur des propos, de la marque qu’il ne représente plus, du groupe LVMH et de la chaîne qui les a diffusés, les noirs contre le racisme multiplient les déclarations et les actions protestataires.
Pour tout ce petit monde, faire reculer le racisme, c’est d’abord faire taire par intimidation tous les « Guerlains » à venir. C’est évidemment plus facile et moins dangereux que de tenter de convaincre les jeunes dans leur « diversité » que pour être aimé, il faut commencer par être aimable et que le vol, le vandalisme et le pillage pratiqués par certains sont les plus sûrs moyens de provoquer de la méfiance et de faire naitre ou de conforter des préjugés racistes et un rejet certain pour tout ce que vous êtes et tout ce que vous représentez. Pour les commerçants qui ont vu passer à travers leurs vitrines et sortir sans passer par la caisse les émeutiers venus des banlieues pendant les derniers mouvements sociaux et pour tous les Français qui en ont vu les images télévisées, le message de SOS Racisme ou du CRAN sur les dangers que représentent les « Guerlains » pour le vivre ensemble aura du mal à passer. Quand une proportion notable de la population carcérale est issue de l’immigration, l’urgence, pour faire reculer les sentiments racistes que cette réalité pourrait éveiller, n’est pas de tabasser médiatiquement à quinze contre un vieux bourgeois un peu réac.
Entre tenter de convaincre sans pratiquer le déni de réel et imposer le silence en brûlant un épouvantail, l’antiracisme a choisi sa stratégie pour nous montrer l’origine du mal. En son temps, le communisme avait choisi la même.
Au sein de l’ONU, l’Assemblée générale se subdivise en commissions. La troisième, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, se déclarant « consciente de l’importance de prévenir, de combattre et d’éliminer les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires » serait selon un communiqué des Nations Unies du 14 novembre « demeurée néanmoins profondément divisée par une référence à l’orientation sexuelle dans un projet de résolution ». Ladite résolution, répondant au doux nom de L.29/Rev.1, mentionnait depuis 2000 à l’alinéa b de son article 6 la « discrimination notamment fondée sur les préférences sexuelles ». Elle est revotée sans broncher tous les deux ans -ou plutôt, elle l’était jusque là.
En effet, sur proposition insistante du Groupe des Etats d’Afrique et de l’OCI, un amendement a été adopté à une majorité écrasante pour supprimer cette référence impie et la remplacer par « discriminations, quel qu’en soit le fondement ». Les rédacteurs ne manquent pas d’humour.
Gays, lesbiens, trans… et aveugles
Bizarrement, les confrères ayant évoqué la question, et surtout les principaux intéressés, font une curieuse lecture de l’épisode.
Ainsi Christine Le Doaré, présidente du Centre Gay, Lesbien, Bi et Trans de Paris, impute-t-elle la responsabilité de la décision… aux évangéliques américains, dont on se demande quand ils auraient rejoint l’OCI et depuis quand ils imposeraient leur loi au Maroc et au Mali, qui ont présenté l’amendement. Voilà en en effet le compte-rendu des débats tel qu’il est presenté sur le site de l’ONU :
« La représentante du Maroc, au nom de l’Organisation de la Conférence islamique (…) s’est dite troublée par les tentatives visant à se concentrer sur des droits individuels spécifiques et a réaffirmé que la notion d’orientation sexuelle ne devrait pas figurer dans ce texte. La communauté internationale devrait, selon elle, éviter une interprétation sélective de certains droits de l’homme. Cette situation pourrait entraîner un précédent dangereux. L’OCI continuera de protéger la notion de famille en tant que noyau fondamental de la société. »
Ses défenseurs avaient un argument de poids, compréhensible du point de vue de la richesse de la variété culturelle : il n’existe pas d’accord international sur cette « notion » ! Ils ont donc suggéré d’en traiter à l’occasion d’une réunion intergouvernementale. Promis, en 2012 le monde entier reconnaîtra dans les fondements un lieu commun à diverses sexualités. Et cette notion étant admise comme internationale et transculturelle, les homosexuels ne seront plus l’objet de persécutions, exécutions et assassinats en Iran (où, selon les déclarations de Mahmoud Ahmadinejad, ils n’existent tout simplement pas et ne sont donc pas pendus), au Sénégal, au Cameroun, en Irak, en Egypte, en Arabie Saoudite, en Ouganda…
Les délégations occidentales et notamment la Finlande, la France et la Suisse auraient exprimé leurs regrets. C’est très gentil. Surtout après avoir voté oui.
Je crois qu’Arnaud souhaite que je le rejoigne. Peut-être souhaite t-il faire de moi son futur Premier ministre… Ou que, plus modestement, j’entre à son service comme nègre (pour faire plaisir à M. Guerlain) ou plume (pour exciter DSK). Ou, encore plus humblement, que j’accepte de devenir rédacteur en chef du bulletin d’information du conseil général de Saone-et-Loire.
Mais, c’est sûr, il essaie d’attirer mon attention. Vous ne me croyez pas ? Mais c’est que j’ai plusieurs indices ! Arnaud a fait acte de candidature à Frangy-en-Bresse dans le 71 ! Or, je suis né en 71. Et je suis souvent passé en voiture à Frangy-en-Bresse, village très calme en dehors des jours comme ce samedi, où le nombre de caméras dépasse de peu celui de poulets et de beaucoup celui des habitants. Je reconnais toutefois que si j’y suis passé, jamais l’idée saugrenue de m’y arrêter n’a traversé mon esprit. Léger comme indice ? Mais ce n’est pas tout ! Je suis né en 71 mais plus exactement le 20 novembre, un samedi. Or c’est bien hier, samedi 20 novembre qu’Arnaud a avoué à la France son envie d’elle.
Coïncidences ? Mais que vous faut-il donc ? Arnaud m’envoie des signes idéologiques. Qu’écrivé-je ? Des signes doctrinaires ! Il souhaite baser sa candidature sur le thème de la « démondialisation ». Il explique que « économiquement et écologiquement, la mondialisation est un désastre car elle survalorise l’exportation. Il faut donc assumer un certain protectionnisme comme un outil pour le développement, au nord comme au sud. » C’est ce que je me tue à écrire depuis des années. C’est bien simple, on dirait un extrait du tract de campagne de Debout la République aux dernières élections européennes. Arnaud, qui a rejoint Martine, la fille de Delors et la copine de Pascal Lamy, ne peut pas parler mondialisation en de si mauvais termes par hasard.
Bon, maintenant, c’est sûr. Arnaud a entendu parler de moi. Ce que j’écris lui plaît. Et il souhaite m’attirer dans ses filets politiques. J’en suis tout chose. Face à cet entrain, je ne peux me dérober. Je me dois d’apporter, publiquement, une réponse à de telles avances.
Arnaud, tu es sur le bon chemin. Mais il te reste à parcourir de la distance :
1 – Abandonne tes obsessions de VIe République, on y est déjà ! La Ve du Général est morte depuis longtemps. Cohabitations, quinquennat et Nicolas Sarkozy ont déjà eu sa peau.
2- Le protectionnisme, c’est bien. Redonner à ton pays le pouvoir de battre monnaie, c’est mieux.
3 – Enfin, si tu es vraiment le jeune lion que tu dis, oublie cette pantalonnade de primaires, présente-toi directement aux suffrages du peuple tout entier.
Là, on pourra éventuellement commencer à boire un verre. Du Jura, sur un poulet de Bresse.
Amitiés.
PS (ça ne s’invente pas) : Si ça se trouve, Arnaud n’a aucune idée de mon existence et je vais avoir l’air d’un con. Tant pis. C’est dit.
Il semblerait que la gaullomanie – cette idéologie reposant sur l’idée que de Gaulle est un demi-Dieu, non seulement un grand homme d’Etat, mais aussi un grand moraliste, un grand écrivain et même un type rigolo comme tout – ne puisse désormais que refluer, écrasée sous le poids de ses affabulations. Ses partisans se contentent de brandir des idées générales ou des slogans propres à flatter ce goût pour l’exaltation sous l’empire duquel chacun d’entre nous est prêt, à différentes périodes de sa vie, à faire n’importe quoi. Les opposants du Général, eux, ont toujours invoqué des faits, sanglants pour la plupart. Le plus brillant de ces opposants fut Jacques Laurent, dont le Mauriac sous de Gaulle est un bijou de vérité, d’ironie et de courage.
Mythomanie sanglante
La postérité du gaullisme risque ainsi d’être contrariée par le souvenir des victimes qui jonchent sa route. Et c’est par le roman – quoi de mieux qu’un roman pour rendre compte de la réalité ? – que cette mythomanie sanglante est écornée aujourd’hui.
Les écrivains parfois écrivent de manière parallèle sans s’en rendre compte, évidemment : ce n’est qu’à la publication qu’on s’aperçoit par exemple que deux romans sortis en même temps ont pour cadre principal le mois d’août 1962, et un sujet commun : la trahison.
Dans Je ne vous oublie pas, (Cherche-Midi), Emmanuel Sabatié fait resurgir du néant les supplétifs de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Son roman commence dans l’atmosphère propre aux périodes dites de « libération », que l’auteur restitue à merveille et qui donne d’emblée au récit une dimension universelle. Un harki cherche à gagner la France avec sa femme et ses deux enfants. Il n’est pas possible d’en écrire plus, car ce roman, que l’on lit d’une traite avec la sensation d’une douleur physique au ventre, n’est pas de ceux que l’on chronique distraitement avec des mots choisis et élégants. Il rappelle simplement la sauvagerie des hommes dès qu’ils sont livrés à eux-mêmes, et surtout lorsqu’ils sont encouragés par le pouvoir en place.
Vieil homme cruel
C’est justement le sort de ces supplétifs qui constituent les plus belles pages du roman d’Alice Ferney Passé sous silence (Actes Sud) et qui, parmi d’autres motifs, ont conduit Bastien-Thiry à commettre son geste désespéré au Petit Clamart. Alice Ferney convoque ainsi cette belle figure (sous le nom de « Donadieu »), qu’elle oppose au fameux général au menton mou (« Grandberger », dont la description physique page 60 vaut le détour). Elle n’en rajoute pas : son récit est précis, d’une objectivité que ne renierait pas un historien pointilleux. De Gaulle n’est pas dénué de qualités : indifférent au danger physique, par exemple.
Mais cette confrontation à distance entre Grandberger « vieil homme cruel » et Donadieu « l’homme d’exception » n’est pas à l’avantage du premier et éclaire toute la période, bien mieux que cinquante ouvrages universitaires sur la guerre d’Algérie. Elle nous rappelle par exemple que l’armée avait vaincu la sédition, rendant ainsi possible toutes sortes de solutions, y compris éventuellement l’indépendance sans les massacres.
Il présente l’intérêt, aussi, de nous restituer le vrai Bastien-Thiry : ce n’était pas un « activiste » (terme bien commode pour fusiller les gens en insultant vaguement leur mémoire), il n’a jamais été membre de l’OAS, on ne lui connaît aucune opinion politique (sauf peut-être gaulliste, justement). C’était un des plus brillants scientifiques français, haut gradé, promis à une belle carrière, père de trois filles. Pas vraiment le profil du tueur fascisant que la légende gaulliste (comme ces deux termes, « légende gaulliste », vont bien ensemble !) a colporté.
Ces deux écrivains prouvent ainsi la supériorité, parfois, du roman sur d’autres formes d’écritures : les historiens se perdent en nuances ou même, dans le cas des harkis, ont carrément déclaré forfait.
Peut-être est-il enfin temps de laisser le Général à ses procès truqués, à sa justice aux ordres, à sa cruauté d’avoir livré aux bourreaux des Algériens qui avaient cru à ses promesses, à ses petits matins blêmes où l’on fusille à la sauvette, à son Paris outragé et à son Québec libre.
Tout cela n’est pas très sérieux. Voilà un mot, « populisme », dont les médias dominants se servent pour qualifier aussi bien Sarah Palin qu’Hugo Chavez alors que, si la première devenait présidente des Etats-Unis, il est probable qu’elle enverrait illico presto la CIA organiser un putsch, assassiner le leader bolivarien et plus si affinités. On pourra toujours parler de rivalité mimétique entre populistes, qu’on me permette, pour une fois, de douter de la pertinence de la grille de lecture girardienne.
En France, les mêmes médias emploient désormais cet adjectif − qu’ils connotent forcément de manière péjorative − pour Le Pen père et fille d’une part et pour Mélenchon de l’autre. Or, à moins de faire de « populiste » le synonyme de « bon orateur », trouver quelque chose de commun entre le Front national et le Front de gauche relève de la mauvaise foi, ou plus exactement de cette foi très post-moderne (Furet est passé par ici) que tout désir de changement de société s’appuyant sur le peuple finit nécessairement en totalitarisme, ce qui disqualifie tout discours de transformation.
Le mot « populisme », comme « patrie » et, ces temps-ci, « laïcité », est la victime d’un grand hold-up sémantique effectué par une droite dure, conservatrice et parfois ethniciste sur des notions qui appartenaient auparavant à la gauche et constituaient même l’ADN de la République et des mouvements d’émancipation. [access capability= »lire_inedits »]
Le populisme, en tant que courant politique, apparaît aux Etats-Unis. On se rapportera à la somme d’Howard Zinn sur la question, Une Histoire populaire des Etats-Unis, où il rappelle qu’il y eut toujours une résistance au big business dans le pays de la libre-entreprise. Il cite notamment la plateforme électorale du People’s Party en 1892 : « La corruption domine l’élection, les législatures, le Congrès, et effleure l’hermine des magistrats. Les journaux sont subventionnés ou étouffés. Notre travail perd sa valeur, la terre se concentre dans les mains des capitalistes. Les ouvriers ne peuvent pas se syndiquer, des travailleurs importés font pression sur les salaires, le produit du labeur de millions est volé pour édifier de colossales fortunes. » Quant on sait, en plus, que le People’s party, notamment dans le Sud, était un parti interracial, il devient un peu compliqué de le classer dans la droite de l’époque. On voit en même temps d’où a pu venir le malentendu : la dénonciation des petits contres les gros, le thème de la corruption, l’antiparlementarisme vont aussi devenir les thèmes d’une certaine extrême droite et notamment, pratiquement à la même époque en France, du boulangisme.
Le populisme littéraire est un humanisme
Pourtant, le terme « populisme » est encore, chez nous, au moins dans le domaine de la littérature, dénué de tout sous-entendu suspect. Savez-vous que l’on remet chaque année en France, depuis 1929, un Prix du roman populiste ? Et il n’a pas été remis à Marine Le Pen pour une autofiction ou à Jorg Haider pour son journal posthume dans les backrooms de Carinthie. Non, si l’on regarde le palmarès, on voit qu’il est resté fidèle à sa vocation première telle qu’elle est définie dans les statuts : récompenser « un roman qui met les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité ».
Le populisme littéraire est, pour paraphraser Sartre, qui a reçu ce prix en 1946 pour son recueil de nouvelles Le Mur, un humanisme. Il rejoint en cela le populisme des narodniki russes, ces étudiants du XIXe siècle qui, lassés des conventions bourgeoises, de la bulle artificielle dans laquelle ils vivaient, allèrent à la rencontre du monde paysan et tentèrent de fonder, sans trop de succès, un socialisme agraire. Il s’agit pour le roman populiste d’en finir soit avec l’ignorance pure et simple du peuple dans la fiction littéraire, soit avec la confusion plus ou moins consciente entretenue par les romanciers « réactionnaires » entre classes laborieuses et classes dangereuses. Pour un Victor Hugo ou un Zola, au XIXe siècle, qui font du peuple un objet d’étude et expriment le désir de le voir s’émanciper, combien de Paul Bourget et d’autres noms heureusement oubliés qui furent d’efficaces chiens de garde ne s’intéressant qu’aux émois chlorotiques des jeunes filles en dentelles ?
Le roman populiste n’a jamais eu les faveurs, non plus, du Parti communiste, contrairement à ce que l’on aurait pu croire. Cette littérature se refuse en effet à envisager le peuple comme une classe sociale mais davantage comme un personnage, ou même une personne. Pas d’idéalisation, seulement le désir de connaître, de comprendre, de donner une égale dignité au chagrin d’une ouvrière et à celui d’un jeune dandy, non pas parce qu’elle est ouvrière mais parce qu’elle participe d’une égale humanité et a aussi droit de cité dans l’imaginaire d’une nation.
La liste des auteurs lauréats du Prix du roman populiste se joue d’ailleurs des clivages politiques. Le premier à être couronné est Marcel Aymé. On sait à quel point celui-là fut rétif à tous les embrigadements et fut même classé dans la droite littéraire de l’après-guerre parce qu’il marqua un certain écœurement devant une épuration qui avait tendance à s’acharner sur ses confrères plutôt que sur les responsables de la collaboration économique.
D’autres, en revanche, furent plus clairement de gauche, comme Eugène Dabit et son Hôtel du Nord (« Atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » ou le scandaleusement oublié Louis Guilloux, l’auteur du Sang noir, qui resta un « nietzschéen de gauche » jamais tenté par le communisme, sans doute parce qu’il avait accompagné Gide lors de son fameux voyage en URSS. Plus récemment, le Prix populiste fut capable aussi de décorer Bernard Clavel, compagnon de route du PCF récemment décédé, et Denis Tillinac, gaulliste old school qui, précisément, comme tout vrai gaulliste, a, au fond, la « fibre popu ».
Ce détour par la littérature semble décidément indispensable en cette période où le mot « populisme » est devenu synonyme d’une instrumentalisation du peuple et de ses pulsions alors qu’il fut, avant tout, l’expression d’un beau souci, (beau parce que non dogmatique) pour tous ces abonnés absents d’une histoire et d’une actualité officielles, calibrées par les classes moyennes et pour les classes moyennes.[/access]
Dominique de Villepin se présente comme le chevalier blanc de la politique, au cœur purifié de toutes les scories courtisanes, entièrement dévoué à servir la France avec honneur, loyauté et panache gaulliste. Il ne s’est pourtant pas privé, ces jours-ci, d’agir en parfait « homme de l’occasion » pour reprendre les termes de Balthazar Gracian. La parution de son dernier livre, De l’esprit de cour, la malédiction française, combinée par ses piques oratoires à l’encontre du Président, lancées le dimanche 7 novembre sur l’antenne d’Europe 1, tombaient à pic.
En soutenant que l’esprit de cour est à l’origine du blocage de la société, de l’essoufflement général du pays et de la corruption du régime politique, puis en accusant Nicolas Sarkozy d’être aujourd’hui « un des problèmes de la France », Dominique de Villepin a retiré au pouvoir une crédibilité qu’il veut gagner en le critiquant. À la veille du remaniement ministériel, voilà qui n’était pas mal joué. Sa thèse prenait tout son éclat à mesure que le ballet des prétendants agitait fébrilement l’Elysée.
Virus curial[1. Les termes sont de Dominique de Villepin lui-même : précieux un jour, précieux toujours]
Or, l’habileté et l’opportunisme dont fait preuve Dominique de Villepin ne sont-ils pas des qualités qui caractérisent le courtisan avisé ? En disant ce qu’il faut au moment où il faut, ne s’est-il pas tenu « au centre de l’occasion », comme ferait un parfait homme de cour, qui saurait profiter de l’inconstance, des humeurs et de la contingence du sort pour être certain de plaire et de s’attirer la faveur populaire ? En effet, à défaut de flatter notre Prince, son ennemi juré, c’est le peuple que Dominique de Villepin tente de courtiser en prenant bien soin de dissimuler son intention sous le paravent de la satire.
Et pour couronner cette stratégie, tout s’est passé à quelques jours de la commémoration du quarantième anniversaire de la mort du Général De Gaulle, envisagé par l’intéressé comme contre modèle idéal du sarkozysme. Voilà qui lui donne des gages d’assurance pour se présenter comme l’homme providentiel qui vivifierait à nouveau l’esprit républicain étouffé actuellement par l’esprit de cour.
Mais penchons-nous sur ce « virus curial », jugé par Dominique de Villepin comme « une spécificité française constamment à l’œuvre au cœur du pouvoir ». L’auteur prend la cour comme « fil d’Ariane » pour voyager dans un passé, comparé, si on file la métaphore jusqu’au bout, à un labyrinthe. Et là, la perplexité gagne. N’est-ce pas surprenant pour se diriger dans le labyrinthe du passé d’utiliser la cour, qui est elle-même un véritable labyrinthe où chacun simule pour mieux dissimuler et guide pour mieux égarer ?
Comme le courtisan, la cour présente deux faces. L’une artificielle et apparente cache l’autre, nuisible et invisible.
Dominique de Villepin montre comment, grâce à cette duplicité, la cour fait croire qu’elle renforce le pouvoir alors qu’elle conspire contre lui. Vue du dehors, la cour apparaît comme l’instrument du pouvoir. Mais en réalité, la cour verrouille tout de l’intérieur tandis que du dedans, elle exerce sa capacité de nuisance et devient moins le lieu où l’on paraît qu’un foyer où l’on manigance contre le pouvoir en place, le mécanisme des passions aidant à alimenter la sédition des courtisans humiliés.
Cour monarchique, cour impériale, pour Villepin, la cour se métamorphose selon la nature des régimes, mais son fonctionnement oligarchique reste foncièrement le même.
Un diseur de vérité
Se drapant dans les habits de Ruy Blas, Dominique de Villepin prend plaisir à décrire le climat perpétuel de guerre froide, où les courtisans donneraient les apparences de servir l’intérêt général pour mieux se servir eux-mêmes et évincer leurs rivaux potentiels en se fourvoyant dans un cortège de coups bas, d’intrigues et de complots. Avec la démocratie parlementaire, la cour se désincarnerait mais ne perdrait pas en influence. Bien au contraire, en se masquant, en devenant une sorte de société secrète, qui prospèrerait entre le monde des affaires et le monde du pouvoir, son influence se répandrait plus facilement. Ainsi, comme le phoenix, la cour ne meurt jamais, elle renaît de ses cendres et se survit dans l’esprit qui l’anime.
En apparence, Dominique de Villepin se présente comme un diseur de vérité qui ose nommer le mal qui ronge la France et que les élites s’évertuent à dissimuler.
En réalité, dans les plis et les replis de sa critique et de l’éloge adressé aux hommes illustres, se glisse son propre sacre. En filigrane de son analyse historique, il ne cesse d’affirmer sa différence avec l’actuel Président et établit in fine sa propre légitimité présidentielle.
Dominique de Villepin ne manque à aucun moment de souligner le gouffre qui le sépare du « Premier des courtisans » : Nicolas Sarkozy lui-même et sa vision d’un pouvoir aimé pour les effets de plaisir et de gloire qu’il procure. Pour Villepin, l’ode au Général De Gaulle, le culte voué à l’idéal d’indépendance et de fidélité représente autant de manières de dessiner en creux son autoportrait.
Mise en scène
Dans le passage consacré au Général, résonne son discours de l’ONU où, en plaidant l’opposition à la guerre en Irak, il s’affirme comme le gardien de l’indépendance de la France, tout en marquant bien la séparation avec Nicolas Sarkozy, relayé au statut de vil laquais à la solde de l’Empire Américain.
Ainsi l’esprit gaulliste animerait le verbe villepiniste et inversement.
Le sursaut républicain que Dominique de Villepin appelle de ses vœux, au début et à la fin de son livre, voudrait être aussi une façon de s’inscrire dans la droite ligne de l’appel gaulliste, c’est à dire à refuser le fatalisme tout en se présentant comme celui qui serait porteur d’un grand projet collectif capable de guérir la France de cette fameuse tumeur « curiale ».
Tombée de rideau !
Villepin, en affirmant que le propre du courtisan moderne, est « qu’il n’est plus identifié comme tel, ce qui le rend encore plus redoutable car il avance masqué », finit donc par se trahir lui-même. A travers cette séduisante mise en scène, c’est lui qui finit par apparaître comme l’archétype du courtisan.
Parce que tout de même, il ne faudrait pas oublier que l’ « esprit villepiniste » s’incarne lui aussi banalement dans un système politique et que si l’homme est un féru d’histoire, il parle, tout d’abord, en tant que chef de parti politique soumis, comme tous les autres partis, aux dérives courtisanes.
C’est le site web de Paris Match qui nous l’apprend cette semaine : manger régulièrement des pommes pourrait réduire le risque de fracture osseuse. Et si l’on n’est pas forcé de croire tout ce qu’on lit chez le coiffeur, on peut raisonnablement se fier à la source d’origine de l’info, à savoir l’American Journal of Clinical Nutrition. L’étude à l’origine de ce scoop, menée par des chercheurs de l’université McGill de Montréal, attesterait que manger des fruits et des légumes – et singulièrement des pommes – rend le squelette plus solide; accessoirement, les résultats sont, c’est injuste mais c’est comme ça, encore plus probants chez les femmes que chez les hommes.
Hélas, nos honorables chercheurs québécois n’ont toujours rien trouvé sur une éventuelle corrélation entre l’ingestion de pommes et la réduction de la fracture… sociale cette fois-ci. La réduction de la « fracture sociale », écho vintage des temps anciens… Encore un gimmick électoral chiraquien des années 90 qui ne se vérifiera pas…
A trop vouloir réduire les « fractures », un jour ou l’autre, d’ailleurs, on tombe sur un os. La sombre affaire du mystérieux embrasement spontané de l’autobus de Karachi le démontrera peut-être…
On savait Eric Cantona chantre de la poésie et du football. On le découvre, grâce au Guardian, héraut de la révolution. Le quotidien anglais exhume une vidéo du footballeur datant d’octobre dernier en plein dans les manifestations contre la réforme des retraites. Et que dit le grand Canto ? « Aller dans la rue, manifester aujourd’hui, c’est quoi ? Ils te retournent le truc contre toi. » Une seule solution, la révolution. Mais pas « par les armes, on va pas aller tuer des gens ». La solution ce sont les banques. Celles qui tiennent le système : « Le système est bâti sur le pouvoir des banques, il sera détruit par les banques. » Cantona propose une solution simple, que trois millions de gens aillent retirer leur argent des établissements financiers. Qui s’écrouleront. « C’est une vraie menace, la vraie révolution. »
Depuis, la vidéo, tourne à donf sur internet et des activistes invitent à cette révolution à la Spaggiari, sans armes, ni sang, pour le 7 décembre prochain. On attend avec hâte la convocation de l’ancien joueur de Manchester United par les syndicats pour un bon gros brain storming, lui qui dit : « les syndicats ils font ce qu’ils peuvent, il faut leur donner des idées des fois… »
Avec Benoît XVI, les cathos ne baiseront plus sans capote.
Avec Benoît XVI, les cathos ne baiseront plus sans capote.
Jean-Marie Lustiger n’était pas un homme de gauche. C’était, pour sûr, un homme de Dieu. Mais, avant que la mort ne l’oigne de la bonne renommée que tout cadavre reçoit à sa toilette funéraire, le cardinal de Paris était la cible des attaques régulières des « catholiques de progrès ». Oui, il existe des catholiques de progrès comme il existe une Fédération anarchiste : quand on fait dans l’oxymore, on ne craint rien. Lisant en loucedé la revue Golias, son Charlie Hebdo de sacristie qui lui donne l’impression de vider des burettes sans alcool, le catholique de progrès voudrait bien être protestant. Il voudrait bien, mais il ne le peut point. Rien ne l’en empêche, ne serait-ce parfois son état ecclésiastique, voire, plus rarement, la mitre qui orne sa tête chenue et qu’il prend pour un chapeau rigolo. Le catholique de progrès est un homme moderne. Il n’aime ni les aubes, ni l’encens, ni les dentelles. Il trouve ça fasciste, le latin. La transsubstantiation, le dogme de l’Immaculée Conception, la communion des saints et même la résurrection, qui n’est que l’essentiel – excusez du peu – de la foi chrétienne, il prend ça pour des trucs pas assez télégéniques, des contes à dormir debout, des fumisteries du monde d’avant.
Le catholique de progrès n’aime pas, non plus, le pape. Il n’a pas lu Luther, certes. Mais il trouve que ce type, qui est allemand, mais oui, mais pas un Boche façon Ratzinger, un bon Allemand, avait de bonnes idées. Le problème est que, dès lors que l’on ne reconnaît pas l’autorité de l’évêque de Rome, l’on cesse tout simplement d’être catholique romain. Ce qui, en soi, n’est pas grave quand on ne craint ni le Purgatoire ni l’Enfer.
Pourquoi dis-je ça, moi qui, pour de bonnes raisons, ne me suis pas approché d’un autel depuis très longtemps ? Ah oui, Lustiger – « Tous les archevêques de Paris sont juifs », disait Desproges. L’homme était plutôt à cheval sur les principes. Pas catholique de progrès pour un sou, le feuj enmîtré. Et c’est lui, pourtant, qui avait déclaré, en 1988, au sujet de la capote, qu’elle était « un moyen de ne pas ajouter au mal un autre mal ». Il incitait ainsi ceux qui étaient plutôt open de la culotte à se mettre un bout de latex sur le braquemart quand ils ne pouvaient pas mettre un peu de respect, de raison voire même d’amour sur leurs passions.
C’est là la position invariable – qui a dit, dans la salle, la position du missionnaire ? – de l’Église. Tu ne vas pas refoutre le sida, la syphilis, l’hépatite à des gonzes ou gonzesses que tu ne connais pas, à l’unique motif que tu les prends pour des trous, à l’unique motif que tu les utilises pour ton plaisir personnel, à l’unique motif que tu n’en as rien à foutre d’être plombé ou pas.
Entre deux maux, choisir le moindre. Cela s’appelle la casuistique : c’est une très belle invention du catholicisme. Il n’est pas de jugements implacables, de charia qui condamne inéluctablement le fautif : nous sommes tous pécheurs et la morale s’accommode de nous aussi bien que nous nous arrangeons d’elle. Il n’y pas même, à proprement parler, dans le catholicisme, une morale qui s’imposerait, dans l’extériorité, au sujet. Il y a, avant toute chose, une compréhension des situations : « La Loi est faite pour l’homme, et non l’homme pour la Loi. »
Elle est belle cette Église qui ne veut pas comprendre que plus personne n’en a rien à foutre de rien !
En revanche, là où l’Église rechigne, c’est à considérer, comme le fait notre époque, la relation sexuelle comme une simple consommation du corps de l’autre. « Noli me tangere ! » : l’irréductibilité des consciences a, dans le catholicisme, une dimension charnelle.
On prétend souvent que l’Église a un problème avec le corps. Non : il n’y a pas plus charnel que la foi en l’Incarnation. Musique, encens, arts, stigmates, représentations du divin, extases : le catholicisme est une religion des sens. Et puis, le précédent pape ne s’est pas contenté d’avoir, durant les vingt-six années qu’a duré son pontificat, un fort joli accent des environs de Cracovie. Jean-Paul II a théorisé la conception catholique de la sexualité comme aucun autre pape ne l’avait fait avant lui : pas de consommation, une communion !
Ce que notre temps ne veut plus entendre (et ne peut plus comprendre), c’est que, dans la rencontre avec l’Autre, c’est Dieu toujours que l’on rencontre. Même au fond d’un pieu, même au fond de sa chair. En introduisant dans la sexualité le coin de la transcendance, le catholicisme refuse le sexe pour le sexe et la jouissance pour la jouissance. Notons que cette conception-là ne vaut que pour les catholiques : on ne force personne à l’être. Si vous êtes protestant, orthodoxe, juif, musulman, mormon, témoin de Jéhovah, hindou, animiste, agnostique, athée ou raélien, vous êtes automatiquement exemptés.
Cependant, aussi libérés sexuellement que nous soyons, lorsqu’on se prend à vouloir lire le Kâmasûtra dans toutes les positions, c’est Le Capital au chapitre : « Le capitalisme dans ton cul » que l’on feuillette. Lorsque Eros s’est improvisé pornographe et que le porno s’est mué en gonzo, le sexe n’est plus rien d’autre qu’une part de marché dans le Grand-Tout qui consomme. La relation sexuelle n’est plus la rencontre de deux êtres, mais l’exposition de deux corps par eux-mêmes consommés.
À ce qu’on a lu ces jours-ci dans la presse, ce n’est vraiment pas là le problème. Ça n’aura échappé à personne, mais la vraie question est de savoir si l’Église doit tolérer ou non la capote pour les plans cul. Parce que notre époque, ça ne lui suffit plus de baiser à couilles rabattues, il lui faut un curé, un évêque, un cardinal, un pape, qui vienne par-derrière bénir ses ébats. Plus personne ne va faire ses pâques, mais chacun exige de l’abbé un mot pour aller au bordel.
La capote, donc : le pape a dit, en gros, qu’il valait mieux l’utiliser que de refiler le sida à quelqu’un. Il ne fait que dire tout haut ce que Jean-Marie Lustiger et d’autres disaient, eux aussi, tout haut. Faudrait-il donc que rien ne change pour que tout change ?
On regrettera cependant que le pape ne soit pas allé plus loin. Tenez-vous bien : il n’a pas évoqué un seul instant les lubrifiants à base d’eau ni indiqué que le sachet du préservatif doit être obligatoirement estampillé du sigle « NF ». Pas une phrase sur les différentes qualités de capotes : certaines, plus onéreuses que d’autres, n’entament pourtant en rien les sensations. S’il veut faire agent de prévention à Sida-Info-Service, c’est raté.
Par charité chrétienne, je n’ose même pas évoquer tous les oublis papaux. Il dormait quand la prof de bio a parlé des MST ? Rien sur l’herpès, rien sur les morbaques, comme si ça n’existait pas. C’est une honte ! On attend que le Saint-Père se prononce sur le sujet ; prière d’indiquer ce qu’il faut faire quand ça gratouille plus que ça ne chatouille. Sa Sainteté n’a pas non plus moufté sur le prix excessif que pratiquent certains clubs échangistes. Rien non plus sur le bukkake, la double pénétration, les gang-bang interraciaux. Pas un mot recommandant d’utiliser les gants chirurgicaux pour le fist.
Et puis, dans ses récents propos, Benoît XVI ne stigmatise-t-il pas les barebackers ? Là, c’est vraiment grave. Il faut espérer qu’à la prochaine audience générale, le pape fasse un mea culpa. S’il ne le fait pas, il faudra d’urgence saisir la Halde : la discrimination est établie.
Elle est belle, cette Église, qui ne veut pas comprendre que plus personne n’a rien à foutre de rien et qu’aux choix humains, on préfère le nihilisme d’un temps qui invite à considérer l’autre comme un produit à consommer avant sa date de péremption.
Il y a plus de dix ans maintenant, je lançai dans le débat public, à la « une » du Monde daté du 12 mars 1999, un concept qui allait susciter quelques controverses : celui de » populisme alpin ». Il se fondait sur une observation du terrain (très en pente), des régions situées sur l’arc Nice-Ljubljana, qui faisait apparaître qu’une famille de partis politiques présentant un certains nombre de caractéristiques communes avait émergé dans ces contrées au début des années 1990.
La Ligue du Nord en Italie, le FPOe de Jörg Haider en Autriche, et même une partie de la CSU bavaroise se fabriquaient une pelote électorale en titillant les vieux réflexes issus d’un mode de vie et de pensée montagnard élaboré depuis le Néolithique. On découvrira aisément, et sans trop se prendre la tête, les éléments principaux de cette weltanschauung en relisant la collection complète des Heidi de Johanna Spyri.[access capability= »lire_inedits »]
C’est pas trop compliqué, comme morale : pour survivre dans cet univers rude, faut pas être fainéant, trop causer nuit à la bonne qualité du travail, et les ceusses d’en bas qui réclament toujours plus de Sécu, allocs chômage et congés payés feraient mieux de se retrousser les manches au lieu de geindre et tendre la sébille.
Du temps de Heidi (fin du XIXe siècle), les Alpins de tous les pays étaient misérables, partageaient leur humble masure au toit de bardeaux avec les vaches, qui servaient de chauffage central, et pratiquaient entre eux une solidarité de pauvres, limitée à l’environnement proche.
Comme il y a quand même une justice en ce bas monde, leur ardeur au travail et leur peu d’appétence pour le bling-bling (les Rolex, on les fabrique et on les vend, mais on se contente de la toquante du grand-père) a fini par les propulser au somment du PIB par tête dans leurs pays respectifs. Les « petits boulots » qui occupaient leurs longs hivers se sont révélés des niches lucratives dans une économie mondialisée, et le développement des loisirs leur a apporté une manne touristique considérable. Aujourd’hui, Heidi dirige un cinq étoiles à Gstaad et son copain Peter a monté une PME de micromécanique high tech dans la vallée. Tous deux apportent leurs suffrages à l’UDC de Christoph Blocher, classé dans la catégorie populiste-xénophobe par les grosses têtes de la plaine. Voilà qui met un terme, j’espère définitif, à l’hypothèse selon laquelle le populisme serait issu de la théorie développée au XVIIIe siècle par le philosophe sud-tyrolien Karl-Theodor Popul, dont BHL a découvert récemment l’existence lors d’une tournée de conférences dans les universités vénézuéliennes.[/access]
Nous ne sommes qu’en 2010 et l’antiracisme qui devait être le communisme du 21ème siècle a déjà pris une tournure clairement soviétique.
Pour celui dont les écarts de langage trahissent une déviance coupable, l’autocritique est la seule manière de retrouver une place parmi ses camarades, (Florent Pagny a compris la leçon). Quand cela ne suffit pas, il faut l’interner car le raciste est comme le dissident-fou de l’ex-URSS, c’est un malade qui s’ignore : l’internement s’impose ! C’est le traitement que Vincent Cespedes et Rokhaya Diallo préconisaient l’autre soir chez Taddéi pour Jean-Paul Guerlain, qui avait eu le malheur de parler à la télé comme s’il causait avec ses amis et de le faire en 2010 comme si on était en 1950. Et comme Guerlain tout seul n’était pas une proie suffisante, Cespedes en remettait une couche en expliquant que les paroles de Guerlain exprimaient l’âme raciste de la France. Sans susciter la moindre réaction, même de Marie-France Garaud.
« Oui, il faut l’interner » renchérissait Jérôme Savary qui expliquait – on a encore le droit d’essayer de comprendre si on ne cherche pas à excuser, nous ne sommes qu’au début du siècle – que le vieil homme parlait comme dans les films d’Audiard. M. Guerlain, qui a aujourd’hui 73 ans, a connu la France d’avant. Une France qui avait depuis longtemps donné aux droits de l’homme une dimension universelle et aboli l’esclavage mais dont la langue était pleine d’expressions imagées devenues depuis peu dangereusement racistes. Avant une immigration récente, massive et largement subie même si depuis peu il parait qu’elle est choisie, on trouvait dans les boulangeries des « têtes de nègres », on pouvait lire Tintin au Congo sans avertissement liminaire et on disait « travailler comme un nègre » aussi innocemment qu’on aurait dit « saoul comme un Polonais », « fort comme un Turc » ou « c’est du travail d’Arabe de parler anglais comme une vache espagnole ». Cette époque est révolue.
Depuis que l’étranger n’est plus une évocation exotique mais une présence réelle sur le sol Français, le langage a changé. Lentement et naturellement, la plupart de ces expressions sont devenues désuètes et comme nous sommes des gens délicats et civilisés, nous avons abandonné tout ce qui, dans la langue de nos pères, pouvait blesser les hommes, les femmes et surtout les enfants venus d’ailleurs et français comme vous et moi, ou en passe de le devenir.
Plutôt abattre que débattre
Nous avons retiré de l’héritage ce qui était susceptible de faire pleurer un gosse noir dans la cour de l’école ou d’offenser un retraité arabe après une vie de marteau-piqueur et ce n’est pas plus mal. Aujourd’hui, la langue française prend l’autre avec des pincettes vierges de tout racisme mais si l’intention est louable, selon certains vigilants, l’effort n’est pas assez soutenu. En effet, il reste dans ce pays au moins un vieux distrait ou réfractaire à la rééducation et les antiracistes qui n’ont sûrement jamais pêché par indélicatesse ou incivilité lui jettent, sans que personne ne s’interpose, la première pierre. Guerlain est sans doute le représentant d’une espèce en voie de disparition que personne n’envisage de protéger et qu’on aimerait voir s’éteindre et mourir de sa belle mort mais qu’on n’aime pas voir lapider. Or certains s’acharnent sur l’un de ses derniers spécimens et veulent faire un exemple. Qu’on abatte vite ce vieux sous-chien qui croit encore qu’il a le droit d’aboyer !
C’est tout le sens du rassemblement parisien devant la boutique « Guerlain » des Champs-Elysées ce samedi 20 novembre (pour la troisième fois), dont le mot d’ordre était : « Non à la négrophobie », organisé par les Indivisibles, les Indigènes de la république et d’autres associations qui vont de la lutte contre le racisme en général à la défense des noirs en particulier. Depuis le début de cette affaire, malgré les plates excuses de l’auteur des propos, de la marque qu’il ne représente plus, du groupe LVMH et de la chaîne qui les a diffusés, les noirs contre le racisme multiplient les déclarations et les actions protestataires.
Pour tout ce petit monde, faire reculer le racisme, c’est d’abord faire taire par intimidation tous les « Guerlains » à venir. C’est évidemment plus facile et moins dangereux que de tenter de convaincre les jeunes dans leur « diversité » que pour être aimé, il faut commencer par être aimable et que le vol, le vandalisme et le pillage pratiqués par certains sont les plus sûrs moyens de provoquer de la méfiance et de faire naitre ou de conforter des préjugés racistes et un rejet certain pour tout ce que vous êtes et tout ce que vous représentez. Pour les commerçants qui ont vu passer à travers leurs vitrines et sortir sans passer par la caisse les émeutiers venus des banlieues pendant les derniers mouvements sociaux et pour tous les Français qui en ont vu les images télévisées, le message de SOS Racisme ou du CRAN sur les dangers que représentent les « Guerlains » pour le vivre ensemble aura du mal à passer. Quand une proportion notable de la population carcérale est issue de l’immigration, l’urgence, pour faire reculer les sentiments racistes que cette réalité pourrait éveiller, n’est pas de tabasser médiatiquement à quinze contre un vieux bourgeois un peu réac.
Entre tenter de convaincre sans pratiquer le déni de réel et imposer le silence en brûlant un épouvantail, l’antiracisme a choisi sa stratégie pour nous montrer l’origine du mal. En son temps, le communisme avait choisi la même.
Au sein de l’ONU, l’Assemblée générale se subdivise en commissions. La troisième, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, se déclarant « consciente de l’importance de prévenir, de combattre et d’éliminer les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires » serait selon un communiqué des Nations Unies du 14 novembre « demeurée néanmoins profondément divisée par une référence à l’orientation sexuelle dans un projet de résolution ». Ladite résolution, répondant au doux nom de L.29/Rev.1, mentionnait depuis 2000 à l’alinéa b de son article 6 la « discrimination notamment fondée sur les préférences sexuelles ». Elle est revotée sans broncher tous les deux ans -ou plutôt, elle l’était jusque là.
En effet, sur proposition insistante du Groupe des Etats d’Afrique et de l’OCI, un amendement a été adopté à une majorité écrasante pour supprimer cette référence impie et la remplacer par « discriminations, quel qu’en soit le fondement ». Les rédacteurs ne manquent pas d’humour.
Gays, lesbiens, trans… et aveugles
Bizarrement, les confrères ayant évoqué la question, et surtout les principaux intéressés, font une curieuse lecture de l’épisode.
Ainsi Christine Le Doaré, présidente du Centre Gay, Lesbien, Bi et Trans de Paris, impute-t-elle la responsabilité de la décision… aux évangéliques américains, dont on se demande quand ils auraient rejoint l’OCI et depuis quand ils imposeraient leur loi au Maroc et au Mali, qui ont présenté l’amendement. Voilà en en effet le compte-rendu des débats tel qu’il est presenté sur le site de l’ONU :
« La représentante du Maroc, au nom de l’Organisation de la Conférence islamique (…) s’est dite troublée par les tentatives visant à se concentrer sur des droits individuels spécifiques et a réaffirmé que la notion d’orientation sexuelle ne devrait pas figurer dans ce texte. La communauté internationale devrait, selon elle, éviter une interprétation sélective de certains droits de l’homme. Cette situation pourrait entraîner un précédent dangereux. L’OCI continuera de protéger la notion de famille en tant que noyau fondamental de la société. »
Ses défenseurs avaient un argument de poids, compréhensible du point de vue de la richesse de la variété culturelle : il n’existe pas d’accord international sur cette « notion » ! Ils ont donc suggéré d’en traiter à l’occasion d’une réunion intergouvernementale. Promis, en 2012 le monde entier reconnaîtra dans les fondements un lieu commun à diverses sexualités. Et cette notion étant admise comme internationale et transculturelle, les homosexuels ne seront plus l’objet de persécutions, exécutions et assassinats en Iran (où, selon les déclarations de Mahmoud Ahmadinejad, ils n’existent tout simplement pas et ne sont donc pas pendus), au Sénégal, au Cameroun, en Irak, en Egypte, en Arabie Saoudite, en Ouganda…
Les délégations occidentales et notamment la Finlande, la France et la Suisse auraient exprimé leurs regrets. C’est très gentil. Surtout après avoir voté oui.
Je crois qu’Arnaud souhaite que je le rejoigne. Peut-être souhaite t-il faire de moi son futur Premier ministre… Ou que, plus modestement, j’entre à son service comme nègre (pour faire plaisir à M. Guerlain) ou plume (pour exciter DSK). Ou, encore plus humblement, que j’accepte de devenir rédacteur en chef du bulletin d’information du conseil général de Saone-et-Loire.
Mais, c’est sûr, il essaie d’attirer mon attention. Vous ne me croyez pas ? Mais c’est que j’ai plusieurs indices ! Arnaud a fait acte de candidature à Frangy-en-Bresse dans le 71 ! Or, je suis né en 71. Et je suis souvent passé en voiture à Frangy-en-Bresse, village très calme en dehors des jours comme ce samedi, où le nombre de caméras dépasse de peu celui de poulets et de beaucoup celui des habitants. Je reconnais toutefois que si j’y suis passé, jamais l’idée saugrenue de m’y arrêter n’a traversé mon esprit. Léger comme indice ? Mais ce n’est pas tout ! Je suis né en 71 mais plus exactement le 20 novembre, un samedi. Or c’est bien hier, samedi 20 novembre qu’Arnaud a avoué à la France son envie d’elle.
Coïncidences ? Mais que vous faut-il donc ? Arnaud m’envoie des signes idéologiques. Qu’écrivé-je ? Des signes doctrinaires ! Il souhaite baser sa candidature sur le thème de la « démondialisation ». Il explique que « économiquement et écologiquement, la mondialisation est un désastre car elle survalorise l’exportation. Il faut donc assumer un certain protectionnisme comme un outil pour le développement, au nord comme au sud. » C’est ce que je me tue à écrire depuis des années. C’est bien simple, on dirait un extrait du tract de campagne de Debout la République aux dernières élections européennes. Arnaud, qui a rejoint Martine, la fille de Delors et la copine de Pascal Lamy, ne peut pas parler mondialisation en de si mauvais termes par hasard.
Bon, maintenant, c’est sûr. Arnaud a entendu parler de moi. Ce que j’écris lui plaît. Et il souhaite m’attirer dans ses filets politiques. J’en suis tout chose. Face à cet entrain, je ne peux me dérober. Je me dois d’apporter, publiquement, une réponse à de telles avances.
Arnaud, tu es sur le bon chemin. Mais il te reste à parcourir de la distance :
1 – Abandonne tes obsessions de VIe République, on y est déjà ! La Ve du Général est morte depuis longtemps. Cohabitations, quinquennat et Nicolas Sarkozy ont déjà eu sa peau.
2- Le protectionnisme, c’est bien. Redonner à ton pays le pouvoir de battre monnaie, c’est mieux.
3 – Enfin, si tu es vraiment le jeune lion que tu dis, oublie cette pantalonnade de primaires, présente-toi directement aux suffrages du peuple tout entier.
Là, on pourra éventuellement commencer à boire un verre. Du Jura, sur un poulet de Bresse.
Amitiés.
PS (ça ne s’invente pas) : Si ça se trouve, Arnaud n’a aucune idée de mon existence et je vais avoir l’air d’un con. Tant pis. C’est dit.
Il semblerait que la gaullomanie – cette idéologie reposant sur l’idée que de Gaulle est un demi-Dieu, non seulement un grand homme d’Etat, mais aussi un grand moraliste, un grand écrivain et même un type rigolo comme tout – ne puisse désormais que refluer, écrasée sous le poids de ses affabulations. Ses partisans se contentent de brandir des idées générales ou des slogans propres à flatter ce goût pour l’exaltation sous l’empire duquel chacun d’entre nous est prêt, à différentes périodes de sa vie, à faire n’importe quoi. Les opposants du Général, eux, ont toujours invoqué des faits, sanglants pour la plupart. Le plus brillant de ces opposants fut Jacques Laurent, dont le Mauriac sous de Gaulle est un bijou de vérité, d’ironie et de courage.
Mythomanie sanglante
La postérité du gaullisme risque ainsi d’être contrariée par le souvenir des victimes qui jonchent sa route. Et c’est par le roman – quoi de mieux qu’un roman pour rendre compte de la réalité ? – que cette mythomanie sanglante est écornée aujourd’hui.
Les écrivains parfois écrivent de manière parallèle sans s’en rendre compte, évidemment : ce n’est qu’à la publication qu’on s’aperçoit par exemple que deux romans sortis en même temps ont pour cadre principal le mois d’août 1962, et un sujet commun : la trahison.
Dans Je ne vous oublie pas, (Cherche-Midi), Emmanuel Sabatié fait resurgir du néant les supplétifs de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Son roman commence dans l’atmosphère propre aux périodes dites de « libération », que l’auteur restitue à merveille et qui donne d’emblée au récit une dimension universelle. Un harki cherche à gagner la France avec sa femme et ses deux enfants. Il n’est pas possible d’en écrire plus, car ce roman, que l’on lit d’une traite avec la sensation d’une douleur physique au ventre, n’est pas de ceux que l’on chronique distraitement avec des mots choisis et élégants. Il rappelle simplement la sauvagerie des hommes dès qu’ils sont livrés à eux-mêmes, et surtout lorsqu’ils sont encouragés par le pouvoir en place.
Vieil homme cruel
C’est justement le sort de ces supplétifs qui constituent les plus belles pages du roman d’Alice Ferney Passé sous silence (Actes Sud) et qui, parmi d’autres motifs, ont conduit Bastien-Thiry à commettre son geste désespéré au Petit Clamart. Alice Ferney convoque ainsi cette belle figure (sous le nom de « Donadieu »), qu’elle oppose au fameux général au menton mou (« Grandberger », dont la description physique page 60 vaut le détour). Elle n’en rajoute pas : son récit est précis, d’une objectivité que ne renierait pas un historien pointilleux. De Gaulle n’est pas dénué de qualités : indifférent au danger physique, par exemple.
Mais cette confrontation à distance entre Grandberger « vieil homme cruel » et Donadieu « l’homme d’exception » n’est pas à l’avantage du premier et éclaire toute la période, bien mieux que cinquante ouvrages universitaires sur la guerre d’Algérie. Elle nous rappelle par exemple que l’armée avait vaincu la sédition, rendant ainsi possible toutes sortes de solutions, y compris éventuellement l’indépendance sans les massacres.
Il présente l’intérêt, aussi, de nous restituer le vrai Bastien-Thiry : ce n’était pas un « activiste » (terme bien commode pour fusiller les gens en insultant vaguement leur mémoire), il n’a jamais été membre de l’OAS, on ne lui connaît aucune opinion politique (sauf peut-être gaulliste, justement). C’était un des plus brillants scientifiques français, haut gradé, promis à une belle carrière, père de trois filles. Pas vraiment le profil du tueur fascisant que la légende gaulliste (comme ces deux termes, « légende gaulliste », vont bien ensemble !) a colporté.
Ces deux écrivains prouvent ainsi la supériorité, parfois, du roman sur d’autres formes d’écritures : les historiens se perdent en nuances ou même, dans le cas des harkis, ont carrément déclaré forfait.
Peut-être est-il enfin temps de laisser le Général à ses procès truqués, à sa justice aux ordres, à sa cruauté d’avoir livré aux bourreaux des Algériens qui avaient cru à ses promesses, à ses petits matins blêmes où l’on fusille à la sauvette, à son Paris outragé et à son Québec libre.
Tout cela n’est pas très sérieux. Voilà un mot, « populisme », dont les médias dominants se servent pour qualifier aussi bien Sarah Palin qu’Hugo Chavez alors que, si la première devenait présidente des Etats-Unis, il est probable qu’elle enverrait illico presto la CIA organiser un putsch, assassiner le leader bolivarien et plus si affinités. On pourra toujours parler de rivalité mimétique entre populistes, qu’on me permette, pour une fois, de douter de la pertinence de la grille de lecture girardienne.
En France, les mêmes médias emploient désormais cet adjectif − qu’ils connotent forcément de manière péjorative − pour Le Pen père et fille d’une part et pour Mélenchon de l’autre. Or, à moins de faire de « populiste » le synonyme de « bon orateur », trouver quelque chose de commun entre le Front national et le Front de gauche relève de la mauvaise foi, ou plus exactement de cette foi très post-moderne (Furet est passé par ici) que tout désir de changement de société s’appuyant sur le peuple finit nécessairement en totalitarisme, ce qui disqualifie tout discours de transformation.
Le mot « populisme », comme « patrie » et, ces temps-ci, « laïcité », est la victime d’un grand hold-up sémantique effectué par une droite dure, conservatrice et parfois ethniciste sur des notions qui appartenaient auparavant à la gauche et constituaient même l’ADN de la République et des mouvements d’émancipation. [access capability= »lire_inedits »]
Le populisme, en tant que courant politique, apparaît aux Etats-Unis. On se rapportera à la somme d’Howard Zinn sur la question, Une Histoire populaire des Etats-Unis, où il rappelle qu’il y eut toujours une résistance au big business dans le pays de la libre-entreprise. Il cite notamment la plateforme électorale du People’s Party en 1892 : « La corruption domine l’élection, les législatures, le Congrès, et effleure l’hermine des magistrats. Les journaux sont subventionnés ou étouffés. Notre travail perd sa valeur, la terre se concentre dans les mains des capitalistes. Les ouvriers ne peuvent pas se syndiquer, des travailleurs importés font pression sur les salaires, le produit du labeur de millions est volé pour édifier de colossales fortunes. » Quant on sait, en plus, que le People’s party, notamment dans le Sud, était un parti interracial, il devient un peu compliqué de le classer dans la droite de l’époque. On voit en même temps d’où a pu venir le malentendu : la dénonciation des petits contres les gros, le thème de la corruption, l’antiparlementarisme vont aussi devenir les thèmes d’une certaine extrême droite et notamment, pratiquement à la même époque en France, du boulangisme.
Le populisme littéraire est un humanisme
Pourtant, le terme « populisme » est encore, chez nous, au moins dans le domaine de la littérature, dénué de tout sous-entendu suspect. Savez-vous que l’on remet chaque année en France, depuis 1929, un Prix du roman populiste ? Et il n’a pas été remis à Marine Le Pen pour une autofiction ou à Jorg Haider pour son journal posthume dans les backrooms de Carinthie. Non, si l’on regarde le palmarès, on voit qu’il est resté fidèle à sa vocation première telle qu’elle est définie dans les statuts : récompenser « un roman qui met les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité ».
Le populisme littéraire est, pour paraphraser Sartre, qui a reçu ce prix en 1946 pour son recueil de nouvelles Le Mur, un humanisme. Il rejoint en cela le populisme des narodniki russes, ces étudiants du XIXe siècle qui, lassés des conventions bourgeoises, de la bulle artificielle dans laquelle ils vivaient, allèrent à la rencontre du monde paysan et tentèrent de fonder, sans trop de succès, un socialisme agraire. Il s’agit pour le roman populiste d’en finir soit avec l’ignorance pure et simple du peuple dans la fiction littéraire, soit avec la confusion plus ou moins consciente entretenue par les romanciers « réactionnaires » entre classes laborieuses et classes dangereuses. Pour un Victor Hugo ou un Zola, au XIXe siècle, qui font du peuple un objet d’étude et expriment le désir de le voir s’émanciper, combien de Paul Bourget et d’autres noms heureusement oubliés qui furent d’efficaces chiens de garde ne s’intéressant qu’aux émois chlorotiques des jeunes filles en dentelles ?
Le roman populiste n’a jamais eu les faveurs, non plus, du Parti communiste, contrairement à ce que l’on aurait pu croire. Cette littérature se refuse en effet à envisager le peuple comme une classe sociale mais davantage comme un personnage, ou même une personne. Pas d’idéalisation, seulement le désir de connaître, de comprendre, de donner une égale dignité au chagrin d’une ouvrière et à celui d’un jeune dandy, non pas parce qu’elle est ouvrière mais parce qu’elle participe d’une égale humanité et a aussi droit de cité dans l’imaginaire d’une nation.
La liste des auteurs lauréats du Prix du roman populiste se joue d’ailleurs des clivages politiques. Le premier à être couronné est Marcel Aymé. On sait à quel point celui-là fut rétif à tous les embrigadements et fut même classé dans la droite littéraire de l’après-guerre parce qu’il marqua un certain écœurement devant une épuration qui avait tendance à s’acharner sur ses confrères plutôt que sur les responsables de la collaboration économique.
D’autres, en revanche, furent plus clairement de gauche, comme Eugène Dabit et son Hôtel du Nord (« Atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » ou le scandaleusement oublié Louis Guilloux, l’auteur du Sang noir, qui resta un « nietzschéen de gauche » jamais tenté par le communisme, sans doute parce qu’il avait accompagné Gide lors de son fameux voyage en URSS. Plus récemment, le Prix populiste fut capable aussi de décorer Bernard Clavel, compagnon de route du PCF récemment décédé, et Denis Tillinac, gaulliste old school qui, précisément, comme tout vrai gaulliste, a, au fond, la « fibre popu ».
Ce détour par la littérature semble décidément indispensable en cette période où le mot « populisme » est devenu synonyme d’une instrumentalisation du peuple et de ses pulsions alors qu’il fut, avant tout, l’expression d’un beau souci, (beau parce que non dogmatique) pour tous ces abonnés absents d’une histoire et d’une actualité officielles, calibrées par les classes moyennes et pour les classes moyennes.[/access]
Dominique de Villepin se présente comme le chevalier blanc de la politique, au cœur purifié de toutes les scories courtisanes, entièrement dévoué à servir la France avec honneur, loyauté et panache gaulliste. Il ne s’est pourtant pas privé, ces jours-ci, d’agir en parfait « homme de l’occasion » pour reprendre les termes de Balthazar Gracian. La parution de son dernier livre, De l’esprit de cour, la malédiction française, combinée par ses piques oratoires à l’encontre du Président, lancées le dimanche 7 novembre sur l’antenne d’Europe 1, tombaient à pic.
En soutenant que l’esprit de cour est à l’origine du blocage de la société, de l’essoufflement général du pays et de la corruption du régime politique, puis en accusant Nicolas Sarkozy d’être aujourd’hui « un des problèmes de la France », Dominique de Villepin a retiré au pouvoir une crédibilité qu’il veut gagner en le critiquant. À la veille du remaniement ministériel, voilà qui n’était pas mal joué. Sa thèse prenait tout son éclat à mesure que le ballet des prétendants agitait fébrilement l’Elysée.
Virus curial[1. Les termes sont de Dominique de Villepin lui-même : précieux un jour, précieux toujours]
Or, l’habileté et l’opportunisme dont fait preuve Dominique de Villepin ne sont-ils pas des qualités qui caractérisent le courtisan avisé ? En disant ce qu’il faut au moment où il faut, ne s’est-il pas tenu « au centre de l’occasion », comme ferait un parfait homme de cour, qui saurait profiter de l’inconstance, des humeurs et de la contingence du sort pour être certain de plaire et de s’attirer la faveur populaire ? En effet, à défaut de flatter notre Prince, son ennemi juré, c’est le peuple que Dominique de Villepin tente de courtiser en prenant bien soin de dissimuler son intention sous le paravent de la satire.
Et pour couronner cette stratégie, tout s’est passé à quelques jours de la commémoration du quarantième anniversaire de la mort du Général De Gaulle, envisagé par l’intéressé comme contre modèle idéal du sarkozysme. Voilà qui lui donne des gages d’assurance pour se présenter comme l’homme providentiel qui vivifierait à nouveau l’esprit républicain étouffé actuellement par l’esprit de cour.
Mais penchons-nous sur ce « virus curial », jugé par Dominique de Villepin comme « une spécificité française constamment à l’œuvre au cœur du pouvoir ». L’auteur prend la cour comme « fil d’Ariane » pour voyager dans un passé, comparé, si on file la métaphore jusqu’au bout, à un labyrinthe. Et là, la perplexité gagne. N’est-ce pas surprenant pour se diriger dans le labyrinthe du passé d’utiliser la cour, qui est elle-même un véritable labyrinthe où chacun simule pour mieux dissimuler et guide pour mieux égarer ?
Comme le courtisan, la cour présente deux faces. L’une artificielle et apparente cache l’autre, nuisible et invisible.
Dominique de Villepin montre comment, grâce à cette duplicité, la cour fait croire qu’elle renforce le pouvoir alors qu’elle conspire contre lui. Vue du dehors, la cour apparaît comme l’instrument du pouvoir. Mais en réalité, la cour verrouille tout de l’intérieur tandis que du dedans, elle exerce sa capacité de nuisance et devient moins le lieu où l’on paraît qu’un foyer où l’on manigance contre le pouvoir en place, le mécanisme des passions aidant à alimenter la sédition des courtisans humiliés.
Cour monarchique, cour impériale, pour Villepin, la cour se métamorphose selon la nature des régimes, mais son fonctionnement oligarchique reste foncièrement le même.
Un diseur de vérité
Se drapant dans les habits de Ruy Blas, Dominique de Villepin prend plaisir à décrire le climat perpétuel de guerre froide, où les courtisans donneraient les apparences de servir l’intérêt général pour mieux se servir eux-mêmes et évincer leurs rivaux potentiels en se fourvoyant dans un cortège de coups bas, d’intrigues et de complots. Avec la démocratie parlementaire, la cour se désincarnerait mais ne perdrait pas en influence. Bien au contraire, en se masquant, en devenant une sorte de société secrète, qui prospèrerait entre le monde des affaires et le monde du pouvoir, son influence se répandrait plus facilement. Ainsi, comme le phoenix, la cour ne meurt jamais, elle renaît de ses cendres et se survit dans l’esprit qui l’anime.
En apparence, Dominique de Villepin se présente comme un diseur de vérité qui ose nommer le mal qui ronge la France et que les élites s’évertuent à dissimuler.
En réalité, dans les plis et les replis de sa critique et de l’éloge adressé aux hommes illustres, se glisse son propre sacre. En filigrane de son analyse historique, il ne cesse d’affirmer sa différence avec l’actuel Président et établit in fine sa propre légitimité présidentielle.
Dominique de Villepin ne manque à aucun moment de souligner le gouffre qui le sépare du « Premier des courtisans » : Nicolas Sarkozy lui-même et sa vision d’un pouvoir aimé pour les effets de plaisir et de gloire qu’il procure. Pour Villepin, l’ode au Général De Gaulle, le culte voué à l’idéal d’indépendance et de fidélité représente autant de manières de dessiner en creux son autoportrait.
Mise en scène
Dans le passage consacré au Général, résonne son discours de l’ONU où, en plaidant l’opposition à la guerre en Irak, il s’affirme comme le gardien de l’indépendance de la France, tout en marquant bien la séparation avec Nicolas Sarkozy, relayé au statut de vil laquais à la solde de l’Empire Américain.
Ainsi l’esprit gaulliste animerait le verbe villepiniste et inversement.
Le sursaut républicain que Dominique de Villepin appelle de ses vœux, au début et à la fin de son livre, voudrait être aussi une façon de s’inscrire dans la droite ligne de l’appel gaulliste, c’est à dire à refuser le fatalisme tout en se présentant comme celui qui serait porteur d’un grand projet collectif capable de guérir la France de cette fameuse tumeur « curiale ».
Tombée de rideau !
Villepin, en affirmant que le propre du courtisan moderne, est « qu’il n’est plus identifié comme tel, ce qui le rend encore plus redoutable car il avance masqué », finit donc par se trahir lui-même. A travers cette séduisante mise en scène, c’est lui qui finit par apparaître comme l’archétype du courtisan.
Parce que tout de même, il ne faudrait pas oublier que l’ « esprit villepiniste » s’incarne lui aussi banalement dans un système politique et que si l’homme est un féru d’histoire, il parle, tout d’abord, en tant que chef de parti politique soumis, comme tous les autres partis, aux dérives courtisanes.
C’est le site web de Paris Match qui nous l’apprend cette semaine : manger régulièrement des pommes pourrait réduire le risque de fracture osseuse. Et si l’on n’est pas forcé de croire tout ce qu’on lit chez le coiffeur, on peut raisonnablement se fier à la source d’origine de l’info, à savoir l’American Journal of Clinical Nutrition. L’étude à l’origine de ce scoop, menée par des chercheurs de l’université McGill de Montréal, attesterait que manger des fruits et des légumes – et singulièrement des pommes – rend le squelette plus solide; accessoirement, les résultats sont, c’est injuste mais c’est comme ça, encore plus probants chez les femmes que chez les hommes.
Hélas, nos honorables chercheurs québécois n’ont toujours rien trouvé sur une éventuelle corrélation entre l’ingestion de pommes et la réduction de la fracture… sociale cette fois-ci. La réduction de la « fracture sociale », écho vintage des temps anciens… Encore un gimmick électoral chiraquien des années 90 qui ne se vérifiera pas…
A trop vouloir réduire les « fractures », un jour ou l’autre, d’ailleurs, on tombe sur un os. La sombre affaire du mystérieux embrasement spontané de l’autobus de Karachi le démontrera peut-être…